Recueil de décisions du Président Geoff Regan 2015 - 2019
Le processus législatif / Forme des projets de loi
Projets de loi omnibus : demande en vertu de l’article 69.1 du Règlement
Débats, p. 15094–15095
Contexte
Le 31 octobre 2017, Candice Bergen (Portage—Lisgar) invoque le Règlement au sujet du projet de loi C-56, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et la Loi sur l’abolition de la libération anticipée des criminels[1]. Elle soutient que le projet de loi compte deux parties, l’une sur l’isolement préventif et l’autre sur la libération conditionnelle, qui devraient faire l’objet de votes distincts en vertu de l’article 69.1 du Règlement. Il s’agit du premier recours à cet article depuis son adoption en juin 2017.
Résolution
Le 7 novembre 2017, le Président rend sa décision. Il note que le pouvoir de la présidence de diviser les questions complexes est depuis longtemps établi dans la pratique parlementaire canadienne, mais seulement pour diviser des motions. Il explique donc comment il entend faire usage des nouveaux pouvoirs que lui confère le Règlement en s’inspirant des exemples antérieurs de division de motions. Le Président affirme qu’il s’agit de déterminer si les sujets qui font l’objet du projet de loi ont si peu en commun qu’il serait justifié de les mettre aux voix séparément. Il confirme que les deux parties relevées par Mme Bergen sont effectivement deux mesures distinctes, mais qu’elles relèvent ultimement de la même loi. De plus, le projet de loi dans son ensemble porte sur le traitement des délinquants. Il n’y a donc pas lieu que ces parties fassent l’objet de votes distincts.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à me prononcer sur le rappel au Règlement soulevé le 31 octobre 2017 par l’honorable leader de l’opposition à la Chambre au sujet de l’application du nouvel article 69.1 du Règlement au projet de loi C-56, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et la Loi sur l’abolition de la libération anticipée des criminels.
Je remercie l’honorable leader de l’opposition à la Chambre d’avoir soulevé la question, ainsi que l’honorable député de New Westminster—Burnaby de ses observations.
La leader de l’opposition à la Chambre soutient que deux parties du projet de loi C-56 devraient être séparées en vertu de l’article 69.1 du Règlement. Une partie modifie la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition afin de régler certains problèmes liés à l’isolement préventif. L’autre partie modifie la Loi sur l’abolition de la libération anticipée des criminels et concerne la procédure d’examen expéditif visant certains délinquants. La leader de l’opposition à la Chambre fait valoir que ces deux questions n’ont rien en commun et elle invite donc la présidence à les diviser aux fins du vote.
L’honorable député de New Westminster—Burnaby souscrit à ces arguments et il a souligné que la division de ces questions aux fins du vote permettrait aux députés de mieux représenter leurs électeurs.
Les députés se rappelleront que la Chambre a adopté une série de modifications au Règlement le 20 juin 2017. Puisque c’est la première fois que la présidence est appelée à rendre une décision fondée sur cette nouvelle disposition, j’aimerais apporter quelques précisions sur son application. L’article 69.1(1) du Règlement est ainsi libellé :
Lorsqu’un projet de loi émanant du gouvernement vise à modifier, à abroger ou à édicter plus d’une loi dans les cas où le projet de loi n’a aucun fil directeur ou porte sur des sujets qui n’ont rien en commun les uns avec les autres, le Président peut diviser les questions, aux fins du vote, sur toute motion tendant à la deuxième lecture et au renvoi à un comité et à la troisième lecture et l’adoption du projet de loi. Le Président peut combiner des articles du projet de loi thématiquement et mettre aux voix les questions susmentionnées sur chacun de ces groupes d’articles séparément, pourvu qu’un seul débat soit tenu pour chaque étape.
Le pouvoir de la présidence de diviser les questions complexes fait depuis longtemps partie intégrante de la pratique parlementaire canadienne, mais il a rarement été utilisé. Ce pouvoir est décrit aux pages 562 et 563 de la seconde édition de l’ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes, et quelques exemples y sont donnés. En outre, il ressort clairement de cet ouvrage que ce pouvoir n’a jamais, par le passé, été utilisé pour diviser des projets de loi, seulement des motions.
Dans son intervention, l’honorable leader de l’opposition à la Chambre a donné des précisions concernant plusieurs de ces exemples. Dans le cadre du débat sur le drapeau tenu en 1964, le Président Macnaughton a divisé la motion en deux questions aux fins de la mise aux voix, la première concernant la création d’un nouveau drapeau canadien et la seconde concernant le maintien du drapeau de l’Union royale, soit l’Union Jack.
En 1991, le Président Fraser a divisé en trois, aux fins de la mise aux voix, une motion qui se déclinait en 64 points et qui visait à modifier le Règlement.
En 2002, le Président Milliken a divisé en deux, aux fins de la mise aux voix, une longue motion visant le rétablissement de certaines affaires et il a ordonné qu’une autre partie de la motion soit étudiée séparément.
Bien qu’il n’en ait pas été question, je souligne que mon prédécesseur a rendu une décision similaire le 17 octobre 2013 concernant une motion visant le rétablissement de certaines affaires et que deux mises aux voix avaient alors été tenues.
La leader de l’opposition à la Chambre a aussi relevé plusieurs exemples de motions qui ont été divisées par le Parlement britannique à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle.
L’article 69.1 donne au Président, pour la première fois, le pouvoir de diviser des questions visant des projets de loi émanant du gouvernement aux fins de la mise aux voix aux étapes de la deuxième et de la troisième lecture, sauf si le projet de loi a comme objectif central la mise en œuvre d’un budget. Pour ce faire, la présidence doit déterminer dans quelle mesure les diverses dispositions du projet de loi portent sur des thèmes différents.
Si le projet de loi prévoit des initiatives qui n’ont rien en commun, le Président peut combiner des articles thématiquement aux fins de la mise aux voix, mais il n’y aurait tout de même qu’un seul débat. Plusieurs questions peuvent être mises aux voix aux étapes de la deuxième et de la troisième lecture, mais il n’y a toujours qu’un seul et même projet de loi. Cette façon de faire est différente des cas où les projets de loi eux-mêmes ont été divisés, soit du fait d’une motion adoptée par la Chambre, soit en réponse à une instruction donnée à un comité.
L’analyse et la division d’un projet de loi en différentes parties peuvent parfois se révéler une entreprise difficile, je tiens donc à remercier la députée d’avoir soulevé son rappel au Règlement si tôt dans le processus, avant même le début de l’étude à l’étape de la deuxième lecture.
Si des députés croient que cette disposition du Règlement devrait trouver application, je les incite à faire valoir leurs arguments le plus tôt possible dans le processus, surtout qu’il est presque impossible de prévoir combien de temps peuvent durer les débats à une étape donnée. Si les députés manifestent leur opposition trop tard dans le processus, la présidence pourrait n’avoir d’autre choix que de soumettre le projet de loi à une seule mise aux voix à l’étape de la deuxième lecture ou à l’étape de la troisième lecture, selon le cas.
Si la présidence devait conclure que la disposition du Règlement s’applique et que les questions devraient être divisées aux fins du vote, j’indiquerais à la Chambre quels éléments seraient regroupés pour la mise aux voix. Comme je l’ai mentionné précédemment, les mesures législatives sont souvent complexes et il n’est pas toujours facile de procéder à de telles divisions. C’est d’autant plus le cas lorsqu’un projet de loi contient des dispositions de coordination et des modifications corrélatives ou encore des dispositions d’entrée en vigueur, qui ont des conséquences sur les divers articles du projet de loi. Les députés sont invités à préciser, lorsqu’ils présentent leurs arguments en faveur de la division de questions, comment ils regrouperaient les dispositions.
Dans le cas où, à l’étape de la deuxième lecture, la Chambre rejetterait certaines dispositions d’un projet de loi mais en adopterait d’autres, seules les portions adoptées seraient renvoyées au comité. Si cela arrivait, j’ordonnerais que le projet de loi soit réimprimé aux fins de l’examen par le Comité. Selon nos pratiques, les projets de loi ne sont réimprimés que sur l’ordre d’un comité après l’adoption d’amendements ou l’adoption du projet de loi à l’étape de la troisième lecture. Je crois toutefois que, si une partie d’un projet de loi était rejetée par la Chambre à l’étape de la deuxième lecture, il serait utile pour le comité de disposer d’une nouvelle version du projet de loi afin qu’il n’y ait aucun doute quant aux dispositions visées par l’ordre de renvoi.
Dans le cas qui nous occupe, après examen du projet de loi C-56, je conclus que celui-ci contient en effet deux mesures distinctes. La première partie modifie la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition afin de mettre en œuvre un nouveau régime concernant l’isolement préventif des détenus. La seconde partie, constituée principalement de l’article 10 du projet de loi, modifie la Loi sur l’abolition de la libération anticipée des criminels, qui porte sur l’admissibilité de certains délinquants à une procédure d’examen expéditif.
Il est à noter que Loi sur l’abolition de la libération anticipée des criminels est le titre abrégé de la Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (procédure d’examen expéditif) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois. Cette loi a été édictée en 2011 et abolissait la procédure d’examen expéditif prévue par les articles 125 à 126.1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Le projet de loi C-56 a pour effet de modifier les dispositions transitoires de la Loi sur l’abolition de la libération anticipée des criminels afin que les délinquants condamnés après la prise d’effet de cette loi en 2011 pour une infraction commise avant cette date puissent être admissibles à la procédure prévue sous le régime antérieur.
L’honorable leader de l’opposition à la Chambre a soutenu que, en l’espèce, les deux initiatives n’ont rien en commun et qu’il est fort possible que des députés soutiennent la première, mais s’opposent à la seconde. Les députés savent pertinemment qu’il arrive souvent que des projets de loi contiennent diverses initiatives sur plusieurs sujets, auquel cas les députés peuvent souhaiter donner leur appui à certaines et s’opposer aux autres.
Le processus d’amendement donne aux députés l’occasion de proposer des changements, y compris supprimer les dispositions d’un projet de loi auxquelles ils s’opposent. La question que doit trancher la présidence, lorsqu’il s’agit d’appliquer l’article 69.1 du Règlement, est donc de savoir si les sujets ont si peu en commun qu’il est justifié de les mettre aux voix séparément aux étapes de la deuxième et de la troisième lecture.
À première vue, il peut sembler que les dispositions figurant à l’article 10 du projet de loi C-56 n’ont rien en commun avec le reste du projet de loi. Cependant, la procédure d’examen accélérée visée à cet article, comme je l’ai mentionné précédemment, était en fait établie par les articles 125 à 126.1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la même loi que modifient les autres dispositions du projet de loi.
Puisque le projet de loi dans son ensemble porte sur le traitement des délinquants, qu’il s’agisse de l’isolement préventif prévu par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ou de l’application de la procédure d’examen expéditif prévue par la même loi, je suis d’avis que les deux parties ont bel et bien des éléments en commun et que, par conséquent, il n’y a pas lieu de diviser les questions du projet de loi C-56 aux fins du vote.
Je remercie les honorables députés de leur attention.
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[1] Débats, 31 octobre 2017, p. 14725–14726.