Recueil de décisions du Président Geoff Regan 2015 - 2019
Les règles du débat / Processus du débat
Motions : recevabilité; violation de la prérogative des ministres de la Couronne
Débats, p. 4285–4286
Contexte
Le 18 avril 2016, Peter Julian (New Westminster—Burnaby) invoque le Règlement au sujet de la recevabilité de la motion émanant d’un député M-43, inscrite au nom de Pat Kelly (Calgary Rocky Ridge). M. Julian demande au Président de déclarer la motion irrecevable, car elle contreviendrait, selon lui, à l’article 68(4) du Règlement, du fait qu’elle donne instruction à un comité d’étudier et de déposer un projet de loi, une motion que seul un ministre de la Couronne peut proposer. Andrew Scheer (Regina—Qu’Appelle) rétorque pour sa part que bien que le Règlement limite le pouvoir de proposer des motions donnant instruction à un comité aux ministres, il n’est pas interdit aux simples députés de donner des instructions par l’entremise d’un ordre spécial. M. Scheer avance que la motion de M. Kelly permet à la Chambre de décider, au bout du compte, comment s’y prendre. Le Président prend l’affaire en délibéré[1].
Le 11 mai 2016, M. Kelly ajoute que rien dans le Règlement n’empêche un simple député de créer un nouveau mécanisme pour donner instruction à un comité d’élaborer et de déposer un projet de loi. La vice-présidente adjointe (Carole Hughes) prend l’affaire en délibéré[2].
Résolution
Dans sa décision du 9 juin 2016, le Président affirme que, selon l’article 68(4) du Règlement, le pouvoir d’élaborer et de déposer un projet de loi est strictement réservé aux ministres. Toutefois, il ajoute que le Règlement ne définit pas avec précision quelles sont les limites de ce qui est recevable en tant que motion émanant des députés, outre celles se rapportant à la prérogative financière de la Couronne qui sont énoncées à l’article 68(4) du Règlement. Comme il ne peut déclarer catégoriquement que la motion M-43 contrevient à l’article 68(4) du Règlement, le Président conclut qu’on pourrait la considérer comme une approche parallèle à cet article et comme un ordre spécial permettant à la Chambre de procéder d’une façon que ses règles n’ont pas prévue. Par conséquent, il autorise les députés à continuer de débattre de la motion afin que la Chambre détermine la façon dont elle veut procéder. Le Président invite aussi le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre à examiner les lignes directrices sur la recevabilité des motions émanant des députés et à présenter ses conclusions à la Chambre.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur le rappel au Règlement soulevé le 18 avril 2016 par le député de New Westminster—Burnaby concernant la recevabilité de la motion M-43 inscrite au nom de l’honorable député de Calgary Rocky Ridge.
Je remercie l’honorable député de New Westminster—Burnaby d’avoir soulevé la question, ainsi que l’honorable leader à la Chambre de l’opposition officielle et le député de Calgary Rocky Ridge pour leurs interventions.
Le député de New Westminster—Burnaby a fait valoir que la motion M-43 contrevient au paragraphe 68(4) du Règlement, qui donne aux ministres de la Couronne le pouvoir de présenter des motions tendant à charger un comité de se pencher sur une question et de déposer un projet de loi fondé sur ses conclusions. Puisque le Règlement ne permet pas expressément au député de faire de même et que les rares précédents ne sont guère éclairants, le député estime que la motion est irrecevable.
Le leader de l’opposition officielle à la Chambre ainsi que le député de Calgary Rocky Ridge conviennent que le Règlement n’accorde ce pouvoir qu’aux ministres, mais ils soutiennent qu’on ne peut uniquement se fonder sur cette règle pour en venir à la conclusion qu’il n’existe aucun autre moyen de fournir pareilles instructions au comité.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la motion parrainée par le député de Calgary Rocky Ridge prévoit un ordre spécial qui laisse le soin à la Chambre de décider de quelle façon elle souhaite procéder. Selon le leader de l’opposition à la Chambre, cette façon de faire respecte la pratique selon laquelle la Chambre peut adopter des motions pour régir ses travaux ou pour avoir recours à des mécanismes qui ne se trouvent pas dans le Règlement.
Par conséquent, en l’espèce, il ne s’agit pas de savoir si les députés peuvent présenter, en vertu du paragraphe 68(4) du Règlement, une motion tendant à charger un comité de déposer un projet de loi, car il y a consensus : cela leur est interdit. Seuls les ministres peuvent désormais invoquer cette disposition.
Voici plutôt la question qu’il faut trancher : le Règlement ou les pratiques de la Chambre autorisent-ils la présentation d’une pareille motion?
Depuis la Confédération, les règles de la Chambre des communes prévoient que les projets de loi d’intérêt public peuvent être présentés de deux façons à la Chambre : soit un député demande l’autorisation de présenter un projet de loi, soit un comité présente un rapport après avoir été chargé par la Chambre d’élaborer et de déposer un projet de loi. La dernière méthode est rarement employée.
Les modifications apportées au Règlement, et en particulier l’article 68 du Règlement, en février 1994 prévoyaient que seuls les ministres pouvaient présenter pareille motion sous les ordres émanant du gouvernement, alors que les députés, au titre du nouvel alinéa (4)b), devait le faire sous les affaires émanant des députés.
Puis, en mars 2003, le Comité spécial sur la modernisation et l’amélioration de la procédure de la Chambre des communes a recommandé, dans son troisième rapport, plusieurs modifications au Règlement visant les affaires émanant des députés, notamment la suspension des alinéas 68(4)b) et 7b).
Par conséquent, depuis que la Chambre a adopté ce rapport le 17 mars 2003, les députés n’ont plus le droit de charger un comité d’élaborer et de déposer un projet de loi au titre de l’article 68 du Règlement. Cette règle fait partie intégrante du Règlement depuis que la Chambre a adopté, le 11 mai 2005, le trente-septième rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.
Fait à souligner, pendant que l’application de l’alinéa 68(4)b) du Règlement était suspendue, il avait été donné avis d’une motion d’initiative parlementaire donnant à un comité la directive de déposer un projet de loi en vertu précisément de cette disposition. Le 22 mars 2004, la présidente suppléante a déclaré à la Chambre que, en raison d’une erreur, la motion M-479 était irrecevable, et elle a alors donné au greffier l’instruction de modifier le libellé de la motion afin qu’elle soit formulée comme une résolution plutôt que comme une instruction.
Cependant, bien que le Règlement prévoie le processus encadrant les affaires émanant des députés, il ne fixe pas de façon précise les limites applicables à la recevabilité d’une motion d’initiative parlementaire, sauf pour ce qui est de la prérogative financière de la Couronne et des limites énoncées au paragraphe 68(4) du Règlement.
On trouve d’autres principes directeurs à la page 1119 de l’ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition, où l’on décrit de manière générale les types de motions que les députés peuvent présenter, et je cite :
Les motions émanant des députés sont utilisées pour soulever une vaste gamme de questions et sont rédigées sous forme d’ordres ou de résolutions, selon leur objectif. Les motions visant à exprimer une opinion ou un objectif sans ordonner ou exiger la prise d’une mesure particulière sont considérées comme des résolutions. […] Le gouvernement n’est pas tenu d’adopter une politique précise ou de prendre des mesures particulières à la suite de l’adoption de ce genre de résolution puisque la Chambre ne fait qu’exprimer une opinion ou déclarer une intention. Ces motions tranchent avec celles qui visent à donner des directives à des comités, à des députés ou à des officiels de la Chambre, ou encore à régir les travaux de la Chambre, qui se transforment en ordres une fois adoptées par la Chambre.
Par le passé, les députés souhaitant donner de tels ordres n’avaient habituellement pas recours à une directive chargeant le comité de déposer un projet de loi. Bien qu’on semble avoir trouvé deux exceptions à cette règle dans les motions M-411 et M-541 présentées respectivement en 2003 et en 2004, comme l’a fait remarquer le député de New Westminster—Burnaby, leur recevabilité n’a jamais été mise en question, car elles n’ont jamais été inscrites à la liste de priorité et elles n’ont jamais été présentées ni débattues. Par conséquent, on ne peut les considérer comme des précédents dans un sens comme dans l’autre.
Compte tenu de la preuve, la présidence ne peut déclarer catégoriquement que la motion M-43, dans sa forme actuelle, contrevient aux dispositions et aux limites de l’article 68(4) du Règlement. Le libellé de la motion n’est pas assez direct pour que la présidence tire une conclusion nette. Au contraire, son libellé est tel qu’elle pourrait en fait être considérée comme une approche parallèle à l‘article 68(4) du Règlement, comme l’ont tous deux affirmé le leader de l’opposition officielle à la Chambre et le député de Calgary Rocky Ridge. Ils ont fait valoir que, même si la motion propose bel et bien de donner une directive au Comité permanent des finances, elle prend la forme d’un ordre spécial qui permettrait à la Chambre, si elle le désire, de procéder d’une façon que ses règles n’ont pas prévue.
Le principe voulant qu’il revienne en fin de compte à la Chambre de décider d’adopter ou non la proposition dont elle est saisie est étayé par l’ouvrage d’O’Brien et Bosc, à la page 528, et je cite :
Une motion est une proposition formulée par un député, en conformité de certaines règles bien établies, tendant à ce que la Chambre fasse quelque chose ou ordonne que quelque chose se fasse, ou exprime une opinion à propos d’une affaire quelconque. Une motion amorce une discussion et fournit la question sur laquelle devra se prononcer la Chambre.
Par conséquent, je suis prêt à autoriser la poursuite du débat sur la motion inscrite au nom du député de Calgary Rocky Ridge afin de donner à la Chambre l’occasion de décider si elle souhaite ou non procéder de la manière proposée dans la motion du député. La motion conservera donc sa position dans la liste de priorité et pourra aller de l’avant dans sa forme actuelle.
Cela dit, la présidence demeure consciente des différents points de vue exprimés sur l’approche de toute évidence inhabituelle proposée dans la motion M-43. Il pourrait être souhaitable, afin que la Chambre et la présidence y voient plus clair et se trouvent en terrain plus ferme, que le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre examine la question plus en détail afin de réviser les lignes directrices concernant la recevabilité sur le plan procédural des motions d’initiative parlementaire et afin de faire rapport à la Chambre de ses conclusions et recommandations éventuelles.
Je remercie les honorables députés de leur attention.
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[1] Débats, 18 avril 2016, p. 2327–2328.