Chapitre 14La limitation du débat
Motion pour affaire courante proposée par un ministre
Une autre règle permet à la Chambre de limiter en quelque sorte le débat. Si, à un moment quelconque au cours d’une séance, le consentement unanime est refusé pour la présentation d’une motion pour affaire courante qui n’a pas fait l’objet d’un avis écrit, un ministre peut demander à la présidence, pendant la rubrique « Motions » des Affaires courantes175, de mettre cette motion aux voix immédiatement, sans débat ni amendement176. Si 25 députés ou plus se lèvent, elle est réputée retirée177, sinon, elle est adoptée178. Cette procédure évite ainsi au ministre de faire inscrire la motion au Feuilleton et de devoir ensuite la proposer et en débattre. Il est à souligner qu’il n’est pas obligatoire de proposer une telle motion la même journée que celle durant laquelle le consentement unanime a été refusé initialement179.
L’expression « motion pour affaire courante » désigne les motions qui peuvent s’imposer pour l’observation du décorum de la Chambre, le maintien de son autorité, l’administration de ses affaires, l’agencement de ses travaux, la détermination des pouvoirs de ses comités, l’exactitude de ses archives ou la fixation des jours où elle tient ses séances ainsi que des heures où elle les ouvre ou les ajourne180.
Avant son entrée en vigueur en 1991181, on soutenait qu’elle limiterait la capacité des députés de débattre les motions du gouvernement et permettrait de « faire fi du consentement unanime182 ». Depuis, des députés se sont plaints nombre de fois qu’on l’invoquait à des fins pour lesquelles elle n’avait jamais été prévue et ne s’entendaient pas sur ce qui constituait ou non une « motion pour affaire courante ».
En effet, il a semblé au départ que la gamme des motions auxquelles ce dispositif pouvait s’appliquer serait limitée183. Bien que son usage n’ait pas toujours été conforme à la règle ou à son esprit, et qu’il ait fait l’objet de rappels au Règlement, l’article 56.1 a, au fil des ans, été utilisé pour prolonger une séance afin que la Chambre siège pendant le week-end184 ou pour qu’elle poursuive l’étude d’un projet de loi émanant du gouvernement185 ; pour suspendre la séance pour des cérémonies de sanction royale186 ; pour traiter d’une motion émanant du gouvernement187 ; pour adopter un projet de loi du gouvernement à certaines ou toutes les étapes, pour déterminer le moment et la manière d’en disposer ou pour en limiter les amendements188 ; pour fixer la durée des interventions au cours d’un débat exploratoire189 ; pour autoriser des comités à se déplacer190 ; pour désigner un comité pour un examen prévu par une loi191 et pour tenter de révoquer un ordre de la Chambre192.
En 2001, le Président Milliken déclarait : « Depuis 1997, il semble se dessiner une tendance inquiétante selon laquelle on utilise ou tente d’utiliser l’article 56.1 pour adopter des motions moins aisément qualifiables de motions pour affaires courantes193 ». Au fil du temps et en réponse aux multiples rappels au Règlement, la présidence a néanmoins clarifié certains aspects de cette procédure. Le Président a explicitement établi que celle-ci n’avait jamais été destinée à faire adopter un projet de loi à ses diverses étapes ou un projet de loi n’entrant pas dans la catégorie de ceux qu’on fait progresser en cas d’urgence ou de circonstances extraordinaires194. Il a de plus indiqué qu’on n’avait jamais envisagé que cette règle serait utilisée pour casser les décisions de la Chambre prises du consentement unanime ni qu’elle pouvait être invoquée pour se substituer aux décisions que la Chambre elle-même devait prendre sur des questions importantes195. Le Président a également jugé qu’elle ne pouvait pas servir de recours dans le cas où le consentement unanime avait été demandé et refusé pour l’adoption d’un rapport établissant les membres des comités de la Chambre196. En outre, son usage en vue de régir les travaux d’un comité permanent de la Chambre a été jugé contraire au Règlement197. Enfin, il a été établi qu’elle ne devrait pas servir à donner des instructions aux comités198.
Par ailleurs, interpellée sur la constitutionnalité de cette procédure étant donné que l’article 49 de la Constitution prévoit que les questions soulevées à la Chambre des communes, sauf exception, sont décidées à la majorité des voix, la présidence a jugé que cette prescription concernait surtout des questions de substance et non pas nécessairement des questions de procédure interne, objet principal des motions visées par la règle199.
Devant les nombreuses préoccupations exprimées par les députés, les Présidents Parent, Milliken et Scheer ont tous exhorté le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre à examiner le bon emploi de cette procédure200. En l’absence de rétroaction de la part de ce comité et de la Chambre, la présidence a indiqué qu’elle ne pourrait pas déclarer irrecevables des motions qui semblent être conformes au Règlement, nonobstant les réserves qu’elle peut pourtant avoir sur certaines d’entre elles201.