Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre
Outrage à la Chambre : hauts fonctionnaires du Parlement; haut fonctionnaire parlant d’un autre haut fonctionnaire
Débats, p. 4276-4277
Contexte
Le 11 mai 2001, Peter MacKay (Pictou–Antigonish–Guysborough) soulève la question de privilège au sujet d’une lettre que le commissaire à la protection de la vie privée (George Radwanski) a écrite au commissaire à l’information (John Reid). M. MacKay prétend que la lettre constitue une critique publique directe d’un haut fonctionnaire du Parlement à l’endroit du travail d’un autre haut fonctionnaire du Parlement, que cette critique érode la confiance du public envers celui-ci et que la lettre constitue un outrage à la Chambre et à ses représentants. En particulier, M. MacKay allègue qu’en envoyant cette lettre, le commissaire à la protection de la vie privée s’est ingéré dans le travail du commissaire à l’information, qui donnait suite de façon légitime à une demande faite en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Après avoir entendu d’autres députés, le Président prend la question en délibéré[1].
Résolution
Le Président rend sa décision le 28 mai 2001. Il conclut qu’en soi, le fait qu’un commissaire exprime une opinion contraire à celle de l’autre ne peut être taxé d’ingérence. Il ajoute qu’il existe des aspects naturellement contradictoires entre les concepts contenus dans la Loi sur l’accès à l’information et ceux de la Loi sur la protection des renseignements personnels; il n’est donc pas surprenant que les commissaires chargés d’appliquer les deux Lois aient des opinions divergentes. Par conséquent, le Président déclare qu’à son avis, la lettre ne porte pas atteinte à la capacité du commissaire à l’information d’exercer son mandat. Quant à savoir si la conduite alléguée du commissaire, qui aurait outrepassé le mandat conféré par la loi, constitue un outrage à la Chambre, le Président souligne qu’il n’est pas dans le mandat du Président de se prononcer sur des questions de droit ni d’interpréter le mandat que la Loi sur la protection des renseignements personnels confère au commissaire. Il recommande aux députés, s’ils l’estiment nécessaire, de faire appel au Comité permanent de la justice et des droits de la personne pour examiner la question du mandat du commissaire à la protection de la vie privée et pour discuter avec les commissaires eux-mêmes de la question des communications appropriées.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée par le député de Pictou–Antigonish–Guysborough portant sur l’ingérence du commissaire à la protection de la vie privée, M. George Radwanski, dans les activités du commissaire à l’information, M. John Reid.
Le député de Pictou–Antigonish–Guysborough a affirmé que le contenu de la lettre qu’a envoyée le commissaire à la protection de la vie privée à M. Reid constituait une attaque contre le commissaire à l’information, qui est un haut fonctionnaire du Parlement. Il soutient que cette attaque aurait érodé la confiance du public envers le Parlement et qu’elle constitue un outrage tant à la Chambre qu’à ses hauts fonctionnaires.
Je remercie l’honorable député de Pictou–Antigonish–Guysborough d’avoir porté cette question à l’attention de la présidence. Je remercie également le leader du gouvernement à la Chambre et le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre de leurs interventions intéressantes à ce sujet.
Seul un petit nombre de personnes ont l’honneur d’occuper un poste de haut fonctionnaire du Parlement. L’importance qu’accorde le Parlement aux responsabilités qui leur sont confiées est tellement grande que ces personnes sont nommées par une résolution du Parlement plutôt que par un décret du gouverneur en conseil.
Étant donné la relation particulière qui lie ces personnes à la Chambre des communes, toute mesure qui les touche ou qui a une incidence sur leur capacité d’exercer leurs fonctions est surveillée de très près par les députés.
L’honorable député de Pictou–Antigonish–Guysborough a fait part à la Chambre de ses préoccupations légitimes quant à la tentative du commissaire à la protection de la vie privée d’influencer le commissaire à l’information. Cette tentative a pris la forme d’une lettre ouverte qui a été non seulement rendue publique, mais aussi largement diffusée par le signataire, alors que le commissaire à l’information avait déjà interjeté appel à la Cour suprême dans ce dossier.
Selon moi, la situation qui nous occupe ici soulève deux questions. Le geste du commissaire à la protection de la vie privée a-t-il porté atteinte à la capacité du commissaire à l’information d’exercer ses fonctions? Son comportement peut-il être qualifié d’inapproprié?
J’ai examiné avec une grande attention la lettre qu’a envoyée M. Radwanski à M. Reid. Il ne fait aucun doute qu’elle tente d’influencer le commissaire à l’information, et ce, par le recours à l’interprétation des lois et à la jurisprudence.
Il ne m’appartient pas d’évaluer le bien-fondé des arguments qu’a présentés le commissaire à la protection de la vie privée, ni de prédire si cette lettre aura un effet persuasif sur le commissaire à l’information. Je dois pourtant conclure que, en soi, le fait qu’un commissaire fasse état d’une opinion contraire à celle de l’autre commissaire ne peut être taxé d’ingérence.
En effet, il faut reconnaître qu’il existe des aspects naturellement contradictoires entre les concepts contenus dans la Loi sur l’accès à l’information et ceux formulés dans la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il n’est donc pas surprenant que les commissaires respectivement chargés de l’application des deux Lois puissent avoir des opinions divergentes sur des questions de fond. Par conséquent, j’estime que la lettre ne porte pas atteinte à la capacité du commissaire à l’information d’exercer son mandat.
Passons maintenant à la question de la conduite du commissaire à la protection de la vie privée. Malgré le point de vue que celui-ci présente dans sa lettre et la formulation particulière qu’il a choisie pour l’exprimer, je ne trouve rien qui puisse être considéré comme une menace ou de l’intimidation. On peut certes déplorer que le mode d’expression du point de vue du commissaire soit une lettre publique et on peut être consterné par le fait que les médias l’ont présentée comme un épisode d’une querelle quelque peu déplacée entre deux hauts fonctionnaires. Or, il s’agit là d’une question de jugement ou d’opinion qui, comme telle, ne relève pas de la compétence de la présidence.
La seconde question à aborder consiste à déterminer si le fait, pour le commissaire à la protection de la vie privée, de rédiger, d’envoyer et de rendre publique la lettre en question constitue un outrage à la Chambre.
L’honorable député de Pictou–Antigonish–Guysborough a indiqué que, selon lui, le commissaire à la protection de la vie privée a outrepassé le mandat conféré par la loi lorsqu’il a ainsi tenté d’influencer le commissaire à l’information.
Or, comme l’a souligné l’honorable député lui-même, il n’est pas dans le mandat du Président de se prononcer sur des questions de droit.
Il n’appartient pas au Président de la Chambre des communes d’interpréter le mandat que la Loi sur la protection des renseignements personnels confère au commissaire à la protection de la vie privée. Il demeure toutefois, comme l’ont souligné le leader du gouvernement à la Chambre et le secrétaire parlementaire dans leurs interventions, que les opinions sont divergentes quant au rôle du commissaire.
Les députés en viendront peut-être à la conclusion qu’un examen de ce rôle s’impose et, plus précisément, un examen de la conception que le commissaire a de son propre rôle. Il existe déjà un forum où peut avoir lieu un tel examen; il s’agit du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Je recommanderais aux députés de faire appel à ce Comité pour traiter de la question du mandat et, en même temps, discuter avec les commissaires eux-mêmes de la question des communications appropriées.
Ni le commissaire à la protection de la vie privée ni le commissaire à l’information ne sont mandataires du gouvernement. Ils sont tous deux des hauts fonctionnaires du Parlement. Il leur incombe donc, tout autant qu’à nous-mêmes, de voir au maintien et au raffermissement de leur relation mutuelle et de leurs rapports avec le Parlement.
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[1] Débats, 11 mai 2001, p. 3936-3938.