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CHAPITRE 5 - LIMITES DES INTERVENTIONS LÉGISLATIVES ET JURIDIQUES : ARGUMENTS EN FAVEUR DES RESSOURCES COMMUNAUTAIRES

LIMITES DU SYSTÈME DE JUSTICE PÉNALE

Partout au pays, le Comité a entendu des témoins lui dire comment le système de justice pénale servait en quelque sorte de déversoir à nos échecs. Les efforts déployés pour tenter de résoudre les conflits et les délits mineurs de façon informelle ou au niveau de la collectivité ont été éclipsés par les coûteuses interventions officielles du système de justice pénale. Même si la grande majorité des crimes commis par les jeunes sont d'ordre mineur, il arrive trop souvent que leurs auteurs soient pris en charge par le système de justice pénale et placés sous garde.

Le recours à l'incarcération pour enrayer la criminalité chez les jeunes est plus fréquent au Canada que dans bien d'autres pays. L'essentiel des ressources financières que nous consacrons aux jeunes en conflit avec la loi sert à la construction et à l'exploitation d'établissements de détention. En fait, environ 80 p. 100 de l'argent destiné au système de justice pour les jeunes sert à financer des établissements de garde en milieu ouvert et fermé, ce qui réduit d'autant le montant consacré à l'élaboration et à la mise en oeuvre de programmes communautaires et de solutions de remplacement à l'incarcération. Dans leur exposé devant le Comité, les représentants de l'Association canadienne de justice pénale (ACJP) ont expliqué la situation actuelle en s'en prenant à l'absence de financement fédéral stratégique en faveur de la mise en oeuvre de mesures efficaces pour déjudiciariser les jeunes :

Elle [la Loi sur les jeunes contrevenants] n'a pas réalisé sa vieille promesse d'intervenir auprès des adolescents ayant eu des démêlés avec la justice et de les réorienter, et ce, en raison d'un manque de ressources bien ciblées. (190:3)
Cette dépendance exagérée à l'égard du système judiciaire officiel et de l'incarcération coûte énormément cher en fonds publics, met en contact des jeunes coupables d'infractions mineures avec des récidivistes auteurs de crimes plus graves, stigmatise les contrevenants et renforce l'identité criminelle dans une sous-culture déviante. En outre, elle ne contribue en rien à prévenir la criminalité chez les jeunes. Soeur Bernadette O'Reilly de la Rossbrook House, centre de dépannage communautaire du centre-ville de Winnipeg, a indiqué au Comité que la prise en charge des jeunes à faible risque par le système de justice et leur incarcération peuvent, sans que nous le voulions, augmenter les risques de récidive.

Je me base sur l'expérience de certains jeunes délinquants avec qui j'ai travaillé et qui, à leur sortie d'un établissement de garde en milieu fermé, sont pires que lorsqu'ils y sont entrés. Il arrive qu'ils n'aient commis qu'un délit mineur et qu'ils soient placés en milieu fermé parce que leur famille a trop de problèmes pour pouvoir faire face à la situation. Un jeune d'un autre milieu socio-économique aurait sans doute été renvoyé chez lui. Il ne fait aucun doute que les jeunes sont à l'école du crime en prison. Selon moi, il faudrait examiner tout le système et pas seulement les jeunes contrevenants. (53:6)
Notre dépendance à l'égard des solutions juridiques - police, tribunaux et services correctionnels - coûte aux Canadiens près de 10 milliards de dollars par année, mais n'a pas réussi à procurer la protection sociale voulue. Cette situation s'explique par le fait que les facteurs associés à l'activité criminelle sont pour la plupart des problèmes sociaux (p. ex., l'analphabétisme, la pauvreté, les logements insalubres, l'alcoolisme et la toxicomanie, l'échec scolaire, etc.) à l'égard desquels les institutions juridiques et législatives ne peuvent pas grand-chose. Le Comité a appris qu'il est possible d'influer sur les facteurs sociaux qui influent sur le degré de prédisposition des individus au crime et sur la vulnérabilité des collectivités face aux actes criminels grâce aux initiatives communautaires de prévention du crime. Pourtant, selon Ross Hastings, coprésident du Conseil national de la prévention du crime, moins de 1 p. 100 des 10 milliards de dollars du budget alloué au système de justice pénale est affecté à la prévention du crime. Sa collègue, Joan Pennell, présidente du Comité de la jeunesse du Conseil national de la prévention du crime, a tenu au Comité les propos suivants :

Même si nous dépensons beaucoup d'argent, nous avons toujours des tribunaux submergés; notre police a de plus en plus de mal à répondre aux appels à l'aide et nos centres pour les jeunes et nos prisons débordent. Si nous portions notre attention sur la prévention et l'intervention, moins de jeunes gens commettraient des crimes graves et se retrouveraient devant les tribunaux. (193:3)
On a rappelé au Comité l'échec de la politique adoptée par nos voisins du Sud en matière de criminalité. Les États-Unis dépensent près de 140 milliards de dollars (canadiens) chaque année en mesures pénales pour enrayer la criminalité et leur population carcérale a triplé au cours des 15 dernières années26. Nick Bala, de la faculté de droit de l'Université Queen's, a invité le Comité à ne pas souscrire à ce genre de solution inefficace :

Bien sûr, la situation aux États-Unis indique que la population demande constamment que l'on soit de plus en plus sévère et, à un certain niveau, il n'est pas possible de satisfaire à ce genre de demande. Nous n'arriverons jamais à supprimer les crimes et nous n'arriverons jamais à supprimer les crimes commis par les jeunes. Que l'on menace de pendre les gens ou de les fouetter, cela va continuer. C'est pourquoi il faut être très prudent et faire preuve de largeur de vue. (80:21)
Même si les témoins entendus par le Comité reconnaissent l'utilité de l'intervention du système de justice pénale pour protéger la société contre les contrevenants dangereux, ils sont aussi conscients que ce genre d'intervention formelle n'a pas rendu les collectivités plus sûres. Les institutions de justice pénale et de droit pénal sont conçues pour réagir à un comportement fautif après que quelqu'un en a été victime. Selon l'expérience du juge Heino Lilles de la Cour territoriale du Yukon, il y a de réelles limites à ce que les lois peuvent accomplir au chapitre de la protection sociale :

Depuis dix ans que je suis juge, j'ai vu les enfants passer des organismes de protection de la jeunesse au système judiciaire pour adolescents et ensuite au système judiciaire pour adultes. [. . .] L'expérience m'a enseigné un certain nombre de choses, notamment que, contrairement à ce à quoi s'attend la population, une loi à elle seule, qu'il s'agisse de la Loi sur les jeunes contrevenants ou du Code criminel, ne peut pas réduire de façon importante la criminalité dans notre société. (79:10)
Pas plus que la multiplication des lois ne peut réduire le sentiment de crainte et d'insécurité ressenti par le public, selon Martin Garbor-Conrad de l'Edmonton City Centre Church Corporation :

Ce ne sont pas les lois qui amènent le public à se sentir en sécurité et elles ne peuvent pas améliorer la situation. (80:42)

BESOIN DE RESSOURCES COMMUNAUTAIRES ACCRUES

Le Comité s'est fait dire qu'aussi longtemps que le problème de la criminalité chez les jeunes relèvera du droit pénal, avec son cortège d'interventions policières, judiciaires et carcérales, ses manifestations se poursuivront, les demandes en faveur d'un resserrement de la Loi ne s'arrêteront pas et la confiance du public dans le système demeurera difficile à gagner. L'augmentation des interventions du système de justice pénale ne fera qu'accroître le nombre déjà élevé de jeunes pris en charge par le système et détourner les précieuses ressources des mesures de première ligne visant à prévenir la criminalité, a soutenu Jim Robb. À cet égard, il a formulé la mise en garde suivante :

Des mesures uniquement conçues pour surcharger un système déjà débordé et pour accroître le nombre de jeunes incarcérés ne feront qu'épuiser encore plus rapidement les ressources déjà très fragiles et franchement très limitées qui existent actuellement pour lutter contre les véritables problèmes. (49:46)
La rareté des ressources communautaires est une question qui est revenue sur le tapis à maintes reprises. C'est une situation commune à l'ensemble du Canada, d'est en ouest, de même que dans le Nord. Neil Sharkey de la Clinique d'aide juridique Maliiganik, à Iqaluit, a formulé l'observation suivante à l'intention du Comité :

La plupart des provinces ont [. . .] englouti cet argent [les transferts de paiement pour les jeunes contrevenants] dans des prisons pour jeunes. Nous avons ici une belle maison de détention pour les jeunes, mais elle est coûteuse et absorbe la plus grande partie des paiements de transfert. Toute proportion gardée, elle ne sert que pour un petit nombre de jeunes en difficulté pour lesquels il n'y a plus d'autre solution [. . .]. Et il en est ainsi parce que les solutions de rechange sont sans effet, et elles sont sans effet parce qu'il n'y a pas d'argent. (43:2)
À Iqaluit, l'octroi de ressources pour engager des agents de probation à temps plein chargés de conseiller les jeunes et de superviser de façon étroite ceux qui sont en conflit avec la loi constituerait, selon Neil Sharkey, une solution de rechange viable et profitable et réduirait les taux de récidive. Plusieurs fois au cours de son témoignage, il a souligné que la Loi sur les jeunes contrevenants était déjà assez «musclée»; le problème réside dans la pénurie de ressources pour aider les auteurs d'infractions mineures et les jeunes à risque ainsi que leur famille.

Le Comité a entendu parler de parents qui se font dire par des policiers de porter des accusations contre leurs enfants lorsqu'ils sont à bout de ressources et ne peuvent trouver de soutien ou d'aide au sein de leur collectivité; d'enseignants qui n'ont nulle part où diriger les jeunes au comportement agressif/perturbateur et ceux reconnus comme ayant été victimes de mauvais traitements et présentant des risques de récidive; et d'agents de police qui arrêtent des jeunes manifestement perturbés ayant commis des délits mineurs lorsque leur milieu familial est déficient et qu'une intervention des services sociaux s'impose.

Dans ses commentaires sur la diminution des ressources communautaires, Yvon Dandurand de l'International Centre for Criminal Law Reform and Criminal Law Policy a fait état d'un certain nombre de raisons valables pour s'opposer à l'idée d'imputer aux parents la responsabilité de la criminalité chez les jeunes.

J'ai eu l'occasion d'examiner une centaine de cas de jeunes contrevenants qui étaient pratiquement des professionnels du crime. Je les ai étudiés, puis j'ai fait appel à ma propre expérience, à l'époque où je travaillais dans le système de justice pour les jeunes, et je ne suis pas parvenu à me souvenir d'un seul cas où les parents, quel que soit leur degré d'incompétence, n'avaient pas demandé de l'aide au moins une fois, sinon quinze fois. Souvent, ils se tournaient vers les conseillers scolaires. Malheureusement, il n'y a plus de conseillers scolaires. [. . .] Les services sociaux n'ont rien à offrir. [. . .] Alors si on parle de responsabilité et d'intervention précoce, il y une solution très simple. Écoutez les parents. Écoutez les enseignants. Ils savent quel enfant est en danger. Ils peuvent vous le dire. Le problème, c'est la pénurie de ressources. Nous affectons une grande partie de nos ressources aux prisons et à la probation. Pourtant, nous savons que ces deux mesures ne sont pas efficaces. (64:49)
Les témoins entendus par le Comité ont aussi fait état du peu de ressources communautaires affectées à l'encadrement des jeunes à leur sortie de prison. Même si certains jeunes reçoivent un appui en prison, s'il n'y a pas de personnes-ressources et de programmes au sein de la collectivité pour les aider à faire la transition entre la prison et la société, bon nombre renouent avec leurs anciens comparses et retombent dans leurs vieilles habitudes. Lisa Martz, du Vancouver Family Court Youth Justice Committee, a établi un lien entre les services d'aide postpénale et la sécurité de la collectivité :

[. . .] la peine et l'emprisonnement font effectivement une différence [. . .] ce n'est pas en raison du caractère punitif de la prison. C'est en raison des ressources qu'ils peuvent y trouver. [. . .] nous avons des enfants qui ont tiré profit du temps passé en prison mais qui, une fois libérés, [. . .]. Nous ne disposons tout simplement pas ici des ressources devant leur permettre de faire cette transition, même s'il est clair que le moment de la libération est un moment crucial pour les jeunes. (64:2-3)
À ce propos, elle a ajouté :

Un bon comportement en prison est une chose; un bon comportement au sein de la société, voilà ce que nous cherchons à obtenir. Pourtant, des décisions sont prises, au moment même où nous nous parlons, pour réduire les ressources disponibles à ce moment crucial. (64:3)
Conscients de l'impossibilité d'obtenir de nouveaux fonds, un certain nombre de témoins ont recommandé de réorienter une partie des centaines de milliers de dollars investis dans le système de justice pénale vers les collectivités, où ils peuvent être de la plus grande utilité. Selon eux, si nous voulons vraiment réduire la criminalité chez les jeunes, nous devons utiliser nos ressources pour mettre en place, au sein des collectivités, un vaste éventail de moyens afin de soutenir les enfants et leurs familles.

RECOMMANDATION 5

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada amorce des discussions avec les ministres provinciaux et territoriaux responsables des questions touchant la justice pour les jeunes dans le but de réorienter les ressources affectées aux établissements de détention vers les services communautaires qui viennent en aide aux enfants et à leur famille.

PARTAGE DES COÛTS ENTRE LES GOUVERNEMENT
FÉDÉRAL, PROVINCIAUX ET TERRITORIAUX

Même si la Constitution confère au Parlement le pouvoir de promulguer des lois en matière pénale, leur administration relève des provinces. D'où l'accroissement, au fil des ans, de la responsabilité partagée du financement des différents éléments du système de justice pour les jeunes entre les deux ordres de gouvernement. En vertu de la Loi sur les jeunes délinquants, les ententes de partage des coûts dépendaient en grande partie du Régime d'assistance publique du Canada, des accords spéciaux sur les jeunes contrevenants et des contributions du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien au titre des jeunes contrevenants autochtones inscrits. En général, elles prévoyaient un partage à parts égales des coûts de détention entre les deux ordres de gouvernement; le coût des décisions sans placement sous garde n'était pas partagé de cette façon. Ces ententes ont été modifiées en 1982 avec l'adoption par le Parlement de la Loi sur les jeunes contrevenants.

Le fondement législatif des accords actuels de partage des coûts se trouve à l'article 70 de la Loi, dont le libellé est le suivant :

Tout ministre peut, avec l'approbation du gouverneur en conseil, passer avec le gouvernement de toute province un accord prévoyant le paiement par le Canada à la province de subventions au titre des dépenses qu'elle a effectuées pour fournir des soins et des services aux adolescents dans le cadre de la présente Loi.
La Loi n'est entrée en vigueur qu'en 1984 afin de laisser aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux le temps de négocier et de mettre en place de nouvelles ententes de partage des coûts pour remplacer celles découlant de l'ancienne Loi. Il y aussi lieu de noter que la disposition relative à l'âge maximal uniforme n'a pas été proclamée avant 1985. Contrairement aux anciennes ententes de partage des coûts, les nouvelles englobent à la fois les services de placement sous garde et ceux ne comportant pas de placement sous garde.

En 1984, les autorités fédérales, provinciales et territoriales ont conclu un accord quinquennal dont les modalités sont les suivantes :

La conclusion de cet accord a coïncidé avec la concrétisation de plusieurs autres ententes portant sur les subventions de mise en oeuvre, l'élaboration de programmes, la conception de systèmes et la recherche. Ces fonds fédéraux supplémentaires visaient à aider les autres ordres de gouvernement à assumer les coûts de démarrage et de transition occasionnés par les importants changements apportés au système de justice pour les jeunes en vertu de la nouvelle Loi.

En 1987, on a entamé des négociations en vue de renouveler et de reconduire les ententes de partage des coûts devant arriver à échéance le 31 mars 1989. En mai 1989, le Cabinet fédéral a décidé, en guise de mesure de restriction budgétaire, de limiter la contribution fédérale à l'égard du financement de ces ententes à leur niveau en date du 31 mars 1989, soit environ 156 millions de dollars par année. L'imposition de cette limite n'a toujours pas été levée et, de fait, les contributions fédérales ont subi de nouvelles compressions mineures. Les restrictions financières actuelles ont eu pour effet de réduire encore de 4 p. 100 le montant limite fixé et de le ramener à 150 millions de dollars par année. Les ententes sont arrivées à échéance le 31 mars 1996 et sont actuellement en voie d'être renégociées.

Les conséquences de la décision du gouvernement fédéral de limiter sa contribution sont assez manifestes. Le niveau des coûts provinciaux et territoriaux potentiellement partageables s'est constamment accru, tandis que la contribution fédérale est en grande partie demeurée la même. Par conséquent, la part des coûts partageables assumée par le gouvernement fédéral s'est amenuisée au fil des ans. Il semble aussi que la proportion des coûts partagés alloués à la garde par les provinces et les territoires s'est élevée jusqu'à 70 p. 100 ces dernières années28.

Lors de sa comparution devant le Comité, l'honorable Allan Rock, ministre de la Justice, a abordé la question du partage des coûts en énonçant ses objectifs à long terme :

Je pense que c'est justement l'une des principales raisons du taux d'incarcération élevé des jeunes. C'est pourquoi je dis que, lorsque nous renégocierons le partage des coûts avec les provinces, je stipulerai un plan destiné à inverser la tendance actuelle. En ce moment, sur les fonds que nous donnons aux provinces, huit dollars sur dix sont consacrés à la détention. Je pense que c'est la solution de facilité, qui dénote de la paresse. C'est la façon de s'assurer que nous construirons davantage de cages où enfermer les jeunes. Si j'en ai la chance, c'est ce que je négocierai, parce que je préfère voir à l'avenir la proportion s'inverser, avec 80 p. 100 des fonds destinés à d'autres solutions. Dans le cas des contrevenants non violents, le tribunal devrait avoir la possibilité de choisir des solutions autres que l'incarcération. (189:21)
Même si, en principe, ils ne sont pas contre l'objectif à long terme de M. Rock, les ministres provinciaux et territoriaux responsables des questions de justice pour les jeunes qui ont rencontré le Comité diffèrent de point de vue quant à la façon de s'y prendre pour l'atteindre. Ils constatent que leur part des coûts a continué de s'accroître alors que celle du gouvernement fédéral a été gelée. Le plafonnement de la part fédérale du programme à frais partagés, en 1989, a eu une incidence néfaste, en particulier pour les provinces et territoires qui n'avaient pas encore eu le temps de se doter des installations et des programmes modernes nécessaires pour mettre en oeuvre la Loi sur les jeunes contrevenants. Les ministres se sont également plaints de ce que chacune des séries de modifications apportées à la Loi par le Parlement ait accru leur part des coûts. Certains ont déploré que le gouvernement fédéral disent aux autres ordres comment exercer leur compétence en matière d'administration du système de justice pour les jeunes alors que lui-même n'a pas respecté son engagement de 1984 d'assumer de prendre en charge la moitié du programme à frais partagés.

C'est le solliciteur général et ministre des Services correctionnels de l'Ontario, l'honorable Robert Runciman, qui a fait valoir ce point avec le plus de véhémence, lorsqu'il a déclaré :

Toutefois, nous estimons que c'est à nous, et non aux autorités fédérales, de décider comment la contribution fédérale au coût des programmes destinés aux jeunes contrevenants doit être utilisée.
[. . .] C'est la province qui est responsable de gérer les programmes à l'intention des jeunes contrevenants. C'est nous qui sommes responsables de décider comment les fonds sont répartis. Nous avons l'intention de faire valoir ces prérogatives, afin de mettre en place un système «fait en Ontario» qui répond à nos besoins et correspond à notre optique.
Comme il est fait mention ailleurs dans le présent rapport, le Comité est favorable à l'adoption d'une démarche axée sur l'intervention précoce, en vertu de laquelle la priorité serait accordée aux efforts de prévention et aux stratégies communautaires et familiales, informelles, à caractère non pénal et non privatives de liberté. Toute la gamme des moyens à caractère pénal, notamment les décisions de placement sous garde, devrait être réservée aux cas les plus graves. Le Comité en est arrivé à la conclusion que les ententes fédérales-provinciales-territoriales de partage des coûts devraient être adaptées en fonction de cette nouvelle conception du système de justice pour les jeunes, ce dont conviendraient sans doute les gouvernements provinciaux et territoriaux. Cette concordance de vues à l'égard d'un principe de base ne signifie pas que le gouvernement fédéral dira aux autres gouvernements comment établir et appliquer leurs programmes de justice pour les jeunes; elle suppose, par contre, une définition de secteurs de partenariat où chaque intervenant a un rôle à jouer.

Bon nombre des témoins entendus par le Comité sont d'accord avec l'orientation de la position avancée par le ministre de la Justice. Dans son mémoire au Comité, la St. Lawrence Youth Association a formulé l'exhortation suivante :

Le gouvernement devrait redéfinir plus avant le plan de partage des coûts liés aux jeunes contrevenants afin de favoriser des services «de première ligne» plus efficients et mieux éprouvés. Sur le plan financier, on devrait davantage mettre l'accent sur des services communautaires, par exemple, les programmes de «préservation des familles» : le financement de ces services, aujourd'hui limité à 20 p. 100 du total, devrait passer tout de suite à 50 p. 100 et, à plus long terme, à 80 p. 100.
À l'occasion du Forum national organisé par le Comité, le professeur de droit de l'Université Queen's, Nicholas Bala, a formulé le conseil suivant :

Essayer de structurer les sommes versées aux provinces de façon à encourager les mesures de rechange, les conférences familiales, les décisions communautaires, et non pas la construction d'établissements de détention. (80:21)
L'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry a, pour sa part, exprimé l'avis suivant dans son mémoire à l'intention du Comité :

L'Association est encouragée par le fait que le ministre Rock a déclaré au Comité qu'il entendait renégocier les ententes entre le gouvernement fédéral et les provinces de façon à appuyer les options communautaires et la déjudiciarisation. Nous y voyons un pas important dans la bonne direction.
Enfin, voici ce qu'en a dit l'Association canadienne de justice pénale dans son mémoire à l'intention du Comité :

À moins d'une action délibérée du Parlement en vue de réorienter le financement lié à la LJC, on pourrait supposer qu'aucune modification législative ne saurait corriger la situation suivante : trop peu de mesures de rechange significatives reçoivent du financement pour permettre de réduire notre dépendance exagérée à l'égard des établissements de mise sous garde.
Le Comité est d'accord avec les sentiments exprimés dans ces mémoires. Pourtant, bien qu'il souscrive à ces objectifs philosophiques généraux, le Comité sait pertinemment que toutes les tentatives pour réorganiser ou «réaménager» les ententes fédérales-provinciales-territoriales de partage des coûts sont loin d'être gagnées d'avance. La quête est rendue plus difficile par les dures réalités financières auxquelles tous les gouvernements sont confrontés de nos jours; elle est exacerbée de plus par les conséquences du plafond imposé en 1989 à l'égard des contributions fédérales et par le nombre toujours croissant de demandes à l'égard des budgets provinciaux et territoriaux alloués au système de justice pour les jeunes. Ces difficultés et les différents points de vues sont évoqués dans les propositions fédérales et provinciales-territoriales figurant dans le rapport du Groupe de travail fédéral-provincial-territorial29.

Le Comité croit qu'il est possible de renégocier les ententes actuelles de partage des coûts pour en arriver à un résultat conforme à l'objectif énoncé par le ministre de la Justice, c'est-à-dire faire en sorte que 80 p. 100 des fonds destinés aux programmes à frais partagés soient alloués à des services pour les jeunes contrevenants qui mettent l'accent sur des solutions autres que l'incarcération. Pour ce faire, tous les ordres de gouvernement et tous les Canadiens devront croire, comme l'affirment les défenseurs de cet objectif et du principe sous-jacent, que la société sera ainsi plus sûre et que ces dépenses publiques sont non seulement abordables et justifiées, mais qu'elles porteront fruit. La tâche n'est pas facile, mais elle est réalisable si ceux qui participent aux négociations adoptent une vision à long terme.

Si les ententes de partage des coûts sont restructurées, certaines réalités devront être prises en considération. Le plafonnement des contributions fédérales en 1989 a eu une incidence sur les budgets provinciaux et territoriaux alloués au système de justice pour les jeunes et il faudra tôt ou tard y remédier. De même, tout renouvellement du système de justice pour les jeunes ou réaménagement des ententes de partage des coûts en fonction de l'objectif à atteindre entraînera des problèmes de transition; il y aura peut-être lieu d'accroître temporairement les budgets alloués au système de justice pour les jeunes pendant la période de transition.

Les gouvernements doivent donner suite aux besoins budgétaires accrus pendant la transition, s'ils veulent que la transformation ultime du système de justice pour les jeunes se concrétise. Il y a deux façons possibles d'aborder cette question lors de la renégociation des ententes actuelles de partage des coûts. La première consisterait à relever temporairement le plafond fixé à l'égard des contributions fédérales pendant la période de transition - disons, pendant cinq ans - après quoi, les contributions fédérales pourraient de nouveau être limitées. La deuxième solution serait de maintenir la décision de 1989 concernant le plafonnement des contributions fédérales et de fournir aux autres ordres de gouvernement un financement de transition en fonction des besoins reconnus d'aide financière en vue de modifier les services et les programmes de justice pour les jeunes.

Peu importe la façon dont ces changements sont apportés au programme à frais partagés, ils doivent toujours être motivés par la volonté de dépenser efficacement les fonds publics pour assurer la protection de la société.

RECOMMANDATION 6

Le Comité recommande que le ministre de la Justice, de concert avec ses homologues provinciaux et territoriaux, entreprennent de renégocier l'entente de partage des coûts relatifs aux jeunes contrevenants de façon à ce que 80 p. 100 des coûts partageables soient alloués à des programmes et à des services qui mettent l'accent sur des solutions autres que l'incarcération.


26 B. Welsh, «Crime Prevention - Global Perspective», The New Federation, juillet/août 1996, p. 21.

27 Ministère de la Justice, Bureau de l'examen, Section de l'évaluation des programmes, L'évaluation du programme fédéral-provincial-territorial de partage des coûts relatifs aux jeunes contrevenants, janvier 1994, p. 14.

28 Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la justice applicable aux jeunes, Examen de la Loi sur les jeunes contrevenants et du système de justice applicable aux jeunes au Canada, août 1996, rendu public en novembre 1996, partie 2.3.2.

29 Aux parties 2.3.6 et 2.3.7.


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