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CHAPITRE 3 - LA CRIMINALITÉ JUVÉNILE ET L'OPINION PUBLIQUE

Tout au long des consultations et de la rédaction du rapport, les membres du Comité ont été frappés par l'écart entre la façon dont le public perçoit la criminalité juvénile et le système de justice pour les jeunes, et la réalité. Les sondages d'opinion publique, les comptes rendus médiatiques et des données anecdotiques révèlent une attitude généralement défavorable à l'égard de la Loi sur les jeunes contrevenants et des tribunaux de la jeunesse. En général, le public croit que les juges de ces tribunaux sont trop indulgents et que la criminalité juvénile, en particulier les crimes avec violence, sont de plus en plus nombreux et qu'il faudrait imposer des peines plus longues.

TAUX DE LA CRIMINALITÉ AVEC VIOLENCE

Il ressort systématiquement des sondages d'opinion une surestimation de la fréquence des crimes avec violence au Canada. La majorité des Canadiens croient que la plupart des crimes comportent de la violence physique et que ces délits sont en hausse10. De fait, les crimes commis au Canada entraînent surtout des dommages et des pertes matériels; les crimes de violence ne représentent qu'une faible proportion des incidents criminels signalés à la police. En 1995, de toutes les infractions au Code criminel qui ont été déclarées, 11 p. 100 étaient des crimes de violence et 60 p. 100 de ceux-là étaient des voies de faits mineures11. De toutes les personnes accusées d'une infraction au Code criminel, 19 p. 100 des jeunes l'étaient pour des crimes de violence, comparativement à 29 p. 100 des adultes12. Sur les 2,5 millions de jeunes environ qui ont été visés par la législation sur les jeunes contrevenants au Canada en 1995, 65 ont été accusés d'homicide. Cette année-là, le taux d'homicide chez les jeunes a été de 2,7 pour100 000 jeunes.

En 1995 également, la proportion de jeunes accusés de crimes de violence a augmenté de 2,4 p. 100; plus de la moitié de ces accusations étaient reliées à des voies de faits mineures entre pairs; il n'y avait pas d'arme et aucune blessure grave n'a été infligée. Selon certains analystes bien informés des questions de justice, l'augmentation du nombre de jeunes accusés de délits de violence reflète en partie de nouvelles façons de déclarer les crimes, une tolérance plus faible à l'égard de toute forme d'agression et le fait que l'on soit davantage disposé, dans le système de justice, à donner suite à des déclarations d'incidents. Si le Canada est effectivement aux prises avec un problème de criminalité juvénile qui mérite notre attention, il ne s'agit pas d'une recrudescence des crimes de violence grave commis par des jeunes.

SOLUTIONS À LA CRIMINALITÉ JUVÉNILE

La population sous-estime souvent le nombre de peines de détention infligées par les juges des tribunaux de la jeunesse à des jeunes contrevenants.

En effet, les chiffres révèlent qu'au Canada le nombre de peines comportant la garde est quatre fois plus important dans le cas des jeunes que dans celui des adultes. En 1994-1995, plus de 25 000 causes entendues par les tribunaux de la jeunesse du pays ont donné lieu à une peine comportant la garde13, au coût unitaire d'environ 200 $ par jour, soit 40 000 $ par année.

Le Comité a appris que le taux d'incarcération des jeunes en application de la Loi sur les jeunes contrevenants au Canada est deux fois plus élevé qu'aux États-Unis et de dix à quinze fois le taux par 1 000 jeunes de nombreux pays d'Europe, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande. (80:27) Bien que les infractions commises par les jeunes ne comportent généralement pas de violence, ceux-ci sont traités de la même façon que des contrevenants violents. En 1994-1995, 34 p. 100 des verdicts de culpabilité rendus par les tribunaux de la jeunesse ont donné lieu à une peine de détention. Il s'agissait dans 43 p. 100 de ces cas de crimes contre les biens et dans 18 p. 100 de crimes de violence. Depuis 1990-1991, le nombre de jeunes condamnés à la détention et le nombre de jeunes placés en détention préventive ont augmenté de 20 p. 100. Contrairement à celui des adultes, le système de justice pour les jeunes n'a pas de mécanisme de libération conditionnelle.

La majorité des peines de détention sont de moins de trois mois. Certains témoins ont reproché à ces sentences d'exposer des jeunes ayant commis des infractions mineures à des délinquants plus aguerris, de ne pas prévoir de programmes de réadaptation et ils estiment «que rien ne prouve contrairement à ce que croient certains juges qu'un «bon petit choc» ait une incidence quelconque sur la probabilité que des jeunes commettent d'autres crimes"14. Par contre, vu la rareté des solutions de rechange sociale à la garde, les juges des tribunaux de la jeunesse n'ont souvent pas d'autres options que d'infliger de courtes peines de détention. Au cours d'une audience à huis clos avec des juges des tribunaux de la jeunesse, certains d'entre eux ont déploré le manque de solutions de rechange en matière de sanctions. L'un d'eux a affirmé ceci :

Sérieusement, s'il est nécessaire de se pencher sur les problèmes que pose la Loi sur les jeunes contrevenants, ce n'est pas parce que le droit, la loi ou les tribunaux ne placent pas assez de jeunes en détention. C'est parce que quand vient le temps de trouver ou de concevoir des programmes pour s'assurer que ces jeunes ne présentent pas une menace pour la société à long terme, ces programmes n'existent pas et ils sont rejetés chaque jour.

EFFETS DISSUASIFS DES PEINES SÉVÈRES

Les Canadiens sont nombreux à penser que les peines lourdes dissuaderont les jeunes de commettre des délits; or, les chiffres des tribunaux de la jeunesse révèlent que le taux de récidive est élevé au pays. Ainsi, en 1993-1994, 40 p. 100 des jeunes ayant reçu une condamnation d'un tribunal de la jeunesse étaient des récidivistes et 25 p. 100 des contrevenants comptant au moins trois condamnations antérieures.15 De plus, une proportion considérable d'adultes purgeant des peines d'emprisonnement dans des prisons provinciales et des pénitenciers fédéraux sont des «rejetons» du système de justice pour les jeunes. Ces données appuient les conclusions de recherches empiriques qui révèlent de façon systématique que les peines lourdes n'ont pas d'incidence sur la récidive. Au sujet du taux de récidive élevé chez les jeunes Canadiens, Glen Purdy, cofondateur du Sparwood Youth Assistance Program de la Colombie-Britannique, a fait l'observation suivante :

Étant donné que le système canadien agit clairement de manière très répressive à l'égard des jeunes, dans la grande majorité des cas, ce taux de récidive est tout à fait surprenant. Il montre que le système ne fait rien pour prévenir la récidive. (66:32)
Tous ne partagent pas cet avis. Ainsi, certaines personnes, dont des leaders de la collectivité, préconisent l'envoi de jeunes contrevenants dans des camps de type militaire croyant qu'en les exposant à des conditions de vie difficiles et exigeantes sur le plan physique, on réduira les chances qu'ils récidivent. Cette conviction n'est toutefois pas confirmée par les données d'une évaluation des camps de type militaire dans huit États américains. L'étude a démontré que dans quatre de ces États le taux de récidive des contrevenants ayant fait un séjour dans un camp de type militaire n'était pas inférieur à celui d'autres contrevenants d'un groupe témoin ayant reçu d'autres types de peines (p. ex. la détention dans un établissement pour les jeunes ou la probation). Dans deux États, les taux de récidive étaient effectivement plus élevés chez les détenus des camps de type militaire que chez ceux du groupe témoin. Ce n'est que dans les deux seuls États où des programmes de réadaptation de qualité constituait l'élément important du régime du camp et qu'une surveillance intensive se faisait dans la collectivité après la libération, que l'on a noté des taux de récidive plus bas.16 La conclusion de la recherche était que de soumettre des contrevenants à une discipline stricte dans un camp de type militaire ne réduisait pas de façon notable les taux de récidive ni, par extension, la victimisation.

Ces constatations ne se limitent pas au Canada et aux États-Unis. En Nouvelle- Galles du Sud, en Australie, l'étude de la récidive chez les jeunes détenus menée par le Bureau de la justice juvénile a révélé ceci :

Le nombre troublant de jeunes qui reviennent dans des centres correctionnels juvéniles pour avoir commis des crimes avec violence après une première période de détention pour une infraction ne comportant pas de violence nous amène à douter de la valeur thérapeutique des centres de détention pour jeunes, de leur capacité de dissuader les jeunes de récidiver et de leur capacité d'empêcher ou de réduire le plus possible les contacts avec les éléments plus expérimentés et plus violents qu'ils abritent. De plus, ces arguments prêchent en faveur du recours à des solutions de rechange à la détention dans la mesure du possible pour empêcher les jeunes contrevenants de gravir de nouveaux échelons dans la criminalité17.

CONNAISSANCE DU SYSTÈME DE JUSTICE POUR LES JEUNES

De nombreux témoins qui travaillent quotidiennement auprès de jeunes contrevenants ont exprimé un grand désarroi et beaucoup de frustration devant la méconnaissance qu'a le public des dispositions et des effets de la Loi sur les jeunes contrevenants et son manque de confiance à l'égard du système pour les jeunes contrevenants. À leur avis, la plupart des gens n'ont pas eu l'occasion de voir de près le fonctionnement du système de justice pour les jeunes et fondent leurs critiques et leurs opinions sur les cas entourés de beaucoup de publicité et les portraits que font les médias du jeune délinquant qui constitue un cas lourd; ni l'un ni l'autre ne sont représentatifs de la plupart des crimes commis par des jeunes et des jeunes contrevenants.

Une analyse des comptes rendus parus dans les journaux sur la criminalité des jeunes à Toronto révèle que les médias de grande diffusion, la principale source d'information publique sur le crime, font du très mauvais travail pour ce qui est d'informer le public18. Au cours d'une période de deux mois en 1995, 113 reportages sur des crimes commis par des jeunes ont été publiés dans trois quotidiens de Toronto; dans plus de 90 p. 100 des cas, il s'agissait des crimes comportant beaucoup de violence interpersonnelle. (Comme on l'a mentionné plus tôt, seulement 19 p. 100 des jeunes accusés d'une infraction au Code criminel en 1995 l'étaient pour des crimes avec violence19. De plus, dans seulement 12 de ces articles il était question de la sentence rendue par le tribunal de la jeunesse et, dans un seulement, on donnait les motifs de la décision du juge. L'auteur de l'étude estime que, durant ces deux mois, plus de 5 000 causes ont été réglées en Ontario et, que dans la majorité des cas, le juge a fourni quelques explications au sujet de sa décision.

Susan Reid-MacNivan de la Société John Howard du Canada a fait une recherche poussée sur la connaissance qu'avait la population de la Loi sur les jeunes contrevenants et du système de justice pour les jeunes. La majorité des répondants à son enquête (60 p. 100) ont dit tenir la plupart des renseignements dont ils disposaient au sujet de la criminalité juvénile des bulletins de nouvelles télévisées ou des journaux. Elle a constaté, comme il fallait s'y attendre, que plus de 60 p. 100 des répondants ne connaissaient aucun aspect de la détention des jeunes; 65 p. 100 surestimaient le nombre de crimes commis par des jeunes entrant dans la catégorie de jeune contrevenant et 70 p. 100 surestimaient le nombre de crimes avec violence commis par des jeunes. (192:2)

Parce qu'ils ont tendance à parler surtout des affaires criminelles à sensation en négligeant d'en donner le contexte ou d'en faire une analyse critique, les médias alimentent et renforcent les craintes de la population à l'égard de la violence des jeunes et l'idée fausse selon laquelle la plupart des crimes commis par les jeunes comportent des actes d'agression. Dans son mémoire au Comité, l'agente de police Olsen du Service de police d'Edmonton explique comment on suscite la peur chez les gens :

Nous entendons par contre beaucoup parler des crimes très violents dans les médias. Cela aggrave les peurs du citoyen moyen, en particulier si l'incident se passe dans sa ville. Cela nourrit le mythe qu'il vit dans une ville ou un quartier violent. Il y a si peu d'enfants qui participent vraiment à ce genre d'infractions[. . .] Mais nous ne disons pas suffisamment que les jeunes qui tournent mal ne représentent qu'un faible pourcentage de tous les jeunes. Le message que communiquent les médias est qu'il faut avoir peur des criminels; nous devrions tous avoir peur. (49:73)
Le Comité s'est laissé dire que la crainte que le public nourrit à l'égard des crimes violents commis par les jeunes s'est peut-être généralisée à l'ensemble des jeunes. Susan Reid-MacNivan en fait la remarque : «On constate que [la question de la criminalité des jeunes] a été mise en vedette par l'attention démesurée qui est prêtée aux épisodes de crimes graves et violents dont il est question dans les journaux. C'est pourquoi le public, devant la jeunesse, se sent pris de peur». (192:3-4) Pour les témoins, il est nécessaire que les décideurs prennent au sérieux les problèmes que vivent actuellement les jeunes, comme le chômage, le sous-emploi et le stress intense auxquels sont soumises les familles et prennent en compte le point de vue de ceux qui travaillent régulièrement avec les jeunes (les enseignants, les agents de service de protection de l'enfance et des services jeunesse, les conseillers scolaires, les agents de police et les agents de probation de même que les avocats des tribunaux de la jeunesse) lorsque vient le temps de faire des déclarations publiques au sujet de la criminalité juvénile et d'adopter des lois qui visent les jeunes.

On a aussi expliqué au Comité comment c'est en fait à cause de la désinformation que le public réclame à répétition des sanctions pénales plus sévères. C'est la conclusion à laquelle est arrivée l'auteure de l'analyse des articles de journaux de Toronto, dont il a été question précédemment. Elle a constaté ceci :

Compte tenu du manque d'information dont dispose la population, il est probable que si les jugements devenaient plus «sévères» elle ne le saurait même pas et ne serait donc pas plus satisfaite du degré de sévérité des jugements des tribunaux de la jeunesse20.
De fait, comme nous l'avons déjà signalé, depuis sa promulgation il y a 12 ans, la Loi a été modifiée trois fois : en 1986, en 1992 et, la dernière fois, en 1995. Dans bien des cas, les modifications apportées à la Loi ont eu pour but l'imposition de peines plus sévères dans le cas d'infractions comportant de la violence interpersonnelle et de faciliter le renvoi des jeunes contrevenants au système de justice pour les adultes. Pourtant, malgré ces changements stratégiques, on continue de réclamer l'adoption de mesures législatives plus strictes.

Pour certains témoins qui ont comparu devant le Comité, il n'est pas surprenant que le public voit dans la loi et les conséquences légales d'une infraction la solution à la criminalité juvénile; c'est le message qu'ils reçoivent régulièrement des médias et de certains chefs de file de la collectivité. Beaucoup ont été très sévères à l'endroit de ceux qui exploitent les inquiétudes en matière de sécurité publique et promettent d'imposer des sentences plus sévères qu'ils présentent comme la panacée à la criminalité juvénile. Au cours de ses déplacements, le Comité s'est fait dire à maintes reprises que ce sont les causes sensationnelles qui poussent les gens à réclamer des sentences plus lourdes et que ce n'est pas en modifiant encore la Loi sur les jeunes contrevenants que l'on apaisera les inquiétudes de la population au sujet de la criminalité juvénile ou qui rendront nos villes plus sûres. La position de l'Association du Barreau canadien a été formulée avec beaucoup d'à propos par sa porte-parole, Elizabeth Bennett, témoignant devant le Comité :

Pour examiner la Loi sur les jeunes contrevenants comme nous le soutenons dans notre mémoire, le Comité doit tenir compte du débat public très émotif suscité par quelques affaires sensationnelles qui ont impliqué des jeunes contrevenants. Nous reconnaissons qu'il faut empêcher les jeunes contrevenants de commettre des crimes graves et accompagnés de violence. Toutefois, la colère de la population face à des gestes isolés, si horribles soient-ils, ne devraient pas être considérés comme la preuve qu'il faut rendre la loi plus sévère. . . À long terme, il faut amener les jeunes contrevenants à reprendre leur vie en main et à devenir des membres productifs de la société. Pour ce faire, il faut procéder à une analyse des causes profondes qui contribuent à la criminalité chez les jeunes. (64:52)
Dans leur mémoire conjoint au Comité, les Sociétés John Howard du Canada, de l'Alberta et de l'Ontario ont dit voir dans la «tendance des législateurs à mal interpréter les attitudes du public et dans la conviction qu'une législation punitive satisfera ceux qui souhaitent que l'on fasse de la dissuasion à la pierre angulaire du système correctionnel pour les jeunes» le problème le plus crucial de la justice pénale aujourd'hui21. Dans le même ordre d'idée, Jim Robb, du Bureau d'aide juridique d'Edmonton, laisse entendre que les législateurs ont peut-être limité leurs options en propageant l'idée que la Loi sur les jeunes contrevenants est une loi indulgente qui encourage la criminalité juvénile et en adoptant des politiques encore plus dures en matière de justice pour les jeunes.

Notre dilemme, à mon avis, c'est que nous avons progressivement laissé penser au cours des cinq dernières années que la Loi sur les jeunes contrevenants est un échec pur et simple et que par conséquent nous devons respecter notre promesse de la rendre plus sévère. L'un des inconvénients de cette façon de penser, c'est de savoir ce que l'on va faire la prochaine fois lorsque le prochain train de mesures draconiennes va échouer. Nous nous mettons à modifier cette Loi tous les deux ans. (80:54)
Sandra Scarth, de la Ligue canadienne pour la protection de l'enfance, craint que de modifier encore la Loi sur les jeunes contrevenants parce que les gens la connaissent mal et pour apaiser les craintes suscitées par des cas extrêmes et non représentatifs contribuerait à créer un cadre législatif qui a échoué dans le cas de la majorité des crimes commis par des jeunes. C'est de l'éducation populaire, et non une autre réforme du droit applicable aux jeunes, que préconise la Ligue pour la protection de l'enfance et d'autres également.

Notre conviction est qu'une politique fondée exclusivement sur ces scénarios du pire sera vraiment inefficace pour ce qui est de s'attaquer aux problèmes d'ensemble que présentent la grande majorité des jeunes contrevenants. Nous craignons donc que l'intervention du gouvernement fédéral ne soit fondée sur des idées fausses et nous exhortons le gouvernement à faire d'abord l'éducation du public. (193:24)
De la même façon, Mona Lynch, de l'Aide juridique de la Nouvelle-Écosse, a recommandé ce qui suit :

À mon avis la Loi sur les jeunes contrevenants est la mesure législative la plus mal comprise au Canada en ce moment, et j'espère que ce n'est pas une raison pour la modifier. C'est plutôt une raison d'informer et de sensibiliser le public et non de modifier la Loi. (9:3)
Malgré des preuves anecdotiques du contraire, les témoins qui travaillent régulièrement avec des jeunes ayant des démêlés avec la justice disent que la plupart des jeunes sont aussi mal informés que le public en général au sujet des dispositions particulières de la Loi sur les jeunes contrevenants et du fonctionnement du système de justice pour les jeunes et la plupart ont repris pour leur compte le refrain voulant que la Loi sur les jeunes contrevenants est complaisante.

Lors d'une séance à huis clos, un juge du tribunal de la jeunesse nous a relaté une expérience qu'il a eue lorsqu'il était avocat de la défense pour des jeunes contrevenants : «Je me suis occupé de cette jeune fille qui avait tout entendu; chaque fois que vous ouvrez la télé. . .chaque fois que vous ouvrez un journal. . .il ne vous arrivera rien. C'est ce que tous les jeunes entendent. Elle était en détention et je lui parlais à travers la vitre et elle m'a dit «il ne m'arrivera rien parce que c'est le tribunal de la jeunesse». Je lui ai répondu : «Mais tu es en prison». Elle avait entendu si souvent qu'il ne lui arriverait rien qu'elle ne se rendait même pas compte qu'elle était en détention. Nous devons assumer la responsabilité de cette attitude, ça lui échappait complètement».

Le personnel du système de justice pénale qui propage l'opinion que la Loi sur les jeunes contrevenants est une loi qui manque de mordant pourrait bien, selon ce que le Comité a entendu, avoir une compréhension incomplète de la Loi. Brian Scully, président du Comité de justice pour la jeunesse du Conseil de développement social de l'Ontario, rapporte les propos qu'avait tenus un agent de police d'expérience à une personne qui venait d'être victime d'une agression grave d'un jeune contrevenant; ils en disent long.

Un policier qui avait 17 ans d'expérience dans le service a dit à la victime : «Bien sûr, si ce jeune homme avait tué votre mère, votre père et tous les membres de votre famille, la peine maximale qui aurait pu lui être imposée selon la Loi sur les jeunes contrevenants aurait été de seulement trois ans». C'était il y a deux ans. . . . Je lui ai demandé pourquoi il avait dit cela quand ce n'est évidemment pas vrai. Il m'a demandé ce que je voulais dire et j'ai mentionné l'article 16. Il m'a demandé ce qu'était l'article 16 et je lui ai répondu que c'était l'article de la Loi sur les jeunes contrevenants prévoyant le transfert au tribunal pour adultes. Il m'a demandé de quoi je voulais parler. Après 17 années d'expérience, il était gêné de reconnaître qu'il avait arrêté peut-être un millier d'adolescents depuis 1984 et qu'il n'était même pas au courant de l'article de la Loi sur les jeunes contrevenants qui permet le transfert au tribunal pour adultes. Il m'a dit ensuite que cela l'inquiétait parce qu'il avait l'impression que bon nombre de ses collègues ne comprenaient pas la Loi et ne la connaissaient pas. (23:30)
À la lumière de ce qui précède, les témoins ont réclamé une campagne nationale d'information pour mettre la criminalité juvénile et la prévention à ce chapitre à l'ordre du jour des préoccupations nationales. Ils ont parlé d'éducation populaire comme moyen de diffuser une information exacte, de dissiper des mythes et de faire prendre conscience de la responsabilité sociale en matière de criminalité et de prévention du crime. Le Comité croit que si l'on veut que la population reprenne confiance dans le système de justice pour les jeunes, il faut lui donner une information factuelle et complète sur la criminalité chez les jeunes, la Loi sur les jeunes contrevenants et le système de justice pour les jeunes. Il faudrait aussi concevoir de l'information rédigée dans un langage simple à l'intention des intervenants du système judiciaire et de ceux qui doivent passer par ce système.

RECOMMANDATION 3

Le Comité recommande que le ministre de la Justice amorce des discussions avec les ministres provinciaux et territoriaux responsables de la justice pour les jeunes afin de favoriser, de concert avec des organismes communautaires, des campagnes d'information multidisciplinaires exhaustives sur la criminalité chez les jeunes, la Loi sur les jeunes contrevenants et le système de justice pour les jeunes à l'intention du grand public, des intervenants du système et des personnes qui doivent l'utiliser.


10 K. Hung et S. Bowles, «La criminalité et les perceptions du public», Juristat, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada, vol. 15, no 1, janvier 1995, p. 10.

11 H. Johnson, «Les crimes de violence au Canada», Juristat, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada, vol. 16, no 6, juin 1996, figure 1, p. 6.

12 D. Hendrick, «Statistiques sur les crimes au Canada, 1995», Juristat, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada, vol. 16, no 10, 1996.

13 G. Doherty et P. de Souza, «Statistiques sur les tribunaux de la jeunesse : Faits saillants de 1994-1995», Juristat, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada, vol. 16, no 4, mars 1996.

14 A. Doob, et al., Youth Crime and the Youth Justice System: A Research Perspective, Université de Toronto, Toronto, 1995, p. 118.

15 G. Doherty et P. de Souza, «La récidive dans les tribunaux de la jeunesse 1993-1994», Juristat, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada, vol. 15, no 16, décembre 1995.

16 D.L. MacKenzie, et al., «Boot Camp Prisons and Recidivism in Eight States,» Criminology, vol. 33, no 3.

17 M. Cain, Juveniles in Detention: A Model for Diversion, Office of Juvenile Justice, Sydney, Australia, 1993, p. 36.

18 J.B. Sprott, «Understanding Public Opinion of the Young Offenders Act», mémoire présenté au Comité permanent de la justice et des questions juridiques de la Chambre des communes, Phase II de l'examen de la Loi sur les jeunes contrevenants, septembre 1995.

19 Hendrick (1995).

20 Sprott (1995), p. 3.

21 John Howard Society of Canada, John Howard Society of Alberta and John Howard Society of Ontario, «Brief to the House of Commons Standing Committee on Justice and Legal Affairs, Young Offenders Phase II Review, Main Submission», novembre 1995.


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