Recueil de décisions du Président Peter Milliken 2001 - 2011

Les comités / Mandat

Comité permanent outrepassant son mandat

Débats, p. 4181-4183

Contexte

Le 3 mars 2008, Paul Szabo (Mississauga-Sud) invoque le Règlement au sujet des délibérations du Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique à sa séance du 28 février 2008. Lors de cette séance, M. Szabo, en sa qualité de président du Comité, avait déclaré irrecevable une motion visant à faire enquête sur les pratiques de financement du Parti libéral du Canada. Dans sa décision, il avait affirmé que la motion ne faisait aucune référence au Code régissant les conflits d’intérêts des députés, ni aux règles d’éthique qui pouvaient avoir été violées, mais faisait plutôt état de violations possibles de la Loi électorale du Canada. Il en avait donc conclu que la motion proposait une étude relevant du mandat du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, conformément à l’article 108 du Règlement. La décision de M. Szabo a été portée en appel et infirmée, et la motion a par la suite été adoptée, de même qu’une autre motion visant à entreprendre l’étude sans plus tarder[1]. M. Szabo demande au Président de se prononcer sur l’affaire. Tom Lukiwski (secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes et ministre de la Réforme démocratique) soutient que les comités sont maîtres de leurs propres délibérations et que, puisqu’aucun rapport n’a été déposé à la Chambre, il serait présomptueux de préjuger de l’orientation que l’étude pourrait prendre. Après avoir entendu d’autres députés, le Président prend la question en délibéré[2].

Résolution

Le Président rend sa décision le 14 mars 2008. Il déclare que la Chambre a pris grand soin de définir les responsabilités de ses comités tout en leur accordant la latitude et les pouvoirs nécessaires pour mener à bien leurs travaux. Il souligne qu’un principe fondamental sous-tend les pouvoirs que la Chambre accorde à ses comités, à savoir qu’ils respecteront leurs mandats respectifs; il prend ensuite acte du rappel de M. Lukiwski, selon qui il faut se garder de préjuger de l’orientation que pourrait prendre l’étude du Comité. Il affirme qu’il est difficile pour la présidence de déterminer si le Comité a agi de manière appropriée, étant donné qu’elle n’est pas en mesure de savoir comment le Comité interprétera la motion. Comme le Comité n’a pas présenté de rapport, et conformément à l’usage traditionnel voulant que les Présidents s’abstiennent d’intervenir dans les travaux des comités, il estime qu’il n’y a pas de raisons suffisantes pour usurper le rôle des membres du Comité. Il avise également les députés que lorsque le Comité présentera un rapport, les députés qui ne sont pas sûrs que le Comité respecte son mandat pourront soulever la question à la Chambre. Le Président clôt sa décision en signalant la gravité du dysfonctionnement des comités au cours de la 39e législature, en particulier dans les cas où des décisions de présidents pourtant conformes à la procédure ont fait l’objet d’appel et ont été annulées, et exhorte les députés à travailler ensemble.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur le rappel au Règlement soulevé le 3 mars 2008 par l’honorable député de Mississauga-Sud au sujet des délibérations du Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique tenues lors de sa réunion du 28 février dernier 2008.

Je remercie l’honorable député de Mississauga-Sud d’avoir soulevé cette question, ainsi que le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes, le député de Hull–Aylmer et le député de Scarborough–Rouge River pour leurs interventions.

Lors de son intervention, le député de Mississauga-Sud s’est dit préoccupé par certaines motions adoptées à la réunion du 28 février dernier du Comité de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique, en particulier la motion ordonnant au Comité, conformément à l’alinéa 108.(1)a) du Règlement, de porter une enquête sur les pratiques de levées de fonds du Parti libéral du Canada. Le député de Mississauga-Sud a précisé que, à titre de président du Comité, il avait déclaré cette motion irrecevable puisqu’elle ne faisait pas mention du Code régissant les conflits d’intérêts des députés, ni des règles d’éthique qui pouvaient avoir été violées, mais faisait plutôt état de violations possibles de la Loi électorale du Canada. Sa décision a été portée en appel et infirmée, et la motion a été adoptée.

Le député de Mississauga-Sud a fait valoir que le Comité de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique avait ainsi décidé d’étudier une question qui se situe hors de son mandat, tel qu’établi à l’article 108 du Règlement. S’interrogeant sur le pouvoir du Comité d’écarter ainsi le Règlement, il a soutenu que le Comité empiétait sur le mandat du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre. Le député de Hull–Aylmer et le député de Scarborough–Rouge River ont exprimé leur appui à ces arguments.

Lors de son intervention, le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes et ministre de la Réforme démocratique a rappelé le principe bien établi selon lequel les comités sont maîtres de leurs propres travaux.

En l’absence d’un rapport du Comité, il a fait observer qu’il serait inapproprié que le Président se prononce sur la question soulevée par le député de Mississauga-Sud et l’a mis en garde contre le fait de préjuger de l’orientation que pourrait prendre l’étude du Comité.

Après un examen attentif des interventions sur ce rappel au Règlement, il me semble que le nœud de la question consiste tout d’abord à déterminer à qui la Chambre a confié le mandat de s’occuper des questions d’éthique et, ensuite, à établir ce qui distingue un mandat d’un autre.

L’alinéa 108.(3)h) du Règlement prévoit que le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique est chargé de surveiller l’efficacité, l’administration et le fonctionnement du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique et ses plans opérationnels et de dépenses, ainsi que les rapports annuels du commissaire sur les activités relatives aux titulaires de charge publique. Il importe de souligner que les rapports sur les plaintes relatives à des titulaires de charge publique relèvent de la Loi sur le Parlement du Canada et sont déposés auprès du premier ministre; aucune disposition ne prévoit leur renvoi à un comité.

Il ne faut pas confondre le mandat du Comité avec celui du Commissariat aux conflits d’intérêts et à l’éthique qui a un double mandat : premièrement, fournir un soutien à la Chambre des communes en vue de régir la conduite des députés en appliquant le Code régissant les conflits d’intérêts des députés, qui est en vigueur depuis 2004; deuxièmement, assurer l’application de la Loi sur les conflits d’intérêts entrée en vigueur le 9 juillet 2007, en ce qui touche les titulaires de charge publique.

Le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre est chargé de surveiller le travail du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique en ce qui touche les députés conformément à la Loi sur le Parlement du Canada et en ce qui concerne les questions relatives au Code régissant les conflits d’intérêts des députés. Ces fonctions sont clairement énoncées aux sous-alinéas 108(3)a)(vii) et (viii) du Règlement. Ce même Comité est également responsable des questions relatives à l’élection des députés à la Chambre, tel que le précise le sous-alinéa 108(3)a)(vi) du Règlement.

Comme le soulignait le Vice-président de l’époque dans la décision rendue le 3 juin 2003, à la page 6775 des Débats, concernant les prétendues irrégularités dans les travaux du Comité permanent des transports, et je cite :

J’ai dit que la Chambre accorde une grande liberté aux comités. Toutefois, bien que les comités aient le droit de mener leurs travaux d’une manière qui facilite leurs délibérations, ils ont en même temps la responsabilité de veiller à l’observation des règles et procédures nécessaires […]

Dans le même ordre d’idées, il est expliqué à la page 879 de La procédure et les usages de la Chambre des communes que, et je cite :

Le droit des comités de faire rapport à la Chambre s’étend uniquement aux questions relevant de leur mandat. Ils doivent alors indiquer en vertu de quelle autorité (Règlement ou ordre de renvoi) l’étude a été effectuée. Par le passé, dans les cas où le rapport d’un comité avait dépassé son ordre de renvoi ou abordé des questions non comprises dans celui-ci, le Président a déclaré le document complet, ou la partie incriminée, irrecevable.

Deux exemples mentionnés dans la note de bas de page de cette citation illustrent particulièrement bien la situation. Le premier exemple concerne un rapport présenté par le Comité permanent des finances, du commerce et des questions économiques de l’époque sur la radiodiffusion et la télédiffusion des travaux du Comité que le Président Bosley, dans une décision rendue le 14 décembre 1984 (Débats, p. 1243), a déclaré irrecevable parce que le Comité avait dépassé son ordre de renvoi. Le deuxième porte sur un rapport présenté par le Comité permanent du travail, de la main-d’oeuvre et de l’immigration de l’époque qui a aussi été déclaré irrecevable par le Président Bosley (Débats, 28 février 1985, p. 2603), là encore parce que le Comité avait outrepassé son mandat.

Même ce bref aperçu nous rappelle que la Chambre a pris grand soin de définir et de distinguer les responsabilités de ses comités, en particulier lorsqu’il peut sembler y avoir à première vue un chevauchement des compétences. Cela étant dit, il est clair par ailleurs que la Chambre a choisi d’accorder aux comités une grande latitude et de larges pouvoirs, notamment le pouvoir de décider de leur propre chef de mener des études dans le cadre de leur mandat.

Un principe fondamental sous-tend les pouvoirs que la Chambre accorde à ses comités, à savoir que chaque comité respectera son mandat. La latitude dont les comités ont bénéficié par le passé présuppose qu’ils feront preuve de discernement dans l’exercice de leurs pouvoirs. Eu égard à ces normes, peut-on dire que le Comité de l’éthique agit de manière appropriée dans ce cas-ci? En toute franchise, il m’est difficile de répondre à cette question pour de nombreuses raisons.

Premièrement, comme l’a rappelé à la présidence l’honorable secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes, les Présidents successifs ont été réticents à intervenir dans les travaux des comités, sauf dans des circonstances fort exceptionnelles. L’honorable secrétaire parlementaire met en garde la présidence contre le fait de préjuger de l’orientation que l’étude du Comité pourrait prendre et de tirer des conclusions hâtives sur la nature de tout rapport qu’il pourrait présenter.

Je dois reconnaître la validité de cet argument. La présidence n’est pas en mesure de déterminer de quelle manière le Comité interprétera les motions qui ont donné lieu au rappel au Règlement soulevé par l’honorable député de Mississauga-Sud. Toutefois, je tiens à préciser clairement à la Chambre que la question du respect du mandat par un comité n’en est pas une qu’elle doit prendre à la légère.

Pour l’instant, j’estime qu’il n’y a pas de raisons suffisantes pour usurper le rôle des membres de comité quant à la régie des affaires du Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique. Toutefois, lorsque le Comité présentera un rapport, les députés qui sont toujours préoccupés par les travaux du Comité auront alors l’occasion de soulever leurs préoccupations devant la Chambre, et je réexaminerai la question à ce moment-là.

Cependant, si la Chambre veut bien prendre patience, j’ai dit précédemment que je n’étais pas à l’aise de me prononcer sur la question de savoir si les actions du Comité de l’éthique étaient appropriées. J’aimerais revenir à la charge et j’implore l’indulgence des députés en leur demandant de porter attention à ce que j’ai à dire.

Tout observateur de la 39législature se rendra à l’évidence que le problème auquel fait face le Comité de l’éthique n’est qu’un exemple parmi plusieurs autres situations récentes qui démontrent la nécessité de mettre en place des mesures de gestion de crises dans les comités.

Il y a près d’un an, dans une décision rendue le 29 mars 2007, j’ai mentionné les défis que devait relever ce Parlement minoritaire, en disant notamment :

[…] ni la réalité politique du moment ni la seule force du nombre ne devraient nous obliger à mettre de côté les valeurs inhérentes aux conventions et aux procédures parlementaires qui régissent nos travaux.

Puis, j’ai fait allusion à des situations survenues dans des comités où des décisions du président du comité, pourtant conformes à la procédure, ont été renversées par la majorité des membres parce qu’elles étaient susceptibles d’appel.

Depuis lors, il semble y avoir eu une prolifération d’appels de décisions des présidents de comité, de sorte que les comités, ayant décidé de faire fi de nos procédures et pratiques habituelles, se sont trouvés dans des situations qui frisent l’anarchie. Même le prestigieux Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre — qui, à titre de comité de sélection, est le cœur même du système des comités — n’a pas échappé à la débandade générale. Je crois comprendre que, la semaine dernière, le Comité a élu comme président un député qui avait dit catégoriquement qu’il ne souhaitait pas cette nomination.

Quelle responsabilité le Président doit-il assumer pour réprimer l’anarchie qui semble s’être répandue dans les comités au cours des dernières semaines? J’aimerais porter à l’attention des députés le commentaire suivant prononcé par le Président Lamoureux le 2 juillet 1969 :

Des députés veulent que la présidence […] substitu[e] son jugement à celui de certains députés. Puis-je agir ainsi tout en respectant la tradition au Canada […] selon laquelle l’Orateur n’est pas le maître de la Chambre? L’Orateur est un serviteur de la Chambre. On veut peut-être faire de moi le maître de la Chambre aujourd’hui, mais si demain, en d’autres circonstances, je cherchais à me prévaloir de ce privilège, on changerait peut-être alors d’avis. […] Je deviendrais un héros, je suppose, si je prenais sur moi de juger des situations politiques comme celle-ci et de substituer mon jugement à celui de certains députés […] [Mais] [c]e n’est pas là, je pense, le rôle d’un Orateur dans notre régime de gouvernement.

Les règles régissant nos délibérations et les usages que nous avons adoptés au fil des ans sont généralement très utiles à la Chambre et à ses comités. En tant que Président, je suggère parfois aux députés de porter leurs griefs devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre et de demander au Comité de voir si des modifications au Règlement de la Chambre permettraient d’alléger ces difficultés dans les situations à venir. Or, une telle suggestion ne serait d’aucune utilité dans les circonstances actuelles.

Les députés savent aussi bien que moi — ou même mieux que moi puisqu’ils en vivent les conséquences quotidiennement — que ce n’est pas en jouant avec les règles que nous surmonterons les difficultés que nous éprouvons à l’heure actuelle. Je ne crois pas non plus — malgré ce que disent les commentateurs de certains médias — que nos difficultés seraient réglées uniquement si j’acceptais, en tant que votre Président, de jouer le rôle du parent et de gronder les députés pour leur faire entendre raison. À franchement parler, je ne crois pas que j’exagère en affirmant que nos comités souffrent d’un virus, soit le virus du comité dysfonctionnel, qui, s’il n’est pas éradiqué, risque de se propager et d’empêcher les députés de s’acquitter du mandat que leur ont confié les électeurs.

Permettez-moi de citer l’extrait suivant de La procédure et les usages de la Chambre des communes, à la page 210 :

Il demeure que la procédure parlementaire vise à établir un équilibre entre la volonté du gouvernement de faire approuver ses mesures par la Chambre, et la responsabilité de l’opposition d’en débattre sans paralyser complètement le déroulement des travaux.

Il incombe au Président de toujours garder à l’esprit les principes fondamentaux de notre tradition parlementaire, que Bourinot énonce en les termes suivants :

[…] protéger la minorité et restreindre l’imprévoyance et la tyrannie de la majorité, régler les affaires d’intérêt public de manière convenable et ordonnée […][3]

Il importe peu que la minorité de la 39e législature soit le gouvernement ou l’opposition, ou que la majorité soit détenue par les partis d’opposition réunis et non le gouvernement.

La citation de Shakespeare « La faute n’en est pas à nos étoiles; elle en est à nous-mêmes » semble malheureusement très juste dans les circonstances.

Comme tous les Canadiens et Canadiennes — et certes les députés —, je comprends et j’accepte que les exigences politiques dictent souvent le choix des stratégies adoptées par les partis à la Chambre. Toutefois, en ma qualité de Président, je fais appel à ceux et celles à qui a été confiée la gestion des affaires de ce Parlement — les leaders parlementaires et les whips de tous les partis — pour leur demander de faire preuve de leadership en la matière. Je leur demande de se pencher sur la situation de crise dans le système des comités qui, à l’heure actuelle, vacille dangereusement sur le bord du précipice. Je leur demande de travailler en collaboration afin de trouver un équilibre qui permettra aux partis de poursuivre leurs objectifs politiques et aux députés de continuer leur travail. J’ai bon espoir que, en travaillant ensemble dans un esprit de bonne foi, ils pourront parvenir à une entente qui rétablira l’équilibre que nos procédures et usages visent à protéger. En tant que Président de cette Chambre, je suis disposé à vous prêter toute assistance qu’il m’est possible de vous fournir.

J’aimerais encore une fois remercier le député de Mississauga-Sud d’avoir soulevé les questions relatives au Comité permanent dont il est le président et de m’avoir donné l’occasion de présenter un tableau plus global de la situation.

Je remercie les honorables députés de leur attention.

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[1] Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique, Procès-verbal, 28 février 2008, séance no 19.

[2] Débats, 3 mars 2008, p. 3549-3551.

[3] Bourinot, J.G., Parliamentary Procedure in the Dominion of Canada, 2e éd., rev. et augm., Montréal, Dawson Brothers, Publishers, 1892, p. 258-259.

Pour des questions au sujet de la procédure parlementaire, communiquez avec la Direction des recherches pour le Bureau

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