Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Outrage à la Chambre : présumée connaissance par un citoyen américain de la teneur d’un projet de loi avant sa présentation à la Chambre

Débats, p. 1903-1904

Contexte

Le 21 novembre 1986, M. Nelson Riis (Kamloops—Shuswap) soulève une question de privilège afin de protester contre le fait qu’un citoyen américain aurait pris connaissance de la teneur d’un projet de loi avant sa présentation à la Chambre. Il fonde ses allégations sur le fait qu’un ancien président de la United States Pharmaceutical Manufacturers Association a dit dans une interview télévisée à l’échelle nationale et enregistrée avant la présentation à la Chambre du projet de loi C‑22 tendant à modifier la Loi sur les brevets qu’il était au courant de la teneur de ce projet de loi. En invoquant plusieurs précédents, M. Riis essaie « de montrer qu’il [s’agit] là d’une violation de privilège aussi grave qu’une fuite d’informations sur le budget ». À son avis, « si des individus sont au courant à l’avance du contenu de ce projet de loi, ils vont évidemment y gagner sur le plan financier et sur le plan privé compte tenu des répercussions que pourront avoir ces informations sur la valeur des actions de ces sociétés sur le marché ou sur la valeur de leurs activités en soi ». D’autres députés interviennent également à ce sujet[1]. Le Président prend la question en délibéré et, le 9 décembre 1986, rend la décision reproduite intégralement ci-dessous.

Décision de la présidence

M. le Président : Je voudrais maintenant rendre une décision au sujet de la question soulevée par le député de Kamloops—Shuswap le 21 novembre dernier. Je tiens tout d’abord à remercier l’honorable député du grand soin avec lequel il a présenté sa plainte et des recherches consciencieuses qu’il a effectuées pour préparer son intervention.

Il serait à mon avis utile de rappeler les critères que la présidence doit appliquer à une plainte avant de déclarer qu’il y a, à première vue, question de privilège. Un certain nombre de questions peuvent s’appliquer selon la nature de la plainte. La liberté d’expression d’un honorable député a-t-elle été menacée ou remise en question? Un député a-t-il été empêché de quelque façon que ce soit de s’acquitter de ses responsabilités parlementaires? A-t-on essayé, par voie de chantage ou autre moyen de corruption d’influencer indûment un député? Un honorable député a-t-il été la cible de harcèlement, de menaces, d’abus, de violence physique ou de toute autre forme d’agression à l’égard de sa conduite parlementaire? L'acte dont on se plaint a-t-il jeté le discrédit sur la Chambre en général? Enfin, quelle preuve pourrait laisser entendre que l’on pourrait répondre par l’affirmative à l’une de ces questions? Il est évident que la présidence ne peut décider qu’il y a présomption suffisante que si elle peut appuyer sa décision sur des preuves.

La plainte de l’honorable député de Kamloops—Shuswap est fondée sur une affirmation selon laquelle un citoyen américain aurait pris connaissance, par un moyen indéterminé, semble-t-il, de la teneur du projet de loi C‑22 avant qu’il ait été présenté à la Chambre. Au cours de son intervention, le député a fait allusion à deux précédents qui se sont produits au Royaume-Uni et à une plainte soulevée en 1983 par le député de Yukon (l’hon. Erik Nielson) au sujet d’un incident qui a eu lieu au Canada. Les affaires auxquelles on a fait allusion portaient toutes sur des fuites liées à l’exposé budgétaire. Les cas du Royaume-Uni étaient fondés sur des faits prouvés. Dans un cas, le chancelier de l’Échiquier a admis avoir commis une indiscrétion et a remis sa démission. Dans l’autre, une enquête a permis d’établir qu’une irrégularité s’était produite et un ministre a remis sa démission. En passant, ni l’une ni l’autre de ces affaires n’ont été soulevées par le biais d’une question de privilège. Dans le cas soulevé au Canada, madame le Président Sauvé a déclaré que la question de privilège n’était pas fondée, que le secret budgétaire était une question de convention et non un problème que devait trancher la présidence.

Pour revenir au cas qui nous intéresse, la présidence doit commencer par établir les faits et ensuite décider si les faits en question prouvent qu’il y a présomption suffisante. L’intervention de l’honorable député est fondée sur des observations qu’un ancien président de la U.S. Pharmaceutical Manufacturers Association a faites au cours d’une entrevue télévisée. Le député a affirmé clairement qu’il ne laissait pas entendre que le ministre de la Consommation et des Corporations (l’hon. Harvie Andre) avait divulgué la teneur du projet de loi à la personne en question. Le ministre lui-même a en outre affirmé catégoriquement que, même s’il y avait eu certaines consultations, il n’avait jamais été en contact avec qui que ce soit aux États-Unis. Il semble donc à la présidence que nous ne sommes pas en présence de faits irréfutables.

Je dois aussi faire mention de l’intervention du député de Windsor-Ouest (l’hon. Herb Gray). Celui-ci a laissé entendre que, en vertu du nouvel article 1 du Règlement, la présidence n’est plus liée par la jurisprudence relative aux questions de privilège et que, pour reprendre ses propres paroles, la présidence a le loisir d’étendre la définition du privilège à de nouveaux domaines. Il importe de ne pas confondre privilège et procédure. Dans le domaine de la procédure, le nouvel article 1 du Règlement accorde peut-être à la Chambre plus de latitude lorsqu’il s’agit d’établir la procédure dans les cas imprévus. Les limites du privilège sont fixées par statut. La présidence n’a pas la liberté d’élargir la définition du privilège, ce qui ne pourrait être fait que par voie de législation et nécessiterait un amendement à la Constitution. Je dois donc décider qu’on n’a présenté aucun fait prouvant qu’il y a présomption suffisante de question de privilège.

La présidence saisit cette occasion pour rappeler que ce genre d’incident suscite une vive inquiétude chez tous les députés. C’est pourquoi j’estime que tous, surtout les ministres, doivent prendre toutes les précautions pour faire en sorte que les affaires dont la Chambre doit être saisie ne soient pas au préalable communiquées à l’extérieur, car cela risque d’inquiéter les députés et souvent les ministres eux-mêmes.

Je tiens à remercier tous les députés qui ont participé au débat […] et j’ose espérer que mes observations seront de quelque utilité aux députés. Je leur réitère mes remerciements.

F0108-f

33-2

1986-12-09

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[1] Débats, 21 novembre 1986, p. 1405-1412.