Le privilège parlementaire / Droits des députés
Protection contre l’obstruction, l’ingérence, l’intimidation et la brutalité : accès à l’information prétendument bloqué par un fonctionnaire
Débats, p. 2539-2540
Contexte
Le 29 janvier 2008, Paul Szabo (Mississauga-Sud) soulève la question de privilège après avoir tenté d’obtenir de l’information auprès de Santé Canada au nom d’un électeur. Il allègue que le fonctionnaire avec qui il a parlé lui a demandé de confirmer s’il était membre de l’opposition. Le fonctionnaire lui a dit qu’il lui posait la question parce qu’il devait inscrire ce renseignement dans un formulaire détaillé qui servirait à déterminer ce qui pourrait être dit au député et à préparer le ministère, au cas où la question ferait surface à la période des questions. M. Szabo précise que le fonctionnaire lui a aussi avoué que si l’électeur avait appelé lui-même, on lui aurait répondu immédiatement. Il prétend qu’on l’a empêché de servir ses électeurs. Après avoir entendu d’autres députés, le Président prend la question en délibéré. Plus tard, Tony Clement (ministre de la Santé et ministre de l’Initiative fédérale du développement économique dans le Nord de l’Ontario) répond que demander à un député s’il fait partie de l’opposition n’est pas une procédure normale et qu’il fera savoir aux fonctionnaires que ce n’est ni pertinent ni approprié[1]. Le 31 janvier 2008, le ministre intervient de nouveau sur la question pour expliquer la procédure normalement suivie lors de demandes de renseignements et déclare que M. Szabo a reçu l’information demandée. Le ministre confirme aussi qu’il a fait supprimer la question sur l’appartenance politique des députés du formulaire, un héritage du gouvernement précédent. M. Szabo rétorque que le ministre a induit la Chambre en erreur, que ce qui est ressorti ne correspond pas à ce que le ministre a décrit et que l’information qu’il a demandée ne lui a pas été fournie. Le Président prend la question en délibéré et encourage le ministre et le député à se rencontrer pour résoudre leur différend[2].
Résolution
Le Président rend sa décision le 4 février 2008. Il souligne que la question soulève plusieurs problèmes, mais que le plus important à ses yeux consiste à déterminer si la façon dont les fonctionnaires répondent aux députés dans les dossiers qui concernent les circonscriptions constitue, de prime abord, une atteinte au privilège ou un outrage à la Chambre. Le Président reconnaît les craintes légitimes des députés quant à l’efficacité des méthodes employées par les fonctionnaires, mais statue que les activités relatives aux circonscriptions ne font généralement pas partie des « délibérations du Parlement ». Par conséquent, étant donné que le député n’a pas été empêché de s’acquitter de ses fonctions parlementaires, le Président conclut qu’il n’y a pas eu, de prime abord, atteinte au privilège ou outrage à la Chambre.
Décision de la présidence
Le Président : Avant que la Chambre n’aborde les Ordres émanant du gouvernement, je dois rendre une décision.
Je suis prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le mardi 29 janvier 2008, par le député de Mississauga-Sud, qui affirme que les députés de l’opposition voient l’exercice de leurs fonctions entravé par la façon dont les fonctionnaires traitent leurs demandes de renseignements.
J’aimerais remercier le député d’avoir soulevé cette question et d’avoir fait bénéficier la présidence d’autres observations depuis. Je tiens également à remercier le député de Joliette, la députée de Vancouver-Est et le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre d’être intervenus lorsque la question a été soulevée, ainsi que le député de Yukon et le député de Scarborough–Rouge River, qui nous ont par la suite fait part de leur opinion sur le sujet. Enfin, je remercie le ministre de la Santé d’être intervenu à deux reprises à la Chambre pour nous expliquer la façon dont procède son ministère et les mesures que prend celui-ci pour améliorer ses pratiques.
Lors de son intervention, le député de Mississauga-Sud a affirmé que les fonctionnaires du ministère de la Santé traitent les demandes de renseignements des députés de l’opposition différemment de celles des députés du parti au pouvoir.
Il a dit que lorsqu’un de ses employés a tenté d’obtenir des renseignements auprès du ministère pour le compte de l’un de ses électeurs, les fonctionnaires lui ont demandé si le député qui requérait ces renseignements était membre de l’opposition.
Par la suite, le ministère a informé le député personnellement que lorsque les fonctionnaires répondent à des députés, ils doivent remplir un formulaire et y inscrire les détails de la demande.
Soutenant que cette exigence avait retardé le traitement de la demande de renseignements, le député a prétendu que le fonctionnaire avait reconnu qu’il aurait communiqué immédiatement le même renseignement aux électeurs qui auraient appelé le ministère eux-mêmes. Le député a conclu que cette façon de faire constituait une entrave à l’exercice de ses fonctions de député.
Les députés de Joliette et de Vancouver-Est se sont dits très troublés par cette affaire et ont signalé les conséquences que pouvait entraîner cette façon de faire sur la capacité des députés de l’opposition de remplir leurs fonctions sans entraves.
Le député de Scarborough–Rouge River a souligné que la procédure dont le député s’était plaint constitue une forme d’obstruction au travail des députés puisqu’elle retarde l’obtention de renseignements qu’un simple citoyen pourrait pourtant obtenir promptement. Il signale que cette situation compromet la capacité des députés de servir leurs électeurs de façon adéquate et efficace.
Le ministre de la Santé a pour sa part indiqué, lors de sa première intervention, que le fait de prier le demandeur de préciser à quel parti appartient le député pour qui il fait la demande ne fait pas partie de la procédure normale appliquée par les fonctionnaires de son ministère.
Il a toutefois expliqué plus tard à la Chambre que son ministère demande effectivement aux fonctionnaires qui répondent aux demandes de remplir un formulaire qui s’enquiert de l’affiliation politique du demandeur.
Il a ajouté que cette pratique avait simplement pour but de tenir les fonctionnaires du ministère qui sont chargés des affaires parlementaires au fait des dossiers et de la possibilité de devoir assurer un suivi aux demandes. Il a reconnu que le fait de demander à quel parti appartient le député qui se renseigne pouvait être mal interprété et que cet usage serait modifié sans délai.
Aux yeux de la présidence, l’affaire soulevée par le député de Mississauga-Sud met en lumière deux problèmes importants. Le premier a trait au processus qu’applique la fonction publique lorsqu’elle répond aux demandes de renseignements des députés et à la distinction qu’elle ferait supposément entre les demandes, selon le côté de la Chambre où siège leur auteur.
L’autre problème a trait à la possibilité qu’en procédant ainsi, on empêche des députés d’assurer rapidement à leurs électeurs les services qu’ils requièrent, une entrave qui peut donner aux électeurs l’impression que leurs députés ne répondent pas à leurs besoins de façon efficace.
Du point de vue de la présidence, toutefois, l’affaire est beaucoup plus simple : la façon dont les fonctionnaires répondent aux députés dans les dossiers qui concernent les circonscriptions constitue-t-elle, à première vue, une atteinte au privilège parlementaire ou un outrage à la Chambre?
Le 15 mai 1985, le Président Bosley, lorsqu’il s’est prononcé sur une question de privilège soulevée par deux députés alléguant qu’un ministère avait ordonné à ses fonctionnaires de ne pas divulguer de renseignements sur certains projets et que cela les empêchait de bien servir leurs électeurs, a dit ce qui suit, comme on peut le lire à la page 4769 des Débats :
On a admis à maintes reprises à la Chambre qu’une plainte sur les agissements ou sur l’inaction du gouvernement ne pouvait donner lieu à la question de privilège.
À la page 143 de la 23e édition de son ouvrage, Erskine May fait état du même principe dans les termes suivants :
La correspondance avec les électeurs ou des organismes officiels, […] et la communication de renseignements demandés par les députés sur des questions d’intérêt public tomberont très souvent, selon les circonstances, hors de la définition de « délibérations du Parlement » qui sert à établir s’il y a eu atteinte au privilège.
De plus, se prononçant sur une question de privilège similaire le 9 octobre 1997, à la page 687 des Débats, le Président Parent a déclaré ce qui suit, et je cite :
[…] pour qu’un député puisse soutenir qu’il y a eu atteinte à un privilège ou outrage, il doit avoir agi à titre de député, c’est-à-dire avoir effectivement participé aux délibérations du Parlement. Les activités des députés dans leur circonscription ne semblent pas correspondre à la définition de « délibérations du Parlement. »
Et il a ajouté :
Dans les cas où des députés ont soutenu avoir été gênés ou brimés, non pas directement dans leur rôle de représentant élu, mais alors qu’ils s’adonnaient à des activités de nature politique ou liées à leur circonscription, les Présidents ont de façon constante décidé que ces agissements ne constituaient pas une atteinte au privilège.
Je puis assurer à la Chambre que la présidence comprend que les députés souhaitent servir leurs électeurs avec toute la diligence et l’efficacité possibles. En fait, à une autre époque, alors que j’étais député de Kingston-et-les-Îles, je m’employais à cette tâche louable avec autant de passion que tous mes collègues.
Toutefois, en tant que Président, je dois considérer les choses à travers le prisme assez étroit du privilège parlementaire et, sous cet angle, il n’apparaît pas à la présidence qu’il y ait eu entrave à l’exercice des fonctions parlementaires des députés. Je ne peux donc conclure qu’il y a eu atteinte au privilège à première vue.
Cela dit, le député de Mississauga-Sud et d’autres ont fait valoir des craintes légitimes au sujet de l’efficacité des méthodes employées par les fonctionnaires qui répondent aux demandes de renseignements des députés. Ils disposent d’autres moyens pour faire examiner cette question, le plus notable étant les comités permanents compétents, qui peuvent se renseigner sur les façons de faire en usage dans les divers ministères et agences et formuler des recommandations pouvant aider ces fonctionnaires à répondre plus efficacement aux besoins des députés qui cherchent à obtenir des renseignements pour le compte de leurs électeurs.
Je remercie le député de Mississauga-Sud d’avoir porté cette question à l’attention de la Chambre.
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[1] Débats, 29 janvier 2008, p. 2269-2271, 2282, 2313-2314.
[2] Débats, 31 janvier 2008, p. 2432-2434.