Passer au contenu

JURI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain

STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 17 février 1998

• 1012

[Traduction]

La présidente (Mme Shaughnessy Cohen (Windsor—St. Clair, Lib.)): Nous sommes au Comité de la justice et nous étudions le projet de loi C-3, Loi concernant l'identification par les empreintes génétiques. Nous examinons également le projet de loi C-104 de la première session de la 35e législature qui portait sur le dépistage ADN et les dispositions relatives aux mandats. Nous oublions parfois que nous examinons également le projet de loi C-104.

Nous avons aujourd'hui une intervention à titre individuel de l'inspecteur Gary Bass, responsable de la Division E, la section des crimes graves de la Gendarmerie Royale du Canada.

Monsieur Bass, nous sommes très contents de vous avoir parmi nous. En ce moment, nous nous demandons comment aborder la question de la science, de la technologie et de leur importance pour le maintien de l'ordre. Nous serons donc heureux de vous entendre et nous aurons ensuite beaucoup de questions à vous poser.

Inspecteur Gary Bass (intervention à titre individuel): Merci, madame la présidente.

Mesdames et messieurs, je voudrais vous remercier de m'avoir invité à vous parler de ce très important projet de loi C-3.

Mes fonctions actuelles au sein de la GRC sont celles de responsable de la Division E, la section des crimes graves. C'est le nom par lequel nous désignons cette section en Colombie-Britannique.

Cette division comprend quatre unités distinctes, sur lesquelles le projet de loi relatif à l'établissement d'une banque de données ADN a des répercussions.

Il s'agit de l'unité des crimes graves, à laquelle on fait appel pour son expertise pour les enquêtes sur les homicides et les autres crimes graves dans toute la Colombie-Britannique et dans le reste du Canada, et de l'unité des homicides non élucidés, qui a été constituée il y a 18 mois et inclut des membres de la police de Vancouver et de la GRC. Cette unité a été créée à cause du fait qu'il y avait, en Colombie-Britannique, environ 600 homicides non élucidés, dont la majorité ont été perpétrés après 1980.

Il y a également l'unité des enquêtes criminelles, qui offre son aide dans l'ensemble de la province principalement pour les enquêtes portant sur des homicides et des agressions sexuelles, et le groupe des sciences du comportement, qui comprend le SALCV, le Système d'analyse des liens entre les crimes de violence, et s'occupe également de l'établissement des profils psychologiques et géographiques. Le SALCV est une unité d'analyse informatique active dans l'ensemble du pays qui établit des liens entre les délits de violence en analysant les données obtenues lors des enquêtes.

Toutes ces unités doivent prêter main forte aux autres sections de la GRC ainsi qu'aux services de police municipaux.

Le dépistage ADN est l'un des plus importants progrès pour le travail policier depuis l'introduction de l'étude des empreintes digitales.

La promulgation du projet de loi C-104 a été un autre jalon important qui a immédiatement mis la police en mesure de prouver l'identité des personnes impliquées dans un délit faisant l'objet d'une enquête.

Il faut bien comprendre comment la police perçoit l'utilisation de l'empreinte génétique; c'est une preuve d'identité et rien d'autre. La valeur probante de la présence de l'ADN d'un suspect sur les lieux d'un crime variera beaucoup d'un cas à l'autre, mais, en fin de compte, c'est une preuve d'identité; qui, à bien des égards, n'est pas différente de celle que procurent les empreintes digitales, voire une photo ou même l'identification par un témoin oculaire fiable qui aurait observé la présence du suspect sur les lieux du crime. La vraie valeur des preuves génétiques provient du fait que le suspect a beaucoup plus de chances de laisser des empreintes génétiques que des empreintes digitales sur les lieux d'un crime.

• 1015

En ce qui concerne les empreintes digitales, de nombreuses variables peuvent jouer en faveur du suspect. Il peut prendre des précautions, par exemple porter des gants. Il peut ne rien toucher sur les lieux du crime, ou toucher une surface sur laquelle on ne peut pas ensuite récupérer les empreintes. Il se peut aussi que les empreintes ne puissent pas servir à une identification ou que, avant l'arrivée de la police sur les lieux, des conditions climatiques défavorables détruisent des empreintes qui, sinon, auraient été utilisables.

L'ADN offre des possibilités bien meilleures pour l'identification. Les criminels peu prudents peuvent laisser de l'ADN sous de multiples formes, par exemple dans leur sperme en cas d'agression sexuelle ou dans leur salive sur les empreintes de morsures, dans des mégots de cigarette ou de la gomme à mâcher. On peut aussi en trouver dans un poil ou un cheveu, du sang et de la peau desquamée.

Il y a quelques mois, pour extraire l'ADN, il fallait disposer de la gaine épithéliale interne d'un poil ou d'un cheveu, alors qu'on peut maintenant souvent le faire avec les parties externes.

Avec l'évolution de la science, on pourra bientôt extraire l'ADN des objets fréquemment manipulés. En fait, les progrès sont si rapides qu'aujourd'hui, pour les enquêteurs de la police, le principal problème est de pouvoir trouver et récupérer sur les lieux d'un crime les minuscules pièces à conviction qui pourraient fournir l'empreinte génétique d'un suspect. Il y a de très fortes chances qu'un suspect, sans s'en rendre compte, laisse de quoi révéler son profil génétique, alors qu'un délinquant prudent peut plus facilement éviter de laisser des empreintes digitales.

Le projet de loi sur l'identification par les empreintes génétiques peut avoir des répercussions sur le travail de la police. Le projet de loi C-104 lui a donné la possibilité d'obtenir des mandats pour établir des liens entre des suspects et des crimes déterminés. Jusqu'à présent, notre expérience de l'application de ces dispositions est positive. On s'en prévaut depuis leur entrée en vigueur dans l'ensemble de notre province et, bien entendu, du Canada.

Une importante lacune pour les enquêtes sur les crimes violents dans notre pays est l'incapacité des forces policières relevant de gouvernements différents et même des différentes sections de chacune d'elles, y compris au sein de la GRC, à établir des liens entre plusieurs affaires.

Comme je l'ai indiqué précédemment, le SALCV remédiera en partie à ce problème en effectuant une analyse subjective des données d'enquête. À nos yeux, la banque de données génétiques envisagée jouera un rôle important à cet égard.

La section d'identification des empreintes digitales par ordinateur est ce qui ressemble le plus à cette banque de données. En Colombie-Britannique, cette section parvient environ 1 200 fois par an à déterminer à quel délinquant connu ou à quel crime correspond l'empreinte d'un suspect, connu ou inconnu. La banque de données génétiques fonctionnerait de la même façon.

Elle aiderait la police de deux façons différentes. Premièrement, son avantage le plus évident serait d'établir un lien entre un suspect déterminé inscrit dans le fichier des condamnés avec les indications relatives au lieu d'un crime figurant dans le fichier de criminalistique. La deuxième utilisation serait l'établissement de liens entre des crimes non élucidés mentionnés dans ce dernier fichier, ce qui a pour intérêt de limiter le nombre de suspects potentiels. L'établissement de liens entre les crimes dont on ne connaît pas l'auteur peut fournir des indices précieux à la police pour une enquête si on tient compte d'éléments comme le motif et les circonstances favorables.

Le projet de loi apportera une aide précieuse à la police pour les enquêtes sur toutes les infractions primaires et secondaires mentionnées au paragraphe 487.04 du Code criminel. Toutefois, dans le cadre de ma déposition d'aujourd'hui, je veux me concentrer sur les infractions et les homicides d'ordre sexuel.

Ces délits ont d'énormes répercussions sur leurs victimes, la société dans son ensemble et les ressources de la police. Même les gens qui n'y sont pas directement reliés sont touchés par la peur qui s'empare de la population locale quand de tels délits sont commis. Les pires de tous sont peut-être les homicides sexuels dont les victimes sont de jeunes enfants.

Les prédateurs sexuels qui commettent ensuite un homicide sexuel suivent une démarche inquiétante par sa banalité. Dans de nombreux cas, ils ont déjà commis toute une série de délits relativement mineurs. Les infractions d'ordre sexuel commencent souvent sous la forme d'attouchements sexuels et deviennent ensuite de plus en plus violentes. On connaît des cas d'introduction par effraction qui se sont transformés en agression sexuelle dont les victimes étaient des personnes se trouvant sur les lieux de l'effraction. Il s'écoule souvent plusieurs mois entre les premiers de ces délits, mais on peut s'attendre à ce qu'ils deviennent ensuite de plus en plus rapprochés.

• 1020

Les recherches approfondies effectuées au sujet des délinquants sexuels ont révélé deux différences importantes entre ceux qui se comportent de façon de plus en plus violente et les autres. On a constaté que les premiers font, en moyenne, deux fois plus de victimes et qu'ils commettent des agressions en plus grand nombre et à intervalles plus rapprochés.

Dans le cadre d'une autre étude portant sur 41 violeurs en série, les chercheurs ont examiné l'évolution de la nature des viols commis par chacun d'eux. Ils ont constaté que, pour ce qui est de l'utilisation de la force physique plutôt que de l'intimidation, les menaces ou la présentation d'une arme étaient les méthodes utilisées le plus fréquemment pour assujettir la victime. Les actes commis étaient chaque fois de plus en plus violents et, à chaque nouvelle agression, il y avait de plus en plus de chances que la victime soit un étranger.

Un autre exemple de ce type de comportement en Colombie-Britannique est le cas de Trevor Rodney Peters, qui a été accusé pour la première fois de voies de fait causant des lésions corporelles en juin 1985. En juin 1987, il a commis une agression sexuelle contre une femme de 16 ans. Le 19 avril 1990, il a utilisé une arme lors d'une agression sexuelle contre une femme de 17 ans; le 28 juin 1990, il a commis des voies de fait graves et une tentative de meurtre contre une jeune femme de 15 ans; le 12 août, des voies de fait graves contre une jeune fille de 12 ans et, enfin, le 26 août 1990, le meurtre sexuel d'une femme de 21 ans.

Avec la technologie actuelle et la banque d'empreintes génétiques dont ce projet de loi prévoit la création, le premier délit aurait constitué une infraction secondaire, et la police aurait dû demander l'autorisation de prélever un échantillon de son ADN pour établir un profil génétique et l'inclure dans la banque de données. Cet individu n'a pas été identifié avant son arrestation pour meurtre en 1990. Si son empreinte génétique avait été placée dans la banque de données en 1985, on aurait probablement pu l'identifier comme suspect lors de la première agression sexuelle, ce qui aurait pu l'empêcher de perpétrer ses autres agressions sexuelles ainsi que le meurtre ultérieur.

Que son empreinte génétique ait été placée dans la banque dès le premier délit ou non, l'existence d'une telle banque de données aurait permis d'attribuer les délits ultérieurs à un délinquant inconnu, et la police aurait ainsi peut-être pu l'identifier et l'arrêter avant qu'il ne passe au meurtre.

La façon d'agir de Peters est tout à fait typique des prédateurs sexuels qui passent à l'étape de l'homicide sexuel. On observe souvent une progression, le comportement et les agressions devenant de plus en plus violents sur le plan sexuel pour aboutir à des homicides sexuels.

J'ai plusieurs raisons de croire que le cas de Clifford Robert Olson donne des indications utiles sur diverses facettes de ce projet de loi. C'est une affaire que de nombreux Canadiens connaissent un peu, mais, en outre, ses premiers antécédents criminels ne sont pas très différents de ceux de beaucoup de nos délinquants les plus violents. Ses premières condamnations, pour introduction par effraction et vol, remontent à juillet 1957.

Aux termes du paragraphe 487.04 du projet de loi, ceci constituerait une infraction secondaire. D'après le sous-alinéa 487.05(1)b), il aurait été théoriquement possible à l'époque de demander l'autorisation de prélever un échantillon pour en faire l'analyse génétique et le déposer dans la banque d'empreintes génétiques.

Jusqu'à 1960, Olson avait subi plusieurs nouvelles condamnations concernant 19 délits de vol et d'introduction par effraction. Pendant les années 1960, il a été condamné pour 43 délits supplémentaires, tels qu'introduction par effraction, vol à main armée, faux-semblant et évasion. Pendant les années 1970, il a été reconnu coupable de 25 autres délits de même nature.

De 1961 à 1982, les accusations portées contre lui dans 16 cas, notamment pour vol qualifié en 1978, ont été suspendues ou rejetées. En avril 1981, accusé d'attentat à la pudeur, de sodomie, de viol et de grossière indécence, il a bénéficié d'un non-lieu, Or, à ce moment-là, il avait déjà tué sa première victime connue.

Dans ces conditions, il est bon d'examiner ce qui aurait pu se passer dans le cas d'Olson si la technologie génétique et les dispositions prévues dans le projet de loi C-3 avaient déjà existé.

Pendant le cours des activités criminelles d'Olson, ses empreintes génétiques auraient pu être prélevées à plusieurs reprises du fait des infractions secondaires qu'il avait commises. Aucune demande n'aurait sans doute été présentée la première fois. Toutefois, les occasions de le faire ont été nombreuses au cours des années suivantes.

Jusqu'en 1980, il n'avait été accusé d'aucune infraction primaire. En novembre 1980, il a été accusé de sodomie à l'endroit d'un garçon de 15 ans. Olson a assassiné sa première victime connue le 19 novembre 1980. Six semaines plus tard seulement, le 2 janvier 1981, il a été accusé de viol, de sodomie et d'autres infractions sexuelles ainsi que d'infractions à la législation sur les armes relativement à un délit qui se serait sans aucun doute soldé par un meurtre si la victime n'avait pas pu s'échapper. En avril 1981, toutes ces accusations ont fait l'objet d'un non-lieu.

• 1025

Le 16 avril, Olson a assassiné sa deuxième victime et, cinq jours plus tard, sa troisième. Les meurtres ont continué jusqu'au mois d'août. À deux reprises, cet été-là, il a été arrêté, accusé d'infractions liées à des activités sexuelles et libéré sous caution. Le 2 juillet, un mandat d'arrêt contre lui pour agression sexuelle a été émis relativement à un délit commis deux semaines auparavant.

On ne connaîtra jamais le nombre d'infractions sexuelles commises par Olson avant et pendant la période où il a perpétré ses meurtres. Toutefois, ce nombre est élevé et, d'après certaines estimations, supérieur à une centaine. L'été dernier encore, nous avons appris l'existence de victimes inconnues jusque-là.

Selon le projet de loi actuel, le profil génétique d'Olson n'aurait pas été placé dans la banque d'empreintes génétiques pour les accusations de viol, de sodomie et d'attentat à la pudeur qui ont fait l'objet d'un non-lieu.

Il ne fait absolument aucun doute qu'Olson avait commis de nombreuses autres infractions sexuelles avant 1980. Il y a de fortes présomptions qu'il ait déjà commis des meurtres avant ces dates. Avec la technologie actuelle et des dispositions législatives appropriées, on pourrait arrêter un nouveau Clifford Olson beaucoup plus tôt dans sa carrière criminelle.

Dans son cas et avec la technologie actuelle, il aurait probablement été arrêté après son premier meurtre si ses empreintes génétiques avaient été mises en banque du fait du grand nombre d'infractions secondaires qu'il avait commises ou si la loi avait permis que ses empreintes génétiques soient prélevées et conservées après son arrestation et sa mise en accusation.

J'ai cité l'exemple d'Olson parce qu'il illustre clairement ce que j'essaie de vous expliquer. Premièrement, les délinquants sexuels violents commettent d'autres actes criminels de façon régulière. Deuxièmement, une fois qu'ils commencent à commettre des délits sexuels, on peut s'attendre à ce que ces délits soient de plus en plus violents et de plus en plus rapprochés.

Cela dit, je ne veux pas vous donner l'impression que c'est un cas unique pour ce qui est de l'importance de la banque d'empreintes génétiques pour les enquêtes de la police. Malheureusement, les criminels possédant des caractéristiques semblables à celles d'Olson ne sont que trop nombreux. Le nombre élevé d'homicides qu'il a commis est unique, mais la perpétration d'agressions sexuelles fréquentes ne l'est pas.

C'est pour les délinquants de cette catégorie que la création d'une banque d'empreintes génétiques présente le plus grand potentiel par rapport à l'ensemble des infractions criminelles. Le fait de pouvoir déposer leur profil génétique dans une banque de données lors de leur première mise en accusation offre les meilleures chances possibles d'interrompre leur carrière criminelle.

Il est extrêmement peu vraisemblable qu'un délinquant coupable d'infraction sexuelle grave soit arrêté dès son premier délit. La plupart des délinquants primaires sont libérés sous caution, il est donc important d'identifier à ce moment-là toute activité semblable antérieure. L'établissement de liens avec d'autres affaires fournirait alors des preuves plus solides permettant de s'opposer à une libération sous caution. La préparation d'un profil génétique au moment de la mise en accusation offre la possibilité de résoudre ce genre de problème.

Le nombre total d'empreintes génétiques qui seront contenues dans la banque de données envisagée sera relativement petit par rapport à celui des empreintes digitales qui figurent dans nos fichiers. Une fois l'infrastructure en place, la recherche et l'identification de ces empreintes seront relativement rapides. Il n'y a aucune raison de penser que la banque d'empreintes génétiques ne fonctionnera pas aussi bien ou mieux que la section d'identification des empreintes digitales par ordinateur.

On ne saurait surestimer l'utilité de la banque d'empreintes génétiques proposée si on exploite totalement son potentiel. Il est, en fait, légitimement d'intérêt public d'identifier, d'arrêter et de condamner les contrevenants dès que possible. Pour les contrevenants comme ceux dont nous parlons, l'identification rapide signifie souvent la prévention d'autres préjudices graves ou de pertes de vie.

Une autre considération importante est le montant élevé des économies pouvant être réalisées en ce qui concerne le coût des enquêtes. Dans le cas des infractions sexuelles graves et des homicides, ce coût peut rapidement atteindre des millions de dollars. Je peux vous en citer plusieurs exemples pour les cinq dernières années dans la seule province de Colombie-Britannique; certaines de ces enquêtes ont coûté jusqu'à près de 3 millions ou 5 millions de dollars.

La banque d'empreintes génétiques offre véritablement la possibilité de boucler une enquête en quelques semaines plutôt qu'au bout de plusieurs années.

Pour les policiers qui participent aux enquêtes sur des infractions criminelles graves, le projet de loi sur la banque d'empreintes génétiques offre la possibilité de réduire fortement le nombre de crimes de cette nature grâce à une intervention rapide dans la carrière criminelle de ces personnes.

On considère qu'il est important que la police puisse engager cette procédure au moment où un suspect est arrêté et mis en accusation si on veut exploiter pleinement le potentiel de cette technologie. On ne dispose parfois que de peu de temps pour arrêter un contrevenant de ce genre quand il en est à ses premiers délits, avant qu'il ne commence à commettre des infractions plus fréquentes et plus violentes.

D'après certains, étant donné que l'établissement des empreintes génétiques—par exemple, le prélèvement de cheveux ou de sang—porte plus atteinte à l'intimité de la personne que le relevé des empreintes digitales, aucun échantillon prélevé pour une analyse génétique ne devrait être déposé dans la banque de données avant une condamnation. Ils avancent également un autre argument: la nature des renseignements que le profil génétique pourrait fournir va à l'encontre du droit au respect de la vie privée.

• 1030

Les projets de loi C-104 et C-3 tiennent tous deux compte de ces préoccupations légitimes et leurs dispositions sont différentes de celles qui s'appliquent à l'identification des actes criminels dans le sens où ce procédé d'enquête ne peut être utilisé que pour une gamme beaucoup plus limitée d'infractions criminelles—les plus graves d'entre elles.

Du point de vue des policiers, les enquêtes sur les infractions criminelles graves—en particulier les infractions primaires comme les infractions sexuelles et les homicides—seraient grandement facilitées si, dès qu'un suspect est mis en accusation, ses empreintes génétiques pouvaient être placées dans la banque de données. À mon avis, une telle façon d'agir serait raisonnable et équitable et ferait la part des choses entre le souci légitime de protéger la vie privée et la nécessité de déceler et de prévenir toute activité criminelle grave et d'assurer efficacement l'ordre public dans l'intérêt de la population.

Merci.

La présidente: Merci, monsieur Bass.

Jack, voulez-vous commencer? Je vous accorderai cinq minutes chacun, et nous verrons ce que cela donne.

M. Jack Ramsay (Crowfoot, Réf.): Merci, madame la présidente.

Monsieur Bass, je veux vous remercier d'être venu ici et de nous avoir présenté cet exposé. En cinq minutes, je ne peux pas vous poser un très grand nombre de questions, et comme vos réponses sont également incluses dans ces cinq minutes, je vous demanderai d'être brefs et précis... Bien entendu, nous ne voulons vous imposer aucune limite.

La présidente: Les questions de Jack sont plus importantes que les réponses.

M. Jack Ramsay: Eh bien, nous allons voir.

L'alinéa 487.05(1) du projet de loi C-3 vous autoriserait à prélever des échantillons de gens qui ont déjà été condamnés. C'est ce qu'on appelle la partie rétroactive de ce projet de loi. Il limite toutefois cela aux gens qui ont été condamnés et qualifiés de délinquants dangereux et à ceux qui ont été reconnus coupables d'au moins deux infractions sexuelles.

Je crains que cette limite ne soit excessive. Avant de vous demander si, à votre avis, cela devrait s'appliquer à un plus grand nombre d'infractions, j'aimerais savoir combien vous connaissez de cas d'homicide ou d'agression sexuelle non élucidés pour lesquels il restait des traces d'ADN sur les lieux du crime?

Insp. Gary Bass: Je ne pense pas pouvoir vous donner un chiffre précis, mais on peut trouver de l'ADN sous une forme ou une autre dans une proportion raisonnablement élevée des cas. Je suppose que ce qui est difficile est de le détecter.

M. Jack Ramsay: Il s'agit des affaires non élucidées?

Insp. Gary Bass: Oui.

M. Jack Ramsay: Très bien. Permettez-moi donc de vous demander...

Insp. Gary Bass: Cela s'applique à toutes les affaires.

M. Jack Ramsay: Je parle des affaires non élucidées parce que le prélèvement d'échantillons génétiques auprès des personnes déjà incarcérées aurait l'avantage de permettre de faire la lumière sur au moins certains des cas non élucidés en faisant des comparaisons.

Insp. Gary Bass: Oui.

M. Jack Ramsay: Je pense que c'est l'objectif recherché.

À votre avis, voudriez-vous que l'on élargisse cette catégorie d'infraction?

Insp. Gary Bass: Je pense qu'il faudrait l'élargir. Je pense que l'utilisation de l'expression «délinquant dangereux» pose un réel problème. Nous ne l'utilisons pas autant qu'il le faudrait, simplement à cause des ressources dont dispose la police. En fait, il y a, dans nos établissements pénitentiaires, beaucoup de délinquants dangereux qui ne sont pas reconnus comme tels aux termes du Code criminel. C'est, bien entendu, le cas d'Olson.

M. Jack Ramsay: Pouvez-vous dire au Comité quelles sont, selon vous, les infractions qui devraient être incluses dans cet article en plus de la catégorie des délinquants dangereux et de la perpétration de deux infractions sexuelles, si on élargissait sa portée?

Insp. Gary Bass: Je pense que le strict minimum devrait être l'inclusion de toutes les infractions primaires, qui sont, de toute évidence, les plus graves. Personnellement, j'aimerais que ces articles incluent les infractions primaires et secondaires.

M. Jack Ramsay: D'accord—c'est donc, pour vous, le minimum et le maximum requis. Merci.

Vous avez indiqué que vous préféreriez que le projet de loi permette le prélèvement d'échantillons génétiques après la mise en accusation, plutôt qu'après la condamnation?

Insp. Gary Bass: C'est exact.

M. Jack Ramsay: D'accord. Selon vous, quelle est la différence entre le pouvoir ainsi accordé et celui qui existe en vertu du projet de loi C-104 relativement au prélèvement d'échantillons?

• 1035

Insp. Gary Bass: Le projet de loi C-104 prévoit un système permettant le prélèvement d'échantillons avec un mandat, s'il existe des motifs raisonnables et probables de croire que la personne a commis un délit ou que des preuves pourront être obtenues, ce qui revient à la même chose qu'exiger qu'il y ait des motifs raisonnables et probables de croire qu'une personne a commis une infraction.

M. Jack Ramsay: Ma dernière question pour le moment concerne le respect du caractère privé de la banque. Nous avons déjà entendu des témoins, et je suis sûr que nous en entendrons d'autres, qui ont des préoccupations à ce sujet. Cela vous préoccupe-t-il?

Insp. Gary Bass: Non, mais je comprends certainement ces préoccupations. Je pense que le projet de loi doit prévoir toutes les mesures jugées nécessaires pour assurer une telle protection. Pour revenir à ce que je disais tout à l'heure, du point de vue de la police, la seule chose qui nous intéresse est ce profil. Nous n'avons besoin d'aucun des autres renseignements que fournit une analyse génétique et qui suscitent certaines des préoccupations les plus vives.

Les garanties ou les protections pouvant être instituées par ce projet de loi ne posent donc aucun problème aux policiers pour leurs enquêtes. Je ne me fais aucun souci au sujet de la sécurité des renseignements, ne serait-ce que sur la base de notre expérience relativement aux empreintes digitales. Je ne suis au courant d'aucun problème qu'aurait pu poser, au fil des ans, la publication non autorisée de renseignements concernant les empreintes digitales du point de vue de la protection de la vie privée. Je ne dis pas que cela n'est jamais arrivé, mais je ne suis pas au courant.

M. Jack Ramsay: Merci.

J'aimerais revenir sur cette question, madame la présidente, mais mon temps de parole est écoulé.

La présidente: Monsieur Mancini, vous avez cinq minutes.

M. Peter Mancini (Sydney—Victoria, NPD): Merci de vous présenter devant nous.

J'ai quelques questions à vous poser. Vous avez indiqué—je pense que cette idée a été reprise un peu par M. Ramsay, que vous êtes en faveur du prélèvement d'échantillons au moment de l'arrestation. Vous êtes conscient du fait que cela peut contrevenir au droit au respect de la vie privée, mais puisque cela concerne un nombre limité d'infractions désignées, vous pensez que c'est une exception valable.

Insp. Gary Bass: Oui, et je tiens à souligner que ces points de vue—le point de vue opposé et le mien—ne sont pas nécessairement ceux de la haute direction de la GRC. Je dois présenter le point de vue des gens qui ont affaire quotidiennement avec ces infractions, et, à mon avis, la gamme beaucoup plus limitée d'infractions prévues offre une protection supplémentaire par rapport au cas des empreintes digitales.

M. Peter Mancini: On peut ajouter que ces infractions sont parmi celles qui sont le plus sévèrement punies en vertu du Code criminel, n'est-ce pas?

Insp. Gary Bass: Oui.

M. Peter Mancini: Donc, s'il est une situation dans laquelle nous ne devrions pas porter atteinte au droit au respect de la vie privée, ce devrait certainement être le cas relativement aux délits pour lesquels un citoyen encourt les sanctions les plus graves. C'est alors qu'il faudrait protéger le plus rigoureusement les droits civils, n'est-ce pas?

Insp. Gary Bass: Je ne suis pas sûr de suivre votre raisonnement.

M. Peter Mancini: Si nous disons que le prélèvement d'échantillons au moment de l'arrestation porte atteinte, dans une certaine mesure, au droit au respect de la vie privée, tout en faisant une exception dans ce cas-ci parce qu'il s'agit d'une gamme limitée d'infractions désignées, et si ce sont précisément celles qui sont passibles des sanctions les plus graves...

Insp. Gary Bass: En effet.

M. Peter Mancini: ...c'est certainement relativement à ces infractions particulièrement graves que devrait s'appliquer le droit à la protection contre toute atteinte à la vie privée.

Insp. Gary Bass: Pour moi, cela s'applique exactement dans le sens contraire. Je pense que ce qu'il faut prendre en considération est la nature des crimes et le fait que la population s'attend à être protégée contre les crimes de ce genre.

M. Peter Mancini: J'ai une autre question. Je me trompe peut-être, mais je déduis de votre déposition d'aujourd'hui que la science fait de tels progrès que l'objectif fondamental de la banque d'empreintes génétiques serait de relier un prévenu ou un contrevenant à des délits antérieurs—c'est-à-dire qu'en fait, sur les lieux d'un crime, on peut maintenant obtenir des renseignements génétiques à partir de n'importe quel objet touché par quelqu'un, qu'il s'agisse d'un verre ou... Je veux dire que, maintenant, on trouve cela facilement.

• 1040

Insp. Gary Bass: Le personnel de nos laboratoires ne dira peut-être pas que c'est si facile, mais on progresse rapidement dans ce sens. L'un des principaux atouts est que nous pouvons nous pencher à nouveau sur des affaires vieilles de plusieurs années et extraire de l'ADN de pièces dont nous ne savions pas auparavant qu'elles pouvaient fournir de telles preuves. En fait, nous l'avons fait dans plusieurs cas au cours de l'année écoulée.

M. Peter Mancini: D'accord. Merci.

La présidente: Il vous reste encore un peu de temps si vous avez d'autres questions.

M. Peter Mancini: C'est très bien, je cède ma place. M. MacKay peut utiliser mon temps.

La présidente: Monsieur MacKay.

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Merci, M. Mancini, et merci, inspecteur, d'être venu ici.

Mes questions portent sur le domaine des infractions désignées. Nous avons entendu un criminaliste très éminent dire qu'il n'était pas d'accord avec la désignation de certaines infractions. Je voulais connaître votre avis sur ces dispositions. Je pense en particulier à vos commentaires selon lesquels les délinquants ont souvent tendance à se comporter de façon de plus en plus violente.

Ma question porte donc spécifiquement sur les voies de fait simples, les agressions sexuelles relativement peu graves et une autre infraction que vous connaissez certainement—la pornographie juvénile, mentionnée au paragraphe 163(1) du Code criminel. Certains ne sont pas d'accord pour qu'on les inclue parmi les infractions désignées, parce que le prélèvement d'empreintes génétiques dans ces cas-là est injustifié et inutile. J'aimerais connaître votre avis.

Insp. Gary Bass: Je pense que le système proposé en ce qui concerne les infractions primaires et secondaires est bon, à l'exception peut-être d'un ou deux cas comme ceux que vous avez signalés. Je pense que la pornographie juvénile devrait constituer une infraction primaire.

J'ai signalé que plusieurs études ont montré que la gravité des actes commis par un délinquant augmente progressivement, mais toute personne qui pratique des enquêtes sur des crimes graves pendant un certain temps n'a pas besoin de consulter ces études pour le savoir. C'est un mode de comportement prévisible et très courant dans ces cas-là, et nous constatons fréquemment que les gens comme Olson se conduisent ainsi dès le début de leurs méfaits.

Il me paraît bon que des infractions comme l'introduction par effraction et le vol figurent ici, et je pense qu'il est approprié de les placer parmi les infractions secondaires. Cela me paraît bien adapté.

Je pense que les accusations concernant la pornographie... Tout ce qui concerne la sexualité devrait figurer parmi les infractions primaires. Ce sont généralement celles qui sont commises avant les actes sexuels plus violents, et cela donne à la police la possibilité d'intervenir pour y mettre un terme.

M. Peter MacKay: Dans la même veine, pour ce qui est des articles relatifs aux cas éventuels d'absolution inconditionnelle, lorsqu'un individu est ensuite remis en liberté par le tribunal, que pensez-vous alors de la préservation ou de la conservation de l'ADN?

Insp. Gary Bass: Dans tous les cas autres qu'un acquittement, je pense qu'on devrait prévoir la conservation de l'échantillon. Les policiers doivent faire face à un certain nombre de situations pratiques, comme le marchandage de plaidoyers ou les infractions qui ne se soldent pas par une mise en accusation. Le casier judiciaire de quelqu'un ne reflète souvent pas ce qu'il a fait. En fait, je dirai que c'est très rarement le cas. Je pense donc que c'est une considération importante.

M. Peter MacKay: De même, en ce qui concerne la rétroactivité—et vous avez abordé cela dans votre exposé—, pensez-vous que, dans le cas de certaines infractions désignées, compte tenu du casier judiciaire de la personne concernée ou du risque de nouveaux actes de violence, vous devriez pouvoir prélever un échantillon en vertu de ce casier judiciaire, même si la définition de ces infractions a changé ou si elles ne sont pas spécifiquement couvertes par ce projet de loi?

• 1045

Insp. Gary Bass: Je pense qu'il peut y avoir des avis très variés au sujet de la catégorie dans laquelle placer les infractions, mais il me semble qu'il faut aller beaucoup plus loin que ce qui existe à présent pour ce qui est des délinquants dangereux et des infractions sexuelles multiples. Je pense qu'il faut aller plus loin.

M. Peter MacKay: À un niveau très concret, le prélèvement proprement dit des échantillons, que pensez-vous du risque d'un abus de pouvoir de la part d'un agent de police lorsqu'il prélève des échantillons? Que pensez-vous de l'évolution des méthodes utilisées pour prélever et conserver les échantillons?

Insp. Gary Bass: Dans ma section, nous avons engagé une infirmière que nous avons formée. Nous avons aussi organisé des séances de formation d'une journée pour les enquêteurs qui ont le plus de chances de prélever des échantillons.

Nous faisons appel à du personnel médical quand c'est possible. Dans certains cas, quand, pour éliminer des suspects, nous nous adressons à la population locale pour demander un grand nombre d'échantillons, que nous obtenons le plus souvent sans difficulté nous avons besoin de policiers.

Je n'ai réellement aucune inquiétude au sujet de risques éventuels pour la santé, si c'est ce que vous voulez dire.

M. Peter MacKay: Je pense que ce qu'on disait au départ au sujet du prélèvement des échantillons était qu'il pouvait donner lieu à des abus de pouvoir. Dans le cas de M. Légère, au Nouveau-Brunswick, on a dit que la méthode utilisée contrevenait à ses droits.

Insp. Gary Bass: Oui.

M. Peter MacKay: Il me semble cependant que la situation évolue et que ce problème se pose de moins en moins. On peut pratiquer un frottis. On peut procéder comme pour une vaccination et prendre simplement un tout petit échantillon de peau. Pensez-vous que cela atténuera les inquiétudes au sujet de ce problème?

Insp. Gary Bass: Oui. Je pense que ce problème ne se pose plus vu la façon dont on prélève maintenant les échantillons.

Je ne sais pas si quelqu'un ici a déjà fait relever ses empreintes digitales, mais cela prend seulement une dizaine de minutes pendant lesquelles quelqu'un vous frotte les doigts sur un tampon encreur et un morceau de papier.

La méthode dont nous parlons pour l'ADN consiste à piquer la peau à l'extrémité d'un doigt ou à arracher un cheveu.

Je comprends les plaintes si le prélèvement est pratiqué dans une cavité corporelle, mais autrement, c'est probablement moins désagréable que le relevé des empreintes digitales.

M. Peter MacKay: D'accord, merci.

La présidente: Monsieur McKay.

M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Je voulais me pencher sur la question de l'utilisation de cela dans le cas du marchandage de plaidoyers.

Supposons que je suis le procureur de la Couronne et M. MacKay, l'avocat de la défense; nous avons conclu une entente—il a compris la situation, son client a perdu la partie. Il déclare alors: «Je vais plaider coupable, mais ne prenez pas mes empreintes génétiques». C'est presque comme si je l'entendais vraiment dire cela. Qu'est-ce que cela donnera pour ce qui est des marchandages de plaidoyers? J'aimerais connaître votre opinion.

Insp. Gary Bass: Pour les infractions primaires ou les infractions secondaires?

M. John McKay: Pour les infractions désignées, à propos desquelles on peut encore discuter du prélèvement éventuel des empreintes.

Insp. Gary Bass: Je n'aimerais pas que cela arrive.

On consulte souvent la police au sujet des marchandages de plaidoyers, mais je serais intrigué si la personne concernée voulait éviter que son empreinte génétique soit placée dans la banque. Je ne sais pas si cela se produira ou non. Ce serait possible, mais ce n'est pas quelque chose que j'aimerais voir se produire.

M. John McKay: La façon dont est conçu le projet de loi crée pratiquement les conditions pour qu'il en soit ainsi, n'est-ce pas?

Insp. Gary Bass: Elle offre certainement cette possibilité.

Je ne suis pas contre l'existence des infractions secondaires. Mais, pour en revenir aux choses concrètes auxquelles la police doit faire face, les policiers, tout au moins là d'où je viens et dans la plupart des régions du pays, n'ont plus le temps de faire ce qu'ils aimeraient faire. Je crains que certaines des infractions secondaires ne tombent dans cette catégorie.

• 1050

M. John McKay: Mais il y en aura moins?

Insp. Gary Bass: C'est ce que je pense.

C'est comme le fait de demander que quelqu'un soit déclaré délinquant dangereux. Rien que dans ma section, nous nous occupons de 50 à 60 homicides par an, dont 95 % des coupables pourraient probablement être considérés comme des délinquants dangereux, parce que nous nous occupons surtout de meurtres au premier degré. Nous présentons une telle demande peut-être une fois par an.

M. John McKay: Le projet de loi prépare quasiment le terrain pour cela, qu'une infraction soit considérée comme primaire ou secondaire.

Insp. Gary Bass: En effet.

M. John McKay: La défense essaiera de la faire désigner comme secondaire, et le procureur essaiera de la faire reconnaître comme une infraction primaire, et vous vous retrouverez pris dans ce petit jeu.

Ne devrez-vous pas également jouer à ce jeu au moment d'obtenir un mandat?

Insp. Gary Bass: La défense n'interviendrait pas à cette étape de la procédure.

M. John McKay: Le juge ne prendrait-il pas également cela en considération à ce moment-là?

Insp. Gary Bass: Si.

M. John McKay: Primaire, secondaire, prélèvement ou pas de prélèvement—en tant qu'agent de police, vous allez alors vous demander comment exploiter au mieux vos preuves pour que l'infraction soit considérée comme la plus grave possible afin que vous puissiez pratiquer votre prélèvement. N'est-ce pas ce à quoi tout cela se ramène? Là encore, vous êtes forcé de le faire par la façon dont est conçu le projet de loi—primaire ou secondaire.

Insp. Gary Bass: Je n'en sais rien. Il se peut que ces problèmes se posent. Je ne vois pas de problème pour ce qui est d'une distinction entre les catégories d'infraction, mais j'en vois pour ce qui est de son application pratique. Je ne sais pas comment on peut rationaliser cela.

M. John McKay: À moins de ne plus faire de distinction entre les infractions primaires et secondaires et d'appeler un chat un chat... Toutes les infractions sont primaires, il n'y a pas à en évaluer la gravité, c'est comme ça.

Insp. Gary Bass: Cela ne serait certainement pas un problème pour la police, mais...

M. John McKay: Non, je ne pensais pas que cela en serait un.

Insp. Gary Bass: ... Nous pouvons certainement nous accommoder des dispositions proposées. Si cette répartition est nécessaire pour que le projet de loi soit adopté, cela ne nous préoccupe pas outre mesure, mais il y aura des difficultés.

M. John McKay: Merci.

La présidente: Merci, monsieur McKay.

Y a-t-il d'autres questions du côté du gouvernement?

Bien, monsieur Ramsay, prenez quelques minutes de plus. Je ne vous dirai pas combien, je vous prendrai par surprise.

M. Jack Ramsay: Coupez-moi la parole quand vous voulez.

Vous attendez-vous à ce que les enquêteurs accordent trop d'importance aux preuves génétiques ou, en d'autres termes, à leur conclusivité, si je peux utiliser ce terme... Nous inventons des mots. Avons-nous le droit d'inventer des mots?

La présidente: Allez-y, vous êtes député, vous pouvez inventer ce que vous voulez.

M. Jack Ramsay: Bien.

Les conclusions qu'on peut tirer de preuves de ce genre sont si convaincantes qu'elles permettent à des gens comme Guy-Paul Morin de s'en tirer, et à Milgaard aussi. Je ne devrais pas dire qu'ils s'en tirent; ils étaient innocents. Le contraire est vrai: si elles peuvent innocenter des gens, elles peuvent aussi les condamner.

Insp. Gary Bass: Eh bien...

M. Jack Ramsay: Je pourrais peut-être terminer.

C'est un sujet de préoccupation dont nous devrions, je pense, être conscients. L'autre concerne le point de vue de celui qui enquête concrètement sur le terrain. S'il y a des preuves génétiques sur les lieux du crime, cela va-t-il les inciter à se fier exagérément ou de façon déplacée à elles et allons-nous constater que les enquêteurs n'effectuent plus réellement les examens approfondis qu'ils font maintenant pour rassembler tous les autres types de preuve? Pensez-vous qu'ils puissent avoir tendance à accorder une telle importance aux preuves génétiques quand on en trouve sur les lieux d'un crime?

Insp. Gary Bass: Comme je l'ai dit tout à l'heure, les preuves génétiques ne servent à rien d'autre qu'à l'identification. Elles n'indiquent ni la culpabilité ni l'innocence de quelqu'un. Leur valeur probante variera d'un cas à l'autre, mais elles ne servent à rien de plus qu'à l'identification.

Dans les cas que vous avez cités, comme celui de Guy-Paul Morin, il est théoriquement possible que les empreintes digitales donnent le même résultat. Par exemple, supposons qu'une personne a été reconnue coupable de meurtre et qu'il y avait, sur le couteau, des empreintes digitales qui étaient nécessairement celles de l'assassin, si, dix ans plus tard, en utilisant une technologie nouvelle, vous pouviez faire apparaître ces empreintes, le résultat serait le même qu'avec l'ADN.

• 1055

Les gens s'obstinent à accorder plus d'importance à l'ADN que la police. On s'en sert pour l'identification, c'est un moyen supplémentaire de déterminer la présence d'une personne sur les lieux d'un crime, et rien d'autre. Peu nous importe le profil génétique qu'on obtient à partir du matériel prélevé. Peu nous importe ce qu'on en fait une fois que nous nous en sommes servis pour l'identification.

M. Jack Ramsay: Permettez-moi de vous poser une autre question—et je dois présenter un cas hypothétique pour bien me faire comprendre. Nous disposons de plusieurs systèmes d'identification. Nous avons les empreintes digitales. Nous avons l'enregistrement des armes de poing qui est censé être un système d'identification. Mais, en ce qui concerne ce dernier—et je vais rapidement vous citer l'exemple—, le propriétaire d'une arme de poing a été contacté par la police d'Edmonton, qui lui a dit qu'elle avait trouvé cette arme sur les lieux d'un crime. Il a dit que non, parce que le sien était en sécurité dans son coffre. Et c'était vrai.

Que se passerait-il donc si on établissait la présence de mon empreinte génétique sur les lieux d'un crime, même si je n'étais pas là? En d'autres termes, si vous comparez une preuve génétique aux empreintes qui figurent dans la banque et qu'elle correspond à la mienne pour une raison ou pour une autre, quelle serait la valeur de cette preuve, étant donné que cet échantillon démontrerait irréfutablement que j'ai quelque chose à voir avec ce crime?

Insp. Gary Bass: Les preuves génétiques sont un élément parmi d'autres, et elles doivent être prises en considération et évaluées par rapport à l'ensemble des preuves. Dans le cas que vous décrivez, c'est une mauvaise analyse. Il me semble que, dans un tel cas, il y aura peut-être d'autres preuves montrant que vous n'étiez pas impliqué. Je ne sais pas de quoi il s'agirait, mais il faut plus qu'une preuve génétique pour lancer des poursuites. Les empreintes génétiques ne sont pas une preuve de culpabilité.

M. Jack Ramsay: Je ne veux pas insister lourdement, mais quand on voit que toutes les autres preuves sont tout simplement rejetées sur la foi des preuves génétiques, en particulier dans les affaires Morin et Milgaard, je pense que c'est l'inverse qu'il faut envisager. C'est la question que je vous pose.

Insp. Gary Bass: Eh bien, je pense qu'on raisonnerait de la même façon si, par exemple—nous ne citerons pas l'une des personnes que vous avez nommées—, quelqu'un était condamné pour un meurtre sexuel et si, des années plus tard, suite au dépistage ADN, on déterminait que l'ADN, dans un cas d'agression sexuelle ou d'homicide sexuel, n'était pas celui de l'accusé. Cela ne veut pas dire qu'il n'est pas coupable ou que ce n'est pas lui qui l'a fait. Il y a un nombre indéterminé de facteurs. Par exemple, la victime peut avoir eu un contact sexuel avec une autre personne, et celui qui a tué cette femme n'a peut-être laissé aucune trace. Tous ces facteurs doivent être pris en considération dans une enquête. L'absence d'empreinte génétique d'une personne ne veut rien dire non plus.

La présidente: Merci, monsieur Ramsay.

Monsieur Mancini, avez-vous une question brève?

M. Peter Mancini: J'ai une question brève; vous m'y avez fait penser en parlant de la police. Vous dites que vous manquez de ressources pour faire ce dont vous avez envie. Les simples agents de police qui font les enquêtes—et c'est un peu le prolongement de ce que disait M. Ramsay—craignent-ils que les organismes qui vous financent ne vous disent qu'ils ont maintenant une banque de données génétiques et qu'ils n'ont plus besoin d'autant de ressources, qu'ils peuvent faire de petites compressions budgétaires supplémentaires grâce à ces preuves scientifiques de pointe et que, si vous trouvez l'échantillon qu'il vous faut, ils peuvent faire condamner l'accusé, alors merci? Considèrent-ils que cela justifie une réduction des ressources ou trouvent-ils cela inquiétant?

Insp. Gary Bass: Non, je n'ai jamais entendu exprimer cette inquiétude. Tous les gens de la police que je rencontre comprennent que l'ADN n'est rien de plus qu'un moyen d'identification comme les autres, même s'il est important. Non, je n'ai vu personne exprimer de telles inquiétudes. Je pense que cela permettra d'économiser de l'argent.

• 1100

La présidente: Merci, monsieur Mancini.

Monsieur Bass, nous vous remercions beaucoup d'avoir apporté une pièce supplémentaire à ce casse-tête. Nous vous sommes vraiment reconnaissants de votre contribution. Merci.

• 1101




• 1108

La présidente: Nous reprenons maintenant nos travaux en accueillant le Comité canadien d'action sur le statut de la femme, représenté par Mme Amy Go, sa présidente, et Fiona Miller.

Mme Amy Go (présidente du Comité de la justice, Comité canadien d'action sur le statut de la femme): Je suis présidente du Comité de la justice et je fais partie du bureau national.

La présidente: Merci. Et Fiona Miller est-elle membre du Comité de la justice?

Mme Fiona Miller (membre, Comité canadien d'action sur le statut de la femme): Je suis membre du CCA.

La présidente: Très bien. Je vous souhaite la bienvenue. Je sais que vous voulez nous exposer quelques idées, et nous vous poserons ensuite des questions.

Mme Amy Go: Comme vous le savez probablement très bien, le CCA et d'autres groupes de femmes s'opposent depuis toujours à la création d'une banque de données génétiques. Nous nous opposons à l'intention du gouvernement de privilégier le maintien de l'ordre sous prétexte de combattre les crimes perpétrés comme les femmes. Ne faites pas cela en notre nom.

La violence faite aux femmes n'a rien à avoir avec la technologie ou l'absence de celle-ci. C'est un problème socio-économique et politique fondamental qu'on ne peut régler qu'en équilibrant et égalisant la répartition du pouvoir entre les hommes et les femmes.

La création d'une banque de données génétiques n'est pas une stratégie appropriée pour cela. En fait, elle aura pour résultat de transformer encore plus les femmes en victimes parce que c'est ce qui se passe quand on donne plus de pouvoirs aux organismes de maintien de l'ordre qui ne nous traitent déjà pas comme il le faudrait.

Une conséquence toute aussi catastrophique de ce projet de loi est que de nombreux groupes, comme les gens de couleur, les autochtones et les pauvres, seront encore plus criminalisés. Comme vous le savez, ils sont proportionnellement surreprésentés dans notre système de justice criminelle, non pas parce qu'ils commettent plus de délits, mais à cause du racisme et de la discrimination auxquels les pauvres sont confrontés dans ce système.

• 1110

Je vais donner la parole à Fiona, qui parlera des conséquences de ce projet de loi sur les femmes qui sont victimes d'une agression. Elle présentera également quelques commentaires sur certains détails de ce projet de loi.

Mme Fiona Miller: Je pense que nous devrions commencer par parler d'une situation hypothétique. Si les députés ici présents croient que les agressions sexuelles sont rares, exceptionnelles, et reflètent un comportement masculin extrêmement odieux perpétré par des inconnus à l'aspect terrifiant comme ceux de l'émission Aux frontières du réel, vous serez d'avis que cette initiative et, avant elle, le projet de loi C-105 sont prioritaires et devraient être la priorité du gouvernement pour lutter contre la violence faite aux femmes par les hommes. Malheureusement, c'est un mythe. Les agressions sexuelles sont horriblement banales. C'est une manifestation du pouvoir patriarcal et de l'oppression des femmes, et la plupart des femmes connaissent leurs agresseurs. Les féministes le disent depuis des dizaines d'années et affirment que ce qu'il faut pour combattre la violence faite aux femmes par les hommes est une véritable égalité.

En ce qui concerne spécialement ce projet de loi, nous insistons sur le fait que, dans la vaste majorité des cas d'agression sexuelle, l'important n'est pas de prouver l'identité du coupable, ce à quoi serviront le dépistage ADN et la banque d'empreintes génétiques. Ce n'est pas cela qui compte.

Nous savons qu'il y a des femmes qui sont agressées et assassinées par des inconnus, et nous pensons qu'il faut les aider et leur rendre justice. Les féministes s'en occupent tous les jours. Nous ne disons donc pas que les questions abordées éventuellement dans ce projet de loi ne sont pas importantes, mais que la police et les tribunaux accordent déjà une attention démesurée à ces affaires—même si cela reste insuffisant, de toute évidence, comme le montre l'affaire Jane Doe à Toronto. Toutefois, cette initiative continue de mettre l'accent sur ce que nous considérons comme une interprétation inadéquate de la réalité. Quelle attention porte-t-on aux autres femmes agressées? Pourquoi leurs préoccupations ne sont-elles pas prioritaires?

Le problème spécifique qui se pose est celui de l'opposition entre identité et consentement. Dans la majorité des cas d'agression sexuelle, il s'agit de déterminer non pas qui en est l'auteur mais si, quand une femme dit non, cela veut dire non. Cette technologie n'aide pas ces femmes et peut, en fait, leur nuire, parce qu'elle encourage la police et les procureurs de la Couronne à cesser les autres poursuites et à concentrer leur attention sur les questions d'identité, et les affaires portant sur le consentement de la victime leur paraissent de plus en plus impossibles à gagner. Nous savons tous que le procureur de la Couronne essaie d'engager moins souvent des poursuites et que, dans le système judiciaire, les pressions financières sont énormes. Nous pensons donc qu'il y aura plus de femmes victimes d'agression sexuelle dont le cas ne sera pas traité avec l'énergie requise par la police et les tribunaux.

En outre, l'accent mis sur le dépistage ADN et la banque d'empreintes génétiques encouragera les hommes à baser leur défense sur le consentement au lieu de l'identité. Cela veut dire que moins de procès pourront être gagnés, parce que nous savons que la victoire est déjà plus difficile quand ce qui est en jeu n'est pas l'identité, mais le consentement.

L'autre question fondamentale en jeu ici concerne la crédibilité des femmes et le fardeau de la preuve. Pour utiliser les preuves génétiques et la banque de données, il faut s'appuyer sur des experts, des scientifiques et des professionnels. Au Canada, les tribunaux et la police préfèrent déjà ce genre de preuve. C'est exactement le genre de preuve qu'ils veulent obtenir, et ce que les femmes ont à dire ne les intéresse pas. On exige un niveau élevé de corroboration. Certains éléments sont énormément dévalués. Je pense que l'affaire Bernardo est un exemple de cette situation.

Le rapport Campbell a très mal identifié certains des problèmes systémiques concernant les femmes, mais il est néanmoins clair que des femmes avaient signalé cet homme et qu'on ne les a pas écoutées. Dans ce cas-là, un homme qui a agressé des femmes a été transformé en un assassin en série. Au départ, il ne l'était pas; s'il l'est devenu, c'est notamment parce que la police n'a pas écouté pas les femmes.

De plus, on attribue aux preuves génétiques présentées devant les tribunaux une fiabilité absurde. Vous connaissez les cas où on dit que les chances d'erreur sont de une sur mille, et, dans certains cas, aux États-Unis, de une sur un million. C'est absurde, parce que cela ne tient pas compte du fait que des erreurs techniques humaines sont possibles. Nous savons que cela peut arriver. Je remarque que votre projet de loi n'aborde pas la question de l'utilisation de protocoles pour réduire ce risque.

Si une femme pouvait obtenir la condamnation de quelqu'un auparavant, quand le risque d'erreur était de un sur six, les tribunaux vont maintenant exiger qu'il soit de 0,00000 sur 99,9999999, et je pense que cela pose un problème du point de vue de la crédibilité et du fardeau de la preuve.

• 1115

Une autre chose est le fait que les femmes sont à nouveau transformées en victimes—permettez-moi de vous présenter une autre situation possible. Une jeune femme qui a été violée après pendant une soirée passée avec un homme se rend à l'hôpital, est examinée avec le matériel prévu pour cela, et le personnel de l'hôpital l'encourage à fournir un échantillon de sang parce qu'on a trouvé sur son corps des poils pubiens qui ne sont pas les siens. On lui demande un échantillon de sang en lui disant que cela permettra de trouver plus facilement le coupable. On dit vraiment ce genre de choses, mais c'est un mensonge, et cela n'a aucun rapport avec la situation. Elle sait qui est cet homme.

Les preuves génétiques n'ont aucune utilité dans un tel cas. La question qui se pose est celle du consentement, pas celle de l'identité, et les femmes sont induites en erreur. On les encourage à fournir des données qu'elles ne devraient pas fournir, sous l'impulsion des services de médecine légale et de la police.

Un autre élément clé concernant spécifiquement la banque de données est celui des hypothèses qu'on fait au sujet du récidivisme. Toutes les personnes ici présentes savent que les membres les plus marginalisés de la société sont, de façon disproportionnée, pourchassés par la police, accusés par la police et condamnés parce qu'ils ne font pas très bonne figure au tribunal, parce qu'ils n'ont pas les moyens d'être bien défendus, parce qu'ils ne pourront pas contester les preuves scientifiques peu fiables—et c'est ce que nous constaterons au sujet des tests de dépistage. On emmagasinera leurs empreintes génétiques de façon disproportionnée. Ils seront assujettis à davantage de surveillance coercitive. On perpétue ainsi le mythe que les membres de ces groupes sont les principaux responsables d'agression—c'est le genre de mythe raciste qui permet au Toronto Sun de mettre à Toronto des affiches où figurent presque exclusivement des visages d'hommes noirs.

On ne placera jamais dans la banque d'empreintes génétiques celles de ceux qui ne sont jamais mis en accusation—vous vous rappellerez que celles de Paul Bernardo étaient dans un fichier depuis deux ans, mais qu'on ne l'a pas poursuivi parce qu'il n'avait pas l'air d'un criminel. Ils deviendront des assassins en série ou continueront à commettre des agressions sexuelles. On procède donc de façon inappropriée à des hypothèses au sujet du récidivisme en ce qui concerne cette banque à cause de l'iniquité structurelle de la façon dont on collecte les preuves et dont on cherche à obtenir des condamnations.

Un autre élément important spécifique au matériel génétique est le prestige de l'ADN. On sait que les preuves biologiques ne sont pas nouvelles, mais l'ADN est nouveau à plusieurs égards importants, notamment, bien entendu, parce qu'il fournit des renseignements qui vont au-delà de l'identification. Il en fournit au sujet des liens familiaux, des maladies. En particulier, puisque vous envisagez d'emmagasiner le matériel biologique—pas les renseignements, mais le matériel—, il peut servir à la recherche. L'étude des corrélations entre la criminalité et différents éléments génétiques va susciter un intérêt énorme. Ce n'est qu'un aspect de la question, mais il ne s'agit plus seulement des empreintes digitales.

Deuxièmement, on accorde un grand prestige à l'ADN, qui fournirait des réponses, aurait un effet magique et serait la solution définitive. Je pense que cela tient en partie à la publicité qu'on fait à ces initiatives et à la mesure dans laquelle on le fait sans les examiner de façon suffisamment critique—comme vous le savez, le projet de loi C-105 a été adopté en un jour—ni effectuer des recherches suffisantes.

Permettez-moi de commenter en détail certains aspects particuliers du projet de loi C-3 qui, à notre avis, soulignent dans quelle mesure vous parrainez un projet de loi qui va extrêmement loin. Non seulement nous nous opposons de façon générale à l'initiative qu'il représente, mais c'est une mesure qui va extrêmement loin.

Avant tout, la définition de «infractions désignées» est beaucoup trop générale. La protection que vous proposez en disant qu'il y aurait des infractions primaires et des infractions secondaires n'a aucune valeur. Le fait de s'en remettre à la discrétion des juges signifie qu'ils exigeront bien entendu que les empreintes génétiques soient emmagasinées et consultées pour, disons, les cas d'introduction par effraction quand ils n'aiment pas l'allure du suspect—et nous savons que cela veut dire que le suspect est pauvre, nous savons que cela veut dire que le suspect est une personne de couleur. L'exercice de cette discrétion appuie les inégalités structurelles.

En outre, il existe un danger très réel que le plafond que vous avez établi, le nombre maximum de cas qui feront l'objet de dépistage ADN et d'entreposage des données, devienne un plancher. La possibilité de réunir des preuves génétiques dans les cas, pour reprendre le même exemple, d'introduction par effraction deviendra quelque chose dont la police s'attend à disposer et que les tribunaux s'attendront à ce qu'on leur présente. Cela veut dire que, même dans les cas où on ne pourrait pas justifier l'atteinte aux libertés civiles et aux droits, cela se fera simplement parce qu'il deviendra normal de présenter de telles preuves. Cela veut dire également que les coûts de cette banque de données vont augmenter de façon vertigineuse. Si on emmagasine des données génétiques pour toutes les introductions par effraction ou toutes les tentatives d'introduction par effraction commises dans notre pays, cela coûtera extraordinairement cher.

• 1120

Deuxièmement, j'ai déjà parlé brièvement de la conservation des échantillons biologiques. Vous ne prêtez pas suffisamment attention au fait qu'il s'agit de matériel génétique qui peut permettre d'effectuer toutes sortes de recherche. Les pressions en vue de son utilisation à cette fin seront très fortes. De plus, ce projet de loi place aussi bien les renseignements que le matériel sous l'autorité du commissaire, semble-t-il, sans prévoir de mesure de protection spécifique pour faire en sorte qu'il n'utilise pas ce matériel trop fréquemment ou ne s'en serve pas pour effectuer des profils supplémentaires.

Un autre aspect clé de ce projet de loi est l'ensemble des effets pervers qu'il a sur les femmes. Nous avons l'impression que les femmes qui ont été victimes d'une agression sexuelle constateront que leurs empreintes génétiques seront placées dans le fichier de criminalistique. Nous constatons l'absence de dispositions garantissant que cela n'arrivera pas ou que ce matériel sera détruit. Nous craignons que les clauses régissant l'obligation de fournir un échantillon n'aient une portée assez large pour inclure les femmes victimes d'une agression. Nous savons déjà qu'on insiste auprès des femmes pour qu'elles fournissent leurs empreintes génétiques. Va-t-on les y forcer?

En dernier lieu, nous craignons vivement que les protections concernant l'utilisation autorisée du matériel prélevé pour le dépistage ADN et son placement dans la banque de données ne s'appliquent pas aux femmes. C'est tout à fait pervers. C'est parce que le projet de loi précise que ces restrictions concernent les preuves réunies en vertu d'un mandat. Puisque les femmes fourniront le plus souvent volontairement un échantillon, cela veut-il dire que les mêmes restrictions, les mêmes protections, ne s'appliquent pas? Nous n'en savons rien. Nous avons des raisons de croire que quand on prélève le sang des femmes victimes d'une agression, on vérifie aussi s'il contient de l'alcool et des drogues.

Étant donné les antécédents en ce qui concerne les rapports que la grande majorité des femmes ayant subi une agression sexuelle ont avec la police et les tribunaux—pas dans les cas dont on parle beaucoup—, nous craignons que les femmes ne risquent d'être criminalisées et exposées à des conséquences très injustifiées et très perverses.

Un autre élément clé de votre projet de loi concerne l'échange d'information avec des organisations internationales. À notre avis, vous avez accordé un mandat très général au commissaire pour l'échange de données génétiques avec d'autres gouvernements et des organisations internationales. Ce mandat concerne les enquêtes et les poursuites relatives à une infraction criminelle. Il est très général, étant donné les raisons pour lesquelles ces gouvernements et ces organisations peuvent vouloir ouvrir des enquêtes et des poursuites relativement à des infractions criminelles. Nous pensons que cela signifiera que des renseignements personnels extrêmement dangereux seront échangés avec des gouvernements et des organisations peu fiables, avec des mesures de protection minimales.

Nous pensons également que cela renforcera fortement la criminalisation des réfugiés et des immigrants potentiels. Nous savons déjà qu'on pratique le dépistage ADN auprès des immigrants qui cherchent à parrainer des membres de leurs familles alors qu'on ne devrait pas exiger de tels renseignements, et nous pensons que les possibilités de se prévaloir de ce mandat pour examiner les antécédents criminels des réfugiés et des immigrants paraîtra intéressante et se traduira, ou pourrait se traduire, par un recours assez généralisé à ce dépistage.

Il y a une autre chose qui nous inquiète beaucoup. Il n'y a aucune proposition concernant la destruction des renseignements et des échantillons biologiques quand quelqu'un est acquitté. On est simplement censé rendre les renseignements inaccessibles. C'est inacceptable. En outre, on ne sait pas clairement si la destruction se fera automatiquement ou sur demande. Cela constitue déjà un important problème dans notre système de justice criminelle: lorsque quelqu'un est acquitté, ses empreintes digitales ne sont pas automatiquement détruites, ce qui veut dire que beaucoup trop de renseignements de cette nature sont emmagasinés. Ils ne devraient pas l'être, puisque cette personne a été acquittée.

Enfin, il y a la question de l'expansion de la banque de données. Comme j'ai essayé de le signaler, puisqu'il s'agit de renseignements génétiques, il y aura d'énormes pressions en faveur de leur utilisation pour la recherche. Je pense que le libellé du projet de loi, selon lequel le commissaire peut seulement utiliser ce matériel pour la préservation ou le «dépistage ADN», est assez général pour justifier et permettre des recherches sur le dépistage ADN.

Vous ne tenez pas compte des pressions qui seront exercées lorsque ces échantillons, ce matériel collectés en utilisant les deniers publics s'accumuleront dans une banque de données. Ces pressions seront énormes, et vous devez vous rendre compte que, vu les iniquités structurelles présidant à la façon dont on emmagasinera les données relatives aux groupes les plus opprimés, vous financez et créez, en fin de compte, des recherches sur la nature de la criminalité menées en fonction de critères de race et de classe. C'est un très gros problème à long terme.

Mme Amy Go: Il y a deux ans, j'ai été invitée à participer à une consultation avec des représentants du ministère de la Justice au sujet de ce projet de loi. Les fonctionnaires ont reconnu sans ambiguïté devant nous que le commissaire à la protection de la vie privée avait de sérieuses réserves au sujet de cette loi. Voilà pourquoi nous trouvons très surprenant et choquant qu'aucune de ces préoccupations n'ait été prise en considération. Le gouvernement choisit d'accorder la priorité au maintien de l'ordre plutôt qu'à la protection et au respect du droit de nos citoyens à la protection de leur vie privée.

• 1125

La présidente: Comme cela vous intéressera peut-être, je voudrais simplement vous préciser, sans vous interrompre indûment, que le commissaire à la protection de la vie privée a comparu devant nous et nous a fait part de son point de vue et que le Comité le prend très au sérieux. Nos audiences ne durent pas seulement un jour. Nous entendons de nombreux témoins.

Mme Amy Go: Nous sommes opposées à ce projet de loi. Nous prions instamment le gouvernement de le retirer. Nous sommes très inquiètes au sujet de ses conséquences négatives sur les femmes et les groupes opprimés.

Nous souhaiterions que vous consacriez plutôt cet argent à la réalisation de recherches appropriées et à l'examen d'une analyse féministe de l'effet du système de justice criminelle actuelle sur les femmes. Je suis sûre que les données vous montreront comment les femmes sont traitées et comment on les empêche d'avoir accès à la justice, non pas du fait de l'absence de preuves d'identité mais à cause des diverses autres raisons que nous vous avons exposées.

Il est réellement honteux que vous retiriez votre appui aux groupes de femmes alors que le gouvernement envisage de dépenser 6 millions de dollars par an pour cette banque d'empreintes génétiques. Au lieu d'un financement de base pour les programmes concernant les femmes, vous financez individuellement des projets. Vous ne vous êtes pas engagés à dépenser les 50 millions de dollars que les femmes ont exigés lors de la Marche nationale contre la pauvreté en 1995. Dans tout le pays, les femmes demandent que des efforts réels soient faits en faveur des initiatives communautaires et des stratégies féministes pour lutter contre la violence masculine. Vous choisissez de ne pas tenir compte de ces initiatives et de consacrer cet argent à une banque d'empreintes génétiques.

Nous vous prions instamment d'adapter vos priorités aux besoins des femmes et de modifier l'utilisation de ces ressources en les accordant aux groupes de femmes et en appliquant les stratégies féministes.

La présidente: Avant d'ouvrir la période de questions, je vous signalerai une chose; je ne sais pas si vous avez entendu le témoin précédent, mais il nous a dit qu'il y avait 600 meurtres non élucidés en Colombie-Britannique. Il a indiqué qu'il pensait que, probablement dans la plupart des cas, il y avait, sous une forme ou sous une autre, des preuves génétiques qu'on pouvait analyser.

En tant que criminaliste, je peux vous dire que si un meurtre n'est pas élucidé, cela signifie probablement qu'il n'y a pas de témoin oculaire ou que le seul témoin oculaire est mort. Je sais également que, pour chacun de ces 600 meurtres, il y a soit une femme qui est morte, soit une femme qui, d'une autre façon, est une victime.

Je ne sais pas si vous avez réfléchi au fait que ce projet de loi viendra en aide à ces femmes en permettant d'élucider ces crimes et qu'à notre avis—je suis sûre que je parle au nom de toutes les personnes ici présentes—, c'est un objectif qui en vaut la peine.

J'ai peut-être donné un certain ton au débat en disant cela, et si c'est le cas, telle n'était pas mon intention, mais je ne peux pas passer sous silence que, s'il y a 600 meurtres non élucidés en Colombie-Britannique, Dieu seul sait combien il y en a dans le reste du pays.

Mme Fiona Miller: Puis-je répondre à cela?

La présidente: Oui.

Mme Fiona Miller: Je pense qu'il serait pratique de croire que nous ne nous soucions pas de ces choses-là. Ce n'est pas de cela que nous parlons. Il s'agit ici d'une question de priorité. Toutes les personnes présentes sachent qu'il faut prendre des décisions difficiles pour déterminer les priorités.

Nous ne disons pas que cela ne nous intéresse pas. Nous disons en fait que nous nous intéressons à des façons plus systémiques d'aborder ces questions. Nous disposons d'une énorme quantité de données qui montrent que la plupart des problèmes concernant les activités de la police n'ont rien à voir avec la technologie—vraiment pas. Ce n'est pas en donnant plus d'argent aux policiers pour la technologie ni plus de pouvoirs qu'on élucidera la plupart des crimes.

La présidente: Je pense que nous allons constater en faisant tout cela que la police a besoin de ces outils pour élucider les crimes de ce genre, qui sont très troublants.

Je signale simplement qu'il y a des priorités et que peut-être nous les établissons. Vous êtes venues pour nous inviter à adopter vos priorités, mais il y a d'autres groupes qui nous invitent à en adopter d'autres. Nous devons donc trouver un moyen terme.

• 1130

Quoiqu'il en soit, je ne me suis pas du tout comportée comme une présidente; vous avez donc cinq minutes, monsieur Ramsay.

M. Jack Ramsay: Je n'ai absolument rien à redire à vos commentaires, madame la présidente.

La présidente: Mon Dieu, cela me fait peur.

M. Jack Ramsay: À en juger par votre exposé, recommanderiez-vous au Comité de retirer ce projet de loi?

Mme Amy Go: Ce que nous recommanderions est que votre comité recommande au gouvernement de retirer ce projet de loi, en effet.

Mme Fiona Miller: Tout au moins, je pense que nous voulons dire que—et je dis tout le temps 105 au lieu de 104—, vous vous êtes engagés sur cette voie, et je ne pense pas que vous ayez justifié votre choix. Je ne pense pas que vous ayez pris...

Depuis trois ans, les groupes de femmes ont exprimé leurs préoccupations au sujet de ce qui, selon nous, se passe dans les centres d'aide aux victimes d'agressions sexuelles et dans les hôpitaux quand des femmes victimes d'une agression sexuelle s'y présentent. On met l'accent sur l'utilisation du corps des femmes comme réceptacle de preuves non pas comme celui de personnes qui doivent survivre. On met l'accent sur le maintien de l'ordre et non pas sur leur survie.

Dans les affaires dont on parle beaucoup, pourquoi pensez-vous que la banque d'empreintes génétiques aurait empêché Paul Bernardo de continuer? Elle n'aurait pas permis de le faire. Il faut que vous vous rendiez compte qu'il s'agit d'un problème systémique concernant le rôle de la police et que ce n'est pas la technologie qui pourra le résoudre.

M. Jack Ramsay: Quand vous parlez des groupes de femmes, je dois dire que j'ai un groupe de femmes dans ma famille et que vous ne les représenter pas. Il n'y a rien dans ce que vous avez dit à notre comité que je pourrais relier de quelque façon que ce soit au groupe des femmes de ma famille. Je veux simplement vous dire que vous n'exprimez pas l'opinion de tous les groupes de femmes avec lesquels je suis entré en contact pendant ma vie ni, à coup sûr, depuis que je suis devenu député.

J'aimerais vous poser une question. Vous avez mis l'accent de façon très étroite sur les délits commis contre les femmes. C'est une partie très importante de ce projet de loi, mais ce n'est pas la seule. Il porte sur les crimes commis envers tous les membres de la société—les enfants, les hommes, les femmes, etc. Dans votre condamnation de ce projet de loi, vous avez presque exclusivement mis l'accent sur ce seul domaine particulier, alors qu'il y a des meurtres et des agressions qui sont commis contre d'autres personnes que les femmes dans notre pays. C'est ce sur quoi porte ce projet de loi.

Je suppose que je pourrais vous poser des questions, mais vous avez déclaré ici qu'on prélève des échantillons génétiques sur les immigrants. Eh bien, qui prélève ces échantillons? Qui le fait et à quel titre?

Mme Fiona Miller: N'êtes vous donc pas au courant?

M. Jack Ramsay: C'est vous qui l'avez dit. Je ne suis pas au courant.

Mme Amy Go: Je veux simplement revenir sur certaines choses que vous avez mentionnées.

M. Jack Ramsay: Pourriez-vous répondre à ma question? Je vous ai posé une question.

Mme Amy Go: Le CCA ne prétend jamais représenter toutes les femmes.

M. Jack Ramsay: Je vous ai posé une question.

La présidente: À l'ordre. Il y a une question.

M. Jack Ramsay: Si vous ne voulez pas y répondre, ça va...

Mme Amy Go: Je vais y répondre, mais puisque vous avez soulevé toute une série de choses, je pense que nous avons aussi le droit de faire part de nos réactions.

M. Jack Ramsay: Certainement.

La présidente: C'est très bien.

Mme Amy Go: Le CCA ne prétend jamais représenter toutes les femmes, mais je tiens à vous signaler qu'il y a 600 groupes de femmes de tout le pays qui en sont membres. Lors de notre assemblée générale, nos membres ont proposé une motion contre le gouvernement à propos de la création de la banque d'empreintes génétiques, et elle a été appuyée à l'unanimité par nos membres. À tout le moins, les groupes de femmes qui font partie du mouvement féministe sont d'accord pour dire qu'une mesure de ce genre n'est pas souhaitable et qu'elle ne constituera pas une façon efficace de combattre les crimes commis envers les femmes.

Je tiens également à signaler que nous avons mis l'accent sur les femmes parce que nous analysons votre projet de loi selon des critères féministes. Nous craignons que vous-mêmes et vos recherchistes ne l'ayez pas fait. Lors de la Conférence mondiale sur les femmes de Beijing, en 1995, le gouvernement a accepté d'étudier les répercussions de toutes ses politiques sur les femmes. Puisque vous ne l'avez pas fait, nous le faisons à votre place. Nous vous disons que si vous pratiquez une analyse axée sur la situation des femmes, voilà les conclusions que vous en tirerez. En fait, c'est votre travail, et ce que nous disons est que nous effectuons cette analyse à votre place parce que le gouvernement ne s'est pas résolu à le faire.

• 1135

En ce qui concerne vos questions sur le prélèvement des empreintes génétiques des immigrants, le ministère de l'Immigration le fait tout le temps pour prouver qu'ils ont des liens familiaux avec quelqu'un qu'ils veulent parrainer. Savez-vous combien cela leur coûte? C'est devenu un gros obstacle pour les familles et les réfugiés qui souhaitent être réunis au Canada.

M. Jack Ramsay: Le ministère a-t-il constitué une banque de données?

Mme Amy Go: C'est la question qui se pose. Nous ne savons pas ce qu'il advient de ces données génétiques. On prend leurs empreintes génétiques et on les utilise, mais nous ne savons pas où elles finissent par se retrouver. Qu'en fait-on? C'est une question que vous devriez poser au gouvernement, au ministre de l'Immigration et à son ministère. Qu'en font-ils? C'est aussi ce qui nous préoccupe.

Plus précisément, nous disons que votre projet de loi actuel permet—de façon très générale et très non spécifique—aux organismes policiers étrangers de venir nous demander de trouver des gens présentant certaines caractéristiques sans nous dire à quelle fin ou nous garantir que la vie privée de ces gens sera respectée, etc.

Nous savons tous que des gens sont mis en accusation. Plus particulièrement, les militants des droits de la personne sont considérés comme des criminels dans de nombreux pays autres que le Canada. Comment pouvez-vous me garantir qu'on n'utilisera pas cela contre eux en leur refusant l'exercice de leurs droits de la personne? C'est ce qui nous préoccupe et c'est quelque chose sur quoi le gouvernement devrait se pencher.

Je veux également vous retourner la question. Nous ne nous soucions pas seulement des conséquences pour les femmes. Nos préoccupations au sujet de ce projet de loi concernent les groupes opprimés, les gens qui luttent pour la démocratie et les droits de la personne.

La présidente: Monsieur Guimond.

[Français]

M. Michel Guimond (Beauport—Montmorency—Orléans, BQ): Madame la présidente, je désire émettre rapidement un commentaire.

Contrairement à M. Ramsay qui mettait en cause la légitimité ou la crédibilité du groupe qui est devant nous, je préfère pour ma part croire qu'il s'agit d'un comité qui représente une coalition de comités voués à la défense de la femme. Je n'ai donc pas à demander si leur position est conforme à ce que pense ma soeur, ma cousine ou ma tante. Ces témoins désirent présenter un mémoire au sujet du projet de loi C-3 et on doit les accepter tels qu'ils sont et entendre leur opinion.

J'ai apprécié la critique que vous avez formulée à l'endroit du gouvernement, qui ne fait pas suffisamment au niveau de la prévention de la violence en général, ainsi que vos propos sur les grandes revendications que les groupes de femmes ont formulées, particulièrement l'an passé, lors de leur grande marche nationale partout au Canada. Je reçois favorablement vos commentaires là-dessus.

Vous voyez le problème d'une façon beaucoup plus globale que le projet de loi. Il faudrait peut-être que vous songiez à présenter ces revendications plus globales dans un autre forum. Je pense que vous témoignez spécifiquement sur ces trois aspects.

Par contre, vous avez clairement répondu à la question de M. Ramsay en demandant carrément le retrait du projet de loi C-3.

Ce sont mes seuls commentaires, madame la présidente.

[Traduction]

La présidente: Merci.

Monsieur Mancini, vous avez cinq minutes.

M. Peter Mancini: Merci, madame la présidente.

Merci pour votre exposé. Vous avez soulevé certains éléments intéressants, et j'ai plusieurs questions à vous poser, mais la meilleure façon de les résumer est peut-être de vous demander la chose suivante.

En fin de compte, si nous prenions l'argent et les autres sommes que vous avez reproché au gouvernement d'utiliser pour créer la banque de données et si nous nous en servions pour régler certaines des choses dont vous nous avez parlé, comme la discrimination systémique, qui constitue peut-être une victimisation des femmes par, selon vous, les organismes policiers, vous opposeriez-vous encore à ce qu'on crée une banque de données pour rassembler des preuves?

• 1140

Je comprends ce que vous voulez dire quand vous dites que la police... Je ne suis pas nécessairement d'accord avec tout ce que vous dites, mais je le comprends. Si ces problèmes étaient résolus, ceci ne fournirait-il pas des renseignements que la police pourrait utiliser pour faire en sorte que les criminels soient remis à la justice?

Mme Amy Go: Je ne le pense pas, parce que je pense que ce dont vous convenez est qu'il y a un problème structurel. Ce problème structurel concerne l'ensemble du système et, de ce fait, nous ne pouvons pas croire que la création d'une banque de données génétiques peut se faire à l'extérieur de ce système caractérisé par les problèmes structurels concernant la possibilité d'user ces données à mauvais escient et les problèmes structurels auxquels certains groupes sont déjà confrontés.

Une énorme proportion de ces données portera sur un certain nombre de groupes. Comment pouvez-vous justifier à mes yeux que ces groupes soient responsables ou doivent être considérés comme responsables des crimes commis dans la société? Donc, étant donné tous ces problèmes structurels, la création de la banque de données est...

M. Peter Mancini: Je ne veux pas vous interrompre, et je me trompe peut-être, mais, à ma connaissance, les renseignements génétiques seront enregistrés—et, croyez-moi, j'ai des réserves au sujet de ce projet de loi, d'accord?—une fois que les gens sont condamnés, pas après leur arrestation, et on ne les prélèvera pas de façon aléatoire. Les renseignements contenus dans la banque de données viendront, en fait, des gens qui ont commis des crimes.

Bon, vous dites que certains groupes sont surreprésentés à cause des problèmes systémiques existant dans le système. Je reviens donc à ma question. Si nous pouvons régler ces problèmes systémiques, la banque n'est-elle pas un bon outil d'enquête?

Mme Fiona Miller: Je pense que c'est une question théorique intéressante, mais je ne pense pas que cela intéresse qui que ce soit parmi les personnes ici présentes. J'aimerais vous renvoyer votre question. Si vous pensez que certains de nos arguments sont valables—et je pense que oui—, alors, en premier lieu, puisque nous les avançons depuis trois ans, pourquoi n'ont-ils pas été examinés?

Et je ne veux pas dire que c'est le bureau du Solliciteur général ou le ministère de la Justice qui devrait le faire. Je veux dire que des féministes indépendantes devraient étudier ce qui arrive réellement aux femmes, aussi bien celles qui se retrouvent face à la justice que celles qui s'en tiennent à l'écart. Pourquoi n'avez-vous pas prêté attention à cela? Et si vous accordez une certaine valeur à nos arguments, qu'allez-vous faire dans ce projet de loi pour régler précisément ces problèmes systémiques?

Je suis stupéfaite qu'un député prenne la parole pour critiquer le fait qu'un groupe vienne ici pour parler seulement des femmes. Je trouve surprenant que cela vous paraisse déplacé. Nous parlons des femmes et nous parlons des groupes opprimés.

Il n'y a rien de mal à essayer d'examiner les détails de ce projet de loi, qu'on justifie dans une très large mesure en invoquant les agressions sexuelles. Qu'allez-vous donc faire au sujet de la collecte inéquitable des données? Qu'allez-vous faire au sujet des autres questions devant faire l'objet de recherches? Qu'allez-vous faire au sujet de telles atteintes à la liberté des gens? Qu'allez-vous faire au sujet du fait que, à notre avis, la police fait mal son travail et que ce phénomène technologique ne réglera pas ce problème?

M. Peter Mancini: Avant tout, j'espère que vous ne dites pas que je critique quelque groupe de femmes que ce soit.

Mme Fiona Miller: Non.

M. Peter Mancini: Mais permettez-moi de vous dire... Je suis sûr que vous le savez. Je ne veux pas ouvrir tout un débat. Vous savez que nous pouvons déposer des rapports minoritaires. Vous savez qu'en tant que membre d'un parti minoritaire, je peux dire que nous ne devrions peut-être pas garder... J'ai tendance, pour l'instant, à être d'accord avec vous pour dire qu'il faudrait détruire tous les échantillons en cas d'acquittement. Vous trouverez peut-être intéressant d'apprendre—et cela m'inquiète réellement—que je ne suis pas sûr qu'on puisse les détruire. C'est quelque chose que nous devrons examiner. C'est une des choses que notre comité fera.

Il y a diverses choses que je peux faire et que d'autres membres du Comité peuvent faire. Mais ce projet de loi ne peut pas régler toutes ces questions, n'est-ce pas? Ce dont vous parlez est une refonte extrêmement radicale du système de justice criminelle. C'est peut-être impossible, mais puis-je vous demander de vous limiter à ce projet de loi? De votre point de vue, ne contient-il absolument rien de bon? Je suppose que c'est votre avis.

Mme Amy Go: Il nous est simplement fondamentalement impossible, par principe, d'appuyer un projet de loi de ce genre. Nous avons exposé en détail nos préoccupations qui font que nous ne pouvons pas l'appuyer, mais, honnêtement, vu tous ces problèmes très fortement enracinés...

M. Peter Mancini: J'ai juste une autre question. Je sais que je dépasse le temps qui m'est imparti.

La présidente: Allez-y.

• 1145

M. Peter Mancini: Je suis criminaliste et j'ai plaidé devant les tribunaux—je suis prêt à répondre à vos questions à ce sujet—; je sais donc qu'il n'est pas facile pour la victime d'une agression sexuelle de prouver, d'empêcher l'auteur du crime de prétendre qu'il n'était pas là et d'éviter à la victime d'avoir à répondre à toutes les questions qu'on lui posera au tribunal quand l'accusé dira: «Non, je n'étais pas là; prouvez donc que j'y étais.» N'est-il pas utile pour elle qu'il existe une preuve montrant que cela vient de lui et qu'il ne peut plus prétendre le contraire, si bien que l'avocat de la défense ne peut plus contester la crédibilité de la femme qui assure, dans son témoignage, qu'il était là?

Je sais que vous me dites que c'est elle qui est le mieux à même de pouvoir l'identifier, mais cela renforcera sa crédibilité et aidera à éviter qu'on l'attaque ainsi. N'est-ce pas à son avantage?

Mme Amy Go: Je suis désolée, je ne suis pas criminaliste, mais lorsqu'aucune sorte de substance corporelle ne peut être produite comme preuve, la question qui se pose en fin de compte est celle du consentement, de savoir si la femme a donné son consentement à cet acte. Nous avons eu beaucoup d'affaires de ce genre.

M. Peter Mancini: Je le comprends, et je ne veux pas dire que... Mais la défense invoquera les deux arguments en disant d'abord «Je n'étais pas là, prouvez donc que j'y étais» et, ensuite «D'accord, vous avez maintenant prouvé que j'étais...»

Mme Amy Go: Mais ce que nous voulons dire est...

La présidente: Je vous en prie, laissez-le finir. Ce qu'il dit est intéressant, et c'est un juriste expérimenté.

M. Peter Mancini: Ce que je dis est que la victime ne pourra pas être attaquée des deux façons à la fois—en ayant à prouver, d'abord, que l'accusé était là et, deuxièmement, qu'elle n'a pas donné son consentement—, et cette preuve lui permettra de dire: «Je n'ai pas à démontrer que vous étiez là, puisque ceci le prouve.» Cela ne règle pas le problème des attaques contre la victime quand elle témoigne, mais cela élimine une raison de l'attaquer.

Mme Fiona Miller: Je pense que vous parlez du cas où on se demande si l'accusé était là ou non. Nous disons que ce sont les cas d'agression par un étranger, ceux où la femme... pas l'agression par un étranger, mais, vous le savez, c'est dans des cas rares et exceptionnels que cela entre réellement en jeu. Je veux dire que, dans le cas des viols commis par un homme avec qui la femme passait la soirée, on fait... L'accusé peut prétendre qu'il n'était pas là, mais le problème se pose quand on soulève la question du consentement, et nous disons qu'il est alors plus difficile de gagner.

Si l'accusé prétend vraiment qu'il n'était pas là, la batterie de questions infligées à la femme est différente de celles qu'on lui pose au sujet de son consentement et qui, comme vous le savez, sont les plus éprouvantes pour les femmes.

Les femmes n'évitent pas de s'adresser à la justice après une agression sexuelle parce qu'elles ne veulent pas qu'on les interroge au sujet des raisons de leur présence là, mais parce qu'elles ne veulent pas qu'on les interroge au sujet de leurs antécédents sexuels, des rapports figurant dans leur dossier confidentiel et du fait de savoir si elles ont vraiment dit non. C'est ce problème que posent les agressions sexuelles et non pas le fait qu'une femme ou toute autre victime d'un délit quelconque—cela n'est pas propre aux agressions sexuelles—doive essayer de prouver qu'un délit a bien été commis, ce qui est une question différente.

Ce qui est particulièrement éprouvant pour les femmes dans le cas d'une agression sexuelle est la question du consentement. À notre avis, cela souligne encore que ce projet de loi concerne seulement la question de l'identité, et les affaires de ce genre sont beaucoup plus faciles à gagner que celles qui portent sur le consentement. La défense changera donc son argumentation. Nous nous trompons peut-être, mais prouvez que ce n'est pas le cas, parce que nous pensons le contraire.

La présidente: Monsieur MacKay.

M. Peter MacKay: Je pense que ce qui me gêne dans nombre des choses que vous déclarez est que, selon vous, tous les problèmes systémiques sont incompatibles avec certains des problèmes pratiques abordés dans ce projet de loi.

Vous citez de bons exemples, et je n'ai aucun mal à accepter votre point de vue, ou votre droit d'être ici. Je pense qu'il faut que vous sachiez que tous les membres du Comité sont très réceptifs, et je pense pouvoir parler au nom de tous, à ce que vous expliquez. Toutefois, on vous a posé des questions très précises, et j'aimerais vous en poser quelques autres, parce que les exemples que vous avez cités reflètent fondamentalement l'idée selon laquelle les faiblesses humaines qu'on constate dans le système judiciaire doivent être réglées quasiment en jetant le bébé avec l'eau du bain et qu'il faut le nettoyer de fond en comble pour apporter les changements que vous envisagez.

Ce projet de loi supprime une grande partie de l'incertitude qui entoure les crimes violents et, en particulier, les crimes sexuels. Ce n'est pas seulement la possibilité de prouver la présence d'une personne sur les lieux. Vous partez du principe que la police et la justice s'appuieront tellement sur ce genre de preuves qu'elles rejetteront encore plus les femmes, leur crédibilité et leur capacité à témoigner devant le tribunal et à faire admettre qu'elles disent la vérité.

• 1150

Je peux comprendre pourquoi cela peut vous préoccuper, mais les preuves de ce genre fourniront aussi à la police et, surtout, à la justice la possibilité d'engager des procédures quand la victime ne peut pas parler du tout ou qu'elle choisit de ne pas le faire pour certaines des raisons que vous avez exposées, parce qu'elle a l'impression qu'il existe un préjugé contre elle ou qu'on ne l'écoutera pas.

Si on utilise pleinement tout ce qu'elles peuvent apporter, les preuves de ce type permettront de soumettre à la justice des meurtres et des agressions sexuelles non élucidés. Ne serait-ce que pour cette raison, je vous demanderai si cela ne vous paraît pas bon en soi? On pourrait traduire devant la justice quelqu'un qui est en liberté et qui a commis un meurtre ou une agression sexuelle, et cela pourrait éviter un nouveau crime.

Mme Amy Go: Je pense que nous allons revenir à notre point de départ, n'est-ce pas? Ce que nous disons est que le problème auquel sont confrontées les femmes est que la plupart des crimes violents qui sont perpétrés contre elles, pour ce qui est des crimes sexuels et des choses comme cela, sont commis par des gens qu'elles connaissent.

Comme vous le dites, ce projet de loi aidera à régler quelques-uns des meurtres et crimes non élucidés perpétrés par des étrangers, etc. Mais nous disons qu'en consacrant vos ressources à cela, vous négligez un énorme nombre de cas sur lesquels cela peut avoir des conséquences négatives. Vous allez peut-être amplifier énormément le problème. Ces conséquences sont plus importantes que les petits avantages que pourra, au mieux, apporter un projet de loi de ce genre.

Nous vous redemandons donc quelles sont vos priorités? Allez-vous vous occuper de cela, y consacrer un peu d'argent et ensuite fermer les yeux s'il en résulte de nouveaux problèmes pour les femmes ou si leurs problèmes actuels deviennent plus graves? Les groupes comme les nôtres devront alors accepter le fardeau d'avoir à s'occuper de ces problèmes sans aide financière gouvernementale. Donc, vous choisissez d'utiliser votre argent pour cela, vous ne tenez pas compte de notre situation actuelle, vous nous retirez de l'argent et vous empirez ensuite les choses pour nous. Voilà ce que nous disons.

M. Peter MacKay: Sur quelles études, sur quels chiffres vous fondez-vous pour dire que la plupart, sinon la totalité, des crimes sont commis par des personnes qui connaissent les victimes?

Mme Amy Go: Je parle de la plupart...

M. Peter MacKay: Il est évident que dans un grand nombre de cas, à mon avis, l'auteur du crime n'est pas connu de la victime.

Mme Amy Go: C'est ce que je dis. Il faut que vous ayez en main des statistiques indiquant les proportions pour les crimes, surtout les crimes sexuels, commis envers les femmes. Qui s'en occupe?

Mme Fiona Miller: Je pense qu'il existe de nombreuses preuves que, lors des agressions sexuelles, un pourcentage très élevé de femmes, la majorité d'entre elles, connaissent leur agresseur. Mais ce sont également des statistiques de la police. Bien sûr, comme vous le savez, il y a bien des femmes qui ne s'adressent jamais à la police, les renseignements à leur sujet ne sont pas collectés et ne figurent pas dans les chiffres officiels.

Nous parlons au nom des groupes de femmes qui travaillent dans les centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle. Vous savez peut-être, mais peut-être pas, que ces centres ont été les premiers à critiquer le dépistage ADN et la banque de données à cause de leur expérience quotidienne de ce que sont la violence masculine et les agressions sexuelles subies par les femmes.

Ils traitent avec des femmes qui connaissent leurs agresseurs et qui ne sont pas particulièrement aimées de la police. Les policiers ne viennent pas quand on les appelle. La police ne s'intéresse pas aux prostituées quand elles sont agressées. La justice ne s'intéresse pas aux femmes pauvres et aux mères qui élèvent seules leurs enfants et qui ont des difficultés avec la Société d'aide à l'enfance. Ces femmes sont parmi les nombreuses victimes de la violence masculine dont on ne parle jamais, et ni la police ni les tribunaux ne s'intéressent à ce qui se passe.

M. Peter MacKay: N'allez-vous pas un peu loin?

Mme Fiona Miller: Non.

M. Peter MacKay: Je dois exprimer mon désaccord. Vous dites que la police ne s'intéresse pas à cela. Cela me gêne réellement d'entendre quelqu'un dire une telle chose. Cela me gêne réellement beaucoup.

Mme Fiona Miller: Je suis désolée.

• 1155

M. Peter MacKay: J'ai travaillé avec beaucoup de policiers. J'ai pris très au sérieux une bonne partie de ce que vous avez dit, mais vous condamnez un système dans lequel il y a des faiblesses humaines.

Il se trouve qu'à mon avis, le système de justice canadien, même s'il n'est pas parfait, est un très bon système si on le compare à ce qu'il y a d'autre dans le monde. On peut l'améliorer. C'est ce que nous tous, ici, essayons de faire, mais dire que la police est indifférente...

Mme Fiona Miller: Mais je ne pense pas que vous le faites.

M. Peter MacKay: ... ou ne fait aucun effort est une déclaration très générale, préjudiciable comme façon d'exprimer une façon de voir les choses.

Une voix: C'est une bonne façon de voir les choses.

Mme Amy Go: Je pense que vous ne pouvez pas rejeter l'expérience des femmes. Parlez-leur. Lors de notre consultation annuelle avec le ministère de la Justice, nous nous sommes appuyées sur ce qu'elles disent. Ce sont des travailleuses de premières ligne qui travaillent quotidiennement avec des victimes, des femmes qui ont été agressées, violées et qui ont subi toutes sortes de mauvais traitements. Depuis cinq ans, le ministère de la Justice a entendu leurs déclarations.

Venez juste une fois, écoutez ces femmes et parlez-leur. Je vous en prie, ne rejetez pas ou ne contestez pas ce que ces femmes disent sur leurs rapports avec la justice.

Mme Fiona Miller: Bien entendu, quand nous traitons, vous et moi, avec la police, cela se passe raisonnablement bien. Quand je passe la frontière, on ne m'interroge pas; je ne suis pas un jeune noir ni une prostituée. Bien entendu, les policiers ne nous traitent pas du tout de la même façon.

Je ne dis pas qu'ils sont délibérément mal intentionnés. Cela peut arriver. Certains le sont certainement. Il y a un agent raciste à Toronto qui n'a pas été démis de ses fonctions bien qu'il ait été accusé d'avoir tué un noir et qu'il ait fait des déclarations incroyablement racistes. Il y a donc des membres de la police qui sont mal intentionnés, et je pense qu'il serait naïf de le nier.

Mais nous disons qu'il y a des problèmes systémiques dans le comportement de la police face aux agressions sexuelles. Elle intervient plus énergiquement quand une femme est agressée par un inconnu, comme une jeune femme de 15 ans d'Etobicoke qui faisait du jogging, que dans celui des femmes du centre-ville de Toronto, des femmes de couleur, on s'en doute, qui sortaient avec cet homme.

Vous savez que c'est vrai, et nous craignons beaucoup qu'on aggrave ce problème. C'est le principal problème dans ce cas-ci.

Il ne me paraît pas suffisant de dire que ce projet de loi serait excellent si on pouvait améliorer les choses. Parce qu'on n'est pas en train de les améliorer, et c'est ce qui est prioritaire.

Le commissaire à la protection de la vie privée a publié en 1992 un rapport sur le dépistage génétique et le respect de la vie privée. On n'y a donné aucune suite sérieuse. Les utilisations des renseignements génétiques prolifèrent, et le gouvernement ne prend aucune initiative à ce sujet. Ce n'est qu'un tout petit exemple.

La présidente: Madame Miller, il a comparu devant nous.

Mme Fiona Miller: Non, non. Je le dis seulement en passant. J'en parle de façon générale.

La présidente: Nous avons entendu ses préoccupations de façon générale.

Quoi qu'il en soit, monsieur MacKay, merci. Je veux donner la parole à M. DeVillers, et ensuite à Mme Bakopanos. Monsieur DeVillers.

M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Merci, madame la présidente.

Je reviens à ce qu'a dit M. Ramsay au sujet des témoins et des personnes qu'elles représentent ou non. Je peux dire publiquement qu'elles représentent assez bien les femmes de ma famille. Mais je pense que ce n'est pas la question dont nous devrions parler ici aujourd'hui. Je pense que c'est la raison pour laquelle nous sommes dans des partis différents, etc.

J'ai entendu les préoccupations des témoins et je suis d'accord avec leurs priorités. Personnellement, je pense qu'il faudrait accorder la priorité aux problèmes à long terme, comme nos conditions socio-économiques, etc.

J'ai participé hier à une réunion avec le Solliciteur général qui a confirmé que, dans la clientèle du Service correctionnel du Canada, les membres marginalisés de notre société sont surreprésentés, etc. Mais j'ai fait des recherches et j'ai tenu des colloques sur le maintien de l'ordre dans ma circonscription, etc. C'est un problème immédiat et à long terme.

J'ai entendu vos réponses aux questions spécifiées. Comme je suis le cinquième à intervenir, nombre des questions que j'aurais pu poser au sujet des points de détail l'ont déjà été.

Ma question est générale et ne porte pas sur ce projet de loi. Le CCA pense-t-il qu'on peut faire quelque chose à court terme, étant donné que nous avons des priorités à long terme et que les solutions concernent le long terme? Nous n'allons pas redresser la situation du jour au lendemain. Je connais vos objections à ce projet de loi, y a-t-il moyen de prendre des mesures à court terme du même genre pour faire face au fait que la sécurité des gens est en jeu, indépendamment du fait qu'il s'agisse de personnes marginalisées et que des crimes soient commis? Comment concilier les problèmes à long terme et à court terme?

• 1200

Mme Amy Go: Étant donné qu'une énorme quantité de crimes commis contre les femmes ne sont pas signalés, il est très difficile de répondre à une question comme celle-ci, parce qu'il faut traiter tout ce problème de façon exhaustive et systémique. Mais si vous voulez mettre l'accent sur la violence faite aux femmes et les crimes commis contre les femmes, un des principaux problèmes est le nombre de cas non signalés. Les femmes qui en sont victimes hésitent à se faire connaître, elles ont peur de le faire.

Si vous voulez rétablir cette confiance et avoir une idée juste de ce qui arrive réellement aux femmes dans leur vie, il faudra que vous régliez cette question. Renforcez cette confiance et faites en sorte que les femmes se fient au système de justice criminelle.

Je ne pense pas que nous puissions avoir une solution de nature technologique. Le problème est également de savoir comment rétablir cette confiance en montrant aux femmes que nous sommes déterminés à nous occuper de leurs problèmes et à nous pencher sur leurs préoccupations immédiates, c'est-à-dire, notamment, à leur venir réellement en aide, par exemple en finançant les groupes de femmes, le counseling, les centres d'accueil et le logement. Il faut réellement offrir un appui à ces femmes et leur permettre d'acquérir une autonomie de décision afin qu'elles fassent assez confiance au système pour être prêtes à lui faire face et à traiter avec lui. Ensemble, je pense que nous avons peut-être en fait une possibilité d'avoir une influence sur certains des changements à long terme de ce système.

Si vous voulez mon avis, oui, appuyez ce genre d'initiative. Faites plus de choses de ce genre. En même temps, ne négligez pas les problèmes systémiques. Penchez-vous en priorité sur ces questions systémiques et structurelles.

Mme Fiona Miller: Je pense que vous exposez un grave dilemme auquel, j'imagine, vous devez être confronté en tant que député. Si on crée cette banque de données, un certain nombre de meurtres seront enfin élucidés. Je n'ai aucun doute à ce sujet, mais je ne sais pas combien il y en aura. Je suppose qu'ils ne seront probablement pas aussi nombreux qu'on pourrait l'espérer, mais il y en aura quelques-uns, dont on parlera beaucoup.

Du point de vue politique, ces affaires sont très séduisantes. Elles permettent aux gens d'être réélus. Je le comprends.

Les questions plus vastes dont nous parlons sont un sujet de préoccupation. Il y a le fait qu'à mon avis, si l'on veut créer une banque de données, c'est parce qu'on croit que, vu la nature du récidivisme et la façon dont fonctionne le système judiciaire, on pourra capturer des gens si on a des indications suffisamment précises au sujet des criminels qui vivent dans notre pays.

Je ne sais pas quoi penser de ces hypothèses. C'est une question de degré. Comme je l'ai dit, je reconnais que certaines affaires seront élucidées. Je ne crois pas qu'elles le seront toutes. Je ne sais pas quel sera le pourcentage. Nous vous disons qu'à notre avis, il y a aussi des questions importantes qui attirent moins l'attention, qui ne sont certainement pas aussi attrayantes et qui sont très, très difficiles à résoudre.

Mais, quand nous examinons ce projet de loi, étant donné ce que nous savons et ce à quoi les femmes font face quotidiennement—nous ne parlons pas en leur nom, mais je pense que nous représentons ici les femmes qui sont dans les centres d'accueil de première ligne—, nous ne pouvons pas l'accepter en notre âme et conscience.

N'oubliez pas que nous ne parlons pas seulement du dépistage ADN—malheureusement, c'est trop tard; il s'agit d'une banque de données, qui représente toute une autre série de problèmes et d'hypothèses concernant le récidivisme qui, à mon avis, ne sont pas particulièrement bien fondées. Voilà votre fardeau politique.

M. Paul DeVillers: Merci.

La présidente: Madame Bakopanos.

Mme Eleni Bakopanos (Ahuntsic, Lib.): Je ferai plutôt un commentaire, madame la présidente. Merci beaucoup.

Je veux simplement assurer aux représentantes du CCA que nous écoutons ce qu'on dit pendant ces consultations quand nous y allons. On a examiné dans l'ensemble la situation des femmes. Ce n'est peut-être pas suffisant, je suis d'accord avec vous. En fait, le caucus des femmes du côté du gouvernement a insisté auprès de lui pour s'assurer qu'on examine les répercussions de tous les projets de loi sur les femmes.

Je tiens également à vous assurer qu'en ce qui concerne le financement des centres d'accueil, le gouvernement annoncera bientôt quelque chose. Le caucus des femmes a également fait des pressions dans ce sens, et nous sommes d'accord sur cette question.

Je reprendrai le point de vue de mon collègue selon lequel cette banque d'empreintes génétiques est utile à court terme. J'ai écouté certaines des préoccupations que vous avez exprimées à ce sujet. Mais à long terme, tout le monde doit s'engager ensemble sur la même voie en se penchant sur les deux côtés de la question. Pour ce qui est de la confiance—c'est là-dessus que je terminerai—, toutes les parties en cause doivent faire un effort. Merci.

La présidente: Monsieur Ramsay, avez-vous une dernière question?

M. Jack Ramsay: Oui. Je veux remercier nos témoins. Votre exposé a été très véhément, comme nous le souhaitons. Nous avons ici des affrontements au sujet des projets de loi, et c'est l'endroit où il faut le faire. Je tiens donc à vous en remercier.

• 1205

Je tiens également à vous assurer que j'examinerai ce que vous avez dit au sujet du prélèvement d'échantillons génétiques par les agents de l'immigration. Je vais demander au ministre si cela se fait vraiment, et si c'est le cas, à quel titre. Nous allons vérifier de quoi il retourne. Je tiens à vous remercier d'avoir signalé cela.

Je vous remercie à nouveau d'être venues et d'avoir été si véhémentes. Je ne sais pas si le projet de loi sera rejeté ou retiré. Quoi qu'il en soit, merci d'avoir comparu devant nous.

La présidente: D'accord, merci.

La séance est levée.