FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE
COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 19 février 1998
[Traduction]
Le président suppléant (M. Bob Speller (Haldimand—Norfolk—Brant, Lib.)): Chers collègues, la séance est ouverte.
Quelques membres du comité ont dû se rendre dans un autre comité pour voter. Je dois dire aux témoins que la répartition des sièges à la Chambre entre le gouvernement et l'opposition est telle aujourd'hui qu'il n'est pas rare que les membres d'un comité doivent de temps à autre aller voter dans un autre comité. Ceux de notre comité qui ont dû le faire aujourd'hui ayant laissé leur veste sur leur fauteuil, je suis sûr qu'ils ne tarderont pas à revenir.
Nous accueillons aujourd'hui plusieurs témoins pour poursuivre notre étude des questions de non-prolifération nucléaire, de contrôle des armes et de désarmement. Il s'agit de Franklyn Griffiths, qui témoigne à titre personnel, de Kristen Ostling, de la Campagne contre l'expansion du nucléaire, de Gordon Edwards, de la Coalition canadienne pour la responsabilité nucléaire, et de Irene Kock, du Nuclear Awareness Project. Je vous souhaite la bienvenue à tous.
Mme Kristen Ostling (coordonnatrice nationale, Campagne contre l'expansion nucléaire): Si vous le permettez, monsieur le président, nous aimerions changer l'ordre de comparution.
Le président suppléant (M. Bob Speller): Certainement.
Mme Kristen Ostling: Nous aimerions témoigner dans l'ordre suivant: Gordon Edwards, Kristen Ostling, Irene Kock puis le professeur Griffiths. Merci.
Le président suppléant (M. Bob Speller): Si cela convient à tout le monde, M. Edwards peut commencer. Normalement, nous accordons une dizaine de minutes à chaque témoin pour sa déclaration liminaire. Si vous avez déjà distribué votre mémoire, nous vous serions reconnaissants de ne pas le lire mais simplement de le résumer, afin de laisser plus de temps pour la période des questions. Nous pensons en effet que les séances sont plus productives de cette manière.
Monsieur Edwards.
M. Gordon Edwards (Coalition canadienne pour la responsabilité nucléaire): Merci, monsieur le président.
Je suis très heureux que le comité tienne ces audiences et que le ministre vous ait demandé de vous pencher sur les questions de désarmement et de non-prolifération. Hélas, je crains que le public n'ait jusqu'à présent que beaucoup trop peu participé à l'élaboration des politiques dans ce domaine, alors qu'il serait très important d'engager un débat public exhaustif et d'éduquer la population sur ces questions cruciales pour le Canada.
À titre de citoyen, je trouve absolument incroyable qu'il n'y ait eu aucun processus politique ouvert que ce soit en ce qui concerne le projet MOX. Et j'ai constaté le même étonnement dans d'autres pays. Par exemple, même au sujet de l'essai de combustion qui sera apparemment effectué au printemps, le Département de l'énergie des États-Unis a jugé bon de préparer une étude d'incidence environnementale, d'informer les collectivités régionales, de solliciter les réactions de la population américaine et canadienne et d'entreprendre un processus public. Chez nous, au Canada, rien!
Il me semble y avoir quelque chose de foncièrement pourri dans la manière dont les politiques nucléaires sont établies au Canada depuis des décennies, étant donné qu'il n'y a fondamentalement aucun processus démocratique transparent. Le problème est que les avis adressés au gouvernement semblent toujours émaner des mêmes parties, année après année, c'est-à-dire de l'industrie nucléaire elle-même.
J'ai trouvé intéressant d'entendre un représentant de RNCan, M. Brown, affirmer que l'on avait créé un bureau des déchets radioactifs de faible activité parce qu'il y a des sites radioactifs. Or, qui dirige ce bureau? L'Énergie atomique du Canada, Ltée. Le problème de la politique nucléaire du Canada est que ce sont nos techniciens nucléaires, qui ont un intérêt acquis à préserver leur emploi, qui conçoivent la politique canadienne, sans aucune intervention du public.
C'est un problème particulièrement grave lorsqu'on parle du projet MOX, étant donné que ses conséquences ne seront pas seulement canadiennes mais globales.
• 1030
Le message que l'on nous donne au sujet de cette initiative
MOX est qu'il s'agit d'éliminer le plutonium des têtes nucléaires
ou de le rendre inutilisable. Ce message n'est cependant pas exact.
On ne connaît en effet aucune méthode pour éliminer le plutonium
retiré des têtes nucléaires. Il n'en existe tout simplement pas.
Utiliser ce plutonium dans un réacteur CANDU ou dans n'importe quel
autre type de réacteur n'aura absolument pas pour effet de
l'éliminer. Cela permettra tout simplement de le réduire dans une
certaine mesure, d'environ un tiers en tout, et de le mélanger à
d'autres matières extrêmement radioactives, ce qui veut dire qu'il
sera encore plus difficile d'en faire quoi que ce soit pendant près
de deux siècles. Cela ne permettra aucunement de l'éliminer. Le
plutonium a une demi-vie de 24 000 ans, ce qui veut dire qu'il
faudrait attendre 240 000 ans pour qu'il soit réduit d'un facteur
de 1 000.
J'aimerais prendre quelques minutes pour replacer cette question dans son contexte historique, et je regrette que les autres membres du comité ne soient pas ici pour entendre ces informations. Je vous ai remis plusieurs documents, notamment une fiche intitulée «Thoughts on Plutonium». Vous y trouverez des citations directes de documents du gouvernement américain.
La première est extraite du rapport Acheson-Lilienthal de 1946, qui a été préparé lorsque le public a appris l'existence de la bombe atomique et qu'un débat s'est engagé aux Nations Unies sur le moyen de contrôler cette force très puissante. Les auteurs du rapport Acheson-Lilienthal avaient conclu à l'unanimité qu'il n'y avait strictement aucune manière de prévenir la prolifération en se contentant de méthodes d'inspection et de police, alors que ce sont précisément celles que l'on dit aujourd'hui être tellement efficaces et que l'on désigne sous l'expression de «sauvegardes».
Le simple bon sens nous dit que vérifier des livres n'empêche pas le vol. Cela nous apprend simplement, mais après coup, qu'un vol s'est produit. Il n'existe aucun système permettant de prévenir complètement tout risque de vol d'argent, de diamants, d'héroïne, d'or ou de n'importe quoi. Prétendre que les inspections ont empêché le détournement de plutonium est un leurre pur et simple.
Le fait est—et le premier ministre Trudeau l'a dit sans ambages—que ces mesures de sauvegarde reposent en dernière analyse sur une chose et une seule: la bonne foi des gens qui donnent leur parole. Or, vous avez pu constater vous-mêmes que l'Iraq n'a pas tenu parole, tout comme la Corée du Nord, l'Inde ou, à l'avenir, d'autres pays.
On dit que l'on a signé des ententes bilatérales exécutoires. Pendant combien de temps seront-elles respectées? Combien de temps dureront les régimes mis en place par ces ententes: 24 000 ans? Sommes-nous vraiment censés croire qu'un groupement politique quelconque qui prendra un pays par la force et exécutera ses anciens dirigeants respectera les ententes signées par ceux-ci?
Croyez-moi, cette question est très grave. Le fait est que le plutonium est un matériau fabriqué par l'homme. La quantité de plutonium requise pour faire une bombe est à peu près équivalente à un pamplemousse. Voici un presse-papier en verre qui a été fabriqué pour être exactement égal à la taille du coeur de la bombe de Nagasaki—à peine quelques kilogrammes.
Lisez les documents publiés sur cette question. Je vous en ai donné plusieurs extraits. De fait, la deuxième citation qui figure sur la fiche que je vous ai remise est de Victor Gilinsky, l'un des cinq commissaires nucléaires de la Commission américaine de réglementation de l'industrie nucléaire, en 1976. Il s'exprimait alors peu après l'explosion indienne, lorsque l'Inde avait produit du plutonium dans un réacteur de recherche canadien et s'en était servi pour fabriquer sa bombe.
Il dit que nous approchons d'une situation où, sans violer aucune entente que ce soit, n'importe quel pays pourrait séparer le plutonium, l'entreposer et fabriquer les mécanismes nécessaires pour le transformer en bombe. Tout cela peut se faire sans enfreindre quelque entente que ce soit. Et il n'est même pas nécessaire de mentir à ce sujet, il suffit de ne pas l'admettre officiellement. Si l'on agit ainsi, on ne viole aucune entente. On peut alors tout simplement réunir le plutonium et les autres dispositifs nécessaires pour fabriquer des bombes en très peu de temps, en entreposant les matériaux et les conteneurs explosifs.
Voici la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui à l'échelle mondiale: tout le plutonium est fabriqué par l'homme. Nous savons dans l'ensemble où il se trouve, bien que nous ne sachions pas où tout se trouve. On en a produit dans des réacteurs civils et dans des réacteurs militaires, et on l'a séparé des déchets radioactifs dans une petite mesure.
• 1035
Près de 20 p. 100 de tout le plutonium existant au monde a été
séparé. Cela veut dire qu'on l'a retiré des déchets extrêmement
radioactifs qui se trouvent dans les combustibles épuisés. Hélas,
après la séparation, il est relativement facile de le voler et de
le transporter, et il est aussi relativement facile de le
transformer en bombes.
Le Canada s'oppose-t-il au plutonium? Non.
Le Canada réclame-t-il l'interdiction du plutonium à l'échelle mondiale? Non. Le gouvernement canadien est-il favorable à l'arrêt de toute production de plutonium à l'échelle mondiale? Non.
De fait, le Canada s'est explicitement réservé la possibilité de procéder à la séparation du plutonium sur son propre territoire. Si vous examinez l'énoncé des incidences environnementales préparé par l'Énergie atomique du Canada Ltée pour ses déchets radioactifs, vous constaterez dès le premier paragraphe qu'elle indique très clairement que les déchets qu'elle pourrait enterrer dans le granit canadien, si elle en obtenait la permission, pourraient être du combustible épuisé de réacteurs ou les déchets résultant de la séparation du plutonium.
Il est parfaitement clair que le gouvernement canadien ne s'oppose pas au plutonium. Il y voit en effet la possibilité de soutenir son industrie nucléaire et, je le précise, d'emboîter le pas à l'industrie nucléaire, comme toujours. C'est l'Énergie atomique du Canada Ltée et Ontario Hydro qui ont conçu ce plan qu'elles défendent depuis plus de quatre ans. Elles se sont adressées au gouvernement du Canada et je suis sûr qu'elles lui ont recommandé de ne pas tenir d'audiences publiques parce que cela ne ferait que leur créer des difficultés.
Qu'est-ce que cela veut dire pour l'industrie nucléaire du Canada? Eh bien, c'est la garantie que leurs réacteurs, qui sont en fort mauvais état, comme vous le savez... Hier encore, Ontario Hydro annonçait la radiation de 6,6 milliards de dollars. Autrement dit, les réacteurs dans lesquels elles veulent brûler le plutonium font précisément partie des sept que l'on est en train de fermer. Qu'est-ce que cela veut dire pour les sociétés? C'est la garantie que ces réacteurs devront être maintenus en activité pendant 25 années de plus, contre vents et marées. Quels que soient les coûts et quelle soit l'entité qui sera obligée de payer la facture, ces réacteurs devront être exploités pendant encore 25 ans. Sinon, ce projet MOX n'a aucun sens.
En attendant, qu'allons-nous faire à l'échelle mondiale pour améliorer la situation? Vivrons-nous malgré tout dans un monde plus sûr dans 25 ans? Aurons-nous réduit la menace que du plutonium soit détourné pour fabriquer des bombes? Au contraire, si les choses continuent comme aujourd'hui...
À l'heure actuelle, la quantité de plutonium civil séparé est environ égale à celle du plutonium militaire séparé. Cependant, la quantité de plutonium civil séparé augmente beaucoup plus vite. Le Japon en produit. La France en produit. La Russie en produit. L'Inde en produit. D'autres pays en produisent. Et ces pays en produisent parce qu'ils veulent se lancer dans l'utilisation courante du plutonium comme combustible.
Ce dont nous parlons aujourd'hui, membres du comité, n'a rien à voir avec l'élimination du plutonium. Ce n'est pas du tout l'objectif visé. Au contraire, il s'agit d'institutionnaliser l'utilisation du plutonium à l'échelle mondiale. Certes, cela n'est peut-être pas le motif du gouvernement canadien mais croyez bien que c'est l'un des motifs fondamentaux de l'industrie nucléaire à l'échelle planétaire. Je suis sûr que ce n'est pas la raison première qu'avance l'industrie nucléaire canadienne lorsqu'elle s'adresse au gouvernement du Canada, mais j'ai la ferme conviction que c'est en fait le vrai mobile de tout cela.
La question que l'on se pose, évidemment, est celle-ci: quelles sont les options si le projet MOX n'est pas réalisé? à mes yeux, l'option qui s'offre à notre gouvernement serait de prendre clairement position contre toute séparation du plutonium pour quelque objectif que ce soit, au niveau mondial. Puisque nous avons fait preuve de leadership au sujet de l'élimination des mines antipersonnel, ou en tout cas pour obtenir un accord sur l'élimination de ces mines—car il va évidemment falloir attendre encore bien des lunes pour qu'elles soient toutes éliminées—je pense que le Canada pourrait jouer le même rôle de leadership pour mettre un terme à la séparation du plutonium. Je précise d'ailleurs que c'est là une stratégie que Pierre Elliott Trudeau avait recommandée aux États-Unis en 1978. C'était ce qu'il appelait à l'époque la «stratégie de l'asphyxie». Elle était cohérente à l'époque, elle est encore très cohérente aujourd'hui. En fait, elle l'est encore plus aujourd'hui.
Ce que je voudrais, c'est que le plutonium que l'on a extrait des têtes nucléaires soit rendu tout aussi inutilisable pour la fabrication d'armes qu'il le serait si on l'utilisait dans un réacteur CANDU. Comment faire, direz-vous? C'est très simple.
Il suffit de mélanger des matières fortement radioactives qui sont entreposées dans des citernes—et il y en a des millions de gallons—avec le plutonium, ce qui rendrait alors la séparation du plutonium aussi difficile que si on l'avait utilisé dans un réacteur CANDU. C'est ce qu'on appelle «l'immobilisation».
• 1040
Or, l'immobilisation présente un autre avantage: une fois que
le plutonium est contaminé par des matières radioactives, celles-ci
ont une demi-vie beaucoup plus courte que le plutonium. Donc, elles
seront presque totalement disparues après deux siècles. Certes,
tout ne sera pas disparu mais il deviendra alors de plus en plus
facile d'extraire à nouveau le plutonium.
Cela vaut à la fois pour le combustible épuisé et pour l'immobilisation. Si l'on utilise du plutonium dans un réacteur CANDU, il deviendra de plus en plus accessible après chaque siècle. Cela veut dire que l'on n'aura aucunement réglé le problème, on aura simplement gagné du temps.
Gagner du temps n'est sans doute pas une mauvaise idée mais on peut le gagner à un prix beaucoup moins élevé et de manière beaucoup plus raisonnable, sans courir le risque d'engendrer un économie globale du MOX ou du plutonium, simplement en le mélangeant et en l'immobilisant.
L'immobilisation offre par ailleurs un avantage particulier: la vitrification. Son avantage est qu'il est possible de refondre le verre au bout d'une centaine d'années, d'ajouter un peu plus de déchets radioactifs puis de revitrifier le tout. Cela n'est pas possible avec le combustible épuisé.
Autrement dit, l'immobilisation est la solution qui offre la permanence que l'on n'obtient pas avec l'option du réacteur MOX.
Merci.
Le président suppléant (M. Bob Speller): Merci, monsieur Edwards.
Madame Ostling.
Mme Kristen Ostling: Bonjour, monsieur le président. Je tiens à vous remercier de nous offrir la possibilité de nous adresser à vous aujourd'hui au sujet de la politique nucléaire du Canada et de son incidence sur la prolifération.
Le problème fondamental de la politique canadienne de non-prolifération nucléaire est qu'elle est foncièrement inefficace. Depuis une cinquantaine d'années, le Canada joue le rôle d'honnête intercesseur dans le cadre d'efforts de désarmement nucléaire qui ont continuellement été compromis par les efforts déployés sur son territoire et à l'étranger pour faire la promotion des programmes nucléaires civils.
Les efforts fédéraux et provinciaux déployés pour commercialiser les réacteurs CANDU et l'uranium, sous le masque de l'atome pacifique, ont en fait contribué à réduire la sécurité globale. Les risques immédiats ressortent par exemple clairement de la manière dont on peut fabriquer des armes de destruction massive avec de l'uranium canadien, et du fait qu'il y a des dangers environnementaux et de prolifération inhérents qui sont associés aux réacteurs nucléaires et aux déchets d'armes nucléaires.
Ce que nous réclamons pour le Canada, c'est une évaluation publique et indépendante des méthodes de l'industrie et de leur incidence sur la non-prolifération. Rien n'a encore été fait par le gouvernement du Canada à ce sujet.
En continuant d'appuyer une industrie qui n'est pas durable, le gouvernement met notre environnement et notre sécurité en danger. Des gouvernements successifs ont continué d'appuyer inconditionnellement les objectifs de l'industrie nucléaire canadienne et n'ont pas réussi à obliger les sociétés d'État et les autres branches de l'industrie à rendre des comptes au public. Cela ressort clairement de notre engagement continu envers les exportations d'uranium et de réacteurs CANDU et les importations de plutonium pouvant servir à fabriquer des armes.
Je voudrais aborder brièvement les deux premières questions, c'est-à-dire la manière dont le Canada contribue à la prolifération par les exportations d'uranium et de réacteurs CANDU et, surtout, par ses importations de plutonium.
Comme le montre la carte nucléaire du Canada qui vous a été remise, la chaîne des combustibles nucléaires commence avec l'uranium. Celui-ci n'a que deux utilisations principales: les bombes nucléaires et la production d'électricité.
Le savoir-faire canadien avec l'uranium a contribué à nourrir la course aux armements dans le passé et continue de le faire aujourd'hui malgré le traité de non-prolifération et malgré l'accord de coopération nucléaire du Canada. Ce facteur a été clairement mis en relief dans un rapport d'octobre 1993 du comité mixte fédéral-provincial sur le développement des mines d'uranium dans le nord de la Saskatchewan. Les auteurs du rapport soulignaient qu'il n'existe aucune méthode prouvée de prévention de l'incorporation d'uranium canadien à des applications militaires.
En ce qui concerne les risques de prolifération reliés aux exportations de réacteurs CANDU, il importe de souligner que chaque réacteur CANDU produit du plutonium qui pourra servir à fabriquer des bombes nucléaires n'importe quand pendant les 20 000 prochaines années. Autrement dit, longtemps après que le réacteur aura été fermé, mis hors service et oublié, et longtemps après que le régime politique ayant signé l'accord de coopération nucléaire aura été consigné aux livres d'histoire, le plutonium sera toujours là pour fabriquer des armes.
• 1045
Malgré l'accord canadien et international de non-prolifération, les
ventes de réacteurs CANDU portent un risque
inhérent de prolifération. Les acheteurs peuvent tout simplement
faire fi de leurs engagements, comme l'Inde. Tous les clients
passés et actuels des réacteurs CANDU du Canada, soit la Chine,
l'Inde, le Pakistan, Taiwan, la Roumanie, l'Argentine et la Corée
du Sud, ont à un moment ou un autre eu des programmes d'armement
nucléaire.
Passons maintenant à la question des importations de plutonium et à la menace qu'elles représentent pour la politique canadienne de non-prolifération nucléaire. Sans réel débat public ou parlementaire, le gouvernement fédéral a accepté le principe d'autoriser l'importation de plutonium combustible au Canada. Le gouvernement et l'industrie nucléaire veulent faire passer ce projet comme une initiative de conversion d'épées en charrues, en disant que cela permettra de faire un usage productif des armes démantelées. Autrement dit, nous allons utiliser l'excédent de plutonium pour éclairer nos maisons et faire marcher nos téléviseurs.
Malheureusement, le gouvernement ne s'est pas engagé à tenir un débat public exhaustif à ce sujet ni à faire une étude environnementale exhaustive avant de prendre sa décision. L'argument de conversion d'épées en charrues n'est en fait qu'un simple leurre. L'industrie nucléaire globale est en déclin et Ontario Hydro ne fait pas exception à cette tendance.
L'argument de conversion des épées en charrues est essentiellement invoqué comme outil de marketing pour tenter de relancer une industrie nucléaire canadienne croulant sous les scandales et les dettes, et pour trouver une raison de réparer les réacteurs branlants d'Ontario Hydro. Ce motif sous-jacent—assurer la survie de l'industrie nucléaire—ressort clairement du fait que les sociétés les plus faibles de services publics en Amérique du Nord sont celles qui appuient le plus vigoureusement cette initiative.
Aux États-Unis, par exemple, Commonwealth Edison, société de production d'électricité dont six des 12 réacteurs figurent sur la liste de surveillance de la Commission de réglementation de l'énergie nucléaire à cause de leurs résultats pitoyables sur le plan de la sécurité, se prépare à prendre la tête du consortium qui défend l'utilisation du combustible MOX dans ce pays. De même, au Canada, il est prévu que sept des réacteurs d'Ontario Hydro devront fermer pour des problèmes de sécurité.
Pour Ontario Hydro, l'initiative de plutonium combustible est la justification de la réparation des réacteurs, notamment de la centrale de Bruce. Comme les travaux de rénovation et de réparation coûteront probablement 1 milliard de dollars ou plus, le projet MOX tombe à point. Si le gouvernement fédéral ratifie cet accord et accepte du plutonium combustible pouvant être utilisé dans des armes, il engagera le Canada à exploiter ces réacteurs spécialement modifiés pendant au moins un quart de siècle, quels que puissent être les problèmes de coût, de maintenance, de sécurité ou d'exploitation.
Le récent scandale qui a éclaté à Ontario Hydro a soulevé des questions au sujet à la fois de la sécurité des réacteurs CANDU et de la crédibilité de l'industrie nucléaire du Canada. Considérant la situation lamentable d'Ontario Hydro, il convient de se demander comment le gouvernement fédéral et, par extension, la population canadienne peuvent accorder la moindre confiance à l'industrie nucléaire quant à sa capacité de mettre en oeuvre un programme de plutonium de cette nature. Cette question mérite d'autant plus d'être posée du fait de l'incompétence notoire de la direction de l'entreprise et des problèmes de conception et de sécurité inhérents à l'infrastructure nucléaire vieillissante du Canada.
L'un des principaux problèmes que pose cette initiative de plutonium combustible, sur le plan de la non-prolifération, est qu'elle gomme encore plus la distinction qui devrait être maintenue entre les programmes nucléaires civils et militaires du monde.
La Corporation Rand, qui est un institut de recherche de Washington, D.C., a déclaré qu'il est essentiel que les pays prêtent attention à la menace de prolifération émanant des programmes nucléaires civils s'ils veulent maximiser l'effet de non-prolifération qui devrait résulter du démantèlement des armes nucléaires des États-Unis et des anciennes républiques soviétiques. Si l'on ignore cette menace civile, on aggrave le problème en faisant aujourd'hui un mauvais choix sur ce qu'il faut faire des matières nucléaires.
• 1050
Si l'on va de l'avant avec la prochaine phase de ce projet, du
plutonium utilisable dans des armes pourrait être transporté au
Canada au printemps pour effectuer des essais aux laboratoires de
Chalk River. Ces essais constitueront une première étape avant
d'approuver de futures expéditions de plutonium à grande échelle.
Howard Canter, directeur intérimaire du Bureau des matières fissiles du Département de l'énergie des États-Unis, a confirmé que la première expédition de plutonium américain de cette nature se fera en mars ou avril 1998. Elle a déjà été repoussée plusieurs fois, dans certains cas à cause d'opposition aux États-Unis, mais le dernier report a été provoqué par les questions soulevées par la Campagne contre l'expansion nucléaire et par d'autres groupes canadiens qui ont adressé des mémoires au Département de l'énergie sur son ébauche d'étude environnementale.
Plusieurs organismes qui se sont adressés au Département de l'énergie ont cité le manque d'étude des incidences environnementales au Canada et d'étude des effets transfrontaliers—autrement dit, des incidences causées dans un pays par les décisions prises dans un autre. Les autorités américaines ont estimé que les dispositions de la législation américaine régissant les effets transfrontaliers et le transport de matières nucléaires n'avaient pas été prises en compte dans l'ébauche d'étude environnementale, et le Département de l'énergie, le Département de la justice et le Conseil de la qualité environnementale procèdent actuellement à une révision de l'étude.
Ce qui est frappant, c'est que l'on n'a fait aucune étude équivalente au Canada jusqu'à présent. Autrement dit, les Canadiens ont obtenu plus de résultats sur la politique étrangère des États-Unis, par leurs interventions dans ce pays, que dans leur propre pays.
Il est scandaleux que cette question n'ait fait l'objet d'aucune étude environnementale au Canada. Si l'on en fait une aux États-Unis, on devrait au minimum en faire une au Canada. En outre, et cela compte encore plus, on devrait en profiter pour revoir la politique canadienne en la matière.
Les Canadiens ont le droit de décider s'ils veulent se lancer ou non dans cette voie qui va déboucher sur une situation tout à fait nouvelle en ce qui concerne les problèmes de prolifération nucléaire. La réalisation de ce projet va consolider l'industrie nucléaire pendant au moins 25 années et elle va stimuler une économie globale du plutonium.
Nous appuyons la position de Franklyn Griffiths et d'autres Canadiens sur cette question, à savoir qu'il ne faut pas faire l'essai de combustion ni accepter les autres étapes prévues.
Il est d'ailleurs intéressant de constater que même Ontario Hydro est moins enthousiaste face au projet. Ses représentants ont déclaré qu'ils ne sont pas optimistes quant à la possibilité d'obtenir ce contrat, mais cela ne nous empêche pas d'aller de l'avant avec l'essai de combustion.
Le président suppléant (M. Bob Speller): Pourriez-vous conclure?
Mme Kristen Ostling: Oui, tout de suite.
Le gouvernement fédéral a déclaré que toute étude environnementale du projet d'importation de plutonium prendra plusieurs années. Malheureusement, cela veut dire que les résultats arriveront trop tard et que l'on n'aura quand même pas posé aux Canadiens la question fondamentale de savoir s'il veulent ou non ce projet.
Notre première recommandation est que le Canada renforce sa politique de non-prolifération nucléaire et qu'il annule l'essai de combustion prévu au printemps aux laboratoires nucléaires de Chalk River.
Vous trouverez nos autres recommandations dans notre rapport.
Merci beaucoup.
Le président suppléant (M. Bob Speller): Merci.
Je voudrais faire une remarque. Les témoins qui vous ont précédée nous ont laissé un document exposant nos règlements concernant l'essai MOX. J'y lis ceci:
-
Un tel projet serait assujetti à toutes les conditions d'évaluation
et de permis des autorités fédérales et provinciales pertinentes en
matière de réglementation de la sécurité, de la santé et de
l'environnement. Les divers processus d'approbation comprendraient
une évaluation environnementale exhaustive du projet, ainsi que des
dispositions de participation du public.
Mme Irene Kock (porte-parole, Nuclear Awareness Project): Je répondrai à cela.
Le président suppléant (M. Bob Speller): Très bien, car on vient de nous dire que cela est prévu seulement dans l'avenir.
Madame Kock.
Mme Irene Kock: Merci, monsieur le président. Je suis heureuse de pouvoir m'adresser à vous aujourd'hui.
Je voudrais commencer en disant que notre groupe appuie les positions de Gordon Edwards et Kristen Ostling pour leurs organisations respectives.
Notre propre organisation s'occupe de questions de désarmement et d'énergie nucléaire, et c'est pourquoi nous croyons fondamentalement qu'il n'est pas possible de découpler l'atome soi-disant «pacifique» des bombes nucléaires. C'est ce qui explique que notre organisation, le Nuclear Awareness Project, mène des activités sur ces deux fronts.
• 1055
Nous croyons que la position du Canada en matière de non-prolifération
devrait être d'appuyer l'interdiction globale de la
production de plutonium, comme l'a dit le Dr Edwards. Nous croyons
aussi que l'on devrait mettre fin aux exportations de réacteurs à
uranium et de technologie nucléaire vers des pays que l'on sait
contribuer à la prolifération. Je veux attirer votre attention sur
un cas particulier qui nous préoccupe beaucoup à l'heure actuelle.
Il s'agit de l'érosion de notre politique de non-prolifération à
cause du commerce de technologie nucléaire avec l'Inde et le
Pakistan par l'intermédiaire du groupe de propriétaires de
réacteurs CANDU. C'est une érosion qui se fait en douce depuis
1989.
À ma connaissance, nous n'avons même pas d'accord de coopération nucléaire avec le Pakistan, comme l'indique Kristen dans le document qu'elle a remis à votre comité. Pour ma part, je vous adresserai une lettre dans laquelle vous trouverez des détails sur cette situation.
Nous croyons que l'aide fournie à l'Inde et au Pakistan constitue une violation de notre politique de non-prolifération. En effet, nous aidons ces pays à améliorer les réacteurs CANDU que nous leur avons construits.
J'aimerais mettre rapidement l'accent sur trois questions particulières. La première concerne l'Agence internationale de l'énergie atomique qui, comme vous le savez, est un organisme de l'ONU dont le double mandat est de promouvoir l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire et de gérer notre régime de sauvegarde au plan international.
Nous sommes très préoccupés par ce rôle foncièrement schizophrène. Nous croyons en effet qu'il est fondamentalement erroné de demander à l'Agence d'agir dans deux voies contradictoires en même temps. Nous pensons que l'Agence devrait être réformée et je vous implore de recommander au gouvernement canadien de faire des pressions en ce sens pour que l'AIEA devienne strictement un organisme de sauvegarde. Nous souhaitons que le gouvernement agisse pour renforcer les mécanismes de sauvegarde et pour mettre un terme absolu à la promotion par l'ONU de l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire. Notre position est que l'ONU devrait au contraire déployer des efforts beaucoup plus vigoureux pour promouvoir les énergies renouvelables, lesquelles ne comprennent aucunement, selon nous, l'énergie atomique.
Je tiens à aborder aussi le problème de la sécurité à long terme des combustibles épuisés. Encore une fois, il s'agit là d'un problème global. Lorsque le combustible épuisé est retiré des réacteurs, il est extrêmement dangereux, comme vous le savez. Il s'agit de ce qu'on appelle une «barrière radiologique». Et c'est un danger inhérent à tous les produits de fission du combustible. Cette barrière biologique se dégrade au cours des temps, comme l'a dit Gordon, mais ce qui en reste, c'est le plutonium, qui devient de plus en plus accessible.
La proposition canadienne avancée à l'heure actuelle par l'EACL est d'enterrer nos combustibles épuisés dans le Bouclier canadien. Cette proposition a fait l'objet d'un débat très intéressant lors d'audiences fédérales sur les incidences environnementales. L'EACL a proposé d'indiquer très clairement sur des cartes géographiques l'emplacement et le contenu de notre futur dépôt de combustible nucléaire.
Le problème que cela pose est de savoir comment nous allons pouvoir identifier ce site de façon à éviter que les générations futures n'y entrent par inadvertance et ne se fassent contaminer. Comment peut-on, d'une part, indiquer les sites sur des cartes mais, d'autre part, les dissimuler à d'éventuels pirates nucléaires qui y verraient une réserve de plutonium très facilement accessible?
C'est là un sérieux dilemme pour tout pays souhaitant régler son problème de liquidation ou d'enterrement des combustibles épuisés mais comme Gordon en a déjà parlé, je vais passer à un autre sujet.
Le comité qui se penchait sur les questions d'élimination des déchets de combustible nucléaire a eu la surprise de sa vie avec le projet MOX. En effet, la proposition d'importer du plutonium dans le cadre du projet MOX veut dire que les combustibles épuisés dans les réacteurs nucléaires sont des combustibles qui resteront au Canada. Or, la proposition actuelle d'enterrement des déchets nucléaires veut essentiellement dire que nous ne pouvons essentiellement pas garantir que le plutonium ne deviendra pas accessible à l'avenir.
Je voudrais par ailleurs mettre en relief les problèmes de dissimulation de renseignements qui sont reliés au projet MOX. C'est quelque chose qui nous préoccupe beaucoup.
• 1100
Notre organisation a commencé à s'intéresser à ce projet en
1994, lorsque je me suis mise à la recherche d'informations
concrètes. Or, c'est seulement par l'intermédiaire du Département
de l'énergie des États-Unis que j'ai réussi à mettre la main sur le
document clé produit par l'EACL et Ontario Hydro. Et cela m'a pris
près d'une année et demie.
J'ai finalement reçu ce document en 1997 et sa lecture m'a beaucoup inquiétée. Il s'agit de l'étude de faisabilité technique pour l'importation de plutonium américain.
Nous avons entendu ce matin qu'une étude similaire de faisabilité a été payée par l'ACDI, du côté russe. Vous serez peut-être intéressés d'apprendre que j'ai essayé d'obtenir ce document mais que l'ACDI a refusé de nous le communiquer, ce qui nous a obligés à nous adresser au Commissaire à l'information du Canada. Or, il s'agit d'un document payé par l'ACDI, pour des recherches exécutées par l'EACL et par Ontario Hydro, et je viens d'apprendre que c'est un document de 1,6 million. C'est un rapport équivalent à celui-ci.
J'espère qu'il ne va pas me falloir une autre année pour l'obtenir. J'estime que votre comité pourrait exiger la divulgation de ce rapport financé par l'ACDI sur la faisabilité de l'importation de plutonium combustible russe.
Ma dernière remarque concerne l'idée que l'on va effectuer une étude exhaustive des incidences environnementales de cette proposition et que la CCEA l'étudiera dans le cadre de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale.
J'ai examiné cette question avec beaucoup d'attention. Nous avons vu des propositions importantes franchir sans aucune difficulté l'étape de réglementation et être approuvées sans aucune étude, et je crains sérieusement que cela ne soit la même chose dans ce cas. Voici pourquoi.
En vertu des règles actuelles et futures de la CCEA—et cela est incontestable—la Commission est parfaitement autorisée à accorder un permis à une société de services publics du Canada pour utiliser du combustible d'oxyde mixte de plutonium en modifiant tout simplement le type de combustible figurant sur son permis. Il n'existe aucune obligation d'effectuer une étude environnementale exhaustive.
Je crains par conséquent qu'il n'y en aura jamais et que nous n'aurons jamais la possibilité d'étudier en détail tous les problèmes que nous avons pu identifier en examinant ce rapport technique: problèmes de transport, problèmes d'ordre socio-économique et problèmes de coûts supplémentaires que devra assumer le Canada pour sauvegarder ce matériel. Le plutonium converti en combustible MOX est une substance «sauvegardable».
J'espère que cela vous fait comprendre que nous n'avons aucune garantie d'avoir cette évaluation exhaustive. Il suffit tout simplement à la CCEA d'inscrire un nouveau combustible sur le permis. C'est tout.
Je dois vous dire aussi que le projet d'énergie nucléaire de Bruce, où Ontario Hydro a l'intention d'utiliser ce combustible, a reçu une exemption complète, totale et absolue des exigences d'évaluation environnementale figurant dans les lois de la province lorsqu'il a été approuvé. Il n'y a donc aucune raison pour nous d'espérer qu'une évaluation sera effectuée au titre des lois provinciales.
Cela conclut mes remarques, monsieur le président. Merci de votre attention.
Le président suppléant (M. Bob Speller): Merci, madame Kock.
Monsieur Griffiths.
M. Franklyn Griffiths (témoignage personnel): Merci de votre invitation, monsieur le président.
Je peux dire que j'analyse et étudie les questions de sécurité internationale, notamment nucléaire, depuis près d'une quarantaine d'années. En fait, depuis bien plus longtemps que je ne voudrais l'admettre.
J'ai commencé mon étude de cette question en 1960, lorsque je me suis intéressé à la politique de désarmement russe. Récemment, j'ai été nommé à un poste à l'Université de Toronto: la chaire George Ignatieff d'études sur la paix et les conflits. C'était au mois de mai, juste après que le premier ministre eût déclaré au sommet nucléaire de Moscou que le Canada devrait assumer ses responsabilités et songer sérieusement à ce qu'on appelle aujourd'hui l'expérience MOX ou expérience de plutonium combustible.
Comme je venais d'être nommé pour occuper cette chaire, je me demandais ce que je pourrais faire pour souligner cet événement. L'une des choses qui me sont venues à l'esprit a été d'étudier cette proposition. Je dois dire qu'à ce moment-là, en mai 1996, j'étais assez détaché et objectif au sujet de ce que j'allais examiner. Je me trouvais probablement dans la même situation que la plupart d'entre vous, c'est-à-dire que j'essayais de savoir de quoi il s'agissait.
À première vue, on pourrait sans doute dire que ce n'est pas une mauvaise idée. Il y a en effet beaucoup de plutonium militaire dans le monde et il serait sans doute bon de pouvoir en faire quelque chose. À première vue, l'idée de s'en servir pour produire de l'électricité au Canada et d'éviter qu'il ne tombe entre les mains de parties qui pourraient s'en servir pour fabriquer à nouveau des armes semble excellente. Le projet me semblait donc comporter des avantages mais, pourtant, j'avais le sentiment que cela cachait peut-être quelque chose.
• 1105
J'ai donc organisé une conférence des parties prenantes en
banlieue de Toronto, en octobre 1996. Tous les principaux acteurs
sont venus: Ontario Hydro, EACL, Affaires étrangères, Ressources
naturelles Canada, organisations de surveillance de l'industrie
nucléaire et de protection de l'environnement, et d'autres. Ce fut
une rencontre extrêmement productive, qui nous a beaucoup appris.
Certes, elle s'est conclue sur une sorte d'impasse car il y avait fort peu de possibilité d'entente. Le débat qui s'est engagé entre les personnes directement intéressées par la question a vite montré qu'il ne pouvait y avoir aucune position intermédiaire. La réponse devait être simplement oui ou non, et je suppose que c'est probablement encore la même chose aujourd'hui. Ce n'est pas une question au sujet de laquelle on peut accepter des compromis ici ou là de façon à donner satisfaction à tout le monde et à faire le bon choix. C'est simplement une question d'acceptation ou de rejet.
En poursuivant ma réflexion, après la rencontre, j'ai décidé d'entreprendre une étude exhaustive du sujet pour me faire mon opinion. J'ai apporté un exemplaire du rapport avec moi. Je ne vais donc pas ajouter grand-chose à ce rapport, intitulé L'expérience MOX: Aliénation de plutonium militaire excédentaire de Russie et des États-Unis. Si le sujet vous intéresse, vous pourrez lire le rapport à tête reposée.
Le président suppléant (M. Bob Speller): Nous en avons des exemplaires.
M. Franklyn Griffiths: Je sais que c'est pénible à lire.
Le président suppléant (M. Bob Speller): Mais il y a aussi un résumé de deux pages.
M. Franklyn Griffiths: Les deux pages sont une chose, mais le rapport lui-même a 30 000 mots et je puis vous assurer qu'il n'y a absolument pas moyen de bien saisir la question en se contentant du résumé. En outre, c'est une question qu'on est obligé de traiter à un niveau technique assez difficile.
Le Canada a fait dans le passé une grosse erreur avec l'Inde, lorsque nous l'avons aidée à obtenir ce qui s'est avéré être le moyen de produire des armes nucléaires. C'était aussi une question extrêmement technique à l'époque, que bien des gens avaient sans doute étudiée en détail et pour laquelle on avait obtenu toutes sortes d'assurances. On nous avait répété qu'il s'agissait de fournir une aide raisonnable à l'Inde, mais c'est cela qui a mené à l'explosion de sa bombe nucléaire en 1974.
Nous avons fait une erreur à l'époque, et nous l'avons faite en partie parce que nous n'avons pas pris la peine d'examiner le problème dans tous ses détails, et je crains que nous ne fassions la même chose aujourd'hui.
Le rapport que j'ai publié aboutit à un rejet incontestable de cette proposition, et vous y trouverez une multitude de raisons pour lesquelles le gouvernement du Canada devrait retirer immédiatement son appui officieux à cette initiative.
Cette initiative est une erreur. Elle ne produira pas les avantages que d'aucuns prétendent du point de vue de la non-prolifération nucléaire et du désarmement. Je serais heureux de vous en parler en détail si vous le voulez. De fait, elle est à certains égards antiproductive car elle garantit que les choses vont empirer si elle est mise en oeuvre sous sa forme actuelle.
En même temps, ce projet garantit que les Canadiens devront assumer des coûts directs du point de vue de la sécurité, de la santé, du financement et de la gouvernance.
À mes yeux, les coûts sur le plan de la gouvernance sont très sérieux. Je veux parler ici de l'intégrité du processus canadien de réglementation et de protection de l'environnement, processus qui sera très sévèrement mis à contribution si le projet va de l'avant et que nous sommes obligés d'effectuer une étude environnementale approfondie sur ce qui sera en fait une proposition absolument unique de sécurité internationale pour laquelle il n'existe absolument aucune procédure d'évaluation. Rien n'existe actuellement pour faire ce travail. Il va falloir tout inventer. Certes, d'aucuns diront peut-être que c'est une bonne occasion de le faire mais je ne suis pas sûr que nous soyons à la hauteur.
Quoi qu'il en soit, j'ai pris fermement position contre ce projet et j'affirme qu'il faut l'abandonner sur-le-champ. Toutefois, si le gouvernement est résolu à aller de l'avant, il trouvera dans mon rapport 21 propositions ou modifications qu'il pourrait appliquer pour améliorer le projet. Tout est expliqué en détail dans mon rapport et je n'ajoute donc rien de plus.
Le président suppléant (M. Bob Speller): Merci, monsieur Griffiths.
Chers collègues, nous avons 20 minutes pour des tours de questions de 5 minutes. Nous devons quitter la salle à 11h30. Je vais donc poser une brève question avant de donner la parole aux autres.
La semaine dernière, l'un de nos témoins, Tariq Rauf, que vous connaissez probablement, nous a dit ceci:
-
La surveillance de l'entreposage à long terme est une autre option
pour le plutonium mais, considérant l'effondrement continu de
l'infrastructure nucléaire en Russie et les fuites de matières
nucléaires de l'ex-Union soviétique, la combustion en réacteur
devient de plus en plus l'option fiable et souhaitable.
Peut-être pourriez-vous, monsieur Griffiths...
M. Franklyn Griffiths: Ce n'est pas une option souhaitable. Une élimination en réacteur, si l'on veut bien employer cette expression, faite en Russie—parlons de la Russie puisque, dans l'ensemble, les Américains peuvent régler leurs problèmes eux-mêmes—va prendre du temps.
De fait, j'estime que, si nous devions prendre du plutonium de Russie et des États-Unis, la première combustion se ferait vraiment au Canada seulement vers l'an 2010. Il faut en effet prévoir des délais immenses. Il y a toutes sortes d'exigences réglementaires à respecter, pas seulement chez nous mais aussi à l'étranger. Il y a par exemple, dans le cas des États-Unis, des questions de production qui pourraient être portées devant les tribunaux et être considérablement retardées.
Donc, l'idée que le Canada se propose de régler les menaces de prolifération nucléaire issues des risques de fuite de matières nucléaires de Russie au moyen d'un projet qui ne commencera vraiment à faire sortir ces matières de Russie qu'en l'an 2010 me paraît tout à fait spécieuse. D'ici à 2010, l'initiative MOX ne pourra strictement rien faire pour ce qui est fondamentalement un problème de comptabilisation et de contrôle des matières nucléaires à l'intérieur de la Russie. Cela dit, plus nous nous intéresserons directement au problème de contrôle et de comptabilisation des matières nucléaires en Russie, aujourd'hui—les Américains le font et j'estime que nous devrions le faire aussi—plus nous pourrons renforcer leur capacité de contrôle et moins on aura besoin de s'attaquer au problème de prolifération par la combustion du MOX en 2010.
Autrement dit, si nous prenons la bonne décision et déployons des efforts réels pour aider les Russes à contrôler leurs matières nucléaires dès maintenant, nous irons à l'encontre même de l'argument que l'on avance pour justifier le projet. On affirme en effet qu'il y a des fuites russes et que nous devrions nous préparer en l'an 2010, et peut-être pour 20 années ensuite, à importer lentement ces matières qui sont apparemment déjà en train de sortir de Russie de toutes sortes de manières.
C'est tout à fait inepte. C'est stupide. Ce n'est pas la bonne solution au problème, lequel, je le répète, est un problème de contrôle des matières nucléaires.
Le président suppléant (M. Bob Speller): Merci.
Monsieur Grewal.
M. Gurmant Grewal (Surrey Central, Réf.): Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs, j'ai beaucoup apprécié la qualité de vos exposés. Je vous en remercie.
Lors de l'accident de Tchernobyl en 1986, qui a souffert le plus? Ce sont les gens, pas les gouvernements ni les organisations. Donc, quand on parle de la question dont nous sommes saisis aujourd'hui—et cela fait quelques jours que le comité en discute—on doit convenir que c'est une question qui aura des incidences à long terme. Quelque chose se produira peut-être ou ne se produira peut-être pas pendant notre existence mais, au fond, nous parlons ici de planification pour les générations futures.
Il y a beaucoup de questions en jeu: sécurité, santé, pollution, environnement, etc. Pour l'heure, ma préoccupation concerne l'éducation du public. Croyez-vous que la population soit pleinement consciente de ce que nous faisons? Quelles sont les conséquences éventuelles de ces projets? Je ne devrais peut-être pas vous poser la question à vous, car c'est une question exhaustive à laquelle on ne pourra répondre qu'après avoir obtenu tous les divers éléments du casse-tête. Peut-être pourriez-vous cependant tenter de me donner votre réponse, dans le contexte actuel?
J'aimerais bien savoir quel est le degré d'éducation du public à ce sujet.
Ma deuxième question concerne les consultations publiques. Croyez-vous que le public a été assez consulté sur ce projet? A-t-il eu la possibilité de s'exprimer? Sinon, est-il complètement muet et inconscient de ce qui se passe? Avez-vous fait des enquêtes ou des recherches à cet égard?
M. Gordon Edwards: Je voudrais dire quelques mots pour vous répondre.
Je crois que votre comité pourrait rendre un service énorme à la population en recommandant, sinon l'abandon pur et simple du projet, au moins le report sine die de l'essai de combustion jusqu'à ce que le processus d'éducation que vous venez d'évoquer ait été mis en oeuvre. Dans un pays comme le Canada, prendre une décision sur un problème de cette nature et de cette ampleur sans processus démocratique de débat public et transparent me semblerait tout à fait impardonnable.
Je suis l'une des personnes qui ont participé à la conférence organisée par le professeur Griffiths, pendant laquelle j'ai vu des représentants des organismes d'évaluation environnementale à l'échelle fédérale et provinciale. Ils nous ont dit sans aucune ambiguïté que leurs organismes, aussi bien fédéral que provinciaux, ne sont absolument pas équipés pour effectuer une évaluation environnementale de ce genre de projet. Quand on parle d'évaluation environnementale, on ne parle pas de politique de fond. De fait, la politique de fond n'a même jamais été discutée.
Voilà un problème fondamental lorsqu'on parle d'évaluation environnementale. Non seulement les organismes concernés ne sont-ils pas équipés pour s'en charger, ils n'en ont même pas le mandat.
M. Gurmant Grewal: Avez-vous effectué une enquête quelconque pour mesurer le degré d'information du public?
M. Gordon Edwards: Je n'ai aucune information à cet égard. Les enquêtes coûtent cher et je ne sache pas que quiconque en ait effectué. Par contre, je crois qu'il est grand temps que le gouvernement fédéral du Canada, pays qui a derrière lui 50 années d'utilisation de l'énergie nucléaire, devrait prendre la tête d'une campagne visant à diffuser des informations équilibrées sur les questions nucléaires et ne pas s'en remettre à l'industrie nucléaire pour cela.
Je trouve particulièrement étrange que, depuis tout le temps que je m'intéresse à ces questions, et même avant, le gouvernement canadien n'ait pas une seule fois pris l'initiative d'un processus transparent d'information du public sur la question nucléaire. Le projet dont nous parlons nous en donne aujourd'hui une excellente occasion. Toutefois, si l'on veut que cela ait vraiment du sens, il faudrait d'abord annuler l'essai de combustion, en tout cas au moins jusqu'à ce qu'un consensus ait eu la possibilité de se former.
Mme Kristen Ostling: En ce qui concerne l'éducation du public, la Campagne contre l'expansion du nucléaire y contribue en répondant à une quantité énorme de demandes de renseignements sur cette question, et je puis vous dire que nous avons peine à répondre à toutes les lettres et demandes que nous recevons chaque jour à notre bureau. Il y a manifestement une soif considérable d'information dans la population. Les gens sont très inquiets. Hélas, nous n'avons tout simplement pas les ressources nécessaires pour fournir tous les renseignements que l'on nous demande à ce sujet, notamment sur la question du plutonium combustible. Nous recevons des demandes chaque jour là-dessus.
En outre, en ce qui concerne les consultations, je peux vous dire que la séance à laquelle nous participons aujourd'hui devant votre comité est la seule possibilité que nous ayons eue d'exprimer publiquement notre position. Je tiens à vous dire que nous vous en sommes très reconnaissants.
Pour ce qui est des sondages d'opinion, je n'en connais qu'un seul, qui a été effectué en 1995 par Santé Canada. Il portait sur des questions de santé. Les résultats ont montré que les questions nucléaires, notamment de déchets nucléaires, faisaient partie des 10 premières préoccupations de la population sur le plan de la santé.
Il y a beaucoup d'inquiétude au Canada à ce sujet et c'est pourquoi j'appuie la proposition du Dr Edwards voulant que vous recommandiez au gouvernement d'entreprendre une consultation populaire beaucoup plus large avant de donner le feu vert à cette initiative. Même si celle-ci ne fait pas l'objet d'une décision finale, il importe que l'on tienne des audiences dans tout le pays sur les questions nucléaires, notamment de non-prolifération.
Le président suppléant (M. Bob Speller): Vous avez parfaitement raison. C'est d'ailleurs le travail que fait notre comité en ce moment-même. Nous l'avions déjà mentionné plus tôt.
M. Gordon Edwards: Notre organisation a un site Internet sur lequel vous trouverez beaucoup d'informations concernant le plutonium. Je vous encourage vivement à le consulter. L'adresse est très simple, c'est ccnr.org.
Le président suppléant (M. Bob Speller): Le ministère nous a dit qu'il avait lui aussi un site Internet sur lequel il diffuse toutes les informations. L'avez-vous consulté?
M. Gordon Edwards: Hélas, il y a là un énorme conflit d'intérêts auquel le gouvernement canadien ne s'est même jamais intéressé. Il s'agit du fait que l'organisme de réglementation et l'industrie relèvent du même ministère, RNCan, qui est aussi l'agence de promotion. Il n'y a donc aucune idée contraire dans ce qui sort de ce ministère, aucune diversité d'opinions. C'est un vrai problème.
• 1120
Aux États-Unis, par exemple, de nombreuses agences différentes
ont un rôle à jouer dans le secteur nucléaire, comme l'Agence de
protection de l'environnement, diverses agences des États et le
General Accounting Office, qui joue un rôle important dans ce
domaine. Il y a aussi la Geological Survey des États-Unis. Il y a
donc beaucoup d'agences différentes qui agissent dans le domaine
nucléaire, ce qui donne accès à une information beaucoup plus
diversifiée. Ici, c'est pratiquement toujours la même chose: que ce
soit la CCAE, l'EACL ou n'importe quel autre organisme officiel,
c'est toujours le même discours.
Le président suppléant (M. Bob Speller): Monsieur Griffiths.
M. Franklyn Griffiths: Je voudrais ajouter une brève remarque sur cette question d'éducation du public. Comme je l'ai dit, j'ai organisé une retraite des parties prenantes. Certes, c'était une retraite mais j'avais aussi espéré que la presse serait représentée, pour que toutes les informations voient le jour. Le fait est que les commanditaires de la retraite—et je songe ici surtout à l'EACL et à Ontario Hydro—n'appréciaient pas cette idée et que la seule manière pour nous d'organiser la rencontre a été de la tenir, en quelque sorte, à huis clos.
Au fond, les organismes concernés ne voulaient tout simplement pas risquer de faire peur à la population en diffusant ces informations. Pour ma part, je vous félicite de tous les efforts que votre comité fait pour tenir ces audiences et pour informer le public.
Fondamentalement, les partisans du projet ne veulent tout simplement pas qu'il y ait de débat parce que cela risque de susciter des inquiétudes. C'est ce facteur qui prime pour eux et je pense qu'ils préféreraient s'en tenir à un discret débat d'ordre technique.
Le président suppléant (M. Bob Speller): Savez-vous, docteur Griffiths, que ce que vous dites me semble tout à fait familier.
Madame Debien.
[Français]
Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): J'aimerais d'abord faire une première observation. On sait que depuis 1975, le Canada ou le Trésor public canadien, comme vous l'exprimiez plus tôt, a dépensé tout près de 13 milliards de dollars pour son programme nucléaire.
Or, on sait qu'il n'y a plus aucune possibilité de vente ici, au niveau national, et même à l'étranger. Donc, Énergie atomique du Canada s'est tournée vers les pays particulièrement répressifs quant aux droits de l'homme, et c'est dans ces pays-là qu'Énergie atomique du Canada a orienté ses ventes de réacteurs CANDU.
Coïncidence assez troublante, c'est aussi à ce moment-là que le Canada a abandonné une politique efficace de respect des droits de la personne. On sait aussi, depuis qu'on a obligé Énergie atomique du Canada à dévoiler ses opérations, qu'elle a dépensé tout près de 60 millions de dollars, depuis les années 1980, en frais de représentation, dit-on. Il s'agissait plus ou moins de pots-de-vin déguisés aux pays avec lesquels elle traitait dans le cadre de la vente de ses réacteurs.
Comme ces pays-là sont particulièrement entachés sur le plan de la corruption et de la violation des droits de la personne, c'est encore une autre coïncidence troublante qu'on ait orienté nos ventes vers ces pays prometteurs au niveau commercial.
C'est une première observation. Je parle de coïncidences troublantes, puisqu'on le vérifie dans la politique canadienne des droits de la personne.
Ma question s'insère un peu dans celle de M. Grewal en ce qui a trait à votre rôle d'éducation et de sensibilisation auprès du public.
Vous avez énuméré plus tôt quelques-uns des moyens que vous utilisiez. En plus de la sensibilisation du public, vous avez parlé de différentes formes de sensibilisation et d'éducation. Pouvez-nous parler des moyens concrets que vous utilisez ou que vous pourriez utiliser éventuellement pour sensibiliser les Canadiens et les Canadiennes, et les Québécois et les Québécoises à cette problématique du nucléaire?
Mme Kristen Ostling: On utilise plusieurs méthodes pour sensibiliser le public canadien. Par exemple, on émet très fréquemment des communiqués de presse, et les questions nucléaires sont soulevées dans les médias. Donc, c'est une des méthodes qu'on utilise.
De plus, nous faisons fréquemment des conférences dans les universités, partout au Canada. Le professeur Gordon Edwards a fait des tournées au Canada pour parler de cette question. On fait cela à nos frais. Ces présentations sont très coûteuses. On utilise aussi l'Internet. Cela a vraiment changé notre façon d'agir. On a maintenant la capacité de communiquer avec les gens à travers le Canada, et c'est formidable.
Il y a fréquemment des gens, notamment du Regroupement pour la surveillance nucléaire, qui nous appellent pour obtenir plus d'information. On se sert également des sites web.
Il y a plusieurs méthodes. Cependant, on aimerait avoir un débat public, un débat organisé en consultation avec le gouvernement, mais aussi avec tous les groupes et tous les individus qui aimeraient faire des présentations. Ce serait une chose que votre comité pourrait recommander. Ce pourrait être une conférence avec des représentants du gouvernement qui pourraient aller à travers le Canada, parce qu'il y a beaucoup de gens, non seulement en Ontario, mais partout au Canada, qui s'intéressent à cette question.
[Traduction]
Le président suppléant (M. Bob Speller): Merci, madame Ostling. Monsieur Bachand.
M. Gordon Edwards: Puis-je ajouter quelques mots, monsieur le président?
Le président suppléant (M. Bob Speller): Très rapidement, monsieur Edwards, parce que le temps passe vite.
M. Gordon Edwards: Je veux simplement ajouter qu'il y a une partie française sur notre site Internet et qu'elle est largement consultée et utilisée. Nous utilisons aussi une autre méthode pour nous adresser à la population, celle des débats publics. Or, l'Énergie atomique du Canada boycotte depuis de nombreuses années tout débat public avec notre organisation. Elle refuse tout simplement d'y participer.
Nous travaillons aussi à l'heure actuelle avec David Suzuki dans le cadre de son émission The Nature of Things. Il est en train de préparer une émission sur la question du plutonium et il m'a dit qu'il n'a pu obtenir personne de l'Énergie atomique du Canada, Ltée, d'Ontario Hydro ou du Gouvernement du Canada pour participer à des entrevues là-dessus. Je pense que l'on a un sérieux problème si c'est vrai. L'industrie nucléaire et les organismes gouvernementaux responsables de cette industrie s'efforcent délibérément de museler le public et d'étouffer son éducation en ne participant pas aux débats.
Nous avons même organisé des manifestations dans des villes où l'Association nucléaire canadienne tenait ses réunions. Nous avons eu la possibilité d'organiser une tribune publique mais les représentants de l'industrie nucléaire ont refusé d'y participer. Ils auraient pu le faire très facilement pour exprimer leur point de vue. Je crois qu'il s'agit là d'un effort délibéré de museler le public.
Le président suppléant (M. Bob Speller): Monsieur Bachand, très rapidement, car nous allons manquer de temps. Je rappelle en passant à mes collègues que nous aurons une session d'information sur la situation en Iraq à 11h30, dans la pièce 536 de l'édifice Wellington.
[Français]
M. André Bachand (Richmond—Arthabaska, PC): Sur la question du MOX, je crois qu'on a eu une petite expérience au Québec qui peut se comparer à celle-là, et c'est celle des BPC. À une réunion ultérieure, j'avais parlé de ce que les gens ont pensé des BPC. Donc, imaginez-vous ce que c'est dans ce cas-ci. Pour moi, la position est très claire: on est contre cette expérience-là, contre toute la question du MOX. Je crois qu'il faut se servir de cela pour intéresser les gens à la question du nucléaire.
Cela étant dit, ma position sur le MOX est très claire, mais j'aimerais peut-être entendre M. Griffiths sur la question du nucléaire en général. Il vous reste à peu près une minute et demie pour me résumer votre position, mais le comité doit faire un rapport sur la question nucléaire au sens large.
• 1130
Le MOX est une chose, mais j'aimerais avoir
votre position sur le
nucléaire du point
de vue militaire, médical et énergétique.
Je pense que c'est assez
facile. Où vous
situez-vous à cet égard, monsieur Griffiths?
[Traduction]
Le président suppléant (M. Bob Speller): J'ajoute en passant que, si vous voulez nous envoyer quoi que ce soit sur ces questions plus tard, n'hésitez pas à le faire. Nous venons d'entreprendre une étude à long terme et nous avons aussi l'intention de nous pencher sur ces autres aspects du problème.
Monsieur Griffiths.
M. Franklyn Griffiths: Honnêtement, je ne pense pas pouvoir dire grand-chose sur toute cette question dans les 30 secondes qui nous restent.
À mon avis, toute la question du nucléaire, civil ou militaire, doit être revue de fond en comble. Tout est trop massif, brutal, excessif. Même sur le plan militaire, il y a certainement de bien meilleures manières de garantir notre sécurité. Il y a des formes de violence beaucoup plus fines, si je puis m'exprimer ainsi, que l'on pourrait utiliser en cas de nécessité. Et je pense que la même chose vaut pour le secteur de l'énergie. Le nucléaire me semble tout à fait primitif. L'humanité devrait être capable d'évoluer assez vite vers des formes plus adaptées, plus délicates et, je le répète, plus subtiles de destruction, si c'est vraiment ce qu'elle veut, et aussi des méthodes plus subtiles de subvenir à ses besoins—des méthodes moins destructrices.
M. André Bachand: Et du point de vue médical?
M. Franklyn Griffiths: L'aspect médical de cette question risque d'être énorme. À mon avis, même les personnes qui ne vivent pas sous le vent des réacteurs de la centrale de Bruce B subiront des effets à terme si le projet MOX va de l'avant. Même la vie végétale en subira le contrecoup.
Par contre, si vous me demandez si le projet MOX est une bombe à retardement, sur le plan médical, qui explosera dans cinq ans, je devrais probablement répondre que non. Ce n'est pas si grave.
[Français]
M. André Bachand: Monsieur Griffiths, je parlais de l'aspect du traitement, de l'aspect positif en radiation, de la technologie au niveau de l'être humain. C'est un argument qu'on nous apporte souvent.
Il faut dire qu'il y a quand même des effets positifs à cela. Remarquez que le fait de prendre des produits naturels pourrait peut-être aider autant.
[Traduction]
M. Franklyn Griffiths: En effet. On peut irradier les aliments. Il y a toutes sortes de choses que l'on peut faire, mais probablement pas nécessairement avec du plutonium.
Le président suppléant (M. Bob Speller): Monsieur Edwards.
M. Gordon Edwards: Pour votre information, nous avons des documents en français et en anglais sur le projet de construction d'un réacteur nucléaire à Sherbrooke, au Québec, pour produire, entre autres choses, des radio-isotopes médicaux. Nous avons beaucoup participé à cette lutte et vous trouverez sur notre site Internet un document concernant la médecine nucléaire.
Le fait est que la médecine nucléaire existait bien avant les réacteurs nucléaires. L'utilisation des radio-isotopes en médecine—je veux parler de l'utilisation des rayons-X et de la radiothérapie, par exemple—ne dépend aucunement, d'un point de vue fondamental, de l'uranium ou du plutonium. On pourrait donc fort bien éliminer progressivement l'énergie nucléaire, et même les armes nucléaires, sans rien perdre des possibilités d'utilisation de radio-isotopes en médecine nucléaire.
Le président suppléant (M. Bob Speller): Pourriez-vous adresser un exemplaire de ces documents au greffier? Nous pourrons les faire distribuer aux membres du comité.
M. Gordon Edwards: Certainement.
Le président suppléant (M. Bob Speller): Madame Ostling.
Mme Kristen Ostling: Je voudrais moi aussi déposer quelques autres documents. Nous vous les enverrons par la poste et j'ajoute que nous restons à votre disposition pour d'autres réunions comme celle-ci. Hélas, le temps passe beaucoup trop vite et nous aurions encore beaucoup d'autres questions à soulever. J'espère que nous aurons la possibilité de poursuivre ce débat avec vous.
Le président suppléant (M. Bob Speller): Comme je l'ai dit plus tôt, nous allons continuer nos travaux, notamment sur le projet MOX, étant donné la nature de notre mandat.
Madame Kock.
Mme Irene Kock: Je tiens à vous remercier de nous avoir invités. Nous vous sommes reconnaissants de vous intéresser à cette question.
Le président suppléant (M. Bob Speller): Merci beaucoup.
M. Franklyn Griffiths: Je tiens moi aussi à vous remercier sincèrement.
Le président suppléant (M. Bob Speller): La séance est levée.