Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Outrage à la Chambre : désordre à la tribune

Débats, p. 10488, 10760

Contexte

Le 11 avril 1990, on tient un vote par appel nominal sur la troisième lecture du projet de loi C‑62 relatif à la taxe sur les produits et services (TPS). Immédiatement après l’annonce du résultat du vote, deux visiteurs assis dans la tribune de l’Opposition perturbent les travaux en faisant du chahut et en lançant des papiers sur le parquet de la Chambre afin de protester contre l’adoption du projet de loi. Le jour suivant, M. Albert Cooper (secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre) soulève une question de privilège au sujet de l’incident. M. Cooper affirme que la Chambre ne peut effectuer son travail ou préserver sa dignité essentielle si des « gens de l’extérieur » peuvent perturber les délibérations par un comportement déplacé. Il conclut en disant qu’en l’occurrence, il y a à première vue tant un abus de privilège qu’un outrage à la Chambre. En outre, il se demande si M. Jim Karygiannis (Scarborough—Agincourt), qui a signé pour les deux visiteurs des laissez-passer, savait au préalable quelles étaient leurs intentions. Comme l’un des protestataires a dévoilé ses intentions dans un témoignage qui a été diffusé, il estime que M. Karygiannis doit fournir une explication à la Chambre, quitte ensuite à présenter ses excuses et à comparaître devant le Comité permanent des privilèges et des élections. M. Jean-Robert Gauthier (Ottawa—Vanier) informe la Chambre que, à titre de whip de l’Opposition officielle, il a parlé à M. Karygiannis et que celui-ci a nié savoir que les personnes auxquelles il a remis des laissez-passer allaient chahuter. M. Gauthier demande au Président de réserver son jugement jusqu’à ce que M. Karygiannis, qui n’est pas présent, ait la chance de s’expliquer devant la Chambre. D’autres députés font également des observations générales sur la nature des mesures de sécurité utilisées pour filtrer l’accès des visiteurs aux tribunes du public et des députés, et sur les répercussions de cet incident en ce qui a trait à la sécurité à l’avenir[1]. Le Président fait une déclaration sur-le-champ dont l’essentiel est repris ci-dessous, suivie d’éclaircissements de la part de M. Karygiannis.

RÉSOLUTION

M. le Président: […] L’incident qui s’est produit n’est pas drôle du tout. Je crois que cela ne fait honneur à personne au Canada, spécialement aux yeux du public qui nous regarde, que de recourir à un subterfuge quelconque pour entrer ici et abuser des droits démocratiques et des libertés dont cet endroit est le symbole.

En ce qui concerne la personne impliquée, l’incident qui s’est produit est évidemment inexcusable. Ce n’était pas une preuve de bravoure, mais bien de lâcheté et de sournoiserie. Ce genre de comportement est tout à fait contraire à nos principes.

Le député d’Ottawa—Vanier soulève une question absolument légitime sur laquelle le député d’Esquimalt—Juan de Fuca (M. David Barrett) a fait aussi des commentaires.

En ce qui concerne la procédure, il est vrai que notre Règlement nous oblige à soulever à la première occasion toute question de privilège ou d’outrage à la Chambre. C’est ce que le secrétaire parlementaire a fait. Cependant, le député d’Ottawa—Vanier, qui a été très franc avec nous, a suggéré — et le leader parlementaire du gouvernement (l’hon. Harvie Andre) vient de l’appuyer — que cette question soit mise de côté jusqu’à ce que le député dont les laissez-passer ont été apparemment utilisés ait la chance de parler à la Chambre.

Je suis très conscient du fait que le député d’Ottawa—Vanier a communiqué avec le député en sa qualité de leader parlementaire de l’opposition officielle[2]. Il a déclaré à la Chambre que le député lui a dit qu’il ne savait pas ce qui allait se passer. Le mal est fait maintenant, mais je pense que nous devrions inviter notre collègue à présenter sa version.

Je le répète : parce que je suis responsable de la sécurité dans cette enceinte, la possibilité que de tels incidents se produisent m’inquiète beaucoup.

Que les autres Canadiens qui trouvent ce genre d’exploit intelligent sachent qu’ils enfreignent la loi et qu’ils abusent de leurs privilèges. S’ils sont en difficulté, ils n’hésiteront pas à nous demander de les protéger.

Note de la rédaction

À la séance du 27 avril 1990, l’affaire connaît son dénouement. L’extrait suivant en rend compte.

M. Jim Karygiannis (Scarborough—Agincourt) : Le 11 avril, soit plus précisément la dernière fois où la Chambre s’est réunie avant le congé de Pâques, quelqu’un a donné à entendre que je savais que deux jeunes gens avaient l’intention de manifester à la tribune le 11 avril, une fois que les députés se seraient prononcés à l’égard de la TPS.

Je tiens à faire savoir que c’est le personnel de mon bureau qui a fourni aux deux jeunes gens en question des laissez-passer, mais que ni eux ni moi n’étions au courant de leur projet.

Même si je puis comprendre leur frustration à l’égard de la TPS, je trouve tout à fait inacceptable la façon qu’ils ont choisie de l’exprimer. Je ne puis accepter leur attitude et je me dissocie entièrement de leur action.

Des voix: Bravo!

M. le Président: Je remercie le député et je pense que la façon dont la Chambre a réagi témoigne qu’elle lui sait gré de sa déclaration[3].

F0109-f

34-2

1990-04-11

1990-04-27

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[1] Débats, 11 avril 1990, p. 10485-10489.

[2] Durant cette période, M. Gauthier agissait comme leader parlementaire de l’opposition à la Chambre ainsi que comme whip de l’Opposition pour le Parti libéral. Voir Débats, 11 avril 1990, p. 10485, 10488.

[3] Débats, 27 avril 1990, p. 10760.