Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Pratiques trompeuses : allégation que des renseignements trompeurs ont été communiqués à la Chambre; livre blanc du gouvernement sur la réforme fiscale

Débats, p. 7867

Contexte

Le 19 juin 1987, Jacques Guilbault (Saint-Jacques) soulève une question de privilège pour faire remarquer que, pendant la période des Questions de la veille, le Premier ministre (le très hon. Brian Mulroney) et le ministre des Finances (l’hon. Michael Wilson) ont fourni à la Chambre des renseignements « trompeurs et inexacts » au sujet du livre blanc du gouvernement sur la réforme fiscale. M. Guilbault déclare que les deux ministres ont « affirmé catégoriquement que les mesures de réforme fiscale […] ne constituaient pas un budget mais un livre blanc ». Or, fait-il remarquer, « les mesures ont été annoncées exactement comme s’il s’agissait d’un budget ». Elles sont accompagnées d’une motion des voies et moyens et elles contiennent des dispositions qui entrent en vigueur immédiatement. M. Guilbault conclut que « les députés de cette Chambre ont été informés de façon trompeuse et, qu’en ce sens, ils n’étaient pas préparés de la bonne façon pour s’acquitter de leurs responsabilités en réponse aux mesures présentées par le ministre des Finances ». D’autres députés participent également à cet échange[1]. Le Président, qui est intervenu tout au long du débat, prend la question en délibéré et, le 30 juin 1987, rend la décision reproduite intégralement ci-dessous.

Décision de la présidence

M. le Président : Je suis maintenant prêt à me prononcer sur la question de privilège soulevée le vendredi 19 juin par l’honorable député de Saint-Jacques. La plainte du député repose sur le fait qu’il affirme que l’on a induit la Chambre en erreur au sujet du livre blanc du gouvernement sur la réforme fiscale.

Le ministre des Finances a déclaré catégoriquement que le livre blanc n’était pas un exposé budgétaire et il l’a répété plus d’une fois. Néanmoins, le 17 juin, veille du dépôt du livre blanc, le ministre a dit :

Il est très clair qu’une motion des voies et moyens sera présentée demain soir.

En réponse à une question posée le 18 juin, le premier ministre a déclaré, au sujet du livre blanc :

Ce document énonce l’orientation générale de la politique nationale mais ce n’est pas un budget dans la mesure où, en soi, il n’entre pas en vigueur le jour même conformément à une motion de voies et moyens.

L’honorable député de Saint-Jacques a signalé que le livre blanc était en fait accompagné d’une motion de voies et moyens mettant en œuvre un certain nombre de changements fiscaux.

Le livre blanc décrit sans aucun doute un plan de réforme fiscale de très grande envergure. Même s’il n’a pas encore été mis en œuvre par un exposé budgétaire présenté sous forme de la déclaration financière annuelle à laquelle nous sommes habitués, il me semble que le livre blanc a d’importantes répercussions d’ordre budgétaire. Le député de Saint-Jacques a signalé que le livre blanc était accompagné d’une motion de voies et moyens, mais celle-ci ne visait pas à mettre en œuvre l’ensemble du livre blanc. Sa portée était limitée. La motion présentée avait un effet limité et je signale en passant qu’on dépose régulièrement des motions de voies et moyens durant toute la session. Elles ne sont pas limitées à la présentation d’un exposé budgétaire.

C’est pourquoi je ne crois pas que nous puissions considérer le dépôt d’une motion de voies et moyens, le 18 juin, comme un événement extraordinaire simplement parce qu’il a coïncidé avec la déclaration du ministre et la présentation du livre blanc.

On a prétendu au cours de la discussion qu’à cause des répercussions budgétaires du livre blanc, il aurait fallu le traiter comme un exposé budgétaire et le soumettre par conséquent à un débat de six jours. Certains ont soutenu que l’on a empiété sur les droits des députés parce qu’on leur a refusé les occasions de débat habituellement liées à un exposé budgétaire. Il ne s’agit pas là en soi d’une question de privilège, mais plutôt d’un rappel au Règlement. Il est cependant évident que, pour le gouvernement, le livre blanc constitue une série de propositions plutôt qu’un exposé budgétaire. Le gouvernement n’a pas donné avis d’un exposé budgétaire et c’est pourquoi, en vertu du Règlement en vigueur, on ne peut revendiquer un débat de six jours. Cela n’exclut cependant pas la possibilité d’un débat prolongé à la suite de négociations entre les leaders parlementaires.

Pour revenir à la question de privilège, la présidence comprend certes les inquiétudes soulevées, mais elle ne trouve aucune raison qui justifie d’accorder à la plainte du député la priorité sur les autres affaires. Si certains députés croient avoir été induits en erreur, ils ont des moyens de pousser leur plainte plus loin. Je signale qu’il est possible d’être induit en erreur sans l’être délibérément. Comme les députés le savent, si on laissait sous-entendre le moindre motif malhonnête, le seul recours serait de donner avis d’une motion de fond décrivant l’accusation en termes précis. Il reste que nous sommes confrontés à une question politique à l’égard de laquelle les vues sont très divergentes. Il ne s’agit pas là d’une situation inusitée à la Chambre et, à moins que l’on ne prenne des mesures pour empiéter sur notre droit à la liberté de débat et d’expression, nous ne sommes pas saisis d’une question de privilège.

Pour conclure, la présidence doit faire remarquer que, si l’on tient compte des deux déclarations en cause, des députés peuvent être fondés à croire que la situation n’était pas aussi nette qu’ils l’auraient souhaité. Je remercie le député et ses collègues de leurs interventions.

F0105-f

33-2

1987-06-30

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[1] Débats, 19 juin 1987, p. 7394-7399.