Les règles du débat / Ordre et décorum
Références à des députés : désaccord sur les faits; prêter des intentions à autrui; attaques personnelles
Débats, p. 7095-7097
Contexte
Le 3 juin 2005, Paul Szabo (Mississauga-Sud) invoque le Règlement pour accuser Pierre Poilievre (Nepean–Carleton) d’avoir formulé des allégations inappropriées, plus tôt pendant la période des questions orales, à l’endroit d’un sénateur et de Scott Brison (ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux) relativement à leur prétendue implication dans l’adjudication de contrats gouvernementaux. Après avoir entendu d’autres députés, le Vice-président (Chuck Strahl) déclare qu’il est inapproprié de prêter des intentions à un parlementaire ou de remettre en question son intégrité, et ajoute qu’il examinera la transcription des questions orales et fera rapport à la Chambre au besoin[1]. Le 6 juin 2005, Paul Szabo (Mississauga-Sud) fait un autre rappel au Règlement au sujet de commentaires semblables faits plus tôt ce jour-là par M. Poilievre, aussi pendant la période des questions orales[2]. M. Poilievre avait laissé entendre que « les libéraux ont été pris à violer la loi », ce qui avait suscité une vive réaction de la part d’autres députés. Le Président était alors intervenu pour statuer que la question n’était pas irrecevable, car M. Poilievre n’avait pas affirmé qu’un député avait violé la loi; il l’avait cependant invité à ne pas troubler l’ordre[3]. M. Szabo soutient, pour ses deux rappels au Règlement, que M. Poilievre a remis en question l’intégrité d’un sénateur et du ministre et que, par conséquent, ses questions ont été jugées irrecevables. Après avoir entendu d’autres députés, le Président informe la Chambre qu’à son avis, M. Poilievre n’a pas enfreint le Règlement en posant sa question et exhorte les députés à se rencontrer pour discuter de ce qui semble être un désaccord sur les mots qui ont été dits en comité. Le Président déclare aussi qu’il examinera la question et, au besoin, qu’il fera part de sa décision à la Chambre[4].
Résolution
Le Président rend sa décision le 14 juin 2005. Il déclare que la Chambre se retrouve confrontée à deux interprétations différentes des mêmes événements portant sur l’adjudication de certains contrats gouvernementaux et qu’il n’appartient pas à la présidence de déterminer quelle interprétation est la bonne. Toutefois, après avoir examiné la question complémentaire posée le 3 juin 2005 par M. Poilievre, il estime qu’en laissant entendre que le contrat en question était un « marché déloyal », le député avait effectivement prêté des intentions à autrui, ce qui est contraire au Règlement. Il rappelle aux députés que l’article 18 du Règlement interdit les propos irrévérencieux à l’égard des parlementaires de l’une ou l’autre Chambre. En outre, le Président fait remarquer que même si les observations du 6 juin 2005 n’allaient pas à l’encontre du Règlement, elles ont provoqué le désordre, ce qui est inacceptable. Revenant sur le fait que M. Poilievre ait mentionné qu’il avait consulté le Greffier sur ses questions, le Président conseille aux députés d’éviter de mentionner les consultations privées qu’ils ont avec la présidence ou les greffiers au Bureau, afin de ne pas compromettre l’atmosphère de confiance et de confidentialité mutuelles dont jouissent les parlementaires. En terminant, le Président rappelle l’importance des questions orales et exhorte les députés à tenir compte de la démarcation ténue entre exiger des comptes du gouvernement et de ses membres et s’attaquer au comportement de certaines personnes, y compris des sénateurs.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur les rappels au Règlement soulevés par le député de Mississauga-Sud au sujet de commentaires faits durant la période des questions des vendredi 3 juin et lundi 6 juin 2005 par le député de Nepean–Carleton sur l’octroi de contrats gouvernementaux mettant en cause un membre de l’autre Chambre.
Je désire remercier le député d’avoir soulevé cette question. Je tiens également à remercier le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, le leader adjoint du gouvernement à la Chambre, le leader de l’Opposition officielle à la Chambre, le leader adjoint de l’Opposition officielle à la Chambre et le député de Nepean–Carleton pour leurs observations.
Lors de sa première intervention, le député de Mississauga-Sud a déclaré que, dans le préambule d’une question posée par le député de Nepean–Carleton durant la période des questions du 3 juin 2005, le député avait porté atteinte à la réputation d’un membre de l’autre Chambre, allégué des actes répréhensibles et attribué des déclarations inexactes au ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux.
Le député de Mississauga-Sud a laissé entendre que les questions soulevées par le député auraient dû être jugées irrecevables. Il a en outre demandé que le Vice-président examine les témoignages faits le 2 juin dernier devant le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, qui démontrent clairement, selon lui, que le député de Nepean–Carleton savait parfaitement que les déclarations qu’il a faites dans ses préambules étaient inexactes.
Dans ses remarques sur ce rappel au Règlement, le député de Nepean–Carleton a soutenu que les commentaires faits dans ses préambules reposaient sur le témoignage du ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux devant le Comité permanent, témoignage au cours duquel, prétend-il, le ministre a admis qu’un membre de l’autre Chambre avait enfreint l’article 14 de la Loi sur le Parlement du Canada.
Le Vice-président a déclaré qu’à son avis, la première question était recevable. Il a cependant fait part de ses préoccupations quant à la question complémentaire soulevée par le député en ce qu’elle pouvait avoir prêté des intentions à des parlementaires ou avoir porté atteinte à leur intégrité. Il s’est engagé à examiner la question complémentaire et à en faire rapport à la Chambre, au besoin.
Après la période de questions du 6 juin 2005, le député de Mississauga-Sud a invoqué le Règlement pour protester contre le fait que le député de Nepean–Carleton avait encore posé des questions qui, directement ou indirectement, attaquaient un membre de l’autre Chambre. Il m’a encore une fois demandé d’examiner la transcription des travaux du Comité permanent.
Au terme des interventions du député de Nepean–Carleton et du ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, j’ai indiqué à la Chambre que, selon moi, la question du député de Nepean–Carleton n’était pas contraire au Règlement. J’ai également exhorté les députés à se rencontrer et à discuter de l’affaire et j’ai demandé à tous les députés de faire preuve de retenue dans la formulation de leurs questions et de leurs réponses. Je me suis néanmoins engagé à examiner l’affaire et à vous en faire rapport. Je suis maintenant prêt à rendre ma décision concernant les deux plaintes.
Dans le cadre de mon examen de ces rappels au Règlement, j’ai étudié les questions posées au cours des deux périodes des questions ainsi que les transcriptions de la séance du 2 juin 2005 du Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires.
Le député de Mississauga-Sud a soutenu que les questions qu’a posées le député de Nepean–Carleton contredisaient le témoignage donné devant le Comité et que le député avait, délibérément et à plusieurs reprises, prêté des intentions à un membre de l’autre endroit. La présidence a évidemment examiné les Débats et les Témoignages devant le Comité dont il a été question.
À titre de Président, je suis au courant de la sage pratique de longue date de mes prédécesseurs voulant que nous évitions de nous laisser entraîner dans les débats. Il semble que nous faisons ici face à un différend quant à l’interprétation de certains faits et cela constitue certainement un sujet de débat. Lorsque l’objection a été soulevée, j’avais suggéré que « si les députés regardaient ensemble la transcription pour voir quels mots ont été utilisés, cela pourrait tempérer les questions et les réponses, ce qui faciliterait du même coup la tâche pour tous les députés et pas uniquement pour le Président ».
Maintenant que j’ai eu l’occasion d’examiner l’ensemble des faits, je me rends compte que ma suggestion ne peut être utile que lorsque les commentaires des députés sont faits de bonne foi, dans le but de mettre en lumière les faits relatifs à une situation particulière. Cette suggestion tombe dans l’oreille d’un sourd lorsque les commentaires sont au contraire une répétition continue et possiblement trompeuse de citations choisies. Ce genre d’échange n’a pas pour effet de relever le niveau du débat, ni de contribuer à l’édification de la Chambre.
Dans les circonstances, et comme je l’ai déjà mentionné par le passé, lorsque la Chambre se trouve confrontée à deux interprétations divergentes des faits, il ne revient pas au Président de déterminer laquelle est exacte.
Néanmoins, j’ai également examiné la question complémentaire posée par le député de Nepean–Carleton le 3 juin. En disant que le contrat en question était, et je cite « un marché déloyal », il a fait un procès d’intention, ce qui va à l’encontre du Règlement.
Je saisis l’occasion pour rappeler à tous les députés que l’article 18 du Règlement interdit les propos irrévérencieux à l’égard des parlementaires de l’une ou l’autre Chambre. Comme le dit le Marleau-Montpetit, aux pages 522 et 523 :
Les allusions aux débats et aux délibérations du Sénat sont déconseillées et il n’est pas acceptable de mettre en doute l’intégrité, l’honnêteté ou la réputation d’un sénateur. Cela « prévient les disputes inutiles entre les membres de deux organismes distincts qui ne peuvent pas se donner la répartie et protège contre la récrimination et les propos injurieux en l’absence de l’autre partie ».
De plus, la Chambre remarquera que, même si les observations du 6 juin n’étaient pas antiréglementaires, elles ont néanmoins provoqué le désordre à la Chambre, ce qui, dans nos usages, est inacceptable.
Pour conclure, je voudrais revenir sur les propos que le député de Nepean–Carleton a tenus pendant son rappel au Règlement. Il a dit avoir déjà consulté le Greffier de la Chambre relativement à ses questions. Je conseille au député de Nepean–Carleton — ainsi qu’à tous les députés — d’éviter de mentionner les consultations privées qu’ils ont pu avoir avec la présidence ou le Bureau.
Ces consultations visent à aider les députés, et non à préjuger d’une situation future. Par exemple, pour juger du langage que peut utiliser un député, la présidence doit évaluer plus que le vocabulaire. Une foule de facteurs peuvent entrer en ligne de compte : le contexte, le ton, les circonstances et la réaction de la Chambre. Des propos tenus avec humour et reçus comme tels à une certaine occasion, pourraient être perçus comme une grave insulte dans d’autres circonstances. La présidence et le Bureau essaient d’aider tous les députés, mais l’atmosphère de franchise et de confiance doit exister de part et d’autre.
Enfin, permettez-moi de préciser que le droit des députés d’obtenir des renseignements auprès du gouvernement et le droit d’exiger des comptes d’un ministère sont considérés comme deux des principes fondamentaux d’un gouvernement parlementaire. Ces droits sont surtout exercés au moyen de questions posées à la Chambre. L’importance de la période des questions dans notre système est donc indéniable. Toutefois, pour les députés, la démarcation peut être mince entre exiger des comptes du gouvernement et de ses membres et s’attaquer au comportement de certaines personnes, y compris les membres de l’autre endroit.
Les Canadiens nous jugeront tous individuellement, ainsi que la Chambre des communes dans son ensemble, d’après ce qu’ils verront de nous à la télévision et d’après notre façon de travailler. J’exhorte tous les députés à se rappeler de cela au cours de leurs échanges à la Chambre, et tout particulièrement au cours de la période des questions.
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[2] Débats, 6 juin 2005, p. 6668-6669.
[3] Débats, 6 juin 2005, p. 6663-6664.
[4] Débats, 6 juin 2005, p. 6668-6669.