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CHAPITRE 6 - SOLUTIONS DE RECHANGE AUX APPROCHE
TRADITIONNELLES DE LA JUSTICE PÉNALE

Les promoteurs des solutions de rechange aux approches traditionnelles de l'appareil de justice pour les jeunes connaissent les limites considérables de ce système pour ce qui est de réduire le taux de récidive. De plus, ils savent que les infractions mineures sont souvent le fait d'un comportement temporaire chez les adolescents, que peu de jeunes contrevenants adoptent une habitude de délinquance sérieuse et qu'une décision de placement sous garde met quotidiennement le jeune en présence d'adolescents antisociaux. Ils s'entendent pour dire que les procédures judiciaires officielles devraient être réservées aux délinquants violents qui représentent une menace pour la sécurité publique.

POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE DE LA POLICE : AVERTISSEMENTS

Étant donné les coûts du système de justice pour les jeunes, l'effet dissuasif limité des sanctions pénales, la nature temporaire du comportement délinquant chez la majorité des jeunes et le peu de gravité relative de la plupart de leurs crimes, les témoins ont souligné l'importance des procédés de déjudiciarisation dans les services policiers pour réduire le nombre de comparutions devant les tribunaux pour adolescents. Un jeune pris en flagrant délit de délinquance légère, qui est ramené chez ses parents et reçoit un avertissement de la part du policier, n'a bien souvent besoin d'aucune autre motivation pour respecter la loi. Cette décision policière de première ligne permet d'éliminer du système les causes non sérieuses ou futiles. Même si la police a toujours exercé son pouvoir discrétionnaire par rapport à la conduite délinquante chez les jeunes, des recherches montrent que cette pratique, lorsqu'il s'agit de ne pas porter d'accusations, a diminué au cours de la dernière décennie au Canada.

POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE DE LA POLICE : MISE EN GARDE

La plupart des États australiens utilisent depuis au moins 15 ans l'approche de la mise en garde par la police, procédure de première ligne plus officielle que le simple avertissement. Le jeune contrevenant, en présence de ses parents, reçoit au poste de police une mise en garde de la part d'un agent désigné. Le jeune doit d'abord admettre avoir commis l'infraction, et autant lui que ses parents doivent savoir qu'ils ont le choix d'avoir recours aux tribunaux. La mise en garde comprend une discussion des circonstances entourant le crime, des conséquences de l'infraction pour la victime et des répercussions d'une conduite délinquante sur le contrevenant. On peut, au besoin, mettre en marche un mécanisme permettant au délinquant de présenter des excuses officielles à la victime. Le dédommagement de la victime, même s'il n'est pas interdit, n'est pas exigé. Reconnaissant qu'il peut y avoir de multiples problèmes sociaux à la base du comportement délinquant, la police a formé des partenariats avec des organismes communautaires et, si cela convient, elle oriente le jeune et sa famille vers ces ressources.

Les recherches montrent que la mise en garde est une solution de rechange efficace au processus officiel d'inculpation et de poursuite judiciaire30 :

Aux dires de certains témoins, les forces policières devraient encourager les agents de première ligne à utiliser leur pouvoir discrétionnaire. De plus, l'Association canadienne des chefs de police et l'Association canadienne des policiers devraient élaborer des lignes directrices nationales précisant quand ne pas porter d'accusations contre un jeune et les différents recours possibles à caractère non pénal (p. ex. avertissement, mise en garde, etc.).

MESURES DE RECHANGE

L'article 4 de la Loi sur les jeunes contrevenants établit le cadre juridique pour la conception et l'application des programmes communautaires de mesures de rechange. De tels programmes comprennent une déjudiciarisation avant et après la mise en accusation et s'appliquent à des infractions légères. Ils doivent être plus structurés qu'un avertissement de la police et moins officiels que les procédures judiciaires. Comme exemples de mesures de rechange, notons les excuses, le travail communautaire et le dédommagement. Pour être candidat à un programme de mesures de rechange, le jeune doit, entre autres choses, accepter la responsabilité de l'acte criminel qui lui est imputé.

Les provinces et les territoires ont tous des programmes de déjudiciarisation applicables aux jeunes contrevenants, mais on possède peu de données sur le nombre d'adolescents qui y sont aiguillés. Le professeur Doob note dans son rapport préparé pour le ministère de la Justice en vue de l'étude de la Loi sur les jeunes contrevenants par le Comité que les programmes de mesures de rechange varient considérablement quant à leur administration, aux critères d'admission et à l'étape des procédures où ils interviennent31.

Lors des consultations qu'il a effectuées d'un bout à l'autre du pays, le Comité de justice pour la jeunesse du Conseil national de la prévention du crime a appris que les mesures de rechange n'étaient pas largement utilisées dans la plupart des zones de compétence32. C'est ce que confirme dans son propre mémoire le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes :

Une bonne partie du public appuie les solutions de rechange pour les délits mineurs et non violents. Le problème n'est pas au niveau du principe mais de la mise en oeuvre. Les programmes coûtent de l'argent et ils en ont peu reçu jusqu'à maintenant. Sans des programmes sérieux, l'efficacité est perdue. À l'heure actuelle, environ le tiers de tous les jeunes contrevenants sont condamnés à une forme quelconque de garde (milieu ouvert ou fermé) et bien des juges manifestent leur frustration devant le manque d'alternatives.
La seule exception notable vient du Québec. Claude Boies, du Barreau du Québec, a informé le Comité que près de 50 p. 100 des dossiers de jeunes contrevenants remis en 1993 au procureur général de la province avaient été renvoyés au directeur provincial pour l'application de mesures de rechange. Et il ajoute :

Les mesures vont du remboursement des victimes aux rencontres pour améliorer les aptitudes sociales de l'adolescent et aux travaux communautaires. Dans ce genre de mesures, on trouve beaucoup plus que la simple responsabilisation de l'adolescent; on trouve aussi l'implication de la collectivité, le développement de certaines compétences, la valorisation de l'adolescent et sa socialisation. (41:50)
Un certain nombre de témoins ont donné comme modèle pour le reste du pays les mesures de rechange et les procédés de déjudiciarisation de la police au Québec. Comparativement aux autres provinces, le Québec déjudiciarise un plus grand nombre d'adolescents coupables d'infractions mineures; par conséquent, moins d'adolescents comparaissent devant le tribunal de la jeunesse et la province a le plus faible taux de placement sous garde pour les jeunes. En fait, les disparités provinciales dans l'utilisation des mesures de déjudiciarisation et de rechange ont entraîné au pays une énorme variation des taux de traitement par les tribunaux pour adolescents et de placement sous garde.

Dans son mémoire au Comité, le professeur Doob a présenté des données qui illustrent les différences interprovinciales concernant le recours au système de justice pour les jeunes. À l'aide des statistiques du tribunal de la jeunesse (1993-1994) pour le Québec, la Colombie-Britannique, l'Ontario et la Saskatchewan, il montre que ces deux dernières provinces judiciarisent beaucoup plus de causes impliquant des jeunes, condamnent davantage d'adolescents et les placent sous garde plus souvent que ne le font la Colombie-Britannique et le Québec. D'après le professeur Doob, il est peu probable que cet écart traduise des différences dans la conduite des jeunes des provinces en cause. En fait, rien ne permet de dire que les jeunes contrevenants du Québec et de la Colombie-Britannique sont plus respectueux des lois que leurs homologues de l'Ontario et de la Saskatchewan. Ces données s'expliquent plutôt par les différences qui existent entre les provinces quant à l'utilisation d'approches plus officieuses ou axées sur la collectivité, dont les mises en garde et mesures de déjudiciarisation de la police ainsi que les mesures de rechange avant et après la mise en accusation pour des infractions mineures commises par des adolescents.

Un certain nombre de témoins ont fait remarquer que le recours excessif des autorités canadiennes au système de justice officiel pour des infractions mineures commises par des jeunes prouve la sous-utilisation du pouvoir policier discrétionnaire et des programmes de déjudiciarisation. Dans son mémoire au Comité, le juge Lilles de la Cour territoriale du Yukon a énuméré les caractéristiques de plus du tiers des causes traitées annuellement par le tribunal de la jeunesse :

Chaque année, nos tribunaux pour adolescents traitent plus de 40 000 affaires de vol où la valeur des biens dérobés est inférieure à 1 000 $. Dans la plupart des cas, il s'agit de vols à l'étalage. Ils entendent également 10 000 autres affaires où l'accusation en était principalement une de méfait. Ces deux catégories à elles seules représentent environ 35 p. 100 des affaires traitées dans tout le pays en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants. Pratiquement aucun des adolescents impliqués dans ces affaires ne pourrait être qualifié de dangereux33.
Dans son mémoire, le Conseil national de prévention du crime a formulé des recommandations détaillées sur l'importance des mesures de rechange, recommandations qui résument bien ce que le Comité a entendu d'un océan à l'autre :

[. . .] dans le cas des adolescents qui ont commis une première infraction (sans violence grave) ou qui ont perpétré plus d'un crime mineur, les représentants de la justice devraient explorer, en collaboration avec chacune des collectivités, un large éventail de mesures qui pourraient être appliquées avant et après l'inculpation. Parmi ces mesures possibles, citons les conférences réunissant les principaux intervenants de la famille, les comités de justice pour la jeunesse, les conseils de détermination de la peine, les programmes d'apprentissage au travail, les programmes d'éducation non traditionnelle et une vaste gamme de programmes communautaires de prévention et de déjudiciarisation [. . .]

PARTICIPATION DES VICTIMES

D'après ce que le Comité a entendu, les interventions officielles dans le système de justice pour la jeunesse sont dispendieuses, traitent les victimes comme des preuves, ne permettent pas la pleine participation des victimes ni de la famille du jeune contrevenant et échouent souvent pour ce qui est de rendre le délinquant réellement comptable de sa conduite. Les témoins ont réclamé la prise de mesures novatrices dans la collectivité pour des problèmes qui sont essentiellement de nature communautaire. Dans les notes préparées en vue de la comparution, le Conseil des Églises pour la justice et la criminologie a bien exprimé cette demande :

Le Conseil des Églises en est venu à la conclusion que le seul moyen de trouver des approches plus efficaces à la justice pour les jeunes est d'encourager l'expérimentation de procédés dans lesquels les membres de la communauté peuvent s'impliquer et exprimer leur opinion sur la façon de procéder, de sorte que toute la gamme des objectifs concernant la victime, le contrevenant et la collectivité soit ouvertement abordée.
Le Comité a entendu parler d'un certain nombre de nouvelles mesures de rechange au processus judiciaire pour les jeunes, mesures faisant intervenir des solutions parallèles, la participation des victimes et la responsabilité communautaire en matière de justice et de sécurité publique. Ces mesures de rechange, la justice réparatrice ou de réinsertion, comprennent les mises en garde par la police (décrites ci-dessus), les conférences familiales et les conseils de détermination de la peine. Dans son mémoire au Comité, publié par la suite dans le journal Australian-Canadian Studies, le juge Lilles fournit une description détaillée de la mise en garde policière et des conférences familiales. Une bonne partie de l'information qui précède sur la mise en garde et des données qui suivent sur les conférences familiales est d'ailleurs tirée du travail du juge Lilles34.

CONFÉRENCES FAMILIALES

Pour les conférences familiales, le contrevenant, sa famille, la victime et les personnes-ressources de celle-ci se réunissent hors du cadre officiel. Il s'agit de faire échec à certaines des limites associées au système actuel, dont l'exclusion des victimes et de la famille du contrevenant.

L'approche de Nouvelle-Zélande met l'accent sur le rôle de la famille dans la vie de l'adolescent et aide la parenté immédiate et étendue dans ses rapports avec le jeune. La conférence est présidée par un coordonnateur de la justice des adolescents plutôt que par un juge et, contrairement à ce qui se produit dans les tribunaux pour adolescents, la conférence familiale confère à ceux qui ont été affectés par le crime, c'est-à-dire le contrevenant, les membres de sa famille et la victime, la tâche de trouver une solution dans une atmosphère favorable.

En Nouvelle-Zélande, presque toutes les causes impliquant des jeunes contrevenants font l'objet d'une conférence familiale. La plupart du temps, il s'agit d'un adolescent identifié comme suspect par la police et qui a reconnu l'infraction avant la mise en accusation. Tous les jeunes ont la possibilité de porter leur cause devant le tribunal. À la conférence, l'adolescent est encouragé à parler ouvertement de sa responsabilité par rapport à l'infraction, et la victime peut expliquer de vive voix au délinquant toute l'incidence que le crime a eue sur elle. C'est par une entente négociée entre les participants qu'on en arrive à une résolution ou à un résultat, soit des excuses, un dédommagement de la victime, du travail communautaire ou un mélange de ces trois solutions. La participation de la famille de l'adolescent a pour but de faire comprendre les facteurs liés à l'infraction et de trouver ce qui empêchera le jeune de récidiver.

Les conférences familiales ont entraîné en Nouvelle-Zélande une diminution marquée des taux de placement sous garde, des comparutions et des budgets judiciaires. En 1986, plus de 4 000 jeunes étaient sous garde en Nouvelle-Zélande et il en coûtait 206 millions de dollars pour les y maintenir; en 1991, le nombre avait été réduit à 1 000 et le coût, à 113 millions de dollars. De plus, le nombre des adolescents qui ont comparu devant les tribunaux est passé d'entre 10 000 et 13 000 chaque année à 1 800 en 1993. D'après une évaluation, 91 p. 100 des policiers, 85 p. 100 des parents et des jeunes et 48 p. 100 des victimes se sont dits satisfaits des résultats de la conférence. Comme le fait remarquer le juge Lilles, on peut formuler des critiques à l'endroit des conférences familiales; cependant, «il ne faudrait pas considérer cette formule isolément, mais bien être sensibilisé au fait qu'il s'agit d'une solution de rechange aux tribunaux officiels. En ce sens, les conférences familiales doivent être jugées comme étant bien supérieures aux tribunaux en ce qui touche la satisfaction de la police, des contrevenants, des membres de la famille et même des victimes».

En faisant la promotion des conférences familiales, le Conseil des Églises pour la justice et la criminologie a décrit avec justesse dans ses notes les aspects négatifs du système actuel pour les jeunes en conflit avec la loi.

Dans un sens, les conférences sont une forme de déjudiciarisation, mais en beaucoup mieux. Comme les autres procédés de déjudiciarisation, elles éliminent les aspects négatifs du mécanisme judiciaire. Les tribunaux traitent les victimes simplement comme des preuves, oublient la plupart des autres parties affectées par l'incident, se concentrent sur la culpabilité juridique et oblitèrent le rôle de la communauté touchée par le crime. Le processus accusatoire du système élimine toute possibilité de réparation en réunissant de chaque côté les personnes qui peuvent infliger le plus de dommage à l'autre.
En 1991, la communauté de Wagga Wagga, dans la Nouvelle-Galles du Sud (Australie), adoptait le modèle néo-zélandais des conférences familiales. À l'époque, la communauté connaissait des taux élevés de criminalité et la police ne jugeait pas efficaces les options disponibles à l'égard des jeunes contrevenants. Pour certains adolescents, un simple avertissement ne réussissait pas à les responsabiliser, à leur faire comprendre les conséquences de leur délinquance et à aider les victimes. Les tribunaux ne donnaient pas de peines constructives, et négligeaient de prendre en considération les besoins des victimes et de faire participer les parents à la réadaptation de leurs jeunes. Dans l'État de la Nouvelle-Galles du Sud, 80 p. 100 des adolescents appréhendés par la police comparaissaient devant les tribunaux.

Le modèle de Wagga Wagga est administré par la police, dans le cadre de son programme de mise en garde mais, pour tous les autres aspects, il se conforme aux conférences familiales de la Nouvelle-Zélande. La conférence est une tribune conçue pour imputer à l'adolescent sa conduite délinquante, encourager la participation de la victime et responsabiliser la famille et la communauté. Les résultats préliminaires montrent que, durant les deux premières années du programme, le pourcentage de cas déférés devant un tribunal est passé de 62 à 48 p. 100, et que la participation et la satisfaction des victimes étaient élevées. Qui plus est, 93 p. 100 des ententes de dédommagement ont été respectées.

Ici au pays, dans une petite communauté de la Colombie-Britannique, le sergent Jake Bouwman de la GRC a appris l'existence des conférences familiales en lisant l'article du juge Lilles. À l'époque, il était frustré par les longs délais de l'appareil judiciaire pour la jeunesse entre le moment de l'infraction et le traitement de l'affaire devant les tribunaux, par les coûts énormes que cela entraînait (en Colombie-Britannique, il en coûte 800 $ l'heure pour faire fonctionner une salle d'audience), par l'exclusion des victimes et par l'échec du procédé face à la récidive.

En réaction et afin d'étendre l'éventail des choix dont disposait la police dans ses rapports avec les jeunes en conflit avec la loi, le sergent Bouwman, aidé de l'avocat de défense Glen Purdy, a fondé en 1995 le Sparwood Youth Assistance Program. Ce programme suit le modèle de Wagga Wagga, à une exception près : Sparwood est dirigé par des animateurs bénévoles sans liens avec les services policiers.

Le Sparwood Youth Assistance Program est un exemple de solutions innovatrices, axées sur la collectivité. On s'occupe des infractions sans déposer d'accusations, le cadre n'est pas officiel, la victime et le délinquant essaient tous deux d'en venir à une solution et le jeune n'est pas placé sous garde. M. Purdy et le sergent Bouwman ont expliqué au Comité comment fonctionnait le programme Sparwood.

Lorsqu'un jeune est identifié comme suspect par la police à l'égard d'une infraction autre qu'un homicide, un vol à main armée ou une agression sexuelle grave, on lui donne le choix de prendre part au programme en vue de trouver une solution. Le participant doit accepter les conditions suivantes : admettre l'infraction et donner à la police tous les détails entourant le crime; assister à une conférence de résolution avec ses personnes-ressources (p. ex. ses parents, des membres de la parenté, ses frères et soeurs, ses professeurs); enfin, se conformer à la solution convenue avec la victime. Si le jeune acquiesce, on essaie alors d'obtenir la participation et l'appui de la victime. Les victimes sont elles aussi encouragées à amener des personnes-ressources à la conférence. À noter que les procureurs de la Couronne sont d'accord avec ce programme de déjudiciarisation avant la mise en accusation, s'appliquant à des jeunes délinquants primaires qui ont commis des crimes comme des infractions contre les biens, des voies de fait, des voies de fait causant des lésions corporelles, des introductions par infraction et des agressions sexuelles mineures, de même qu'à des jeunes récidivistes que le système de justice traditionnel n'a pas réussi à réadapter.

L'un des deux animateurs bénévoles de la communauté trouve une date et une heure convenables, c'est-à-dire de dix jours à deux semaines après l'identification du suspect. À la conférence, l'animateur encourage le jeune à parler des circonstances de l'infraction et de ceux qui ont été affectés par le crime. La victime confirme ensuite les faits et décrit au contrevenant l'incidence qu'a eue le crime sur elle. On demande ensuite à la victime et au contrevenant, aidés de leur groupe de soutien respectif, de trouver une solution qui compensera entièrement la victime et facilitera la réintégration du jeune, et ce, par un travail exécuté pour la victime ou pour la communauté. Le sergent Bouwman et M. Purdy croient tous deux que, grâce à la conférence de résolution, le jeune peut voir le lien entre, d'une part, sa conduite et les effets qu'elle a sur la victime et sur sa famille et, d'autre part, la «punition» ou solution qui s'ensuit.

Lorsque l'adolescent a reconnu ce qu'il a fait et qu'il a exprimé du remords - et croyez-moi qu'il baisse généralement la tête lorsque la victime s'adresse à lui -, on lui donne la chance de réparer son acte [. . .] le jeune peut maintenant mettre un visage sur la personne qui a subi les conséquences de son crime. (66:36-37)
Contrairement à l'optique de ceux qui croient qu'il faut rien de moins qu'une dénonciation et une punition imposée par les tribunaux, cette solution positive au processus judiciaire impute le blâme au jeune tout en lui faisant reconnaître et réparer le tort causé à la victime et à la communauté.

Le Comité applaudit aux résultats obtenus par le programme Sparwood. Le sergent Bouwman signale que, depuis son lancement, 65 adolescents ont participé à une conférence et aucun jeune résident de Sparwood ou des environs n'a comparu devant le tribunal pour adolescents, ce qui diminue radicalement la charge de travail judiciaire de la GRC. On estime que le programme a fait épargner 100 000 $ en frais de comparution, bien qu'aucune part de cette somme ne soit retournée dans la collectivité.

En 22 mois, la collectivité a connu un taux de récidive de 9 p. 100 (le taux annuel national au Canada est de 40 p. 100) et aucun des délinquants n'a manqué à ses engagements. L'intervalle entre la date de l'infraction et la conclusion du règlement a été en moyenne de 74 jours. Généralement, le programme satisfait aux besoins des victimes quant à la reconnaissance du tort causé, à l'appui reçu et à la réparation offerte, et c'est pourquoi les victimes se disent très satisfaites. Comme l'a expliqué le sergent Bouwman au Comité :

[. . .] nous rédigeons un rapport sur le degré de satisfaction de la victime. . . nous avons eu un taux de satisfaction des victimes de 95 p. 100 [. . .], ce qui produit deux choses : cela donne immédiatement satisfaction à la victime et deuxièmement celle-ci apprécie ce qu'a fait la collectivité pour elle et elle est beaucoup plus prête à appuyer nos initiatives ainsi que le travail de la police. C'est donc une solution gagnant-gagnant pour moi-même, pour le détachement de la police et pour l'ensemble de la collectivité. (66:37)
Pour les cas où la victime ne désire pas que le délinquant travaille directement pour elle, le programme comporte des partenariats avec des entreprises et des organismes communautaires (clubs philanthropiques, services municipaux, terrain de camping, etc.) qui donnent au jeune contrevenant des tâches à exécuter sous supervision. Le succès du programme, d'après ses fondateurs, réside dans le soutien qu'il reçoit de la communauté :

[. . .] on donne à la collectivité la possibilité de réagir elle-même. . . notre rôle est très minime, nous ne faisons qu'offrir à la collectivité un mécanisme [. . .] Nous avons la ferme conviction que c'est dans la collectivité qu'il faut trouver la solution à la criminalité des jeunes. Donnez à la communauté la possibilité d'agir et elle le fera. (66:42-43)
Au nombre des participants au Forum national se trouvaient le sergent Bouwman et Neil Sharkey, avocat à la clinique d'aide juridique Maliiganik Tukisiiniakvik à Iqaluit. Les membres du Comité ont été heureux de lire dans un article de décembre 1996 de Nunatsiaq News que le détachement de la GRC à Iqaluit vient d'adopter le principe de la conférence familiale pour déjudiciariser les jeunes et réduire la récidive. D'après l'article, il semble que le sergent Bouwman du Sparwood Youth Assistance Program ait joué un rôle dans cette décision. Le texte décrit son expérience par rapport au programme qu'il a instauré en Colombie-Britannique et cite également Neil Sharkey qui donne son aval à l'initiative.

Le Comité estime que la conférence familiale règle bon nombre des problèmes du système de justice pour les jeunes. Ce programme de rechange au processus judiciaire prévoit la participation des victimes et leur compensation, favorise la réconciliation entre le contrevenant et sa victime et donne aux adolescents le sens des responsabilités personnelles et sociales. Sa valeur éducative est supérieure au renforcement de la punition qui, d'après la recherche, a peu d'effets dissuasifs.

CONSEILS DE DÉTERMINATION DE LA PEINE

Une autre innovation du système de justice pénale après procès et après condamnation est le conseil de détermination de la peine, où des membres de la communauté se réunissent pour choisir collectivement la sentence du coupable. La plupart des conseils du genre se sont jusqu'à maintenant tenus dans des communautés autochtones. Habituellement, le conseil comprend le contrevenant et sa famille et autres personnes-ressources, la victime et les personnes qui l'appuient, des responsables de l'administration de la justice (y compris un juge, un procureur de la Couronne, un avocat de défense et des employés de la cour) ainsi que des représentants d'organismes communautaires (p. ex. travailleurs sociaux, préposés auprès des jeunes et en santé mentale). Le but est de discuter librement des circonstances de l'infraction et de son incidence sur la victime et sur la collectivité et d'en venir à une décision collective sur la peine à recommander au juge.

Les conseils de détermination de la peine sont considérés comme une réponse novatrice à la sureprésentation des autochtones dans les cours pénales et dans les établissements de détention au Canada. Lors de ses déplacements dans le nord et l'ouest du pays, le Comité a obtenu les statistiques suivantes :

Soixante-dix pour cent des jeunes en détention à Whitehorse sont des membres des Premières nations. Les Premières nations représentent un peu plus de 20 p. 100 de la population totale du territoire. (Chef Shirley Adamson du Conseil des premières nations du Yukon, 63:17)
Actuellement en Alberta, 87 p. 100 des personnes incarcérées de moins de 15 ans sont autochtones. Les autochtones représentent 65 p. 100 de l'ensemble de la population carcérale. (Jim Robb de l'Aide juridique d'Edmonton, 79:10)
Si vous allez dans une cour territoriale, un tribunal pour adolescents en particulier, vous vous apercevrez que de 90 à 100 p. 100 des jeunes sont des autochtones. (Shannon Cumming, coordonnateur des projets spéciaux de la Metis Nation (T.N.-O.), 48:7).
Parmi les objectifs établis des conseils de détermination de la peine, notons : promouvoir les solutions de rechange à l'incarcération, réduire le taux de récidive, prévenir la criminalité, imputer aux contrevenants la responsabilité de leur conduite, donner aux victimes un rôle dans la procédure de justice pénale et aider la communauté à guérir. On insiste sur la réadaptation du contrevenant et sa réinsertion dans la collectivité. Jusqu'à maintenant toutefois, les conseils de détermination de la peine n'ont pas fait l'objet d'une évaluation scientifique qui aurait pu déterminer s'ils sont plus efficaces que le mécanisme en place.

Le Comité a quand même eu la chance de siéger à un conseil d'examen de la peine, à Whitehorse. Le contrevenant reparaissait devant le conseil qui lui avait imposé sa peine afin de faire état de ses progrès dans la communauté. Outre le contrevenant, chacun des 20 à 30 membres du conseil, dont la famille, le travailleur social du jeune homme et son conseiller, les aînés, le procureur et le juge, ont pris la parole. Nous avons assisté à une émouvante manifestation de la bienveillance de la communauté et de son désir d'appuyer le jeune homme dans sa réadaptation. Il était évident que le besoin de guérison s'étendait au-delà du contrevenant jusqu'aux membres de sa famille et de sa communauté. Les participants ont abordé des problèmes de société, de famille, d'intoxication et de violence par rapport à l'infraction et aux difficultés de la communauté. Ce faisant, ils ont mis en lumière le fait bien connu que la plupart des facteurs liés à la criminalité ne sont pas de nature juridique. Et le mécanisme a montré que l'intervention communautaire face à ces problèmes est nécessaire pour prévenir les infractions, réduire le taux de récidive et, en bout de ligne, assainir et sécuriser les collectivités.

Jeannette Schmid, de l'organisme de justice sociale Rittenhouse, a résumé les avantages des solutions de rechange pour les victimes, les contrevenants et la communauté :

[. . .] la victime peut poser toutes les questions qu'elle a envie de poser au sujet de l'infraction : qu'est-ce qui s'est produit, pourquoi cela m'est-il arrivé à moi, et pourquoi à ce moment-là? Les personnes présentes reconnaissent la gravité du choc que les victimes ont subi [. . .] Cette méthode donne également au contrevenant l'occasion de réparer ses torts [. . .] La victime, de son côté, se sent [. . .] un peu plus en sécurité [. . .] Enfin, les victimes ont très souvent besoin de comprendre ce qui s'est passé - elles veulent savoir que la souffrance qu'elles ont ressentie a servi à quelque chose.
[. . .] La chose essentielle est que le jeune est amené à assumer la responsabilité de ses actes [. . .] L'adolescent a tendance à oublier les répercussions que son acte a eues sur la victime. Avec cette nouvelle méthode, les jeunes voient la victime. C'est la victime qui leur décrit l'effet que l'infraction commise a eu sur elle [. . .] Ce mécanisme offre également l'occasion de réparer le tort causé, alors qu'une punition imposée au contrevenant ne lui permet pas de réparer ce qu'il a fait.
[. . .] La participation des membres de la collectivité à ce processus a pour effet de responsabiliser les gens. Nous avons appris à appeler la police lorsque nous avons des problèmes avec les autres [. . .] Nous ne savons plus comment résoudre les tensions, comment résoudre les problèmes. Cette méthode permet aux membres de la collectivité de récupérer cette capacité, d'apprendre comment régler les différends sans appeler les autorités. (25:14-15)
Ce dernier point concernant l'importance et les avantages de la responsabilisation des collectivités a été abordé par Patty Ann LaBouchane des Native Counselling Services à Edmonton :

Lorsque les gens demandent à cor et à cri que les peines soient plus sévères [. . .], ce qu'ils veulent, en fait, c'est se sentir en sécurité [. . .] ils estiment qu'ils n'ont pas de contrôle sur leur environnement et qu'ils n'ont pas les moyens de protéger leurs enfants. En redonnant des pouvoirs aux collectivités, nous pouvons atténuer cette préoccupation. (49:71)
Étant donné ce qui précède, le Comité estime qu'il faut accorder la priorité aux solutions et aux sanctions venant de la collectivité. Il a été prouvé que les solutions de rechange au processus judiciaire réussissent à imputer la responsabilité aux jeunes et, contrairement aux peines d'incarcération, elles responsabilisent les parents, encouragent les victimes et la communauté à participer et permettent la réparation.

RECOMMANDATION 7

Le Comité recommande que le système de justice pour les jeunes soit réformé de façon à inclure les mesures de rechange décrites dans le présent rapport, comme les mises en garde par la police, les conférences familiales et les conseils de détermination de la peine, et que, au besoin, la Loi sur les jeunes contrevenants soit modifiée pour garantir la concrétisation de ces réformes.

COMITÉS DE JUSTICE POUR LA JEUNESSE

L'article 69 de la Loi sur les jeunes contrevenants autorise les procureurs généraux provinciaux à constituer des comités composés de citoyens qui, à titre bénévole, prêtent leur concours à la mise en oeuvre de la Loi ainsi qu'à tout service ou programme pour jeunes contrevenants. Voilà toute l'orientation donnée par le législateur.

À titre de comparaison, l'ancienne mesure législative, la Loi sur les jeunes délinquants, exigeait la constitution de comités de la cour pour les jeunes délinquants, comprenant des représentants des sociétés d'aide à l'enfance et des groupes religieux majoritaires et minoritaires. Ces comités avaient comme mandat précis de consulter les services de surveillance en vue de «réformer» les jeunes délinquants.

Le contraste entre les rôles des deux comités est évident. Sous l'ancien régime, il y avait beaucoup de liens entre les services de protection de la jeunesse et l'appareil de justice pénale pour les jeunes, ce qui se manifestait entre autres dans la composition et les fonctions des comités de la cour pour les jeunes délinquants. À l'adoption de la Loi actuelle, le législateur a aboli bon nombre des liens qui existaient entre les deux systèmes, les remplaçant par un régime de justice fondé sur un modèle mixte de répression de la criminalité et d'application régulière du droit. Les comités de justice pour la jeunesse, dans leur définition actuelle, constituent une tentative de rapprochement entre les deux systèmes.

Les comités de justice pour la jeunesse se retrouvent dans quelques provinces et territoires. Plusieurs communautés autochtones font appel à ces comités, aux cercles de guérison et aux conseils de détermination de la peine dans le cas des délinquants tant adultes qu'adolescents. Dans bien des régions du Canada, la délinquance chez les adultes et les jeunes fait l'objet d'initiatives communautaires sous la forme de conférences familiales et de médiation/réconciliation victime-contrevenant. Ces initiatives, dont la description se retrouve ailleurs dans le rapport, sont axées sur la collectivité, font participer les victimes et les contrevenants ainsi que leur famille et leur groupe d'appui, sont adaptées aux différentes cultures et contiennent souvent des aspects relatifs au dédommagement. Ces approches réussissent habituellement à déjudiciariser les jeunes et à réduire le taux de récidive. Le Comité a été impressionné non seulement par l'efficacité des stratégies utilisées, mais aussi par le dévouement des intervenants qui y consacrent énormément de temps et d'effort.

De façon générale, ces stratégies se sont étendues d'elles-mêmes, souvent en fonction des conditions locales. Elles devraient, de par le pays tout entier, être reproduites et renforcées selon les besoins de la collectivité. Ce sont là des exemples de procédés que prône le Comité - axés sur la communauté, d'intervention précoce et en grande partie déjudiciarisés.

Le Comité s'est souvent fait dire par des intervenants du système de justice pour jeunes et de l'extérieur, qu'il y avait insuffisamment de coordination et d'intégration des services et des programmes au sein même de l'appareil et entre ce dernier et les services de protection de la jeunesse, des soins de santé mentale et d'éducation. Par conséquent, certaines personnes passent par les mailles du filet, soit parce qu'il n'existe tout simplement pas de programmes ou alors que ceux-ci ne sont pas connus ou sont inaccessibles. On ne peut pas tolérer cette situation : il doit y avoir une meilleure coordination au niveau local et communautaire pour répondre aux besoins des jeunes contrevenants.

Le Comité a tout particulièrement trouvé remarquable la réponse du Québec à ce défi. La province a établi un lien institutionnel entre les services de protection de la jeunesse et l'appareil de justice pour les jeunes en désignant la même personne dans les rôles de directeur provincial en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants et de directeur de la protection de la jeunesse conformément à la Loi sur la protection de la jeunesse. Cette formule se retrouve à tous les niveaux des deux systèmes, car ceux-ci mettent en commun leurs locaux, leurs services, leurs programmes et leur personnel. Lorsqu'un jeune a des problèmes, on détermine laquelle des deux approches convient le mieux. Outre ces arrangements, le Québec dispose d'un plan de mesures de rechange applicables sauf dans les cas les plus graves. Par conséquent, la province a un faible taux de comparutions chez les jeunes contrevenants.

Ces questions ont été soulevées dans le contexte des comités de justice pour la jeunesse, tant pour souligner leur importance à l'égard de la réduction de la délinquance juvénile et les lacunes de l'actuelle base établie par le législateur.

Les comités de justice pour la jeunesse devraient se situer au coeur même d'un système renouvelé de justice pour les jeunes. Bien conçus, ils peuvent jouer plusieurs rôles : ils peuvent servir à la coordination et à l'intégration des différentes composantes du système de justice pour les jeunes et aussi être un lien entre ce système et les services de protection de la jeunesse, de soins de santé mentale et d'éducation. Pour ce faire, il faut que tous les intervenants soient représentés au sein des comités. On devrait également y trouver des parents, des adolescents, des dirigeants communautaires et des représentants d'organismes récréatifs et non gouvernementaux.

Les comités de justice pour la jeunesse pourraient se charger des programmes communautaires de mesures de rechange. Leurs membres pourraient être pressentis pour participer à des conférences familiales, à des cercles de guérison ou à des conseils de détermination de la peine, si de telles options sont disponibles.

Il n'y a pas un modèle unique, capable de satisfaire les besoins de toutes les collectivités : au niveau local, les choix doivent se faire en fonction de la géographie, de la langue, de la culture, des schèmes de délinquance juvénile, etc. Les comités de justice pour la jeunesse doivent être au centre du système renouvelé de justice pour les jeunes, système auquel auront donné naissance les efforts actuellement déployés dans plusieurs parties du pays. La Loi sur les jeunes contrevenants doit être modifiée en conséquence et les changements apportés doivent être placés bien en évidence au début du texte, immédiatement après le nouvel énoncé de l'objet et la formulation des principes directeurs, que le rapport recommande ci-dessus.

RECOMMANDATION 8

Le Comité recommande que l'actuelle disposition de la Loi sur les jeunes contrevenants (article 69) relative aux comités de justice pour la jeunesse soit considérablement renforcée de façon à traduire l'importance du rôle que doit jouer cette institution dans la version renouvelée du système de justice pour les jeunes. Les dispositions renouvelées devraient avoir suffisamment de souplesse intrinsèque pour permettre aux collectivités de déterminer le rôle que ces comités joueront dans la coordination et la prestation des services aux adolescents. Toute modification du genre apportée à la Loi devrait suivre immédiatement les autres changements recommandés au sujet d'un nouvel énoncé de l'objet et de la formulation des principes directeurs.


30 Lilles (1995).

31 Doob (1995).

32 Conseil national de la prévention du crime, mémoire au Comité permanent de la justice et des affaires juridiques chargé de l'examen de la Loi sur les jeunes contrevenants, décembre 1995, p.

33 Lilles (1995).

34 Lilles (1995).


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