Recueil de décisions du Président Gilbert Parent 1994 - 2001
Le privilège parlementaire / Les droits des députés
Accès à l’information : actions des fonctionnaires et allégation de refus de fournir de l’information à des députés
Débats, p. 687-689
Contexte
Après les Questions orales le 30 septembre 1997, Myron Thompson (Wild Rose) soulève une question de privilège pour soutenir qu’un fonctionnaire du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien l’avait délibérément induit en erreur et avait par la suite refusé de lui fournir de l’information, ce qui constitue selon le député un outrage à la Chambre. Selon M. Thompson, le 16 septembre, il avait été invité à une rencontre avec un fonctionnaire pour prendre connaissance d’un rapport d’étape sur la réserve de Stony, qui est située dans sa circonscription. Il était accompagné de résidents de la réserve. Durant la réunion, le fonctionnaire a demandé au député de quitter la salle en soutenant qu’il n’avait pas le droit de prendre connaissance de certains renseignements qu’il était sur le point de divulguer aux habitants de la réserve. M. Thompson soutient qu’il avait le droit de prendre connaissance de ces renseignements à titre de député et parce que les habitants de la réserve l’avaient autorisé par écrit à le faire. Il déclare à la Chambre qu’il avait l’intention de se servir de ces renseignements pour poser des questions à l’honorable Jane Stewart (ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien). Après les interventions d’autres députés, le Président décide de prendre l’affaire en délibéré jusqu’à ce que la ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien soit présente à la Chambre pour commenter les allégations de M. Thompson[1].
Le 2 octobre 1997, la ministre fait une déclaration afin de fournir d’autres renseignements relativement à la question de privilège. Elle déclare que les fonctionnaires avaient pris ces mesures en raison des restrictions imposées par la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels en ce qui touche la divulgation d’information. C’est pourquoi le fonctionnaire avait demandé à M. Thompson de quitter la salle. Le Président entend d’autres commentaires de M. Thompson et d’autres députés, après quoi il indique qu’il va examiner tous les aspects de cette affaire et rendre une décision ultérieurement[2].
Résolution
Au début de la séance du 9 octobre 1997, le Président rend sa décision. Il en vient à la conclusion qu’il n’y a pas eu outrage au Parlement et signale qu’un député qui soutient qu’une certaine action a porté atteinte à ses privilèges doit préciser lequel de ses privilèges a été violé. Entraver des députés dans l’exécution de leur devoir à la Chambre ou dans leur participation aux délibérations est considéré comme un outrage à la Chambre, mais pour ce faire, il aurait fallu que le député participe effectivement aux délibérations du Parlement au moment de l’infraction présumée. Les activités des députés dans leur circonscription ne semblent pas correspondre à la définition de « délibérations du Parlement ». Le Président conclut que les activités relatives au rassemblement de renseignements en vue de préparer une question n’entrent pas dans la stricte définition de ce qui constitue des « délibérations du Parlement » et qu’en conséquence, elles ne sont pas protégées par le privilège. Quant à la question de l’application de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le Président indique que cette question relève des tribunaux et non de la présidence. Il ajoute qu’il y a nettement divergence de vues sur les faits en cause, mais qu’il n’incombe pas à la présidence de trancher le débat. Il conclut en indiquant que ce cas constitue un grief de M. Thompson, mais que la présidence ne pouvait conclure qu’il y a eu outrage au Parlement puisque M. Thompson n’a pas été empêché de participer aux délibérations du Parlement.
DÉCISION DE LA PRÉSIDENCE
Le Président : Chers collègues, je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée par le député de Wild Rose le 30 septembre 1997 au sujet de renseignements qu’un fonctionnaire du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien lui aurait refusés.
Avant de commencer, je remercie l’honorable député de Langley—Abbotsford (Randy White), le leader de l’Opposition officielle à la Chambre des communes, de même que l’honorable député de Fraser Valley (Chuck Strahl) pour leur contribution à ce débat.
Dans son argumentation, le député de Wild Rose a soutenu qu’un fonctionnaire du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien l’a délibérément induit en erreur et lui a par la suite refusé les renseignements. Cela, d’après lui, constitue un outrage au Parlement.
Le député dit que, le 16 septembre, il a été invité à une réunion avec le fonctionnaire du ministère pour prendre connaissance d’un rapport d’étape sur la réserve de Stony, qui se trouve dans sa circonscription. Des habitants de la réserve de Stony l’auraient accompagné. À un moment donné, pendant la réunion, on l’a invité à partir parce qu’il semble qu’il n’avait pas droit aux renseignements qui étaient sur le point d’être divulgués.
Lorsqu’il a soulevé la question de privilège à la Chambre, le député a affirmé qu’il avait demandé la tenue de cette réunion afin d’obtenir des renseignements qui, prétend-il, avaient directement trait à la préparation d’une question qu’il voulait poser à la ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Il a ajouté qu’il avait prévenu la ministre de son intention de poser une telle question.
Le 2 octobre, la ministre a fait une déclaration pour donner des renseignements additionnels sur cette question de privilège. L’intervention a été suivie d’autres observations du député de Wild Rose, du chef de l’Opposition et des députés de Fraser Valley, Langley—Abbotsford et Wentworth—Burlington.
Le Président prend toujours très au sérieux les questions touchant les privilèges des députés, notamment tout sujet qui peut constituer un outrage au Parlement.
Comme le Président Fraser l’a signalé dans une décision du 10 octobre 1989 consignée à la page 4457 du compte rendu des Débats :
[…] le Président ne décide pas si une atteinte au privilège ou un outrage a effectivement été commis. Le Président détermine seulement si une demande fondée sur une allégation d’outrage ou d’atteinte au privilège est, à première vue, assez importante pour qu’il suspende les travaux réguliers de la Chambre et soumette l’affaire pour décision à cette dernière.
Avant de se prononcer, la présidence estime qu’il serait peut-être utile d’expliquer aux députés, et spécialement aux nouveaux députés de la Chambre, la différence entre ce qui constitue un outrage à la Chambre et ce qui constitue une atteinte aux privilèges.
Les outrages sont des infractions à l’autorité ou à la dignité du Parlement. Ces infractions ne peuvent ni être énumérées, ni classées. Comme le dit la 21e édition d’Erskine May, à la page 115 :
De façon générale, tout acte ou omission qui entrave ou gêne l’une ou l’autre chambre du Parlement dans l’exécution de ses fonctions ou ce qui entrave ou gêne un membre ou un officier de cette chambre dans l’exécution de ses fonctions ou qui tend, directement ou indirectement, à avoir ce résultat peut être considéré comme un outrage même s’il n’y a pas de précédent d’une telle infraction.
Le privilège, d’autre part, peut se diviser en deux catégories déterminées : les droits accordés aux députés individuellement et ceux accordés à la Chambre collectivement. Les droits et immunités conférés aux députés individuellement se classent généralement sous cinq rubriques : la liberté de parole, l’immunité d’arrestation en matière civile, l’exemption de l’obligation de faire partie d’un jury, l’exemption de l’obligation de comparaître comme témoin et l’immunité contre les voies de fait et l’intimidation.
Pour ce qui est des droits et pouvoirs collectifs de la Chambre, on peut les classer de la façon suivante : le droit de réglementer ses affaires internes, le droit à la présence et aux services des députés, le droit d’expulser un député coupable de conduite disgracieuse, le droit de procéder à des enquêtes et d’exiger la comparution de témoins et la production de document, le droit de faire prêter serment aux témoins et le droit de réprimer les outrages ou atteintes au privilège.
En prétendant qu’une certaine conduite constitue une atteinte au privilège, les députés doivent préciser quel privilège est en cause.
Le député de Wild Rose a soutenu que la conduite du fonctionnaire du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien constituait un outrage au Parlement.
Techniquement, gêner les députés dans l’exécution de leurs devoirs à la Chambre ou dans leur participation aux délibérations est considéré comme un outrage à la Chambre. Ainsi, Joseph Maingot écrit dans son livre Le privilège parlementaire au Canada, à la page 87 :
[…] le député doit exercer ses fonctions parlementaires dans un comité ou à la Chambre à l’occasion des travaux du Parlement. Ce qu’il dit ou fait dans ces circonstances est dit ou fait au cours des « délibérations du Parlement »; en d’autres termes, il doit exercer ses activités parlementaires non pas dans sa circonscription, mais en participant effectivement aux travaux du Parlement et il faut que ses propos ou ses actes s’y rapportent nécessairement.
Ainsi, pour qu’un député puisse soutenir qu’il y a eu atteinte à un privilège ou outrage, il doit avoir agi à titre de député, c’est-à-dire avoir effectivement participé aux délibérations du Parlement. Les activités des députés dans leur circonscription ne semblent pas correspondre à la définition de « délibérations du Parlement ».
Dans la 21e édition d’Erskine May, on lit, à la page 125 :
La correspondance avec les commettants ou des organismes officiels, par exemple, et la communication de renseignements demandés par les députés sur des questions d’intérêt public tomberont très souvent, selon les circonstances, hors de la définition de « délibérations du Parlement » qui sert à établir s’il y a eu atteinte au privilège.
Dans les cas où des députés ont soutenu avoir été gênés ou brimés, non pas directement dans leur rôle de représentant élu, mais alors qu’ils s’adonnaient à des activités de nature politique ou liées à leur circonscription, les Présidents ont de façon constante décidé que ces agissements ne constituaient pas une atteinte au privilège.
Le 29 avril 1971, le Président Lamoureux, dans une décision sur une question de privilège portant sur le droit des députés de visiter les pénitenciers, a dit, comme on peut le lire à la page 5338 du compte rendu des Débats :
Le privilège parlementaire ne va pas beaucoup au-delà du droit de libre parole à la Chambre et du droit d’un député de s’acquitter de ses fonctions à la Chambre en tant que représentant aux Communes.
Dans le même ordre d’idées, je renvoie les députés à la page 3580 des Débats du 26 février 1975. Le Président Jerome dit clairement :
[…] la définition traditionnelle de la question de privilège ne s’applique pas aux circonstances où un député estime que, dans ses fonctions à l’extérieur de la Chambre, son champ d’action est limité ou qu’on essaie de limiter ses interventions et son travail effectif pour ses commettants et comme membre du Parlement fédéral.
Sur la question des devoirs d’un député à l’égard de sa circonscription, le Président Sauvé a signalé dans une décision du 15 juillet 1980, consignée aux pages 2914 et 2915 des Débats :
[…] quels que soient les devoirs d’un député envers ses électeurs, pour être valable, la question de privilège doit avoir trait à une présumée ingérence dans les fonctions parlementaires du député.
Après avoir soigneusement examiné les précédents, la présidence. conclut que les activités relatives à la demande de renseignements en vue de préparer une question n’entrent pas dans la stricte définition de ce qui constitue des « délibérations du Parlement » et que, en conséquence, elles ne sont pas protégées par le privilège.
Permettez-moi maintenant d’aborder un autre aspect de la question qui m’est soumise. Dans la déclaration qu’elle a faite à la Chambre le 2 octobre 1997, la ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a mentionné la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il appartient aux tribunaux et non à la présidence de décider si l’application de ces deux lois doit être précisée. Je suis tout à fait de l’avis du Président Fraser qui, dans une décision du 17 mars 1987, à laquelle je renvoie les députés, à la page 4262 des Débats, souligne que « Le degré d’application de n’importe quelle loi est une question sur laquelle il faudrait demander aux tribunaux et non à la présidence de se prononcer. »
Dans la même décision, le Président Fraser dit encore : « Le rôle de la présidence se limite à interpréter les procédures et pratiques de la Chambre des communes. »
Qu’il me soit permis de porter à l’attention des députés le passage suivant de la 6e édition de Beauchesne, au commentaire 168(5), à la page 51 : « Le Président ne décide d’aucune question d’ordre constitutionnel ou juridique. »
De plus, je rappelle à la Chambre qu’il n’appartient pas à la présidence de commenter la conduite des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions.
Pour remplir leur rôle de parlementaire, les députés devraient bien sûr avoir accès à tous les renseignements dont ils ont besoin. D’autre part, ils doivent être conscients des contraintes auxquelles les fonctionnaires sont soumis lorsqu’ils fournissent des renseignements.
La présidence est consciente des multiples responsabilités, fonctions et activités de circonscription qui incombent à tous les députés et de l’importance qu’elles ont dans le travail de chacun des députés. Cependant, à titre de Président, mon rôle consiste à ne tenir compte que des questions qui influent sur le travail parlementaire des députés.
Le député de Wild Rose a expliqué que ce sujet avait trait à sa préparation en vue de la période des questions. J’accepte la déclaration du député, tout comme j’accepte l’explication avancée par la ministre.
Il y a nettement divergence de vues sur les faits en cause, mais il n’appartient pas au Président de trancher le débat.
J’en suis venu à la conclusion que ce cas constitue un grief du député, mais, comme le député n’a pas été empêché de participer aux délibérations du Parlement, je ne puis conclure qu’il y a eu outrage au Parlement.
Je remercie l’honorable député de Wild Rose pour son intervention et pour avoir porté cette question à notre attention.
P0114-f
36-1
1997-10-09
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[1] Débats, 30 septembre 1997, p. 293-295.
[2] Débats, 2 octobre 1997, p. 367-370.