Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre
Outrage à la Chambre : obligation pour les ministres de rendre compte au Parlement
Débats, p. 2600-2601
Contexte
Le 9 décembre 2002, John Reynolds (West Vancouver–Sunshine Coast) soulève la question de privilège pour accuser Elinor Caplan (ministre du Revenu national) d’outrage au Parlement. Il allègue qu’elle a négligé de se conformer à une obligation énoncée dans la Loi sur la gestion des finances publiques voulant qu’elle fasse rapport, dans les Comptes publics du Canada, des cas de fraude, de vol et de pertes de fonds et de biens publics, en particulier en ce qui concerne la taxe sur les produits et services[1]. Après avoir entendu un autre député, le Président suppléant (Réginald Bélair) prend la question en délibéré[2].
Résolution
Le Président rend sa décision le 12 décembre 2002. Il déclare qu’il ne lui appartient pas de statuer sur des questions de droit. Il estime qu’il y a divergence d’opinions entre M. Reynolds et la ministre sur l’interprétation juridique de la Loi, et qu’il s’agit donc davantage d’un point de débat que d’une question de procédure. Toutefois, l’affaire présente des difficultés pour la Chambre, puisque le gouvernement, avant de modifier la façon de rapporter les Comptes publics, n’a pas cherché à consulter les députés ou à obtenir leur approbation, ni même à les informer des changements. Le Président fait valoir que pour s’acquitter efficacement de leur tâche consistant à demander des comptes au gouvernement, les députés doivent recevoir des renseignements complets et exacts au moment opportun. Il conclut en disant que même s’il n’y a pas, à strictement parler, d’irrégularité sur le plan de la procédure, il serait bon que les députés se penchent sur la question par l’entremise du Comité permanent des comptes publics.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question soulevée le 9 décembre 2002 par le député de West Vancouver–Sunshine Coast, qui soutient que le gouvernement aurait omis de faire rapport des cas de fraude liée à la taxe sur les produits et services. Il accuse la ministre du Revenu national d’outrage au Parlement pour avoir omis de faire rapport de tous les cas de vol, de fraude et de perte de recettes fiscales dans les Comptes publics du Canada, comme l’exige la Loi sur la gestion des finances publiques.
Je tiens à remercier l’honorable député de West Vancouver–Sunshine Coast d’avoir soulevé cette question, ainsi que le leader du gouvernement à la Chambre de sa contribution à cet égard.
En se reportant aux articles 23 et 24 de la Loi sur la gestion des finances publiques qui traitent de la remise de taxes, le député de West Vancouver–Sunshine Coast a cité le paragraphe 24(2), qui est libellé ainsi :
Il est fait état, en la forme fixée par le Conseil du Trésor, des remises accordées au cours d’un exercice sous le régime de la présente loi ou d’une autre loi fédérale dans les Comptes publics de l’exercice.
Malgré la pratique bien établie selon laquelle le Président ne se prononce pas sur les questions de droit, je suppose qu’on peut se demander si les fonds que verse l’Agence des douanes et du revenu du Canada en réponse aux demandes frauduleuses représentent des « remises » en vertu de cet article. Par souci de précision, je dois signaler à cet égard qu’une « remise » n’est pas la même chose qu’une « perte ».
La présidence trouve plus éclairantes les questions qu’a soulevées le député de West Vancouver–Sunshine Coast dans le contexte de l’article 79 de la Loi sur la gestion des finances publiques. J’y reviendrai dans un moment.
L’honorable député a aussi mentionné l’article paru le samedi 7 décembre dans le National Post, qui allègue que le gouvernement aurait omis, depuis 1995, de faire rapport des pertes de fonds publics imputables aux fausses réclamations de remboursement de la TPS.
Dans une note écrite adressée à la présidence, la ministre du Revenu national a confirmé que, à la suite d’une entente intervenue en 1995 entre le ministère du Revenu national et le Conseil du Trésor, son ministère a cessé de faire état dans les Comptes publics, sur une base annuelle, des pertes dues à la fraude. D’après la ministre, presque toutes les pertes confirmées de ce genre résultaient de décisions judiciaires rendues quelques mois ou années après leur constatation.
En expliquant que les éléments figurant aux Comptes publics d’un exercice donné doivent être survenus pendant cet exercice, la ministre soutient que l’intervalle de temps entre la constatation des pertes et leur confirmation par les tribunaux rendait impossible leur inscription dans les Comptes publics au moment voulu. Elle signale que son ministère (devenu une agence) a consulté le Conseil du Trésor afin de régler cette difficulté et qu’ils sont arrivés à la conclusion que le respect des exigences de la Loi sur la gestion des finances publiques pouvait être assuré au moyen des informations générales sur les radiations de pertes de taxes comprises dans les Comptes publics, ainsi que par les bulletins aux médias publiés chaque fois qu’une « perte » était confirmée par la décision d’un tribunal.
Bref, la ministre soutient que l’Agence des douanes et du revenu du Canada respecte entièrement la Loi du fait que le Conseil du Trésor a donné son accord à cette méthode de rapport.
Bien entendu, il ne revient pas au Président de décider si l’Agence agit en conformité avec la Loi. Comme je l’ai déjà dit récemment dans diverses décisions, c’est un principe bien établi que le Président ne se prononce pas sur des questions de droit.
Il est évident que le leader de l’Opposition officielle à la Chambre et la ministre ont une divergence d’opinions sur l’interprétation des points juridiques découlant des faits de cette affaire. Il s’agit là d’un point de débat et il existe plusieurs possibilités pour en discuter à la Chambre ou en comité. Comme il ne s’agit pas d’une question de procédure, je n’ai pas à en traiter plus longuement.
Par contre, cette affaire soulève une autre question qui me donne à réfléchir et qui, je crois, présente des difficultés pour les députés des deux côtés de la Chambre. Nous savons tous que les députés ne peuvent pas s’acquitter de la fonction importante de tenir le gouvernement responsable de ses actes s’ils ne reçoivent pas des renseignements complets et exacts au moment opportun. Or, les députés doivent s’en remettre au gouvernement pour obtenir une grande partie de ces renseignements, notamment dans des documents comme les Comptes publics.
La présidence s’inquiète du fait que, même si Revenu Canada était aux prises avec une difficulté de rapport et a demandé, à juste titre, l’avis et l’approbation du Conseil du Trésor pour les mesures correctives à prendre, rien n’a été fait pour consulter le Parlement.
Comme la ministre elle-même l’a dit dans sa note écrite :
L’article 79 de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP) donne le pouvoir de prendre un règlement pour prescrire, entre autres, la façon de faire rapport des pertes de fonds publics dans les Comptes publics. Le Conseil du Trésor a choisi d’énoncer ces exigences dans une politique plutôt que dans un règlement.
Il fait peu de doute que la décision du Conseil du Trésor d’adopter une politique au lieu de prendre un règlement lui offre une plus grande souplesse pour régler les différents cas qui surviennent. Toutefois, cette décision n’écarte pas la responsabilité de rendre compte au Parlement. Autrement dit, si le Conseil du Trésor avait choisi d’exercer son pouvoir de prendre un règlement à cet égard, du moins le Comité mixte permanent d’examen de la réglementation aurait eu l’occasion de détecter tout changement dans la méthode utilisée pour faire rapport de telles pertes.
Dans l’état actuel des choses, non seulement on n’a pas demandé l’accord des députés quant à la nouvelle méthode de rapport convenue entre le ministère et le Conseil du Trésor, mais on n’a fait aucune mention du changement dans les Comptes publics.
Des renseignements qui étaient disponibles une année ont tout simplement disparu l’année suivante sans aucune explication. Il est sûrement incorrect de soutenir, comme l’a fait la ministre dans sa note écrite, que les informations générales sur les radiations de pertes de taxes figurant dans les Comptes publics et les bulletins aux médias concernant les décisions des tribunaux sont suffisants ou assez clairs pour les besoins des parlementaires.
Je le répète, à strictement parler, il ne s’agit pas ici d’une question de procédure, mais plutôt d’une question qui touche directement le droit des honorables députés de recevoir des renseignements exacts aux moments opportuns. Ceux-ci voudront peut-être poursuivre la question dans un forum plus approprié, tel le Comité permanent des comptes publics, qui a un président de l’opposition, lequel est très compétent.
Je remercie le leader de l’Opposition officielle à la Chambre d’avoir soulevé cette question. Bien qu’on ne puisse conclure à une irrégularité de procédure au sens strict, la question demeure une source de préoccupation pour l’ensemble des députés.
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[1] Débats, 9 décembre 2002, p. 2411-2412.