Le processus législatif / Forme des projets de loi

Projets de loi omnibus : demande en vertu de l’article 69.1 du Règlement

Débats, p. 21162–21164

Contexte

Le 11 juin 2018, Matthew Dubé (Beloeil—Chambly) invoque le Règlement au sujet du projet de loi C-59, Loi concernant des questions de sécurité nationale, qui vient d’être adopté à l’étape du rapport et de la deuxième lecture[1]. Le député renvoie à son intervention du 20 novembre 2017 voulant que le projet de loi fasse l’objet de votes distincts en vertu de l’article 69.1 du Règlement[2]. À l’époque, le Président avait rejeté la demande, puisque l’article 69.1 ne s’applique pas à une motion de renvoi immédiat d’un projet de loi à un comité. Maintenant que la motion portant troisième lecture du projet de loi pourra être présentée, M. Dubé réitère que le thème général de la sécurité nationale n’est pas suffisant pour établir un fil conducteur entre les éléments disparates du projet de loi. Le lendemain, Kevin Lamoureux (secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes) affirme que l’objectif visé par le projet de loi, soit la refonte du cadre de sécurité nationale, impose que divers éléments interdépendants soient réunis dans une même mesure; il n’y aurait donc pas lieu de tenir des votes distincts[3].

Résolution

Le 18 juin 2018, le vice-président (Bruce Stanton) rend sa décision. Il reconnaît que les différentes mesures du projet de loi se rapportent au thème de la sécurité nationale. Malgré cela, il souligne l’importance de déterminer ce qui relie ces éléments les uns aux autres, conformément à une décision rendue par le Président le 1er mars 2018. En l’espèce, certaines des mesures proposées ont si peu en commun que cela justifie de tenir des votes distincts à l’étape de la troisième lecture. La présidence révise cependant à la baisse le nombre de votes proposé par M. Dubé, qui passe de six à trois.

Décision de la présidence

Le vice-président : La présidence est maintenant prête à se prononcer sur le rappel au Règlement soulevé le 11 juin 2018 par l’honorable député de Beloeil—Chambly concernant l’applicabilité de l’article 69.1 du Règlement au projet de loi C-59, Loi concernant des questions de sécurité nationale.

La présidence remercie l’honorable député d’avoir soulevé la question, ainsi que l’honorable secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes de ses observations à ce sujet.

L’honorable député a fait valoir que le projet de loi C-59 est un projet de loi omnibus, puisqu’il contient, selon lui, différentes mesures qui devraient faire l’objet de votes distincts. Dans un rappel au Règlement soulevé le 20 novembre 2017, il avait à l’origine demandé à la présidence de diviser la question aux fins de vote sur la motion visant à renvoyer le projet de loi à un comité avant l’étude en deuxième lecture. Dans la décision rendue le jour même, le Président a indiqué que l’article 69.1 du Règlement dit clairement que la présidence n’est habilitée, aux fins du vote, qu’à diviser les questions sur les motions portant deuxième et troisième lecture d’un projet de loi. Le Président a alors invité les députés à présenter de nouveau leurs arguments au moment de la motion portant troisième lecture du projet de loi.

L’honorable député de Beloeil—Chambly a fait remarquer que chacune des trois premières parties du projet de loi édicte une nouvelle loi. En effet, la partie 1 édicte la Loi sur l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, la partie 2 édicte la Loi sur le commissaire au renseignement et la partie 3 édicte la Loi sur le Centre de la sécurité des télécommunications. Le député a soutenu que, puisque les deux premières parties établissent toutes deux une nouvelle entité dont elles prévoient le mandat et les pouvoirs et que la troisième partie élargit considérablement le mandat du CST, ces parties devraient, selon lui, faire l’objet de votes distincts. Il a aussi affirmé que chaque partie modifie un éventail d’autres lois, cependant la présidence tient à signaler que, dans la plupart des cas, il s’agit de modifications corrélatives qui visent à changer ou à ajouter le nom des entités visées dans les autres lois.

L’honorable député a souligné que les parties 4 et 5 du projet de loi devraient être mises aux voix ensemble. Ces parties traitent des nouveaux pouvoirs conférés au Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) en matière de collecte de métadonnées et de perturbation des menaces, ainsi que de la communication d’information entre les ministères concernant les questions de sécurité.

Étant donné que la partie 6 concerne la Loi sur la sûreté des déplacements aériens et ce qui est communément appelé la « liste d’interdiction de vol », le député estimait qu’il s’agissait d’une question distincte qui devait faire l’objet d’un vote séparé.

Enfin, l’honorable député a proposé de regrouper les parties 7, 8, 9 et 10 aux fins de vote. La partie 7 porte sur des modifications apportées au Code criminel en ce qui concerne le terrorisme, tandis que la partie 8 traite de concepts semblables relativement aux jeunes contrevenants. La partie 9 prévoit la tenue d’un examen législatif de l’ensemble du projet de loi après six ans et la partie 10, quant à elle, contient les dispositions d’entrée en vigueur.

Dans son intervention sur cette question, l’honorable secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes a déclaré que les dispositions du projet de loi étaient liées par un thème commun, à savoir le renforcement de la sécurité nationale du Canada et la sauvegarde des droits et libertés des Canadiens. Pour atteindre ces objectifs, selon le secrétaire parlementaire, il est nécessaire que le projet de loi C-59 porte sur plusieurs lois et qu’il soit envisagé dans son ensemble puisque ses différents éléments ne permettent pas à eux seuls d’atteindre l’objectif global du projet de loi. Il a conclu en disant que l’article 69.1 du Règlement ne devait pas s’appliquer dans le cas présent.

L’article 69.1 du Règlement donne au Président le pouvoir de diviser les questions concernant un projet de loi dans les cas où le projet de loi n’a aucun fil directeur ou porte sur des sujets qui n’ont rien en commun les uns avec les autres.

Le projet de loi C-59 contient clairement plusieurs mesures distinctes. Il établit de nouveaux organismes et mécanismes de surveillance des organismes de sécurité nationale, traite de la collecte et de la communication d’information et porte sur des infractions criminelles liées au terrorisme. Cela dit, on pourrait soutenir que, puisque toutes ces questions ont trait à la sécurité nationale, elles sont effectivement liées par un fil conducteur. La présidence doit toutefois se demander si ces mesures devraient faire l’objet de votes distincts.

Le 1er mars 2018, le Président a rendu une décision concernant le projet de loi C-69, dans laquelle il a précisé que l’article 69.1 du Règlement pouvait, à son avis, s’appliquer aux projets de loi qui contiennent de multiples mesures, même si celles-ci concernent toutes un domaine donné. En l’espèce, même si la présidence n’a aucune réticence à convenir que toutes les mesures du projet de loi C-59 ont trait à la sécurité nationale, la présidence estime que certaines mesures ont si peu en commun entre elles que cela justifie de diviser la question. Par conséquent, la présidence est disposée à diviser la question sur la motion portant troisième lecture du projet de loi.

L’honorable député de Beloeil—Chambly a demandé la tenue de six votes distincts, soit un sur chacune des trois premières parties, un sur les parties 4 et 5, un sur la partie 6 et un sur les parties 7 à 10. Bien que la présidence comprenne son raisonnement, elle ne souscrit pas entièrement à toutes ses conclusions quant à la façon dont la question devrait être divisée.

Étant donné que chacune des trois premières parties du projet de loi édicte effectivement une nouvelle loi, la présidence comprend pourquoi le député voudrait que chacune fasse l’objet d’un vote distinct. Cependant, selon l’interprétation de la présidence du projet de loi, ces trois parties établissent un cadre global qui régirait la surveillance des activités de sécurité nationale. Par exemple, l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, qui serait constitué par la partie 1, a des responsabilités liées à la surveillance du Centre de la sécurité des télécommunications prévues à la partie 3, tout comme le commissaire au renseignement créé par la partie 2. De plus, le commissaire au renseignement a aussi des responsabilités concernant les ensembles de données, prévues à la partie 4, tout comme l’Office de surveillance. Vu les multiples renvois, dans chacune de ces parties, aux entités établies dans d’autres parties, ces quatre parties seront regroupées aux fins du vote.

La partie 5 porte sur la communication de renseignements ayant trait à la sécurité entre les diverses institutions gouvernementales. Bien que le lien entre cette partie et les quatre premières parties ne soit pas aussi fort que celui qui lie les quatre premières parties et puisque, selon le député, les parties 4 et 5 pourraient être regroupées, la présidence est prête à mettre aux voix la partie 5 en même temps que les parties 1 à 4.

L’honorable député de Beloeil—Chambly n’a pas parlé de la nouvelle partie 1.1 qui a été ajoutée au projet de loi C-59 par suite de l’adoption d’une motion à cet effet pendant l’étude article par article du projet de loi. La partie 1.1 édicte la Loi visant à éviter la complicité dans le cas de mauvais traitements infligés par des entités étrangères, laquelle porte sur la communication de renseignements dans les cas où des individus risquent d’être victimes de mauvais traitements par des entités étrangères. Puisque l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, qui serait créé par la partie 1 du projet de loi, examinerait les instructions données sous le régime de cette nouvelle partie, il est logique que cette partie soit mise aux voix avec les parties 1 à 5.

La présidence est d’accord avec l’honorable député que la partie 6, qui porte sur la liste d’interdiction de vol, constitue un sujet distinct et devrait être mise aux voix séparément. La présidence convient également que les parties 7 et 8 peuvent être regroupées aux fins du vote. Ces deux parties portent pour l’essentiel sur des questions relevant du droit pénal, l’une sur le Code criminel l’autre sur la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

La présidence a eu beaucoup de mal à trouver où placer les parties 9 et 10. Pour reprendre les mots de l’honorable député de Beloeil—Chambly, elles traitent surtout de procédure, mais elles visent l’ensemble de la loi. La partie 9 prévoit l’examen législatif de la loi et la partie 10 renferme les dispositions d’entrée en vigueur de l’ensemble de la loi. La présidence doit aussi veiller à ce que le titre et le préambule fassent partie d’un des groupes.

En ce qui concerne les dispositions d’entrée en vigueur de la partie 10, la solution est évidente. Puisque les articles 169 à 172 portent sur l’entrée en vigueur des parties1 à 5 du projet de loi, ils seront mis aux voix avec ces parties. L’article 173, pour sa part, porte sur l’entrée en vigueur de la partie 6 et il sera mis aux votes avec cette partie.

Il reste à trancher la question du titre, du préambule et de l’examen législatif prévu à la partie 9, soit à l’article 168. Ces éléments visent l’ensemble du projet de loi, la présidence a donc décidé de les inclure dans le plus grand groupe, lequel est composé des parties1 à 5 du projet de loi.

Résumons : il y aura trois votes à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-59. Le premier portera sur les parties 1 à 5 du projet de loi ainsi que sur le titre, le préambule, la partie 9 qui concerne l’examen législatif — et les dispositions d’entrée en vigueur prévues par les articles 169 à 172 du projet de loi. Le deuxième vote portera sur la partie 6 du projet de loi et sur les dispositions d’entrée en vigueur prévues à l’article 173. Le troisième vote portera sur les parties 7 et 8 du projet de loi. La présidence rappellera ces divisions aux honorables députés avant le début des mises aux voix.

Je remercie les honorables députés de leur attention.

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[1] Débats, 11 juin 2018, p. 20632.

[2] Débats, 20 novembre 2017, p. 15311-15313.

[3] Débats, 12 juin 2018, p. 20743.