Recueil de décisions du Président John Fraser 1986 - 1994
Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre
La Chambre des communes et le droit législatif : application de la Loi sur les langues officielles au Parlement
Débats, p. 4262-4263
Contexte
Le 19 février 1987, M. Charles Hamelin (Charlevoix) soulève une question de privilège au sujet de l’application de la Loi sur les langues officielles au Parlement. Citant quatre opinions juridiques rédigées par les légistes du Sénat et de la Chambre des communes, qui concluent tous que la Loi sur les langues officielles ne s’applique pas au Parlement, il dit avoir honte « qu’en droit […], on n’ait pas reconnu ce droit fondamental de la dualité linguistique au Canada » et mentionne qu’à titre de coprésident du Comité mixte permanent des langues officielles, il trouve « inconfortable » de rappeler à l’ordre des institutions, organismes et ministères fédéraux alors que le Parlement lui-même est exempté ou au-dessus de la loi. En conclusion, il dit qu’il compte sur le Président et sur le gouvernement pour corriger dès que possible cette « incongruité […] inqualifiable ». D’autres députés interviennent également à ce sujet[1]. Le Président prend la question en délibéré et, le 17 mars 1987, rend la décision reproduite intégralement ci-dessous.
Décision de la présidence
M. le Président : Le 19 février 1987, l’honorable député de Charlevoix a soulevé la question de privilège au sujet de l’application ou de la non-application de la Loi sur les langues officielles au Parlement, et en particulier à la Chambre des communes.
Permettez-moi de commencer en disant que le rôle du Président est de présider les travaux de la Chambre des communes et de se prononcer sur les questions de procédure, qu’il s’agisse d’interpréter des articles du Règlement ou de trancher des questions liées au privilège ou au décorum.
Le 19 février 1987, l’honorable député de Charlevoix a soulevé ce que je considère non pas comme une question de procédure mais plutôt comme une question d’interprétation juridique. Le degré d’application de n’importe quelle loi est une question sur laquelle il faudrait demander aux tribunaux et non à la présidence, de se prononcer. L’honorable député a cité plusieurs avis juridiques au cours de son intervention, ce qui renforce ma position selon laquelle il s’agit d’une question de droit et non de procédure.
On lit au commentaire [117(6)] de la cinquième édition de Beauchesne, à la page [38], que: « [Le Président] ne rend pas de décision sur des questions d’ordre constitutionnel, pas plus qu’il ne tranche des questions de droit. » La raison en est évidente. Il se peut fort bien qu’un tribunal ait un jour à se prononcer sur la même question de droit, et il est évident qu’un tribunal ne serait pas lié par une interprétation faite par la présidence du droit général ou constitutionnel du pays. Le rôle de la présidence se limite à interpréter les procédures et pratiques de la Chambre des communes.
Au cours de son intervention, le député de Charlevoix n’a pas démontré dans quelle mesure l’application ou la non-application de la Loi en cause avait enfreint ses privilèges. Autrement dit, on n’a pas empiété sur le droit fondamental de libre expression à la Chambre des communes.
Le secrétaire parlementaire du vice-premier ministre et président du Conseil privé (M. Doug Lewis) a signalé que l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 porte que :
Dans les Chambres du Parlement du Canada […] chacun pourra, dans les débats, faire usage de la langue anglaise ou de la langue française; mais les registres et les procès-verbaux des Chambres susdites devront être tenus dans ces deux langues.
Il a poursuivi :
Les lois du Parlement du Canada […] devront être imprimées et publiées dans ces deux langues[2].
Le secrétaire parlementaire a lu ces extraits au cours de son intervention. Le député de Saint-Jacques a en outre déclaré :
Il est ironique qu’il y ait un débat au sujet de l’application de la Loi sur les langues officielles à la Chambre des communes puisqu’il s’agit sûrement de l’institution fédérale qui est la plus bilingue.
Je suis entièrement d’accord avec le député de Saint-Jacques à ce sujet.
Que la Loi sur les langues officielles s’applique à la Chambre des communes devant la loi ou non, il est clair et sans équivoque que l’esprit de la loi est appliqué. Permettez-moi d’élaborer brièvement sur ce point.
Comme la plupart des honorables députés le savent, le commissaire aux langues officielles effectue sur une base régulière des études sur les institutions fédérales pour déterminer dans quelle mesure elles appliquent la Loi sur les langues officielles. La Chambre des communes a fait l’objet de telles études. En fait, la présidence a rencontré personnellement le commissaire récemment dans le but de déterminer si les activités de la Chambre des communes sont en réalité suffisamment conformes à l’esprit de la Loi sur les langues officielles.
Dans sa dernière vérification sur la Chambre des communes, datée de juin 1986, le commissaire aux langues officielles déclarait que :
La situation des langues officielles de la Chambre des communes s’est améliorée de façon importante depuis notre précédente étude de 1979. L’Administration de la Chambre a réussi à mettre en place, dans une période relativement courte, un programme de réforme de grande envergure. Le fleuron de cette réforme est certes d’avoir transformé la façade des édifices du Parlement par la bilinguisation de tous les écriteaux et inscriptions, y compris celles gravées dans les pierres des bâtiments historiques.
Le programme des langues officielles de la Chambre des communes est complet et sa mise en œuvre fait clairement partie des responsabilités administratives des gestionnaires.
Il a poursuivi en ces termes :
Le service au public est offert spontanément dans les deux langues à peu d’exceptions près, étant donné qu’un pourcentage élevé des employés de la Chambre est bilingue. […] L’anglais et le français sont tous deux fréquemment utilisés comme langues de travail à la Chambre[3] […].
Il devrait être clair, d’après le rapport de M. D’Iberville Fortier, que l’on applique vraiment l’esprit de la loi.
Plusieurs députés qui ont participé au débat à ce sujet ont souligné que tous les documents de la Chambre sont publiés dans les deux langues officielles, que les débats se déroulent dans les deux langues officielles, et que les délibérations de la Chambre et de ses comités sont interprétées simultanément. On prend toutes les mesures possibles pour assurer que les députés soient servis à la Chambre dans la langue de leur choix et puissent participer pleinement dans l’une ou l’autre langue, ou dans les deux. Si l’on réussissait à prouver que ce n’est pas ce qui se passe dans un cas en particulier, on pourrait alors demander à la présidence d’intervenir. Ce n’est pas ce qu’a démontré l’honorable député de Charlevoix en l’occurrence.
Sur le plan de la procédure, le député de Charlevoix n’a pas prouvé clairement par des précédents ou la pratique que si la Loi sur les langues officielles ne s’applique pas à la Chambre des communes, cela enfreint ses privilèges. L’application de la loi est une question de droit sur laquelle il revient aux tribunaux et non à la présidence de se prononcer. Il est cependant clair que l’article 133 de la Loi constitutionnelle est appliqué, et il est aussi clair que les pratiques de la Chambre respectent l’esprit de la Loi sur les langues officielles. Ceux qui ont pris la parole n’ont pas prouvé non plus que la non-application de la loi se traduit par une atteinte à leurs privilèges. Grâce à la Loi constitutionnelle et au mode de fonctionnement de la Chambre, le droit de tous les députés de participer aux travaux de la Chambre dans la langue de leur choix est garanti.
C’est à la Chambre qu’il incombe de se demander s’il faudrait ou non clarifier l’application de la Loi sur les langues officielles, ou s’il faudrait ou non la modifier ou la réviser. La décision ne revient pas à la présidence.
Je remercie l’honorable député de Charlevoix d’avoir soulevé cette question extrêmement importante, de même que tous les intervenants qui y sont allés de leurs commentaires utiles.
F0112-f
33-2
1987-03-17
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[2] Texte original des extraits cités de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 :
Dans les chambres du parlement du Canada […] l’usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais dans la rédaction des archives, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l’usage de ces deux langues sera obligatoire; […]
Les actes du parlement du Canada […] devront être imprimés et publiés dans ces deux langues.
[3] Commissariat aux langues officielles, Administration de la Chambre des communes, juin 1986, p. 3-4.