Les règles du débat / Ordre et décorum
Langage non parlementaire
Débats, p. 3702-3703
Contexte
Le 14 mai 2009, Jay Hill (leader du gouvernement à la Chambre des communes) invoque le Règlement à propos de la période des questions pour accuser Gilles Duceppe (Laurier–Sainte-Marie) d’avoir tenu des propos diffamatoires et non parlementaires en laissant entendre que certains ministres avaient menti. M. Duceppe répond qu’il a simplement repris la formule employée par Christian Paradis (ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux) au cours de la séance précédente en qualifiant une déclaration du Bloc Québécois de « mensonge ». Le Président déclare que le langage en question n’est pas acceptable, mais qu’il consultera le compte rendu et qu’il répondra à la Chambre à ce sujet. Pierre Paquette (Joliette) s’adresse alors au Président pour s’assurer que le traitement sera équitable et encourage le Président à examiner le compte rendu. Pierre Poilievre (secrétaire parlementaire du premier ministre et de la ministre des Affaires intergouvernementales) affirme que le ministre n’a accusé aucun député de mentir, ce à quoi M. Duceppe répond que pour sa part, il s’adressait à une institution et non à un député en particulier, comme l’a fait le ministre. Le Président prend la question en délibéré[1].
Plus tard au cours de la séance, Michel Guimond (Montmorency–Charlevoix–Haute-Côte-Nord) invoque aussi le Règlement à propos de la période des questions orales, alléguant que Gary Goodyear (ministre d’État (Sciences et Technologie)) a employé le terme « malhonnête » dans sa réponse à une question. M. Guimond demande au Président de faire savoir à la Chambre si le terme « malhonnête » est antiparlementaire. Le Président prend de nouveau la question en délibéré et déclare qu’il reviendra à la Chambre au besoin[2].
Résolution
Le Président rend sa décision sur les deux rappels au Règlement le 26 mai 2009. Il déclare que bien qu’on puisse prétendre que les propos tenus par le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux ne visaient personne en particulier, il en était venu à la conclusion, après avoir visionné l’enregistrement vidéo de l’échange en question, que le ministre devait retirer les propos contestés. Dans le cas de M. Duceppe, le Président déclare que bien qu’une partie de ses propos était d’ordre général, son commentaire selon lequel les réponses du premier ministre étaient « truffées de mensonges » est non parlementaire et devrait être retiré. De plus, il statue que le mot « malhonnête », tel qu’employé par le ministre d’État (Sciences et Technologie), faisait douter de l’honnêteté du député posant la question, qu’il est aussi non parlementaire et devrait être retiré. Le Président rappelle ensuite aux députés que certains mots, même s’ils ne sont pas adressés à une personne en particulier et, par conséquent, qu’ils ne sont pas techniquement contraires au Règlement, peuvent provoquer de l’agitation et qu’il les jugera inadmissibles. Il prie donc les trois députés en question de retirer leurs paroles.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur les rappels au Règlement concernant le langage non parlementaire, soulevés le 14 mai dernier par le leader du gouvernement à la Chambre des communes au sujet des propos tenus par le député de Laurier–Sainte-Marie et par le député de Montmorency–Charlevoix–Haute-Côte-Nord à l’égard des propos tenus par le ministre d’État (Sciences et Technologie)
Je remercie l’honorable leader du gouvernement à la Chambre des communes et l’honorable député de Montmorency–Charlevoix–Haute-Côte-Nord d’avoir soulevé ces questions. Je remercie également les honorables députés de Laurier–Sainte-Marie et de Joliette ainsi que l’honorable secrétaire parlementaire du premier ministre et de la ministre des Affaires intergouvernementales pour leurs observations.
Lorsqu’il a invoqué le Règlement, le leader du gouvernement à la Chambre a déclaré que le chef du Bloc Québécois avait tenu des propos péjoratifs et non parlementaires et accusé des ministres de la Couronne d’avoir menti. Il a souligné que ce langage était inacceptable et demandé au Président de prendre des mesures disciplinaires.
Le chef du Bloc Québécois a répondu qu’il avait repris la même formule que celle énoncée la veille par le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux pendant la période des questions.
Lors de son intervention, le député de Joliette a repris les propos du chef du Bloc Québécois, notamment au sujet de l’appel à un traitement équitable. Selon le secrétaire parlementaire du premier ministre et la ministre des Affaires intergouvernementales, les propos du ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux ne visaient aucun député en particulier, contrairement à ceux du chef du Bloc Québécois.
Je tiens à rappeler aux députés qu’à maintes reprises j’ai cité le passage suivant de La procédure et les usages à la Chambre des communes, à la page 526 :
Lorsqu’il doit décider si des propos sont non parlementaires, le Président tient compte du ton, de la manière et de l’intention du député qui les a prononcés, de la personne à qui ils d’adressaient, du degré de provocation et, ce qui est plus important, de la question de savoir si oui ou non les remarques faites ont semé le désordre à la Chambre.
J’ai examiné les Débats des 13 et 14 mai. Le 13 mai, à la fin de sa réponse à une question posée par le député de Laurier–Sainte-Marie, le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux a dit ceci : « Dire que c’est un frein pour le Québec est un mensonge. C’est plutôt un essor pour le Québec. » [(p. 3446 des Débats).][3] Strictement parlant, il est possible de prétendre, comme l’a fait le secrétaire parlementaire, que le compte rendu prouve que ces propos ne visaient personne en particulier et qu’ils n’ont donc rien de déplacé. L’examen de l’enregistrement vidéo de l’échange en question m’a permis de mieux comprendre le contexte et me porte à croire que le ministre a pu laisser une impression complètement différente lorsqu’il a tenu les propos contestés, ce qui m’amène à conclure qu’il devrait les retirer.
Lors de son intervention, le chef du Bloc Québécois a déclaré, et je cite : « Monsieur le Président, lorsque je dis que le gouvernement émet des mensonges, je ne m’adresse pas à un individu, mais plutôt à une institution. » [(Débats, p. 3529).][4] Toutefois, j’ai examiné le début du préambule de sa question posée le 14 mai, et ce n’est pas tout à fait le cas. Au début de l’intervention, il soutient que le gouvernement a menti au sujet de l’admissibilité à l’assurance-emploi. Le député de Laurier–Sainte-Marie a fait valoir que cette partie du préambule était d’ordre général, comme la formule utilisée par le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux. Toutefois, il a ensuite ajouté que les réponses du premier ministre étaient également, et je cite : « truffées de mensonges ». C’est ici que ses propos sont clairement devenus non parlementaires. Comme les députés le savent, j’ai effectivement informé le député à ce moment-là qu’il employait un langage non parlementaire et demandé qu’il retire ses paroles.
Après un examen méticuleux des propos tenus le 14 mai, je dois conclure que le député de Laurier–Sainte-Marie a en effet employé un langage non parlementaire à l’égard du premier ministre et qu’il doit par conséquent retirer les paroles qui font l’objet du rappel.
Je désire passer maintenant au deuxième rappel au Règlement, soit celui soulevé par le député de Montmorency–Charlevoix–Haute-Côte-Nord le 14 mai dernier.
Lors de son intervention, le député a souligné que le ministre d’État (Sciences et Technologie) avait employé le mot « malhonnête » dans sa réponse à la question du député de Shefford. Le whip du Bloc Québécois a demandé à la présidence de déterminer si la Chambre juge ce mot acceptable et, si elle estime ce mot indigne des parlementaires, de prier le ministre de se rétracter.
Après avoir vérifié les Débats, il m’apparaît que les paroles du ministre d’État nous font douter de l’honnêteté du député qui pose la question, et sont donc non parlementaires. C’est pourquoi je demande au ministre d’État chargé des Sciences et de la Technologie de retirer ses paroles.
Les deux rappels auxquels nous venons de répondre mettent en lumière la difficulté croissante à laquelle la présidence est confrontée depuis quelque temps. Comme les députés le savent, ils bénéficient d’une liberté d’expression presque infinie à la Chambre. C’est dans ce contexte que la présidence est tenue, selon l’article 10 du Règlement, de maintenir « l’ordre et le décorum » et que, selon l’article 18 du même Règlement, « [n]ul député ne doit se servir d’expressions offensantes pour l’une ou l’autre des deux Chambres ni pour un de leurs membres ».
Je tiens à réitérer le fait que certains mots, même s’ils n’étaient pas adressés à une personne en particulier et n’étaient donc pas contraires au Règlement, peuvent néanmoins provoquer de l’agitation et être perçus comme offensants par ceux qui les entendent, et donc semer le désordre à la Chambre.
C’est l’utilisation de ce genre de langage que la présidence doit, selon le Règlement, non seulement décourager mais également dénoncer. C’est pourquoi je demande à tous les députés de bien peser leurs mots afin d’éviter le désordre qui perturbe le déroulement de nos travaux, et qui consterne les nombreux citoyens qui suivent ce déroulement.
C’est dans cet esprit de collaboration que je prie maintenant l’honorable député de Laurier–Sainte-Marie, l’honorable ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux et l’honorable ministre d’État (Sciences et Technologie) de retirer les paroles à l’origine de ma décision.
Post-scriptum
Les trois députés retirent par la suite leurs propos[5].
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[1] Débats, 14 mai 2009, p. 3528-3529.