Recueil de décisions du Président John Fraser 1986 - 1994
La procédure financière / Divers
Mesures législatives : amendements du Sénat empiétant sur la prérogative financière de la Couronne : portée de la recommandation royale ; relations entre le Sénat et la Chambre des communes
Débats, p. 10719-10726
Contexte
Le 3 avril 1990, l'hon. Harvie Andre (ministre d'État et leader du gouvernement à la Chambre) invoque le Règlement pour exposer les raisons qui le motivent à considérer irrecevable le message du Sénat déposé le 20 mars 1990[1] concernant le projet de loi C-21 relatif à l'assurance-chômage et pour demander l'avis de la présidence sur les termes d'une motion constituant un message de renvoi au Sénat. Il soutient que les amendements 5a) et b), 7 et 9 contenus dans le message du Sénat sont irrecevables, car ils diffèrent des conditions précises établies dans la recommandation royale relative au projet de loi et empiètent sur la prérogative financière de la Couronne. Il ajoute que les amendements proposés par le Sénat au projet de loi C-21 compromettent sérieusement l'équilibre du Budget du 27 avril 1989 auquel la Chambre des communes a donné son accord. M Jean-Robert Gauthier (Ottawa—Vanier), répliquant au nom de l'Opposition officielle, fait valoir que le ministre n'a pas soulevé son rappel au Règlement en temps opportun, c'est-à-dire le 12 mars 1990, au moment où la Chambre a été saisie du premier message du Sénat concernant certains amendements au projet de loi C-21[2]. Il précise qu'au terme de la séance du 13 mars, la Chambre a adopté une motion portant renvoi au Sénat d'un message indiquant qu'elle souscrivait à certains amendements mais rejetait les autres et qu'en conséquence, il serait illogique de soutenir maintenant que le Sénat n'a pas le droit de modifier ce projet de loi à incidence financière[3]. Par ailleurs, il met en doute la nécessité d'une recommandation royale pour le projet de loi C-21 du fait que les modifications apportées visent à réduire des charges déjà prévues dans la loi en vigueur. D'autres députés prennent également part à la discussion[4]. Le Président invite les députés à poursuivre ce débat une autre fois.
Le 4 avril 1990, M Jean-Robert Gauthier reprend le débat sur ce rappel au Règlement. Celui-ci se poursuit le 5 avril 1990 avec M. Don Boudria (Glengany Prescott-Russell), M. Peter Milliken (Kingston et les Îles) et d'autres députés. M Milliken réitère de nouveau les commentaires de M. Gauthier quant à la validité d'un rappel au Règlement soulevé après les délais prescrits par l'usage. Il soutient également que le rappel au Règlement doit traiter d'un sujet dont la Chambre est saisie. Ce qui, à son avis, n'était pas le cas[5]. Le Président prend la question en délibéré. Il rend sa décision le 26 avril 1990. Celle-ci est reproduite intégralement ci-dessous.
Décision de la présidence
M. le Président : Le 3 avril 1990, le leader parlementaire du gouvernement a contesté la recevabilité de certains amendements contenus dans le message du Sénat relatif au projet de loi C-21, Loi modifiant la Loi sur l'assurance-chômage et la Loi sur le ministère et sur la Commission de l'emploi et de l'immigration. II a demandé « l'avis de la présidence sur les termes d'une motion constituant message de renvoi au Sénat » et l'a invitée « à décider que certains amendements contenus dans le message de l'autre endroit sont irrecevables car ils diffèrent d'une façon ou d'une autre des conditions précises établies dans la recommandation royale relative au projet de loi C-21 et parce qu'ils empiètent sur les prérogatives financières de la Couronne. » Dans un exposé motivé bien documenté, le ministre a soutenu que les amendements proposés « compromettent sérieusement l'équilibre du Budget du 27 avril 1989 auquel la Chambre des communes a accordé sa confiance ». Il a également prétendu que ces amendements allaient à l'encontre du principe qui sous-tend Je projet de loi, à savoir, faire du régime d'assurance-chômage un programme financé par les employeurs et les employés.
À la suite de l'intervention du ministre, nous avons eu, le 3 avril puis le 5 avril, une discussion vraiment très approfondie sur la question.
Il serait peut-être bon de résumer brièvement à ce moment-ci la chronologie des travaux relatifs au projet de loi C-21 jusqu'à ce jour.
Le 27 avril 1989, le ministre des Finances (l'hon. Michael Wilson) a déposé un document intitulé Le discours du Budget où il est dit ceci, à la page 12 : « Parallèlement, des changements sont apportés de façon que le financement de ce régime aille dans Je sens de nos efforts de maîtrise de la dette publique. À compter du 1er janvier 1990, les prestations d'assurance-chômage seront entièrement financées par les cotisations des employeurs et des salariés. » Ce Budget fut adopté par la Chambre Je 11 mai 1989. Puis, le 1er juin 1989, le projet de loi intitulé Loi modifiant la Loi sur l'assurance-chômage et la Loi sur le ministère et sur la Commission de l'emploi et de l'immigration a été déposé en cette Chambre et lu une première fois le même jour. Le projet de loi a été débattu en deuxième lecture les 6, 7 et 21 juin 1989. Il y eut clôture du débat de deuxième lecture le 21 juin 1989 et le projet de loi fut renvoyé à un comité législatif.
Après s'être déplacé, avoir entendu des témoins et avoir étudié le projet de loi à fond, le Comité en a fait rapport à la Chambre, avec des amendements, le 10 octobre 1989. Le projet de loi a été étudié à l'étape du rapport le 16 octobre 1989. Une motion d'attribution de temps concernant l'étape du rapport et la troisième lecture a été débattue et adoptée le 24 octobre 1989. Le 25 octobre, le projet de loi a été examiné de nouveau à l'étape du rapport, et agréé avec d'autres amendements. Il a été débattu en troisième lecture Je 2 novembre et, à la suite d'un débat supplémentaire Je 6 novembre 1989, il a été lu pour la troisième fois et adopté.
Il a ensuite fait l'objet d'une étude à toutes les étapes au Sénat, où l'on y a apporté des amendements. Le Sénat a envoyé un message à la Chambre, dans lequel il demandait à celle-ci d'agréer les amendements qu'il avait apportés au projet de loi. Ce premier message du Sénat a été étudié les 12 et 13 mars 1990. Le débat sur la motion du ministre d'État et leader parlementaire du gouvernement relative aux amendements a été soumis à la clôture et la motion a été agréée le 13 mars 1990. En conséquence, le 13 mars, cette Chambre a renvoyé au Sénat un message indiquant qu'elle souscrivait à certains des amendements et rejetait les autres. Cela a donné lieu à un deuxième message du Sénat qui est consigné dans nos Procès-verbaux du 20 mars 1990.
Dans ce deuxième message, le Sénat informait la Chambre des communes qu'il agréait les amendements apportés par la Chambre aux amendements 1 et 4b) et qu'il insistait sur ses amendements 2a) b) et c); 3a) et b); 4c) et d); Sa) et b); 6, 7, 8 et 9.
Enfin, dans un troisième message en date du 21 mars 1990, le Sénat a présenté les observations-je souligne le terme-que contenait le quatrième rapport du Comité spécial du Sénat sur le projet de loi C-21. Voilà la situation dans laquelle la Chambre se trouvait quand le leader parlementaire du gouvernement s'est levé à la Chambre le 3 avril pour inviter la présidence « à décider que les amendements 5a) et b), 7 et 9 contenus dans le message de l'autre endroit sont irrecevables car ils diffèrent d'une façon ou d'une autre des conditions précises établies dans la recommandation royale relative au projet de loi C-21 et parce qu'ils empiètent sur les prérogatives financières de la Couronne. »
Je tiens naturellement à remercier tous les députés qui ont apporté leur aide à la présidence en participant à la discussion de cette question complexe, les 3 et 5 avril derniers. Par souci de concision et de clarté, je vais résumer les arguments présentés en les regroupant en deux catégories.
Tous les arguments avancés se rapportaient à la question de savoir si, sur le fond, le Sénat avait le droit de modifier le projet de loi C-21 comme il l'a fait, ou bien mettaient en question le processus suivi pour contester les amendements du Sénat.
Je dois dire au ministre que je lui suis reconnaissant d'avoir indiqué, lorsqu'il a soulevé cette question, qu'il ne s'attendait pas à une réponse immédiate. Ainsi que le ministre et le secrétaire parlementaire (M. Albert Cooper) l'ont signalé, notre relation avec l'autre Chambre est une relation absolument fondamentale qui remonte aux origines de la démocratie parlementaire.
Je ne voudrais pas rendre une décision à la hâte sur des questions aussi capitales. Aussi, je remercie de nouveau tous les députés de m'avoir donné un peu de temps et de recul pour débrouiller le fil de l'argumentation présentée et formuler une réponse éclairée.
Au cours de l'argumentation, la présidence a tenté d'orienter les députés en faisant valoir sa compréhension de la question de fond et je pense que la chose mérite que j'y revienne.
Nous avons affaire ici à un projet de loi fondé sur la politique budgétaire du gouvernement approuvée par la Chambre des communes qui modifie des lois en vigueur, soit la Loi sur l'assurance-chômage et la Loi sur le ministère et sur la Commission de l'emploi et de l’immigration. Le projet de loi propose notamment de supprimer l’affectation de fonds du Trésor canadien au compte de l'assurance-chômage et de faire de ce dernier un fonds financièrement autosuffisant grâce aux cotisations versées directement par les employeurs et les salariés. Voilà une explication passablement simplifiée du projet de loi qui a été adopté par cette Chambre. Or, le Sénat a apporté des modifications à cette proposition.
Il est revenu avec la proposition qu'une partie du financement dont cette Chambre avait accepté la suppression devrait être rétablie. Selon le leader parlementaire du gouvernement, les modifications du Sénat coûteraient 1,75 milliard de dollars annuellement au Trésor. La question qui se pose est la suivante : Est-il convenable que le Sénat rétablisse une charge que cette Chambre a supprimée? La question se pose vu l'existence des deux principes fondamentaux suivants : d'une part, les projets de loi ayant pour objet la dépense de deniers publics doivent prendre naissance à la Chambre des communes (article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867); d'autre part, ces projets de loi doivent être recommandés par un message du Gouverneur général, qui ne peut être obtenu et présenté à la Chambre des communes que par un ministre de la Couronne. C'est ce qu'on appelle une recommandation royale. Ce que je viens de dire constitue aussi une explication très élémentaire de la question de fond qui préoccupe la présidence.
En ce qui concerne la question de fond, les députés d'Ottawa—Vanier, de Glengarry—Prescott—Russell et de Kingston et les Îles ont tous mis en doute la nécessité d'une recommandation royale pour le projet de loi C-21, contesté l'argument selon lequel le Sénat n'avait pas le droit d'amender un projet de loi de cette nature et insisté sur le fait que les modifications apportées au projet de loi n'allaient nullement à l'encontre de la recommandation royale vu qu'elles réduisaient des charges prévues dans la loi en vigueur. Le député de Saskatoon—Clark's Crossing (M. Chris Axworthy) a aussi appuyé cette dernière prétention.
J'aimerais passer immédiatement au deuxième groupe d'arguments, ceux qui mettent en doute le procédé utilisé pour contester les amendements du Sénat. Je tiens à souligner que la raison pour laquelle je le fais tout de suite c'est que, selon la présidence, ces arguments constituent un seuil qu'il faut franchir avant de poursuivre l'examen des questions de fond.
J'inclus dans cette catégorie un certain nombre d'arguments connexes. Le député d'Ottawa—Vanier, le député de Kamloops (M. Nelson Riis) et le député de Saskatoon—Clark's Crossing ont signalé que la présidence ne devait pas se prononcer sur les questions d'ordre juridique ou constitutionnel. De plus, ils ont soutenu avec insistance, tout comme le député de Kingston et les Îles, que si les amendements du Sénat n'étaient pas recevables, on aurait dû les contester la première fois que la Chambre en a été saisie, soit les 12 et 13 mars, quand la Chambre a étudié en premier lieu un message de renvoi à l'autre endroit.
Je précise, à l'intention du public qui nous écoute, que l'expression « l'autre endroit » désigne le Sénat. C'est en ces termes que nous parlons du Sénat; ici, nous l'appelons « l'autre endroit ».
Selon cette argumentation, la Chambre, ayant déjà pris la décision d'accepter certains des amendements du Sénat et de rejeter les autres, n'a pas aujourd'hui la faculté de réexaminer la recevabilité de ces amendements. Des arguments ont aussi été avancés sur des questions corrélatives, soit l'utilité de demander à la présidence de rendre une décision sur les amendements du Sénat, et les conséquences d'une décision du Président de la Chambre des communes qui déclarerait irrecevable un message de l'autre endroit.
Ma première impression, en tant que Président, a été que si la recevabilité d'amendements proposés à un projet de loi dans cette Chambre était en question, la présidence serait évidemment tenue de se prononcer sur la recevabilité des amendements en cause. C'est là le rôle que le Président est normalement appelé à jouer. La présidence est tenue de statuer sur les amendements à chacune des étapes de l'étude des projets de loi à la Chambre, aussi ma première réaction a-t-elle été de déterminer la recevabilité des amendements litigieux. Néanmoins, ainsi que je l'ai expliqué, la présidence doit tenir compte non seulement du fait qu'on met en doute des amendements au projet de loi, mais aussi de l'étape à laquelle on le fait.
En fait, la Chambre s'est déjà prononcée sur les amendements mêmes au sujet desquels le leader parlementaire du gouvernement m'a demandé de rendre une décision, et le député d'Ottawa—Vanier a protesté qu'il était maintenant trop tard pour que la présidence se prononce sur leur recevabilité. Il y a lieu de noter que le Sénat a insisté, dans son message du 20 mars 1990, sur les amendements 5a) et b), 7 et 9. Il ne fait pas de doute que la Chambre est de nouveau saisie de ces amendements et que ceux-ci pourraient être adoptés si la Chambre le voulait.
On peut invoquer que le leader parlementaire du gouvernement aurait dû faire valoir ses points les 12 et 13 mars derniers, mais je ne vois aucune raison qui s'oppose à ce qu'il soulève la question à ce stade-ci, vu qu'aux termes du message du Sénat, les amendements en question ont été renvoyés à la Chambre pour qu'elle les considère de nouveau. Si ces amendements du Sénat peuvent être de nouveau amendés, acceptés ou refusés, ainsi que l'indique le commentaire 282 de la 4e édition de Beauchesne, il est logique qu'ils puissent aussi faire l'objet d'une contestation sur le plan de la procédure.
La présidence décide donc que l'intervention du ministre est valable à ce stade-ci, et elle tentera de répondre aux divers points qui ont été soulevés à cet égard.
Le leader parlementaire du gouvernement s'est dit encouragé par la décision rendue par la présidence le 11 juillet 1988, au sujet du projet de loi C-103, le projet de loi sur l'Agence de promotion économique du Canada atlantique et j'aimerais revenir un moment sur cette décision.
Dans ce cas-là, le Sénat avait scindé un projet de loi adopté par la Chambre et n'en avait renvoyé qu'une partie à cette dernière. C'est l'action unilatérale du Sénat en l'occurrence que j'avais jugée répréhensible et j'avais dit ceci, entre autres :
Mais il est fort douteux, du moins à mon avis, qu'il puisse réécrire ou reformuler un projet de loi émanant de la Chambre des communes jusqu'à en modifier son principe adopté à la Chambre, sans demander d'abord à celle-ci son accord. Il s'agit, en l'occurrence, d'une question de privilège qui n'a rien à voir avec la Constitution.
En ce qui concerne le projet de loi C-103, j'estime en toute déférence, bien sûr
[…]
Et je cite ici un jugement antérieur :
[…] que le Sénat aurait dû demander l'accord de la Chambre afin de diviser cette mesure, et qu'en ne renvoyant qu'une partie du projet de loi comme un fait accompli, il a porté atteinte aux privilèges des députés.
J'ai ajouté :
J'ai décidé que l'on avait porté atteinte aux privilèges de la Chambre des communes. Toutefois, et il faut bien le comprendre, je n'ai pas le pouvoir de faire appliquer directement ma décision. Je ne peux déclarer le message du Sénat irrecevable, car cela placerait le projet de loi C-103 dans un vide juridique. Il ne serait nulle part. La solution c'est que la Chambre affirme ses privilèges et les fasse connaître, si elle le désire, à Leurs Honneurs, c'est-à-dire au Sénat.
Je m'empresse d'ajouter, toutefois, que j'avais aussi dit à ce moment-là :
La tradition veut que le Président de la Chambre ne se prononce pas en matière constitutionnelle. Il ne m'appartient pas de décider si le Sénat pouvait, en vertu de la Constitution, faire ce qu'il a fait du projet de loi C-103[6].
Plus tard, après avoir fait remarquer que le projet de loi C-103 était une mesure financière et que le Sénat est quelque peu limité dans son examen des mesures financières, j'avais expressément refusé de répondre à des questions d'ordre constitutionnel comme celle de savoir si la recommandation royale s'appliquait toujours au projet de loi résultant de la scission et celle de savoir si l'on avait porté atteinte aux privilèges dont les Communes jouissent en matière financière. À cet égard, je m'étais appuyé largement sur les décisions de deux de mes prédécesseurs à la présidence.
Mes recherches indiquent qu'il est arrivé plusieurs fois, depuis la Confédération, que le Sénat apporte des amendements à des projets de loi des Communes qui avaient des implications financières. Par exemple, la Chambre a reçu des messages en ce sens le 23 mai 1873, le 23 mai 1874, le 15 septembre 1917, le 23 mai 1918, le 11 juin 1941 et le 14 juillet 1959[7]. L’examen de ces six cas révèle que la Chambre a agréé les amendements du Sénat dans tous les cas, sauf deux. En 1873, la Chambre rejeta tous les amendements, et en 1959, elle en accepta un et en rejeta un. Ce qui est intéressant sur le plan de la procédure, c'est que le Président n'a été appelé à faire des observations qu'en deux de ces occasions, soit en 1917 et en 1959.
Dans le premier cas, le 15 septembre 1917, le Président a répondu à deux rappels au Règlement, l'un concernant la faculté du Sénat de modifier une mesure financière et l'autre, l'obligation de la Chambre de maintenir ses privilèges et de rejeter l'amendement. Sur le premier point, le Président déclara, et je cite :
[...] la question de savoir si le Sénat peut faire des modifications comme celles qui ont été faites au bill actuellement soumis à l'étude, est un point de droit constitutionnel sur lequel il ne conviendrait pas que je donne une décision officielle. C'est à la Chambre et non à l'Orateur de se prononcer sur des questions d'une si grande importance constitutionnelle.
Sur le second point, il dit ceci :
[...] il n'y a rien dans[...] notre Règlement qui empêche cette Chambre de faire siennes des modifications comme celles qui sont actuellement à l'étude. [...] je considère que le principe en jeu, celui de renoncer à ses droits et privilèges dans des circonstances déterminées, est le même[8].
Bref, mon prédécesseur refusa d'intervenir dans une affaire constitutionnelle qui devait être réglée au moyen de négociations entre la Chambre et le Sénat, et il décida en outre que rien n'empêchait la Chambre de renoncer à ses droits en matière financière et d'adopter l'amendement du Sénat comme s'il émanait d'elle. La Chambre a toujours cette option.
La deuxième affaire clarifie encore davantage la situation et souligne la fine ligne qui sépare les questions constitutionnelles des questions de procédure. Après que le gouvernement eut proposé l'adoption de certains amendements du Sénat, le 14 juillet 1959, le Président attira l'attention de la Chambre sur les problèmes que posait une motion présentée à la Chambre, qui portait que celle-ci adopte un amendement du Sénat et renonce à ses droits. Il déclara, et je cite :
Si la Chambre estime, dans sa sagesse, que les circonstances lui commandent de renoncer en l'occurrence à ses privilèges énoncés, elle suspend ainsi de fait le paragraphe 80(1) du Règlement. J'estime donc qu'à moins que la motion ne suspende dans les formes le paragraphe 80(1) du Règlement, il faudrait le consentement unanime de la Chambre en ce moment pour adopter les amendements proposés[...] j'en suis venu à la conclusion qu'un avis préalable aurait dû être donné à l'égard de la motion [...]. Vu qu'un article du Règlement ne peut être suspendu que par un ordre de la Chambre dont avis doit être donné ou par le consentement unanime, j'ai dit qu'il faudrait, attendu qu'il n'y a pas eu préavis, obtenir le consentement unanime[9].
Dans l'affaire de 1959, le consentement unanime fut refusé, et quatre jours plus tard, le gouvernement présenta, avec préavis, une autre motion tendant à l'adoption de certains amendements et au rejet des autres. Cette motion, qui invoquait le « droit exclusif et indiscutable pour la Chambre des communes d'établir des impôts », fut adoptée par la Chambre[10].
Les affaires de 1917 et 1959 illustrent clairement le principe qui veut que le Président n'intervienne pas dans les questions constitutionnelles concernant le pouvoir du Sénat de modifier les mesures financières et qu'il doit se limiter à porter à l'attention de la Chambre les irrégularités de procédure relevant de l'article 80(1) du Règlement afin qu'elle puisse sauvegarder ses prérogatives constitutionnelles d'ordre financier.
Je vais maintenant aborder plus en détail l'affaire qui nous occupe. Après avoir examiné attentivement les amendements apportés par le Sénat au projet de loi C-21, je dois reconnaître qu'en ce qui concerne le principe du projet de loi, le ministre a soulevé une question extrêmement valable. Il ne fait pas de doute, pour moi, que le Sénat modifie par ses amendements le principe du projet de loi, ce qui ne serait certainement pas permis à l'étape de l'étude en comité, aux Communes. Si les amendements sont adoptés, il est clair que le gouvernement continuerait à soutenir financièrement le compte d'assurance-chômage, tel que déclaré par le ministre. Cela irait à l'encontre de la politique budgétaire approuvée du gouvernement, ainsi qu'à l'encontre du principe du projet de loi adopté par la Chambre des communes.
Toutefois, pour les motifs invoqués précédemment dans ma décision de juillet 1988, le Président de la Chambre des communes ne peut, unilatéralement, déclarer irrecevables les amendements émanant de l'autre endroit. Je puis faire des commentaires comme je le fais, mais c'est la Chambre, collectivement, qui doit en définitive prendre la décision d'accepter ou de rejeter les amendements du Sénat-que ceux-ci soient ou non recevables suivant nos règles.
Ainsi que je l'ai dit, il ressort clairement de l'examen des amendements du Sénat dont il est question dans les Procès-verbaux du 21 mars 1990[11] que certaines charges imposées au Trésor seront maintenues si le projet de loi C-21 est modifié en conséquence. Il est peut-être moins clair qu'il y aurait augmentation des charges au-delà de ce qui est d'ores et déjà légalement prévu dans la Loi sur l'assurance-chômage elle-même.
Je voudrais faire remarquer que la Loi sur l'assurance-chômage a été adoptée il y a longtemps et a été modifiée de nombreuses fois. Le projet de loi C-21 n'est qu'une modification à cette loi.
Il serait certainement acceptable, dans cette Chambre, de rétablir dans un projet de loi modificatif des charges déjà prévues dans une loi en vigueur. À titre d'information sur ce point, je renvoie les députés à la 21e édition d'Erskine May (page 716) :
Le même principe s'appliquait dans le cas de propositions d'amendement d'un projet de loi tendant à abolir ou à réduire une charge autorisée par une loi en vigueur. Les amendements à un tel projet de loi qui visent à rétablir tout ou partie de la charge que le projet de loi propose de réduire ou d'abolir sont recevables et ils ne nécessitent pas l'adoption préalable d'une résolution financière.
Ainsi que le secrétaire parlementaire du leader parlementaire du gouvernement l'a dit, cette citation s'applique à la Chambre des communes britannique, mais Erskine May ne dit rien au sujet de ce que les Lords peuvent faire. Encore une fois, je dois préciser qu'il n'est pas dans mes pouvoirs de rendre une décision sur la question de savoir si le Sénat devrait avoir, sur le plan constitutionnel, le droit de rétablir des charges lorsque les Communes en ont décidé autrement. Ainsi que le ministre le dit à la page 10144 des Débats du 3 avril 1990 : « Il revient à [la Chambre des communes] de défendre ses responsabilités et ses pouvoirs. »
Voilà pour le montant et la limite des charges. La présidence a toutefois quelque doute lorsqu'il s'agit des conditions et des réserves, des objets et des fins du projet de loi.
Je dois rappeler aux députés que le commentaire 540 de la 5e édition de Beauchesne précise ce qui suit :
[...] En ce qui concerne la norme ainsi fixée, tout amendement enfreint l'initiative de la Couronne dans le domaine financier, non seulement s'il augmente le montant, mais aussi s'il en étend les objets et les fins, ou s'il relâche les conditions et les réserves signalées dans la communication, par laquelle la Couronne a demandé, ou recommandé, un prélèvement. Cette norme lie non seulement les simples députés mais aussi les ministres, dont l'unique avantage, en leur qualité de conseillers de la Couronne, est de pouvoir présenter des crédits nouveaux ou supplémentaires ou d'obtenir une recommandation royale de résolutions nouvelles ou supplémentaires.
Vus à la lumière de ce commentaire, les amendements du Sénat semblent avoir quelque incidence sur la recommandation royale, l'ampleur de laquelle est difficile à déterminer. Ainsi, pour plus de sûreté, la Chambre peut porter la chose à l'attention du Sénat, même si elle choisit de renoncer à ses prérogatives financières conformément au commentaire 115 de la 5e édition de Beauchesne, qui dit ceci :
L’Orateur doit, lorsque l'occasion s'en présente, signaler à la Chambre toute infraction à ses privilèges que peuvent comporter les projets de loi ou modifications en provenance du Sénat. En ces circonstances, il fait procéder à l'inscription aux Journaux de la Chambre d'avis particuliers aux termes desquels la Chambre, en ce qui concerne telle ou telle modification, signifie qu'elle renonce à ses privilèges sans pour autant consentir à ce que cela fasse jurisprudence.
Le leader parlementaire du gouvernement a en outre soutenu que le Sénat s'était ingéré dans le programme budgétaire du gouvernement approuvé par la Chambre des communes. Il a dit ceci: « […] Le fait de modifier le Budget ou de le renverser à l'autre endroit irait à l'encontre des objectifs et des pouvoirs de notre institution », à savoir la Chambre des communes.
Le leader parlementaire du gouvernement a trouvé un appui à la page 340 de l'ouvrage intitulé The Modem Senate of Canada, publié en 1965. L’auteur se nomme F.A. Kunz. Il dit :
Au contraire, le Sénat a agi dans le sens d'une pleine compréhension de la signification et des conséquences du gouvernement responsable et il a accepté d'être lié par la proposition voulant qu'il ne doive pas rompre abusivement ce qu'on est venu à appeler « l'équilibre des voies et moyens » ou, selon l'expression de Hopkins, « qu'il serait inadmissible de toucher au programme financier général du gouvernement, présenté dans les propositions budgétaires de celui-ci, de façon à modifier dans une mesure importante l'excédent ou le déficit budgétaire qui y est prévu ».
Je répète : « […] dans les propositions budgétaires de celui-ci, de façon à modifier dans une mesure importante l'excédent ou le déficit budgétaire qui y est prévu ». Comme je l'ai déjà dit, le leader du gouvernement à la Chambre des communes a mentionné que le montant en cause est de 1,75 milliard par an.
Ce commentaire de Kunz se fonde sur un article rédigé par E. Russell Hopkins, un ancien légiste et conseiller parlementaire du Sénat du Canada.
Aux pages 321 et 322 de la publication Canadian Tax Journal (vol. 6, numéro de septembre/octobre 1958), Hopkins commente en ces termes l'article 53 de la Constitution :
L’article 53 de la loi dispose que tout projet ayant pour objet l'affectation d'une portion quelconque du revenu public, ou la création de taxes ou d'impôts, devra prendre naissance à la Chambre des communes. Cela signifie clairement que tous les projets de loi fiscaux ou de crédits doivent prendre naissance à la Chambre des communes. Il est universellement reconnu que le fait pour le Sénat de proposer des modifications qui augmenteraient un impôt ou un crédit proposé par la Chambre des communes constituerait une violation du principe formulé dans cette disposition.
J'ai le devoir de commenter, mais je ne peux qu'ajouter : que dirait cet éminent auteur si les mots que je viens de lire, soit « qui augmenteraient un impôt ou un crédit proposé » étaient remplacés ou complétés par les mots « qui augmenterait le déficit budgétaire »? J'attire sur cette question l'attention de la Chambre, ainsi que de la population qui, en fin de compte, paie la note.
Hopkins poursuit en affirmant :
La question de savoir si le Sénat devrait ou non apporter des amendements à une mesure financière de façon à rompre l'équilibre des voies et moyens au cours d'un exercice est d'ordre politique plutôt que légal : autrement dit, c'est une question qu'il appartient au Sénat lui-même de trancher dans tous les cas. Le Sénat peut évidemment rejeter purement et simplement une mesure financière, et, selon lui, il peut réduire une taxe ou un crédit.
Il ajoute :
Dans l'un et l'autre cas, l'équilibre des voies et moyens se trouverait rompu.
La conclusion à laquelle Hopkins est arrivée c'est que les interventions du Sénat dans les mesures financières modifieraient inévitablement les plans budgétaires et de dépense du gouvernement.
En vue d'éclaircir la situation, je signalerais aux députés et à la population qui nous écoute qu'il y a de nombreux Canadiens, instruits ou pas, et certains qui se croient bien instruits, qui n'ont aucune idée des pouvoirs imposants que le Sénat prétend posséder et qu'il nie à la Chambre basse élue. C'est l'une des raisons pour lesquelles il est important que les députés écoutent attentivement cette décision, puisqu'elle contient des renseignements que de nombreux Canadiens ne connaissent absolument pas.
J'ai vérifié la pratique britannique et relevé ce qui suit aux pages 518 et 519 de la 12e édition d'Erskine May. Si les citations sont longues, c'est qu'il est temps que notre pays ait une petite leçon d'histoire. Je cite donc Erskine May. Ceci se passe en Grande-Bretagne :
En 1909, le projet de loi de finances qui donnait effet au budget de l'exercice fit l'objet, à l'étape de la deuxième lecture à la Chambre des Lords, d'un amendement ainsi conçu[...]
Et je cite l'amendement. C'est un amendement présenté par la Chambre des Lords, qui est la Chambre haute britannique :
[...] Que cette Chambre n'a pas de raison de donner son consentement à ce projet de loi tant qu'il n'aura pas été soumis au jugement de la population. Le rejet du projet de loi par la Chambre des Lords fut condamné par une résolution de la Chambre des communes déclarant « que le fait que la Chambre des Lords a refusé de donner force de loi aux dispositions prises par la Chambre des communes au sujet des finances de l'exercice constitue une atteinte à la Constitution et une usurpation des privilèges de la Chambre des communes ».
Il est bon de noter que cette déclaration a été faite non pas par la présidence, mais bien par la Chambre des communes de la Grande-Bretagne :
Le Parlement fut ensuite dissous[...]
Tournure polie pour dire que des élections ont été déclenchées.
[…] et un projet de loi de finances destiné à remplacer celui qui avait été rejeté par les Lords fut adopté par les deux Chambres au cours de la nouvelle législature.
De nombreux faits historiques et des événements très intéressants ont finalement incité la Chambre des Lords à adopter cette mesure :
La Chambre des communes adopta aussi les trois résolutions suivantes portant sur les rapports entre les deux Chambres et la durée des législatures :
Premièrement, au sujet des mesures financières-c ‘est ce dont nous traitons ici-la résolution adoptée par la Chambre des communes de la Grande-Bretagne est la suivante :
Qu'il soit opportun que la Chambre des Lords soit rendue légalement inhabile à rejeter ou amender les mesures financières, mais qu'une telle limitation légale n'aura pas pour effet d'assortir de restrictions ou de conditions les droits et privilèges existants de la Chambre des communes.
Pour l'application de la présente résolution, un projet de loi sera considéré comme une mesure financière si, de l'avis du Président, il ne contient que des dispositions concernant l'ensemble ou certains des sujets suivants, à savoir : la création, l'abrogation, la remise, la modification ou la réglementation d'un impôt; les charges imposées au Trésor ou l'attribution de deniers par le Parlement; les subsides; l'affectation, le contrôle ou la réglementation des fonds publics; l'émission d'une garantie pour un emprunt ou le remboursement d'un emprunt; les questions accessoires à tout ou partie de ces sujets.
La résolution de la Chambre des communes portait ensuite sur des projets de loi autres que des mesures financières :
Qu'il est opportun de restreindre légalement les pouvoirs de la Chambre des Lords en ce qui concerne les projets de loi autres que les mesures financières, de façon que tout projet de loi de cette nature qui aura été adopté par la Chambre des communes dans trois sessions successives et qui, ayant été envoyé à la Chambre des Lords au moins un mois avant la fin de la session, aura été rejeté par cette Chambre à chacune de ces sessions, acquière force de loi sans le consentement de la Chambre des Lords, sur proclamation de la sanction royale; toutefois, au moins deux années devront s'être écoulées entre la date à laquelle le projet de loi a été présenté la première fois à la Chambre des communes et la date à laquelle il est voté une troisième fois par la Chambre des communes .
Pour l'application de la présente résolution, un projet de loi sera réputé avoir été rejeté par la Chambre des Lords s'il n'a pas été adopté par la Chambre des Lords sans amendement ou s'il l'a été avec les seules modifications agréées par les deux Chambres.
Il était ensuite question de la durée des législatures :
« Qu'il est opportun de limiter à cinq ans la durée des législatures ».
À la suite de l'adoption de ces résolutions par la Chambre, un projet de loi fut présenté, mais les choses en restèrent là. Au cours de la première session du nouveau Parlement qui se réunit l'année suivante, le projet de loi fut présenté de nouveau, fut adopté par les deux Chambres et reçut la sanction royale sous le titre « Parliament Act, 1911 ».
Il importe que tous les Canadiens qui se soucient de savoir qui décide comment sont dépensés les deniers publics sachent qu'en Grande-Bretagne, cette question a été réglée il y a 80 ans.
Le Parlement britannique a apparemment résolu son problème il y a quelque [80] ans, la Chambre des Lords reconnaissant, en droit, l'autorité ultime de la Chambre des communes en ce qui concerne les mesures financières. Tel n'est pas le cas pour le Canada. Le Sénat a régulièrement refusé de concéder le pouvoir de modification des mesures financières. Je prie les députés de se reporter au rapport Ross déposé au Sénat du Canada le 15 mai 1918 et subséquemment adopté par la Chambre haute, qui rejetait le point de vue de la Chambre des communes au sujet de la Constitution. À la page 199 des Procès-verbaux du Sénat du 15 mai 1918, le rapport Ross énonce ce qui suit :
Quand la Chambre des communes du Canada prétend pouvoir entraîner le Sénat au-dessous d'elle, comme les Communes ont fait de la Chambre des Lords en Angleterre, grâce au pouvoir neutralisant ...
C'est-à-dire en augmentant le nombre des Lords,
[...] on peut répondre qu'elle
C'est-à-dire la Chambre des communes du Canada,
[...] n'a pas ce pouvoir et qu'elle est aussi liée que le Sénat par l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Nous avons une Constitution qui ne peut être [altérée] que par le Parlement impérial. La Chambre des communes ne peut pas adopter des règlements pour ajouter à ses pouvoirs ou pour diminuer ceux du Sénat.
C'était là le dernier rapport au Sénat d'un comité sénatorial en 1918.
Voilà où se situe le dilemme constitutionnel canadien! Si le Sénat choisissait de continuer à insister sur ses amendements, il se pourrait que les deux Chambres n'arrivent pas à résoudre leur différend et se trouvent devant une grave crise constitutionnelle. La force de notre système parlementaire réside dans le respect, par ses trois parties constituantes, soit la Couronne, le Sénat et la Chambre des communes, du rôle respectif qui leur est dévolu par la Constitution.
Les événements survenus au Royaume-Uni au début du XXe siècle ne fournissent pas au Président de la Chambre une solution à notre conflit. En raison de la pratique parlementaire canadienne actuelle, le Président de la Chambre des communes est impuissant lorsque survient une impasse constitutionnelle liée à ce vieux problème qui n'a pas encore été réglé et qui est maintenant aggravé par une profonde divergence d'opinions sur des questions d'intérêt public.
Je veux porter deux points à l'attention des députés. Je le fais, comme disent les avocats, obiter dictum. On pourrait dire que ce qui suit n'est pas essentiel à la décision. Il existe un livre intéressant et assez singulier, intitulé A Student's Manual of English Constitutional History, rédigé par Dudley Julius Medley, maître ès arts, directeur de thèse au Keble College, Oxford, et examinateur au département d'histoire moderne. Il a été publié en 1898. M. Medley parlait évidemment avant que les Britanniques retrouvent leurs esprits, si je peux m'exprimer ainsi.
Cette augmentation appréciable du nombre de membres de la Chambre des Lords a presque inévitablement entraîné un affaiblissement du sens de la responsabilité politique chez les membres de cette Chambre. Parallèlement, l'avènement du caractère entièrement représentatif de la Chambre des communes a rendu l'électorat de plus en plus intolérant devant toute intervention du pouvoir héréditaire. Ceux qui ne croient pas aux graves bouleversements constitutionnels s'accrochent à la nécessité d'une deuxième Chambre.
J'attire également l'attention des députés des deux côtés de la Chambre, car je sais que cela les intéressera, sur les commentaires prononcés le 7 septembre 1917 par sir Wilfrid Laurier. Je le répète, ce que je dis en ce moment ne fait pas partie du corps de ma décision. Je me contente de porter ces renseignements à l'attention des députés et, je l'espère, de tous les Canadiens qui m'écoutent en ce moment ou qui liront ma décision.
Sir Wilfrid Laurier, grand parlementaire, exprimait ainsi son opinion : « En vertu de l'article 78, le Sénat n'a pas le droit d'amender ou de modifier une mesure financière que lui renvoie la Chambre des communes. » Cet article 78 est identique à notre paragraphe 80(1).
Il a ajouté : « Seule la Chambre des communes a le privilège d'étudier des mesures financières. Le seul droit qu'a le Sénat, c'est de rejeter le projet de loi ou d'exprimer sa dissidence. Cette règle a été confirmée à maintes reprises en Angleterre[12]. »
Je voulais porter ces deux commentaires intéressants à l'attention des députés parce qu'une longue tradition se rattache à la question soumise. Depuis des années, tant le gouvernement que l'opposition présentent régulièrement des arguments forts sur le sens de la Constitution, sur le sens qu'elle devrait avoir pour notre pays et sur les pouvoirs de la Chambre des communes.
Je tiens à remercier la Chambre de son indulgence et de la patience avec laquelle elle a su écouter avec beaucoup d'attention cette longue explication. Cette décision n'a pas été facile, car nous touchons ici à une question fondamentale qui se situe au cœur même du régime parlementaire canadien. Permettez-moi de souligner, pour terminer, que je suis extrêmement reconnaissant envers les députés qui ont apporté à la présidence une aide tellement utile pour l'étude de cette question.
Si j'ajoutais quoi que ce soit à cette affaire, même en étant Président de la Chambre des communes, j'irais au-delà de ce que l'on me demande de faire, c'est-à-dire, trancher les questions de procédure.
Je n'ai pas à exprimer mes opinions sur l'impasse constitutionnelle que connaît en ce moment le Canada. Si des députés ou de simples Canadiens veulent spéculer sur ma pensée, ils ont évidemment le droit de le faire dans notre société libre et démocratique.
Post-scriptum
Les 7et 8 mai 1990[13], la Chambre débat d'une motion présentée par la ministre de l'Emploi et de l'immigration (l'hon. Barbara McDougall) relativement aux amendements litigieux proposés par le Sénat. La motion, qui est adoptée le 9 mai 1990, précise notamment que la Chambre « rejette certains amendements apportés par le Sénat parce qu'ils empiètent véritablement sur les droits de la Couronne en matière de gestion des finances d'une manière contraire à la pratique concernant la recommandation royale ». La motion précise que deux amendements en particulier violent « le principe enchâssé aux articles 53 et 54 de la Loi constitutionnelle de 1867et la pratique constitutionnelle ». La Chambre réaffirme ensuite « son droit démocratique exclusif et indiscutable, auquel elle ne renoncera pas, de non seulement attribuer des subsides et crédits au Souverain, mais également de désigner les objets, destinations, motifs, conditions, limitations et emplois de ces allocations législatives sans que le Sénat puisse y apporter des modification s[14] ». Le 23 octobre 1990, le Sénat renvoie un message à la Chambre dans lequel il indique qu'il n'insistera pas sur ces amendements litigieux. Le projet de loi reçoit la sanction royale plus tard au cours de la journée[15].
F0618-f
34-2
1990-04-26
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[2] Journaux, 12 mars 1990, p. 1324-1327; 21 février 1990, p. 1257-1259.
[3] Journaux, 13 mars 1990, p. 1332-1337.
[6] Débats, 11 juillet 1988, p. 17382-17385.
[7] Journaux, 23 mai 1873, p. 429-4330; 23 mai 1874, p. 317-319; 15 septembre 1917, p. 663-664; 23 mai 1918, p. 351; 11 juin 1941, p. 491-492; 14 juillet 1959, p. 707-710.
[8] Débats, 15 septembre 1917, p. 6086-6087.
[9] Débats, 14 juillet 1959, p. 6269-6270, 6272-6273.
[10] Journaux, 18 juillet 1959, p. 750-751.
[11] Journaux, 21 mars 1990, p. 1380-1384.
[12] Débats, 7 septembre 1917, p. 5664-5665.
[13] Journaux, 7 mai 1990, p. 1653-1654; 8 mai 1990, p. 1661-1664.
[14] Journaux, 9 mai 1990, p. 1668-1671.