Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre
Outrage à la Chambre : omission de la ministre de déposer des documents exigés par la loi
Débats, p. 7380-7381
Contexte
Le 30 octobre 2001, Gurmant Grewal (Surrey-Centre) soulève la question de privilège. Il prétend qu’Anne McLellan (ministre de la Justice) a porté atteinte aux privilèges de la Chambre en négligeant de respecter l’obligation de déposer une déclaration justificative à l’égard de 16 modifications apportées par son ministère à des règlements de la Loi sur les armes à feu, entre le 16 septembre 1998 et le 13 décembre 2000. Si M. Grewal reconnaît que la Loi ne fixe pas de délai précis à l’intérieur duquel le ministre doit déposer sa déclaration justificative, il insiste pour dire qu’il doit le faire dans un délai raisonnable. Il soutient en outre que la ministre a violé un ordre de la Chambre prévu dans la Loi et qu’elle prive les députés de leur capacité de vérifier la validité de ses motifs. Après avoir entendu d’autres députés, le Président prend la question en délibéré[1].
Résolution
Le Président rend sa décision le 21 novembre 2001. Il signale aux députés que la ministre a déposé, le 5 novembre 2001[2], les 16 déclarations justificatives, en plus d’une déclaration supplémentaire visant une modification subséquente. Le Président statue que si la Loi avait prévu un délai pour le dépôt, il n’aurait pas hésité à considérer cette omission comme un outrage de prime abord. Toutefois, s’il le faisait dans le cas présent, le Président se trouverait à substituer son propre jugement à la décision du Parlement. Comme aucun délai n’est précisé, il peut uniquement conclure qu’un grief légitime a été soulevé. Il profite aussi de l’occasion pour relever certaines irrégularités dans les documents déposés par la ministre, puis invite celle-ci à exhorter ses fonctionnaires à faire preuve de la diligence requise quant au respect des exigences de la Loi.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre une décision sur la question de privilège que le député de Surrey-Centre a soulevée le 30 octobre au sujet du refus de la ministre de la Justice de faire connaître ses raisons pour avoir pris certains règlements en application de la Loi sur les armes à feu.
J’aimerais remercier l’honorable député de Surrey-Centre d’avoir porté cette question à l’attention de la Chambre, ainsi que le leader du gouvernement à la Chambre, et l’honorable député de Yorkton–Melville de leur contribution à cet égard.
Le député de Surrey-Centre soutient que la ministre, en ne respectant pas les obligations que lui impose la Loi sur les armes à feu lors de la prise de règlements, a porté atteinte aux privilèges de la Chambre.
Je signale aux députés que la Loi sur les armes à feu permet à la ministre, lorsqu’elle estime que le processus réglementaire habituel établi à l’article 118 ne devrait pas être suivi, de prendre directement dans les cas prévus de nouveaux règlements ou des règlements modificatifs. Elle est toutefois tenue en pareils cas, selon le paragraphe 119(4) de la Loi, de déposer devant chaque Chambre du Parlement une déclaration énonçant les motifs sur lesquels elle fonde cette dérogation.
Le député de Surrey-Centre a porté à l’attention de la Chambre 16 cas, survenus entre le 16 septembre 1998 et le 13 décembre 2000, où la ministre s’est prévalue de ce pouvoir exceptionnel sans toutefois déposer les déclarations requises devant la Chambre. Il a fait valoir que, même si aucun délai n’était précisé dans la Loi sur les armes à feu, il était de toute évidence déraisonnable de faire attendre la Chambre jusqu’à trois ans pour le dépôt des déclarations justificatives.
Je signale aux honorables députés que la ministre a déposé, le 5 novembre dernier, 16 déclarations justificatives ainsi qu’une déclaration supplémentaire visant une modification réglementaire subséquente.
À titre de Président, la situation m’embarrasse quelque peu. En ne prescrivant pas de délai de dépôt dans la Loi, le Parlement a donné à la ministre une certaine latitude pour l’exécution de son obligation de déposer une déclaration de ses motifs. Il ne conviendrait pas que le Président impose un tel délai et substitue ainsi son propre jugement à la décision du Parlement, quel que soit mon désir de le faire.
Néanmoins, la présidence reconnaît que le grief qu’a soulevé le député semble tout à fait légitime. L’empressement avec lequel la ministre a rempli son obligation législative après que la question eut été soulevée à la Chambre donne quelque crédibilité aux allégations du député voulant que le délai dans lequel ont été déposés les documents était déraisonnable.
Le Président Fraser, dans une décision traitant d’une question semblable, s’est exprimé ainsi, et je cite les Débats du 19 avril 1993, page 18105 :
Je n’attaque personne en faisant cette observation, les députés le comprendront. Cependant, il y a, dans les ministères, des fonctionnaires qui connaissent les règles et qui sont censés veiller à leur respect.
Dans le cas qui nous occupe, le texte de loi rédigé par le ministère de la Justice contenait dans sa version originale des dispositions obligeant la ministre à déposer devant le Parlement les motifs de sa décision de déroger à l’article 118 lors de la prise de certains règlements. De plus, on retrouve dans les décrets pris dans chaque cas la formulation standard suivante :
Attendu que, aux termes du paragraphe 119(4) de la Loi sur les armes à feu, la ministre de la Justice fera déposer devant chaque Chambre du Parlement une déclaration énonçant les justificatifs sur lesquels elle se fonde,
À ces causes, sur recommandation de la ministre de la Justice et en vertu de l’alinéa X de la Loi sur les armes à feu, Son Excellence la Gouverneure générale en conseil prend le Règlement […]
La présidence doit conclure, à la lumière de ces faits, que, loin d’être un point de détail obscur enfoui dans quelque vieille loi empoussiérée, l’exigence de déposer une déclaration justificative est non seulement tout à fait claire dans la Loi, mais aussi présentée comme faisant partie intégrante de chaque décret de ce genre. Raison de plus, selon moi, de s’attendre à ce que le ministère s’y conforme rapidement, en supposant un minimum d’efficacité dans la prestation de conseils à la ministre.
Dans le cas qui nous occupe, lorsque la ministre a finalement déposé les documents manquants, plusieurs liasses de pièces justificatives ne contenaient pas le document du Conseil privé qui établit aisément le lien avec le règlement mentionné par le député de Surrey-Centre. Quant aux documents concernant le décret C.P. 2000-1783, qui se trouve dans les Journaux, en date du 5 novembre 2001, page 794, le document du Conseil privé a été fourni dans une seule langue officielle.
En principe, ces irrégularités n’invalident pas l’exécution par la ministre de son obligation législative, mais elles mettent en évidence l’insouciance qui semble caractéristique de la façon dont de telles questions sont traitées par les fonctionnaires de son ministère.
Si la Loi avait prévu un délai pour le dépôt de ces documents, je n’aurais pas hésité à considérer cette omission, de prime abord, comme un outrage et j’aurais invité l’honorable député à présenter la motion habituelle. Toutefois, comme aucun délai n’y est précisé, je ne puis que conclure qu’un grief légitime a été soulevé.
J’invite la ministre de la Justice à exhorter dorénavant ses fonctionnaires à faire preuve de la diligence requise quant au respect de ces exigences et de toute autre exigence que contiennent les lois adoptées par le Parlement. J’espère qu’à l’avenir la Chambre recevra les documents exigés par la loi en temps opportun.
En terminant, je tiens à féliciter le député de Surrey-Centre d’avoir porté cette importante question à l’attention de la Chambre. J’aimerais également rappeler aux députés que l’étude des prévisions ministérielles en comité offre une excellente occasion où ils peuvent demander aux ministres et à leurs fonctionnaires de rendre compte non seulement des politiques et des programmes de leur ministère, mais encore des relations de grande importance qu’ils entretiennent avec le Parlement, y compris le respect d’exigences de ce genre établies dans les lois que nous adoptons.
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[1] Débats, 30 octobre 2001, p. 6735-6737.
[2] Journaux, 5 novembre 2001, p. 793-795.