JURI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS
COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 12 février 1998
[Traduction]
La présidente (Mme Shaughnessy Cohen (Windsor—St. Clair, Lib)): La séance est ouverte.
Nous reprenons nos travaux sur le projet de loi C-3, Loi concernant l'identification par les empreintes génétiques. Nous examinons également le projet de loi C-104 sur l'analyse génétique qui a été présenté au cours de la 35e législature.
Nous accueillons aujourd'hui, du Bureau du Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, M. Bruce Phillips, commissaire, et M. Eugene Oscapella, conseiller.
M. Jack Walsh devait aussi comparaître devant le comité. Viendra-t-il plus tard?
Le greffier du comité: Oui.
La présidente: Monsieur Phillips, vous avez comparu devant le comité à de nombreuses reprises. Nous serons heureux d'entendre votre exposé et nous vous poserons ensuite quelques questions.
M. Bruce Phillips (Commissaire à la protection de la vie privée au Canada): Madame la présidente, merci de bien vouloir m'accorder l'occasion de saluer certains membres du comité que je connais bien et de saluer aussi ceux que je n'ai pas encore eu le privilège de rencontrer.
Il s'agit d'un sujet important. Nous avons déjà comparu devant le comité sur la question. Nous avons fait connaître notre position au sujet du projet de loi C-104 qui est mort au Feuilleton lors de la dernière législature. Notre position n'a essentiellement pas changé avec le dépôt du projet de loi C-3. Nous voulons cependant attirer votre attention sur une grave lacune du projet de loi ainsi que sur quelques difficultés mineures qu'il pose.
Je sollicite l'indulgence des membres du comité qui ont déjà assisté à mes soumissions en tant que Commissaire à la protection de la vie privée, pendant que j'explique brièvement aux nouveaux membres mon rôle et la signification étendue de cette valeur dont vous m'avez confié la défense.
Pour étudier en profondeur cette valeur et les options offertes pour la défendre, je vous recommande de parcourir le rapport du précédent Comité permanent sur les droits de la personne présidé par l'honorable Sheila Finestone. Après avoir consacré deux années d'étude à la question de la protection de la vie privée, le comité a publié un rapport intitulé La vie privée: où se situe la frontière? C'était un document excellent. Comme il a été déposé à la veille des élections, il n'a pas suscité beaucoup d'attention, mais quiconque veut étudier ce sujet le trouvera très utile.
Le moment est certainement bien choisi pour réfléchir au sein de ce comité et ailleurs à vos responsabilités puisque le problème de la protection de la vie privée se pose dans de nombreux domaines et de façon très concrète.
Le gouvernement du Canada prépare un projet de loi qui assurerait la protection de la vie privée tant dans le secteur privé que public. Les gouvernements fédéral et provinciaux ainsi que d'autres intervenants concertent leurs efforts pour mettre sur pied un réseau national d'information sur la santé, ce qui soulève beaucoup de questions au sujet de la protection de la vie privée. Le projet de loi dont le comité est maintenant saisi s'inscrit dans cette approche.
La question fondamentale qui se pose, en particulier pour les législateurs, c'est de savoir dans quelle mesure les citoyens seront soumis à des mesures de surveillance croissante à diverses fins publiques. Nous vivons déjà dans une société où la surveillance est grande, et si vous voulez discuter de questions auxquelles personnellement je trouve à redire, je vous renvoie au débat actuel portant sur l'utilisation des déclarations faites aux douanes aux fins de l'application de la Loi sur l'assurance-emploi.
La vie privée est plus que le simple droit à l'information. C'est une valeur qui touche tous les aspects de notre vie quotidienne et qui est au coeur de notre autonomie et de notre liberté individuelle.
Pour employer les mots d'un ancien juge de la Cour suprême, Gérald La Forest, la vie privée est au coeur même de la liberté dans un État moderne. C'est un droit individuel, mais c'est aussi un droit de la société en général qui a une grande valeur pour celle-ci. C'est une valeur en fait fondamentale à une société qui fait preuve de civisme, parce qu'elle donne une idée exacte du respect que nous avons les uns pour les autres. Si vous ne respectez pas ma vie privée, vous ne m'accordez pas la liberté à laquelle j'ai droit comme citoyen d'un pays libre. Nous pouvons tous dire la même chose.
• 1545
Ces définitions ont cours depuis des siècles... Vous verrez
qu'on reconnaît une valeur au moins indirecte à la protection de la
vie privée dans les dispositions de la Grande Charte portant sur
les fouilles et la saisie. Voilà où remontent les définitions
juridiques. Aujourd'hui, la question de la protection de la vie
privée revêt une importance encore plus grande en raison de
l'impact des nouvelles technologies de l'information. Le comité
étudie notamment les empreintes génétiques qui soulèvent des
questions très importantes pour ce qui est de la protection des
droits civils.
La génétique constitue certainement, de façon générale, un sujet fascinant. Elle est de toute évidence très importante dans le contexte de l'application de la loi. La génétique peut être un outil qui permettra de grandement améliorer l'application de la loi et de trouver et de condamner ceux qui ont commis des crimes. Elle offre aussi la possibilité de libérer et d'exonérer des gens qui ont été soupçonnés d'avoir commis des crimes. C'est ce qui s'est produit pour Milgaard et Guy Paul Morin. D'autres cas semblables surviendront sûrement.
Il s'agit donc de savoir comment utiliser cet outil comme un scalpel aigu et précis qui permettra de condamner ceux qui ont commis des crimes violents graves. Compte tenu des graves conséquences que comporterait une mauvaise utilisation des preuves provenant de l'analyse génétique, ce n'est pas un outil dont on devrait se servir dans tous les types d'affaires.
Si l'objectif ultime qu'on vise est d'en arriver à un système d'application de la loi qui approche de la perfection, je suppose qu'on pourrait s'y prendre de plusieurs façons, notamment en permettant un usage illimité des preuves provenant des analyses génétiques. On compromettrait aussi du même coup l'assise sur laquelle se fondent nos droits civils. Je sais que ce n'est pas votre objectif et ce n'est certainement pas le mien. Il faut en arriver à un équilibre entre les intérêts de la société, les exigences en matière d'application de la loi qui visent à protéger notre sécurité personnelle, notre sécurité personnelle et les droits de la personne qui résultent de siècles d'interaction humaine.
J'attire votre attention sur un exemple qui montre bien que certaines personnes sont prêtes à aller trop loin. Au cours d'un débat à la Chambre des communes britannique, le commissaire de la police métropolitaine du Royaume-Uni a proposé qu'on fasse un prélèvement aux fins de l'analyse génétique dès la naissance sur tous les mâles. Le commissaire a fait remarquer que cette mesure serait coûteuse, mais qu'elle aiderait beaucoup la police.
Il avait sans doute raison. Le Parlement britannique et la société britannique reconnaîtraient cependant que dès leur naissance on soupçonne tous les enfants mâles de commettre éventuellement un crime violent. Je ne pense pas qu'on veuille aller aussi loin. On ne l'a pas encore fait.
Je crois qu'au Canada on a abordé de façon raisonnable et sensée la question de l'utilisation des analyses génétiques comme preuve. À mon avis, le projet de loi C-104 et maintenant le projet de loi C-3 établissent un juste équilibre entre la protection de la vie privée et l'application de la loi. Le projet de loi comporte cependant quelques lacunes dont j'aimerais maintenant vous parler. Pardonnez-moi ce préambule.
La question est de savoir dans quelle mesure la création d'une banque d'échantillons d'ADN favoriserait l'application de la loi sans pour autant compromettre le respect des droits civils. Le projet de loi va un peu plus loin que celui de 1995, car même s'il était alors prévu de permettre des prélèvements d'ADN en vertu d'un mandat dans certaines circonstances, il n'était pas question de l'entreposage et de la conservation de ces échantillons.
À mon avis, voici les questions qui se posent. Ce genre de banque permettra-t-elle d'accroître notre sécurité? Les risques inhérents à sa création se justifient-ils? Permettra-t-elle ce que les gens appellent des utilisations secondaires?
Je crois qu'on comprend bien ce que je veux dire par «utilisation secondaire». Le gouvernement du Canada notamment s'est rendu compte que lorsqu'on crée des banques de données, les techniciens, les scientifiques et les chercheurs finissent par trouver des façons de les utiliser à d'autres fins. Compte tenu de la façon dont se présente la disposition dans le projet de loi, je crains que cela risque fort de se produire.
• 1550
Si vous voulez un exemple pratique de ce genre de problème,
prenons le cas des dossiers de Revenu Canada. Bien entendu, Revenu
Canada a toutes sortes de renseignements personnels sur la plupart
d'entre nous, du moins à propos de ceux d'entre nous qui
remplissent des déclarations d'impôt sur le revenu. Les lois de
Revenu Canada contiennent des dispositions très strictes pour
protéger l'aspect confidentiel de ces dossiers. Cependant, Revenu
Canada et d'autres ministères du gouvernement se sont arrangés pour
créer plus de 20 exceptions à la règle de la confidentialité pour
permettre d'utiliser les renseignements de l'impôt sur le revenu à
d'autres fins. Je ne crois pas que ce soit un fait de notoriété
publique. Bien entendu, dans chaque cas d'exception, on a présenté
une justification pour utiliser ces renseignements à d'autres fins.
Néanmoins, cela constitue à mon avis, un accroissement des
utilisations secondaires que n'envisagent pas ceux à qui l'on
demande de fournir ces renseignements pour l'impôt sur le revenu
et, bien entendu, c'est une question qui va au coeur même d'une
bonne loi sur la protection des renseignements personnels.
On nous propose maintenant un système pour l'entreposage et la conservation des échantillons d'ADN. Ni la Commission ni moi n'avons d'objection à cette proposition si l'on s'arrête là.
Bien entendu, la différence entre un échantillon et une empreinte d'ADN est la différence entre moi-même et les auteurs du projet de loi. Si la banque d'ADN doit contenir les renseignements sur les empreintes génétiques, puisque c'est uniquement de cette façon que ces renseignements peuvent être vraiment utiles pour résoudre et détecter le crime, sans contenir l'échantillon lui-même qui a servi à prélever l'empreinte d'ADN, très bien.
Cependant, si la banque contient l'échantillon lui-même, il y aurait un grave danger d'utilisation secondaire. C'est arrivé dans tous les autres cas où l'on a créé des banques de données et je ne vois pas pourquoi cela n'arriverait pas ici.
Je préférerais de beaucoup qu'une banque d'ADN contienne uniquement les empreintes d'ADN produites à partir des échantillons et qu'on détruise les échantillons mêmes.
S'il y en a qui pensent que cela risque de faire obstacle plus tard d'une façon quelconque à l'utilisation efficace du profil d'ADN pour résoudre des crimes, on pourrait inclure dans le projet de loi une disposition demandant un examen de la loi dans moins de cinq ans, par exemple dans trois ans. Nous pourrions revenir sur cette question et, si les forces policières disaient à ce moment-là que la loi les empêche d'utiliser efficacement les renseignements produits par l'ADN, nous pourrions réévaluer cette mesure. À mon avis, nous devons faire preuve de prudence au départ et faire le premier pas pour commencer au lieu de sauter au deuxième.
J'imagine que ceux d'entre vous qui n'avaient pas eu l'occasion de faire leurs propres recherches sur les nombreuses choses auxquelles peuvent servir les renseignements sur l'ADN, par exemple, l'établissement de profils qui viseraient à identifier ceux qui montrent des prédispositions au crime, ont maintenant été renseignés sur la question lors de vos discussions précédentes. La science de l'ADN est en train d'examiner toutes sortes de questions de ce genre. Pour ma part, je n'arrive pas à croire que les chercheurs, surtout dans le domaine de la criminologie, ne voudront pas d'ici peu avoir accès aux échantillons d'ADN pour effectuer de telles recherches scientifiques de base. C'est une chose qui doit nous préoccuper.
Par exemple, il n'y a pas tellement longtemps, il y a eu la célèbre affaire de l'ADN XYY. Certains scientifique européens avaient posé comme hypothèse que ceux qui possèdent le chromosome XYY étaient prédisposés au crime. À l'époque, c'était généralement accepté comme un fait scientifique établi. Les forces policières d'un peu partout dans le monde ont commencé à réclamer qu'on identifie ce syndrome XYY. On pourrait mettre une cloche au cou des personnes touchées par le syndrome XYY, comme s'il s'agissait de lépreux, pour que nous sachions toujours où elles sont. Cependant, par la suite, des recherches plus poussées ont prouvé que cette théorie était tout à fait sans fondement.
• 1555
Il est très facile de commettre de graves erreurs qui
pourraient avoir des conséquences néfastes à long terme pour l'être
humain.
Il y a un autre aspect de ce projet de loi, non pas tellement ce qui s'y trouve que ce qui ne s'y trouve pas, qui mérite à mon avis d'être précisé. Il s'agit de la question de ces gens qui, en bons citoyens, fournissent d'eux-mêmes des échantillons d'ADN pour aider les responsables de l'application de la loi. On ne dit rien quant à ce qui doit être fait des échantillons ainsi prélevés.
Je vous donne un exemple du genre de problème qui pourrait se poser. L'an dernier, à Vermilion, la GRC a demandé aux habitants de la collectivité, aux hommes, de leur donner des échantillons d'ADN afin de les aider à éliminer des suspects et à retrouver possiblement la personne recherchée pour une infraction sexuelle grave. Des centaines d'hommes de la localité de Vermilion ont donné un échantillon et ont bien sûr été exonérés. Je ne sais pas si la GRC a fini par retrouver la personne qu'elle recherchait, mais il n'y aurait eu de toute façon qu'un échantillon parmi les quelques centaines qu'elle a recueillis dont elle aurait eu besoin.
Selon moi, dès qu'ils sont exonérés, ces gens-là ont le droit d'exiger que toutes les traces de cet échantillon et tout ce qui aurait pu en être tiré soient détruits. Jusqu'à maintenant, la GRC se contente de détruire les échantillons, mais elle conserve les résultats des analyses. Autrement dit, elle conserve les empreintes digitales de quelques centaines de personnes qui, en bons citoyens et en réponse à un besoin qui se faisait sentir dans leur collectivité et qu'ils comprenaient, se sont présentés volontairement pour donner un échantillon et, bien qu'on ait prouvé hors de tout doute qu'elles n'avaient aucun lien avec le crime sur lequel enquêtait la police, on a néanmoins conservé leurs empreintes digitales.
Cela est inacceptable à mon avis. Non seulement c'est inacceptable, mais la protection accordée à ces personnes est moindre en quelque sorte que celle qui est accordée à ceux qui sont soupçonnés d'avoir commis un crime et qui pourraient être obligés aux termes d'un mandat de donner un échantillon d'ADN. Car, dans le cas de ces personnes, si l'échantillon prouve leur innocence, la loi exige que tout, y compris les empreintes digitales, soit détruit. Ne devrions-nous pas accorder au moins le même traitement à ceux qui, par civisme, donnent volontairement un échantillon de leur ADN? Il me semble qu'on ne peut guère s'opposer à cela, et j'aimerais voir quelque chose à ce sujet dans le projet de loi.
Vous voudrez peut-être vous pencher sur les différentes catégories d'infractions qui sont visées. Je ne m'attarderai pas là-dessus. Les arguments sont tout à fait plausibles, et j'en conviens.
Le projet de loi autorise un juge à demander la prise d'échantillon de l'ADN d'une personne reconnue coupable de ce qui peut être considéré comme une infraction tout à fait mineure, de voies de fait simples, par exemple. L'infraction n'est peut-être pas aussi mineure qu'on le pense, mais elle est fréquente en tout cas. En 1995, quelque 85 000 personnes ont été accusées de voies de fait simples au Canada et quelque 48 000 ont été accusées d'introduction par effraction. Or, le projet de loi comprend certaines infractions dites «infractions désignées secondaires», et je me demande si on ne va pas un peu trop loin ainsi.
Le projet de loi initial de 1995 prévoit la possibilité de prélever des échantillons d'ADN aux termes d'un mandat dans le cas d'infractions qui, en termes généraux, peuvent être qualifiées de graves, ou d'infractions dites violentes contre la personne, etc. Il me semble qu'on ouvre ainsi la porte à une multitude de choses qui, à mon avis, sont pour le moins marginales. Je vous invite à bien examiner cet aspect.
Votre comité a entendu des propositions selon lesquelles le prélèvement et l'utilisation d'échantillons devraient être élargis au-delà de ce qui est prévu dans le projet de loi. Certaines de ces propositions me causent de graves inquiétudes.
Selon une proposition, les échantillons devraient être traités exactement comme les empreintes digitales. Quand ils arrêtent quelqu'un, les policiers prennent systématiquement les empreintes digitales, quelle que soit la nature de l'infraction. Je trouve qu'il ne faudrait pas aller aussi loin que cela dans le cas des échantillons d'ADN. Ces échantillons ne sont pas comme des empreintes digitales manuelles ordinaires, elles ne sont pas statiques. Les échantillons d'ADN peuvent être analysés et réanalysés à une multitude de fins différentes. Je crois que leur utilisation doit être strictement limitée à des fins d'identification dans le cadre d'une enquête visant à résoudre un crime.
Je crois que je m'arrêterai là. Pensez-vous que j'ai oublié quelque chose? Je veux donner au comité beaucoup de temps pour poser des questions.
La présidente: Merci.
Avez-vous des remarques à nous présenter, monsieur Oscapella?
M. Eugene Oscapella (conseiller, Bureau du Commissaire à la vie privée du Canada): Non, j'attendrai plutôt les questions, madame la présidente.
La présidente: Monsieur Ramsay, je commencerai par un tour de cinq minutes, parce que nous attendons un autre témoin.
M. Jack Ramsay (Crowfoot, Réf.): Je tiens à remercier M. Phillips pour son exposé et à remercier aussi son collègue de sa présence ici aujourd'hui.
Je voudrais aborder avec vous deux domaines avant que nous nous quittions. Le premier concerne les droits dont vous parlez, les droits relatifs à la protection de la vie privée. Naturellement, ces droits doivent exister dans une société démocratique, mais à quelles conditions devraient-ils exister?
Je me souviens d'avoir posé à un témoin qui témoignait devant notre comité au sujet d'un autre projet de loi, il y a de cela un certain temps, la question suivante, qui est toute simple: quel droit possède l'individu qui est en train de tuer un innocent? Je n'ai pas obtenu de réponse à ma question. Auriez-vous réponse à me faire?
M. Bruce Phillips: Je puis vous dire qu'il y a un droit que cet individu n'a pas, celui de tuer une autre personne.
M. Jack Ramsay: Je le sais bien, mais il le fait quand même.
Avant qu'il ne lance son attaque meurtrière, il possède les mêmes droits que vous et moi. Une fois qu'il commet le meurtre, quels droits perd-il?
M. Bruce Phillips: Les droits qu'il perd sont prescrits par la loi. Il conserve le droit à la présomption d'innocence jusqu'à ce que sa culpabilité soit prouvée et, en sa qualité de présumé innocent, il exerce ces droits jusqu'à ce qu'il soit trouvé coupable ou qu'il soit condamné ou encore qu'il avoue son crime. C'est là le fondement même d'un système dont on ne saurait se passer.
Le simple fait d'être soupçonné d'avoir commis un crime ne constitue pas, à mon avis, une raison suffisante de priver l'individu en question de ses droits civils fondamentaux.
Dès qu'on est condamné, certains droits nous sont automatiquement retirés, cela va de soi. Le droit à la liberté, à la protection contre les fouilles ou les perquisitions—un certain nombre de droits de ce genre nous sont automatiquement retirés quand on est reconnu coupable d'une infraction.
M. Jack Ramsay: Croyez-vous que les gens comme Clifford Olson, M. Legere et d'autres devraient être visés par cette loi, que la police devrait pouvoir leur prendre un échantillon à des fins d'analyse génétique pour pouvoir peut-être faire la lumière sur des crimes restés sans réponse et où des éléments de preuve génétique auraient été recueillis?
M. Bruce Phillips: Vous mettez le doigt sur une petite complication fort intéressante qu'on trouve dans le projet de loi, c'est-à-dire de savoir à quel moment la loi entre en vigueur?
Si le projet de loi avait fait partie de notre législation au moment de l'arrestation de M. Olson, il ne fait aucun doute qu'on lui aurait prélevé un échantillon à des fins d'analyse génétique. Si la loi avait été en vigueur au moment de sa condamnation, il aurait d'ailleurs été tenu de donner un échantillon.
Je devrai toutefois laisser au Parlement le soin de décider du moment auquel la loi entrera en vigueur et de l'effet rétroactif qu'elle pourrait avoir. Je n'ai pas vraiment d'avis ferme à ce sujet. À vrai dire, je n'y ai pas vraiment beaucoup réfléchi.
M. Jack Ramsay: Pourrais-je alors vous demander votre avis sur un autre sujet?
Il ne fait aucun doute que, si l'on voulait obtenir un échantillon de votre matériel génétique, on n'aurait pas besoin de vous suivre bien longtemps pour l'obtenir. Il suffit que je me mouche et que je laisse le mouchoir quelque part pour qu'on ait un échantillon de mon matériel génétique. Je me demande donc s'il n'y a pas une certaine redondance à vouloir préserver l'intégrité de la banque de données qui serait créée par le projet de loi, au regard possiblement des appréhensions que vous-même et que d'autres personnes ont exprimées devant le comité et que nous entendons d'un bout à l'autre du pays relativement à ce projet de loi.
Le témoin que nous avons entendu hier a fait remarquer qu'il suffit de prendre une gorgée d'un verre pour y laisser des traces de son matériel génétique. Dans ce cas, et je ne doute pas que ce soit le cas, je m'interroge sur l'utilité des mécanismes de contrôle que nous voudrions mettre en place afin de protéger la société contre les conséquences dont vous nous avez parlé, à juste titre, et je me demande s'ils ne sont pas redondants d'une certaine façon, puisque quiconque veut obtenir un échantillon de mon matériel génétique n'a qu'à me suivre pendant quelques heures.
M. Bruce Phillips: Comme c'est votre habitude, vous posez là une question fort intéressante, monsieur Ramsay. Je crois que vous devez beaucoup réfléchir à ces questions, et vous semblez aller pas mal au fond des choses.
D'après ce que je comprends du processus, la question qui se pose est de savoir quels sont les éléments que les responsables de l'application de la loi peuvent présenter en preuve à un procès ou verser à un dossier. À l'heure actuelle, ils peuvent exiger un échantillon aux termes d'un mandat d'arrestation et, si le projet de loi est adopté, ils pourront en exiger un au moment de la condamnation. Si je comprends bien votre raisonnement, vous semblez dire qu'ils pourraient décider de leur propre initiative d'aller prendre le verre qui aurait été laissé à la taverne et de l'apporter à un juge de paix pour qu'il soit admis en preuve. J'imagine qu'à la lumière de l'orientation et de l'esprit de la législation existante sur le matériel génétique et de ce qu'on envisage ici, les avocats s'amuseraient à contester la recevabilité de cet élément de preuve, et, bien entendu, pendant tout ce temps, le compteur continuerait de tourner. Je ne saurais présumer de l'issue, car je ne sais pas comment tout cela serait perçu par le juge qui aurait à se prononcer sur la recevabilité.
L'autre question est, bien entendu, de savoir dans quelle mesure les ressources policières pourraient être consacrées à ce genre d'activité. Il faudrait beaucoup de policiers pour pouvoir suivre les gens à la trace comme ça. Il me semble très peu probable qu'on en vienne là.
Si toutefois les policiers suivaient quelqu'un qu'ils soupçonnaient d'avoir commis un crime, quelqu'un dont ils auraient des motifs raisonnables de croire qu'il aurait été mêlé à un crime, ils pourraient aller demander un mandat à un juge et exiger du suspect qu'il fournisse un échantillon. Ils n'ont jamais de mal à obtenir un échantillon de ceux qu'ils soupçonnent vraiment d'avoir fait quelque chose. Ils n'ont qu'à se présenter devant le juge et à dire: Voici ce que nous avons, et nous avons des motifs raisonnables de soupçonner cette personne; ils obtiennent ainsi leur mandat.
M. Jack Ramsay: Uniquement s'il s'agit d'une infraction criminelle.
M. Bruce Phillips: Uniquement s'il s'agit d'une infraction désignée, oui.
[Français]
La présidente: Monsieur Marceau, cinq minutes.
M. Richard Marceau (Charlesbourg, BQ): Je vous dis tout de suite que j'ai beaucoup aimé ce que vous avez dit. D'ailleurs, j'avais déjà lu le rapport que vous aviez préparé pour le projet de loi C-104 de la législature antérieure.
J'aurais quelques questions à vous poser. La première a trait à l'article 9 du projet de loi, qui dit que dans certains cas—je parle d'annulation et de déclaration de culpabilité ou d'absolution—, les informations seraient rendues inaccessibles au lieu d'être effacées. C'est-à-dire que les informations flotteraient quelque part dans la banque sans être reliées à monsieur X ou à madame Y. Cependant, elles seraient toujours là. Que pensez-vous de cela? Ne vaudrait-il pas mieux, selon vous, effacer complètement ces informations qui, de toute façon, ne seront plus utiles?
[Traduction]
M. Eugene Oscapella: D'après ce que j'en sais—et encore là, vous avez ici des représentants du ministère de la Justice qui pourront vous parler de cette question—, dans certains cas, les informations ne seraient pas effacées, car elles se trouveraient dans une base de données électronique, mais il pourrait être possible de dissocier de l'échantillon en tant que tel les données permettant d'identifier le sujet. Le cas échéant, quand il n'y a pas vraiment moyen de faire le lien entre le sujet et l'analyse génétique qui a été faite, la question qui se pose relativement à la protection de la vie privée se trouve réglée à toutes fins utiles.
Je me souviens d'en avoir parlé à des représentants du ministère de la Justice, qui pourront vous donner des explications plus complètes.
[Français]
M. Richard Marceau: Donc, cela ne vous dérange pas du tout que les informations soient encore là?
[Traduction]
M. Eugene Oscapella: Les informations sont là, mais s'il n'y a pas moyen de les relier au sujet, il n'y a vraiment aucune menace pour la vie privée. Voilà donc qui permet de répondre à cet objectif. Dans un monde de fichiers électroniques où il n'est peut- être pas toujours possible d'éliminer le dossier en tant que tel, cette solution me paraît être un pis-aller tout à fait acceptable. Pour notre part, nous n'y voyons aucun inconvénient.
[Français]
M. Richard Marceau: Ma deuxième question porte sur la possibilité de communiquer des informations à un autre pays ou à une autre organisation policière. Je pense à Interpol, au FBI, etc. Je ne vois nulle part dans le projet de loi qu'on demande les mêmes assurances ou les mêmes garanties du respect à la vie privée que nous essayons de nous donner ici, au Canada. En conséquence, ne pourrait-on pas faire par la porte arrière ce qu'on ne veut pas qu'on fasse par la porte avant?
[Traduction]
M. Bruce Phillips: Je crois que vous soulevez là un sérieux problème qui se pose dans le cadre, non seulement de cette entente, mais de toutes les ententes internationales. La Loi sur la protection des renseignements personnels confère au gouvernement fédéral le pouvoir d'interdire, par exemple, l'accès des Canadiens à certaines informations visées par des ententes internationales, et elle autorise la communication à des tiers—c'est-à-dire à d'autres pays—de renseignements personnels qui seraient normalement protégés par la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il n'existe toutefois aucune disposition dans la loi qui précise que ces échanges d'information ne peuvent se faire qu'à condition que les pays à qui l'information serait communiquée aient des lois semblables à la nôtre pour protéger les renseignements personnels.
Il en va de même du projet de loi à l'étude. C'est un problème que l'on retrouve dans toutes sortes d'ententes internationales.
Je crois que vous soulevez là un excellent point. Je dois toutefois faire remarquer que, du côté pratique, l'échange d'information entre organismes chargés de l'application de la loi est très important et très utile pour la protection de notre société. Cependant, il n'y a malheureusement pas beaucoup de pays au monde, exception faite de la Nouvelle-Zélande, de l'Australie, de l'Europe occidentale et de l'Amérique du Nord, notamment du Canada, qui ont de bonnes lois pour protéger la vie privée. Par conséquent, vouloir insister sur une condition comme celle-là exclurait bon nombre de pays de ces échanges d'information. Il serait toutefois utile d'exiger comme condition dans tous ces échanges qu'à tout le moins l'information visée par l'entente soit traitée de cette façon. Je suis d'accord avec vous là-dessus, oui.
[Français]
M. Richard Marceau: Le Commissariat à la protection de la vie privée serait-il prêt à faire une vérification annuelle? En anglais, on parle d'un audit annuel du fonctionnement de la banque pour s'assurer que la banque fonctionne bien selon les directives qu'on va lui donner dans la loi.
[Traduction]
M. Bruce Phillips: Mon bureau fera ce que le Parlement lui demande de faire, bien sûr, monsieur.
[Français]
M. Richard Marceau: Mais est-ce que ce serait une bonne idée?
[Traduction]
M. Bruce Phillips: Je crois qu'à ce stade-ci il serait un peu prématuré de prévoir une vérification annuelle. Je ne pense pas que l'expérience d'une seule année serait suffisante pour nous permettre de porter un jugement exact et informé sur le fonctionnement d'une telle mesure. Ce serait peut-être une bonne idée toutefois de prévoir une vérification aux trois ans.
Nous avons un pouvoir de vérification restreint à l'heure actuelle, qui nous est conféré par notre loi habilitante. J'estime toutefois qu'il serait très complexe d'effectuer le genre de vérification que vous envisagez et que cela prendrait beaucoup de temps et de ressources. Néanmoins, et compte tenu de ces facteurs— et je suis sûr que le comité nous aiderait de ce côté-là—, nous le ferions, bien sûr, si vous nous le demandiez. Cela ne fait aucun doute.
[Français]
M. Richard Marceau: Le projet de loi donne au commissaire responsable de la banque assez de discrétion pour qu'il puisse donner accès aux informations de la banque. Pourrait-on demander qu'en tant que commissaire à la vie privée, vous soyez consulté concernant les gens à qui on donnerait accès à la banque pour éviter que n'importe qui, n'importe quand, au bon vouloir du commissaire responsable de la banque, puisse avoir accès à cette banque?
[Traduction]
M. Bruce Phillips: Permettez-moi d'essayer de répondre à votre question de la façon suivante, et je suis sûr que M. Oscapella suivra de près ce que je dirai au cas où je me tromperais.
D'après ce que je comprends, le projet de loi impose des limites très strictes relativement à l'accès aux informations contenues dans une banque de données. Par conséquent, le commissaire n'aurait qu'un pouvoir très restreint. Chose certaine, il ne devrait jamais pouvoir exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à dépasser, non seulement la lettre, mais l'esprit des limites imposées par le projet de loi.
J'aimerais pouvoir examiner cette question à nouveau.
Eugene, ai-je bien répondu?
M. Eugene Oscapella: Je n'ai pas la disposition sous les yeux, mais, bien souvent, notre bureau est censé être avisé des conditions ou de certaines comparaisons de données, ou encore d'autres cas. Il y a une distinction à faire pour déterminer s'il s'agit simplement que nous soyons avisés ou s'il s'agit que nous soyons appelés à approuver la communication d'informations, car l'avis que nous recevons nous aide parfois à comprendre ce qui sera fait de l'information, nous aide à comprendre le cheminement de l'information à l'intérieur et à l'extérieur du gouvernement. Il ne nous donne toutefois aucun pouvoir d'intervention.
Vous aimeriez donc que nous ayons le pouvoir, par exemple, de réglementer le flux de l'information?
M. Richard Marceau: Oui.
M. Eugene Oscapella: Je laisserai à M. Phillips le soin de répondre à cette question.
M. Bruce Phillips: Non, je ne crois pas que le Commissaire à la protection de la vie privée veuille empiéter sur le pouvoir décisionnel de ceux qui dirigent les ministères du gouvernement canadien et qui sont tenus de rendre les comptes à cet égard. Il est impossible de définir les demandes d'information qui sont faites aux ministères tellement elles sont nombreuses et complexes.
Les chefs des ministères—tous sans exception, même aux termes de la Loi sur la protection des renseignements personnels—ont un pouvoir discrétionnaire considérable en ce qui a trait à la communication d'information et sont tenus de rendre des comptes à cet égard.
Quand le chef d'un ministère décide que l'intérêt public dans une affaire en particulier l'emporte sur l'intérêt privé, il peut communiquer des renseignements personnels sans obtenir le consentement de la personne visée.
Comme il est impossible de définir «l'intérêt public» de manière à tenir compte de toutes les formes qu'il peut prendre dans différentes circonstances, je ne vois guère comment on pourrait les empêcher d'exercer ce pouvoir discrétionnaire. Ils doivent rendre des comptes à cet égard. Quand ils communiquent des renseignements, ils doivent en aviser mon bureau. Sur réception de l'avis, nous sommes autorisés à faire toutes les observations que nous voulons faire au sujet de la nature de la communication et à indiquer que nous pensons que la personne est allée trop loin. Je ne vois pas comment on pourrait limiter l'autorité du ministère sans l'entraver dans la pratique dans l'exercice de ses fonctions.
J'espère avoir répondu à votre question.
M. Mark Muise (West Nova, PC): Je tiens tout d'abord à remercier M. Phillips, de même que notre autre invité. Je trouve ces échanges très fascinants.
Mon intervention va peut-être plutôt dans le sens d'une observation que d'une question, mais, monsieur Phillips, vous avez parlé tout à l'heure du risque d'aller trop loin dans la collecte de données et des risques qui pourraient en découler. Il y a aussi le fait que le prélèvement d'échantillons peut, dans certains cas, retirer des droits à certaines personnes, mais que, dans d'autres cas, il peut rétablir les droits de certaines personnes, surtout de celles qui ont été reconnues coupables à tort.
J'aimerais savoir ce que vous pensez de cela.
M. Bruce Phillips: Vous avez parfaitement raison. Les preuves génétiques peuvent aller dans les deux sens. Elles peuvent permettre d'identifier les coupables et d'identifier aussi les innocents. Il en va d'ailleurs de même des empreintes digitales. L'analyse du matériel génétique est utile à la police dans la mesure où elle permet d'établir le profil d'identification, et aucune personne raisonnable ne s'opposerait à l'utilisation de l'analyse génétique comme moyen d'assurer l'application de la loi. Pour notre part, nous ne nous y opposons certainement pas.
Nous avons appuyé le projet de loi quand il a été présenté en 1995. C'est juste, oui.
M. Eugene Oscapella: Bien entendu, on n'a pas besoin de cette mesure législative pour disculper quelqu'un, pour prouver son innocence. Nous n'en avons pas eu besoin pour disculper David Milgaard ou Guy-Paul Morin. En fait, c'est de l'autre aspect de la question que nous parlons ici.
M. Mark Muise: Nombreux sont ceux, dans les milieux chargés de l'application de la loi, qui s'inquiètent du moment où l'ADN est prélevé. Bien des groupes craignent que les inculpés ne se présentent tout simplement pas à leur procès de peur que l'ADN qui serait prélevé au moment de leur condamnation conduirait à d'autres accusations contre eux. D'après les chiffres, quelque 66 000 inculpés ne se seraient pas présentés à leur procès après leur libération sous caution. Les droits relatifs à la vie privée sont importants, mais quelles assurances le Commissaire à la protection de la vie privée a-t-il que le fait de retarder les prélèvements ne contribuera pas à accroître le nombre d'inculpés qui prendront la fuite au lieu de se présenter à leur procès?
M. Bruce Phillips: Vous posez là une excellente question.
Il pourrait arriver qu'une personne qui risquerait de devoir donner un échantillon après avoir été condamnée pour une infraction en particulier ne se présente pas à son procès de peur que l'échantillon d'ADN qu'elle donnerait révélerait qu'elle a commis d'autres infractions qu'elle serait seule à connaître. Il serait effectivement intéressant de savoir quel serait le nombre de ces cas. Il n'existe pas encore de données à ce sujet. Vous entendrez plus tard des représentants du ministère de la Justice qui pourront vous informer là-dessus.
Je dirais toutefois qu'étant donné la capacité de la police d'obtenir un mandat pour soumettre à un prélèvement toute personne soupçonnée d'avoir commis un crime grave ou violent, le nombre de ces cas serait presque insignifiant.
Permettez-moi de vous présenter un cas hypothétique. Quelqu'un entre par effraction dans une maison et est pris en flagrant délit. Il n'a pas le temps de se rendre à la chambre à coucher pour prendre ce qu'il était venu prendre. Il ne laisse donc aucune trace d'ADN sur le lieu du crime.
Les policiers l'arrêtent en pleine fuite. Ils se disent que c'est sans doute le type qui... S'ils ont des motifs raisonnables de croire que le type est mêlé aux dix autres cas sur lesquels ils enquêtent et qu'ils présentent bien leurs arguments, le juge leur accordera aussitôt un mandat. Ils n'ont pas besoin d'attendre que le type soit reconnu coupable.
Il en serait sans doute ainsi dans la grande majorité des cas hypothétiques dont vous avez parlé. Il serait toutefois raisonnable de s'attendre qu'à un moment donné quelqu'un ne se présente pas à son procès dans des circonstances semblables à celles que vous avez décrites. Il me semble cependant que cela n'arriverait pas très souvent étant donné les vastes pouvoirs qu'a déjà la police en matière de prélèvements.
La question qui se pose est finalement celle-ci. Dans quelle mesure sommes-nous prêts à réduire ces droits pour tenir compte du rare moineau qui pourrait s'échapper? Il est impossible, à mon avis, d'avoir un système d'application de la loi et de détection des crimes qui soit parfait, qui soit fiable à 100 p. 100, sans que, pour cela, nous ne soyons appelés à renoncer à un trop grand nombre de nos droits civils ordinaires.
Nous avons un grand nombre de crimes non résolus qui n'ont rien à voir avec des éléments de preuve génétiques. Nous acceptons que notre monde est imparfait. S'il est imparfait, c'est notamment parce que nous insistons sur l'importance d'empêcher que certains droits fondamentaux ne soient érodés.
Je ne crois pas pouvoir vous en dire plus. On peut en effet supposer que cela pourrait se produire un jour ou l'autre. Mais au risque de me répéter, il me semble que l'on n'a pas besoin de pouvoir additionnel, étant donné les droits de prélèvement dont jouit déjà la police.
M. Mark Muise: L'article 487.055 qui est proposé dans le projet de loi permettrait à un tribunal d'ordonner une analyse génétique de délinquants autrefois désignés dangereux de même que de criminels ayant été condamnés à de multiples reprises pour des infractions d'ordre sexuel et qui purgent des peines dans des institutions fédérales. Malheureusement, ce paragraphe ne permet toutefois pas le prélèvement d'échantillons d'ADN chez des meurtriers condamnés à l'emprisonnement à vie, comme Clifford Olson. La semaine dernière, le solliciteur général a fait savoir qu'elle était disposée à modifier la portée des prélèvements d'ADN et la portée de l'analyse génétique pour que ceux-ci s'appliquent à ceux qui sont déjà condamnés. Si l'on élargissait la portée des prélèvements d'ADN pour qu'ils s'appliquent également à des meurtriers au premier degré déjà condamnés, cela inquiéterait-il la Commission à la protection de la vie privée?
M. Bruce Phillips: Je crois que nous avons abordé cette question avec M. Ramsay.
Prenons la rétroactivité, qui est un bon exemple. Comme je n'ai pas discuté de cette question avec mes collègues, je parle en mon nom propre: personnellement, je ne vois pas quel mal il y aurait à prélever un échantillon d'ADN chez Clifford Olson, si c'est ce que vous me demandez. Mais il faudrait pouvoir le faire en toute légalité; or, rien ne nous permet de le faire actuellement.
• 1625
Si, comme parlementaires, vous songez à combler cette lacune,
ce n'est certainement pas le Commissaire à la protection de la vie
privée actuel qui vous en empêchera. En effet, c'est une idée qui
me semble raisonnable.
J'invite mon collègue à commenter et à me désapprouver, s'il le souhaite.
Je dois préciser que M. Oscapella est un expert-conseil chez nous et que je n'ai pas à me prononcer sur ses opinions personnelles. C'est mon opinion à moi que je vous ai donnée.
M. Eugene Oscapella: Vous ne serez pas surpris de savoir que mon opinion là-dessus se rapproche de celle de M. Phillips. Ce que vous proposez de faire pourrait être sain, et il se peut que dans certaines circonstances...
On pourrait peut-être interpréter de façon trop stricte le libellé de ce paragraphe, mais je vous rappelle que dans la majorité des cas, ce ne sont pas les meurtriers qui récidivent. L'exemple choisi n'est peut-être pas le bon. Mais évidemment, Clifford Olson qui est un tueur en série ne correspond pas non plus à cette catégorie.
La plus grande objection viendrait du côté de la Charte. Mais vous pourriez en discuter librement avec les représentants du ministère de la Justice. Nous semblons nous décharger bien souvent sur eux, mais ce sont eux qui sont les spécialistes de ces questions constitutionnelles.
Le prélèvement rétroactif d'un échantillon pourrait-il être considéré comme enfreignant l'article 7 ou 8 de la Charte? Le prélèvement serait-il considéré comme une punition supplémentaire? Si c'est le cas, on pourrait invoquer la Charte pour l'interdire, car cela reviendrait à ajouter une punition supplémentaire, après que le crime a été commis. Je vous suggère de poser la question aux représentants du ministère de la Justice.
L'honorable Sheila Finestone (Mont-Royal, Lib.): Je suis ravie d'écouter les propos de M. Phillips, que j'ai toujours considéré comme pouvant analyser de la façon la plus constructive qui soit les projets de loi dont nous sommes saisis.
Je connais la position de M. Phillips là-dessus, car il y a déjà eu plusieurs études sur l'ADN.
Ce que vous avez répondu à M. Ramsay m'a semblé très intéressant. Ce qui m'inquiète, c'est l'éventuelle impossibilité d'utiliser les échantillons à des fins rétroactives, de la même façon que l'on peut utiliser rétroactivement les empreintes digitales.
L'évolution de la société d'aujourd'hui et les nouvelles procédures de haute technologie me semblent justifier l'utilisation de ces outils de façon efficace, même s'il faut tenir compte du fait que dès lors que l'information privée que contient le génome humain est entre les mains de quelqu'un d'autre, il est impossible pour l'intéressé de récupérer l'information. Mais s'il existait des sauvegardes appropriées—comme des garde-fous—et que l'on empêchait rigoureusement le détournement de l'information dans le projet de loi, je n'aurais aucune objection à ce que les criminels incarcérés pour avoir commis des crimes graves tels que définis dans le projet de loi... Je prends bonne note de ceux qui vous semblent trop vaguement définis, car vous avez peut-être raison. Si les incarcérés répondent au type de critères qui pourraient... Surtout s'ils ne cadrent pas dans notre société. Je ne vois pas pourquoi on hésiterait à parler d'auto-incrimination et de rétroactivité, quand on prévoit de garantir des droits.
Dans ce cas, peut-être faut-il retourner devant les tribunaux, ou s'adresser au Commissaire à la protection de la vie privée, qui aura dorénavant un beau gros budget pour la recherche. En effet, il ne faut pas accepter ce genre de chose, il faut avoir le droit de contester.
Un homme passe dix ans en prison. Et alors? S'il a tué un grand nombre de personnes, s'il a été coupable d'attaques criminelles envers la société. Nous avons finalement trouvé l'homme responsable des autres actes. De toute façon, on ne peut pas le tuer plus d'une fois. Et de toute façon, on ne va pas le tuer, l'État va le loger, l'habiller et le nourrir. Cela dit, on ne peut pas effacer un crime qui a été commis.
Peut-être mes arguments vous sembleront-ils très à droite, je ne sais pas, mais c'est ce que je pense avec tout le respect que je dois à mes collègues.
La présidente: Cela devrait vous faire peur.
L'hon. Sheila Finestone: C'est ce que je pense lorsque des gens commettent des crimes particulièrement affreux.
La présidente: Vous devriez changer de bord.
L'hon. Sheila Finestone: Changer de bord? Non. Mais cela fait partie de mes...
Mme Brenda Chamberlain (Guelph—Wellington, Lib.): Nous essayons seulement de vous retenir.
L'hon. Sheila Finestone: Sérieusement, en ce qui concerne l'auto-incrimination, la rétroactivité et le fardeau inverse, est-ce que vous pensez vraiment que nous devons nous soucier de tout cela lorsqu'il s'agit de grands criminels qui sont déjà en prison?
M. Bruce Phillips: Je croyais avoir exprimé ma position personnelle suffisamment clairement.
L'hon. Sheila Finestone: Je vous ai entendu.
M. Bruce Phillips: Tout ce que je dis, c'est qu'une personne soit en prison ou pas, il faut avoir de bonnes raisons d'enquêter sur les autres activités de cette personne, en dehors du crime qu'elle a commis. C'est une protection fondamentale des droits des citoyens, la police ne peut pas faire usage de ses droits d'enquête, qui sont considérables, sans avoir des motifs raisonnables. Par conséquent, supposons que je sois en prison, même si j'ai commis un crime affreux, il faut tout de même avoir des motifs raisonnables pour faire enquête.
• 1630
Que faites-vous dans le cas d'une personne qui est arrêtée,
accusée et reconnue coupable d'un crime? Vous suspendez tous les
droits civils normaux de cette personne. Elle va en prison. Elle
est privée de sa liberté. Elle est soumise à une surveillance
constante. Elle n'a plus la protection de la Charte en ce qui
concerne les fouilles et les saisies. Tout cela n'existe plus.
Toutefois, se livrer à une enquête sur toutes sortes d'autres
crimes... Je pense que les motifs raisonnables doivent toujours
exister.
Dans une certaine mesure, tout cela est abrégé dans le projet de loi, maintenant que j'y réfléchis, car une fois reconnu coupable, vous serez tenu de fournir un échantillon, un échantillon dont la police se servira immédiatement, bien sûr, pour faire des comparaisons avec les échantillons prélevés sur la scène d'un crime ou d'autres crimes qui n'ont pas été résolus.
Dans un tel cas, le seul motif probable qui s'applique serait probablement le fait que la personne en question a été reconnue coupable d'une infraction.
Par conséquent, ce droit existe déjà. La seule question...
L'hon. Sheila Finestone: Est-ce que ce n'est pas le contraire d'une utilisation secondaire, c'est ma première question.
M. Bruce Phillips: Non, parce que...
L'hon. Sheila Finestone: Deuxièmement, supposons que je sois la mère de David Milgaard.
M. Bruce Phillips: Non, il ne s'agit pas d'une utilisation secondaire.
L'hon. Sheila Finestone: Il a été reconnu coupable. Il est coupable. Il est en prison.
M. Bruce Phillips: Oui.
L'hon. Sheila Finestone: Dans ce cas, si nous avons des motifs raisonnables, pourquoi ne pouvons-nous aller vous voir—je viens de vous donner une toute nouvelle fonction—pour vous demander de prélever ces échantillons, de faire ces tests?
M. Bruce Phillips: Pour commencer, ce ne serait pas à moi de le faire, ce serait à la police.
Je vous ai dit que sur ce sujet j'étais très partagé. Je pense aux Clifford Olson de ce monde. Il suffit de lire les titres dans les supermarchés pour voir qu'il y a trop de gens de ce genre en circulation. Évidemment, qui va s'opposer à ce genre de chose dans le cas de Clifford Olson?
Mais M. Oscapella et les gens du ministère de la Justice qui parleront tout à l'heure évoqueront une particularité de la Charte qui les préoccupe.
Tout ce que je vous donne, c'est mon opinion personnelle. Il y a un élément de rétroactivité qui entre en ligne de compte et qui peut être considéré comme une modification de la punition appliquée par un tribunal dûment constitué. Si c'est ce que vous souhaitez, il va falloir que vous en teniez compte dans ce projet de loi.
Étant donné l'aspect rétroactif, il serait peut-être bon de limiter la liste des crimes pour lesquels le genre d'échantillon pourrait être prélevé rétroactivement.
C'est un bon sujet de discussion dans cette enceinte. Je comprends fort bien les arguments de certains: que les gens aient été en prison depuis très longtemps ou pas, cela pourrait être très utile. Je dois le reconnaître. Quant aux droits civils et aux droits de la charte, je ne peux tout simplement pas me prononcer sur ces aspects-là.
M. Nick Discepola (Vaudreuil—Soulanges, Lib.): J'ai plusieurs questions à poser. J'imagine que ce ne sera pas possible en cinq minutes, je vais donc m'en tenir à une chose qui m'a particulièrement étonné.
Strictement sur le plan de la protection de la vie privée, et abstraction faite de la Charte et de ce genre de choses, vous dites que vous n'avez aucun problème si nous nous contentons d'entreposer le profil, et de l'utiliser.
M. Bruce Phillips: Seulement les empreintes digitales.
M. Nick Discepola: Seulement le profil d'ADN.
M. Bruce Phillips: D'accord.
M. Nick Discepola: Là encore, il faut se souvenir que la seule chose qui sera révélée aux autorités, c'est le nom de la personne, rien de plus. J'ai tout de même du mal à comprendre pourquoi la législation ne vous rassure pas avec les pénalités qui sont prévues en ce qui concerne la destruction des échantillons.
Si nous suivons les arguments de notre témoin d'hier qui nous a dit qu'il faudrait peut-être confier à un organisme indépendant la tâche de tester et d'entreposer les échantillons—je me raccroche à des brindilles—dites-moi ce qui, à votre avis, devrait être fait pour protéger la vie privée des gens en ce qui concerne l'entreposage des échantillons. Tenez compte des changements technologiques qui pourraient être considérables à l'avenir. Il ne faudrait pas en faire abstraction. Si nous nous sommes donnés tout ce mal pour adopter une loi qui nous permette de recueillir les échantillons, il ne faudrait pas se débarrasser de ces échantillons dès que nous avons un profil qui ne servira plus à rien dans quelques mois ou dans quelques années...
M. Bruce Phillips: Vous ne vous raccrochez pas à des brindilles, monsieur Discepola. En fait, vous avez mis le doigt sur quelque chose de particulièrement solide.
Si nous voulons qu'on conserve seulement le profil, et non pas l'échantillon, ce n'est pas à cause des usages autorisés par ce projet de loi, mais parce que nous savons par expérience que beaucoup de gens risquent de demander ces échantillons pour des raisons qui n'ont rien à voir. Les parlements changent, les bonnes intentions aussi, et la technologie nous a démontré qu'un jour ou l'autre un bureaucrate aura une très bonne idée pour économiser 10 $ ou pour retrouver un escroc en parcourant les dossiers de 10 000 personnes innocentes.
M. Nick Discepola: Donc, sur le plan de la vie privée ou de la Charte...
M. Bruce Phillips: C'est là le problème.
M. Nick Discepola: ... vous pensez à des usages abusifs des échantillons.
M. Bruce Phillips: C'est cette idée des utilisations secondaires dont Mme Finestone a parlé tout à l'heure. Étant donné l'expérience passée et mon expérience personnelle de la façon dont les données sont utilisées par le gouvernement, étant donné les innombrables croisements de fichiers qui ne cessent de croître et de se multiplier... Tôt ou tard, quelqu'un va vouloir utiliser ces échantillons pour faire de la recherche sur le potentiel criminel, ce genre de choses, et je vous assure, mon ami, qu'il les obtiendra. Croyez-moi, car cela se fait déjà.
M. Nick Discepola: Dans ce cas, j'aimerais poser une question à M. Oscapella. Tout à l'heure, au sujet de l'entreposage d'images électroniques, vous avez dit à M. Marceau qu'il suffirait probablement de supprimer ce lien. Mais cela me laisse le profil. Tout ce qu'on a éliminé, c'est l'identification de ce profil. Le profil existe toujours.
M. Eugene Oscapella: Oui, mais vous n'avez rien qui vous permette de retracer ce profil jusqu'à moi. Si vous avez mon profil d'ADN, et si on le rend inaccessible, cela a pour effet de supprimer le lien entre ce profil et moi-même. Vous n'avez donc aucun moyen de le retracer. C'est le minimum qui nous semble acceptable. C'est ce que nous comprenons quand on parle de rendre le profil inaccessible.
M. Nick Discepola: Mais si cela concorde avec l'indice sur la scène du crime, et concorde avec l'indice du délinquant condamné, vous risquez de mettre dans le mille. Vous ne sauriez pas de qui il s'agit, mais vous sauriez qu'il s'agit d'un criminel qui a déjà figuré dans votre banque de données.
M. Eugene Oscapella: Oui, vous le saurez peut-être, mais vous ne saurez pas qui c'est, parce que la banque des données des criminels comporte des milliers de personnes.
D'autre part, au sujet de l'entreposage des échantillons, et je reviens à ce que M. Phillips a dit—nous devrions envisager d'abord les mesures les moins extrêmes. Si cela n'est pas satisfaisant, nous pourrions considérer des mesures qui vont plus loin. Si nous commençons par les mesures les plus extrêmes, c'est- à-dire conserver les échantillons, nous ne saurons jamais si des mesures extrêmes auraient fait l'affaire et auraient été aussi efficaces pour les opérations de la police. C'est une de nos préoccupations.
M. Nick Discepola: L'entreposage de ces échantillons chez un organisme indépendant, avec des vérifications adéquates, ne vous satisfait pas.
M. Eugene Oscapella: L'un des problèmes fondamentaux que nous avons, c'est que la Charte ne comporte pas un droit constitutionnel explicite en ce qui concerne la protection de la vie privée. Si nous avions cette protection constitutionnelle absolue, personnellement, et je ne parle pas au nom de M. Phillips, je préférerais ce scénario. Mais ce n'est pas le cas. Avec le temps, ces droits ont subi une certaine érosion au lieu de se confirmer. Cela pourrait être un moyen...
M. Nick Discepola: Il n'en reste pas moins qu'avec le profil d'ADN, je pourrais reconstituer l'échantillon d'ADN.
M. Eugene Oscapella: Non. Vous ne pouvez pas reconstituer l'ensemble d'un échantillon d'ADN car le profil repose sur ce qu'on appelle un «ADN égoïste». On n'a pas encore trouvé une utilité à cela et, par conséquent, il ne serait peut-être pas possible d'avoir les autres éléments. Il ne serait peut-être pas possible de reconstituer les autres éléments de l'échantillon d'ADN, qui pourraient vous donner des indications sur les particularités physiques d'une personne, ses particularités psychologiques, les traits génétiques qui peuvent avoir un rapport avec le comportement, etc.
La présidente: M. Forseth a une question à poser.
M. Paul Forseth (New Westminster—Coquitlam—Burnaby, Réf.): Monsieur Phillips, vous avez dit une chose intéressante. Vous avez dit qu'il y avait 20 types de situations dans lesquelles Revenu Canada... des situations non appropriées. Est-ce que ces 20 personnes ou ces 20 catégories de personnes pourraient se traduire par des listes contenant un nombre non défini de personnes?
M. Bruce Phillips: Je parle d'échanges d'information entre Revenu Canada et d'autres entités. Ces échanges se font avec les gouvernements provinciaux, et également avec d'autres ministères du gouvernement.
• 1640
Je me suis opposé à l'un de ces échanges et, à l'heure
actuelle, j'essaie de faire entendre la cause par un tribunal car
je considère que c'est une violation de la vie privée. Les données
de Revenu Canada, c'est-à-dire les données fournies aux services de
douanes par les voyageurs qui reviennent de l'étranger—il y a des
millions de formulaires chaque année—sont utilisées pour vérifier
les demandes d'assurance-chômage, pour voir s'il y a des gens qui
ont quitté le pays alors qu'ils touchaient l'assurance-chômage.
Beaucoup de gens vous diront que c'est une utilisation raisonnable de ces informations. Ce n'est pas mon avis. Les gens qui remplissent ces formulaires de douanes, tout comme ils remplissent beaucoup d'autres documents exigés par le gouvernement du Canada, le font pour une raison bien précise. Parce que vous revenez dans le pays, vous donnez des informations qui intéressent les services de douanes, pour que ceux-ci puissent réclamer les droits de douanes qui s'appliquent. Vous ne fournissez pas ces informations pour faciliter l'application des règlements de l'assurance-chômage.
Par conséquent, le gouvernement du Canada examine maintenant les dossiers de millions—et je dis bien de millions—de Canadiens qui n'ont absolument rien à se reprocher, et cela dans une chasse aux sorcières pour voir si l'on peut trouver quelques personnes qui ont pu soutirer quelques dollars de trop à l'assurance-chômage. On est en train de procéder à cette comparaison, on relève certains noms et on récupère certains fonds de l'assurance-chômage.
Pour ce qui est du droit qu'ont les personnes innocentes de ne pas voir leur dossier fouillé quand on ne les soupçonne d'absolument rien, je pense que c'est une violation de leurs droits consacrés par la Charte, et j'essaie d'en saisir les tribunaux.
C'est un croisement de fichiers de Revenu Canada et des Ressources humaines. C'est ce à quoi je pense quand je parle d'utilisation secondaire. On utilise à d'autres fins des renseignements qui ont été donnés en toute confiance par des citoyens canadiens pour des raisons bien précises.
Quand le gouvernement décide de son propre chef, à ses propres fins, d'économiser de l'argent, d'accroître l'efficacité et ainsi de suite, de passer outre à cette relation de confiance, nous faisons face à une situation où, si cela continue, les simples citoyens cesseront de fournir des renseignements. Ils diront: «Non, je ne vous fais plus confiance». Quand on en sera là, le gouvernement du Canada aura un très grave problème, et les citoyens aussi. Je pense que nous devons l'éviter. Je pense que le gouvernement doit respecter la parole donnée aux citoyens en ce qui concerne la protection des renseignements qu'ils fournissent.
Les autorités de Revenu Canada seront les premières à vous dire qu'elles subissent de plus en plus de pressions de la part d'autres ministères et d'autres gouvernements pour fournir davantage de renseignements. Cela ne leur plaît pas, surtout en raison du fait qu'elles sont très conscientes des relations qu'elles entretiennent avec les contribuables ainsi que de la nécessité de faire en sorte que ceux-ci continuent d'avoir confiance que les renseignements les concernant sont adéquatement gardés.
Si l'on applique ce problème à l'ensemble des activités de la collecte d'information du gouvernement du Canada, on se rend compte que le problème est grave.
La présidente: Monsieur Marceau, une brève question.
[Français]
M. Richard Marceau: Je crois qu'une telle banque est nécessaire, mais aussi qu'il a possibilité qu'on utilise de manière dangereuse l'information qu'on est allé chercher. On peut faire certaines choses dangereuses avec cela.
Je reviens à ce dont j'avais parlé avec M. Oscapella au sujet de l'article 9, c'est-à-dire l'inaccessibilité au lieu de la destruction de l'information lorsqu'il y a une absolution ou un pardon.
Cela ne m'inquiète pas pour un individu en particulier en ce sens que le lien est coupé entre l'identité de monsieur X et son ADN. Cependant, en tant que simple citoyen, je me demande si pour quelqu'un qui décide d'utiliser les profils qui flottent un peu à gauche et à droite, il n'y aurait pas une façon d'identifier un groupe X qui présente un potentiel de criminalité plus grand, ce qui causerait préjudice à ce groupe ou ferait en sorte qu'on aurait des présomptions contre l'ensemble de ce groupe. Cela nous mènerait sur une piste très très dangereuse. Pour moi, ce n'est pas la question d'un individu particulier qui m'inquiète, mais celle de l'ensemble de la société. Si on dit que tel groupe est plus susceptible d'être criminalisé, cela se sait et, dès qu'une personne fait partie de ce groupe, il y a une présomption un peu floue qui flotte contre elle. On se dit qu'elle est potentiellement un criminel. C'est dangereux.
Au lieu de rendre l'information simplement inaccessible, ne devrait-on pas la détruire parce qu'on pourrait en faire un usage extrêmement dangereux?
[Traduction]
M. Eugene Oscapella: Dans ce cas, étant donné que le profil d'ADN ne va pas vous fournir d'informations autres que celles servant à l'identification, il ne vous dira pas—et j'espère que j'ai raison quand je dis cela, et je crois que j'ai effectivement raison—le profil que vous obtiendrez ne vous donnera pas de l'information qui vous permettra d'établir si une personne a un trait génétique particulier, un trait comportemental ou quelque autre trait qui pourrait être courant chez les criminels, un trait particulier qui désignerait un être antisocial.
• 1645
En ce sens, je ne m'inquiète pas de ces échantillons non
appariés, flottants. S'il était possible d'utiliser ces
échantillons dont le lien est coupé pour faire une étude de traits
génétiques liés à la criminalité, par exemple, alors cela poserait
un problème, mais je crois savoir que ces aspects de l'ADN qu'on
examine maintenant n'ont pas de fonction connue.
Toutefois, dans 10 ans, on découvrira peut-être que ce que l'on appelle l'ADN égoïste a en fait bel et bien une fonction. Dans ce cas, son analyse pourrait bien fournir des indications sur certains des traits psychologiques ou physiologiques de ces personnes. Alors, nous n'aurions pas à revenir sur toute cette question et vous auriez eu raison d'évoquer le problème.
La présidente: Madame Finestone.
L'hon. Sheila Finestone: J'ai deux questions. En discutant avec un de mes collègues, vous avez parlé de l'échange d'informations à l'échelle internationale. Rares sont les autres pays qui ont des lois comme celle que nous avons maintenant et que nous prévoyons d'adopter. Il me semble qu'il serait bon d'inclure dans cette mesure législative une disposition selon laquelle en l'absence de loi étrangère similaire, les renseignements ne doivent pas être échangés. Je pense que c'est d'une importance vitale.
Deuxièmement, dans cet esprit, ne pourrait-on pas y voir l'élément précurseur d'une Charte canadienne des droits à la vie privée qui me semble tout à fait essentielle? Vous nous parliez du cas de l'assurance-chômage, qui indispose bon nombre d'entre nous depuis pas mal de temps. Cela en relèverait. Cela inclurait aussi les lois à caractère pénal. Pensez-vous qu'il faudra se doter d'une charte avant de pouvoir empêcher le partage de cette information avec d'autres pays à moins qu'ils aient des lois similaires?
M. Bruce Phillips: Non, je ne vois pas pourquoi vous devriez avoir cela dans une charte. On peut simplement en faire une condition contractuelle pour tout échange d'information.
Oui, je pense qu'il serait très bon d'exiger que toute information que nous donnons au sujet de nos citoyens à des gouvernements étrangers bénéficie à tout le moins du même degré de respect et de protection qu'on lui accorde dans notre pays. C'est loin d'être un principe neuf. C'est maintenant une politique du Conseil du Trésor... Il n'y a aucune loi qui régit ce genre de chose pour le moment, mais c'est maintenant ce qu'on recommande aux ministères, par exemple, lorsqu'il y a privatisation des opérations gouvernementales...
L'hon. Sheila Finestone: Et Revenu Canada.
M. Bruce Phillips: Oui. Cela pourrait devenir important parce que Revenu Canada va privatiser certaines de ses opérations. Le gouvernement recommande que dans toute opération de privatisation future, tous les renseignements personnels qui sont maintenant sous la garde du gouvernement du Canada et qui relèvent de sa responsabilité et sont transférés au secteur privé bénéficient de la même protection que leur accorde la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Il nous a fallu longtemps pour y parvenir. Tout cela a commencé avec la création de NAV CAN, lorsque les auteurs de ce projet, de part et d'autre, nous ont essentiellement envoyés promener. Nous avons procédé à une petite vérification des renseignements concernés, et il y avait littéralement des milliers de documents que le gouvernement avait en sa possession et qu'on allait céder à NAV CAN, qui n'en avait aucun besoin. Instruit par cette expérience, le gouvernement, à mon avis, a enfin compris qu'il est sage d'assurer la protection des renseignements personnels.
Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas appliquer les mêmes considérations aux accords internationaux où interviennent des échanges de renseignements. Il faudrait à tout le moins que l'on inscrive dans ces accords qu'il faut avoir le plus grand respect pour les droits des citoyens canadiens. Il faut admettre à mon avis que lorsque nous négocions avec d'autres gouvernements, il y a une foule d'autres considérations qui interviennent, mais cette considération devrait être prioritaire. Je suis parfaitement d'accord avec vous.
La présidente: Chers collègues, je vois que M. Phillips a piqué votre intérêt pour certaines de ces questions, mais il y aura toujours le Budget principal des dépenses.
Nous aimons tous la visite, nous sommes donc heureux de vous avoir reçus. Nous vous remercions vivement de nous avoir aidés dans notre étude de ce projet de loi.
M. Bruce Phillips: Merci, madame la présidente.
En terminant, je tiens à vous remercier pour votre courtoisie habituelle et vos questions extrêmement intéressantes. Si l'un d'entre vous tient à discuter de l'une de ces questions à titre individuel avec mes services, nous nous ferons un grand plaisir de vous recevoir. Et pour être franc avec vous, nous aimerions que ça se fasse plus souvent.
La présidente: Nous nous en souviendrons. Merci beaucoup.
Nous allons faire une pause d'une minute pour laisser le temps à M. Walsh de prendre place.
La présidente: Nous reprenons.
Nous recevons maintenant M. John Walsh, procureur de la Couronne au service du ministère du Procureur général du Nouveau- Brunswick.
Monsieur Walsh, je constate que vous allez nous faire des observations qui ont trait à notre étude du mandat autorisant le prélèvement de substances corporelles pour analyse génétique. Il nous tarde de vous entendre parce que c'est une question qui préoccupe beaucoup les personnes qui s'intéressent à ce nouveau projet de loi. Nous tenons sincèrement à savoir ce que pensent les divers procureurs généraux de la façon dont on utilise le mandat de prélèvement.
Nous allons vous écouter attentivement, après quoi nous vous poserons des questions.
M. John Walsh (procureur de la Couronne, ministère du Procureur général du Nouveau-Brunswick): Madame la présidente, mesdames et messieurs, je tiens tout d'abord à vous remercier de m'avoir invité dans le cadre de votre examen de l'application des dispositions régissant les mandats de prélèvement pour analyse génétique.
Avec votre permission, je vous ai soumis un texte portant sur le projet de loi C-3, la loi qui crée la banque nationale de données génétiques.
Je vais d'abord parler des dispositions régissant le mandat de prélèvement. On m'a dit qu'il conviendrait peut-être d'abord que vous sachiez quels sont mes antécédents, pour ainsi dire, afin que vous puissiez comprendre mon point de vue.
J'ai été reçu au Barreau du Nouveau-Brunswick en 1977. Pendant mes dix premières années d'exercice, j'étais avocat de la défense. Puis j'ai vu la lumière, et je suis alors devenu procureur de la Couronne pour...
La présidente: Il y a beaucoup de lumière de ce genre.
M. John Walsh: Je suis devenu procureur de la Couronne, et je le suis depuis une dizaine d'années. Je travaille au ministère du Procureur général du Nouveau-Brunswick.
En 1993, j'ai été détaché à la Division du droit pénal du ministère fédéral de la Justice pendant un an. Je me suis alors consacré exclusivement à l'étude de la preuve génétique médico- légale.
J'ai pris part aux procès et aux appels qui ont été interjetés dans des cas notoires où intervenait la preuve génétique, par exemple celui d'Allan Legere et de William Stillman et à l'époque où j'étais à Ottawa, j'ai collaboré à l'intervention fédérale dans l'affaire de Josh Borden de Nouvelle-Écosse.
M'appuyant sur cette expérience, je peux vous dire que la loi traitant des mandats de prélèvement pour analyse génétique est extrêmement utile dans les enquêtes et les poursuites relatives aux crimes graves.
Dans les cinq ou six ans qui ont précédé l'adoption de cette loi, les agents de police et les procureurs disposaient de cet instrument formidable qu'est la technique médico-légale des empreintes génétiques, qui leur permettait d'identifier les criminels violents et de corroborer les plaintes des victimes. Cependant, étant donné sa nature comparative, qui exigeait dans la plupart des cas le prélèvement d'un échantillon biologique du suspect, et l'incertitude de la common law et l'absence d'une loi précise autorisant le prélèvement d'une substance corporelle du suspect, bon nombre de poursuites se trouvaient être handicapées. Certaines ont même avorté. Tout cela a changé radicalement, et pour le mieux, avec l'adoption du projet de loi C-104.
Je sais par expérience, et les collègues que j'ai consultés partout au pays le confirment, que les dispositions régissant les mandats de prélèvement peuvent être et ont été utilisées de façon pratique, qu'il s'agisse de l'obtention ou de l'exécution des mandats. La plupart des dispositions se comprennent et s'appliquent aisément.
De même, à mon humble avis, la loi établit l'équilibre qu'il faut entre la nécessité de protéger la société, d'une part, et la nécessité d'assurer au maximum la sécurité du suspect, d'autre part. D'ailleurs, au cours de la dernière année, deux juges de première instance, l'un en Alberta et l'autre en Ontario, partant d'approches quelque peu différentes, ont confirmé la constitutionnalité de ces dispositions. Dans la cause ontarienne, le juge de première instance a statué toutefois que le prélèvement de cheveux ne se justifiait pas du point de vue constitutionnel. Je crois savoir qu'on a interjeté appel.
• 1700
De même, chose inhabituelle quoique sans conséquence, la Cour
suprême a fait des observations favorables sur l'utilisation du
mandat de prélèvement pour analyse génétique dans une affaire où la
loi n'était pas directement mise en cause.
Néanmoins, l'expérience vécue au titre de l'application de ces dispositions au cours des dernières années a également illustré la nécessité d'y apporter certains changements. J'aimerais mentionner deux domaines.
L'article 487.04 définit les infractions où l'on peut obtenir un mandat de prélèvement. Nous proposons qu'on y ajoute les infractions suivantes du Code criminel. La première, c'est l'infanticide, article 233, soit le meurtre d'un nouveau-né par sa mère, et la suppression du corps de l'enfant après l'accouchement, lorsqu'on dissimule qu'il y a eu naissance, article 243.
Cas exemplaire, au moment où l'on a adopté la loi créant les mandats de prélèvement, la justice avait été saisie d'une affaire où l'on avait trouvé un nouveau-né flottant dans une baie. On ne pouvait pas déterminer si l'enfant était mort avant, pendant ou après la naissance. La police soupçonnait une jeune personne d'être la mère et avait des motifs suffisants d'exécuter un mandat de prélèvement pour analyse génétique, mais l'infraction dont la mère aurait été accusée, l'article 243, suppression de part, n'était pas une infraction désignée. La preuve génétique, bien sûr, aurait été très utile étant donné qu'elle permet de déterminer la paternité.
Nous proposons qu'on ajoute d'autres infractions comme le harcèlement criminel—soit la disposition sur la traque qui est énoncé à l'article 264 du code criminel—ainsi que le fait de menacer de causer la mort ou des lésions corporelles graves, article 264.1; de même, l'extorsion, article 346. Il s'agit d'infractions graves à caractère violent qui se prêtent fort bien à l'utilisation de la technique des empreintes génétiques.
Surtout depuis l'avènement de l'ACP, soit l'amplification en chaîne par polymérase, on peut procéder à des analyses sur des échantillons même plus petits et en étant de dégradation plus avancée. D'ailleurs, on emploie cette technologie, qu'il s'agisse du procédé RFLP ou ACP, pour analyser des nanogrammes D'ADN. En conséquence, c'est presque maintenant un jeu d'enfant pour le scientifique judiciaire d'opérer des prélèvements à partir d'un timbre qu'on a humecté avec la langue, de rabats d'enveloppe, de gommes à mâcher, de mégots de cigarette, de récepteurs de téléphone, etc. Les preuves moléculaires permettent de faciliter des enquêtes criminelles comme celles que je viens de mentionner, et la seule limite ici est l'imagination. Sachant cela, on voit également l'utilité de la technique des empreintes génétiques dans les enquêtes et poursuites relatives à des infractions qui ne figurent pas dans le code criminel mais qui sont néanmoins des infractions graves, par exemple le trafic de drogues, que l'on pourrait ajouter à la liste des infractions désignées. Ces types de crimes, après tout, sont à l'origine de bien des actes de violence, particulièrement lorsqu'il s'agit de drogues dures.
Nous recommandons aussi qu'on ajoute les infractions relatives à la conduite dangereuse causant des lésions ou la mort. On pourrait y ajouter la conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles ou la mort, paragraphes 255(2) et 255(3), et la conduite dangereuse causant la mort ou des lésions corporelles, paragraphes 249(3) et 249(4).
Dans ce genre d'affaires, la technique des empreintes génétiques permet surtout de déterminer qui conduisait le véhicule, par exemple lorsqu'on trouve des taches de sang dans le véhicule à l'endroit où se trouvait le chauffeur, et ce, lorsqu'il y a accident avec occupants multiples ou lorsque le chauffeur se trouve à l'extérieur du véhicule au moment de l'intervention initiale. La négligence criminelle causant la mort ou des blessures, qui peut s'appliquer à la conduite d'un véhicule, constitue en ce moment une infraction désignée, tout comme le fait de quitter les lieux d'un accident. La logique n'interdit donc pas d'inclure des infractions soi-disant moins graves comme la conduite dangereuse ou la conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles ou la mort. Ce sont en soi des infractions graves et qui sont reconnues comme telles par le grand public et les tribunaux.
• 1705
Nous proposons également d'inclure cette forme de méfaits où
il y a dommages à un bien de plus de 5 000 $, paragraphe 430(3),
mieux connu sous le nom de vandalisme. Le vandalisme causé à la
propriété privée et publique est un problème grave.
Nous comprenons que la liste actuelle des infractions désignées vise exclusivement les crimes graves avec violence, la violence appréhendée où les cas où il y a risque considérable d'affrontement violent. Mais nous considérons que la violence ne doit pas être le seul élément déterminant lorsqu'il s'agit d'établir la liste des infractions où l'on peut délivrer un mandat de prélèvement.
Comment justifier que l'on ne saurait utiliser toutes les méthodes d'enquête voulues lorsqu'une propriété est gravement endommagée?
Chose certaine, nous valorisons davantage la protection contre la violence personnelle. Mais est-ce qu'on amoindrit l'importance de la technique des empreintes génétiques ou la nécessité de protéger les suspects contre toute atteinte inautorisée à leur intégrité corporelle parce que nous voulons aussi protéger la société des crimes graves contre la propriété? Le fait est que certains actes de vandalisme, et les crimes semblables comme l'incendie criminel peuvent avoir un effet dévastateur sur le système ou le public en général.
Je peux vous donner deux petits exemples—l'un hypothétique et l'autre réel—qui illustreront ma thèse.
Le cas hypothétique: Imaginez qu'une peinture du groupe des sept ou un Krieghoff est détruit dans un musée pendant les heures d'ouverture. Imaginez qu'un suspect a été identifié et que l'auteur de cet acte de vandalisme a laissé sur place une substance corporelle, disons du sang. La loi actuelle ne permettrait pas de délivrer un mandat de prélèvement.
Prenons maintenant l'exemple plus banal mais plus réel du concessionnaire de voitures dont les véhicules sont gravement endommagés. Disons que le parc où ils se trouvent n'est pas clôturé; par conséquent, on ne peut pas inculper le suspect d'entrer avec infraction. Mais disons qu'on a trouvé du sang sur l'un des véhicules. Un suspect a été identifié. On a suffisamment de motifs pour délivrer un mandat de prélèvement, mais sans preuves permettant qu'une identification positive, il sera difficile d'établir la culpabilité du suspect—du moins, sans compromettre un informateur.
D'où cette question pour la forme: devrait-on avoir le droit d'obtenir un mandat de prélèvement dans ces cas-là?
Ce qui revient bien sûr à vous demander de repenser les critères d'inclusion des infractions dans l'article 487.04.
J'aimerais maintenant passer à une disposition régissant le mandat de prélèvement où l'expérience a révélé une insuffisance.
L'article 487.05 énonce les motifs raisonnables qui autorisent l'émission d'un mandat. Il faut—et je paraphrase: a) qu'une infraction désignée ait été perpétrée; b) que la police ait trouvé la substance corporelle au cours d'une enquête où l'on peut utiliser la technique des empreintes génétiques; c) c'est que la personne que l'on recherche ait participé à la perpétration de l'infraction désignée; et d) que l'analyse génétique médico-légale de la substance corporelle prélevée du suspect, substance qui doit être comparée à l'échantillon recueilli au cours de l'enquête, confirme l'identité de l'échantillon inconnu.
C'est inhabituel, et c'est malheureux, mais vous remarquerez que l'alinéa tel qu'il est libellé dans le code criminel définit l'échantillon biologique inconnu—c'est-à-dire, l'échantillon probatoire—comme étant celui qui a été recueilli par la police au cours de son enquête.
L'alinéa 487.05b) dit ceci:
-
qu'une substance corporelle a été trouvée:
-
(i) sur le lieu de l'infraction,
-
(ii) sur la victime ou à l'intérieur du corps de celle-ci
-
(iii) sur ce qu'elle portait ou transportait lors de la
perpétration de l'infraction,
-
(iv) sur une personne ou à l'intérieur du corps d'une personne, sur
une chose ou à l'intérieur d'une chose ou dans des lieux liés à la
perpétration de l'infraction.
On comprend que le législateur, en donnant une définition aussi large des circonstances, ne voulait pas circonscrire l'origine de l'échantillon probatoire auquel il faut comparer l'échantillon prélevé sur le suspect. Toutefois, en définissant des circonstances aussi larges que possible, le législateur a créé un problème d'interprétation, qui s'est manifesté dans deux cas où l'on a refusé l'émission du mandat.
• 1710
Dans le premier cas, la plaignante allégeait qu'une certaine
personne l'avait agressée sexuellement, en conséquence de quoi elle
était tombée enceinte. Le suspect niait avoir eu avec elle le
moindre contact sexuel. La police disposait des motifs voulus pour
obtenir un mandat de prélèvement, et voulait bien sûr corroborer la
plainte en comparant le profil d'identification génétique du
suspect à celui du foetus. La mère était consentante. Le tribunal
a refusé de délivrer le mandat parce que le foetus ne correspondait
pas à la définition de la substance corporelle trouvée «sur la
victime ou à l'intérieur du corps de celle-ci» ou «sur une personne
ou à l'intérieur du corps d'une personne, sur une chose ou à
l'intérieur d'une chose ou dans des lieux, liés à la perpétration
de l'infraction».
Dans un autre cas semblable, dans une province différente, le mandat a été émis. C'est une question d'interprétation par les tribunaux.
De la même façon, dans un autre cas, on a refusé d'émettre le mandat dans des circonstances semblables, sauf que la plaignante allégeait que l'agression sexuelle avait eu lieu 25 ans auparavant, qu'elle était tombée enceinte et qu'elle avait donné naissance à un enfant. Le suspect a nié avoir eu le moindre contact sexuel avec elle. La police a demandé un mandat afin d'effectuer un prélèvement sur le suspect et de comparer son profil d'identification génétique à celui de l'enfant, qui était adulte et qui avait accepté de se prêter à la comparaison. Le juge a refusé le mandat parce que l'enfant ne répondait pas aux définitions que l'on trouve à l'alinéa 487.05b)
Il serait raisonnable de modifier cet alinéa afin d'autoriser la délivrance d'un mandat de prélèvement dans de tels cas, mais sans créer une nouvelle catégorie. Il serait plus simple de ne pas définir le lieu d'où doit provenir l'échantillon probatoire. Nous proposons de modifier simplement l'alinéa b) ainsi:
-
qu'une substance corporelle ait été trouvée ou recueillie
—et que l'alinéa b) soit modifié en conséquence comme suit:
-
que l'analyse génétique de la substance corporelle provenant de la
personne et comparée à la substance corporelle mentionnée à
l'alinéa b) fournisse des informations concernant l'infraction.
À notre avis, un tel changement simplifiera l'émission du mandat, évitera des interprétations contradictoires et des litiges inutiles, supprimera un obstacle inutile à l'utilisation du mandat et donnera plus d'uniformité à l'approche du législateur, comme celle que l'on trouve à l'article 487.091 du Code criminel qui fait état du mandat autorisant le prélèvement de substances corporelles.
Ce sont les deux recommandations que je voulais faire pour ce qui est du mandat. J'aimerais maintenant passer à l'étude que vous faites du projet de loi C-3.
Alors que les dispositions relatives au mandat de prélèvement intéressent les crimes avec suspects, ce projet de loi porte sur l'utilisation de la technique médico-légale des empreintes génétiques pour les crimes sans suspect. Nous sommes tout à fait favorables à l'idée de créer une banque nationale de données génétiques. Nous admettons que l'élaboration du projet de loi C-3 a été difficile. Il fallait tenir compte d'intérêts divers qui entraient parfois en conflit, comme on le voit dans le sommaire des consultations qui ont été faites après la publication du document de consultation.
Dans l'ensemble, nous croyons que les mesures post-condamnation envisagées par le projet de loi C-3 constituent une réponse judicieuse et pragmatique. On respecte les besoins de la société en améliorant l'application de la loi mais tout en protégeant les droits constitutionnels de tous citoyens. D'ailleurs, je suis d'accord avec ce qu'a dit le commissaire à la protection de la vie privée au sujet des échantillonnages pré-condamnation. À mon humble avis, il sera impossible de justifier cela d'un point de vue constitutionnel.
Nous aimerions toutefois faire valoir quelques objections. Tout d'abord, même si nous comprenons pourquoi l'on veut établir une approche en deux volets pour les infractions primaires désignées, et par conséquent pour l'inclusion des condamnés dans le fichier des condamnés, nous avons des réserves quant à l'adoption d'une approche discrétionnaire qui déterminerait si les condamnés pour infractions primaires figureraient dans ce fichier. Comme vous le savez, l'article 17 du projet de loi sur l'identification par les empreintes génétiques—et il y a plusieurs amendements ici— obligerait de prime abord les autorités à prélever des échantillons de toutes personnes reconnues coupables d'une infraction primaire, soit les plus graves. Mais il y a une mise en garde. Le texte dit:
-
Le tribunal n'est pas tenu de rendre l'ordonnance en question [...]
s'il est convaincu que l'intéressé a établi qu'elle aurait, sur sa
vie privée et la sécurité de sa personne, un effet nettement
démesuré par rapport à l'intérêt public en ce qui touche la
protection de la société et la bonne administration de la justice,
que vise à assurer la découverte, l'arrestation et la condamnation
rapide des contrevenants.
On prévoit aussi un droit d'appel indépendant du droit d'en appeler d'une condamnation.
• 1715
Si le législateur veut ainsi permettre aux autorités de
prélever des échantillons sur des personnes reconnues coupables
d'une infraction primaire afin des les inscrire dans la banque de
données génétiques, il est dangereux de définir dans le texte de
loi la discrétion résiduaire dont disposerait le juge pour refuser
d'ordonner le prélèvement de l'échantillon. Si je comprends bien,
et la jurisprudence l'a démontré, les tribunaux ont le droit
inhérent en vertu de la Constitution d'exempter tous citoyens de
toutes mesures mandatoires dans des cas extrêmes ou rares, mais si
l'on définit dans le texte de loi une telle latitude pour une
mesure que l'on veut obligatoire, on s'expose à des litiges et l'on
crée des circonstances favorables à des interprétations judiciaires
divergentes et à l'application inégale de la loi. Une telle
disposition, qui par nécessité contient des critères nébuleux, ne
fera qu'ajouter un contentieux de plus, consommera des ressources
déjà rares et alourdira encore plus le système judiciaire.
Autrement dit, nous sommes d'avis que la loi doit clairement exprimer l'intention du législateur, par voie d'une disposition obligatoire, du moins pour certains des pires crimes, et qu'il faut laisser aux tribunaux le soin de déterminer si la Constitution autorise des exceptions, et il ne faut pas que de telles requêtes en ce sens soient favorisées par un texte législatif défectueux et les interprétations divergentes qui en résulteraient.
J'aimerais maintenant aborder ce qu'on appelle l'effet rétroactif du projet de loi C-3. Comme vous le savez, et comme vous l'a expliqué le commissaire à la protection de la vie privée, une disposition du projet de loi s'appliquera de façon rétroactive. Cet article permet le prélèvement d'échantillons de substances corporelles par la police lorsque la poursuite en fait la demande à un juge, chez les condamnés ayant été déclarés contrevenants dangereux aux termes du Code criminel avant l'adoption du projet de loi, chez les détenus ayant été reconnus coupables de plus d'une infraction sexuelle et purgeant une peine d'au moins deux ans d'emprisonnement, et chez les libérés conditionnels ayant commis une de ces infractions au moment où la loi entrera en vigueur. Nous estimons que cela ne va pas assez loin. On pourrait renforcer immédiatement l'efficacité de la banque de données génétiques en élargissant l'application de cette disposition à ceux qui purgent une peine pour meurtre et homicide ou, du moins, à ceux qui purgent une peine pour avoir commis plus d'une de ces infractions.
J'ai lu la semaine dernière qu'on avait fait remarquer aux membres de votre comité que le projet de loi C-103 ne s'appliquera pas à des criminels comme Clifford Olson. On l'a répété cet après- midi. Nous sommes d'accord pour dire que c'est là une lacune du projet de loi. Le Nouveau-Brunswick a le tristement célèbre Allan Légère. Il ne serait pas non plus assujetti à ces dispositions législatives. Pourtant, les criminels de cet acabit devraient l'être.
Il y a beaucoup de crimes avec violence qui n'ont pas encore été élucidés au pays. C'est un problème urgent. Le bon sens nous dit qu'il est fort probable qu'au moins certains de ces criminels ont commis, dans le passé, des crimes particulièrement violents qui n'ont pas encore été élucidés. De plus, dans le cas de ceux qui sont actuellement en libération conditionnelle ou qui le seront un jour, la banque de données génétiques constitue un outil important qui nous permettra de résoudre les crimes avec violence en établissant des liens entre ces crimes et les libérés conditionnels qui pourraient en être coupables. Pourquoi devrions-nous attendre qu'ils commettent des homicides pour établir leur profil génétique?
Bien sûr, on peut faire valoir, comme nous l'avons fait, qu'en supprimant le pouvoir discrétionnaire que confère aux juges ce projet de loi ou en élargissant la portée du projet de loi en lui donnant un effet rétroactif à l'égard d'autres infractions, que le projet de loi ne serait peut-être pas constitutionnel. De telles modifications seraient-elles jugées constitutionnelles par la Cour suprême? En ce qui concerne les questions que nous avons soulevées, du moins, les avis juridiques diffèrent. Nous estimons que les changements que nous proposons d'apporter au projet de loi C-3 sont constitutionnels; sinon, nous n'en aurions pas fait la suggestion. Mais, évidemment, tous ne sont pas d'accord avec nous.
• 1720
J'ai écouté votre discussion avec le commissaire à la
protection de la vie privée à ce sujet. Si vous le permettez,
j'aimerais vous donner une idée du débat que cela a déjà suscité.
Par exemple, notre recommandation selon laquelle le projet de loi
C-3 devrait s'appliquer aux détenus ayant été reconnus coupables
d'homicides et purgeant une peine au moment de l'adoption du projet
de loi, ou, au moins, à ceux qui ont commis plusieurs homicides.
Certains font valoir que le projet de loi ne peut avoir d'effet rétroactif et qu'il ne peut certainement pas viser des délinquants autres que ceux déjà visés, à savoir les contrevenants dangereux et les agresseurs sexuels en série. Ils citent les règles d'interprétation législative qui caractérisent le prélèvement de substances corporelles chez une personne condamnée dans le passé comme un châtiment et concluent donc que c'est une violation du paragraphe 11(i) de la Charte.
Pour notre part, nous affirmons que le projet de loi C-3 n'est pas un régime de détermination de la peine. Il n'impose pas de châtiment en exigeant le prélèvement d'un échantillon après la condamnation. En outre, et c'est encore plus important, le projet de loi n'a pas d'effet rétroactif tel qu'on l'entend en droit. On emploie ce terme en langage courant pour décrire ce qui s'applique au passé. Mais en droit, je crois savoir que ces termes sont définis très précisément.
Cette disposition du projet de loi C-3 en fait confère un statut à certaines personnes en fonction de leur comportement passé. La meilleure façon pour moi de m'expliquer est de vous donner comme exemple une décision qu'a rendue la Cour suprême en 1968, avant l'avènement de la Charte. Cette décision est à mon avis pertinente même si elle a été rendue avant l'adoption de la Charte. Elle traite de ce qui était alors les nouvelles dispositions législatives sur les récidivistes et tranche la question de savoir s'il était permis de tenir compte des condamnations antérieures à l'adoption de cette loi pour déclarer un criminel récidiviste. Il s'agit de l'arrêt Patton qui, je le répète, remonte à 1968.
Je citerai brièvement la Cour suprême du Canada.
-
Les dispositions visant les repris de justice n'ont pas pour but de
créer une nouvelle infraction ou d'alourdir la peine au regard des
infractions pour lesquelles une peine avait déjà été imposée.
L'objectif est la prévention du crime. Le repris de justice n'est
pas emprisonné pour ce qu'il a fait, mais plutôt pour ce qu'il est.
Cette constatation est simplement une déclaration de son statut de
repris de justice, lequel est déterminé en fonction de ses
antécédents.
Les faits ne sont pas identiques, mais je crois que vous voyez où je veux en venir. Le principe dont il est question est aussi abordé dans un autre arrêt:
-
Une loi ne s'applique pas rétroactivement du fait qu'une de ses
dispositions renvoie au passé ou parce qu'elle tient compte
d'événements passés.
Je le répète, ce n'est qu'un aperçu du débat et, manifestement, il s'agit de questions complexes. Mais si on hésite à apporter des modifications que souhaitent les Canadiens seulement en raison des effets que cela pourrait avoir sur la constitutionnalité du projet de loi, nous avons une dernière recommandation à faire qui, je le crains, en étonnera certains.
Nous vous suggérons de demander au gouverneur en conseil de renvoyer le projet de loi à la Cour suprême, comme le permet l'article 53 de la Loi sur la Cour suprême. Le renvoi du projet de loi C-3 dans son intégralité, après que le Parlement y ait apporté les modifications souhaitées par les Canadiens, représente une occasion unique comportant de nombreux avantages.
Contrairement à la plupart des autres lois pénales, le projet de loi C-3 ne dépend pas de faits, en ce sens qu'il faut une cause concrète comme fondement des arguments. Il se prête bien aux renvois, et des preuves extrinsèques peuvent être présentées à la cour pour l'aider dans ses délibérations.
Les questions telles que celles que nous avons soulevées, si elles sont incorporées dans le projet de loi modifié, pourraient être tranchées avant l'entrée en vigueur de la loi et, ainsi, guider son application.
Un renvoi permettrait d'éviter la multitude de contestations provenant des différentes provinces qui surviendrait inévitablement si le projet de loi était adopté selon le processus normal, ce qui pourrait créer une certaine période d'incertitude avant l'examen qu'en fera inévitablement la Cour suprême, examen qui pourrait prendre des années et que tribunal pourrait entreprendre de façon fragmentaire, ce qui ne ferait que prolonger l'incertitude. Entre temps, il faudra consacrer des ressources considérables pour répondre à ces contestations.
• 1725
Un renvoi permettrait aussi d'apaiser les craintes selon
lesquelles toute décision de la Cour suprême sur ce projet de loi
rendue un certain temps après l'entrée en vigueur de cette loi,
aurait une incidence grave sur son application. Tout changement
découlant d'une décision de la Cour suprême rendue dans plusieurs
années pourrait avoir d'importantes conséquences économiques et
technologiques.
Bien que nous ayons hâte que ce projet de loi soit adopté— croyez-moi, pour ma part, j'ai hâte qu'il le soit—le temps que prendrait le renvoi à la Cour suprême serait compensé par la certitude qui en découlerait.
Enfin, le renvoi direct d'une mesure législative telle que celle dont est actuellement saisi le Parlement ne ferait, à mon humble avis, que refléter la nature de notre pays depuis l'avènement de la Charte, celle d'une démocratie constitutionnelle.
Cela met fin à mes remarques, madame la présidente, mesdames et messieurs. Merci de votre attention.
La présidente: Merci, monsieur Walsh. Lorsque vous dites «nous», vous parlez de votre ministère?
M. John Walsh: Oui, le ministère du Procureur général.
La présidente: Avez-vous consulté d'autres ministères du Procureur général?
M. John Walsh: Je tiens à préciser que je suis ici au nom du ministère du Procureur général du Nouveau-Brunswick. J'ai consulté mes collègues, ceux qui, comme moi, travaillent sur le terrain, concernant l'application de la disposition sur le prélèvement avec mandat et sur d'autres questions. Je ne peux toutefois m'exprimer au nom d'autres ministères provinciaux du procureur général.
La présidente: Ce n'est pas ce que je vous demande. Je voulais seulement savoir si vous aviez communiqué avec eux.
M. John Walsh: Oui. J'ai eu des discussions avec bon nombre de mes homologues au Canada concernant ces questions.
La présidente: En ce qui a trait au projet de loi C-104, pourrait-on dire que vous n'êtes pas isolé? Vous voyez ce que je veux dire?
M. John Walsh: Que je suis isolé?
La présidente: Je ne vous demande pas de vous exprimer au nom des autres, mais diriez-vous que votre position concernant le projet de loi C-104 est celle de bien d'autres régions du pays?
M. John Walsh: Celles de bien des avocats de la Couronne.
La présidente: Oui, c'est d'eux que je parle.
M. John Walsh: Je pense que c'est exact. Je ne crois pas qu'il y ait bien des avocats de la poursuite qui s'opposeraient à l'inclusion des infractions que j'ai proposées. On pourrait bien sûr adopter une position extrême et demander l'inclusion de tous les actes criminels. Ce n'est pas ce que j'ai fait. Certains réclameront une telle modification, comme je pensais le faire au départ, mais je suis revenu sur ma décision depuis.
J'ai tenté de recenser les infractions qui me semblent indiquées, mais aussi celles qui ont été mentionnées par d'autres procureurs. Je crois que vous entendrez la semaine prochaine une procureure de la Couronne de l'Ontario; je m'attends à ce qu'elle soulève à peu près les mêmes préoccupations que moi, mais peut-être d'autres aussi.
La présidente: Nous avons aussi invité la Ontario Crown Attorneys' Association, ce qui devrait être intéressant. Merci. Je tenais à ce que ce soit précisé à l'intention de mes collègues.
M. John Walsh: Madame la présidente, si je peux me permettre, je sais que le projet de loi soulève d'autres questions. Certaines sont très techniques. Je n'en ai relevé que quelques-unes qui me semblaient...
La présidente: Avez-vous communiqué directement avec le ministère de la Justice à ce sujet?
M. John Walsh: Vous parlez du ministère fédéral de la Justice?
La présidente: Oui.
M. John Walsh: Oui. Je n'ai pas eu de communications officielles avec le ministère, mais je me suis entretenu avec des avocats qui y travaillent sur différentes questions.
La présidente: Merci.
Monsieur Ramsay, vous avez environ cinq minutes.
M. Jack Ramsay: Merci, madame la présidente.
Vous avez parlé de l'article 487.055; vous avez dit qu'on devrait l'élargir. C'est ce que nous appelons l'article à effet rétroactif...
M. John Walsh: D'accord. J'ai cru d'abord que vous parliez de l'article 487.05 du projet de loi C-104.
M. Jack Ramsay: Je parle plutôt du projet de loi C-3. Vous aimeriez que cette disposition soit élargie?
M. John Walsh: Oui.
M. Jack Ramsay: Vous avez parlé d'y inclure le meurtre. Est-ce là la seule infraction que vous voudriez y ajouter?
M. John Walsh: Oui, pour l'instant, je m'en tiendrais à l'homicide. Mais c'est déjà pas mal. C'est une catégorie importante d'infractions.
M. Jack Ramsay: Pourquoi n'incluez-vous pas aussi le viol? Pourquoi ne pas inclure aussi ce crime?
M. John Walsh: Du point de vue pratique, rien ne vous empêcherait de le faire. Toujours du point de vue strictement pratique, vous pourriez inclure toutes les infractions désignées. Mais le problème, c'est que quel que soit le libellé que vous adoptiez pour assujettir à la loi ceux qui ont commis des crimes dans le passé, vous devrez prouver à la cour que vous avez quand même fait preuve de retenue afin de trouver le juste milieu.
Le libellé actuel comprend les agresseurs sexuels en série et les contrevenants dangereux. Il m'apparaîtrait justifié d'y inclure aussi ceux qui ont commis un homicide.
M. Jack Ramsay: Croyez-vous qu'on contesterait la constitutionnalité du projet de loi si nous allions plus loin?
M. John Walsh: Je crois qu'on contestera la constitutionnalité du projet de loi dans sa forme actuelle.
La présidente: Moi, oui.
M. Jack Ramsay: Je vois.
Dites-nous quel droit la loi confère aux autorités, à la police, relativement à la prise d'empreintes digitales de gens comme Clifford Olson ou Allan Légère que la police n'avait pas obtenues avant la condamnation. Pouvez-vous, après la condamnation, obtenir les empreintes digitales de celui qui a été reconnu coupable d'un acte criminel?
M. John Walsh: Je crois que la Loi sur l'identification des criminels prévoit la prise d'empreintes digitales avant et après la condamnation.
M. Jack Ramsay: Il y a donc un précédent. Pourquoi alors craindre une contestation judiciaire aux termes de la charte à cet égard?
M. John Walsh: Parce que j'ai été l'un des plaideurs dans l'affaire Stillman, et je peux vous dire que la Cour suprême fait toute une distinction entre les empreintes digitales latentes et le prélèvement d'un échantillon de substance corporelle.
M. Jack Ramsay: Sur quoi se fonde cette distinction?
M. John Walsh: La présomption du droit à la vie privée, le degré d'ingérence, la protection de l'intégrité corporelle du suspect. Vous voyez, on justifie l'inclusion des condamnés dans le fichier des condamnés—qu'on parle de lois à effet rétroactif ou de lois qui statuent pour l'avenir—on justifie cette inclusion en droit en invoquant le fait que, après une condamnation, la protection de la vie privée à laquelle on peut s'attendre est réduite.
M. Jack Ramsay: Est-ce le prélèvement même qui constituerait une violation de la vie privée ou la valeur énorme des informations révélées par l'analyse de l'échantillon? De quoi dépend la question de la vie privée? Qu'a dit la Cour suprême à ce sujet?
M. John Walsh: Cela n'est pas non seulement de l'information qu'on peut obtenir avec un échantillon, mais aussi... Les juges de la Cour suprême ont parlé d'une sphère privée qui entoure chacun. Il faut donc tenir compte non seulement de l'information, mais aussi de l'intégrité physique. Plusieurs facteurs entrent en jeu. Il s'agit de l'autonomie de chacun.
Je crois que le commissaire à la protection de la vie privée a fait allusion au Juge La Forest, qui a rédigé de nombreux textes sur ce sujet lorsqu'il était juge à la Cour suprême. Les juges de la Cour suprême ont statué que chacun est autonome et entouré d'une sphère privée. La possibilité d'entrer dans cette sphère, de franchir la barrière juridique qui protège la vie privée de chacun dépend de la raison qui la justifie. Cela dépend de...
M. Jack Ramsay: Je ne comprends pas. La prise d'empreintes digitales prend beaucoup moins de temps que le prélèvement d'un peu de sang par une piqûre au bout du doigt, le prélèvement d'un cheveu et l'écouvillonnage. Si, grâce à la technologie, le facteur de la vie privée... Il semble que, en Nouvelle-Zélande, la technologie a progressé au point où on peut obtenir un échantillon d'ADN par un procédé semblable à celui utilisé pour la prise des empreintes digitales. Si tel est le cas, qu'est-ce que cela change? Cela ne permettrait-il pas d'apaiser les craintes concernant les violations de la vie privée?
M. John Walsh: Monsieur Ramsay, ayant plaidé dans l'affaire Stillman devant la Cour suprême, je peux vous dire que les juges de cette cour ne voient pas la prise d'empreintes digitales latentes comme le prélèvement d'une substance corporelle. En fait, il y a pour eux une grande différence entre cela et la prise d'une impression dentaire.
Nous avons dû régler la question de l'impression dentaire dans l'affaire Stillman. J'ai tenté d'établir une comparaison entre la prise d'empreintes digitales et la prise d'impressions dentaires. La common law autorise la fouille anale dans certaines circonstances, pour trouver des preuves telles que des drogues. Nous avons fait toutes ces comparaisons. Mais si vous lisez le jugement de M. Cory dans l'affaire Stillman, vous verrez qu'il statue clairement, au nom de la majorité des juges, qu'il y a une distinction fondée sur la nature hautement incriminante de ces preuves.
M. Jack Ramsay: Pourrais-je poser encore une question? Merci, madame la présidente, je vous en sais gré.
La présidente: Mais vous paierez au prochain tour.
M. Jack Ramsay: Je n'en doute pas.
Que dit la loi sur l'obtention d'un échantillon d'ADN sans le consentement du suspect—autrement dit, en conservant un verre dans lequel le suspect a bu, un mouchoir dans lequel il s'est mouché?
M. John Walsh: Autant dans l'affaire Stillman que dans l'affaire Légère... Légère a reçu des coups de pied dans la figure pendant son arrestation. Puis, pendant qu'il déjeunait, il s'est mouché et a jeté le papier mouchoir à la poubelle. Un policier a retiré le papier mouchoir de la poubelle, et le mouchoir a donné un des meilleurs échantillons de substance corporelle dont on disposait pour faire une comparaison avec le sperme trouvé sur le lieu des différents crimes.
Dans l'affaire Stillman, Stillman s'est mis à sangloter pendant son interrogatoire. Il est allé aux toilettes avec un policier, a pris une serviette de papier pour s'essuyer la bouche et se moucher et a jeté cette serviette de papier à la poubelle. Le policier a ramassé la serviette de papier. On y a trouvé un meilleur échantillon de substance corporelle que le cheveu qu'on avait déjà prélevé, et on l'a comparé au sperme qu'on avait trouvé sur la victime.
L'hon. Sheila Finestone:
[Note de la rédaction: Inaudible]
M. John Walsh: Oui, mais je vous ai donné cet exemple pour vous faire comprendre comment nous avions alors interprété la loi, à savoir qu'on ne peut s'attendre raisonnablement à ce que la nature privée d'une chose dont on se débarrasse soit protégée et que, par conséquent, pour prendre cet objet, on n'a pas besoin d'autorisation judiciaire.
Dans l'arrêt Stillman, le juge Cory a dit qu'il n'était pas juste de présumer que celui qui jette un article pendant qu'il est détenu par la police veut se débarrasser de cet article.
M. Jack Ramsay: Si cela ne s'était pas passé pendant que le suspect était en détention policière?
M. John Walsh: Ça aurait été permis, on aurait pu prendre le mouchoir sans problème.
M. Jack Ramsay: Comment la Cour suprême a-t-elle analysé cela?
M. John Walsh: C'est là le principe fondamental, à savoir que celui qui jette une chose ne peut raisonnablement s'attendre à ce que la nature privée de cette chose soit protégée. Bien sûr, cela dépend de ce qu'on jette et de l'endroit où on le jette.
M. Jack Ramsay: Un jugement a-t-il été rendu sur ce sujet?
M. John Walsh: Il y en a eu plusieurs. Il y a l'arrêt Love, en Alberta. Il y a les arrêts Légère et Stillman. Il y a aussi l'affaire dont vous avez parlé où on avait conservé des verres. Il y a aussi l'affaire—le nom exact m'échappe, je crois que c'est Good—où la police a installé un petit kiosque de dégustation au centre commercial, je crois que c'était en Colombie-Britannique, un kiosque de dégustation de gomme à mâcher et de jus.
La présidente: Good?
M. John Walsh: Je crois que c'est Jason Good.
La présidente: Oui.
M. John Walsh: La police a donc fait faire des dégustations. Les policiers avaient suivi le suspect et connaissaient bien sa routine. Il allait régulièrement au centre commercial. Ils l'ont donc amené à boire du jus et à goutter à de la gomme a mâcher qu'il a ensuite jetée... À partir de cet échantillon, on a pu obtenir suffisamment d'ADN pour le comparer à celui qu'on avait trouvé sur les lieux du crime. La valeur statistique d'identification était bonne, mais sans plus.
On venait juste d'adopter le projet de loi C-104 permettant le prélèvement de substances corporelles aux fins médico-légales avec un mandat. Les policiers ont donc obtenu un mandat et obtenu un échantillon de meilleure qualité de l'accusé qu'ils ont comparé aux échantillons provenant du lieu du crime. La valeur statistique de ce deuxième échantillon était meilleure et on a jugé que cela équivalait à une identification formelle.
Mais la loi fait des distinctions relativement à ce qu'on jette à la poubelle. Il ne s'agit pas simplement...
M. Jack Ramsay: Ce n'est pas clair.
M. John Walsh: Ce n'est pas clair.
M. Jack Ramsay: Merci.
[Français]
La présidente: Monsieur Marceau.
M. Richard Marceau: D'abord, merci d'être venu. Vous avez commencé par dire que vous étiez avocat de la défense avant de devenir procureur de la Couronne et que vous aviez vu la lumière. Je pense que la lumière était très brillante.
Ma principale question a trait à la suggestion que vous faites de modifier l'article 17 du projet de loi de manière à retirer au juge le pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi de refuser le prélèvement d'une substance corporelle sur une personne reconnue coupable d'une infraction primaire désignée. Je n'ai pas compris exactement pourquoi vous vouliez en faire une chose aussi systématique.
[Traduction]
M. John Walsh: Mes remarques traitaient précisément des infractions désignées primaires à l'égard desquelles on confère un pouvoir discrétionnaire aux juges. Cela va susciter de nombreuses poursuites. Au départ, certains intenteront des poursuites pour tenter de déterminer dans quelle mesure le prélèvement de substances corporelles est obligatoire. Si vous examinez les critères établis par le projet de loi, vous constaterez qu'ils sont nébuleux. Il est très difficile de prévoir comment ce pouvoir discrétionnaire s'appliquera.
On craint que les intentions du Parlement ne s'en trouvent diluées. Si l'intention du Parlement est de rendre obligatoire le prélèvement d'échantillons chez ceux ayant été reconnus coupables d'une infraction primaire, qu'il le dise. Mais s'il tente de définir les circonstances dans lesquelles le juge jouira d'un pouvoir discrétionnaire, il ne fait qu'encourager les contestations judiciaires.
[Français]
M. Richard Marceau: Mais en même temps, comme vous le disiez vous-même, on essaie, par le projet de loi, de trouver un équilibre entre deux questions de société, c'est-à-dire la protection de la société contre le crime et la protection de la vie privée. En donnant aux juges ce pouvoir discrétionnaire au lieu d'en faire un automatisme, ne réussit-on pas à trouver un meilleur équilibre? Si on dit que quelqu'un, dès qu'il est reconnu coupable d'une infraction primaire désignée, peut être amené à donner un échantillon, n'ouvre-t-on pas la porte à une action basée sur la Charte canadienne?
[Traduction]
M. John Walsh: Le projet de loi restera vulnérable aux contestations judiciaires, quoi que vous fassiez, mais vous ne supprimerez pas tout pouvoir discrétionnaire. Les juges ont le droit inhérent, dans les cas exceptionnels, de pallier ce qu'ils considèrent comme une véritable injustice, en invoquant l'exemption constitutionnelle.
Le Parlement a le droit de dire qu'il veut que l'on prélève des échantillons sur cette catégorie de condamnés. En décidant quel genre d'infractions donneront lieu à ces prélèvements d'échantillons, on vient de décider sur qui on les prélèvera. On ne prétend pas en aucune circonstance une personne puisse s'y soustraire; dans certains cas, c'est possible. Les juges ont ce pouvoir inhérent, il n'est exercé que rarement et doit être l'exception.
Si l'on cherche à trop circonscrire, selon le point de vue du juge et de la nature des critères, l'on créera toutes sortes d'interprétations différentes sur les condamnés qui figureront dans la banque de données. Le danger et c'est en fait ce qu'on craint, c'est qu'un juge peut avoir une résistance plus grande que l'autre lorsqu'il s'agit de ne pas obliger quelqu'un à donner un échantillon. Il y a donc le risque de deux poids, deux mesures au niveau de cette banque de données. Il faudra un certain temps pour que tout cela se rende la Cour suprême, à moins qu'on ait recours à un renvoi direct. Il y a donc une longue période pendant laquelle la mise en oeuvre pourrait se faire inégalement et les ressources qu'il faudrait consacrer au cas par cas seraient énormes.
[Français]
M. Richard Marceau: Vous êtes venu en tant que procureur de la Couronne et, finalement, vous nous dites qu'il y aurait des changements à faire, mais que dans l'ensemble, le projet de loi dans sa forme actuelle vous satisfait relativement bien. Si je demandais la même chose à John Walsh, avocat de la défense d'il y a 15 ans, la réponse serait-elle la même?
[Traduction]
M. John Walsh: Oui.
La présidente: Monsieur Muise.
M. Mark Muise: Monsieur Walsh, à l'heure actuelle, la liste de crimes constituant une infraction primaire ou secondaire désignée pour fins de prélèvement pour la collection d'ADN n'englobe pas l'article 163.1 du Code criminel, traitant de la possession de pornographie juvénile. Pourrait-on inclure l'article 163.1 comme infraction désignée en vertu du projet de loi C-3 et, si tel est le cas, s'agirait-il pour vous d'une infraction primaire ou secondaire?
M. John Walsh: Je consultais les dernières pages de la loi sur les mandats où se trouve la liste complète des infractions désignées.
Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas l'inclure. Ce genre de crime est très sérieux. Il s'agit de crime avec violence redoutée.
Essentiellement, vous voulez que l'on inscrive ce genre de crime sur la liste des infractions désignées pour lesquelles il est possible d'obtenir un mandat. Je ne vois pas pourquoi cela ne pourrait pas se faire. Au cas par cas, il serait rare d'avoir des preuves génétiques, mais je ne vois pas pourquoi cela ne pourrait pas se faire.
Il me faudrait y réfléchir un peu avant de vous dire si cela devrait constituer une infraction primaire ou secondaire aux fins de la banque de données. J'aimerais pouvoir y réfléchir un peu.
M. Mark Muise: Oui.
M. John Walsh: À mon avis, il y a de très bonnes raisons pour inclure cela dans la banque de données. Je crois qu'il est évident que la possession de pornographie juvénile laisse craindre que cela n'entraîne d'autres genres d'infractions. Je n'aime pas parler de but en blanc—je le fais assez souvent—néanmoins, de but en blanc, il me semble qu'il y a justification surtout si l'on se rappelle que la mise en banque des données vise le récidivisme ou les récidivistes possibles.
M. Mark Muise: Merci.
Lorsqu'il nous a parlé de la banque de données génétiques, le solliciteur général ne nous a pas dit très clairement comment le tout se financerait au niveau du fonctionnement ou de la consultation. Il n'a pas pu répondre clairement et nous dire si les frais de fonctionnement seraient partagés entre le fédéral et les autres niveaux de gouvernement, ou si les frais incomberaient aux provinces ou aux divers corps policiers en vertu d'un accord sur la participation aux frais. Pourriez-vous nous décrire quelle est la situation actuelle en matière de recouvrement de frais?
M. John Walsh: C'est bien au-delà de mes compétences. Je suis désolé, je ne puis tout simplement pas répondre à cette question. Je n'ai aucun renseignement et je ne connais pas le sujet. Je n'oserais m'aventurer à répondre.
La présidente: Cela n'arrête aucun d'entre nous.
Madame Finestone.
L'hon. Sheila Finestone: Je ne sais pas si vous étiez ici tout à l'heure pour entendre le commissaire à la protection de la vie privée, M. Phillips. Nous parlions du détournement à d'autres fins. Je ressens fortement ce phénomène à la suite de la question de mon collègue d'en face relativement à la pornographie juvénile.
Je veux poser la même question: est-ce que vous incluriez dans la même catégorie que la pornographie infantile ceux qui produisent de la littérature haineuse et la transmettent sur l'Internet? Cela provoque la violence. Cela provoque des actes de violence.
Il vient un moment où je me demande jusqu'où nous devrions aller. Il va sans dire que je n'aime pas ceux qui font la littérature haineuse ou la pornographie juvénile. À vrai dire, je n'aime pas la pornographie tout court. Mais je me demande si les tribunaux devraient délivrer des mandats pour poursuivre ceux qui en font. Est-ce que des témoins essentiels ne suffiraient pas?
M. John Walsh: Non...
L'hon. Sheila Finestone: Parce que vous avez dit oui, et n'ayant aucune expérience dans ce domaine je dois dire qu'après avoir consulté votre liste, je commence à m'inquiéter sérieusement lorsque j'y vois figurer les méfaits et dommages matériels. On peut détruire un poste de télévision d'une valeur de 5000 $, un ordinateur ou un lecteur de disques compacts, et vous proposez qu'on prélève les empreintes digitales, des échantillons de sang et des empreintes génétiques des gens concernés, ce qui me semble une sérieuse incursion. Et nous ne savons pas comment on pourrait utiliser plus tard les données conservées dans une banque. Franchement, cela me rend un peu nerveuse.
M. John Walsh: C'est vrai que certaines de ces infractions pourraient être assez mineures. Mais c'est déjà prévu dans les dispositions relativement au mandat autorisant le prélèvement. Comme j'ai signalé, lorsqu'on demande à un juge de délivrer un mandat, il faut présenter des motifs raisonnables justifiant sa demande. En vertu de la loi, le juge a le droit de refuser la demande. Je crois d'ailleurs qu'on précise que le juge doit être convaincu qu'une telle décision serait dans les meilleurs intérêts de l'administration de la justice.
Par exemple, l'agression est considérée comme une infraction désignée. Mais l'agression peut être ou bien mineure ou bien très grave, mais sans tomber dans la catégorie d'infliction illégale de lésions corporelles. Le juge en tiendra compte dans sa décision pour autoriser ou refuser le mandat. C'est prévu dans les dispositions.
C'est la première fois que j'entends parler de ce phénomène de «function creep» ou d'utilisations secondaires, mais je comprends comment ça peut se produire. J'ai énuméré certaines infractions qui, à mon avis, devraient être incluses dans les dispositions sur le mandat autorisant le prélèvement. Vous pouvez présenter les arguments convaincants pour justifier l'inclusion de toute une série d'infractions dans cette catégorie.
L'hon. Sheila Finestone: Vous dites donc que le juge a le pouvoir discrétionnaire de prendre la décision qui lui semble raisonnable et la meilleure dans les circonstances.
M. John Walsh: Oui. C'est implicite en vertu de la loi et prévu explicitement dans cette disposition.
L'hon. Sheila Finestone: Merci.
Vous parliez de l'affaire Stillman avec M. Ramsay, et je crois avoir entendu dire que vous aviez participé à l'affaire Borden.
M. John Walsh: Nous sommes intervenus. Quand je travaillais pour le gouvernement fédéral, ce dernier est intervenu devant la Cour suprême du Canada dans l'affaire Borden.
L'hon. Sheila Finestone: Est-ce la cause dont on nous parlait l'autre jour ou...
La présidente: M. McKay y a fait allusion.
L'hon. Sheila Finestone: ... la cour l'a trouvé coupable au premier chef d'accusation ainsi qu'au second, mais vous ne pouviez pas l'inculper en vous fondant sur la seconde évaluation?
M. John Walsh: Essentiellement, ce qui s'est produit dans ce cas est qu'on le soupçonnait...
L'hon. Sheila Finestone: Je vais finir de poser ma question. Est-ce que le mandat avec le changement que vous recommandez, avait été utile?
M. John Walsh: Dans le cas de Borden?
L'hon. Sheila Finestone: Oui. N'avait-il pas commis deux délits mais vous ne pouviez l'accuser que d'un seul parce que vous avez obtenu un mandat et qu'il n'était pas rédigé au pluriel ou quelque chose de ce genre? Je pense que c'était la question de M. McKay.
M. John Walsh: Dans l'affaire de Borden, cette femme âgée avait été violée.
L'hon. Sheila Finestone: C'est juste.
M. John Walsh: On n'avait aucun suspect. Ou je devrais plutôt dire qu'on n'avait pas de suspect au sujet duquel on avait suffisamment de raisons pour obtenir un mandat, même si on le pouvait. Mais la personne qu'on soupçonnait a commis un deuxième délit mettant en cause une autre femme au sujet de laquelle un élément de preuve d'ADN n'était pas vraiment nécessaire ou souhaité.
Les agents, pour le deuxième délit, pour obtenir un consentement afin qu'il accepte de donner un échantillon de sang... D'après ce que le tribunal a conclu, ce qu'ils ont fait, c'est d'obtenir un échantillon de sang et de le comparer à celui du premier délit, qu'on croyait qu'il avait peut-être commis mais à propos duquel on n'avait aucun élément de preuve. Ils ont obtenu cet échantillon de sang, ils l'ont comparé à celui du premier crime mais cela ne correspondait pas.
L'hon. Sheila Finestone: Ça correspondait.
M. John Walsh: Ça correspondait, mais le tribunal a jugé que le consentement avait été donné sans que l'intéressé ait été informé des raisons pour lesquelles on lui demandait de soumettre cet échantillon. Il l'a fourni pour un délit, mais non pas pour le second. L'inverse, naturellement...
L'hon. Sheila Finestone: S'il n'avait pas tué la deuxième personne, on n'aurait jamais découvert qu'il avait tué la première et la deuxième?
M. John Walsh: Il n'y avait vraiment rien dans les circonstances du second délit qui portait les agents de police à croire qu'il avait commis le premier délit. Seulement, il faisait justement l'objet d'une enquête et on détenait des éléments accablants à son propos pour ce qui est du second délit. Par conséquent, on lui a demandé de fournir l'échantillon sanguin. Il croyait que c'était pour le second délit quand en fait on avait l'intention de s'en servir pour le premier. La Cour a jugé qu'on ne pouvait donc pas utiliser cet échantillon parce qu'il avait été fourni sans consentement éclairé et sans autre motif.
L'hon. Sheila Finestone: Si ce projet de loi était adopté, est-ce que cela pourrait se produire à nouveau?
M. John Walsh: Le C-3, le projet de loi sur la banque de données?
L'hon. Sheila Finestone: Oui.
M. John Walsh: Tout dépend si M. Borden avait déjà été reconnu coupable. S'il avait déjà été reconnu coupable d'avoir violé cette femme âgée, une des infractions principalement désignées, son profil se serait trouvé dans la banque de données.
L'hon. Sheila Finestone: Oui, mais vous ne l'avez pas trouvé, et vous ne saviez donc pas qui il était. Vous n'aviez aucun renseignement ni aucune donnée concernant l'ADN.
M. John Walsh: Ce que je dis, c'est que si M. Borden avait effectivement violé cette vieille femme, et que trois ans auparavant il avait commis une agression sexuelle contre une autre femme dans une autre province et que la police, qui a fait enquête sur le viol de cette femme âgée, ne le connaissait pas du tout, si la banque de données avait existé on supposerait que son profil aurait été versé à cette banque de données. On aurait versé le profil de la scène du viol de cette femme âgée dans la banque de données et on aurait pu le retrouver par croisement des données.
Le résultat d'un croisement de données n'est pas un élément de preuve qu'on présente au tribunal; il permet de réunir des motifs raisonnables pour montrer qu'il y a probablement lieu d'obtenir un mandat en vertu du projet de loi C-104. Le projet de loi C-104 et le projet de loi C-3 iraient de pair. On invoquerait le projet de loi C-3 pour établir qu'on est en droit de demander un mandat en vertu du projet de loi C-104.
L'hon. Sheila Finestone: Merci.
M. Jack Ramsay: Le croisement des données ne suffit pas?
L'hon. Sheila Finestone: Je savais bien que vous mettriez le doigt dessus et poseriez la bonne question.
M. John Walsh: Ce sera le motif du mandat. On aurait des motifs raisonnables de demander un mandat.
M. Jack Ramsay: Est-ce qu'il faudrait le préciser?
La présidente: C'est ce que j'ai compris aussi. Le fait que cela se trouve dans la banque de données n'est pas probant. Ensuite, on se sert du croisement des données. On trouve un échantillon dans la banque de données et on le compare aux preuves recueillies sur les lieux du crime. On fait le test de l'ADN avec les autres éléments de preuve et voilà, il y a correspondance entre A et B. On dit ensuite au tribunal qu'il y a correspondance dans la banque de données; on demande un mandat pour faire un prélèvement sur ce zigue pour en avoir un de bonne qualité et apporter une preuve concluante. Ils font le prélèvement et voilà.
L'hon. Sheila Finestone: N'empêche, l'autre meurtre dont on parlait dans l'affaire Borden, on n'en parle pas.
La présidente: C'est ça.
M. Jack Ramsay: Désolé, je suis encore un peu dans le cirage. Si vous testez votre prélèvement sur les lieux avec la banque de données et si vous trouvez une concordance, est-ce que ce n'est pas réglé?
M. John Walsh: Non.
M. Jack Ramsay: Pourquoi pas?
M. John Walsh: À cause des règles relatives à la preuve. Il serait impossible d'essayer de prouver l'accusation avec un certificat de la banque de données ou d'essayer de prouver à quel moment l'échantillon de cette personne a été versé dans la banque de données, qui a fait le prélèvement, etc.
La présidente: Il n'y a peut-être pas de continuité de la preuve, et il vous faudrait donc... Comme procureur, je ne voudrais pas essayer. Il faudrait aller devant le tribunal avec un bout de papier ou de pellicule et dire que nous avons réussi à faire certifier que...
M. Jack Ramsay: Ce n'est pas comme avec les empreintes digitales.
La présidente: Si, parce qu'avec les empreintes digitales il faut aussi faire venir un spécialiste. À moins que la défense reconnaisse qu'il s'agit bien des empreintes digitales de Jack Ramsay, il faut quand même faire venir quelqu'un qui dise avoir fait la comparaison. Il faut suivre la méthode normale d'établissement de la preuve.
M. Jack Ramsay: Mais si vous trouvez une empreinte sur les lieux du crime et si le système montre que c'est bien monsieur Untel.
La présidente: Alors vous arrêtez monsieur Untel et vous prenez ses empreintes digitales.
M. Jack Ramsay: C'est ça. C'est une preuve suffisante pour l'arrêter et l'inculper.
M. John Walsh: Ce que vous faites,...
La présidente: Vous l'arrêtez et vous prenez ses empreintes.
M. Jack Ramsay: En quoi est-ce différent de l'ADN?
M. John Walsh: Ce serait la même démarche. S'il y a concordance avec la banque de données, vous faites une demande à un juge en lui disant que vous avez constaté une concordance.
M. Jack Ramsay: Mais pourquoi vous faut-il un deuxième prélèvement?
La présidente: Reportez-vous à l'époque où vous étiez agent de la GRC. Dans une affaire, vous aviez des empreintes. Vous les avez trouvées sur les lieux du crime. Vous vérifiez et vous vous apercevez qu'elles appartiennent à Shaughnessy Cohen. Vous allez l'arrêter et vous l'inculper de vol par effraction.
M. Jack Ramsay: Non, de meurtre.
La présidente: D'accord, de meurtre. Vous prenez ses empreintes pendant qu'elle est en état d'arrestation. En vertu de la Loi sur l'identification des criminels, vous prenez mes empreintes.
Les empreintes dont vous vous servez pour établir la preuve au tribunal sont les empreintes que vous avez prises la deuxième fois, pas celles qui viennent de la base de données. Vous vous servez des empreintes que vous avez prises, et vous pouvez prouver que vous les avez prises au poste de police: «J'étais là et je l'ai vu donner ses empreintes».
M. Jack Ramsay: Sans le deuxième prélèvement, votre chien est mort?
La présidente: Ce serait difficile, à moins que le technicien qui a fait le premier prélèvement ne soit présent.
Mon ADN se trouve aux lieux du crime, et mon ADN se trouve dans la banque. Donc on essaie d'utiliser l'ADN qui se trouve dans la banque comme preuve. Vous allez devoir trouver le technicien qui a fait le prélèvement sanguin, s'il s'agissait d'un prélèvement sanguin. Il y a toutes sortes de problèmes de continuité.
M. Jack Ramsay: Si la banque est créée, pensez-vous que l'intégrité de la banque va finir par éliminer le besoin d'avoir un deuxième prélèvement?
Je me souviens qu'au début il fallait faire venir un technicien pour expliquer le fonctionnement du radar. Peu après, ce n'était plus nécessaire. Ou plutôt ce n'était pas peu après—après des milliers de causes, on n'avait plus besoin d'explications. Les juges avaient entendu le même témoignage à maintes reprises, et finalement ils n'avaient plus besoin d'entendre les techniciens. Est-ce que la situation est différente dans ce cas?
M. John Walsh: Pour ce qui est de l'intégrité de la banque, moins il y a d'interventions... Si on commence à utiliser des preuves qui se trouvent dans la banque pour prouver sa cause, cela va nuire à l'intégrité de la banque. L'une des préoccupations par rapport à la protection de la vie privée c'est de s'assurer qu'un nombre de personnes aussi limité que possible y ait accès.
La présidente: On pourrait prévoir dans la loi un système de certificats, mais ce serait un cauchemar, et il ferait l'objet d'une contestation.
M. Jack Ramsay: Je pense qu'il faudra y arriver.
La présidente: Monsieur Muise, vous vouliez...?
M. Mark Muise: J'aimerais ajouter une remarque à ce qu'a dit Mme Shaughnessy.
La présidente: Il s'agit de Mme Finestone.
M. Mark Muise: Oui, madame Finestone. Excusez-moi.
La présidente: Je m'appelle Cohen.
M. Mark Muise: Ces noms sont trop longs.
La présidente: Je comprends.
M. Mark Muise: Tout ce que je voulais dire c'est que nous sommes ici pour discuter de ces questions et pour comprendre ces différents points de vue. Oui, j'ai entendu ce que vous avez dit au sujet du détournement à d'autres fins ou plutôt des utilisations secondaires. Mais je suppose que parfois on peut obtenir une réponse différente à la même question.
L'hon. Sheila Finestone: Tout à fait.
M. Mark Muise: Je ne voulais pas que vous pensiez que j'étais...
La présidente: Elle ne pense pas que vous êtes...
M. Mark Muise: Je ne voulais pas être jugé par le groupe; je voulais tout simplement poser ma question.
La présidente: On présume que vous êtes innocent.
Merci. Cette question est la plus intéressante que nous avons étudiée depuis longtemps, à plusieurs points de vue. Votre contribution a été très utile. Nous vous remercions beaucoup d'être venus. On aura peut-être l'occasion de vous rappeler. Merci beaucoup.
La séance est levée.