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CHAPITRE 4 - LA PRÉVENTION DU CRIME

UN BESOIN RÉEL

À l'adolescence, bien des jeunes commettent une ou plusieurs infractions mineures qui pourraient, si elles étaient signalées, les amener devant les tribunaux. L'adolescence est une période où l'on prend des risques et où l'on joue avec les règles et les interdits sans penser beaucoup aux conséquences à long terme. En vieillissant et en vivant moins pour le moment présent, la plupart des jeunes en viennent à se conformer aux moeurs sociales et légales de leur collectivité et deviennent des adultes sains et socialement responsables. Parmi les jeunes contrevenants, par contre, un petit nombre se livre de façon répétitive à des infractions graves contre les biens et les personnes. Les sondages révèlent, faut-il s'en surprendre, que ce sont ces jeunes délinquants récidivistes et violents qui suscitent le plus de crainte dans la population.

L'évaluation des cas des délinquants récidivistes ou chroniques met en lumière l'importance de prendre des mesures de prévention du crime durant l'enfance. Nombre de jeunes contrevenants récidivistes et de délinquants adultes incarcérés viennent de milieux socio-économiques similaires et ont en commun un certain nombre d'expériences vécues pendant l'enfance relativement à la famille, à l'école et à la collectivité qui sont considérées comme des facteurs de risque importants relativement à la criminalité.

On a expliqué au Comité que les enfants antisociaux viennent généralement de familles aux prises avec des difficultés multiples caractérisées par des problèmes financiers et de logement, le chômage, des conflits et de la violence, la criminalité des parents, l'abus d'intoxicants et un rôle parental assumé de façon incohérente ou incompétente. La pauvreté est presque toujours au rendez-vous. Les enfants défavorisés qui vivent dans des foyers et des quartiers dysfonctionnels ont tendance à manifester des comportements agressifs et socialement inadaptés, à avoir de mauvais résultats scolaires, à abuser de drogues ou d'alcool et à s'associer avec des compagnons délinquants. L'apparition précoce de problèmes de comportement et l'échec scolaire sont deux variables prédictives importantes de la délinquance et de la criminalité adulte. Le profil sommaire que l'avocat de la défense d'Halifax Danny Graham fait des jeunes qu'il représente illustre bien ces propos :

Au moins 80 p. 100 d'entre eux correspondent à un profil déjà bien établi. Ils viennent de familles dysfonctionnelles, ont peu d'instruction, ont des parents peu instruits, manquent d'estime d'eux-mêmes et sont alcooliques ou toxicomanes, ont des parents dans ce cas ou vivent d'autres problèmes liés à la pauvreté. . . . Voilà les raisons premières pour lesquelles les jeunes arrivent jusqu'à nous. (9:8)
Lorsqu'ils commencent à commettre des infractions graves et à se frotter au système de justice juvénile, la plupart des jeunes manifestent depuis déjà longtemps des comportements antisociaux. Pour inculquer des attitudes socialement acceptables et modifier le comportement d'adolescents délinquants, il faut recourir à des traitements intensifs et coûteux, d'après ce que l'on a dit au Comité. De toute évidence, la meilleure protection que l'on peut assurer à la population c'est d'empêcher les jeunes de commencer à commettre des délits.

Comme nous l'avons déjà mentionné, l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur les jeunes contrevenants dispose :

La prévention du crime est essentielle pour protéger la société à long terme et exige que l'on s'attaque aux causes sous-jacentes de la criminalité des adolescents et que l'on élabore un cadre d'action multidisciplinaire permettant à la fois de déterminer quels sont les adolescents et les enfants susceptibles de commettre des actes délictueux et d'agir en conséquence.
Ce n'est pas une définition universellement reconnue de la prévention du crime. Selon les témoignages que nous avons entendus, la prévention du crime est ici envisagée de façon à inclure trois niveaux d'intervention - primaire, secondaire et tertiaire - chacun visant à lutter contre la criminalité chez les jeunes et à réduire le nombre de victimes.

PRÉVENTION DU CRIME - INTERVENTION PRIMAIRE

Par la prévention primaire, on veut éliminer avant qu'un crime soit commis les facteurs de risque connus qui contribuent à la criminalité. Cela suppose un investissement précoce dans des programmes dont on sait qu'ils réduisent les risques et favorisent le développement d'enfants sains et bien adaptés socialement. Les recherches confirment qu'il est moins coûteux sur les plans tant humain que financier de réduire les risques en apportant de l'aide aux enfants que de réagir après que les problèmes se sont manifestés.

On a communiqué au Comité les résultats d'une étude à long terme d'un programme de prévention de niveau primaire pour les enfants à risques élevés dans l'État du Michigan, le programme préscolaire Perry. Il s'agissait d'un programme enrichi lancé en 1962 à l'intention des enfants d'âge préscolaire présentant des difficultés multiples et de leur famille vivant dans des conditions défavorables. Pendant deux ans, des enfants de trois et quatre ans ont bénéficié d'un enseignement quotidien et ont été vus une fois par semaine à la maison. Bien que l'objectif du programme était de lutter contre la pauvreté par une meilleure éducation, l'intervention précoce a également eu une incidence relativement au système judiciaire pour les adultes et les adolescents. Une évaluation du programme révèle que, comparativement à un groupe témoin, les enfants qui avaient participé au programme étaient plus susceptibles que les autres de terminer l'école secondaire, de poursuivre des études postsecondaires et de trouver un emploi. On relevait également dans ce groupe moins de grossesses chez les adolescentes, moins d'abus d'intoxicants et moins de dépendance à l'égard de l'aide sociale; ils étaient également moins nombreux à avoir un dossier criminel comportant des arrestations et des condamnations. Les spécialistes de la politique sociale sont en faveur de cet investissement précoce pour réduire la criminalité et le nombre de victimes de même que le recours aux systèmes de justice pénale, de soins de santé mentale et de bien-être social.

S'appuyant sur les résultats de recherche établissant un lien entre l'expérience d'une gamme de conditions défavorables dans l'enfance et des problèmes scolaires, sociaux, comportementaux et affectifs et des comportements déviants ultérieurs, le Conseil national de la prévention du crime a élaboré un modèle de prévention primaire qui s'attaque aux facteurs de risque nuisant au développement des enfants - de la période prénatale à l'âge de six ans - et à leur famille22.

Le modèle vise à la fois l'intervention et la prévention. Il recense des mesures de développement social reconnues pour protéger les enfants et assurer leur développement social harmonieux et réduire les facteurs de risque reliés à la pauvreté, au développement inadéquat de l'enfant et à la criminalité future. Les interventions prévues dans le modèle comprennent des soins prénataux, des cours à l'intention des parents, des stratégies de prévention de la violence et de résolution des conflits, des services d'éducation préscolaire et de garde d'enfants de bonne qualité et des programmes scolaires. La pierre angulaire du modèle est une politique nationale visant à sortir les familles de la pauvreté.

Ce modèle de prévention primaire fait ressortir les multiples corrélats du crime et met l'accent sur tous les aspects de la vie des enfants. Il reconnaît que les attitudes, les valeurs et le comportement des jeunes sont influencés par le contexte de la famille, de l'école et de la garderie, du groupe des pairs et de la collectivité et par le contexte socio-économique général. Le modèle s'appuie sur des valeurs qui mettent l'accès sur le soutien de la collectivité et de la société et sur la nécessité de renforcer ces ressources plutôt que de remanier la loi afin de réduire la criminalité et le nombre des victimes et d'améliorer la sécurité de la population. Le Conseil, conscient de la réalité économique actuelle, rappelle aux décideurs, lorsqu'ils formulent les décisions budgétaires, que les investissements dans des secteurs sociaux clés comme la santé, les enfants, les familles et l'éducation ont des répercussions sur le bien-être, la croissance et la prospérité économique d'une nation.

Dans son mémoire, le Conseil national de la prévention du crime recommande :

que les gouvernements fédéral, provinciaux et locaux élaborent une stratégie générale de prévention du crime mettant à contribution les services de santé, les services sociaux et l'éducation, la police, les tribunaux et les services correctionnels. Il est essentiel que cette stratégie s'attaque à la pauvreté des enfants.
Selon le Conseil, il faut encourager les partenariats entre les gouvernements et les divers organismes responsables de l'administration des services de prévention pour s'assurer que les programmes sont coordonnés, harmonisés et qu'ils répondent aux besoins des personnes et des familles qu'ils sont censés servir.

Les initiatives doivent offrir un appui dans toutes les principales sphères d'influence de la vie d'un enfant - la famille, le pourvoyeur de soins/l'école et les pairs/la collectivité. Cela peut se faire si les différents paliers de gouvernements, les organismes sociaux, de soins de santé et d'enseignement et les groupes sociaux conjuguent leurs efforts pour élaborer une stratégie intégrée de prévention du crime qui vise avant tout à venir en aide aux enfants et aux familles.
Le Comité est impressionné par le modèle élaboré par le Conseil national de la prévention du crime et croit qu'il devrait servir de schéma directeur pour l'élaboration et la mise en oeuvre de stratégies de prévention axées sur les enfants et pour réduire les coûts financiers et sociaux de la criminalité chez les jeunes.

PRÉVENTION SECONDAIRE

Les mesures de prévention secondaire visent les comportements dont on sait qu'ils sont en corrélation avec des comportements délinquants ultérieurs.

Des études révèlent que les enfants à risque manifestent des comportements perturbateurs et agressifs dès l'âge de trois ans, bien avant d'avoir atteint l'âge de la responsabilité criminelle prévue dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Il est possible d'identifier, par l'observation et l'évaluation clinique, les enfants qui risquent d'éprouver des problèmes de comportement, émotifs et sociaux graves et à long terme. Ces enfants présentent une menace future pour la sécurité de la collectivité, menace qui est susceptible de s'aggraver progressivement à mesure que l'enfant passe de l'adolescence à l'âge adulte.

Voici ce que David Day, du Service d'aide à l'enfance et à la famille de Earlscourt, a expliqué au Comité :

Dès l'âge de quatre ou cinq ans, les enfants à risque connaissent de gros problèmes en matière d'agression. De plus, étant donné que le meilleur indicateur du comportement futur est le comportement passé, un enfant qui est agressif à l'âge de cinq ans risque fort, si l'on n'intervient pas, de continuer à être aussi agressif à 14 ans. (23:17)
Les recherches et l'expérience de ceux qui travaillent auprès de jeunes contrevenants remettent en question le point de vue selon lequel les crimes avec violence et les comportements délinquants à répétition sont des événements fortuits. De fait, le profil et la situation des jeunes qui risquent de commettre des crimes sont maintenant bien connus. Le Dr Alan Leschied, de la Clinique du tribunal de la famille de London, qui possède une vaste expérience des jeunes qui ont des démêlés avec la justice, nous a dit ceci :

Le Comité ne sera pas surpris d'apprendre qu'en général les jeunes entrent en conflit avec leur communauté parce qu'ils sont incapables de socialiser et d'adopter des attitudes et des valeurs prosociales. Les recherches menées en Amérique du Nord, en Grande-Bretagne et en Australie suggèrent que la façon dont les enfants sont socialisés dans leur culture joue un rôle essentiel pour comprendre ce qui rend les enfants susceptibles de commettre un crime. Essentiellement, les enfants sont socialisés au sein des familles, par leurs pairs et à l'école. (22:54-55)
Les jeunes souffrant de troubles d'apprentissage et présentant des difficultés à cet égard sont plus nombreux que la moyenne dans le système de justice pour les jeunes. Ces apprenants «à risques élevés» peuvent être détectés tôt et, moyennant les interventions adéquates, être écartés de la trajectoire qui mène à des comportements antisociaux ultérieurs. Yude Henteleff, de Troubles d'apprentissage - Association canadienne, a expliqué au Comité «qu'une des causes les plus importantes des démêlés avec la justice chez ces enfants, est l'échec scolaire. Cette cause est également une des moins comprises et des moins prises en compte». (51:30) Le Comité a aussi appris de Sharon Bell Wilson, de Troubles d'apprentissage - Association de l'Ontario, que «le pourcentage des jeunes contrevenants qui ont des problèmes d'apprentissage - qu'il s'agisse de véritables troubles d'apprentissage, d'analphabétisme, de déficit de la capacité d'attention ou d'un autre type de besoins particuliers - se situe entre 60 et 80 p. 100». (22:3) Les enfants qui ont des problèmes d'apprentissage ne sont pas fondamentalement déviants; à cause de ces difficultés, ils sont souvent marginalisés et risquent ainsi d'adopter des attitudes et des comportements antisociaux.

On a parlé au Comité d'un programme d'intervention précoce à Montréal qui a consisté à offrir à des jeunes garçons du primaire considérés comme antisociaux, à leurs parents et à leurs enseignants des mesures intensives de prévention du crime et de développement social. Les résultats d'une évaluation de ce programme en ont démontré l'efficacité. Une équipe de chercheurs de l'Université de Montréal a mené, sous la direction du professeur R.E. Tremblay, une étude longitudinale de garçons que leurs enseignants de maternelle avaient décrits comme agressifs, perturbateurs et hyperactifs23. Entre l'âge de sept ans et de neuf ans en moyenne, ces garçons à risque ont bénéficié d'une aide thérapeutique axée sur les compétences sociales afin de favoriser des interactions positives avec les enseignants, les parents et les pairs, et de développer des aptitudes à l'autodiscipline et à la résolution de problèmes. L'aide offerte aux parents, qui s'est également étalée sur une période de deux ans, a mis l'accent sur la surveillance étroite du comportement des enfants, le renforcement positif des comportements prosociaux, l'imposition d'une discipline cohérente sans violence et la gestion des crises familiales. On a également travaillé avec les enseignants des garçons participant au programme. À la fin du traitement, le comportement des garçons a été évalué annuellement (de l'âge de 9 ans à l'âge de 12 ans) par les enseignants, les pairs, les mères et les garçons eux-mêmes. Les chercheurs avaient inclus un groupe témoin pour permettre d'établir une comparaison entre les stratégies d'intervention et l'absence d'intervention.

Les résultats de cette recherche expérimentale longitudinale sont encourageants et ont des implications pratiques pour les décideurs. À la fin du cours primaire, le comportement des garçons du groupe témoin a confirmé les résultats de recherches antérieures : l'agressivité physique et les problèmes scolaires sont des précurseurs de la délinquance que l'on peut détecter tôt dans la vie d'un enfant. La recherche a également confirmé que des interventions positives peuvent influer favorablement sur le développement social de garçons perturbateurs. Comparativement aux garçons n'ayant bénéficié d'aucun traitement, ceux qui avaient reçu un traitement multidisciplinaire intensif se montraient moins agressifs à l'école, avaient plus souvent de bons résultats scolaires, avaient moins de difficulté à s'adapter à l'école et avaient commis moins d'actes délinquants dans les trois années suivant la fin du traitement. On continuera de suivre ces garçons au cours de leur vie pour évaluer les effets durables de l'intervention sur la délinquance juvénile à long terme.

Un aspect clé de l'étude menée à Montréal et du programme préscolaire Perry est la participation des parents. À l'heure actuelle, certains demandent que les parents soient tenus criminellement responsables du comportement délinquant de leurs enfants. Les spécialistes qui travaillent auprès de jeunes à risques élevés ont expliqué au Comité que «les enfants dysfonctionnels viennent de familles dysfonctionnelles»; il faut amener les parents et les aider à montrer plus efficacement à leurs enfants à s'adapter et à s'intégrer à la vie sociale et non les mettre en accusation.

Dans son exposé, le Dr Jalal Shamsie, de l'Institute for the Study of Antisocial Behaviour in Youth, a parlé de l'efficacité d'une «thérapie multisystémique» qui comprend l'intervention auprès de l'enfant, de la famille, de l'école et du groupe de pairs, toutes les sphères d'influence dans la vie des enfants. Cette approche a, selon les évaluations, donné des résultats positifs. La thérapie multisystémique coûte environ le sixième de ce que coûtent les camps de type militaire et a un taux de non-récidive plus élevé. (18:15) Le Dr Shamsie a dit au Comité que «d'après son expérience personnelle et d'après les recherches qui ont été faites, si la famille ne s'intéresse pas au sort du jeune, les chances de réussite sont très minces». Certains témoins ont proposé d'inscrire des cours obligatoires sur leur rôle parental portant principalement sur l'éducation des enfants et la résolution de conflits au programme d'études secondaires, comme mesure de prévention primaire. C'est une façon d'aborder le rôle parental qui ne punit pas ni ne pénalise les parents.

Prendre des mesures de prévention secondaires proactives et intensives à l'endroit des jeunes à risque est évidemment plus responsable que d'attendre que ces jeunes ne fassent des victimes dans la collectivité. Priscilla de Villiers, présidente de CAVEAT, a décrit avec pertinence les conséquences tragiques qu'il y a à ne pas intervenir pour mettre fin à des comportements perturbateurs et agressifs précoces.

Il y a cinq ans, ma fille, Nina, a été assassinée par un homme qui avait commis plusieurs actes de violence contre des femmes depuis 11 ans. Comme j'ai pu participer officiellement à l'enquête, j'ai vu ses bulletins scolaires depuis qu'il avait cinq ans. Je pense qu'il a fréquenté 12 écoles différentes avant d'atteindre la 6e année et, dans chaque bulletin, on disait qu'il était sujet à de graves colères, qu'il avait de graves problèmes de comportement, des rages incontrôlables, etc. Il avait été membre des cadets de l'armée et de la marine. Il avait reçu une formation poussée dans l'utilisation des armes à feu et, pourtant, ses camarades étaient tous terrifiés à l'idée de travailler avec lui et, en fait, ils refusaient de le faire. . . . Ce qu'il faut signaler est que, pendant les 32 années de sa vie, personne n'est jamais intervenu. En voyant le carnage qu'il avait commis - au moins huit femmes agressées très gravement, deux femmes tuées, une tentative d'enlèvement et, pour finir, il s'était suicidé en laissant quatre enfants ayant un meurtrier pour père - j'ai été forcée de me rappeler les leçons que j'avais apprises de nombreuses années auparavant. (79:8)
Le fait de ne pas s'attaquer aux causes connues de la criminalité comporte non seulement un coût humain, mais des coûts financiers considérables. Des recherches ont permis d'estimer que pour chaque dollar investi dans des programmes de prévention chez les jeunes enfants on pourrait économiser ultérieurement sept dollars en frais d'éducation, d'aide sociale, de services de police et de services judiciaires et correctionnels.

Des témoins ont pressé les gouvernements d'investir dans des programmes de prévention et d'intervention primaire et secondaire pour protéger les enfants vivant dans la pauvreté contre les facteurs de risque connus qui les empêcheraient de se développer sainement et favoriseraient des comportements antisociaux et de la criminalité dans l'avenir. Le Comité convient qu'il est dans l'intérêt public d'investir dans l'amélioration des conditions de vie et du bien-être des enfants et des adolescents. Si notre objectif collectif est de réduire le crime chez les jeunes et la victimisation et de rendre nos milieux de vie plus sûrs, nous devons consacrer des ressources à des mesures et à des services de prévention. C'est de cette façon, plutôt qu'en limitant les dégâts après qu'un jeune a pris la collectivité en otage, qu'on contribuera en fin de compte à protéger la société.

PRÉVENTION TERTIAIRE

On entend par prévention tertiaire les interventions du système de justice pénale et les mesures de réadaptation qui visent à réprimer la conduite criminelle future en influant favorablement sur le comportement et les attitudes des contrevenants après qu'ils ont commis un crime.

De l'avis de la plupart des témoins, il faudrait réserver les peines comportant la garde aux cas graves qui ne se prêtent pas à des interventions communautaires moins officielles. Le Comité convient que, pour protéger la population, nous devons appliquer la loi dans toute sa force dans le cas des jeunes qui se livrent à des actes criminels graves de façon répétitive. Toutefois, on ne protégera mieux la population que si les jeunes violents et dangereux ont accès à des programmes efficaces et adéquats de traitement, d'information et de réinsertion sociale pendant qu'ils sont en détention de même qu'à un appui et à des services de suivi lorsqu'ils retournent dans la société . On a rappelé au Comité que la réadaptation et la sécurité du public sont indissociables; en d'autres mots, la réadaptation des contrevenants pour empêcher la récidive améliore notre sécurité à tous.

Comme nous l'avons mentionné précédemment dans le rapport, ce principe a été reconnu dans l'une des modifications apportées récemment à la Loi sur les jeunes contrevenants, modification qui a consisté à ajouter à la Déclaration de principe l'énoncé suivant :

la protection de la société, qui est l'un des buts premiers du droit pénal applicable aux jeunes, est mieux servi par la réinsertion sociale du jeune contrevenant, chaque fois que cela est possible, et le meilleur moyen d'y parvenir est de tenir compte des besoins et des circonstances pouvant expliquer son comportement.
Le Dr Alan Leschied a encouragé le Comité à appuyer l'idée de la réinsertion sociale en faisant la promotion de programmes innovateurs dans la collectivité et dans les établissements de détention comme moyen de réduire les risques pour la société.

De la même façon, Yude Henteleff, de Troubles d'apprentissage - Association canadienne, a insisté sur l'importance d'offrir des services de réadaptation adéquats aux jeunes contrevenants, en particulier ceux qui ont des troubles d'apprentissage et qui se retrouvent en nombre disproportionné parmi les criminels :

De 10 à 15 p. 100 de la population souffre de troubles d'apprentissage. Cette proportion est cinq fois plus élevée chez les jeunes contrevenants. . . . Chez les contrevenants adultes, cette proportion est trois fois plus élevée que dans la population en général. (51:21)
Il énumère des études qui ont montré que les programmes de réadaptation prévoyant le développement des aptitudes cognitives peuvent réduire considérablement les taux de récidive.

On a décrit au Comité la recherche effectuée par le Dr Andrews de l'Université Carleton et ses collègues sur les types de programmes de prévention tertiaire qui donnent de bons résultats, avec quelle clientèle et dans quelles conditions. Le Dr Andrews et son équipe ont examiné les programmes de réadaptation correctionnelle pour les adultes et les adolescents afin de voir quelles interventions protègent le mieux la population de la récidive criminelle. Voici les conseils qu'ils ont à donner aux administrateurs des services correctionnels24 :

Les objectifs intermédiaires les plus prometteurs comprennent les suivants : modifier les attitudes, les valeurs et les fréquentations antisociales, encourager l'expression de l'affection familiale tout en incitant les parents à assurer un meilleur contrôle et une meilleure supervision, encourager l'identification à des modèles de rôles anticriminels, renforcer l'autodiscipline et le contrôle de soi, remplacer les compétences associées à des comportements déviants (vols, mensonges et agressions) par des comportements prosociaux, réduire la dépendance à l'égard de substances chimiques et, de façon générale, inverser l'influence des avantages et du coût des activités criminelles et non criminelles dans le milieu familial, le milieu scolaire, le milieu de travail et d'autres milieux de vie25.
La recherche du Dr Andrews a également confirmé que les interventions axées sur la collectivité sont plus efficaces que les traitements en établissement et qu'un traitement correctionnel efficace est plus rentable et plus fructueux que des stratégies de dissuasion comme l'augmentation de la durée ou de la gravité des peines.

Le Comité estime que les peines comportant la garde devraient être réservées aux contrevenants à risques élevés qui commettent la majorité des crimes et qui constituent une menace à la sécurité publique. Il faudrait disposer de programmes de prévention tertiaire efficaces pour ces contrevenants afin de réduire les taux de récidive. De plus, le Comité est conscient que les facteurs de risque associés à la criminalité des contrevenants condamnés et mis en détention sont ceux que l'on peut détecter chez les jeunes à risque et qui pourraient être modifiés par des mesures d'intervention précoce avant que des crimes graves ne soient commis. Bien qu'il supporte sans équivoque une intervention correctionnelle efficace, le Comité croit que l'élaboration et la mise en oeuvre de programmes de prévention du crime comportant des mesures de prévention et de développement social primaire et secondaire constituent la meilleure stratégie.

Un certain nombre de témoins ont rappelé au Comité la recommandation qu'avait faite le Comité permanent de la justice et du solliciteur général dans son rapport de 1993 intitulé Prévention du crime au Canada : vers une stratégie nationale, qui était d'affecter 1 p. 100 du budget fédéral annuel consacré aux services correctionnels, aux tribunaux et à la police à des mesures de prévention du crime pendant une période de cinq ans. Le Comité est déçu qu'un objectif qu'il croit réalisable et nécessaire et qui avait été formulé par son prédécesseur en 1993 n'ait pas été réalisé.

RECOMMANDATION 4

Le Comité recommande que le gouvernement fédéral, en consultation avec les provinces et les territoires, affecte annuellement 1,5 p. 100 de son budget actuel pour la police, les tribunaux et les services correctionnels à la prévention du crime et, que d'ici la fin du siècle, il consacre au moins 5 p. 100 de son budget actuel pour la justice pénale à des mesures de prévention du crime. Ces ressources devraient servir, chaque fois que c'est possible, à financer des mesures communautaires de prévention du crime.

Le Comité recommande également que le ministre de la Justice engage des discussions avec les ministres de la Justice des provinces et territoires afin d'encourager la création dans les collectivités de Conseils locaux de prévention du crime et de sécurité communautaire qui viseraient à assurer la sécurité des collectivités. La composition de ces conseils devrait être très étendue, c'est-à-dire compter des représentants des services juridiques locaux (gouvernementaux et non gouvernementaux), des administrations et des organismes de services sociaux locaux, des conseils scolaires, des groupes de victimes et un large éventail de citoyens. Les conseils auraient pour mandat de coordonner les ressources communautaires pour les axer sur la prévention du crime, d'accroître dans la collectivité les solutions de rechange à l'incarcération et de renseigner la collectivité sur le fonctionnement du système de justice pénale.


22 Conseil national de la prévention du crime, Prévenir le crime en investissant dans les familles, juin 1996.

23 R.E. Tremblay, et al., «Parent and Child Training to Prevent Early Onset of Delinquency: The Montreal Longitudinal Study», in J. McCord and R.E. Tremblay (eds)., Preventing Antisocial Behaviour: Interventions from Birth through Adolescence, Guilford Press, New York, 1992, p. 177-138.

24 Voir, D.A. Andrews, et al., «Does Correctional Treatment Work? A Clinically Relevant and Psychologically Informed Meta-Analysis», Criminology, vol. 28, no 3, 1990 and P. Gendreau and D.A. Andrews, «Tertiary Prevention: What the Meta-analyses of the Offender Treatment Literature Tell Us About `What Works'», Canadian Journal of Criminology, janvier 1990.

25 Ibid., p. 385.


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