Recueil de décisions du Président John Fraser 1986 - 1994
Le processus décisionnel / Motions et amendements
Amendement : ajout d’un nouvel élément
Débats, p. 11882-11823
Contexte
Le 15 décembre 1987, la Chambre procède à l’étude de l’Affaire émanant du gouvernement no 20 stipulant qu’il est dans l’intérêt national d’approuver l’Accord sur le libre-échange entre le Canada et les États-Unis. l’hon. Lloyd Axworthy (Winnipeg—Fort Garry) propose alors un amendement qui a pour objet de préciser que l’intérêt national sera « défini par la population du Canada lors d’une élection générale ». Le président suppléant (l’hon. Steven Paproski) prend l’amendement en délibéré[1].
Plus tard au cours de la séance, le Président signale à la Chambre qu’il éprouve des difficultés avec l’amendement proposé par l’Opposition officielle et invite les députés intéressés à faire valoir leurs arguments. M. Axworthy opine que l’amendement vise à clarifier l’expression « qui est dans l’intérêt national », en soumettant la question à la population du Canada lors d’une élection générale. l’hon. Doug Lewis (ministre d’État et ministre d’État (Conseil du Trésor)), répliquant au nom du gouvernement, allègue que l’amendement, en plus d’introduire un élément nouveau dans la résolution, rend inintelligible toute la motion principale. D’autres députés prennent également part à la discussion[2]. Le 17 décembre 1987, le Président rend la décision qui est reproduite intégralement ci-dessous.
Décision de la présidence
M. le Président : Mercredi, au cours des délibérations sur la motion inscrite au nom de l’honorable ministre du Commerce extérieur (Mme Pat Carney) qui porte approbation de l’Accord de libre-échange avec les États-Unis, l’honorable député de Winnipeg—Fort Garry a proposé l’amendement suivant :
Qu’on modifie la motion en insérant immédiatement après le mot « national », ce qui suit : « défini par la population du Canada lors d’une élection générale, ».
À ce moment-ci, je veux remercier tous les députés qui ont participé, hier après-midi, à la discussion sur la procédure. Ce genre de discussion est extrêmement utile car elle aide la présidence à arriver à une décision.
L’amendement a posé à la présidence un problème épineux. La motion demande à la Chambre d’approuver l’Accord canado-américain de libre-échange au motif qu’il est dans l’intérêt national de notre pays. L’amendement, selon certains députés, vise à clarifier les mots « qui est dans l’intérêt national », en soumettant la question à la population canadienne lors d’une élection générale. D’autres ont prétendu que l’amendement visait à introduire dans la motion principale un nouvel élément qu’on n’a pas envisagé quand on a proposé la motion et qui en élargit de ce fait la portée. On a prétendu par ailleurs que l’amendement était vague et que, s’il était adopté, la Chambre ne saurait pas au juste ce qu’elle avait décidé, à cause de l’imprécision de l’amendement.
Ce genre de motion, comme nos précédents le prouvent, n’est pas facile à modifier, et il serait peut-être à souhaiter que la présidence se montre aussi généreuse que possible. Toutefois, les porte-parole de l’opposition officielle eux-mêmes ont affirmé que le but de l’amendement était de lier la définition de l’intérêt national au résultat des prochaines élections générales. Ainsi, l’amendement subordonnerait une partie de la motion principale aux résultats de futures élections générales, après la dissolution du Parlement.
Je dois souligner ici qu’en maintes occasions, par le passé, des honorables députés ont essayé de présenter des amendements à des résolutions de ce genre et qu’ils ont trouvé extrêmement difficile de les rédiger de telle sorte qu’ils soient acceptables pour la présidence.
Une excellente décision a été rendue sur ce point par [le vice-président], M. Lamoureux, le jeudi 4 juin 1964, et je cite :
Voici donc le problème : si un amendement ne propose pas quelque chose de nouveau, il est nul, et s’il propose quelque chose de nouveau dont il n’est pas question dans la motion, il n’est pas pertinent.
Plus loin dans la même décision il est dit aussi, ce qui suit :
En outre, la présidence est d’accord avec l’argument invoqué au cours du débat cet après-midi, selon lequel on ne peut proposer un amendement qui ne s’oppose pas à la motion principale ou ne la modifie pas, mais qui tente seulement de l’approuver conditionnellement[3].
Dans l’éventualité où l’amendement et la motion seraient acceptés, la Chambre serait appelée à approuver l’Accord commercial, sous réserve de l’approbation ultérieure de la population lors des prochaines élections générales; à mon humble avis, cela est sans rapport avec la question principale.
Permettez-moi de citer une autre décision du Président Lamoureux, du 6 mai 1966, lorsque la Chambre a été priée d’approuver l’Accord entre le Canada et les États-Unis sur les produits de l’automobile et qu’il a été proposé un amendement exigeant le consentement du Parlement pour tous les futurs amendements à cet accord ou renouvellements de l’accord. Voici ce qu’a déclaré le Président Lamoureux :
Je signale que la bonne façon de procéder pour atteindre ce but n’est pas de présenter un amendement à la résolution, mais plutôt une motion de fond avec préavis. Selon moi, le ministre […] a raison de soutenir que l’amendement est, effectivement, une nouvelle proposition[4].
Je voudrais citer aussi ce que le Président Michener a déclaré, le 11 juin 1958, au sujet d’un amendement proposé à une motion d’approbation de l’Accord du NORAD. Il a dit ceci :
Si l’amendement a pour effet de refuser la motion, il est inutile et non pertinent, car les députés désireux de désapprouver l’accord n’ont qu’à voter contre la motion actuelle.
Si l’amendement ajoute quelque chose de positif à la motion, c’est une déclaration de principe portant qu’il est opportun pour le gouvernement de songer à prendre les mesures nécessaires pour incorporer ces accords dans la structure de l’OTAN. L’acceptation éventuelle de l’amendement et de la motion constituerait une approbation de l’accord, mais on y aurait ajouté une déclaration de ce principe distinct, étranger à la motion, qui n’est pas nécessaire pour qu’on décide de la motion en question.
Plus loin, le Président Michener affirme :
Il est clair […] qu’une motion pourrait être présentée aux fins mêmes d’amendement en cause, mais elle devrait être présentée à titre de motion indépendante et après avis[5].
Bref, je crois que l’amendement que propose le député de Winnipeg—Fort Garry est semblable à bien des égards à ceux sur lesquels les Présidents Lamoureux et Michener se sont prononcés. exigence que l’intérêt national soit défini par une élection générale est une nouvelle proposition qui devrait être faite séparément et dont il faudrait donner avis.
En conséquence, dans les circonstances, et à mon regret, je n’ai pas d’autre choix que de déclarer que l’amendement ne peut être soumis à la Chambre.
F0405-f
33-2
1987-12-17
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[3] Débats, 4 juin 1964, p. 4142-4143.