Les règles du débat / Ordre et décorum
Langage non parlementaire : Questions orales; doutes sur l’authenticité des excuses d’un député
Débats, p. 5459
Contexte
Le 10 juin 2009, Tom Lukiwski (secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes) invoque le Règlement, alléguant que Ralph Goodale (Wascana) a, plus tôt pendant la période des questions, accusé Lisa Raitt (ministre des Ressources naturelles) de ne pas dire la vérité. M. Lukiwski prétend qu’il s’agit de propos antiparlementaires et demande à ce que M. Goodale s’excuse et retire ses propos[1]. Le 18 septembre 2009, M. Goodale intervient à la Chambre pour retirer « tout mot prononcé » qui « s’avère non parlementaire[2] ». Le 28 septembre 2009, M. Lukiwski fait un autre rappel au Règlement et reconnaît que M. Goodale a présenté ses excuses, mais les qualifie d’évasives et demande au Président de statuer sur la question. Le Président dit qu’il examinera l’affaire et qu’il fera part de sa décision à la Chambre, le cas échéant[3].
Résolution
Le Président rend sa décision le 1er octobre 2009. Il déclare qu’il n’est pas contraire aux usages parlementaires de prétendre qu’une déclaration est un simulacre ou qu’elle est inexacte, fausse ou erronée si aucun motif n’est imputé par la personne qui le prétend. Il déclare ensuite que le commentaire de M. Goodale selon lequel la ministre « ne peut pas dire la vérité » est non parlementaire, parce qu’il remet en question la véracité des propos de la ministre. Il conclut en disant qu’il considère l’affaire close, puisque M. Goodale est intervenu à la Chambre pour se rétracter.
Décision de la présidence
Le Président : Le 10 juin 2009, l’honorable secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes a soulevé un rappel au Règlement concernant l’usage d’un langage non parlementaire par l’honorable député de Wascana. Le 28 septembre dernier, le secrétaire parlementaire a demandé à nouveau qu’une décision soit rendue, précisant qu’il trouvait suffisante la rétraction présentée le 18 septembre par le député de Wascana.
Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur le rappel au Règlement concernant l’usage d’un langage non parlementaire.
Dans sa première intervention, le secrétaire parlementaire a affirmé que, pendant la période des questions, le député de Wascana avait clairement accusé la ministre des Ressources naturelles de ne pas dire la vérité, ce qui constitue à son avis du langage non parlementaire.
Le secrétaire parlementaire a fait mention des passages de La procédure et les usages de la Chambre des communes et du Beauchesne qui traitent du langage non parlementaire et s’est dit d’autant plus troublé que le député de Wascana avait tenu ces propos directement en posant une question, de façon délibérée et préméditée. Il a demandé que le leader de l’Opposition à la Chambre présente des excuses et retire ses propos, et m’a invité à vérifier la transcription des Débats.
Dans sa réponse, le député de Wascana m’a lui aussi invité à vérifier la transcription, précisant qu’il avait soigneusement choisi ses mots et qu’il n’avait pas enfreint les règles de la procédure parlementaire — position qu’il a maintenue lorsqu’il est intervenu par la suite pour retirer ses propos.
J’ai vérifié les Débats du mercredi 10 juin. Dans le préambule d’une question complémentaire adressée à la ministre des Ressources naturelles concernant les isotopes médicaux, le député de Wascana a dit ceci : « Monsieur le Président, la ministre ne peut pas donner les chiffres et il est clair également qu’elle ne peut pas dire la vérité. » Cela se trouve à la page 4419 des Débats. Ces propos ont semé le désordre à la Chambre et, comme je l’ai alors fait remarquer au député, étaient inutiles.
À la suite du rappel au Règlement, j’ai consulté la section du Beauchesne consacrée au langage non parlementaire et constaté qu’elle contenait plusieurs expressions qui ressemblent beaucoup à celle employée par le député, bien qu’aucune n’y soit identique. J’ai aussi passé en revue des cas plus récents d’emploi de termes similaires à la Chambre. J’ai constaté que, à de nombreuses reprises, mes prédécesseurs et moi avons jugé non parlementaires des expressions telles que : « le député a délibérément induit la Chambre en erreur », « le député a menti », « le député est un menteur », ainsi que le fait de dire à un député de « cesser de mentir ». Dans ces cas, il est manifeste qu’il s’agit de propos non parlementaires.
Dans le même ordre d’idées, les expressions du genre « le député a fait une déclaration fausse », « le député n’a pas dit la vérité », « le ministre n’a pas dit la vérité » ou « le député n’a pas dit toute la vérité » ont toujours été jugées inacceptables et les députés les ayant employées ont dû se rétracter à la demande du Président. Le 25 septembre 1985, comme on peut le voir aux pages 6955-6956 des Débats, un député a demandé au premier ministre, tandis qu’il lui posait une question, de « dire la vérité [à la Chambre des communes] ». Le Président Bosley avait alors indiqué que la question du député renfermait une insinuation inacceptable et l’avait prié de la reformuler. Non satisfait de la nouvelle formulation, le Président avait interrompu le député et déclaré qu’il était non parlementaire de porter une accusation de ce genre qui nuit à la réputation d’un député. Il avait demandé au député de se rétracter et de poser une question simple portant sur des faits.
Comme l’a déclaré le Président Lamoureux dans une décision qu’il a rendue le 13 octobre 1966, à la page 8599 des Débats, et je cite :
D’après mon expérience limitée à la Chambre, il n’est pas essentiellement contraire aux usages parlementaires de dire que la déclaration d’un autre député est fausse, erronée, inexacte, ou même qu’il s’agit d’un simulacre, à moins qu’un motif malhonnête ne soit imputé ou que le député qui porte l’accusation prétende que la personne a fait cette fausse déclaration en pleine connaissance des faits […]
Je ne crois pas que prétendre qu’une déclaration est un simulacre ou qu’elle est inexacte, fausse ou erronée, soit contraire aux usages parlementaires si aucun motif n’est imputé par la personne qui le prétend.
Le député de Wascana a indiqué dans ses commentaires qu’il avait soigneusement choisi ses mots et qu’il n’avait pas enfreint les règles de la procédure parlementaire. Quoi qu’il en soit, il semble que le député ait remis en question la véracité des propos de la ministre lorsqu’il a affirmé qu’elle ne pouvait pas dire la vérité. La présidence se doit donc de conclure que les remarques du député étaient non parlementaires.
La présidence tient à signaler que, le vendredi 18 septembre, le député de Wascana est intervenu à la Chambre pour se rétracter et que le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre a depuis fait remarquer qu’il restait encore à savoir si les propos du député étaient bel et bien non parlementaires. Permettez-moi de dissiper tout doute à ce sujet : les paroles prononcées étaient non parlementaires; elles ont été retirées et la présidence considère l’affaire close.
Je remercie la Chambre de son attention sur cette question.
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[1] Débats, 10 juin 2009, p. 4423-4424.