Le processus législatif / Étapes
Adoption des amendements du Sénat : demande en vue de diviser un projet de loi
Débats, p. 2334-2336
Contexte
Le 4 décembre 2002, Bill Blaikie (Winnipeg–Transcona) invoque le Règlement au sujet d’une instruction donnée par le Sénat à son Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles de scinder en deux le projet de loi C-10, Loi modifiant le Code criminel (cruauté envers les animaux et armes à feu) et la Loi sur les armes à feu[1]. M. Blaikie soutient qu’il n’appartient pas au Sénat de scinder un projet de loi adopté par la Chambre des communes et que, étant donné que le projet de loi original est accompagné d’une recommandation royale, sa division aboutirait à la création de deux nouveaux projets de loi émanant du Sénat, dont au moins un engagerait des fonds publics, ce qui porterait atteinte à l’initiative financière de la Chambre. Étant donné qu’au moment où M. Blaikie invoque le Règlement, la Chambre n’a reçu aucun message du Sénat et qu’aucun avis de motion n’a été donné pour envoyer un message au Sénat, le Président déclare qu’il ne rendra pas de décision tant que la Chambre n’aura pas reçu de message et affirme que, en fin de compte, c’est à la Chambre d’en décider. M. Blaikie demande alors le consentement unanime de la Chambre en vue d’envoyer un message au Sénat pour lui demander de revenir sur sa décision, ce qui lui est refusé. Après réception, à la fin de la séance du 4 décembre, du message du Sénat indiquant que le projet de loi a été scindé en deux et demandant à la Chambre de consentir à la division, Carol Skelton (Saskatoon–Rosetown–Biggar) invoque le Règlement le lendemain en soutenant que le Sénat ne peut diviser un projet de loi émanant de la Chambre et que la Chambre ne peut renoncer à son privilège[2]. Tout de suite après, Peter MacKay (Pictou–Antigonish–Guysborough) soulève la question de privilège sur le même sujet. D’autres députés interviennent aussi.
Résolution
Le Président rend sa décision le 5 décembre 2002. Étant donné qu’il n’y a eu aucun changement du contexte, des modalités et de l’objet de l’affectation des deniers publics prévue par la mesure législative faisant l’objet de la recommandation royale, il ne voit pas la nécessité d’insister sur le respect des prérogatives financières de la Chambre. Il affirme que les privilèges de la Chambre seraient effectivement mis en cause si le Sénat scindait un projet de loi de la Chambre sans son accord. Mais comme, en l’occurrence, le Sénat a bel et bien demandé l’accord de la Chambre, le Président souligne que c’est à la Chambre de décider comment répondre à la demande du Sénat, soit en faisant valoir ses privilèges, soit en y renonçant, par la voie d’une motion. Par conséquent, le Président statue qu’il n’y a pas d’atteinte au privilège.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis prêt à rendre ma décision sur le recours au Règlement soulevé hier par le député de Winnipeg–Transcona et de nouveau aujourd’hui par le député de Saskatoon–Rosetown–Biggar, puis sur la question de privilège soulevée par le député de Pictou–Antigonish–Guysborough ce matin au sujet du message reçu du Sénat concernant le projet de loi C-10, Loi modifiant le Code criminel (cruauté envers les animaux et armes à feu) et la Loi sur les armes à feu, et sur les mesures prises par l’autre endroit relativement à ce projet de loi.
J’aimerais remercier l’honorable député d’Acadie–Bathurst, l’honorable secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes et l’honorable député de Sarnia–Lambton pour leurs interventions.
Le mercredi 4 décembre, le député de Winnipeg–Transcona a invoqué le Règlement afin d’attirer l’attention de la Chambre sur la mesure prise par le Sénat de scinder le projet de loi C-10 en deux projets de loi, le projet de loi C-10A, qui a été adopté par l’autre endroit, et le projet de loi C-10B, qui y est encore. Le député a souligné que c’est la Chambre des communes qui a le pouvoir de scinder des projets de loi et de déterminer la façon de procéder à cet égard. À ce moment-là, aucun message n’avait encore été reçu de l’autre endroit, de sorte que la question n’était, aux yeux de la présidence, qu’hypothétique. La présidence n’était pas prête à étudier une question purement théorique, estimant que c’était inopportun tant qu’on n’aurait pas reçu de message. J’ai toutefois fait ressortir que même si la présidence avait quelque chose à dire en cette matière, c’était uniquement à la Chambre de décider de le faire.
Un message du Sénat sur le projet de loi C-10 a été reçu à la fin de la séance, mercredi, et on peut maintenant dire que la Chambre a été saisie de la question d’une manière conforme au Règlement. Il y a également une motion au Feuilleton qui porte sur l’étude des amendements que le Sénat a proposés au projet de loi. Comme les députés le savent, cette motion peut faire l’objet d’un débat et être modifiée, et le leader parlementaire du gouvernement vient tout juste de dire qu’il a l’intention de soulever cette question à la Chambre demain.
Je tiens à signaler, dès le début, que je ne peux formuler de commentaires sur les rouages de l’honorable Sénat. Ceci serait très inapproprié.
Le fait que le projet de loi C-10 ait été ramené de la session précédente, conformément à un ordre spécial de la Chambre, n’influence en rien les délibérations ultérieures de cette Chambre ou de l’autre endroit.
Comme l’a fait remarquer la députée de Saskatoon–Rosetown–Biggar, ce n’est pas la première fois que le Sénat scinde un projet de loi de la Chambre des communes. En 1988, l’autre endroit avait scindé le projet de loi C-103, intitulé Loi visant à favoriser les possibilités de développement économique du Canada atlantique, portant création de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique ainsi que de la Société d’expansion du Cap-Breton et apportant des modifications corrélatives à certaines lois, et n’avait renvoyé qu’une partie du projet de loi à la Chambre.
La justesse de la décision du Sénat avait été remise en question, et monsieur le Président Fraser avait rendu sa décision. Cette décision, longue et fouillée, a été abondamment citée ce matin, quoique les citations m’ont semblé avoir un caractère sélectif et incomplet.
Des voix : Non.
Le Président : Je crains que oui. Je sais que les députés n’auraient pas pensé à faire une telle chose, mais il semble bien que cela se soit produit.
Dans la décision du 11 juillet 1988, aux pages 17382 à 17385 du hansard, le Président a rappelé que, dans plusieurs cas précédents le Président de la Chambre des communes avait jugé irrecevables certains projets de loi émanant du Sénat, parce qu’ils empiétaient sur les privilèges de cette Chambre en matière de finances.
Monsieur le Président Fraser a signalé deux précédents où le Sénat avait fondu deux projets de loi des Communes en un seul. Cela s’est produit, et le secrétaire parlementaire y a aussi fait référence, le 11 juin 1941. Le Sénat avait également envoyé un message demandant l’accord de cette Chambre, et les Communes avaient approuvé la proposition du Sénat. Les députés peuvent se reporter à la page 491 des Journaux du 11 juin 1941. Les Communes avaient alors renoncé à leur privilège traditionnel, et un projet de loi unique a finalement reçu la sanction royale.
Dans le cas qui s’est produit en 1941, le Sénat avait expressément demandé à la Chambre des communes d’approuver ce qu’il avait fait, et cette Chambre avait donné son accord. Dans le cas survenu en 1988, le Sénat n’a pas demandé aux Communes d’approuver la division du projet de loi et a simplement informé cette Chambre qu’elle avait scindé le projet de loi, dont elle lui a par la suite renvoyé la moitié. La Chambre n’a pas approuvé cette décision. Le Sénat est ultérieurement revenu sur sa décision et a adopté le projet de loi dans sa forme initiale.
En rendant sa décision en 1988, le Président Fraser a déclaré à la page 17384 :
La tradition veut que le Président de la Chambre ne se prononce pas en matière constitutionnelle. Il ne m’appartient pas de décider si le Sénat pouvait, en vertu de la Constitution, faire ce qu’il a fait du projet de loi C-103. Nul doute que le Sénat peut modifier un projet de loi ou le rejeter en tout ou en partie. Mais il est fort douteux, du moins à mon avis, qu’il puisse réécrire ou reformuler un projet de loi émanant de la Chambre des communes jusqu’à en modifier son principe adopté à la Chambre, sans en demander d’abord à celle-ci son accord. Il s’agit, en l’occurrence, d’une question de privilège qui n’a rien à voir avec la Constitution.
En ce qui concerne le projet de loi C-103, j’estime en toute déférence, bien sûr, que le Sénat aurait dû demander l’accord de la Chambre afin de diviser cette mesure, et qu’en ne renvoyant qu’une partie du projet de loi comme un fait accompli, il a porté atteinte aux privilèges des députés.
Dans le cas présent, contrairement à ce qui s’était passé en 1988, le Sénat demande explicitement à la Chambre d’approuver ce qu’il a fait, demande qu’il a présentée dans le message que nous avons reçu hier.
La députée de Saskatoon–Rosetown–Biggar a cité le Président Fraser, affirmant qu’il avait été porté atteinte aux privilèges de la Chambre. Toutefois, la députée n’a cité qu’une partie du passage qu’elle a lu à la Chambre; en effet le Président a dit ensuite :
Toutefois, il faut bien le comprendre, je n’ai pas le pouvoir de faire appliquer directement ma décision. Je ne peux déclarer le message du Sénat irrecevable, car cela placerait le projet de loi C-103 dans un vide juridique. Il ne serait nulle part. La solution c’est que la Chambre affirme ses privilèges et les fasse connaître, si elle le désire, à leurs Honneurs, c’est-à-dire au Sénat.
Je suis parfaitement d’accord avec le Président Fraser. À l’égard du message que nous avons reçu aujourd’hui, la Chambre peut adopter la même solution que celle qui avait été proposée à l’époque, à savoir que la Chambre affirme ses privilèges, ou y renonce si elle le désire.
Quant à la recommandation royale, la présidence ne constate aucun changement du contexte, des modalités et de l’objet de l’affectation des deniers publics prévue par la mesure législative qui a fait l’objet de la recommandation royale, et par conséquent je ne vois pas la nécessité d’intervenir pour insister sur le respect des prérogatives financières de la Chambre en l’occurrence.
Dans son intervention, le secrétaire parlementaire a fait remarquer que les dispositions financières du projet de loi C-10 s’appliquaient à la partie du projet de loi qui a été renvoyée à la Chambre en tant que projet de loi C-10A, soit la partie concernant les armes à feu, qui a été adopté par l’autre endroit sans amendement. J’ai examiné cette partie du projet de loi C-10, qui a été annexée au message du Sénat sous le titre projet de loi C-10B, la section sur la cruauté faite aux animaux, et je suis d’avis qu’il ne nécessiterait pas la recommandation royale s’il était présenté à la Chambre sous cette forme.
En guise de conclusion, je veux faire trois remarques. Premièrement, la présidence ne voit aucune raison d’intervenir concernant les aspects financiers de l’affaire. Deuxièmement, bien que le Président soit d’accord avec le Président Fraser quand il dit que les privilèges de la Chambre sont mis en cause lorsque le Sénat scinde un projet de loi de la Chambre sans avoir l’accord de cette dernière, ce n’est pas ce qui s’est passé en l’occurrence. De fait, on nous a demandé notre accord.
Je conclus donc que, à première vue, il n’y a pas matière à invoquer la question de privilège, mais je souligne que c’est à la Chambre de décider comment répondre à la demande du Sénat, ce qu’elle fera sans aucun doute en adoptant une motion à cet égard.
Enfin, je rappellerais à tous les députés qu’ils auront l’occasion de débattre pleinement la motion portant sur le message du Sénat, et qu’ils pourront proposer tous les amendements qu’ils voudront, dans les limites des règles.
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[1] Débats, 4 décembre 2002, p. 2267-2268.
[2] Débats, 5 décembre 2002, p. 2293-2302.