Les règles du débat / Ordre et décorum
Langage non parlementaire : expression « membres du Ku Klux Klan des temps modernes »
Débats, p. 1949
Contexte
Le 19 novembre 2002, Yvon Godin (Acadie–Bathurst) soulève la question de privilège, alléguant que, pendant les Déclarations de députés, plus tôt en journée, Jim Pankiw (Saskatoon–Humboldt) a tenu des propos non parlementaires en qualifiant certains députés de « membres du Ku Klux Klan des temps modernes[1] ». M. Godin demande au Président de statuer sur l’admissibilité des propos et, s’il les juge inadmissibles, d’exiger que M. Pankiw les retire. Le lendemain, M. Pankiw répète sa déclaration originale et déclare que M. Godin devrait retirer sa question de privilège et s’excuser à lui ainsi qu’à tous les Canadiens. Le Président décide d’examiner l’affaire et de rendre une décision plus tard au besoin[2].
Résolution
Le Président rend sa décision le 27 novembre 2002. Il rappelle à la Chambre que bien que les députés jouissent du privilège de liberté de parole, cette liberté comporte une grande responsabilité, et que les députés doivent garder à l’esprit les conséquences possibles de leurs propos. En l’occurrence, le Président conclut que les propos de M. Pankiw étaient destinés à provoquer ses collègues. Il conclut que les propos de M. Pankiw étaient non parlementaires et lui demande de les retirer. M. Pankiw rétorque alors que M. Godin aurait dû faire un rappel au Règlement au lieu de soulever une question de privilège pour traiter de l’incident. Le Président répond qu’il importe peu qu’il s’agisse d’une question de privilège ou d’un rappel au Règlement et lui demande à nouveau de se rétracter. M. Pankiw refuse d’obtempérer et le Président fait savoir que, bien qu’il ne désignera pas le député par son nom, il ne lui accordera pas la parole tant qu’il ne se sera pas rétracté.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur le rappel au Règlement soulevé le 19 novembre dernier par l’honorable député d’Acadie–Bathurst, alléguant que certaines remarques faites par l’honorable député de Saskatoon–Humboldt au cours de la période des Déclarations des députés étaient des propos non parlementaires.
J’ai eu l’occasion d’étudier les Débats de la Chambre des communes du 19 novembre et j’ai entendu la réponse qu’a donnée l’honorable député de Saskatoon–Humboldt le 20 novembre dernier aux allégations de l’honorable député d’Acadie–Bathurst.
Mes prédécesseurs ont abordé à maintes reprises l’épineuse question de déterminer ce qui constitue des propos non parlementaires. Ils l’ont souvent qualifiée de question d’équilibre et ont réitéré sans équivoque qu’il incombe à chaque député d’utiliser un langage respectueux et d’aider ainsi au maintien de l’ordre à la Chambre.
Je renvoie les députés à la page 526 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, où il est indiqué ce qui suit :
Lorsqu’il doit décider si des propos sont non parlementaires, le Président tient compte du ton, de la manière et de l’intention du député qui les a prononcés, de la personne à qui ils s’adressaient, du degré de provocation et, ce qui est plus important, de la question de savoir si oui ou non les remarques faites ont semé le désordre à la Chambre. Ainsi, des propos jugés non parlementaires un jour pourraient ne pas nécessairement l’être le lendemain. […] Même si une expression peut être considérée comme acceptable, selon le Président, il faut se garder d’utiliser toute expression qui pourrait semer le désordre à la Chambre. Les expressions qui sont considérées comme non parlementaires lorsqu’elles s’appliquent à un député ne sont pas toujours considérées de la sorte lorsqu’elles s’appliquent de manière générale ou à un parti.
Nous devons certes nous attendre à entendre des propos véhéments et l’expression vigoureuse d’opinions à la Chambre lorsque des idées bien arrêtées s’affrontent sur des questions litigieuses. La Chambre des communes est un lieu où les pensées divergentes se confrontent et où les passions contradictoires s’opposent. C’est aussi un lieu où les députés jouissent d’une liberté de parole qui leur permet de parler sans entraves. Cette liberté comporte cependant une responsabilité importante. Nous devons garder à l’esprit les conséquences possibles de nos propos.
Le député de Saskatoon–Humboldt n’a peut-être pas été surpris de voir des députés de la Chambre s’opposer à ce qu’on les qualifie de « membres du Ku Klux Klan des temps modernes ». C’est en effet l’expression qu’il a utilisée dans sa déclaration originale et qu’il a tenu à répéter en réponse à la première objection soulevée.
Il fait peu de doute que l’honorable député souhaitait non seulement présenter très fermement son point de vue, mais également provoquer ses collègues. Dans ces circonstances, j’en conclus que ses propos étaient non parlementaires et je demande au député de bien vouloir retirer immédiatement ses paroles.
M. Jim Pankiw (Saskatoon–Humboldt, Ind.) : Monsieur le Président, pour répondre correctement à cette question, j’ai besoin d’éclaircissements. Vous dites que le député d’Acadie–Bathurst a invoqué le Règlement. En fait, il a soulevé la question de privilège. Monsieur le Président, y a-t-il matière à question de privilège, oui ou non?
Le Président : J’ai rendu une décision voulant que, peu importe qu’il s’agisse d’une question de privilège ou d’un recours au Règlement, le député devra se rétracter. Je lui demande de le faire immédiatement.
M. Jim Pankiw : Monsieur le Président, au paragraphe 1 du commentaire 485, la 6e édition de Beauchesne prévoit que l’utilisation d’expressions non parlementaires peut être signalée à la Chambre par le Président ou par n’importe quel député. Toutefois, le député qui en prend l’initiative doit invoquer le Règlement et non soulever une question de privilège.
À cet égard, vous pourrez constater dans le hansard que le député d’Acadie–Bathurst a soulevé la question de privilège au lieu d’invoquer le Règlement comme l’exige […]
Le Président : J’ai déjà entendu des argumentations sur ce point. J’ai entendu le député répondre au député d’Acadie–Bathurst à une autre occasion. Je ne suis pas disposé à en entendre davantage là-dessus pour le moment.
Je demande au député de se rétracter. S’il refuse de le faire, je devrai prendre d’autres mesures.
M. Jim Pankiw : Au chapitre 6 de la 22e édition de sa pratique parlementaire, qui porte sur le privilège de la liberté de parole, Erskine May prévoit qu’un député a le droit d’expliquer dans quel sens il a employé les mots qu’il a employés afin que ceux-ci ne soient plus considérés comme antiréglementaires. Je voudrais exercer maintenant ce droit.
Le Président : Nous allons en rester là pour le moment et je réglerai cette affaire à ma façon. J’ai demandé au député de se rétracter et il refuse de le faire. Par conséquent, je ne vais pas désigner le député par son nom, mais celui-ci aura du mal à avoir la parole.
Post-scriptum
Le lendemain, 28 novembre 2002, M. Pankiw s’excuse de ne pas avoir respecté l’autorité du Président et retire ses propos antiparlementaires[3].
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