Le privilège parlementaire / Droits des députés
Protection contre l’obstruction, l’ingérence, l’intimidation et la brutalité : violation de la confidentialité d’une réunion de caucus; question fondée de prime abord
Débats, p. 1711-1712
Contexte
Le 11 mars 2004, John O’Reilly (Haliburton–Victoria–Brock) soulève la question de privilège au sujet de la divulgation aux médias de l’enregistrement, d’origine inconnue, du contenu confidentiel d’une réunion du caucus libéral de l’Ontario. M. O’Reilly soutient que ses droits à la vie privée dans l’enceinte parlementaire, conformément à l’article 193 du Code criminel (interception d’une communication privée à l’aide d’un dispositif électromagnétique), ont été violés. Après avoir entendu un autre député, le Président, soulignant la gravité des allégations soulevées par M. O’Reilly, déclare qu’il a ordonné la tenue d’une enquête sur la fuite du compte rendu de la réunion et qu’il continue de se pencher sur la question[1].
Résolution
Le Président rend sa décision le 25 mars 2004. Il rapporte que le personnel chargé de préparer la salle de réunion avait, par inadvertance, laissé l’équipement de radiodiffusion en mode de fonctionnement, plutôt qu’en mode de verrouillage, ce qui permet à la fois de radiodiffuser et d’enregistrer les réunions. C’est ainsi que les délibérations ont été radiodiffusées sans autorisation. Quant à savoir si la diffusion de l’information confidentielle constitue une infraction au Code criminel, le Président déclare qu’il ne lui revient pas de se prononcer sur cette question, mais que les députés étaient bien sûr libres d’y donner suite ailleurs. Le Président précise que l’essentiel de la question n’est pas la fuite de renseignements, mais la publication de renseignements provenant d’une réunion privée. Il explique que le respect de la confidentialité des affaires des caucus est essentiel aux travaux de la Chambre et des députés. La décision de publier une fuite provenant d’une réunion de caucus témoigne d’une attitude méprisante à l’égard du droit à la vie privée des députés, ce dont tous les députés ont besoin pour s’acquitter de leur devoir. Déclarant que cette situation ne peut rester sans réponse, il conclut qu’il y a, de prime abord, atteinte au privilège et invite M. O’Reilly à proposer la motion de circonstance.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis également prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée par les honorables députés de Haliburton–Victoria–Brock et de Scarborough–Rouge River le 11 mars 2004 au sujet de l’enregistrement, de la divulgation aux médias et de la publication subséquente des délibérations confidentielles de la réunion du caucus libéral de l’Ontario qui a eu lieu le 25 février dernier à la pièce [253-D][2] de l’édifice de l’Ouest.
J’aimerais remercier les députés de Haliburton–Victoria–Brock et de Scarborough–Rouge River d’avoir soulevé cette question extrêmement sérieuse.
Lors de son intervention, le député de Haliburton–Victoria–Brock a déploré le fait que Sun Media avait publié le contenu d’un enregistrement d’une réunion confidentielle. Il a fait valoir que ce geste non seulement violait son droit à la vie privée et celui de ses électeurs, mais aussi portait atteinte à sa faculté de parler en privé au nom de ses électeurs.
Après avoir souligné que les locaux où s’est tenue la réunion en question servent à diverses fins et sont souvent utilisés par les députés de tous les partis pour de nombreuses réunions confidentielles de tous genres, l’honorable député de Haliburton–Victoria–Brock a demandé au Président de faire enquête sur la situation afin de garantir la protection de ses droits à titre de député.
Dans son intervention, le député de Scarborough–Rouge River a demandé à la présidence d’examiner trois aspects de cette situation. D’abord, il a allégué que la divulgation par le journal Ottawa Sun du compte rendu de la réunion du 25 février constituait une atteinte au privilège. En deuxième lieu, il a indiqué qu’une infraction au Code criminel avait peut-être été commise. En dernier lieu, il a attiré l’attention de la présidence sur le rapport entre la conduite des médias à l’intérieur et aux alentours du Parlement, sur les privilèges spéciaux que la Chambre accorde aux médias et sur la violation par ceux-ci des règles de la Chambre régissant le caractère confidentiel des réunions privées.
Pour terminer, le député de Scarborough–Rouge River a fait savoir qu’il était disposé à présenter la motion voulue si la présidence jugeait qu’il y avait matière à question de privilège.
Comme je l’ai mentionné le 11 mars dernier, la présidence prend très au sérieux les questions de ce genre. Le Président Bosley a été confronté à une situation semblable le 30 janvier 1986, lorsqu’il y avait eu des allégations d’écoute électronique lors d’une réunion de caucus. Tout comme l’a affirmé le Président Bosley à cette occasion, et je renvoie les députés à la page 10336 des Débats du 30 janvier 1986, je peux assurer aux députés que, chaque fois que votre Président reçoit des plaintes de ce genre, il y donne suite aussi rapidement qu’humainement possible.
Dans le cas qui nous occupe, j’avais demandé, avant même que les députés soulèvent la question devant la Chambre, un rapport complet sur la fuite en question. Ce rapport indique qu’il y a en effet eu une erreur humaine. Plus particulièrement, lors de la vérification de l’équipement préalable à la réunion, le personnel chargé de préparer la salle a, par inadvertance, laissé l’équipement en mode de fonctionnement, mode « Lock-in », au lieu de le mettre en mode de verrouillage, mode « Lock-out ». Ce mode rend possible la radiodiffusion des délibérations qui se déroulent dans une salle et permet à quiconque en reçoit la transmission au moyen d’un récepteur FM de les enregistrer.
Il importe de souligner, cependant, que la radiodiffusion des délibérations ne pouvait avoir lieu que si quelqu’un avait activé le bouton de diffusion sur la console de la salle de réunion. Or, nous ne savons toujours pas comment ce mécanisme a été activé et qui aurait pu le faire. Cependant, je tiens à assurer la Chambre que j’ai demandé à mes fonctionnaires de prendre toutes les précautions administratives raisonnables pour empêcher qu’une telle situation ne se reproduise.
Cela dit, la présidence pourrait, dans certaines circonstances, en rester là et considérer l’affaire close. Si la situation comportait simplement une plainte au sujet des services de la Chambre qu’on pourrait attribuer directement à l’erreur humaine, il n’y aurait pas matière à question de privilège. Or, le cas qui nous occupe n’est pas aussi simple que cela.
Il est certes vrai qu’une erreur humaine a été commise par le personnel. Toutefois, cette erreur n’explique pas l’activation subséquente du mécanisme qui a permis la fuite. Comme les députés l’ont mentionné, il pourrait y avoir eu des intentions malveillantes de la part d’une ou de plusieurs personnes inconnues et il se peut qu’une infraction au Code criminel ait été commise. Il ne revient pas au Président de se prononcer sur cette question, bien qu’il s’agisse d’une allégation à laquelle les députés voudront peut-être donner suite ailleurs.
Pour la présidence, l’essentiel de la question n’est pas la fuite des renseignements mais la publication d’une fuite de renseignements provenant manifestement d’une réunion privée. Le respect de la confidentialité des affaires du caucus est essentiel aux opérations de la Chambre et aux travaux des députés. La décision de publier une fuite provenant d’une réunion de caucus est, à mon avis, un exemple flagrant d’une attitude cavalière et méprisante à l’égard du droit à la vie privée dont les députés ont besoin pour faire leur travail. Il s’agit là d’une situation qui ne peut rester sans réponse.
Par conséquent, après examen de la situation concernant la publication d’une fuite provenant de la réunion de caucus du 25 février, je conclus qu’il y a, de prime abord, atteinte au privilège et je suis maintenant prêt à recevoir une motion à cet égard.
Post-scriptum
M. O’Reilly propose que la question soit renvoyée au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, et la motion est adoptée[3]. Le 26 avril 2004, le Comité présente son 22e rapport, dans lequel il conclut que l’Administration de la Chambre a traité l’affaire de manière satisfaisante[4]. (Note de la rédaction : Le rapport n’a pas été adopté.)
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[1] Débats, 11 mars 2004, p. 1408-1410.
[2] Les Débats publiés indiquaient « 253-B » au lieu de « 253-D ».
[3] Débats, 25 mars 2004, p. 1711-1712.