RECOMMANDATIONS
Le Comité a procédé à un examen général du projet de loi C-91, en application de l'article 14(1) de la Loi. Nous avons entendu plus de 140 témoins, que nous remercions sincèrement, ainsi que les nombreux Canadiens qui se sont mis à notre disposition pour nous aider à mieux comprendre le dossier dont nous étions saisis.Personne ne sera étonné d'apprendre que ce domaine nous est apparu comme l'un des plus controversés et des plus complexes dont le gouvernement canadien ait à s'occuper. Comme nous l'expliquons dans le rapport, les politiques publiques du Canada à cet égard ont pris naissance d'une manière tout à fait particulière et elles sont uniques en leur genre dans le monde industriel. Aussi, nos recommandations reposent-elles sur la conviction qu'il faut s'attaquer à l'ensemble des problèmes dont nos audiences nous ont appris l'existence.
Adoptant la perspective la plus large, le Comité constate que les enjeux concernent à la fois la santé et le secteur industriel. Il est impossible de ne prendre qu'un seul aspect en compte. Les Canadiens sont extrêmement fiers de leur système de soins de santé et ils sont prêts à se battre pour défendre les cinq principes fondamentaux de la Loi canadienne sur la santé. Une politique efficace en matière de médicaments est l'une des composantes essentielles de ce système. Nous avons donc besoin d'une industrie pharmaceutique efficiente, productive, rentable et novatrice pour appuyer les objectifs de la Loi canadienne sur la santé.
Nous aimerions croire que la politique en matière de santé et les politiques relatives à l'industrie pharmaceutique s'harmonisent tout naturellement. Hélas, la réalité est tout autre : il arrive même qu'elles tendent vers des objectifs opposés. Chose certaine, cependant, tous doivent absolument reconnaître que, pour modifier un seul élément, il faut remettre en jeu l'équilibre général, car beaucoup de problèmes sont liés entre eux. Les gouvernements doivent être conscients des conséquences de ces changements, pour minimiser les perturbations et optimiser les avantages qui en découleront pour l'industrie et les consommateurs.
Certaines de nos recommandations répondent directement aux questions soulevées par les témoins, qui souhaitent que le régime concernant les produits pharmaceutiques soit davantage orienté sur les politiques publiques. Les enjeux en cause sont, entre autres, les coûts, les systèmes d'acheminement, le règlement des litiges, la sensibilisation du public et la recherche. Nos autres recommandations concernent la structure de l'industrie elle-même. Comme celle-ci subit l'influence de la situation internationale et du contexte national, nous proposons quelques principes et lignes directrices susceptibles de rendre le climat moins tendu.
Des témoins ont dit au Comité que les fabricants de médicaments génériques devrait bénéficier d'une exemption pour pouvoir exporter vers les pays où un brevet a expiré. Les témoignages entendus par le Comité ne l'ont pas convaincu que cette mesure serait conforme à nos obligations internationales. En effet, accorder une telle exemption créerait un précédent à l'échelle internationale. Le Comité prévient toutefois le gouvernement que des données non scientifiques semblent indiquer que des fabricants de médicaments génériques ont été forcés d'aller s'installer à l'extérieur du Canada pour produire des médicaments destinés aux marchés intérieurs d'autres pays.
Nous sommes conscients, et nous tenons à le répéter, que la parution du présent rapport tombe à un moment difficile dans l'évolution de la politique de santé et de la politique relative à l'industrie pharmaceutique. Il s'agit là de deux domaines qui comptent plusieurs intervenants perspicaces, à la fois bien informés et hautement compétents. Par exemple, les deux paliers de gouvernement, provincial et fédéral, s'inquiètent du prix des médicaments, tandis que les trois niveaux administratifs s'intéressent aux emplacements et à l'expansion des installations de recherche. Par ailleurs, des dizaines de groupes d'intérêt souhaitent ardemment la modification d'une politique ou d'une autre, dans tous les domaines auxquels le Comité s'intéresse. De plus, bien entendu, les grandes sociétés de produits pharmaceutiques et de médicaments génériques ont donné leur avis sur les politiques publiques canadiennes.
La tâche à laquelle le Canada doit s'attaquer pour l'instant est celle de rétablir des partenariats efficaces, de manière à réduire les points de friction et à assurer une meilleure convergence de vues. Il est dans l'intérêt de tous que le système soit le plus rentable possible, tout comme il importe que nous soyons à la fine pointe de la recherche-développement des produits de santé. Il incombe au gouvernement de façonner des politiques en matière de santé et en matière de produits pharmaceutiques, afin que chacun des partenaires, qui ont tous tant à apporter, commence à jouer un rôle positif, qui profite aux Canadiens. Nous avons bon espoir que ce rapport sera considéré comme un pas dans la bonne direction.
Recommandation 1
Le Comité est d'avis, puisque les produits pharmaceutiques sont médicalement nécessaires, qu'il convient d'étudier la faisabilité d'un programme national d'assurance-médicaments. S'il est vrai que l'immense majorité des Canadiens sont actuellement protégés par une quelconque assurance publique ou privée, il faut également reconnaître les besoins des personnes laissées sans protection. Des dizaines de témoins ont mentionné les coûts croissants des produits pharmaceutiques et insisté pour que le Comité agisse en fonction des recommandations du Forum national sur la santé.
Les membres du Bloc Québécois tiennent, pour leur part, à souligner leur accord à de nombreux groupes qui sont venus déplorer les coupures dans les paiements de transfert dans le domaine de la santé. Ces diminutions de revenus ont forcé les provinces à faire des coupures draconniennes dans leurs services. Ces coupures fédérales sont déplorables, d'autant plus qu'actuellement le gouvernement Libéral cherche à injecter de l'argent en santé, avec comme principal objectif d'obtenir plus de visibilité «politique» pour l'argent dépensé par Ottawa dans ce secteur. Le Bloc Québécois croit plutôt qu'il serait préférable d'augmenter tout simplement les transferts en santé et laisser le soin aux provinces de déterminer par elles-mêmes leurs priorités. Le Bloc Québécois indique finalement que dans l'éventualité de la mise en place d'un régime national d'assurance-médicaments, le gouvernement fédéral devra transférer les points d'impôt équivalents aux provinces qui possèdent déjà leur propre régime, comme le Québec. Le gouvernment devrait s'inspirer du Régime de pension du Canada où le Québec possède son propre système avec la Régie des rentes.
Recommandation 2 - Le CEPMB
Les Canadiens doivent être convaincus que le prix de tous les produits pharmaceutiques est approprié. À cet égard, le Comité est d'accord avec les témoins qui estiment qu'il faudrait revoir et renforcer le mandat du Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB). De l'avis du Comité, il est impératif que les Canadiens aient confiance dans le rôle et les méthodes de cet organisme. Afin que le Parlement dispose des renseignements voulus sur son travail et son efficacité, le Comité recommande que le Bureau du vérificateur général effectue une vérification du CEPMB.
En outre, afin de mieux informer le public sur l'établissement du prix des médicaments au Canada, le Comité recommande que le gouvernement prenne des mesures pour permettre au public un meilleur accès aux renseignements non exclusifs sur le prix des médicaments que détient le CEPMB.
De plus, le Comité recommande que l'on élargisse les pouvoirs du Conseil d'examen afin qu'il puisse faire enquête quant à l'accès juste et raisonnable de la part des compagnies titulaires de brevets, concernant les médicaments non-homologués pour les personnes atteintes de maladies dégénératives.
Recommandation 3 - La durée de 20 ans des brevets
Selon le Comité, le Canada devrait continuer d'honorer ses obligations en matière de commerce international. Le Comité approuve la durée de 20 ans des brevets.
Recommandation 4 - La refonte de la réglementation
De nombreux témoins ont entretenu le Comité au sujet du règlement touchant les avis de conformité. Nous croyons que ce règlement est au coeur du débat et nous avons essayé de bien comprendre la controverse qui l'entoure. Au cours d'une table ronde convoquée précisément sur cette question, le Comité a entendu les conseillers juridiques des fabricants de produits génériques et des fabricants de médicaments de marque déposée. On a discuté des options et des avantages de chaque modèle. Le Comité a écouté les deux parties qui ont laissé entendre que, dans sa forme actuelle, le système est problématique et a donné lieu à un trop grand nombre de litiges.
Le Comité est conscient du coût élevé de la recherche-développement ainsi que des longues périodes nécessaires aux essais cliniques et au processus d'approbation. Le Comité est aussi conscient du désir de faire en sorte que les produits génériques non contrefaits soient mis sur le marché dès l'expiration de tous les brevets pertinents.
Le Comité est conscient des obligations juridiques auxquelles le gouvernement est assujetti en vertu de la Politique de réglementation et de la Loi sur les textes réglementaires. Ce processus vise à garantir le respect de la Politique de réglementation (notamment à consulter le plus possible les parties intéressées) de même que la responsabilisation des ministères. Le processus d'adoption de règlements par le gouverneur en conseil comprend les étapes suivantes : le projet réglementaire est soumis à la section des règlements du ministère de la Justice pour étude, puis au Secrétariat du Conseil du Trésor pour étude du Résumé de l'étude d'impact de la réglementation (REIR), et enfin au Conseil privé pour examen général. Le Comité spécial du Conseil (CSC) examine le projet et donne son accord à la publication préliminaire du règlement et du REIR dans la Partie I de la Gazette du Canada. Une fois cette étape franchie, le public dispose d'au moins 30 jours pour formuler des commentaires. Si des commentaires substantiels sont reçus, le ministère responsable doit les étudier et y répondre de façon appropriée. Si ces commentaires entraînent des changements importants, le processus doit être repris du début. Dans le cas contraire, le projet de règlement est soumis au CSC pour approbation définitive. S'il est approuvé, le greffier du Conseil privé enregistre le règlement en lui attribuant un numéro DORS (Décrets, Ordonnances et Règlements statutaires). Le règlement entre habituellement en vigueur à la date d'enregistrement et le texte approuvé est publié dans la Partie II de la Gazette du Canada. Enfin, le règlement est soumis au Comité mixte permanent d'examen de la réglementation. Normalement, tout le processus nécessite au moins une année. La même démarche doit être suivie pour l'abrogation ou la modification d'un règlement. Il faut signaler en terminant que le CSC peut promulguer des règlements lorsque le Parlement ne siège pas.
Compte tenu de la complexité de ces questions, le Comité recommande que le gouvernement jette un nouveau regard sur le régime réglementaire associé au projet de loi C-91 afin de donner suite aux préoccupations soulevées par les parties intéressées.
Le Bloc Québécois privilégie deux options
La première option permet d'apporter deux modifications au règlement de liaison actuel.
A) Clarifier la liste qui accompagne les brevets
B) Que le processus d'homologation et la contestation juridique de l'avis de conformité devraient être d'une durée similaire, pour s'assurer de ne pas retarder indûment l'entrée d'un produit générique
La deuxième option s'inspire du modèle américain, c'est-à-dire un système où la procédure normale des tribunaux s'applique (injonction et dommages-intérêts), les dommages versés correspondent au triple des dommages causés. Ceci constitue un désincitatif majeur à la contrefaçon. De plus, les dispositions de la production hâtive et de l'accès à l'information des produits brevetés sont plus limitées et différentes.
Peu importe l'option, l'objectif vise à s'assurer que la protection accordée par la Loi sur les brevets soit respectée dans la réalité et que l'on reconnaisse le caractère spécifique de l'Industrie pharmaceutique. Le Bloc Québécois tient également à souligner que s'il devait y avoir des modifications, celles-ci devront être enchâssées dans la loi.
Recommandation 5 - Recherche et développement
Après l'entrée en vigueur du projet de loi C-91, l'Association canadienne de l'industrie du médicament (ACIM) a pris un certain nombre d'engagements concernant les travaux de recherche et développement (R-D) menés par ses membres. Ces engagements devaient être respectés collectivement par les membres de l'ACIM. Au nombre de ces engagements figurait un programme sur la santé de 200 millions de dollars qui devait être réalisé conjointement par l'ACIM et le Conseil de recherches médicales (CRM) afin d'appuyer la formation et la recherche biomédicale dans des universités et établissements connexes de tout le Canada pendant une période de cinq ans (de 1993 à 1998).
Afin de combler le vide qui sera laissé avec la fin de ce programme sur la santé du CRM et de l'ACIM en octobre 1998 et de renforcer l'engagement pris par l'industrie pharmaceutique à l'égard de la recherche fondamentale sur la santé au Canada, le Comité recommande que des négociations soient menées pour établir un programme similaire. Nous sommes en effet d'avis qu'il faut intensifier la recherche fondamentale au Canada.
Le Comité recommande qu'on offre à l'industrie, tant des médicaments génériques que brevetés, de participer à un programme similaire avec le CRM, ou encore de verser des droits modestes de 1 p. 100 sur le prix de vente des médicaments brevetés, génériques et non brevetés exigés par les fabricants. Le fonds ainsi créé serait alors administré par le Conseil de recherches médicales suivant le processus habituel d'évaluation par des pairs. Ce fonds appuierait des projets de collaboration entre l'université et l'industrie dans le domaine de la recherche sur la santé au sens large, des mesures visant à combler les besoins actuels de la recherche pharmaceutique, de même que des projets de renforcement des outils de recherche dont doit disposer toute industrie biopharmaceutique autonome.
Recommandation 6
Afin de faciliter la tenue d'un débat public sur les prix, la consommation et les coûts des médicaments, de même que sur l'assurance-médicaments, le Comité recommande que le CEPMB consulte les consommateurs, les professionnels de la santé, les experts et les provinces afin d'évaluer ses rapports statistiques actuels et de déterminer quels autres renseignements il pourrait fournir au public. Le Conseil devrait collaborer avec l'industrie afin d'élaborer les modèles de simulation nécessaires pour analyser l'impact des prix des médicaments sur le système de santé canadien.