FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE
COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 24 février 1998
[Traduction]
Le vice-président (M. Bob Mills (Red Deer, Réf.)): La séance est ouverte. Nous attendons l'arrivée de notre président, nous allons donc commencer sans lui et lui faire la surprise.
Nous poursuivons nos audiences sur la politique de non-prolifération nucléaire, du contrôle des armes et de désarmement. Nous allons suivre l'ordre du jour que la plupart d'entre vous ont. Je demanderai donc à monsieur Simon Rosenblum de commencer s'il vous plaît.
M. Simon Rosenblum (directeur, Mouvement canadien pour une fédération mondiale): Merci beaucoup.
Je tiens tout d'abord, au nom du Mouvement canadien pour une fédération mondiale, à remercier le comité de m'avoir invité à participer à un débat portant sur la question de la politique en matière d'armements nucléaires. Nous apprécions également beaucoup l'action du ministre des Affaires étrangères, M. Axworthy, notamment la façon dont il a défini les sujets qu'il souhaite voir explorer par le comité.
Pour ma part, cela fait bien des années que j'ai comparu devant le comité parlementaire des affaires étrangères—qui d'ailleurs s'appelait alors le comité des affaires extérieures—et aujourd'hui, je dois, à regret, exprimer une réserve. Je ne passe plus autant de temps, loin s'en faut, que dans les années 80 à faire des recherches sur l'arme nucléaire et à en publier les résultats, étant donné qu'actuellement, ce qui m'occupe, c'est le dossier israélo-palestinien. Par conséquent, je ne peux pas prétendre donner un avis d'expert sur les aspects techniques de la question, mais j'espère que mon analyse politique plus générale vous sera de quelque utilité dans vos délibérations.
Permettez-moi de commencer en citant Bruce Blair, éminent spécialiste américain des armes nucléaires de la Brookings Institution:
-
Rien n'a vraiment changé entre les États-Unis et la Russie en ce
qui concerne l'arme nucléaire—ni les plans de guerre, ni les
exercices d'alerte quotidiens, ni le contrôle des armements
stratégiques, ni peut-être même les convictions profondes.
Malheureusement, même dans le climat plus détendu qui s'est instauré après la fin de la guerre froide, au lieu d'être progressivement mises en sommeil, les armes nucléaires restent encore intimement mêlées aux stratégies militaires conventionnelles. Dans une large mesure, elles restent même munies d'une détente ultra sensible.
De façon très générale, nous souhaiterions que le Canada intervienne auprès des puissances nucléaires et leur demande de réduire rapidement et radicalement le nombre d'armes nucléaires faisant partie de leur arsenal et d'adopter des mesures qui rendraient celles qui restent inopérantes, tout en s'attachant à mettre en place un système praticable et exécutable permettant d'en vérifier la disparition. En ce qui a trait à ce dernier point, le système de vérification requis pour empêcher la rupture soudaine des accords et le recours aux armes nucléaires—ce qui, devrais-je ajouter, aurait des retombées extrêmement dangereuses—requiert une intrusion dans les affaires des États concernés et un abandon de leur souveraineté nationale qu'il est encore impossible d'envisager étant donné le climat actuel qui entoure les relations internationales. Permettez-moi de dire qu'à cet égard, il pourrait s'avérer utile de mettre un peu plus l'accent sur la création d'une fédération mondiale.
La Commission de Canberra reconnaît que:
-
...même si l'on prend en compte les progrès qui pourront être
faits, il semble peu probable que la seule vérification technique
puisse donner les garanties nécessaires à l'élimination des armes
nucléaires.
Ainsi donc, comme on le note dans «The Future of U.S. Nuclear Weapons Policy», un rapport publié en 1997 par le Comité de la sécurité internationale et du contrôle des armements de l'Académie nationale des sciences des États-Unis. Le passage se lit comme suit:
-
Pour parachever le désarmement nucléaire, il faudra qu'à l'échelle
internationale, on continue à donner priorité à l'action
collective, à la transparence et à la primauté du droit; il faudra
un système de vérification très poussé, ce qui, en soi, requiert
une collaboration et une transparence sans précédent; et il faudra
enfin des garanties pour prévenir toute tricherie éventuelle ou la
rupture des accords et le recours rapide à l'arme nucléaire.
• 0915
Tout cela représente un défi de taille, mais quelles que
soient les difficultés auxquelles nous devons faire face pour créer
les conditions qui nous permettront enfin d'éliminer l'armement
nucléaire, nous devons faire diligence et prendre rapidement les
mesures concrètes pour réaliser cet objectif.
D'autres vous ont certainement signalé qu'il était urgent de mettre fin à l'état d'alerte des forces nucléaires et de déconsigner les systèmes d'armement nucléaires—c'est-à-dire de séparer les ogives des vecteurs. Ces initiatives et d'autres mesures touchant la nature de ces armements doivent accompagner la réduction rapide du nombre des armes nucléaires.
Je vais maintenant vous parler plus précisément du principe du non-emploi en premier de l'arme nucléaire, étant donné que c'est la pierre angulaire du mémoire que nous vous présentons ce matin.
Le scientifique Joseph Rotblat a été un membre important du projet Manhattan et, plus tard, s'est vu décerner le prix Nobel de la paix pour son action à titre de cofondateur des Conférences Pugwash sur la science et les problèmes internationaux. Il prétend maintenant que:
-
...à l'heure actuelle—et cela pourrait être fait pratiquement
du jour au lendemain—ce qui est le plus important, c'est que les
puissances nucléaires déclarent que la possession d'une arme
nucléaire a pour seul objet la dissuasion.
C'est l'évidence même. Toutefois, aussi bien les pays membres de l'OTAN que la Russie se réservent le droit d'utiliser en premier l'arme nucléaire. Pendant fort longtemps, l'OTAN a adopté cette politique dans le cadre de sa stratégie de riposte graduée, même si la conclusion quasiment unanime de tous ceux qui ont étudié la question est qu'une guerre nucléaire ne peut être ni limitée ni contrôlée, et qu'une escalade à l'échelle mondiale est probable. L'argument avancé par l'OTAN, pour ce qu'il vaut, était que la menace du recours à l'arme nucléaire était nécessaire pour contrer la supériorité des alliés du pacte de Varsovie au plan des armes conventionnelles. Bien entendu, en Europe, la situation en ce qui concerne les armes classiques a complètement changé. Néanmoins, la politique de l'OTAN reste essentiellement la même.
Le 17 décembre 1996, le comité des plans de défense, un groupe des plans nucléaires de l'OTAN a publié un communiqué dans lequel les ministres de la Défense de l'alliance déclaraient que celle-ci n'avait pas besoin «de changer quelque aspect que ce soit de la position ou de la politique nucléaire de l'OTAN—et nous ne voyons rien qui, à l'avenir, pourrait nous inciter à le faire». Espérons que l'OTAN adoptera une attitude plus éclairée pour effectuer l'examen de sa politique nucléaire qui est actuellement en cours. Parallèlement, tout porte à croire que la Russie ne rejetterait pas l'idée d'un accord avec les pays membres de l'OTAN sur le non-emploi en premier des armes nucléaires. Il est toujours dangereux d'utiliser la logique stratégique d'hier pour résoudre les problèmes de demain. Cela l'est d'autant plus lorsque la logique stratégique à laquelle on a eu recours dans le passé était mauvaise. Il n'est pas nécessaire pour dissuader l'ennemi d'attaquer en utilisant des armes conventionnelles, chimiques ou biologiques, de brandir à l'avance la menace de l'armement nucléaire ni la possibilité d'une riposte avec ces armes. «Dans les circonstances présentes», ont écrit McGeorge Bundy, William Crowe et Sidney Drell, des spécialistes chevronnés du contrôle des armements, «tous les intérêts vitaux des États-Unis, à l'exception de la dissuasion d'une attaque nucléaire, peuvent être protégés si l'on entretient un seuil de préparation raisonnable avec un armement conventionnel».
On doit évidemment repousser ou prévenir de façon vigoureuse toute attaque à l'aide d'armes chimiques ou biologiques. Les leaders occidentaux seront crédibles s'ils affirment que leur contre-attaque à l'aide d'armes classiques sera dévastatrice et qu'ils exigeront la capitulation sans condition de l'État contrevenant. Paul Nitze, un des principaux conseillers en armement nucléaire du président Reagan est de cet avis, et je cite:
-
Je crois que l'on ne peut pas se fier aux armes nucléaires pour
dissuader l'ennemi d'attaquer en ayant recours à des armes
chimiques ou biologiques ou encore classiques. Dans les deux cas
...le recours éventuel à une arme nucléaire pour riposter à une
telle attaque est trop incroyable pour que cela constitue une force
de dissuasion fiable.
Tout cela amène une recommandation évidente: que les pays membres de l'OTAN et la Russie abandonnent leurs doctrines militaires fondées sur le principe de l'emploi en premier de l'arme nucléaire. Si l'on parvenait à un tel accord fondé sur le principe du non-emploi en premier, cela aurait manifestement des conséquences techniques et légales. Le Canada pourrait vouloir prolonger cette initiative et mener une action à l'échelle mondiale afin d'enchâsser dans un traité international le principe du non-emploi en premier et d'instaurer des sanctions sévères en cas de recours à ces armements, sanctions qui pourraient aller jusqu'à évincer du pouvoir tout chef d'État qui agirait de la sorte. De fait, si l'on veut parvenir au désarmement nucléaire complet, il faut qu'à travers le monde, les chefs d'États et de gouvernements s'engagent à renoncer à l'emploi d'arme nucléaire en premier et à riposter de façon draconienne si de tels armements sont utilisés.
Permettez-moi de conclure en lisant aux fins du compte rendu un appel «en faveur d'un régime de non-emploi en premier de l'arme nucléaire» lancé par d'éminents experts canadiens en matière de défense et d'affaires internationales. La rédaction de ce document a été coordonnée par Peggy Mason, une ancienne ambassadrice au désarmement du Canada, et moi-même, dans l'optique des travaux entrepris par le comité.
Je vous donne lecture de cette déclaration en précisant qu'elle est suivie du nom de ceux qui l'ont signée.
La fin de la guerre froide a considérablement modifié la donne de la sécurité internationale. Pourtant, les États-Unis, la Russie et d'autres puissances nucléaires ont à peine commencé à démanteler leurs arsenaux nucléaires et progressent encore moins vite pour réduire leur dépendance vis-à-vis de l'arme nucléaire.
• 0920
Nous, soussignés, bien que divisés quant à l'efficacité d'un
appel en faveur d'une dénucléarisation accélérée, sommes
unanimement convaincus qu'au lendemain de la guerre froide les
puissances nucléaires doivent réduire radicalement leurs arsenaux
militaires ainsi que leur dépendance vis-à-vis de ce type d'arme.
Nous tenons à insister sur le fait, comme l'a déclaré la Commission
de Canberra sur l'élimination des armes nucléaires, que «la seule
et dernière justification de l'arme atomique est la menace de
rétorsion qu'elle fait peser sur l'auteur d'une éventuelle
agression nucléaire».
Il convient également de se rappeler l'avis consultatif rendu par la Cour internationale de justice en 1996, à savoir que la menace nucléaire ou l'utilisation de l'arme nucléaire est, «de façon générale, contraire aux règles de droit international et plus particulièrement aux principes et aux règles de droit humanitaire».
À l'époque où les forces du Pacte de Varsovie existaient encore, le temps revendiquait le droit d'utiliser en premier l'arme nucléaire en situation de conflit pour contrer toute supériorité conventionnelle perçue chez l'ennemi. De nombreux experts occidentaux estimaient que cette politique manquait de crédibilité parce qu'elle reposait sur la possibilité d'une guerre nucléaire limitée moralement acceptable et que, par conséquent, elle n'était qu'un fantastique coup de poker ou un dangereux pacte suicidaire.
De plus, cependant, la situation stratégique sur le plan des armes conventionnelles en Europe a changé du tout au tout. Le temps a modifié sa doctrine nucléaire et même si elle s'appuie beaucoup moins sur un usage en premier de l'arme nucléaire, cette option demeure l'un des principaux éléments de sa doctrine.
C'est ainsi qu'on peut lire au paragraphe 55 du Concept stratégique de l'alliance, concept formulé à l'occasion du Sommet de Rome des 7 et 8 novembre 1991:
-
...continuera de remplir un rôle essentiel, parce qu'elle
entretiendra un doute dans l'esprit de tout agresseur militaire
potentiel quant à la nature d'une éventuelle riposte alliée.
Plus récemment, la Russie a elle aussi actualisé sa doctrine militaire et réclame à présent, déclin de sa force militaire conventionnelle oblige, le droit d'utiliser en premier l'arme nucléaire, si elle le jugeait nécessaire.
On trouve de plus en plus de missions à l'arme nucléaire, en réponse aux préoccupations récentes que suscite la guerre chimique et biologique. Loin de nous l'idée de vouloir minimiser les dangers qu'elle représente, mais nous nous devons de rappeler que la plupart des pays, dont les cinq puissances nucléaires reconnues, ont, en signant le traité de non-prolifération nucléaire, renoncé aux droits d'utiliser ou de menacer d'utiliser l'arme nucléaire contre des États signataires de ce traité international.
Selon nous, plutôt que d'essayer de justifier l'emploi en premier de l'arme atomique pour parer à ce genre d'éventualité, les puissances nucléaires, qui sont également les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies, devraient assumer un rôle de premier plan sur la scène internationale dans la quête de réponses conventionnelles appropriées à ces menaces d'un nouveau type pour la paix et la sécurité internationales. Elles pourraient, notamment, élaborer des mécanismes de sécurité collective plus efficaces, que toute la communauté internationale pourrait approuver et soutenir.
Tant qu'on accordera la préférence, non pas à des mécanismes susceptibles de faire l'objet d'un vaste soutien, mais aux droits présumés de quelques-uns de recourir en premier à l'usage de l'arme nucléaire en riposte à une agression, il y a peu de chance qu'on parvienne un jour à convaincre les États, qui ne sont pas encore des puissances nucléaires, à renoncer à cette option et à consolider le soutien accordé à un véritable régime international de non-prolifération nucléaire.
Les actuelles audiences du comité parlementaire des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes sur la non-prolifération nucléaire, le contrôle des armements et la politique de désarmement, ainsi que l'annonce faite par l'OTAN, lors du Sommet de Madrid en juillet 1997, qui entend réviser à nouveau sa politique nucléaire, sont deux occasions sans précédent, pour les Canadiens et les Canadiennes, d'exhorter l'OTAN et la Russie à négocier un régime de non-emploi en premier de l'arme nucléaire et à restructurer leurs forces militaires en conséquence. Nous espérons que le gouvernement du Canada s'associera à l'appel que nous lançons en ce sens.
Lors du premier sommet qui a suivi la fin de la guerre froide, à Londres les 5 et 6 juillet 1990, les chefs d'États et de gouvernements ont déclaré que l'arme nucléaire doit être «l'arme du dernier recours».
L'examen de la doctrine nucléaire de l'OTAN est l'occasion historique de réaliser cet engagement politique de haut niveau. Le moment est venu de mettre un terme à la menace que l'arme nucléaire fait planer sur le monde entier.
Le présent document a été signé par les personnes suivantes: Maurice Archdeadon, qui est président du Conseil canadien pour la paix et la sécurité internationales; l'honorable John Bosley, qui est un ex-président du Comité parlementaire des affaires étrangères et du commerce international; l'honorable Ed Broadbent, ex-président du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique; l'honorable Barney Danson, un ex-ministre de la Défense nationale; David Dewitt, Ph.D., un politicologue à l'Université York; Robert Falls, amiral à la retraite; l'honorable Flora MacDonald, une ex-ministre des Affaires étrangères; Peggy Mason, dont j'ai mentionné le nom; Geoffrey Pearson, un ex-ambassadeur du Canada en Union soviétique; le professeur John Polanyi, un récipiendaire du prix Nobel; Ernie Regehr, un ex-sous-ministre adjoint de la sécurité internationale au ministère des Affaires étrangères; et Fergus Watt, directeur général, Mouvement canadien pour une fédération mondiale.
• 0925
Encore une fois, je vous remercie beaucoup de votre attention.
Le vice-président (M. Bob Mills): Bien. Merci beaucoup. Nous allons tout simplement poursuivre et entendre tous les témoins, puis les députés poseront des questions.
Je demanderais au lieutenant-colonel Coroy de bien vouloir prendre la parole.
Lieutenant-colonel Victor A. Coroy (directeur exécutif, Congrès des associations de la Défense): Merci, monsieur le président et députés. Bonjour.
Mon collègue, le colonel Sean Henry, notre analyste principal en matière de défense au Congrès des associations de la Défense, et moi-même sommes heureux de comparaître devant vous et de vous présenter notre mémoire au nom du président du Congrès des associations de la Défense, le brigadier général Jerry Silva. J'aimerais vous rappeler que le CAD existe depuis 66 ans et représente plus de 500 000 Canadiens et Canadiennes qui maintiennent un intérêt actif vis-à-vis des questions liées à la politique de défense et les Forces armées canadiennes. Veuillez remarquer que mes observations ne sont qu'un résumé d'un mémoire qui vous a été présenté la semaine dernière.
Je veux également souligner le fait que le CAD considère la politique relative aux armes nucléaires comme étant un élément très important de la sécurité internationale. Bien que je n'aime pas citer des slogans lorsque je discute d'une question aussi importante, je dois vous rappeler qu'il est impossible de désinventer les armes nucléaires. Pour cette raison d'ailleurs, le CAD conseille au gouvernement de ne pas se hâter lorsqu'il aborde des questions tels la non-prolifération nucléaire, la réduction des armes et les projets d'élimination totale des ogives nucléaires. On commettrait une grave erreur si on ne faisait pas preuve de prudence et si on se précipitait aveuglément pour contourner les inefficiences prétendues de la diplomatie à l'ancienne. Les conséquences pourraient être d'enclencher les désastres nucléaires mêmes qu'un grand nombre d'activistes craignent.
Si on veut être positif, il est important de considérer que les puissances nucléaires et la plupart des autres nations développées ont entrepris un grand éventail de projets d'élimination et de contrôle des armes nucléaires depuis la fin de la guerre froide. Ces projets sont réalisés de façon bilatérale entre les États-Unis et la Russie et dans divers cadres internationaux sur la foi qu'on continuera d'éliminer toutes les armes nucléaires à une date ultérieure.
Pendant ce temps, la dissuasion nucléaire demeure une garantie nécessaire de sécurité internationale. Il s'ensuit qu'il n'est pas possible de démontrer que les changements positifs dans l'environnement international sont stables ou permanents. La Russie dispose toujours d'une force nucléaire stratégique ainsi que d'importants stocks d'armes nucléaires tactiques. Bien que des négociations soient en cours pour réduire le nombre de toutes ces armes, il n'est que prudent de se protéger contre un changement de politique en Russie, et on pourrait en dire autant pour la Chine.
En outre, il existe une préoccupation croissante relativement à la prolifération des armes de destruction massive entre les mains de terroristes et d'États rebelles. À cet égard, on reconnaît de façon générale qu'on a dissuadé Saddam Hussein de se servir de sa capacité dans ce domaine par la crainte d'une riposte nucléaire de la part des États-Unis ou d'Israël. Ainsi, quoique les armes nucléaires n'assurent pas en soi la paix, elles continuent d'inciter à une très grande précaution lorsqu'une puissance nucléaire adverse discute avec une autre et que des intérêts cruciaux sont en jeu.
Par contre, le rôle des armes nucléaires en ce qui concerne la politique de défense de l'OTAN a diminué considérablement au cours des dernières années. En particulier, les dépenses des États-Unis à l'égard des armes nucléaires stratégiques sont passées de 24 p. cent du budget de défense à moins de 3 p. cent aujourd'hui.
L'accent mis sur la réduction des armes nucléaires stratégiques tant pour les États-Unis que pour la Russie est reflété par la série de Traités sur la réduction des armes nucléaires, ou START. L'objectif final, après START III, est que chaque pays ne dispose plus que de 2 000 à 2 500 armes stratégiques. En outre, les États-Unis ont éliminé unilatéralement un nombre d'armes nucléaires de leurs arsenaux, y compris les missiles de théâtre à courte portée, les projectiles d'artillerie, les systèmes aériens ainsi que les bombes nucléaires sous-marines. Un grand nombre de ces armes qui restent ne sont plus en état d'alerte, et le rôle non stratégique de la marine américaine a été éliminé.
Ces initiatives de réduction des armes nucléaires se sont reflétées le plus au sein de l'Europe OTAN, où depuis 1985 tous les missiles de courte portée des États-Unis, l'artillerie nucléaire et les bombes nucléaires sous-marines ont été éliminés. Les missiles balistiques de portée intermédiaire sont également éliminés. L'OTAN a aussi accepté de réduire davantage ses stocks de bombes nucléaires d'environ 50 p. cent en ce qui concerne les avions à double capacité basés sur terre.
La Grande-Bretagne et la France ont adopté des mesures semblables pour réduire leurs stocks d'armes tactiques et aériennes. Parallèlement, un certain nombre de processus ont aussi permis d'éliminer des armes nucléaires stratégiques basées dans des pays non russes de l'ancienne Union soviétique.
• 0930
Il est par conséquent évident que des progrès encourageants
sont réalisés en vue de réduire les stocks d'armes nucléaires de
ces pays qui, par le passé, possédaient les plus importants
arsenaux. En même temps, tout le processus va de l'avant d'une
façon mesurée, rationnelle et stable.
L'éventail de forums de non-prolifération et d'accords internationaux sur la réduction des armes nucléaires est exhaustif et continu. Aucune de ces mesures n'est à toute épreuve, et l'Irak en est un bel exemple, mais elles représentent aussi un pas dans la bonne direction. Elles servent également d'avertissement contre toute tentative de trouver des solutions parfaites. Il suffit en fait de songer à la perspective d'éliminer toutes les armes nucléaires pour se rendre compte alors que le colonel Gaddafi a réussi à se procurer et à cacher une tête explosive de taille moyenne.
En juillet 1996, la Cour internationale de justice a rendu une décision sur la légitimité des armes nucléaires. Il s'agissait d'une opinion partagée dans laquelle tout le monde y trouvait son compte. Elle disait que de façon générale les armes nucléaires étaient contraires aux règles de droit international, mais qu'il n'y avait aucune conclusion définitive quant à savoir si la menace ou l'utilisation d'armes nucléaires était légitime dans un cas extrême d'autodéfense pour lequel la survie de l'État serait en jeu.
Le tribunal en est également venu à la conclusion qu'il y a un engagement de poursuivre et de terminer des négociations menant au désarmement nucléaire. C'est là précisément l'objectif de la plupart de toutes les nations aujourd'hui et le mandat des divers forums de désarmement que j'ai déjà mentionnés. De plus, la décision de la CIJ a aussi justifié la conservation d'armes nucléaires pour les cinq grandes puissances nucléaires.
En août 1996, la Commission de Canberra allait plus loin et proposait une série de mesures pratiques, réalistes et mutuellement renforçantes qui pouvaient être prises immédiatement. Une fois de plus, peut-on être certain que le processus de Canberra, la décision de la CIJ, et les délibérations telles celles du présent comité ne risquent pas en fait d'augmenter le niveau d'insécurité en rendant encore plus possible pour les nations d'utiliser des armes chimiques et bactériologiques et des armes nucléaires aux mains de terroristes et d'États rebelles ?
En accord avec la plupart de ses alliés de l'OTAN, le Canada cherche à progresser dans le domaine du désarmement nucléaire général, en ayant pour but d'éliminer complètement les armes nucléaires. À moyen terme, le Canada entérine la politique de l'OTAN selon laquelle les armes nucléaires continuent de jouer un rôle essentiel au sein de l'alliance et que les pays membres de l'OTAN n'ont aucunement besoin de modifier cette politique. Ce n'est pas de l'hypocrisie; c'est tout simplement faire preuve de sagesse et de pragmatisme, reflétant ainsi le mécanisme de protection dont j'ai parlé plus tôt.
Un certain nombre de gens ont insisté pour que le Canada se charge de faire la croisade en faveur de l'abolition des armes nucléaires, donnant l'exemple du récent traité sur les mines terrestres et des soi-disant mécanismes de rechange à la diplomatie traditionnelle.
Le CAD recommande fortement de ne pas prendre de telles mesures. L'influence du Canada au sein de l'OTAN et ailleurs est à un très bas niveau, après environ 30 années de réduction des forces armées. Ce qui est encore plus important, le traité relatif aux mines terrestres est un bien mauvais exemple à utiliser parce qu'il n'inclut pas les nations qui produisent le plus grand nombre de ces mines ou que les groupes terroristes ou ne relevant pas de l'État ne sont pas liés par ce traité. On devrait consacrer plus de temps et d'efforts à l'enlèvement des mines.
De façon générale, ces lacunes sont probablement acceptables lorsqu'il est question de mines terrestres, mais pourraient être catastrophiques dans le cas d'armes nucléaires, tel que je l'ai signalé dans le cas du colonel Gaddafi.
Le traité sur les mines terrestres entraîne déjà de sérieuses divisions et crée une instabilité aux fins de l'OTAN. Cette situation se produit parce qu'un empêchement à prendre des mesures a remplacé un examen réfléchi de tous les résultats possibles. Cela illustre bien la loi des conséquences non intentionnelles découlant d'ententes sur le contrôle des armes conclues à la hâte. Une fois de plus, le fait d'extrapoler cette instabilité dans des affaires nucléaires serait inacceptable.
Un aspect important du conflit armé moderne est qu'il se produit presque toujours entre un État et un organisme qui n'est pas un État ou entre deux organismes qui ne sont pas des États. Une conséquence importante est que des instruments tel le traité sur les mines terrestres ou le traité sur l'élimination des armes nucléaires peuvent en bout de ligne avoir peu de valeur étant donné que les organismes qui ne sont pas des États n'y sont pas assujettis.
• 0935
Le véritable problème est que les guerres et les conflits ont
maintenant peu de pertinence lorsqu'il est question de droit
international moderne. Ce n'est plus une question de rétablir
l'ordre par la dissuasion entre plusieurs États. Il s'agit plutôt
d'imposer des contraintes aux organismes qui ne sont pas des États
et qui sont engagés dans un conflit non conventionnel. À cet égard,
un des piliers de la politique extérieure canadienne, le caractère
sacré du droit international, est mis à rude épreuve.
Enfin, et c'est peut-être ce qui est le plus important pour les intérêts nationaux canadiens, la dissuasion nucléaire demeure la pierre angulaire de la stratégie de sécurité nationale des États-Unis. Le Canada, parmi tous les alliés des États-Unis, doit en particulier s'assurer de ne pas prendre de mesures unilatérales ou d'adopter des politiques qui affaibliraient ou compromettraient cette stratégie. Les raisons à la base de cette affirmation sont liées à la géographie et à un système de défense intégré de l'Amérique du Nord. Pour le Canada, les conséquences de renoncer au NORAD seraient soit de dépenser des sommes énormes supplémentaires à une défense indépendante de l'espace aérien ou de céder sa responsabilité à l'égard de la sécurité de son espace aérien aux États-Unis. De toute évidence, ce n'est pas une option sérieuse pour un État souverain.
Sur un côté plus pratique, mais crucial pour le Canada, on devrait s'inquiéter des liens tels le sciage de bois résineux, les produits laitiers subventionnés, les traités sur le saumon et d'autres irritants qui émergent de notre commerce extérieur qui se fait à 80 p. cent avec les États-Unis. Le commerce extérieur est ce qui assure la survie du Canada. Vaut-il vraiment la peine de mettre en péril tout cela pour atteindre un objectif.
En résumé, compte tenu de l'instabilité de la sécurité internationale, y compris la prolifération d'armes de destruction massive et l'émergence d'États rebelles, de non-États et d'entités terroristes, il est nécessaire de maintenir un système de dissuasion nucléaire à moyen terme. En même temps, on devrait poursuivre les négociations amorcées relativement au désarmement nucléaire. Par conséquent, le CAD recommande que le Canada continue de suivre sa politique actuelle d'essayer de réduire encore davantage le nombre d'armes nucléaires tout en évitant des mesures qui pourraient déstabiliser et affaiblir l'efficacité de l'OTAN et du NORAD, les véritables pierres angulaires de notre politique de sécurité.
Je vous remercie de votre attention.
Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Merci beaucoup, monsieur.
Je m'excuse auprès des témoins précédents d'être arrivé avec un tel retard. Il arrive parfois, en ce lieu, d'être retenu dans des réunions qui ne finissent pas à l'heure où elles étaient censées finir.
C'est maintenant au tour de Science et paix, et de M. Gardner.
M. L. Terrell Gardner (président, Science et paix): Merci, monsieur le président.
Je ne lis pas aussi vite que mes collègues. Je vais donc commencer par notre liste de recommandations. Puis je reviendrai en arrière et lirai certains de nos arguments. J'arrêterai lorsque mon temps sera écoulé.
Science et paix recommande, premièrement, que le Canada considère l'avis consultatif de la Cour internationale de justice comme un élément à part entière du droit international et qu'il fasse des déclarations publiques pour le faire savoir.
Deuxièmement, nous recommandons que le Canada commence à inviter les États qui ont des armes nucléaires a) à mettre les armes nucléaires stratégiques hors d'alerte et s'engager à adopter une politique de non-emploi en premier, et b) à faire en sorte que l'application de ces mesures soit vérifiable et, partant, crédible en retirant les têtes explosives des vecteurs pour les placer en entreposage sûr, en région éloignée.
Troisièmement, nous recommandons que le Canada prenne, officiellement et officieusement, les mesures voulues pour que soit adoptée une convention sur les armes nucléaires selon une échéance établie au préalable.
Quatrièmement, nous recommandons que le gouvernement canadien a) rejette l'idée selon laquelle la dissuasion nucléaire préserve la sécurité nationale ou internationale, et b) remplace le péril nucléaire courant, la dissuasion, par la sécurité commune.
Cinquièmement, nous recommandons que le gouvernement canadien a) travaille au sein de l'OTAN à rejeter la dépendance nucléaire et la stratégie de guerre nucléaire de l'OTAN, et b) effectue simultanément et de façon ouverte un examen de la contribution de l'OTAN depuis 1991 à la stabilité et à la sécurité de sa région et au-delà, ainsi que de l'éventualité d'une compatibilité d'une alliance militaire régionale permanente avec la sécurité commune mondiale. Cet examen, effectué sur une période de cinq ans, disons, aurait pour effet, avec le suivi des progrès de l'activité mentionnée au point a) ci-dessus, d'amener le Canada à décider s'il doit ou non demeurer membre de l'OTAN ou de donner un avis de dénonciation fondé sur l'article XIII du Traité de l'Atlantique Nord.
• 0940
Sixièmement, nous recommandons que le gouvernement du Canada
retire sa réserve pour la ratification du protocole additionnel à
la convention de Genève et qu'il s'y conforme intégralement.
Septièmement, nous recommandons que le Canada offre un soutien moral, une argumentation et d'autres formes d'aide au besoin aux États-nations ou aux groupes de nations qui souhaitent établir des zones sans armes nucléaires.
Huitièmement, nous recommandons que le Canada encourage, de toutes les façons possibles au Canada et à l'étranger, la croissance d'une culture de résolution de conflit, non violente.
Neuvièmement, nous recommandons que le Canada mette un terme à ses activités de vol à faible altitude au Labrador et au Québec.
Dixièmement, nous recommandons que le Canada fasse tout son possible, par les voies diplomatiques ou autres, pour atténuer les tensions entre la Russie et les puissances de l'OTAN.
Je vais maintenant me reporter à l'argumentation présentée à la section B, au point 1 de cette section.
Comme le gouvernement canadien l'a affirmé dans sa publication de 1995 de «Le Canada dans le monde»:
-
Le système international doit être régi par le droit, et non par la
force. La règle de droit est l'essence du comportement civilisé,
dans les nations et entre elles.
La réaction du Canada à l'invitation lancée à la Cour internationale de justice par l'Assemblée générale de répondre à la question suivante: est-il permis en droit international de recourir à la menace ou à l'emploi d'armes nucléaires en toutes circonstances? Le Canada ne semble pas avoir réagi publiquement à l'avis consultatif de la Cour, si ce n'est peut-être pour saluer la décision unanime, dispositif 2.F, selon laquelle:
-
Il existe une obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à
terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire dans
tous ses aspects, sous un contrôle international strict et
efficace.
On semble mettre de côté le reste de l'avis, comme s'il n'exigeait pas la prise de mesures, au motif qu'il ne s'agit, après tout, que d'un avis consultatif. Cette réaction rappelle celle de nos partenaires de l'OTAN, les États-Unis et le Royaume-Uni, à la même décision, citée ci-dessus, mais qui n'a pas été lue.
Pourtant, ces nations ont tout mis en oeuvre pour soutenir devant la Cour internationale de justice qu'elle devait refuser de répondre à la demande d'un avis consultatif.
Si un avis consultatif n'exige pas la prise de mesures, pourquoi s'est-on agité de la sorte? Peut-être nos amis savent-ils bien ce que c'est le juge Shahabuddeen de la Cour internationale de justice:
-
Même si, aux termes de l'article 59 du Statut, un avis consultatif
n'a pas de force obligatoire, il exerce, à titre d'énoncé de droit,
une autorité tout aussi grande qu'un jugement rendu dans un litige.
Si nos amis craignaient que l'avis de la CIJ ne confirme—comme il l'a fait—que les principes de Nuremberg s'appliquent aux armes nucléaires, ils auraient tout fait pour l'écarter.
Ils en sont aujourd'hui, et nous également, au stade du déni. Ce faisant, ils sont dans l'illégalité, à moins qu'en toute discrétion ils, comme nous, ne récrivent les manuels d'utilisation des armements pour informer les officiers, quels que soient leurs grades, du fait que, en lançant des armes nucléaires, conformément aux ordres reçus, ils s'exposent à des poursuites. Comme l'a affirmé le commandant à la retraite de la Marine royale, M. Robert Green:
-
Pour se distinguer des tueurs à gages ou des terroristes, les
militaires doivent être perçus comme agissant en conformité avec la
loi.
Le commandant Green souligne aussi, entre autres, que la doctrine du parapluie nucléaire de l'OTAN pourrait probablement faire l'objet de contestations judiciaires. Il semble que, à la lumière des arguments qui soutiennent ce point de vue, on devrait considérer comme illégale toute utilisation d'armes nucléaires par, par exemple, les États-Unis en réaction à une attaque contre, disons, le Canada. On peut imaginer que le Canada serait considéré comme complice, puisque la réaction aurait été inspirée par un traité dont le Canada est partie.
• 0945
Point C, intégrité politique. Le Canada ne peut ménager la
chèvre et le chou. Le Canada, pour qu'on prenne au sérieux sa
déclaration importante et constructive, selon laquelle il respecte
au plus haut point la règle de droit en tant qu'élément clé de la
sécurité commune, doit rompre le silence à propos de l'avis
consultatif de la Cour internationale de justice.
Si on choisit de mettre de côté les avis juridiques du juge Shahabuddeen et de, par exemple, John Burroughs, de la Western States Legal Foundation, et avec elles les réflexions du commandant Green, auxquelles on a fait allusion ci-dessus—qui toutes confirment que l'avis consultatif est habilité à conseiller aux États de prendre une diversité de mesures qui vont au-delà du dispositif 2.F pour se conformer au droit international—les Canadiens, et les citoyens en général, puisque la sécurité de tous est concernée, devraient pouvoir consulter les arguments juridiques sur lesquels ce rejet se fonde. Sinon, le Canada éprouvera un grave problème de crédibilité, au pays et dans le monde.
Si le Canada opte pour l'autre solution, les conséquences seront nombreuses. Science et paix est favorable à cette position. Même si nous ne sommes pas nous-mêmes des spécialistes du droit, nous considérons comme solides les arguments mentionnés. Aussi, nous en sommes venus, de diverses façons, à avoir confiance dans la compétence et l'intégrité de centaines de personnes qui avancent ces arguments. Nous éprouvons un préjugé favorable pour un Canada et un monde améliorés.
Par souci de commodité, qu'on nous permette d'accoler deux étiquettes neutres et brèves aux décisions mentionnées ci-dessus. Nous qualifierons la première de «mauvaise» et, la deuxième, de «bonne». Dans une bonne partie de ce qui suit, on fera valoir davantage d'arguments en faveur d'une «bonne décision» ou on tiendra pour acquis qu'une «bonne» décision a été prise.
Ici, l'essentiel demeure que l'intégrité exige la prise d'une décision; et la tradition démocratique exige qu'on fasse preuve de transparence dans sa documentation.
Si la décision est «bonne», l'intégrité politique exige de plus ce qui suit: le Canada continuera de privilégier la règle de droit et de le proclamer, dans un cas comme dans l'autre. Mais si la «bonne» décision est prise, le droit nous fait des obligations nouvellement reconnues. Le Canada et ses partenaires doivent, dans tous les traités pertinents, bilatéraux ou multilatéraux, indiquer leur intention de se conformer aux droits tel que le définit l'avis consultatif. Par la suite, ils doivent entreprendre des négociations ardues.
Si la bonne décision est prise, le Canada pourrait bénéficier d'une nouvelle marge de manoeuvre à l'Assemblée générale des Nations Unies, à la Conférence sur le désarmement et, par exemple, dans le cadre des négociations devant conduire à une cour pénale internationale.
Rappelez-vous, monsieur le président, la proposition abominable, faite dans le cadre des négociations qui se sont déroulées l'automne dernier, selon laquelle l'utilisation d'armes biologiques ou chimiques devrait être considérée comme criminelle, au contraire de l'utilisation des armes nucléaires. Cela, dans la conception d'un instrument putatif de justice! La contribution du Canada à ces négociations de même qu'aux arguments, aux pressions et aux votes, pourrait être simplifiée et nous remplir tous de fierté.
Science et paix ne pense pas que le Canada renoncerait à l'objectif stratégique que l'élimination des armes nucléaires, même si la «mauvaise» décision était prise. Il raterait cependant une occasion en or de faire avancer cette cause.
La transgression, par l'OTAN, de droits de la personne exige qu'on porte une attention plus grande à l'intégrité et à la crédibilité politiques du Canada—faute de quoi il ne serait même plus présentable: il s'agit du programme d'instruction en vol à basse altitude exécuté dans le corridor Labrador-Québec au profit de nos partenaires de l'OTAN, malgré les efforts continus déployés par les Nations Unies pour jouir paisiblement, à nouveau, de leur territoire. Même un jugement favorable d'une cour ontarienne en faveur des Innu ne semble pas avoir fait bouger des intrus intransigeants. Est-ce cela la protection des droits de la personne qu'on nous promet? Est-ce cela qu'on entend par le respect de la règle de droit?
Je m'arrête ici, monsieur le président. Merci.
Le président: Tout à fait parfait. Puis-je vous féliciter pour votre «vision nocturne»?
Des voix: Oh, oh !
M. Terrell Gardner: Merci.
Le président: Je ne sais pas si vous avez des verres magiques, mais je ne suis pas certain que j'aurais pu faire cela. Bien joué!
Puisque vous avez fait référence à la décision du tribunal de l'Ontario, pourriez-vous—pas maintenant, mais plus tard—nous donner une référence relativement à ce jugement? Je n'étais pas au courant de son existence. J'aimerais bien en prendre connaissance.
M. Terrell Gardner: Je peux vous faire parvenir une copie du jugement. Je n'ai pas été en mesure de la retrouver dans tous mes dossiers.
Le président: Il s'agit de la décision du tribunal de l'Ontario au sujet des vols d'entraînement de l'OTAN au Labrador. Je ne savais pas qu'une décision avait été rendue.
Une voix: Ça fait probablement déjà deux ans.
M. Ted McWhinney (Vancouver Quadra, Lib.): Elle a probablement trait à la décision bien avant de Keiller MacKay.
Le président: Je pense que Keiller MacKay était déjà décédé au moment où ces vols ont commencé.
M. Ted McWhinney: Ses opinions continuent de se faire entendre dans le corridor de l'histoire. Il était un personnage très intéressant.
Le président: Merci. Si vous pouviez nous obtenir cela, nous aimerions en prendre connaissance.
M. Ted McWhinney: Oui, je serais heureux d'en prendre connaissance.
Le président: Nous apprécierions. Merci, monsieur.
Madame Newcombe, vous avez la parole.
Mme Hanna Newcombe (directrice, Peace Research Institute—Dundas): Je suis très heureuse de comparaître devant vous et de représenter le Peace Research Institute—Dundas, qui est près de Hamilton, en Ontario. Cela fait 35 ans que j'oeuvre dans le domaine de la recherche sur la paix. Je ne me spécialise pas dans les armes nucléaires, mais je lis beaucoup à ce sujet.
Le présent mémoire porte sur six sujets.
Concernant l'avis consultatif de la Cour mondiale et l'OTAN, comment le Canada devrait-il résoudre la contradiction? Je prétendrai qu'il y a contradiction.
Le deuxième sujet porte sur les risques nucléaires à la fin des années 90 et la nécessaire conclusion d'une entente rapide sur l'abolition des armes nucléaires.
Le troisième sujet est l'expansion de l'OTAN vers l'Est et les solutions de rechange possibles ou les suppléments.
Le quatrième sujet est la crise du Golfe. Il y a eu des changements considérables au cours des deux dernières journées et je pourrais tenir des propos qui diffèrent de ce qui est écrit dans le mémoire.
Le cinquième point est la spécialité du Canada en ce qui concerne le maintien de la paix et l'édification de la paix.
Le dernier point est que la mondialisation devrait être non seulement économique, mais aussi politique et spirituelle.
Dans la première partie au sujet de l'avis consultatif de la Cour mondiale et l'OTAN, le Canada est confronté au dilemme de respecter l'avis consultatif de la Cour ou de se conformer à ses obligations vis-à-vis de l'OTAN. Dans son avis consultatif, la CIJ déclare que l'usage ou la menace d'arme nucléaire est illégal dans presque toutes les circonstances; elle réserve son jugement même dans les rares cas d'exception où la survie d'un État court des risques extrêmes, dans lequel cas elle ne pouvait décider si c'était légal ou illégal. De plus, le vote a été très serré.
En revanche, l'OTAN s'est dotée d'une politique d'emploi en premier des armes nucléaires en cas d'attaques chimiques ou biologiques ou même d'attaques conventionnelles massives, qui est un cas peu probable. La politique de l'OTAN peut certes être assimilée à une menace d'emploi d'armes nucléaires.
Pour résoudre ce dilemme, le Canada doit exercer de vives pressions sur l'OTAN pour obtenir la modification de la politique d'emploi en premier et signifier son intention de quitter les rangs de l'OTAN à une date précise si l'organisation ne modifie pas sa politique. Sur le plan pratique, la politique d'emploi en premier de l'OTAN se justifie fort mal.
Si la Russie a révoqué la déclaration antérieure de non-emploi en premier qu'avait prise l'Union soviétique il y a quelques années, nous pourrions nous attendre à ce que la politique antérieure de la Russie de non-emploi en premier serait rétablie si l'OTAN se dotait d'une politique de non-emploi en premier. Alors nous pourrions conclure un accord de non-emploi en premier qui pourrait régler cette question.
• 0955
Maintenant, en ce qui concerne le deuxième point sur les
risques nucléaires. Même si la guerre froide est réputée terminée,
les risques que représente le nucléaire, en réalité, s'aggravent.
On compte toujours environ 30 000 missiles stratégiques en
existence.
Si vous lisez le mémoire qui vous a été remis, il y a une erreur. C'est 30 000, et non 10 000.
Ils existent toujours aux États-Unis et en Russie; c'est environ la moitié de ceux que les deux pays possédaient en 1986, année où le nombre le plus grand a été enregistré. Il y a eu certaines réductions, de près de la moitié, mais il y a tout de même une capacité de surdestruction.
Les missiles ne sont plus activés, mais il suffirait de quelques minutes pour les réactiver automatiquement. Quoi qu'il en soit, les missiles demeurent tournés vers leur cible antérieure.
Le danger est que les missiles sont toujours programmés en fonction lancement sur alerte; c'est-à-dire pourraient être lancés avant même l'arrivée des missiles ennemis. De tels missiles sont extrêmement vulnérables à un lancement accidentel, ce qui, aujourd'hui, représente le principal danger. Un accident a bien failli se produire récemment lorsque des militaires russes ont pris une fusée sonde météorologique norvégienne pour un missile hostile. La Norvège avait annoncé le lancement au préalable, mais, pour une raison ou pour une autre, le message ne s'est pas rendu jusqu'aux militaires russes. Voilà qui illustre bien l'importance du facteur que constitue l'erreur humaine.
De même, la doctrine militaire russe est en voie de transformation. Comme l'armée est en proie à la désorganisation en raison de la situation économique—les soldats ne touchent pas régulièrement leur solde—la nouvelle doctrine militaire russe, qui a été rendue récemment, fait une place plus grande aux armes nucléaires. En outre, la Douma russe est dominée par des députés communistes et nationalistes partisans de la ligne dure et le nouveau président pourrait bien être lui aussi un partisan de la ligne dure. Nous savons que la santé de M. Yeltsin est fragile. Voilà qui rend encore plus vraisemblable le lancement, même délibéré, d'armes nucléaires.
Que devrait-on faire pour éviter la catastrophe? La coalition internationale Abolition 2000 organise l'appel lancé en faveur d'une abolition totale des armes nucléaires. Cela ne signifie pas que toutes les armes nucléaires seront abolies d'ici l'an 2000, qui est très proche, mais qu'on aurait conclu un traité, une convention sur les armes nucléaires, d'ici là. Cette convention serait apparentée à la convention sur les armes chimiques et à celle sur les armes biologiques qui existe déjà. La convention sur les armes chimiques est assortie d'un très grand nombre de mesures de vérifications. Celle sur les armes biologiques, malheureusement, ne l'est pas, mais on essaie de le faire. Par conséquent, une attaque réelle aux armes biologiques et chimiques, si l'interdiction relative à ces armes est correctement mise en oeuvre, devrait être moindre qu'un grand nombre de gens le pensent.
La Commission de Canberra, qui regroupe des personnalités sous la présidence du ministre des Affaires étrangères de l'Australie, M. Richard Butler, a proposé la prise de certaines mesures immédiates qui vont dans ce sens. Je n'en mentionnerai que deux, soit mettre fin à la politique de lancement sur alerte, c'est-à-dire que les missiles ne soient plus en état d'alerte, peut-être en débranchant les ogives des missiles; la deuxième, une déclaration par tous les États possédant des armes nucléaires, non seulement les principaux, de non-emploi en premier et l'amorce de négociations sérieuses immédiates, selon un échéancier en vue de l'abolition totale des armes nucléaires. Un groupe de généraux et de dirigeants civils, de même que de récipiendaires du prix Nobel, et ainsi de suite, ont émis une déclaration dans laquelle ils se disent d'accord avec de telles négociations sérieuses.
• 1000
Le troisième point a trait à l'expansion de l'OTAN. L'OTAN
invite trois pays d'Europe centrale—la République tchèque, la
Hongrie et la Pologne—à joindre ses rangs et l'intention est d'en
inviter d'autres plus tard. Or, la Russie y voit une menace et on
pourrait par conséquent craindre une reprise de la guerre froide.
Nous pourrions être replongés en pleine guerre froide.
Pour éviter ce danger, on a fait quatre suggestions. L'une est de faire de la région qui s'étend de la mer Baltique à la mer Noire une zone exempte d'armes nucléaires, qui servirait de tampon entre l'OTAN et la Russie. Cette mesure pourrait en réalité être adoptée soit en remplacement de l'expansion de l'OTAN, soit en complément à cette expansion. Il se peut fort bien qu'il n'y ait aucune arme nucléaire dans cette région de toute façon, mais une déclaration à cet effet aiderait.
La deuxième solution de rechange est d'inviter la Russie à joindre les rangs d'une OTAN élargie de façon à chercher à les inclure, plutôt qu'à les exclure.
Une troisième solution de rechange est d'élargir les cadres de l'Union européenne plutôt que ceux de l'OTAN; ainsi, les intérêts économiques auraient la préséance sur les intérêts militaires—et je pense que les Européens du centre souhaitent ardemment faire partie de l'Union européenne.
Une quatrième solution de rechange—et je favoriserais plutôt cette dernière—serait d'utiliser l'OSCE, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe dans le cas des relations est-ouest. L'OSCE comprend déjà l'Europe occidentale et l'Europe de l'Est ainsi que toute la Russie jusqu'à Vladivostok, de même que les États-Unis et le Canada. C'est donc une organisation qui s'étend de Vancouver à Vladivostok, pratiquement toutes les régions modérées de l'hémisphère nord de sorte qu'elle pourrait assurer la sécurité et la coopération économique. À titre de membre de l'OSCE, le Canada pourrait, le moment venu de défendre cette option et de renforcer l'organisation pour lui permettre de s'acquitter de son rôle, jouer un rôle de chef de file. On prétend parfois que l'OSCE est une organisation faible, mais on pourrait certainement la renforcer si les grandes puissances décidaient de le faire.
Le président: Madame Newcombe, j'aimerais vous remercier personnellement pour cette référence. Il se trouve que je suis le vice-président de l'assemblée générale de l'OSCE et que la plupart de mes collègues ici pensent que je m'offre tout simplement du bon temps lorsque j'assiste à leurs réunions. J'apprécie par conséquent beaucoup votre solide appui à cette organisation qui, je pense également, est extrêmement importante pour ce qui est de l'édification de la paix. J'estime que la meilleure façon de résoudre un conflit est de l'éviter et je pense qu'un grand nombre de gens ne se rendent pas compte du travail que cette organisation accomplit.
Donc, encore une fois, merci beaucoup. Vous êtes mon témoin préféré jusqu'à maintenant.
Mme Hanna Newcombe: C'est curieux qu'on ait diminué tellement l'importance de l'OSCE alors qu'on espérait qu'elle serait après la fin de la guerre froide, le principal instrument des relations est-ouest. On a certainement besoin de lui redonner plus d'importance.
Maintenant, en ce qui concerne la crise du golfe Persique, la situation a évolué pour le mieux, mais j'aimerais tout de même signaler que cette crise est fondamentalement différente de celle de 1991 à deux égards. Il n'y a pas eu d'invasion d'un État voisin, qui était très certainement une contravention du droit international en 1991. Deuxièmement, les Nations Unies n'ont pas autorisé d'action militaire. S'il y a une action militaire, elle ne serait l'oeuvre que d'un petit nombre d'États.
Je doute qu'une frappe aérienne militaire atteindrait l'objectif d'éliminer toutes les armes de destruction massive en Irak. Je suis particulièrement préoccupée que s'ils parviennent à faire exploser un dépôt d'armes chimiques, cela pourrait entraîner des conséquences catastrophiques, et ce sur un très grand territoire. Ils doivent songer à cette possibilité.
• 1005
Je ne connais pas la teneur de l'actuelle entente que M. Kofi
Annan a réussi à obtenir, mais notre mémoire propose, comme
solution de rechange, de recourir à des incitatifs positifs au lieu
de présenter les menaces militaires pour obtenir de Saddam Hussein
qu'il se conforme aux exigences. Il a été démontré dans la
recherche sur la paix que des incitatifs positifs dans toutes
sortes de situations sociales sont plus efficaces que des sanctions
négatives. Ils auraient probablement une chance de réussite.
En particulier, nous pourrions promettre à l'Irak une diminution graduelle des sanctions économiques qui ont véritablement semé le chaos dans la population civile d'Irak s'ils se conforment aux inspections des NU sans aucune exception.
Monsieur le président, de combien de temps est-ce que je dispose?
Le président: En fait, la greffière a attiré mon attention sur le fait que vous aviez épuisé votre temps. Votre cinquième point est plus général. En ce qui concerne votre sixième point, j'en déduis, pour ce qui est de l'autorité mondiale, que vous coupez véritablement l'herbe sous le pied du Mouvement canadien pour une fédération mondiale, qui a choisi de ne pas en parler.
Pourriez-vous en quelques instants parler de ces deux points? Puis, nous passerons au témoin suivant.
Mme Hanna Newcombe: Dans le point cinq, on indique que le Canada a été un pays de maintien de la paix, de rétablissement de la paix et d'édification de la paix, et qu'il devrait continuer de se montrer à la hauteur de sa réputation.
Pour ce qui est du sixième et dernier point, nous entendons beaucoup parler de mondialisation, mais seulement sur le plan économique. Comme nous le savons bien, certaines personnes en sont en fait blessées. La mondialisation politique, dans le sens d'une organisation des Nations Unies renforcée, est très souhaitable.
La mondialisation spirituelle signifierait tout simplement que l'on reconnaisse que nous sommes tous membres de la race humaine et que quelles que soient les divisions qui existent, elles sont en grande partie non pertinentes.
Je m'arrêterai sur ce propos.
Le président: Merci beaucoup, madame Newcombe. Je vous en suis reconnaissant.
Je cède maintenant la parole à madame Gertler.
Mme Ann Gertler (conseillère, Bureau international de la paix): Tout d'abord, j'aimerais vous dire à quel point je suis heureuse d'avoir la possibilité de m'adresser à vous—ou plutôt de discuter avec vous, devrais-je dire.
Il faut d'abord que je vous avoue que j'ai commencé à poser des questions sur des sujets militaires en 1945 à l'époque où, jeune membre du personnel permanent du Sous-comité sur la mobilisation relevant du Comité sénatorial américain sur les affaires militaires, j'escortais une délégation de jeunes scientifiques en visite à Washington. Ces chercheurs étaient venus d'urgence expliquer à tout le monde, des membres du cabinet en descendant, que cette bombe n'était pas une arme ordinaire. Vous pourriez extrapoler en disant que la guerre n'est plus ce qu'elle était, ou du moins pas dans le sens traditionnel du terme.
Les armes nucléaires étaient quantitativement et qualitativement différentes, immensément différentes. La caractéristique la plus remarquable des ogives nucléaires, celle qu'elles partagent avec les mines terrestres, est que leurs effets durent et perdurent bien au-delà des sept générations proverbiales, et ce à l'échelle de la planète.
C'est pourquoi Albert Einstein disait: « Tout change, sauf l'esprit humain». Je pense que nous avons toujours ce problème, tout comme nous avons aussi le problème lié à l'engagement à ne pas être le premier à user des armes nucléaires, problème qui remonte très loin dans le temps, si je me souviens, à l'époque où je faisais partie du comité consultatif de l'Ambassadeur au désarmement, en 1979.
En passant, ce comité consultatif a été pour moi un point tournant pour une raison très particulière: il était formé de 19 hommes et moi-même.
Le président: Nous ne vous demanderons pas qui était l'âme dirigeante de ce comité.
Mme Ann Gertler: Mais pas du tout, on me traitait avec condescendance.
Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest—Mississauga, Lib.): Oh!, dites-moi que ce n'est pas vrai. Cela n'arrive jamais.
Des voix: Oh! Oh!
Mme Ann Gertler: C'était en 1979.
Le président: N'encouragez pas Mme Beaumier sur ce sentier sinon nous aurons passablement de problèmes avec ce comité.
Mme Ann Gertler: Tout a changé maintenant bien sûr. C'est bien qu'il y ait deux femmes pour venir témoigner ce matin. Nous pensons toujours qu'il devrait y avoir au moins deux femmes.
• 1010
En passant, je n'ai pas vérifié à quel moment est née l'OSCE,
qui auparavant s'appelait la CSCE, et qui a commencé à Stockholm,
je pense, en 1984.
Le président: En soixante-quinze.
Mme Ann Gertler: En soixante-quinze. Puis j'ai vu le deuxième volet de cette organisation. Soit dit en passant, Mark Moher, notre actuel ambassadeur au désarmement, lorsqu'il était à Vienne, était en contact avec l'OSCE. Cette organisation promet beaucoup. L'OTAN aussi promettait beaucoup à l'origine. Elle s'occupe d'un éventail de causes qui ne sont pas d'ordre militaire et que nous n'avons jamais étudiées. Peut-être que votre comité devrait se pencher sur cette organisation, et c'est avec plaisir que je vous fournirais une liste si vous n'en avez pas.
Pour les besoins de la présente réunion, je représente le Bureau international de la paix. Notre présidente est le major Britt Theorin, qui a déjà été ambassadrice au désarmement pour la Suède. En passant, elle était la seule femme membre de la Commission Canberra.
Il y a toute une brochette de récipiendaires du prix Nobel parmi les anciens présidents du Bureau international de la paix. Le siège du bureau se trouve à Genève. C'est une ville où j'aime me rendre parce que j'y ai un fils. Vous savez, j'ai un fils presque partout étant donné que j'en ai cinq.
Mais Genève... J'ai parlé à Mark Moher à ce sujet. Il m'appelle Ann selon la nouvelle mode peu protocolaire, aussi je l'appelle Mark. Je lui ai demandé s'il se rappelait à quel moment les poiriers sont en fleurs dans la plaine qui se trouve à l'extérieur de Genève, et nous avons décidé que la date de la nouvelle conférence sur le Traité sur la non-prolifération devrait avoir lieu à Genève, en avril ou en mai. Peut-être que certains comités devraient procéder de cette façon pour fixer les dates de réunion.
La liste des intérêts du BIP est longue, même beaucoup trop longue. La liste des conseillers est aussi longue, et même beaucoup trop longue, mais ils ont toujours parlé de l'abolition des armes nucléaires et, bien entendu, c'est un sujet dont il est question depuis très longtemps dans les ONG.
Entre autres choses, le BIP suggère également que l'on modifie le mandat de l'Agence internationale de l'énergie atomique afin que cet organisme cesse de faire la promotion des centrales nucléaires dans les pays du tiers monde.
En 1978, lors d'une assemblée spéciale des Nations Unies sur le désarmement, on avait demandé la mise sur pied d'un programme à l'intérieur d'un échéancier précis—les échéanciers sont la pierre d'achoppement du monde occidental—devant conduire à l'élimination complète des armes nucléaires.
Soit dit en passant, j'aimerais simplement ajouter que, même si je n'ai pas traité en détail du problème de la vérification, je pense néanmoins qu'il est probable que la vérification est plus facile en vue d'une abolition totale qu'elle ne l'est en vue d'une abolition partielle. Non seulement ça, lorsque le petit jeu du dénombrement commence, je pense toujours à l'information que nous avons selon laquelle quantité des armes qui ont été détruites par les États-Unis et la Russie n'étaient tout simplement pas les bonnes. Aussi, je suis convaincue que même s'il en reste une seule, c'est encore une de trop lorsqu'il s'agit d'armes nucléaires. J'ai toujours pensé que j'aimerais mourir en privé, et non en public. Cela me motive vraiment beaucoup, bien entendu. Je n'ai pas le temps d'y penser.
On raconte qu'une résolution sera votée concernant l'AIEA—si jamais cela se concrétise—lors de la prochaine assemblée générale afin de détourner celle-ci de ses activités de promotion de l'énergie nucléaire.
Dans l'ensemble, les Nations Unies ont fait de très lents progrès sur les questions nucléaires. Une des raisons expliquant cette situation est, à mon avis, que ces questions ont été traitées au coup par coup et que cela ne nous mène pas très loin. Bien entendu, nous nous attaquons d'abord aux questions les plus faciles.
• 1015
Il me semble que l'intérêt actuel pour le contrôle des armes
classiques, particulièrement des armes légères et ainsi de suite,
représente un moyen d'éviter les questions plus complexes comme
celle des armes nucléaires et des armes de destruction massive. Je
pense aussi que cette tentative visant à contrôler les armes
classiques pourrait devenir une entreprise interminable n'ayant
aucune possibilité réelle d'aboutir. Je ne crois pas que ce soit
très sage pour les Nations Unies ou leurs membres de s'engager dans
cette voie.
Une fiche de rapport sur les votes pris par le Canada aux Nations Unies, en 1997, sur les questions de désarmement montre plus de continuité que de changement. Comme vous le savez, je pourrais ressortir mes vieux dossiers, si seulement j'arrivais les retrouver, et en tirer la plupart des sujets qui ont été mis à l'étude. En particulier, je pourrais revenir en arrière jusqu'à la soi-disant stratégie de l'asphyxie mise de l'avant par Trudeau, il y a tellement d'années, et nous pourrions constater que cette stratégie de l'asphyxie n'existe pas. Elle n'existe tout simplement pas.
Une partie du problème expliquant pourquoi nous n'avons pas de stratégie de l'asphyxie tient à ce qu'elle vise uniquement les armes. Les armes sont contrôlées par les institutions, et nous n'avons pas traité cette question très sérieusement. Nous abordons beaucoup plus volontiers la question de la quincaillerie, et pendant que nous faisons cela, les choses n'avancent pas. Je n'ai pas la réponse à cette question. Il me semble qu'un grand nombre de mes questions sont sans réponse.
Lors de l'assemblée de l'automne de 1997, le Canada a voté «oui» quatre fois, «non» trois fois et s'est abstenu deux fois. Le Canada a soulevé une objection aux résolutions qui contenaient des recommandations d'échéancier en ce qui concerne le désarmement nucléaire. Il a voté en faveur du document final original de la première assemblée spéciale.
Le Canada a voté contre la résolution concernant une convention qui interdirait l'utilisation des armes nucléaires, par l'entremise de l'assemblée générale. Peut-être cela changera-t-il. Et le Canada s'est aussi abstenu de voter, comme il l'a toujours fait, sur une résolution concernant la non-utilisation des armes nucléaires contre les États non nucléaires.
Dernièrement, j'aimerais mentionner le fait que le Canada n'a pas réussi—en fait je pense que les perspectives sont de plus en plus sombres en ce qui concerne le contrôle des matières nucléaires.
Toutes ces informations figurent dans la publication de 94 pages intitulée Disarmament Times, publiée par le comité des ONG des Nations Unies sur le désarmement.
Le président: Nous recevons cette publication.
Mme Ann Gertler: Ah bon? C'est très bien.
Le président: Je ne vous garantis pas que tout le monde lit tout ce qui est publié.
Mme Ann Gertler: Je n'ai pas dit ça, vous l'avez dit.
Je sais que mon temps est presque écoulé, je n'avais pas regardé ma montre.
Le président: Oui, j'ai bien peur que nous arrivions à la fin du temps qui vous est alloué.
Mme Ann Gertler: Je voulais simplement dire que j'ai recommandé de façon assez détaillée que vous ayez d'autres contacts avec des ONG, non seulement ici, mais aux États-Unis. Vous pourrez lire cela dans mon document.
J'aimerais aussi ajouter que je suis une ancienne coprésidente du groupe des 78, lequel a tenu une réunion historique sur les armes nucléaires et le droit, et qui était dirigée par... vous aussi, je suppose.
Un membre: Oui. Maxwell Cohen.
Mme Ann Gertler: Mon mari y était à titre de collaborateur anonyme.
Le président: Êtes-vous en train de nous dire que la partie du professeur Cohen a été rédigée par votre mari?
Mme Ann Gertler: Non. Mon mari est éditeur de livres, et il a fait passablement de travaux d'édition pour ce livre. «Collaborateur anonyme» n'est pas le mot juste.
Le président: Correcteur alors, selon moi. Vous avez ici trois professeurs de droit. Nous savons à quel point les éditeurs doivent travailler pour améliorer nos travaux.
Mme Ann Gertler: J'ai deux fils avocats, alors je suis au courant.
Tout le monde, Escott Reid en tête—faisant partie du groupe des 78—a soulevé la question de la performance et de la non-performance de l'OTAN. Bien des gens, dont Pierre Trudeau, se sont plaints du manque de consultation réelle dans les conseils de l'OTAN.
• 1020
J'aimerais ajouter que je me sens un peu mal à l'aise devant
ce comité, parce que le jour où je suis venue pour entendre Mark
Moher s'adresser au comité, l'audience était à huis clos. J'ai bien
obtenu la transcription de son témoignage, mais pas celle de vos
questions. De la même façon, lorsque je suis venue pour entendre le
ministère de la Défense nationale, l'audience est soudain—sans
doute en raison de la présence de certains visiteurs—devenue à
huis clos, et je suis rentrée à la maison.
Peut-être est-ce nécessaire, mais je n'en suis pas convaincue, que le peuple canadien ne soit pas tenu au courant des politiques qui sont tellement vitales pour son existence. Je pense que je vais m'arrêter maintenant parce que vous me faites signe de m'arrêter.
Le président: J'aurais deux observations. La première est que nous tiendrons très certainement des réunions avec des ONG. Ce comité se déplacera à Washington et à New York dans le cadre de la présente étude et nous avons bien l'intention de rencontrer des ONG américaines lorsque nous serons sur place. Le comité est très sensible à vos commentaires au sujet des audiences tenues à huis clos, ce qui nous est souvent demandé. Il y a des moments où vous comprendrez que des informations très sensibles... Notre tâche consiste à tenter d'évaluer et de comprendre et à chercher à obtenir les meilleurs renseignements qui soient. Parfois, on nous apprend davantage derrière des portes closes et à d'autres moments...
Mme Ann Gertler: J'ai bien hâte de lire de votre rapport.
Le président: Nous nous efforçons de faire les choses le plus ouvertement possible. Nous apprécions vos commentaires et vos observations seront très utiles, et nous espérons que vous en apprendrez autant. Nous prenons vos observations très au sérieux. J'ai entendu plusieurs membres dire qu'ils approuvaient vos commentaires.
Passons à la période des questions. Monsieur Mills.
M. Bob Mills (Red Deer, Réf.): J'ai quelques commentaires à faire sous la forme de questions. Peut-être que je vais aborder les quatre domaines dont j'ai entendu parler aujourd'hui et sur lesquels j'ai des questions à poser.
Une de mes questions portera certainement sur la préoccupation au sujet des États-Unis, de la Russie, de la France, de la Grande-Bretagne et de la Chine, mais il me semble que nous devrions aussi parler des autres États qui ont des armes nucléaires. Nous devrions aussi discuter de la croissance potentielle des États marginaux possédant ces armes nucléaires. Ces derniers me préoccupent beaucoup plus que les cinq principales puissances nucléaires.
Je pense aussi que la détérioration des conditions en Russie est un sujet de préoccupation important. Il semble que les problèmes en Russie rendent les armes nucléaires encore plus importantes pour les Russes; étant donné que leurs forces classiques se détériorent, les armes nucléaires deviennent de toute évidence leur seul moyen de dissuasion. Si j'étais un politicien russe, je me sentirais passablement aux abois avec des types comme Zhirinovsky dans les parages, et j'hésiterais avant de défendre une politique visant à éliminer les armes nucléaires. Cela me semble tout à fait aller à l'encontre du mouvement nationaliste en Russie. Il me semble que nous sommes de toute évidence en train de discuter de quelque chose qui... pourquoi les autres pays abandonneraient-ils leurs armes nucléaires alors qu'en fait la Russie se trouve dans un tel état d'agitation?
Troisièmement, je pense qu'un des points intéressants ayant ressorti de la discussion est que le Canada ne devrait pas diriger le mouvement visant à éliminer les armes nucléaires de l'OTAN. Je pense que cela nous placerait dans une situation extrêmement délicate, d'autant plus que nous avons réduit notre engagement au sein de l'OTAN et que nous sommes perçus de façon négative. Il me semble que ce serait viser trop haut.
Quatrièmement, lorsque j'entends quelqu'un me parler des enfants qui meurent en Irak, je ne peux m'empêcher de penser aux 80 palais construits par Saddam Hussein sur un territoire de 40 000 acres. Ces 80 palais et ces 40 000 acres représentent énormément de nourriture.
Voici les quatre commentaires que j'avais à faire et qui portent sur un éventail de sujets assez larges, mais c'est ce que j'ai entendu aujourd'hui.
Le président: Est-ce que quelqu'un aimerait ajouter quelque chose à ces commentaires? Monsieur Rosenblum et puis monsieur Henry.
M. Simon Rosenblum: Il est toujours difficile de savoir exactement à quoi vous faites référence. Si par hasard, il s'agit d'une suggestion selon laquelle notre témoignage d'aujourd'hui serait en faveur du retrait de la capacité nucléaire de l'OTAN, en fait, ce n'est pas du tout la position que nous défendons. Nous faisons allusion au régime qui consiste à s'engager à ne pas être le premier à faire usage des armes nucléaires, ce qui nous laisse toujours la possibilité résiduelle d'utiliser les armes nucléaires pendant une certaine période de temps, quelle que soit cette période, avant d'en arriver à obtenir des réductions subséquentes.
• 1025
Dans la mesure où vous dites que les Russes ne sont pas
intéressés à effectuer des réductions additionnelles, le test
ultime sera notre façon de procéder à la ratification du traité
START II avant de passer au traité START III. Une chose est sûre:
il y a énormément d'indices selon lesquels la Russie serait en fait
toute disposée à revenir en arrière avec l'OTAN en ce qui concerne
le principe de l'engagement à ne pas faire usage des armes
nucléaires en premier—en d'autres mots, elle serait prête à
revenir à sa politique antérieure—mais elle ne le fera pas de
façon unilatérale.
On a suggéré—et j'abuserai un peu de mon temps en ajoutant ceci—que nous avions décidé de ne pas faire l'apologie du fédéralisme mondial dans notre témoignage d'aujourd'hui. Eh bien, nous avons suivi à la lettre les instructions données au comité, mais j'aimerais dire—et je pense que c'est terriblement important—que nous nous sommes efforcés d'expliquer ici aujourd'hui la notion de l'exercice de l'autorité à l'échelle mondiale en rapport avec la transparence et l'imposition des régimes de vérification. C'est de toute évidence un volet sous-jacent de l'exercice de l'autorité mondiale.
Deuxièmement, et c'est là une question tout aussi importante sinon davantage, je veux parler de la notion de mise en application en ce qui concerne une mesure collective lorsque des États marginaux et des individus violent les ententes et utilisent les armes de destruction massive, etc. Donc, nous abordons non seulement la question d'un régime passif vigoureux, mais celle d'un régime de mise en application de moyens de dissuasion. Et toutes ces mesures pourraient conduire, bien entendu aux questions liées à l'Irak et ainsi de suite.
Le président: Merci.
Monsieur Henry.
Le colonel A. Sean Henry (analyste principal de la Défense, Congrès des associations de la Défense): Merci, monsieur le président.
Avant de faire des commentaires sur deux des points qui viennent d'être soulevés, j'aimerais porter à l'attention du comité une référence très importante qui ne figure pas dans la bibliographie du mémoire que nous avons présenté, simplement parce que nous ne l'avions pas au moment où celui-ci a été rédigé. Il s'agit d'un document du gouvernement britannique produit par le Royal United Services Institute et rédigé par Sir Michael Quinlan, qui a été haut fonctionnaire dans l'administration britannique pendant plusieurs années, au ministère de la Défense, et qui a consacré une grande partie de son temps aux questions d'ordre nucléaire ainsi qu'à la politique nucléaire.
C'est un excellent document de référence, non seulement parce qu'il est très concis mais aussi parce qu'il traite très bien du sujet. Je vous le recommande chaudement.
Le président:
[Note de la rédaction: Inaudible] Est-ce qu'il s'agit du document dont vous parlez?
Col Sean Henry: J'économiserai l'argent de Sa Majesté, parce que le seul moyen pour vous le procurer rapidement consisterait à envoyer un messager à Londres. Si la commis promet de me le rendre dans le plus bref délai, je vais lui prêter mon exemplaire afin qu'elle puisse le reproduire à sa convenance.
Le président: Les recherchistes m'informent que nous disposons déjà d'une copie du document.
Col Sean Henry: Ah bon, d'accord. Je dirais qu'il s'agit d'un document de référence qui fournit une étude détaillée à ce comité, parce qu'il couvre tous les facteurs et qu'en plus il a été rédigé par un homme qui sait très bien de quoi il parle.
Pour en revenir aux observations, en ce qui concerne la première, c'est-à-dire celle sur les États marginaux, il est important de garder à l'esprit qu'il s'agit d'une situation très complexe lorsque nous parlons de possession et de prolifération des armes nucléaires. Il existe cinq puissances nucléaires, mais avant d'en arriver aux États marginaux, un certain nombre d'autres catégories intermédiaires se présentent, si vous voulez.
Ce sont notamment les États quasi nucléaires—Israël, l'Inde, et le Pakistan—et ensuite les États qui pourraient devenir des puissances nucléaires assez rapidement, dont le Canada, et nous obtenons le chiffre d'environ 16 États. Ensuite nous arrivons aux États marginaux. Cette situation nous révèle qu'il existe un énorme potentiel d'instabilité dans le monde. Par conséquent, en présence d'une situation potentiellement instable aussi importante que celle-ci, il convient d'aborder la question avec le plus grand soin et de s'assurer de bien peser tous les facteurs avant d'aller de l'avant, ce qui renforce les affirmations du CAD concernant la nécessité de «faire diligence, mais lentement».
La deuxième observation selon laquelle le Canada ne devrait pas prendre l'initiative est pertinente, et je pense qu'elle a été suggérée par les remarques du colonel Coroy. Même si les Canadiens se hérissent lorsque nous parlons de l'influence des Américains dans les affaires canadiennes, peu importe cet aspect, il faut affronter la réalité, c'est-à-dire que ce pays est doté d'intérêts sur le plan de la sécurité qui ont toujours à voir avec une menace nucléaire stratégique. Si nous cessions de coopérer avec les Américains, il nous en coûterait davantage, et même beaucoup plus pour assurer nous-mêmes notre sécurité. Si nous ne voulions pas nous en occuper nous-mêmes et si nous reposions entièrement sur les Américains pour le faire, dans ce cas nous abandonnerions une grande partie de notre souveraineté. Si vous voulez rejeter tous les autres aspects de cet argument, pour des questions alimentaires, le fait de mettre fin aux arrangements bilatéraux pour la défense de l'Amérique du Nord avec les Américains est un facteur significatif.
Mme Ann Gertler: Je tiens seulement à ajouter que la partie de ma communication que je n'ai pas lue attirait l'attention sur une déclaration du président Clinton dans laquelle il affirmait que l'une des expériences les plus satisfaisantes à avoir jamais existé en matière de contrôle des armes était celle des travaux de la CSNU en Irak, travaux au cours desquels on a procédé à la destruction d'un grand nombre d'armes, installé des appareils de surveillance dans de nombreuses installations de guerre, lu une quantité extraordinaire de documentation, ce qui a permis d'en apprendre beaucoup au sujet du pays, et ainsi de suite. Je pense que nous devrions étudier sérieusement la façon dont nous traitons avec les armes. Il s'agit d'une vérification effectuée à un niveau très utile.
M. Terrell Gardner: J'aimerais ajouter quelque chose brièvement à la question de M. Mills concernant l'agitation en Russie, l'instabilité ainsi que la dépendance accrue à l'égard des armes nucléaires. Cette question est abordée dans le cadre du témoignage de Science et paix. Je ne l'ai pas lu, mais elle y figure. Mes informations proviennent très largement d'un document produit par Bruce Blair, lequel a déjà été mentionné, je crois par Simon Rosenblum. Ce document peut être déposé ici pour consultation si vous ne l'avez pas déjà en main.
Cette préoccupation a donné naissance à notre recommandation no 10 selon laquelle le Canada devrait déployer des efforts diplomatiques et utiliser d'autres moyens afin de réduire la tension entre la Russie et les puissances de l'OTAN. Cette recommandation vise en partie à traiter ce point. Il s'agit en effet de réagir aux réponses de la Russie à la tension dont il est fait mention et à éviter surtout d'attiser le nationalisme sur la scène politique russe, de donner une chance à l'éclosion d'un leadership en Russie, ou de plusieurs leaderships au sein de la Russie—il semble y en avoir plusieurs—afin qu'ils se donnent la marge de manoeuvre nécessaire pour envisager le genre de choses que nous aimerions leur voir faire, et que nous devons faire aussi.
Si nous prenons des initiatives telles que la mise en place d'une zone exempte d'armes nucléaires en Europe de l'Est, cette action fera en sorte d'alléger une partie de la tension. Si nous ne prenons aucune initiative de cet ordre, la tension continuera à monter. Nous devons nous mettre à leur place—les percevoir comme se sentant menacés—une contre-menace, et pour des raisons humanitaires ainsi que pour les motifs de notre propre autodéfense, nous devons trouver des moyens d'atténuer cette peur en réduisant réellement la tension. Je suis convaincu que l'un de ces moyens n'est certainement pas de voter pour une expansion plus poussée vers l'est de la part de l'OTAN.
Le président: Madame Newcombe.
Mme Hanna Newcombe: En ce qui concerne la vérification du désarmement, j'aimerais vous suggérer un livre publié par le groupe de la Conférence Pugwash. Il s'agit d'un groupe de scientifiques. Le livre est coédité par Joseph Rotblat. Vous vous rappellerez qu'il a reçu le prix Nobel de la paix. Le livre est intitulé A Nuclear-Weapon-Free World: Desirable?, Feasible?
• 1035
Ce livre décrit avec force détails les moyens techniques de
vérification utilisés actuellement dans le cadre du désarmement
nucléaire. Étant donné que ces gens sont pour la plupart des
physiciens, ils savent de quoi ils parlent lorsqu'ils décrivent les
moyens techniques. Mais dans ce même livre, ils mentionnent aussi
des moyens de vérification non techniques appelés rapport par les
citoyens ou vérification sociétale. Si les personnes qui
participent à la production d'armes illégales—c'est-à-dire les
travailleurs sur place—soupçonnent que le traité pourrait être
violé, ils pourraient faire rapport aux inspecteurs. Ainsi, toute
la société serait mobilisée afin de mettre en oeuvre la prohibition
des armes en question.
Il est évident que la vérification ne peut jamais être faite à 100 p. 100, je suppose, mais nous pouvons tenter de nous approcher aussi près que possible de ce chiffre de sorte que nous puissions nous y fier.
En ce qui concerne les armes chimiques, ces mesures viennent tout juste d'entrer en vigueur. Elles comportent des dispositions relatives à la vérification. Nous ne savons pas encore comment elles seront mises en oeuvre, et tout le monde n'a pas encore ratifié l'entente, mais je pense que nous commençons à voir poindre un contrôle approprié des armes chimiques, et j'espère qu'il fonctionnera convenablement.
Je reçois beaucoup de courrier électronique, et un message que j'ai reçu récemment affirmait que la Douma russe serait peut-être prête maintenant à signer le traité START II. Si c'est vrai, cela ouvrirait la voie à des négociations plus poussées concernant le traité START III et nous pourrions faire certains progrès bilatéraux en ce qui concerne le désarmement nucléaire des deux principaux détenteurs de ces armes, à tout le moins.
Merci.
Le président: Vous devez savoir, madame Newcombe, que le Canada a ratifié la convention relative aux armes chimiques. En fait, nous avons aussi mis en oeuvre la législation nécessaire dans ce pays. Ce comité a travaillé sur cette question lors du dernier Parlement.
Monsieur Turp.
[Français]
M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): J'aimerais d'abord remercier tous les témoins d'avoir pris du temps ce matin pour venir nous faire ces présentations et d'avoir notamment présenté des mémoires écrits en français ou dans un délai qui a permis la traduction, ce qui n'est pas toujours le cas devant le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.
J'aimerais en particulier vous faire remarquer que le combat pour l'élimination des armes nucléaires, ou à tout le moins pour réduire leur utilisation et surtout contrôler leur prolifération, semble être un combat de toutes les générations, comme on l'a vu au comité. Les générations que vous représentez ici sont certainement celles qui mènent le combat.
Le fait de voir Mme Newcombe et Mme Gertler ici démontre jusqu'à quel point vous avez de la persévérance dans ce combat, que vous pensez être un combat pour les générations futures. C'est souvent un combat que mènent les femmes parce qu'elles croient peut-être davantage que les hommes à la qualité et à la valeur précieuse de la vie humaine.
J'aimerais cependant poser une question à tous et à toutes. J'aimerais réfléchir et vous faire réfléchir avec nous sur une question qui nous interpelle maintenant, parce que tout le débat sur l'intervention militaire en Irak pose le problème de la menace de l'emploi des armes, apparemment à des fins de maintien de la paix et de la sécurité internationales.
• 1040
Dans tout le débat actuel sur le respect des résolutions de
l'ONU—vous l'avez encore entendu hier—, le président
américain et ceux qui soutiennent son intervention
prétendent que c'est la menace de l'utilisation des
armes—pas nucléaires dans ce cas-ci—qui aura réussi à
convaincre Saddam Hussein de respecter les résolutions
de l'ONU.
J'aimerais savoir si vous êtes convaincus par cet argument et si, dans ce cas-ci, c'est un argument qui vous paraît utile, parce que la menace de l'emploi des armes nucléaires participe de la même logique de respect de l'ordre international, des résolutions des Nations unies. Alors, j'aimerais savoir si cet argument vous convainc dans le cadre actuel, parce que s'il vous convainc, l'argument selon lequel les armes nucléaires doivent exister pour constituer une menace contre ceux qui ne veulent pas respecter le droit international, vaut aussi. Cela est vrai dans le cas où il y a une première frappe stratégique parce que, sans première frappe stratégique, il n'y a pas de menace qui puisse amener quelques chefs d'État à renoncer au non-respect de leurs engagements internationaux. C'est ma première question. J'aimerais vraiment vous entendre là-dessus.
Ma deuxième question concerne l'idée d'une convention sur l'élimination totale des armes nucléaires. J'aimerais savoir en particulier, monsieur Rosenblum, ce que les tenants de votre groupe pensent de cette idée et comment on peut réussir cela. Comment peut-on concrètement réussir à conclure une convention sur l'élimination totale des armes nucléaires?
[Traduction]
Le président: Monsieur Rosenblum, monsieur Henry et puis monsieur Gardner.
M. Simon Rosenblum: Tout d'abord, en ce qui concerne la suggestion par le président des États-Unis ou par quiconque selon laquelle c'est bien la menace de l'usage de la force, dans ce cas particulier, qui a amené Saddam Hussein à ostensiblement, et du moins pour un certain temps—il reste à voir pendant combien de temps—permettre à la réglementation des Nations Unies concernant la vérification des armes de destruction massive de se dérouler sans encombre, je suis parfaitement d'accord avec M. Clinton.
Faut-il croire que M. Saddam Hussein a été simplement persuadé pour des raisons d'ordre moral de se conformer à la loi internationale et devons-nous espérer qu'il le fera? Toute la question de l'imposition de la paix, qui est sous-jacente au mandat de ce comité, est très complexe. Mais, il ne fait aucun doute qu'à certains égards elle sous-entend que la communauté internationale devra traiter très sérieusement ceux qui violeront les ententes ayant des conséquences énormes sur la stabilité internationale, la paix mondiale et qui entraîneraient des pertes de vies incommensurables.
Inutile de dire que nous savons que ce fut une situation inextricable parce qu'aucune mission militaire digne de ce nom n'aurait pu occasionner des dommages irréparables au programme d'armes de destruction massives ou aurait été en mesure de les éliminer d'un seul coup fatal. Nous disposions d'une série d'options défavorables à partir desquelles il fallait choisir.
Je ne veux pas perdre de temps à discuter de cette question proprement dite parce qu'elle nous entraîne dans d'autres considérations, mais je pense que cela me ramène à ce que j'ai dit un peu plus tôt, au cours du témoignage et en réponse à vos questions: il faut mettre en place une forme vigoureuse de sécurité collective. Il s'agit seulement d'un exemple, et on pourrait immédiatement se lancer dans des digressions et parler de situations de génocide, qu'il s'agisse du Rwanda ou d'ailleurs, et discuter de l'usage approprié ou non de la force. Dans ce cas aussi, nous espérons pouvoir parler sur un mode beaucoup plus collectif par l'entremise du Conseil de sécurité des Nations Unies, de l'assemblée des Nations Unies et ainsi de suite.
• 1045
Même si la force constitue souvent le recours ultime—comme il
se doit—cela ne signifie pas pour autant qu'il faut la mettre en
veilleuse. Elle doit être un élément décisif de votre régime de
sécurité. Mais je pense que c'est manquer de logique que d'affirmer
ensuite, d'une manière ou d'une autre, que les armes nucléaires
deviennent le pivot de tout ce raisonnement, que ce soit à titre
résiduel ou primaire, en ce qui a trait à la menace de l'usage en
premier. D'abord, pour des raisons d'ordre moral, il s'agit d'une
proposition beaucoup plus complexe; et ensuite, si vous voulez
disposer de moyens collectifs internationaux de dissuasion
crédibles, dans ce cas tous les témoignages informés qui ont été
faits au cours des présentes portent précisément sur la
crédibilité.
Être crédible signifie en réalité qu'il y a de fortes présomptions pour que la force soit utilisée et que les autres parties en cause devront craindre ou avoir confiance que cela se produira réellement. Mais ce n'est pas le cas. Cela n'a jamais été le cas en ce qui concerne la menace d'être les premiers à user des armes nucléaires, parce que, à plusieurs égards, cette décision a quelque chose de répugnant. Par conséquent, il faut nous doter de certains mécanismes collectifs à l'échelle internationale assortis d'un éventail de moyens de dissuasion classiques vigoureux et robustes et ceux-ci doivent être mesurés et proportionnels par rapport à la menace en cause.
Ce n'est pas quelque chose qui peut être fait sur une base ponctuelle. Ces mesures doivent avoir été planifiées à l'avance et s'intégrer dans un programme beaucoup plus vaste dont la majeure partie ne sera pas en fait d'ordre militaire. Il est à mon sens très dangereux de présumer que, parce qu'on n'y aura pas recours en premier, les actions militaires ne sont pas importantes.
Nous devrions reconnaître que les armes nucléaires sont extrêmement différentes de tous les autres types d'armes. Quoi qu'il en soit, les armes classiques—et dans certains cas, nous entrons dans la science fiction lorsqu'il s'agit de décrire certaines armes classiques et biologiques—aussi insidieuses qu'elles puissent paraître, ne sont que de pâles copies des armes nucléaires en ce qui a trait à leur usage militaire et à leurs dangers. Pour ce qui concerne les armes biologiques, en temps et lieu nous serons informés dans quelle mesure les moyens passifs seront suffisants pour compenser et pour vous protéger ou quelle force militaire particulière devra être mise en oeuvre.
Des gens de toute allégeance—certains ayant travaillé avec Reagan et à d'autres échelons encore plus élevés—affirment qu'au moyen de leurs arsenaux classiques, les États-Unis, l'OTAN et d'autres pays à l'échelle internationale disposent des moyens nécessaires pour répondre à toute forme de menace et que le seul rôle des armes nucléaires est de constituer une force de riposte. Cela mérite d'être souligné.
Le président: Monsieur Turp, vous vouliez poser une question.
[Français]
M. Daniel Turp: J'aimerais entendre M. Henry, mais aussi Mme Gertler et Mme Newcombe sur ces questions-là car ce sont les femmes sages de votre groupe.
[Traduction]
Le président: Nous avons M. Henry et M. Gardner, de même que Mme Newcombe.
Monsieur Henry, vous êtes le suivant.
Col Sean Henry: Je pense que nous devons aborder cet ensemble de questions avec le même soin que si nous nous efforcions de traiter des armes nucléaires en général, ne mélangeons pas les pommes et les oranges.
Dans le premier volet de vos remarques, nous avons commencé à discuter de la guerre du Golfe. La guerre du Golfe était un cas de dissuasion afin d'empêcher un affrontement majeur. Si Saddam avait utilisé ses armes de destruction massive ou ses missiles Scud contre Israël, Israël aurait riposté avec des armes nucléaires. Je pense que beaucoup de gens, y compris Saddam Hussein avaient compris cela.
Une voix: Est-ce que Saddam dispose d'armes nucléaires?
Col Sean Henry: Dans ce cas, c'est-à-dire empêcher un conflit majeur, ce fut efficace. Mais ne mélangeons pas cette situation avec ce qui se passe actuellement.
Saddam Hussein est un homme très intelligent et très tortueux. Il a appris sa leçon en 1990 et 1991. Aujourd'hui il opère bien en deçà du seuil nucléaire. C'est son objectif. Il ne tient pas à ce que l'on riposte avec des moyens de dissuasion nucléaire. Il agit de façon intelligente. Saddam Hussein a un objectif dans tout cet exercice et c'est de se débarrasser des sanctions des Nations Unies afin de pouvoir recommencer à vendre du pétrole. Par la même occasion, il espère ne pas avoir à abandonner toutes ses armes de destruction massive, mais il s'agit d'un stratagème.
• 1050
Il semble toutefois qu'il soit sur le point de gagner, ou du
moins d'atteindre son but, parce que la situation n'a pas encore
trouvé de solution, si on se base sur ce que l'on a entendu hier
soir aux actualités. Même si les Américains acceptent, il y aura
une autre période de tiraillement. En fin de compte, toutefois,
Saddam Hussein manipule le processus afin d'obtenir la levée des
sanctions.
Où cela va-t-il finir? Eh bien, tout cela finira dans une position pas très satisfaisante, mais au moins nous aurons fait certains progrès des deux côtés. Nous avons adouci les mesures de boycott à l'égard du peuple irakien. Certains inspecteurs sont de retour en Irak, et au travail, et nous avons à tout le moins stabilisé la situation. Peut-être, si nous avons de la chance, arriverons-nous à réduire une partie de ces armes de destruction massive à un niveau inférieur à ce qu'elles sont maintenant.
Pour en revenir à la position du CAD, il s'agit d'un processus lent et graduel au cours duquel on tâte le terrain avant d'aller de l'avant et on ne se précipite pas dans toutes les directions afin d'éviter les conséquences non désirées.
Lcol Victor Coroy: Si vous permettez, monsieur le président, j'aimerais aborder cette question d'un autre point de vue que l'aspect moral.
Des gens ont indiqué qu'ils étaient prêts à consacrer leur temps et leur énergie au maintien du processus de paix et à ce type de considération. Je représente un groupe d'un demi-million de Canadiens qui ont signé la clause de responsabilité illimitée afin de faire en sorte que la paix soit maintenue. Lorsque vous vous trouvez dans cette position, les effets des armes deviennent très clairs, qu'il s'agisse des armes de destruction massive ou d'armes pointées et dirigées—des fusils, des mines et ce type de choses.
Donc, nous ne parlons pas d'un point de vue imaginaire, en adoptant un point de vue résolument optimiste à ce problème. Nous avons été sur place, nous avons pu constater les effets. Nous comprenons très clairement qu'une fois qu'on a laissé le génie sortir de la lampe, il est impossible de l'y ramener. D'une manière ou d'une autre, tout ce que l'homme a inventé ne devrait pas être utilisé contre la population ou les individus.
Le problème avec l'usage de la force tient au fait qu'en utilisant une force inappropriée, et surtout s'il s'agit de votre dernier recours, on ne fait qu'envenimer la situation. Je suppose que vous pouvez faire un parallèle avec la réaction aux activités terroristes, et à ce type de choses. Lorsqu'un État est faible et incapable de contrecarrer les activités terroristes, il doit se préparer à une génération d'activités de cet ordre.
Dans le sens international, si vous n'avez pas de moyens de vous défendre, ou encore si vous ne disposez que de moyens réduits ou limités, pour rétorquer à une menace ou à un chantage nucléaire ou biologique, dans ce cas vous serez l'otage des conditions imposées par des États marginaux ou terroristes.
Il faut donc se préparer à faire usage de la force à l'échelle internationale. Autrement, nous abdiquons notre liberté et notre propre capacité à décider de notre destin.
Le président: Madame Newcombe.
Mme Hanna Newcombe: Il ne faut pas oublier les aspects légaux. La Cour internationale de justice a déclaré que la menace nucléaire était illégale dans la plupart des circonstances. Il est certain que l'exception pouvant justifier le fait que l'on accepte ou non l'usage des armes nucléaires ne s'applique pas dans ce cas. Le respect du droit devrait être un aspect important de notre comportement à l'échelle internationale. N'oublions pas l'aspect légal de la politique de l'engagement à n'être pas le premier à user des armes nucléaires.
Deuxièmement, j'aimerais revenir sur la guerre de 1991. Les experts dans le domaine me disent qu'Israël était prête à user des armes nucléaires, mais que ce sont les États-Unis qui l'en ont empêchée. Des indices dans la présente crise donnaient à penser que les États-Unis ne retiendraient plus Israël. Par conséquent, si cette crise s'était envenimée, et il est toujours possible que cela se produise, parce que le danger découlant de la riposte d'Israël est toujours présent, en plus de celui de la riposte des États-Unis—je pense que nous devons rester vigilants à cet égard.
Le président: Dans le contexte de la question de M. Turp, cependant, vous semblez suggérer que la capacité d'Israël a faire usage en premier des armes nucléaires pourrait bien être la raison pour laquelle Saddam Hussein a très clairement déclaré, il y a quelques semaines, qu'il ne frapperait pas Israël, et qu'Israël ne constituerait pas une cible.
Où cela nous mène-t-il en ce qui concerne la décision de l'OTAN relative à la politique de ne pas faire usage en premier des armes nucléaires? Il semble que le comité devra consacrer passablement d'efforts à déterminer si en fait ce principe nous rapproche de la paix ou encore s'il nous rapproche plutôt d'un conflit possible. Cela semble être l'un des grands enjeux dont il sera question au sein du présent comité.
Mais il me semble, si vous me permettez, que l'exemple que vous venez tout juste de nous donner soit un argument en faveur de la politique d'engagement à ne pas faire usage des armes nucléaires en premier et non à l'encontre de cet argument. Enfin je l'ai interprété comme tel.
Mme Hanna Newcombe: Il reste toujours l'argument légal...
Le président: Bien entendu. Je comprends cela.
Mme Hanna Newcombe: ...cet argument devrait peser dans nos consciences.
Le président: Madame Gertler, vouliez-vous ajouter quelque chose?
Mme Ann Gertler: Oui, j'espère que je ne vais pas trop m'éloigner du sujet cette fois-ci...
Le président: Allez-y.
Mme Ann Gertler: ...mais j'aimerais ajouter que mes activités en ce qui concerne les affaires de guerre et de paix n'étaient pas réellement motivées par ma qualité de mère. Même si j'ai toujours pensé que mes enfants pourraient prendre soin d'eux-mêmes et peut-être du monde, ce sont mes petits-enfants qui me préoccupent maintenant. Mais je prends de votre temps...
Le président: Mais non pas du tout. Ceux d'entre nous qui ont des petits-enfants sont entièrement d'accord avec vous. Ce sont eux qui nous intéressent.
Une voix: Certains d'entre nous se préparent à en avoir aussi.
Des voix: Oh! Oh!
Mme Ann Gertler: J'aimerais vous rappeler que lorsque vous parlez des Nations Unies et des résultats qu'elles viennent d'obtenir, quels qu'ils soient, il est largement admis à New York que le fait de n'avoir pas réagi sur l'article 6 du TNP aura pour effet que les États non nucléaires n'auront plus confiance dans les traités sur la non-prolifération, que cela augmentera le danger que les États que vous appelez «marginaux»—ou les autres types d'États que vous n'approuvez pas—amorcent une carrière de puissance nucléaire.
Parlant des Nations Unies, j'aimerais aussi mentionner que nous pourrions faire bon usage de notre temps et nos énergies ici en tentant de persuader nos collègues américains de faire tout en leur pouvoir pour que le congrès réunisse les sommes qui sont dues et qu'il a négligé de verser et qui permettent aux Nations Unies de fonctionner. Bien entendu, un des éléments entourant le fonctionnement des Nations Unies, un élément sur lequel les Canadiens se sont penchés, est la possibilité de mettre sur pied une force des Nations Unies, et peut-être ne sommes-nous pas encore prêts à cette éventualité, même si nous avons une grande confiance dans l'actuel secrétaire général.
Je suis persuadée que l'aspect que nous négligeons dans toute cette discussion est le fait que nous mettons en présence la force ou rien, ou encore la force ou le droit international. Il y a de nombreuses autres voies à emprunter à part l'usage de la force afin d'en arriver à des solutions satisfaisantes.
En terminant, deux autres points. D'abord, le train entre Montréal et Ottawa n'a pas circulé pendant 19 jours en janvier, et quiconque l'a pris par la suite a pu voir des images absolument irréelles de dévastation des installations électriques parce que les commandes avaient échoué... c'était simplement pour vous rappeler à quel point notre tâche est urgente.
Je voudrais ajouter une autre chose. Je pense que les mots «fin de la guerre froide» sont devenus une sorte de mantra qui n'a plus de sens. Il n'a plus de sens dans le cadre de nos activités habituelles au sein du système de défense de NORAD. Vous vous demandez qui est l'ennemi si vous avez tous ces moyens de défense et qu'il n'y a pas de guerre froide. Je pense que nous sommes en présence, comme le disait Simon, d'un sérieux problème de logique dans cette idée selon laquelle a) la guerre froide est terminée et b) vous continuez à fonctionner exactement comme vous l'avez fait au cours des 50 années précédentes.
• 1100
En terminant, j'aimerais informer le comité, s'il en a besoin,
que j'ai un exemplaire du rapport Smyth que j'ai obtenu en août
1945.
M. Daniel Turp: J'aimerais ajouter brièvement un point avant de conclure. J'ai beaucoup apprécié ces commentaires. Ils viennent d'une personne très sage et qui a beaucoup à nous apprendre. Mais je pense que ce que vous avez dit au sujet de—et je pense que je ne me ferai pas d'amis; car je ne m'en suis pas fait dans le passé—l'idée que les audiences de ce comité devraient être publiques et non à huis clos est un point pour lequel je devrai me battre devant ce comité plus que jamais, parce que mon expérience maintenant est que lorsque les gens témoignent à huis clos ils n'en disent pas plus que s'ils étaient devant un public. Vous avez souligné un bon point, et j'espère que notre président y sera sensible, et qu'il sera entendu par ceux qui insistent trop souvent pour que ces audiences soient à huis clos. Particulièrement dans le cadre du présent débat, rien ne devrait se faire à huis clos.
Dites cela à votre secrétaire d'État.
Le président: Nous avons eu deux audiences à huis clos du présent comité depuis le début du Parlement. Les membres peuvent choisir entre... Je pense que nous pouvons discuter de cette question nous-mêmes. De toute façon, j'apprécie la remarque du témoin à ce sujet.
Monsieur Reed.
M. Julian Reed (Halton, Lib.): Merci, monsieur le président.
Alors que j'écoutais la discussion, il m'a semblé que tous partaient d'une hypothèse erronée. Nous supposons tous que nous réagirons à la règle du droit alors que le fait est que les personnes qui sont la cause de tout ce tumulte et du chaos dans le monde, particulièrement aujourd'hui et à notre époque, ne respectent aucune règle de droit. Nous parlons d'adopter une position morale. C'est très bien en ce qui nous concerne, mais notre ennemi ne respecte aucune moralité dans ces situations. Nous parlons d'adopter une perspective de civilité. Le Canada est l'un des pays les plus civilisés du monde. Et pourtant, ceux qui causent tout ce chaos dans le monde ne connaissent aucune civilité. Nous supposons que nos ennemis pensent comme nous. De toute évidence, l'ennemi ne pense pas comme nous, parce que s'il le faisait, dans ce cas les négociations et les discussions et ainsi de suite deviendraient prépondérantes dans la résolution des conflits.
J'affirme à ceux qui soutiennent le maintien d'une force de dissuasion nucléaire, que nous avons dépassé ce stade actuellement, au point où les États marginaux qui n'ont ni la technologie ni la capacité financière de réunir une arme de destruction massive sont désormais en position de le faire très facilement. Vous pourriez brasser une petite bière maison et y ajouter très facilement une bonne quantité d'anthrax, la mettre ensuite dans une petite valise et jeter la panique absolue dans une ville surpeuplée quelque part sur la planète, ou encore à l'aide d'une arme chimique, si vous préférez. L'utilisation des armes chimiques a déjà été démontrée, et ce n'est pas très joli à voir.
J'aimerais entendre vos commentaires sur ce sujet. Il me semble que nous essayons de mettre de la civilité dans quelque chose qui n'a rien de civil.
Col Sean Henry: Je suis certainement d'accord avec cette affirmation, et je pense que c'est l'un des points que Vic Coroy a amenés. Les nations occidentales en particulier ne semblent pas comprendre entièrement ce qui se passe dans une grande partie du monde. Autrement dit, à l'échelle du monde entier, le cadre des règles de droit ne semble plus s'appliquer à de plus en plus de gens. D'un côté, il y aura toujours des États qui refuseront de s'y confirmer, de Adolph Hitler à Saddam Hussein et en passant par quelques autres. Il y aura toujours des États qui n'adhéreront pas à la règle de droit. Cela a toujours été ainsi.
• 1105
C'est un peu l'ancien contexte, mais je pense que le nouveau
est encore plus effrayant. C'est-à-dire que nous sommes en présence
de mouvements de masse populaire au sein des États, sur lesquels
les gouvernements n'ont aucun contrôle. Ces mouvements n'auront
aucun respect pour la règle de droit parce qu'ils voient celle-ci
comme un moyen utilisé par les gens qu'ils s'efforcent de combattre
pour les contrôler. Les peuples qui se rebellent dans des endroits
comme le Mexique, l'Algérie, l'Afghanistan et ainsi de suite en
sont des exemples.
Peut-être que les problèmes les plus sérieux à cet égard pourraient émerger en Indonésie. L'Indonésie pourrait se dissoudre en un vortex. Cela pourrait aussi se produire en Afrique du Sud.
Si vous êtes en présence de ce type de situation au cours de laquelle les populations rejettent la règle de droit et la remplacent par n'importe quoi d'autre leur permettant d'atteindre leurs objectifs, je peux vous garantir que les armes de destruction massive seront l'une des choses qu'ils utiliseront comme un atout majeur. Aussi je suis parfaitement d'accord, il s'agit d'un bon point.
Le président: Le suivant est M. Gardner suivi de M. Rosenblum et de Mme Newcombe.
M. Terrell Gardner: Monsieur le président, et monsieur Reed en particulier, à mon sens et je pense que c'est aussi la position de Science et paix, le respect de la règle de droit reste à démontrer. Nous devons nous demander, dans quel contexte pouvons-nous la démontrer? Où se trouve notre contrôle?
Nous ne pouvons pas contrôler directement Khadafi ni Hussein. D'un autre côté, si nous ne nous contrôlons pas nous-mêmes, nous avons perdu la partie. L'immoralité et la civilité auront donc perdu. Alors que nous restera-t-il?
Considérez notre situation. Pensez au fait que le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), dans son article 6, est ignoré par les puissances occidentales, par les puissances nucléaires, depuis sa signature. De nouveaux engagements ont été requis de la part de ces pays et ils ont été pris en 1995 lors de la conférence sur l'examen et l'extension du traité après 25 ans. L'engagement a été renouvelé: oui, nous travaillerons en toute bonne foi en faveur du désarmement nucléaire. Pourtant, rien de significatif ne s'est produit dans ce sens.
Le TNP, comme le disait Ann Gertler, sera probablement considéré, et je dirais qu'il est de plus en plus considéré et qu'il le sera encore plus, par les puissances non nucléaires, en particulier par celles qui sont parties dans ce traité, comme une terrible ironie, comme une grande injustice ainsi que comme un traité que nous allons allègrement violer. Nous leur apprenons à tricher en ne contrôlant pas le respect du droit de la part des États nucléaires. Nous avons une influence dans ce cas et nous devrions l'utiliser. Le Canada devrait faire usage de son influence.
En voici une bonne illustration: la décision prise par la Cour internationale de justice et la façon dont les États-Unis et le Royaume-Uni l'ont envoyée promener en déclarant: nous ne voyons pas pourquoi nous modifierions notre politique de dissuasion et nous avons l'intention de conserver nos armes nucléaires aussi longtemps que nous le jugerons essentiel à notre sécurité. Qu'est-ce que cette déclaration communique au reste du monde en ce qui concerne le respect du droit? C'est une simple question d'indifférence, ou encore de commodité. Si la cour rend une décision qui vous plaît, très bien, vous l'appuyez. Par contre, si elle rend une décision avec laquelle vous n'êtes pas d'accord, vous n'en tenez tout simplement pas compte. Nous allons donc tout simplement obtenir le monde que nous méritons et je pense que nous devons nous créer un meilleur monde.
Je m'en tiendrai à cela.
Le président: Merci, Monsieur.
Monsieur Rosenblum et madame Newcombe.
M. Simon Rosenblum: Monsieur Reed, je représente une organisation qui accorde beaucoup d'importance à la codification et à l'élaboration du rôle du droit international, de la règle de droit et du respect que l'on doit y accorder. Nous pourrions, dans d'autres circonstances, élaborer un éventail d'utilisations et de situations appropriées pour un tel développement.
Mais si vous me permettez de faire une analogie, lorsqu'il est question de la primauté du droit à l'échelle nationale, c'est-à-dire lorsque nous parlons du système de justice criminelle, tout un chapelet de mesures y sont rattachées, parmi lesquelles certaines sont d'ordre social, d'autres sont passives en ce qui a trait à leur encouragement, mais de façon définitive, il existe un véhicule de mise en application qui est toujours lié à un système de justice criminelle. Je suggère que pour obtenir le respect de la primauté du droit à l'échelle internationale il faille d'abord passer par la mise en place d'un régime d'application approprié. Il s'agit d'un travail très complexe et comportant plusieurs dimensions qui se déroule actuellement, si vous me permettez.
Encore une fois, pour pousser l'analogie un peu plus loin, nous avons choisi, à l'instar d'autres pays, dans le cadre de ce système de justice criminelle, de ne pas faire appel à la peine capitale. Certains pensent que c'est immoral, et d'autres sont d'avis qu'il ne s'agit pas d'un moyen de dissuasion crédible. Je suggère que nous pourrions tirer certains enseignements de cela aussi.
De plus, j'ai été intrigué lorsque le président, M. Graham, a suggéré que la question de l'Irak et son rapport avec Israël pourraient être d'un grand intérêt pour le comité dans ses efforts pour tirer des enseignements concernant le bien-fondé de la politique d'engagement à ne faire usage en premier des armes nucléaires. Étant donné qu'en ce moment, j'agis plus ou moins à titre de spécialiste des questions israéliennes, laissez-moi vous dire que, de prime abord, il n'était pas évident pour personne, y compris les Israéliens, que la réponse à une attaque de type classique ou même à une agression chimique de la part de l'Irak aurait nécessairement été de nature nucléaire.
Israël est dotée d'une force de dissuasion classique extrêmement puissante qui, si elle était déchaînée à sa pleine puissance, pourrait dévaster l'Irak. Mais laissez-moi aussi vous suggérer qu'un grand nombre d'autres facteurs jouent dans cette situation, et qu'ils avaient très peu à voir, ironiquement, avec la force de dissuasion d'Israël, qu'il s'agisse de la force classique ou nucléaire. Bien entendu ces moyens de dissuasion nucléaires sont en quelque sorte en suspens.
Un certain nombre de raisons expliquent pourquoi Saddam Hussein ne se risquerait pas à attaquer Israël, particulièrement à l'aide d'armes biologiques mais aussi avec n'importe quel autre type d'arme. Premièrement, cela aurait pour effet d'élargir la coalition. La dernière chose que Saddam désire à ce moment-ci est de permettre aux États-Unis et à la Grande-Bretagne de réunir un grand nombre d'autres acteurs. Cette action aurait eu pour effet de donner le feu vert à Clinton et à Blair et leur aurait permis d'attirer beaucoup plus d'alliés.
Deuxièmement, en ce qui a trait aux armes de destruction massive, actuellement Saddam Hussein désire les tenir secrètes peu importe ce qu'il a en main—et nous savons que vraisemblablement il possède un certain nombre de chacune des armes de destruction massive, à la fois biologiques et chimiques. Il doit les tenir cachées. Si jamais il commençait à s'en servir, bien entendu il révélerait leur emplacement et, que ce soit au moyen de l'imagerie par satellite ou de quelque autre moyen, il se trouverait à créer immédiatement les conditions qu'il refuse absolument. En d'autres mots, elles deviendraient la cible d'une attaque immédiate.
Il existe une quantité d'autres raisons qui ont très peu à voir avec la supposée force de dissuasion nucléaire d'Israël, et je pense que le comité s'aventurerait sur un terrain très glissant s'il commençait à fonder son raisonnement sur la base de la politique d'engagement à ne pas faire usage en premier des armes nucléaires, dans ce cas particulier.
Le président: Merci. Vos remarques sont très utiles.
Croyez-moi, je reconnais que nous sommes à considérer un kaléidoscope extraordinairement complexe. C'est aussi un objet en mouvement. Je n'ai certainement pas voulu vous donner l'impression qu'un exemple devait nous servir de point d'appui pour bâtir l'ensemble de notre raisonnement.
Madame Newcombe.
Mme Hanna Newcombe: Je suis d'accord sur le fait que toutes les nations ne respectent pas le droit international et que cela constitue un danger. Il s'agit vraiment d'un bon argument en faveur d'un droit international positif, ce qui est le but visé par les fédéralistes mondiaux bien entendu.
Le droit national est assorti de moyens d'en assurer l'application comme l'a fait remarquer M. Rosenblum, par l'entremise du système policier et des tribunaux. Il est nécessaire de se doter des mêmes moyens à l'échelle internationale, probablement par l'entremise d'un renforcement des Nations Unies. Cela constituerait au moins une partie de la solution au problème qui vient d'être décrit. C'est une direction que nous devrions prendre.
Le problème avec l'imposition de la force militaire, à mon sens, est qu'elle cause des préjudices aux civils plutôt qu'aux dirigeants qui sont les vrais coupables. C'est un peu comme si nous avions toujours la peine de mort mais que nous exécutions la mauvaise personne. Réfléchissez à cette question.
La plupart des victimes des conflits modernes sont maintenant des civils—je crois que les derniers chiffres disponibles tournaient autour de 90 p. 100—et un grand nombre d'entre eux sont des enfants. Les enfants n'ont commis aucun crime de guerre dont ils devraient être punis. La dissuasion n'a donc aucun sens. Par conséquent, les actions de combat ne conviennent pas à la situation.
Les chefs politiques qui se rendent coupables de complots afin d'organiser des conflits armés devraient être traduits devant une cour criminelle internationale, et c'est précisément ce que les Nations Unies sont en train de faire. Elles sont en train de l'essayer dans l'ancienne Yougoslavie. Ce n'est pas encore une réussite pleine et entière mais, lorsqu'il s'agit d'innover sur le plan social, on obtient rarement le succès dès la première tentative, n'est-ce pas? La situation doit évoluer. Et l'évolution en ce qui concerne les arrangements sociaux prend toujours un certain temps.
J'ai de grands espoirs qu'une cour criminelle internationale existera un jour. Les chefs politiques coupables des soi-disant États marginaux devraient être traduits devant ces tribunaux. C'est de cette façon que la primauté du droit devrait être maintenue à l'échelle internationale.
Le président: J'espère que vous êtes au courant que le gouvernement du Canada est l'un des plus fidèles supporters du projet de cour criminelle internationale.
M. Julian Reed: Nous essayons d'appréhender des criminels en Bosnie à l'heure actuelle, mais sans succès. Ce serait merveilleux d'appréhender Saddam Hussein, mais dites-nous comment procéder. Quel est le mécanisme pour y arriver?
Même si vous disposez d'un tribunal international et ainsi de suite, le processus n'est pas très clair et, de toute évidence, il n'aura pas grand succès. Actuellement nous avons aussi la question du Rwanda à régler. Nous essayons de mettre en place le même processus, mais comment peut-on traduire toute une population en justice?
Mme Hanna Newcombe: Ce n'est pas très clair à l'heure actuelle, je l'admets. Je pense que nous allons finir par trouver un moyen de faire fonctionner tout cela. Je ne sais pas exactement comment nous devrions procéder. Peut-être devrions-nous même envisager l'enlèvement d'un chef politique. L'autre solution consisterait à les juger par contumace, ce qui les exposerait au jugement du public à l'échelle internationale. Ils ne pourraient plus voyager à l'extérieur de leur pays. Ils se sentiraient constamment en danger personnel d'être appréhendés. Cela constituerait une certaine forme de punition initiale, mais d'autres moyens restent à inventer.
Nous sommes justement à inventer un monde entièrement nouveau. C'est de cette façon que nous l'envisageons. C'est un peu comme l'évolution, qui est imprévisible. Je ne peux pas vous donner la recette exacte, mais nous devons continuer d'essayer et de recueillir des opinions sur la meilleure façon de procéder.
• 1120
Mettre en place des procédures légales à l'échelle
internationale contre les chefs politiques agressifs est d'une
importance extrême. Nous devons y travailler.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur McWhinney et puis monsieur Assadourian.
M. Ted McWhinney: Merci. J'aimerais interroger le groupe, et peut-être ceux qui n'ont pas encore parlé, au sujet de la relation qu'il voit entre ce qu'il propose, le désarmement nucléaire et les changements d'ordre général dans la structure et les institutions de l'ordre public mondial.
L'un des aspects fascinants dans la résolution apparemment rapide du dernier conflit de la guerre du Golfe est le rôle accru du secrétaire général des Nations Unies. Nous avons appuyé Boutros-Ghali la première fois—M. Mulroney l'a fait—et nous l'avons appuyé la deuxième fois pour sa réélection. Comme vous le savez, il était assez controversé parce que, entre autres choses, il était perçu comme un secrétaire général trop fort.
Il est très évident que M. Kofi Annan ne se considère pas comme un simple délégué du Conseil de sécurité; il a négocié avec un degré considérable de liberté et de flair. Il me rappelle un peu Dag Hammarskjöld même si j'espère que la fonction change avec la personnalité.
J'aimerais connaître votre réaction aux changements apportés aux institutions et aux titulaires, et au sujet de la nouvelle confiance placée dans le secrétaire général. Est-il en mesure de livrer la marchandise? Dans quelle mesure est-ce que cela touche votre proposition?
Deuxièmement, en ce qui concerne la Cour criminelle internationale, il est évident qu'il s'agit d'une question de politique canadienne. Le ministre s'y est engagé. La Cour criminelle internationale aurait une compétence générale et devrait de toute évidence avoir aussi compétence sur les forces des Nations Unies, sur leur conformité aux décisions du Conseil de sécurité, aux autres résolutions ainsi que sur le respect du droit de la guerre.
L'expérience que nous avons connue avec les tribunaux ad hoc à partir de la Première Guerre mondiale, et même des expériences limitées après la guerre, n'a pas été particulièrement heureuse, mais j'aimerais connaître vos commentaires, Madame Newcombe. Nous avons correspondu au cours des années antérieures, mais je n'ai jamais eu le plaisir de vous rencontrer, aussi soyez la bienvenue. Quelles sont vos réactions au nouveau secrétaire général et à ses initiatives évidentes? Il est certainement allé au-delà de ce que vous pourriez interpréter comme son rôle bureaucratique limité. Étant donné que j'ai eu l'occasion de travailler avec M. Hammarskjöld, je suis toujours intéressé à voir émerger un secrétaire général fort.
Mme Hanna Newcombe: L'actuel secrétaire général fait un excellent travail, de toute évidence. Mais il nous faut créer de toutes pièces les rouages aussi, le succès ne dépendra pas d'une seule personne.
Si le secrétaire général doit disposer de plus de pouvoirs qu'il n'en a à l'heure actuelle, ses pouvoirs devront être décrits d'une manière constitutionnelle et préciser ce qu'il est en mesure de faire et les limites qui lui sont imposées. Je ne crois pas en une structure très centralisée. De toute évidence, nous avons besoin d'une organisation à l'échelle mondiale, parce qu'il y a presqu'un vide à l'heure actuelle, mais ça ne devrait pas devenir une dictature mondiale. Aussi il nous faut procéder avec soin et nous doter de garanties constitutionnelles. Nous savons comment procéder à cet égard.
M. Ted McWhinney: Mais les sept pays ont fonctionné en vertu de la charte des Nations Unies. Il n'y a pas grand chose à dire à ce sujet. C'est un peu comme la fonction de premier ministre, elle n'est pas définie non plus dans la Constitution. Il y a tellement de choses qui dépendent des coutumes et des conventions. Vous aimeriez articuler tout cela, n'est-ce pas?
Le président: Est-ce que quelqu'un d'autre désire répondre?
Col Sean Henry: Tout d'abord, en ce qui concerne M. Annan, il est difficile de juger à l'heure actuelle. Nous ne savons toujours pas si cette initiative sera couronnée de succès ou non.
M. Ted McWhinney: Pour ce qui est de sa réussite, mais non en ce qui a trait à ce qu'il a fait, de toute évidence. Il ne s'est pas vu comme un simple commis, se chargeant de...
Col Sean Henry: Non non, mais ceci étant dit, il faut comprendre qu'il n'aurait pas fait ce qu'il a fait et qu'il n'aurait pas transmis le message qu'il a transmis sans l'accord, au moins tacite, des États-Unis. Vous ne pouvez pas y échapper. Les États-Unis sont très heureux de voir Kofi Annan procéder dans le cadre d'un projet comme celui-ci, dans la mesure où cela s'effectue dans leur intérêt. Je pense qu'il faut regarder la situation en face.
M. Ted McWhinney: M. Turp a posé la question en Chambre hier, et le ministre, de façon tout à fait appropriée, a refusé d'y répondre. On ne répond pas à des questions hypothétiques. Mais j'aurais pensé que ce que vous venez tout juste de dire avait été remis en question par M. Turp, à tout le moins.
Le président: Étant donné que M. Turp n'est pas ici...
M. Ted McWhinney: C'est curieux. Il a bien soulevé la question, et le ministre de façon tout à fait appropriée il me semble—il s'agissait d'une question hypothétique—n'y a pas répondu.
Le président: Monsieur Assadourian.
M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Merci beaucoup.
J'aimerais tout d'abord faire quelques observations. Vous avez mentionné un peu plus tôt de quelle façon les armes de Saddam Hussein et celles des Israéliens s'affrontaient. Je pense que ce qui se passe ici est une forme de course aux armements. Que cela nous plaise ou non, il s'agit d'une course aux armements dans la région. Qui a commencé et qui l'encourage, cela reste à déterminer, mais le fait est qu'il y a une course aux armements actuellement au Moyen-Orient.
Deuxièmement, en ce qui concerne la possibilité de traduire les criminels en justice. Il y a seulement quelques mois de cela, je me rappelle l'avoir lu dans les journaux, nous avions posé des questions à ce sujet à la Chambre des communes, des questions au sujet de Pol Pot qui a tué un million de ses concitoyens. Il a été appréhendé et devait être traduit en justice, mais personne n'a eu le courage de l'amener devant un tribunal international criminel. Nous sommes en mesure de poursuivre les individus qui ont commis un meurtre, mais il me semble que si vous avez tué un million de personnes, en particulier des concitoyens, la justice internationale semble impuissante.
J'en arrive à ma question. Vous avez mentionné un peu plus tôt que cinq États sont des puissances nucléaires, que trois semblent posséder des armes nucléaires et que dix-huit en feront l'acquisition. Nous savons comment cinq pays faisant partie du Conseil de sécurité ont procédé pour en faire l'acquisition. Corrigez-moi si je me trompe. Deux de ces pays les ont obtenues de nous, après la vente de réacteurs CANDU. L'Inde, du moins, a procédé de cette façon. À cause de l'Inde, le Pakistan s'est aussi équipé. Je ne sais pas si Israël est en mesure de fabriquer ou de construire des armes nucléaires. Pouvez-vous nous dire si les autres dix-huit pays sont équipés d'armes nucléaires ou de quelle manière ils pourraient procéder pour constituer leurs propres armes ou bombes atomiques?
La première question est comment les trois premiers ont-ils acquis leurs armes nucléaires, c'est-à-dire Israël, l'Inde et le Pakistan... et si vous pouvez nommer les dix-huit autres pays, ceux que vous avez à l'esprit, et comment ils pourraient se procurer la technologie nécessaire pour fabriquer une bombe nucléaire.
Col Sean Henry: Blâmer le Canada pour l'Inde et le Pakistan serait peut-être aller un peu trop loin, mais en même temps, il est admis que la technologie nucléaire fournie par le Canada a été un facteur dans leur aptitude à construire des bombes. Je pourrais vous dire la même chose en ce qui les concerne et pour les seize autres pays. S'ils n'avaient pas obtenu leur technologie du Canada, ils l'auraient probablement obtenue de quelqu'un d'autre, parce que, une fois de plus, le génie est sorti de la lampe et le temps passe. Mais je ne veux pas utiliser cet argument comme une excuse.
Dans la majorité des cas, la technologie a été dérivée de l'utilisation de l'énergie nucléaire pour produire de l'électricité, en particulier, et pour ceux qui désiraient fabriquer leurs propres armes nucléaires, cette aptitude était la première étape. Mais ce n'est pas la seule étape. De nombreuses autres choses ont été faites. Dans le cas d'Israël, je pense qu'il est pratiquement sûr que le pays a obtenu l'aide des États-Unis, dans une plus ou moins grande mesure, et plus ou moins dans le contexte de l'énergie nucléaire. De plus, Israël possède en propre les aptitudes scientifiques nécessaires pour accomplir de grandes choses.
Il s'agit donc d'une combinaison de facteurs. Dans la majorité des cas, les pays obtiennent la technologie nucléaire pour produire de l'électricité, puis ils partent de là pour élaborer leurs programmes nucléaires. Par contre, certains ont obtenu une aide directe en collaborant avec des puissances nucléaires d'une autre manière. C'est le lien présumé disons entre Israël et l'Afrique du Sud. D'autres nations, dont je ne peux dire le nom, se trouvent probablement dans la même situation, en particulier...
M. Sarkis Assadourian: Nous ne sommes pas à huis clos maintenant vous pouvez mentionner tous les pays que vous voulez. Allez-y.
Col Sean Henry: Je préfère ne pas les nommer. Je dirai simplement que le lien entre Israël et l'Afrique du Sud est un bon exemple d'une collaboration qui ne repose pas entièrement sur la technologie des réacteurs nucléaires. Je pense avoir raison en affirmant que l'énergie nucléaire est le principal facteur, mais qu'il en existe d'autres.
M. Sarkis Assadourian: Avant que les autres passent à leurs questions, puis-je faire un commentaire?
Vous avez mentionné, Colonel Henry, qu'une fois que le génie est sorti de la lampe, il est très difficile de l'y ramener. Est-ce que vous êtes en train de dire que si nous ne donnons pas notre technologie, l'Allemagne le fera à notre place? Si ce n'est pas nous qui le faisons, quelqu'un d'autre le fera et réalisera des profits. Est-ce réellement ce que vous essayez de nous dire?
Col Sean Henry: Encore une fois, d'une manière générale, oui, même si je ne voudrais pas affirmer que le régime de non-prolifération nucléaire ne fait pas son travail. Je pense que ce programme obtient des résultats. La difficulté tient au fait qu'il n'existe pas de solution parfaite dans la vie humaine. Lorsque nous tentons de régler un problème comme celui des armes nucléaires, il vaut mieux avoir compris cela. Le régime de non-prolifération des armes nucléaires accomplit une tâche presque parfaite, mais elle n'est pas parfaite.
Dans le cadre de ce régime, certains moyens sont utilisés en public que les gens connaissent, mais croyez-moi, il existe d'autres moyens—ce que nous appelons les moyens techniques nationaux, en particulier ceux qui sont mis à la disposition des États-Unis, mais aussi de la Russie—qui sont utilisés aussi et qui sont terriblement efficaces. Ces moyens peuvent nous dire exactement ce qui se passe.
Ceci étant dit, il existe des secteurs, particulièrement en Russie—les armes nucléaires tactiques de l'ancienne Union soviétique—où nous ne savons pas ce qui se passe. C'est très inquiétant. Des nations comme la Corée du Nord, et la Chine jusqu'à tout récemment, ont choisi de ne pas adhérer à ce régime et continuent à aider des pays comme l'Iran à monter un programme nucléaire.
Je dirais qu'une fois que le génie est sorti de la lampe, il convient de faire le maximum pour le contrôler. Mais entreprendre quelque action radicale et dire: «Très bien, nous avons toutes les signatures sur un traité, nous avons résolu le problème. Il n'y a plus d'inquiétude à avoir, le problème des armes nucléaires est résolu», je pense que ce serait terriblement naïf et dangereux.
Le président: Merci.
Monsieur Rosenblum, très rapidement. Nous manquons de temps, aussi vous devrez faire de très brèves interventions. Nous avons une autre réunion.
M. Simon Rosenblum: Une simple mise en garde en ce qui a trait au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, qui est un traité d'une valeur extraordinaire. Si nous prenons le cas de l'Irak, tout le monde pensait que cela se passait très bien, grâce au régime d'imposition lié au TNP. Nous croyions pouvoir nous protéger contre une infraction. Mais tout le monde a été pris de court, parce que l'ont avait envisagé l'angle du plutonium alors qu'en fait l'Irak a procédé à l'insu de tous, à rabais si vous voulez, en utilisant de l'uranium enrichi et quoi d'autre, au moyen d'un trafic d'armes insidieux qui se poursuit toujours, et qui consiste à recueillir des morceaux de diverses provenances. Par conséquent, il ne faudrait pas trop faire confiance au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et penser qu'il est à toute épreuve.
Le président: Merci.
Madame Gertler.
Mme Ann Gertler: J'ai mentionné 1945 au début de mon témoignage. Je tiens simplement à dire que les États-Unis ont fait un travail remarquable en réussissant à tenir le projet Manhattan secret. Mais en même temps, lorsqu'ils l'ont rendu public, ils ont produit un document signé par Smyth dans lequel on expliquait la fabrication de la bombe. J'ai toujours pensé que ce document, qui était un communiqué de presse, renfermait suffisamment d'information pour permettre à n'importe quel pays dans le monde de fabriquer la bombe.
Le président: Alors, dans ce cas, pourquoi ces gens sont-ils allés en prison et ont-ils été fusillés pour avoir traité avec les Soviétiques s'ils avaient mis ces renseignements dans leurs propres communiqués de presse?
Mme Ann Gertler: Je ne sais pas.
Le président: C'est un mystère que nous...
Mme Ann Gertler: C'était probablement aussi irrationnel que l'actuelle tentative de faire la guerre dans le Golfe.
Le président: Merci beaucoup à tous.
J'aimerais remercier les membres de notre comité de ce matin. Ils nous ont été très utiles, et ils continueront très certainement de s'attaquer à ces questions.
Certains des points que vous avez soulevés au sujet de la procédure... nous essayons de communiquer avec nos collègues américains, comme certains témoins l'ont suggéré. Nous avons l'intention de parler au plus grand nombre possible d'ONG, à la fois en Amérique du Nord et au Canada. Nous espérons que lorsque vous obtiendrez une copie de notre rapport vous verrez qu'il s'agit d'un sujet qui fera constamment l'objet d'une discussion. Nous espérons, à tout le moins, que nous pourrons enrichir le débat. Votre prestation de ce matin nous a permis de mieux comprendre la situation.
Merci à tous encore une fois.
Le comité se réunira encore une fois jeudi à 9 heures. La séance est levée.