Les débats spéciaux / Adresse en réponse au discours du Trône
Outrage à la Chambre présumé : premier ministre accusé de ne pas respecter l’amendement à l’Adresse
Débats, p. 4452-4453
Contexte
Le 8 mars 2005, Jay Hill (Prince George–Peace River) soulève la question de privilège pour accuser Paul Martin (premier ministre) d’outrage à la Chambre. Il soutient que l’amendement à l’Adresse en réponse au discours du Trône, adopté le 18 octobre 2004, prescrit que le Parlement aura l’occasion de débattre et de voter sur un éventuel accord relatif à la défense antimissile balistique avec les États-Unis avant que le gouvernement ne prenne une décision sur un tel accord[1]. M. Hill avance que le premier ministre n’a pas respecté cet engagement. Tony Valeri (leader du gouvernement à la Chambre des communes) réplique que puisque le gouvernement a décidé de ne pas participer au programme de défense, il n’y a pas eu d’accord; par conséquent, il n’y a rien à débattre et rien qui puisse faire l’objet d’un vote[2]. Après avoir entendu d’autres députés, le Président prend la question en délibéré[3].
Résolution
Le Président rend sa décision le 22 mars 2005. Il fait valoir qu’on lui demande de se prononcer à l’égard d’une situation sans précédent dans les usages du Canada ou du Commonwealth, c’est-à-dire concernant un amendement à l’Adresse. Il ajoute que le différend porte sur les interprétations divergentes du libellé de l’amendement et qu’il s’agit donc d’un sujet de débat. Rappelant qu’il ne revient pas au Président d’imposer sa propre interprétation de l’Adresse en réponse au discours du Trône, il statue qu’il n’y a pas, de prime abord, outrage à la Chambre.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 8 mars 2005 par l’honorable leader de l’Opposition à la Chambre à l’égard du fait que le premier ministre n’a pas permis au Parlement de tenir un débat sur la décision du gouvernement concernant le projet de défense antimissile balistique.
Je tiens à remercier l’honorable leader de l’Opposition à la Chambre d’avoir soulevé cette question, ainsi que l’honorable leader du gouvernement à la Chambre et les honorables députés de Calgary–Nose Hill et de Sackville–Eastern Shore pour leur contribution à ce sujet.
Dans son exposé, l’honorable leader de l’Opposition à la Chambre a accusé le premier ministre d’outrage à la Chambre pour ne pas avoir tenu sa promesse de consulter le Parlement et de tenir un vote avant que le gouvernement prenne la décision de ne pas participer au projet de défense antimissile balistique des États-Unis.
Il a fait valoir que, le 8 octobre 2004, lorsque la Chambre a adopté la version modifiée de l’Adresse en réponse au discours du Trône, elle a par le fait même accepté de tenir un débat sur la participation du Canada au projet de défense antimissile, mais qu’elle n’a pas eu la possibilité d’examiner la question avant que le gouvernement annonce que le Canada n’y participerait pas. Il a cité le paragraphe 5 de l’Adresse en réponse au discours du Trône, qui est libellé ainsi :
Pour un accord sur le système de défense antimissile balistique, l’assurance que le Parlement aura l’occasion d’examiner toutes les informations publiques relatives à cet accord et la possibilité de voter avant que le gouvernement ne prenne une décision.
L’honorable leader de l’Opposition à la Chambre a comparé le discours du Trône à une promesse contractuelle envers le Parlement. Il a fait valoir que l’Adresse en réponse au discours du Trône renfermait la promesse de tenir un débat sur la défense antimissile balistique avant que le gouvernement prenne une décision et que le gouvernement n’a pas tenu cette promesse.
Dans son intervention, l’honorable député a cité une décision du Président rendue le 21 novembre 2001 au sujet du non-respect par le gouvernement de l’exigence légale de déposer certains renseignements devant la Chambre. Dans ce cas, le Président avait déclaré que si la loi avait prévu un délai pour le dépôt des documents requis, il n’aurait pas hésité à considérer cette omission, de prime abord, comme une atteinte au privilège.
L’honorable leader de l’Opposition à la Chambre soutient que, dans le cas présent, l’adoption de l’Adresse en réponse, dans son état modifié, contenait un délai conditionnel lié à une décision du gouvernement. Le gouvernement a fait abstraction de ce délai et a pris sa décision sans fournir au Parlement toutes les informations relatives à l’accord sur le système de défense antimissile proposé comme l’exigeait l’amendement à l’Adresse en réponse.
Dans son intervention, l’honorable leader du gouvernement à la Chambre a précisé que, d’après le gouvernement, un débat sur la participation du Canada au système de défense antimissile balistique n’était censé avoir lieu que si un accord était conclu avec les États-Unis. Or, comme l’a précisé le ministre, et je cite :
Comme aucun accord n’est intervenu, il n’y a en fait rien à débattre et, par conséquent, rien qui puisse faire l’objet d’un vote.
J’ai examiné la décision du 21 novembre 2001 à laquelle a fait allusion l’honorable leader de l’Opposition à la Chambre. Dans cette décision, le Président a déclaré, à la page 7381 du hansard, que le Parlement, en ne prescrivant pas dans la loi le délai de dépôt des règlements visés, avait donné à la ministre une certaine latitude pour l’exécution de son obligation de dépôt. Comme l’a fait remarquer le leader de l’Opposition à la Chambre, le Président n’aurait pas hésité à conclure, de prime abord, à une atteinte au privilège si un délai avait été prescrit. Or, en l’absence d’un tel délai, le Président estimait qu’il ne conviendrait pas qu’il impose un délai pour le dépôt des renseignements et substitue ainsi son propre jugement à la décision du Parlement.
Dans le cas qui nous occupe, le litige découle des interprétations divergentes du texte de l’amendement apporté à l’Adresse en réponse au discours du Trône. Commençons donc par examiner ce texte avec soin.
J’attire l’attention des honorables députés sur la partie introductive de l’amendement proposé par l’Opposition officielle et subséquemment intégré à l’Adresse. Cette partie est libellée comme suit :
Que les conseillers de Votre Excellence envisagent l’opportunité des éléments suivants :
Un texte comptant cinq paragraphes a ensuite été inséré dans l’Adresse et c’est le cinquième paragraphe qui nous intéresse aujourd’hui. Pris ensemble, le texte complet se lit ainsi :
Que les conseillers de Votre Excellence envisagent l’opportunité des éléments suivants : […]
5. Pour un accord sur le système de défense antimissile balistique, l’assurance que le Parlement aura l’occasion d’examiner toutes les informations publiques relatives à cet accord et la possibilité de voter avant que le gouvernement ne prenne une décision;
Je rappelle à la Chambre que l’on a demandé au Président de se prononcer à l’égard d’une situation sans précédent dans nos usages, dans les usages ailleurs au Canada et même ailleurs dans le Commonwealth, soit une situation où une modification à l’Adresse en réponse au discours du Trône a été adoptée. Puisque l’on examine ici les gestes posés par le gouvernement à la suite de l’adoption de l’Adresse, la signification de cette modification est de toute première importance; nous devons donc nous en remettre à une exégèse du texte.
Je vois trois aspects du texte qui méritent d’être soulignés. Premièrement, le texte demande seulement aux conseillers de Son Excellence, le gouvernement donc, d’envisager diverses lignes de conduite; deuxièmement, le texte mentionne « un accord sur le système de défense antimissile balistique » et demande « l’assurance que le Parlement aura l’occasion d’examiner toutes les informations publiques relatives à cet accord »; troisièmement, le texte demande que le Parlement ait « la possibilité de voter avant que le gouvernement ne prenne une décision ».
Examinons ces points l’un après l’autre.
Quant au premier point, le libellé n’est pas prescriptif. En fait, si la motion avait été rédigée de façon à donner un ordre à Sa Majesté, elle n’aurait probablement pas été jugée recevable puisqu’elle aurait porté atteinte aux prérogatives de la Couronne.
Quant au deuxième point, comme l’a fait remarquer l’honorable leader du gouvernement à la Chambre, étant donné qu’il n’existe aucune entente sur la défense antimissile balistique, la mesure demandée en cas d’accord n’a plus de raison d’être.
Le troisième point comporte une contradiction inhérente. Le texte demande « la possibilité de voter avant que le gouvernement ne prenne une décision », et je présume que cette décision peut être positive ou négative, alors que le reste du texte renvoie à une situation fondée sur la conclusion d’une entente, une entente existant, peut-on présumer, uniquement dans le cas d’une décision positive.
Je crois que la Chambre comprend l’impossibilité, même pour un Président assez téméraire pour l’entreprendre, de vérifier si cette disposition a été respectée. Je suis convaincu que les honorables députés peuvent voir que même cette brève analyse de l’Adresse en réponse au discours du Trône soulève plus de questions qu’elle n’en résout. Je crois qu’il ne s’agit pas là de questions auxquelles le Président devrait être forcé de répondre.
La Chambre a cru bon d’adopter l’Adresse en réponse au discours du Trône en sa version modifiée, libellée comme nous l’avons vue. Il ne revient pas à votre Président d’imposer à la Chambre son interprétation de cette Adresse. Il m’apparaît qu’il s’agit ici d’un différend quant aux faits et donc d’un sujet de débat; par conséquent, je ne peux arriver à la conclusion qu’il y a là, de prime abord, un outrage à la Chambre.
Post-scriptum
La question ayant créé un précédent, la Chambre des communes a par la suite adopté à deux occasions des motions amendées à des Adresses en réponse au discours du Trône[4].
Certains sites Web de tiers peuvent ne pas être compatibles avec les technologies d’assistance. Si vous avez besoin d’aide pour consulter les documents qu’ils contiennent, veuillez communiquer avec accessible@parl.gc.ca.
[1] Journaux, 18 octobre 2004, p. 101-102.
[2] Débats, 8 mars 2005, p. 4122-4124.