Opinion dissidente - Scandale des fiducies familiales
Bloc Québécois
L'institutionnalisation d'un camouflage éhonté
Introduction
Le dépôt de ce nouveau rapport par la majorité libérale du Comité des Comptes publics sur le scandale des fiducies familiales s'inscrit tout droit dans la lignée du camouflage en règle par le gouvernement d'un scandale financier et fiscal sans précédent au Canada. Le Comité des Comptes publics devait faire toute la lumière sur les événements nébuleux entourant la décision anticipée du 23 décembre 1991, laissant au Comité des Finances la partie technique des modifications fiscales nécessaires.
Au lendemain du dévoilement de ce scandale, plusieurs députés libéraux du Comité se montraient outrés par les agissements de Revenu Canada et du ministère des Finances. Les députés libéraux récalcitrants sont vite rentrés dans les rangs de la partisanerie gouvernementale qui tente par tous les moyens de protéger des intérêts très, très hauts placés et dont les implications financières ne sont plus à démontrer.
Aucun manque d'intégrité ?
Pour justifier son ineptie et son manque de courage, la majorité libérale soutient que « le Comité n'a trouvé aucun élément qui permettait de mettre en doute l'intégrité des fonctionnaires qui ont participé à la prise de cette décision anticipée. » (Rapport majoritaire, p.5) Il est hypocrite et même naïf de la part des députés libéraux de prétendre pouvoir se prononcer sur l'intégrité des fonctionnaires concernés. Toutes les actions des députés libéraux lors des réunions du Comité consistaient en une tentative éhontée de noyer le poisson en tentant de masquer les faits.
Peuvent-ils vraiment prétendre faire toute la lumière sur ce scandale ? Ils ont, tout d'abord, refusé que le Comité remplisse pleinement son mandat. Ils ont, ensuite, refusé que le Comité se serve de tous ses pouvoirs d'enquête. Ils ont, aussi, refusé que le Comité entende tous les fonctionnaires concernés. Puis, finalement, ils ont refusé que le Comité tienne plus que deux réunions sur ce scandale. Faire toute la lumière? C'était bien le dernier objectif des députés libéraux.
Ces derniers ont beau vouloir s'appuyer sur les déclarations du Vérificateur général (rapport majoritaire, p.5), ils omettent délibérément de préciser que le Vérificateur général spécifie clairement que : « ... nous n'avons pas fait une enquête axée sur ces points-là (ingérence ou manque d'intégrité). Notre enquête était axée sur l'interprétation technique qui a été donnée à la demande de l'interprétation. » (Comité des Comptes publics, le 8 mai 1996 et le 2 octobre 1996)
Or, le rôle de s'assurer de l'intégrité des fonctionnaires revient précisément au Comité des Comptes publics, gardien de l'imputabilité gouvernementale. La majorité libérale au sein du Comité a clairement abdiqué ses responsabilités. En effet, l'analyse des quelques témoignages présentés au Comité démontre l'aveuglement volontaire dont ont fait preuve les députés libéraux.
Incohérences, inexactitudes, manquements et versions divergentes
Plus d'une dizaine d'incohérences, d'inexactitudes, de manquements et de versions divergentes sont ressortis tout au long des témoignages, notamment du sous-ministre du Revenu, Pierre Gravelle, acteur de premier plan lors de la décision du 23 décembre 1991. En refusant d'en noter une seule, les députés libéraux, ont réussi à institutionnaliser ce scandale en mettant au service du gouvernement le seul Comité du Parlement chargé de veiller à l'imputabilité de l'appareil gouvernemental. Voici quelques exemples du manque de courage et de la mauvaise volonté de la majorité libérale:
- Tout d'abord, une note d'information rédigée le dimanche 22 décembre 1991 par un
fonctionnaire de Revenu Canada, sur sa propre initiative, rendait une décision défavorable à
l'endroit du contribuable. Commentant cette fameuse note, le sous-ministre du Revenu a
prétendu que cette note d'information n'était qu'une procédure de routine au cas où une décision
défavorable serait rendue (Comité des Comptes publics, le 2 octobre 1996). Il s'avère que le
Vérificateur général, pour qui cette note a beaucoup d'importance, entendait pour la première fois
cette explication de Revenu Canada, cette même journée, lors de la réunion du Comité (Comité
des Comptes publics, le 2 octobre 1996). Pourtant, Revenu Canada et le Vérificateur général
travaillent ensemble depuis des mois sur ce dossier. Les libéraux n'en font aucune mention dans
leur rapport.
- Ensuite, Revenu Canada refuse habituellement de rendre des décisions anticipées sur des
transactions passées. Or, le Vérificateur général fait clairement ressortir que la décision de
Revenu Canada portait sur des transactions passées. Même à la dernière réunion du Comité, les
divergences entre Revenu Canada et le Vérificateur général persistaient. Aucune mention, encore
une fois, dans le rapport des libéraux.
- De plus, le sous-ministre du Revenu a reconnu que les incidences fiscales de la décision
anticipée n'avaient pas été évaluées. Ainsi, Revenu Canada a permis le transfert de plus de 2
milliards vers les États-Unis sans payer d'impôt et ce, sans mesurer les impacts possibles sur
l'assiette fiscale du Canada d'une décision d'une telle importance. Les libéraux refusent
d'inclure ces graves manquements dans leur rapport.
- Puis, le sous-ministre du Revenu a avoué lors de la dernière réunion que l'avis de
renonciation signé par le contribuable n'avait aucune valeur légale et qu'il ne pouvait retracer
avec certitude la fiducie familiale aux États-Unis. Tous des manquements graves et des gestes
qui mettent en danger l'assiette fiscale du Canada. La majorité libérale ferme les yeux et n'en
fait toujours aucunement mention dans son rapport.
- Enfin, le 16 mai 1996, le sous-ministre du Revenu indique au Comité des Comptes publics qu'il était au courant d'un débat durant tout le mois de décembre 1991 sur la décision anticipée du 23 décembre 1991. Par contre, dans son témoignage du 2 octobre 1996 devant le même Comité, le sous-ministre nous indique qu'il a été mis au courant seulement le 20 décembre 1991. Comme par hasard, la version donnée le 2 octobre 1996 cadrait beaucoup mieux dans la justification de la fameuse note d'information du 22 décembre 1991, déposée cette même journée au Comité. Encore une fois, les libéraux omettent délibérément dans leur rapport cet important détail.
La seule chose qui commence à éclairer les canadiens dans le scandale des fiducies familiales ce n'est pas ce qui ne se retrouve dans le rapport des députés libéraux, mais plutôt ce qui volontairement ne s'y retrouve pas.
Manipulation gouvernementale
La liste des incohérences, des inexactitudes, des manquements et des versions divergentes pourraient s'allonger encore de nombreux exemples. Dès le début des travaux du Comité, la majorité libérale, manifestement manipulée par le gouvernement, a empêché le Comité des Comptes publics de faire toute la lumière sur le scandale des fiducies familiales.
Le rapport majoritaire vient couronner cet effort manifeste du gouvernement d'enterrer ce scandale et de taire la vérité pour éviter de s'éclabousser eux-mêmes. Le gouvernement tente, par tous les moyens, d'empêcher les Canadiens de connaître toute la vérité sur ces manoeuvres fiscales et financières qui ont probablement coûté des milliards de dollars au fisc canadien.
Les députés du Bloc Québécois s'interrogent aussi sur l'attitude du sous-ministre des Finances, David Dodge, qui en agressant verbalement le Vérificateur général lors de la dernière réunion du Comité, a outrepassé toutes les règles de respect. Son comportement inacceptable et irrespectueux démontre l'arrogance du gouvernement envers une des plus importantes institutions de notre système parlementaire.
Recommandation
C'est honteux et, malheureusement pour le gouvernement, c'est loin d'être terminé. C'est pourquoi, nous, les députés du Bloc Québécois, par cette opinion dissidente, faisons la recommandation suivante:
- Que soit mise en place une commission spéciale d'enquête, indépendante du
gouvernement, avec comme mandat de faire toute la lumière sur les événements
entourant la décision du 23 décembre 1991 et sur l'utilisation, par la suite, de cette
échappatoire fiscale par d'autres riches familles canadiennes.
Conclusion
Sans une enquête neutre et indépendante de toute partisanerie du gouvernement libéral, la lumière ne pourra jamais être faite sur ce scandale. Et si le gouvernement n'a rien à cacher, n'a personne à protéger et n'a rien à se reprocher comme il le prétend, qu'est-ce qui l'empêchera de mettre en place une telle commission d'enquête qui le blanchira certainement de tout blâme. Du moins, c'est que le gouvernement nous répète depuis 6 mois !
Michel Guimond, député
Yves Rocheleau, député
Pierre de Savoye, député