L’agencement des travaux de la Chambre / Divers

Application de la clôture : légitimité du recours; pouvoir discrétionnaire du Président; question de savoir si le recours à la clôture contrevient à la Loi constitutionnelle de 1867 et est contraire à la pratique de la Chambre des communes du Royaume-Uni

Débats, p. 7953-7954

Contexte

Le 6 février 1990, l’hon. Doug Lewis (ministre de la Justice et procureur général du Canada) donne avis de l’intention du gouvernement, conformément à l’article 57 du Règlement, d’appliquer la clôture à la deuxième lecture du projet de loi C‑62, le projet de loi concernant la taxe sur les produits et services. M. Nelson Riis (Kamloops) invoque par la suite le Règlement afin d’indiquer qu’il interviendra le lendemain pour expliquer que la clôture est à cette étape non seulement irresponsable, mais aussi inconstitutionnelle[1]. Le 7 février 1990, après que le ministre eut proposé la motion de clôture, M. Riis invoque immédiatement le Règlement afin de demander à la présidence d’examiner quatre questions concernant la motion de clôture, à savoir si la présidence a la responsabilité de garantir un débat d’une durée raisonnable, si la clôture était utilisée dans ce cas-ci dans un but qui n’avait jamais été prévu à l’origine, si l’article 57 du Règlement (règle sur la clôture) est conforme à l’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 et si l’utilisation fréquente qui est actuellement faite de la clôture n’est pas incompatible avec l’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, dans la mesure où elle entraîne un dépassement des « privilèges, immunités et pouvoirs » détenus par la Chambre des communes britannique à ce moment-là. Après des interventions de M. Peter Milliken (Kingston et les Îles) et du ministre, le Président suspend la séance afin d’étudier les arguments présentés par M. Riis[2]. Il revient peu après pour rendre sa décision.

Décision de la présidence

M. le Président : Le député de Kamloops a fait un rappel au Règlement dans lequel il dit qu’il serait anormal d’accepter la motion de clôture du gouvernement. Il base son argumentation sur quatre points.

Le premier, si je puis paraphraser sa très efficace utilisation de la langue et son éloquence — et je ne cherche pas à lui faire du tort en condensant — son premier point est qu’il n’est jamais juste de limiter le débat.

Il fait allusion à des observations que j’ai faites à une autre occasion, où j’ai fait remarquer que les parties utilisent de nombreuses méthodes pour faire valoir leur point. À ce propos, je dirais que rien de ce que je vais dire aujourd’hui ne contredit ces observations.

Deuxièmement, le député de Kamloops dit que le gouvernement ne devrait pas proposer la clôture maintenant. Il dit aussi que la clôture est utilisée à des fins pour lesquelles elle n’avait jamais été conçue et que son résultat est de limiter la liberté de parole dans cette Chambre.

Troisièmement, il dit que la clôture est contraire à la Constitution du pays.

Enfin, et je pense avoir bien compris, il dit que le recours à la clôture est contraire à la pratique de la Chambre des communes du Royaume-Uni. Il renvoie à des articles de la Loi constitutionnelle qui indiquent que les droits des députés d’ici ne devraient pas être inférieurs aux droits qu’ont les députés du Royaume-Uni en vertu de leur Constitution. Je vais traiter de tous ces points. Avant, je voudrais dire que le député de Kamloops a présenté ses arguments de façon extrêmement claire et avec une conviction certaine. Voyons le premier point.

La question de savoir si c’est juste est très subjective. Je dois faire remarquer qu’en vertu du Règlement de la Chambre des communes il est clair que ce que présente le gouvernement est admissible. Je suis lié par le Règlement et je dois décider si la motion du gouvernement est acceptable sur le plan de la procédure.

Par conséquent, en matière de procédure, je dois dire que la motion est acceptable. Ensuite, il s’agit de savoir si elle est utilisée dans un but pour lequel elle n’était pas prévue et si elle porte atteinte à la liberté de parole des députés. Même si c’était le cas, je ne vais pas me prononcer là-dessus, car il s’agit là d’un débat philosophique et de procédure qui doit avoir lieu peut-être dans un autre endroit. Cependant, je tiens à signaler aux députés la distinction qui existe entre la liberté d’expression et un débat permanent, car il y en a une.

La règle qui nous lie en ce qui a trait à l’attribution de temps et à la clôture limite en effet le débat à certaines étapes de l’étude d’un projet de loi dans cette enceinte, mais on irait probablement trop loin en affirmant qu’elle va à l’encontre de la liberté d’expression à la Chambre. Je tiens à signaler que même si la motion du ministre est acceptée par la Chambre, on procédera à un débat prolongé aujourd’hui et ce soir avant que la question ne soit renvoyée au comité — et il existe d’autres façons de soulever cette question à la Chambre quotidiennement — et par la suite, le projet de loi devra être soumis à nouveau à la Chambre où on tiendra un autre débat.

Le député présente un argument fort intéressant, et je ne suis pas encore prêt à rendre une décision à ce sujet, car si je le faisais, j’entrerais dans un domaine dans lequel je n’ai pas le droit d’intervenir. Il affirme que le Règlement de la Chambre viole notre Constitution. C’est peut-être le cas, mais les autorités sur lesquelles nous nous appuyons depuis de nombreuses années précisent très clairement que, la présidence ne peut rendre une décision sur une question juridique ou constitutionnelle.

Enfin, je voudrais me pencher sur l’argument selon lequel le recours à la clôture en l’occurrence va à l’encontre de la pratique au Royaume-Uni. C’est peut-être vrai, mais au Royaume-Uni, il existe une règle bien précise qui donne très clairement au Président le pouvoir de décider si oui ou non une motion de clôture est recevable selon les circonstances. Or, il n’existe aucune règle du genre dans cette enceinte.

Ainsi, après avoir écouté très attentivement les interventions des députés de Kamloops et de Kingston et les Îles, et parce qu’aucun Président n’est insensible à ce qui se passe à la Chambre, après avoir écouté les instances relatives aux événements des derniers jours, sans passer de jugement là-dessus, j’en ai tenu compte. J’espère que le ministre de la Justice ne s’offusquera pas du fait que j’ai jugé inutile d’énumérer tout ce qui s’est passé depuis. En fonction de toutes les circonstances qui entourent la question et m’en tenant au point essentiel que je dois trancher, à savoir si oui ou non la motion est recevable, je dois décider que oui.

Ma décision ne réduit en rien la pertinence des arguments présentés par le député de Kamloops au sujet de considérations constitutionnelles et autres. Il se peut que la Chambre souhaite se pencher sur ces questions. Il est possible aussi que la Chambre veuille à nouveau examiner le Règlement, mais il faudra, pour ce faire, attendre un autre jour.

Par conséquent, je déclare que la motion est recevable.

F0203-f

34-2

1990-02-07

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[1] Débats, 6 février 1990, p. 7903-7904.

[2] Débats, 7 février 1990, p. 7947-7953.