JURI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND LEGAL AFFAIRS
COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES QUESTIONS JURIDIQUES
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 5 novembre 1997
La présidente (Mme Shaughnessy Cohen (Windsor—St. Clair, Lib.)): Je vous souhaite encore une fois la bienvenue. Je vois que nous avons encore une fois aujourd'hui un nouveau membre. Merci d'être venu.
J'aimerais d'abord préciser un certain nombre de choses. Vous vouliez demander quelque chose, madame Caplan.
Mme Elinor Caplan (Thornhill, Lib.): Oui. Merci beaucoup.
Je suis accompagnée aujourd'hui de Catherine Kuntz, qui participe au programme «Emmenez un élève au travail». Je me demandais si les membres du comité accepteraient qu'elle prenne place à la table, si nous avons une chaise libre. Il semble que oui.
Des voix: D'accord.
La présidente: Parfait.
Mme Elinor Caplan: Je présente donc Catherine au comité.
La présidente: Soyez la bienvenue, Catherine. J'espère que vous vous sentez suffisamment singularisée.
Des voix: Oh, oh!
La présidente: Nous avons aussi parmi nous un groupe d'enseignants. Je n'ajouterai aucun commentaire, mais j'espère qu'il y en a parmi eux de l'Ontario.
Nous accueillons des membres de l'Institut des enseignants sur la démocratie parlementaire canadienne, qui nous ont été présentés à la Chambre aujourd'hui et qui sont venus s'instruire sur le fonctionnement du Parlement. Ils resteront parmi nous jusque vers 16 h 30. Ils craignent que vous ne les trouviez mal élevés en les voyant partir tout à coup. De toute évidence, ils n'ont jamais observé nos allées et venues.
Soyez les bienvenus. Nous sommes heureux de vous avoir parmi nous.
À la demande de ces personnes, je demanderais à tous les membres du comité de se présenter, de donner leur titre s'ils en ont un et de nommer la circonscription qu'ils représentent.
Je commence. Je m'appelle Shaughnessy Cohen, je viens du centre de l'univers, Windsor—St. Clair, en Ontario et je suis présidente du Comité de la justice.
Jack.
M. Jack Ramsay (Crowfoot, Réf.): Je m'appelle Jack Ramsay. Je représente Crowfoot, en Alberta. Je suis porte-parole principal du Parti réformiste pour la justice.
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Réf.): Je m'appelle Chuck Cadman. Je représente Surrey-Nord, en Colombie-Britannique. Je suis membre suppléant du comité et porte-parole associé du Parti réformiste pour la justice.
[Français]
M. Richard Marceau (Charlesbourg, BQ): Je m'appelle Richard Marceau et je suis député de la circonscription de Charlesbourg pour le Bloc québécois. Je suis critique pour le solliciteur général.
[Traduction]
M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, P.C.): Je m'appelle Peter MacKay et je suis le porte-parole du Parti progressiste conservateur pour la justice. Je représente Pictou—Antigonish—Guysborough, en Nouvelle-Écosse.
La présidente: M. MacKay est également leader du Parti conservateur à la Chambre.
Mme Elinor Caplan: Je m'appelle Elinor Caplan et je représente Thornhill. Je suis membre suppléant du comité. Je remplace Mme Eleni Bakopanos.
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Je m'appelle Derek Lee et je représente Scarborough—Rouge River.
M. Andrew Telegdi (Kitchener—Waterloo, Lib.): Andrew Telegdi, de Waterloo, en Ontario.
M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): Je m'appelle John Maloney et je représente la circonscription d'Erie—Lincoln, dans la péninsule du Niagara, en Ontario. Je suis membre du Comité de la justice.
La présidente: Et près de moi nous avons Marilyn Pilon, qui est attachée de recherche auprès de la Bibliothèque du Parlement; M. Phil Rosen, analyste principal des politiques pour notre comité; M. Luc Fortin, cogreffier du comité et M. Roger Préfontaine, également cogreffier.
Et de ce côté-ci, je ne connais pas vos noms.
M. Jean-Louis Lauzon (messager): Jean-Louis Lauzon. Je suis messager à la Chambre des communes.
Mme Géraldine Valiquette (réceptionniste): Géraldine Valiquette, réceptionniste.
La présidente: Au fond de la salle, dans la cabine, nous avons nos interprètes et ici l'opérateur de console, qui s'assure que les micros sont allumés ou éteints, selon le cas, quand nous oublions de nous en occuper nous-mêmes. Nous avons parfois des conversations fort intéressantes et nous oublions de regarder si le micro est allumé ou non.
Nous avons également Gurbax Malhi, de Brampton, membre du comité et président du Comité de la Bibliothèque du Parlement.
Notre premier témoin aujourd'hui est M. Steve Sullivan. Steve, je vous laisse le soin de vous présenter.
M. Steve Sullivan (directeur exécutif, Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes): Merci, madame la présidente. Je représente le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, groupe national de défense des intérêts des victimes.
Je tiens à remercier la présidente et le comité de m'avoir inclus parmi le petit nombre de témoins qui auront la possibilité de présenter leur point de vue sur le projet de loi que vous examinez. Je sais qu'on a déjà beaucoup parlé hier de la méthode, et j'imagine que vous en entendrez encore parler aujourd'hui.
• 1545
Il n'est pas dans mes habitudes de justifier notre présence
devant votre comité. De manière générale, tout ce qui a trait à la
sécurité publique nous intéresse. Cela nous touche. Mais comme je
ne suis ni policier, ni procureur, ni constitutionnaliste, vous
vous demandez peut-être ce que je fais ici.
Je suis venu vous parler de quelqu'un dont vous n'avez peut-être pas encore entendu le nom, si vous n'avez pas lu les dossiers de la Cour suprême, ou un nom qui n'a pas encore été prononcé lors de ces audiences et que personne d'autre ne prononcera peut-être. Je veux parler de Frank Boyle. Frank Boyle était un homme de 86 ans qui a été battu à mort dans sa propre maison. Car c'est là que l'affaire a commencé, et non pas avec la décision de la Cour suprême.
Il est important de ne pas perdre de vue Frank Boyle durant vos délibérations et au cours de ce processus législatif. Frank Boyle était un homme tranquille qui allait à l'église tous les dimanches. Il prenait le temps de nourrir les écureuils et les oiseaux de Likely, en Colombie-Britannique. Il apportait l'épicerie à ses voisins qui se déplaçaient moins facilement que lui. Il prenait le temps de réparer des jouets cassés et d'aller les apporter vers Noël aux enfants hospitalisés.
Frank Boyle était un homme bon. Ce n'est pas une phrase en l'air. J'ai en effet eu la chance de rencontrer sa famille cet été. J'ai rencontré Richard et Leona Heard. Richard est le beau-fils de M. Boyle.
Je les ai rencontrés pour essayer de répondre à leurs questions sur ce processus. N'oubliez pas que si nous nous penchons sur cette affaire maintenant, Frank Boyle a en fait été assassiné en 1991. Pendant ces six ans, M. et Mme Heard ont vécu l'expérience des audiences préliminaires, celle des procès, des appels, et ils sont même venus à Ottawa pour les audiences de la Cour suprême.
Hier nous avons parlé de la difficulté que peuvent éprouver les témoins parfois lorsqu'ils ont peu de temps pour préparer leur mémoire, de l'inconvénient pour la ministre d'avoir à se présenter encore une fois à la Cour suprême pour demander une extension, et de l'inconvénient que présenterait la décision de la Cour même. Mais il y a une leçon pour nous tous dans les inconvénients et les difficultés qu'ont vécues Richard et Leona Heard au cours des six dernières années.
Alors quand nous parlons de processus et de prendre notre temps, il faut se rappeler qu'ils ont attendu six ans que justice soit faite et qu'ils vont devoir recommencer du début, comme M. Feeney va encore une fois devoir refaire toute la procédure.
Et c'est essentiellement pour cela que nous sommes ici: pour vous parler de Frank Boyle, pour nous assurer que dans le cours de vos délibérations, vous n'oubliez pas qui était Frank Boyle.
La semaine dernière, le ministère de la Justice a organisé une petite séance d'information sur le projet de loi. Je suis ensuite rentré à mon bureau et j'ai appelé M. Heard pour lui expliquer ce qui se passait. J'ai promis de le tenir au courant.
Quand nous nous sommes rencontrés cet été, nous avons examiné ensemble la décision de la Cour suprême et le raisonnement des juges. Mme Heard n'a cessé de demander: «Et la vérité? Est-ce que la Cour suprême se fiche de la vérité?» Qu'en est-il des preuves que la police a obtenues? On peut se demander si des droits ont été violés ou non, mais qu'en est-il des preuves obtenues? Est-ce que ça ne compte pour rien? Est-ce que ça ne devrait pas compter?
C'est une des rares fois où je n'ai rien pu répondre à une victime. D'habitude, je trouve toujours une réponse, mais là, il n'y en a pas. Dans ce cas-ci, la vérité n'a pas compté. Elle n'a presque pas été mentionnée. Vous le constaterez vous-même si vous avez le temps de lire la décision.
J'ai appelé M. Heard la semaine dernière pour le tenir au courant du dossier et nous avons passé en revue le projet de loi ensemble. Il est d'accord pour dire que c'est un bon projet de loi qui répond à la plupart des questions de la Cour suprême.
Plus tard dans l'après-midi Mme Heard m'a appelé de son lit d'hôpital. Elle a subi une opération chirurgicale. Je lui ai expliqué le projet de loi et elle a eu les mêmes réactions. Elle m'a dit simplement: «Assurez-vous qu'ils fassent les choses comme il faut» et «Assurez-vous que ça marche.»
La première chose, c'est le processus. On en a parlé hier. Le comité a voté pour savoir si la ministre devait encore une fois demander à la Cour suprême de reporter sa décision.
Quand vous examinez des projets de loi qui touchent à la sécurité publique, vous devez vous assurer qu'on a répondu à toutes les questions. Je sais que je ne suis pas policier, mais M. Newark et le sergent détective Jessop ont soulevé hier des questions importantes concernant ce projet de loi et son effet restrictif sur leur travail, et je suppose que l'intervention de l'ACCP ira dans le même sens.
Si vous adoptez le projet de loi sans apporter réponse à ces questions, vous ferez un tort aux Canadiens. Et à ceux qui pensent que ce n'est pas nécessaire puisqu'il y a déjà eu des consultations, permettez-moi de rappeler un autre projet de loi qui a été adopté rapidement par ce comité: le C-45, qui modifiait l'article 745. Je crois que le comité a tenu un ou deux jours d'audience sur ce projet de loi.
• 1550
Il a eu notamment pour effet de retirer à la victime le droit
de présenter une déclaration. Nous étions venus devant le comité et
les groupes représentants les victimes avaient soulevé la question.
On nous avait dit de ne pas nous inquiéter, qu'on s'en occuperait.
Ça n'a pas été fait. Le projet de loi a été adopté et il a abrogé
ce droit que le gouvernement avait accordé aux victimes quelques
mois plus tôt seulement.
On a corrigé le tir avec un autre projet de loi, mais j'essaie tout simplement d'indiquer qu'à vouloir accélérer l'adoption d'un projet de loi, à vouloir l'adopter aussi rapidement que vous allez probablement adopter celui-ci, on risque de négliger certaines choses et d'être obligé de corriger les erreurs par la suite. L'ennui c'est que des gens comme Richard et Leona Heard vivent un enfer quand l'erreur surgit. Je vous demande donc encore une fois de prendre le temps nécessaire pour bien faire les choses.
La deuxième chose que voulait dire Mme Heard c'était que quoique ce comité décide, quel que soit le projet de loi que vous adopterez, assurez-vous qu'il fonctionne comme prévu. C'était M. Newark, sauf erreur, qui a soulevé hier des questions sur des aspects pratiques qui intéressent la police. Notamment, quand un agent de police arrive avec un mandat qui lui permet d'entrer chez quelqu'un mais n'a pas reçu l'autorisation de ne pas prévenir avant d'entrer, doit-il retourner obtenir l'autorisation? Je ne sais pas si la question est claire, mais c'est un problème qui se pose aux policiers qui arrivent sur les lieux.
N'oubliez pas que la police n'a pas six ans, comme monsieur le juge Sopinka. Les policiers n'agissent pas six ans plus tard. Ils ne sont pas à 2 000 milles du lieu du crime, des années plus tard. Ils doivent agir immédiatement. Ils doivent se préoccuper de la sécurité publique et de leurs responsabilités. N'oubliez pas que la police n'a pas tout son temps comme la Cour suprême.
M. Newark a déjà mentionné hier un certain nombre de questions que nous soulevons dans notre mémoire. La seule question que je soulèverai—parce que je ne connais pas la réponse—est celle de la poursuite immédiate. Dans la décision, il était question de «fresh pursuit». Je crois que nous savons tous ce que signifie «hot pursuit» (poursuite immédiate)—quand vous poursuivez une personne et qu'elle entre dans une maison—mais qu'entend-on par «fresh pursuit»? Madame le juge L'Heureux-Dubé a utilisé l'expression et elle a parlé «d'enquête directe et continue».
Cela ne s'est pas produit des semaines après le meurtre, car la police avait identifié un suspect quelques heures seulement après que M. Boyle ait été assassiné. La poursuite était fraîche. Peut-être le Parlement voudra-t-il examiner cette question, car si vous laissez cela à la Cour suprême, nous savons tous ce qui se passera, ou ce qui risque de se passer.
Alors que vous entamez le processus, il est important de bien comprendre qu'elle a été la conséquence de cette décision pour les forces policières. Je vous renvoie à la page 4 de mon mémoire, où je cite un extrait d'une lettre d'une jeune femme de Kitimat, en Colombie-Britannique. Son frère est une des trois personnes qui ont été tuées par balle cet été.
En fait, quatre personnes ont été frappées, mais l'une a survécu et a identifié un suspect. La police s'est rendue chez celui-ci. Elle savait où il se trouvait. Son camion était devant la maison, et les policiers ont donc présumé qu'il était chez lui.
Ne sachant pas ce qu'ils étaient autorisés à faire ou non, suite à la décision Feeney, ils ont attendu d'obtenir toutes les autorisations et tous les formulaires nécessaires. Quand ils sont enfin entrés, il n'y était, et on le cherche toujours. Le fait est qu'ils ont perdu un temps précieux parce qu'ils ne savaient pas ce qu'ils pouvaient ou ne pouvaient pas faire.
Dans votre examen du projet de loi et lors de vos délibérations, comprenez bien l'effet qu'a eu la décision de la Cour suprême, quelles ont été ses conséquences. Sandra aurait souhaité comparaître devant votre comité, si le temps l'avait permis.
Enfin, j'aimerais revenir sur une chose qu'a dite le sergent détective Jessop hier, de manière probablement plus éloquente que je n'aurais pu le faire—en tout cas beaucoup plus directement. Il a parlé de ce qu'est en train de faire la Cour suprême du Canada.
M. Jessop n'a pas mâché ses mots. Il a dit: «Les agents de police canadiens en ont assez de la Cour suprême.» Je dirais même plus. Je dirais que les Canadiens en ont assez de la Cour suprême, en ont assez qu'elle les mette sans cesse dans des situations intenables, sans tenir compte des conséquences de ses décisions.
Le seul autre groupe à avoir été peut-être encore plus touché par une décision de la Cour suprême, ce sont les victimes d'agressions sexuelles, et ce gouvernement a dû en fait adopter deux projets de loi lors de sa dernière session parlementaire suite à la décision de la Cour suprême touchant les victimes d'agressions sexuelles.
La véritable question est de savoir qui dirige le pays? Nous vous avons élu pour cela. C'est vous que nous avons élu pour légiférer, pas la Cour suprême.
Enfin, je vous rappelle ce commentaire de Mme Heard: «Assurez-vous que le projet de loi fonctionne.» Ça veut dire que si vous l'adopter tel qu'il est là, la police a besoin d'avoir les moyens de faire son travail.
• 1555
Hier, M. Newark—et la ministre également, je crois—ont parlé
de faire en sorte que lorsqu'un policier cherche à obtenir un
mandat au milieu de la nuit, il y ait quelqu'un à l'autre bout du
fil pour l'y autoriser. Dans certaines communautés, il n'y a
personne. Il faut voir à qui incombe la responsabilité. Il vous
faut démêler cela. Est-ce la responsabilité du ministre, ou une
responsabilité provinciale? Il faut trouver réponse à ces
questions.
Cette procédure est malencontreuse. Je sais que la Cour suprême nous a imposé des délais. On a l'impression d'être pris en otage. La solution existe, bien sûr, et la ministre semble hésiter à y recourir, mais il me semble que la chose mérite notre attention. Nous le devons à Frank Boyle.
En conclusion, permettez-moi de vous citer un extrait d'un discours prononcé par Madame le juge L'Heureux-Dubé devant l'Association canadienne de justice pénale qui résume bien son désaccord:
-
Quand un agresseur ou un meurtrier est acquitté au nom de la
régularité de la procédure, on n'a pas seulement négligé les
victimes passées, mais encore sacrifié les victimes à venir... Il
est peut-être temps de rappeler que le respect et la confiance de
la population devant la justice ne tient pas au seul fait qu'elle
protège des abus d'autorité, mais aussi à sa capacité de découvrir
la vérité et de garantir qu'au bout du compte, il est fort probable
que justice soit faite.
Dans ce cas-ci, justice n'a pas été faite. Vous avez maintenant la possibilité d'adopter un projet de loi qui évite ce genre de situation à l'avenir. J'espère que vous prendrez le temps de le faire et de répondre aux questions qui restent posées.
Merci, madame la présidente.
La présidente: Merci.
Nous allons commencer par des tours de cinq minutes. Monsieur Ramsay.
M. Jack Ramsay: Monsieur Sullivan, permettez-moi d'abord de vous remercier d'être venu et d'avoir déposé un mémoire dans de si brefs délais.
Nous aussi avons des décisions difficiles à prendre, car nous sommes tout à fait contre l'idée de précipiter l'adoption des projets de loi, sans avoir entendu des témoins de part et d'autre de la question. Quel que soit notre point de vue personnel sur des questions de droit, l'expérience nous a appris, ou en tout cas elle m'a appris, que si l'on ne permet pas aux gens qui ont des intérêts et une expérience de part et d'autre de la question d'exprimer leurs points de vue, on ne peut pas être certains qu'une fois le projet de loi adopté, il résiste à l'examen et au débat public.
Nous avons donc accepté de respecter l'échéance si possible. Nous avons accepté de ne pas faire obstacle à l'échéance, ce qui poserait un véritable problème si la Cour suprême du Canada ne prolongeait pas la suspension de l'ordonnance. Nous sommes donc face à un dilemme. Faut-il insister... et nous pouvons le faire, il nous suffirait de retirer notre accord pour faire adopter le projet de loi de renoncer aux 48 heures d'intervalle entre le moment où le comité termine l'étude article par article—ce que nous allons faire ce soir—et le dépôt du rapport à la Chambre?
Nous devons considérer où est l'intérêt public. Nous en sommes arrivés au point où non seulement nous ne pouvons plus être sûrs des lois que nous adoptons, à cause de décisions comme celle-ci, mais où ce type de processus ne nous permet même plus de savoir si nous avons le meilleur projet de loi possible, puisque nous n'avons pas entendu des témoins venir nous signaler les points faibles qu'ils y remarquent peut-être en raison de leurs expériences personnelles.
Nous sommes donc tout à fait conscients de ce que vous nous rappelez, et cela nous inquiète. Nous aimerions pouvoir entendre des opinions. Nous avions une liste de dix groupes, liste déjà courte en raison du peu de temps, mais je crois que nous en entendrons quatre. Nous aurons bien de la chance si nous pouvons faire plus. Nous devons donc espérer pouvoir obtenir les réponses à nos questions d'ordre technique et autre des témoins que nous pouvons entendre. Nous verrons si cela est possible ou non.
Quant à moi, je me demande maintenant quelle question pourrais-je vous poser qui puisse nous aider à y voir plus clair? La seule question que je puisse vous poser n'a pas grand-chose à voir avec le projet de loi. Elle a trait à ce que j'appellerais un manque ou une perte de confiance des Canadiens et Canadiennes non seulement dans la justice mais aussi dans les tribunaux.
• 1600
J'ai été troublé, sinon surpris, par un sondage d'Angus Reid,
en juillet, indiquant que 52 p. 100 des Canadiens ont peu
confiance, non pas dans le système de justice, mais dans nos
tribunaux. Quand ils disent «nos tribunaux» ils entendent nos juges
et leurs décisions, décisions que les gens essaient de comprendre,
peut-être comme dans le cas de la décision Feeney qu'a rendu la
Cour suprême du Canada, et qui a choqué tous ceux qui travaillent
dans le domaine de l'application de la loi et dans le système de
justice, et qui a eu des répercussions que nous essayons maintenant
de contenir avec l'adoption de ce projet de loi.
Vous travaillez avec des victimes. Vous travaillez avec des gens qui n'ont jamais la possibilité de comparaître devant le comité, avec le Canadien moyen qui est victime d'un crime violent ou d'un crime, tout simplement. Que souhaitez-vous transmettre au comité? Peut-être qu'en étant trop près de tout cela nous y perdons notre objectivité. Quel est selon vous le sentiment de la société, du point de vue de la confiance, face au système de justice et, en particulier, aux tribunaux?
Je me souviens d'avoir lu déclaration après déclaration dans les décisions de la Cour suprême du Canada soulignant à l'envi combien il était important que le public garde confiance dans l'indépendance de la magistrature, etc. Avez-vous quelque chose à dire?
M. Steve Sullivan: Oui, je voudrais faire quelques remarques.
En ce qui concerne la position dans laquelle vous vous trouvez, de décider si vous devez ou non appuyer le projet de loi et la procédure rapide, la décision serait plus facile si vous saviez si la Cour suprême accepterait ou non d'accorder une prolongation. Nous ne savons pas, et je comprends donc que tout le monde se trouve dans une situation délicate de ce fait.
En ce qui concerne la confiance des Canadiens dans leur système de justice—ou peut-être devrait-on plutôt parler de leur manque de confiance—la ministre en a parlé dans l'un des premiers discours qu'elle a prononcé comme ministre de la Justice devant l'Association du Barreau canadien, sauf erreur. Elle disait que les Canadiens perdent confiance dans leur système de justice. Je crois que c'est évident.
Il est souvent difficile d'interpréter des statistiques, mais l'an dernier nous avons vu une diminution du nombre d'agressions sexuelles dénoncées à la police. On peut y voir une bonne nouvelle et penser qu'il y a eu moins de viols. Mais on peut aussi en déduire que les victimes d'agressions sexuelles voient ce qui se passe dans les tribunaux; elles voient la Cour suprême rendre des décisions comme l'arrêt Daviault, disant que si vous êtes vraiment ivre, vous n'êtes pas un criminel et vous n'avez pas pu commettre un viol parce que vous étiez trop ivre. Le gouvernement a dû adopter une loi pour contrer cette décision.
Dans un autre cas, R. c. O'Connor, sauf erreur, la Cour a jugé que la défense a le droit d'obtenir les dossiers médicaux d'un plaignant ou de la victime d'une agression sexuelle. Lorsque des victimes entendent cela, et surtout des victimes d'agressions sexuelles, elles se demandent si le jeu en vaut la chandelle. Et quand elles décident de renoncer, nous sommes tous perdants, car justice ne sera pas faite.
Nous en avons eu un exemple récemment à Toronto lorsqu'un homme, des années plus tard, a dénoncé les agressions que lui-même et un certain nombre de jeunes avaient subies. Quand il a vu que le tribunal condamnait l'homme qui avait avoué des centaines d'agressions sexuelles à deux ans moins un jour, il a sauté d'un pont et s'est suicidé. Les gens perdent alors confiance dans le système. Et quand ils perdent confiance, nous sommes tous perdants, car les victimes ne s'adressent plus à la justice et cela fait un individu dangereux de plus parmi nous.
Dans une décision comme celle-ci, par exemple, quand les gens voient qu'on ne s'est pas posé la question de la culpabilité, qu'on ne s'est pas demandé qui a tué Frank Boyle, que la vérité n'est même pas entrée en ligne de compte... Le juge Sopinka n'a pas une seule fois mentionné la vérité. Il a reproché à la police une myriade d'excès qu'elle aurait commis, mais il n'a jamais critiqué le meurtrier.
Nous pourrions parler toute la journée de la perte de confiance de la population dans le système de justice. La question est très grave. Ce n'est pas simplement que les gens soient mécontents. Si les gens perdent confiance dans la justice, ils n'y auront pas recours dans le besoin et la situation devient alors dangereuse. Il y a déjà eu dans ce pays des cas de justiciers populaires. Ce n'est pas quelque chose que nous souhaitons encourager, mais si le système ne donne pas satisfaction, nous en verrons de plus en plus à mesure que diminue la confiance.
La présidente: Merci. Vous avez pris huit minutes 22 secondes, dont plus de cinq minutes pour poser la question.
M. Jack Ramsay: Cinq minutes?
La présidente: Cinq minutes quinze secondes. J'ai chronométré.
Monsieur Marceau, je suis sûre que vous serez plus rapide.
[Français]
M. Richard Marceau: Je suis toujours bref, madame la présidente. Je vais tenter de recentrer le débat sur le projet de loi en tant que tel, mais je voudrais tout d'abord vous faire remarquer que j'ai devant moi une présentation écrite en anglais seulement et que je trouve cela fort dommage pour les gens qui ne parlent que le français.
Je sais que M. Sullivan a eu des problèmes de temps, mais encore une fois, cela illustre bien la situation politique dans laquelle nous sommes. Cela étant dit, j'ai deux ou trois petites questions à poser à M. Sullivan.
Je vais commencer par la première. Allons à la page 6 de votre mémoire. Je vais lire le deuxième paragraphe:
[Traduction]
-
Cela est inquiétant puisque «motif raisonnable» constitue une
norme...
[Français]
Je vous demanderais d'abord si c'est un standard trop élevé pour vous et, si oui, par quoi vous le remplaceriez. Permettriez-vous à des agents de la paix d'entrer dans des habitations sans avoir «des raisons valables de croire que»?
Je pense que c'est une question importante parce qu'on essaie surtout de protéger les citoyens. Bien sûr, les droits des victimes sont importants, tout comme les droits de la société en général. Il y a également les droits et libertés qui sont fondamentaux dans ce pays. Je voudrais savoir ce qui serait raisonnable aux yeux de M. Sullivan et qui pourrait garantir une gestion efficace des droits et libertés des personnes.
Je vais vous poser toutes mes questions l'une après l'autre et je vous demanderais d'y répondre ensuite.
Ma deuxième question concerne le paragraphe suivant. Le gouvernement indique, dans le projet de loi, les situations d'urgence dans lesquelles il n'y aurait pas besoin de mandat. Le gouvernement a pris la peine de faire une liste qui est non limitative, en utilisant le mot «notamment» dans la version française, et je voudrais savoir si, selon vous, il ne serait pas trop dangereux de donner trop de pouvoirs discrétionnaires en permettant à quelqu'un de décider s'il y a urgence ou non de procéder.
Voici ma troisième question. À la page 7, vous dites au troisième paragraphe:
[Traduction]
-
Les agents de police qui ont travaillé dans cette affaire méritent
d'être félicités pour avoir défendu d'abord la sécurité publique.
La Cour suprême du Canada devrait suivre leur exemple.
[Français]
Encore une fois, si on poursuit votre raisonnement, ne va-t-on pas briser l'équilibre délicat qu'on cherche à établir, pour la protection des individus, entre le pouvoir de l'État d'un côté et les droits et libertés des gens de l'autre?
Je pense avoir posé mes question en moins de cinq minutes.
[Traduction]
M. Steve Sullivan: Tout d'abord, je vous présente mes excuses si notre mémoire n'est pas en français. Comme vous l'avez dit, les délais qui nous ont été imposés, ainsi qu'à d'autres groupes, ne nous permettraient pas vraiment de préparer une version française. Mais en passant, je m'inquiète de constater que devant une question aussi importante, on semble se préoccuper avant tout de la langue utilisée dans le mémoire.
Mais, pour répondre à vos questions, en ce qui concerne les motifs raisonnables avant d'entrer dans une habitation—et n'oubliez pas, je l'ai déjà dit, que je ne suis ni policier, ni procureur—on peut se demander s'il est bien logique, une fois qu'un policier a obtenu un mandat d'arrestation, de l'obliger ensuite à aller obtenir une autorisation d'entrée. Quels peuvent être les motifs raisonnables de croire qu'une personne est dans la maison? Par exemple, dans le cas que j'ai mentionné plus tôt, le véhicule du suspect était là. Cela vous donne-t-il un motif raisonnable? Je n'en sais rien. Si quelqu'un sonne à la porte et demande à voir monsieur Untel, et que la personne qui ouvre la porte dit qu'il n'est pas là, cela veut-il dire que la police n'a plus aucun motif raisonnable?
• 1610
Je pose ces questions parce que je ne sais pas ce qu'on attend
de la police. Si vous le savez, et si vous êtes satisfait du
contenu de ce projet de loi, c'est bien.
Votre deuxième question a trait aux situations d'urgence et au fait qu'on ne se limite pas aux deux exemples mentionnés. À mon avis, le ministère laisse le soin aux tribunaux de décider s'il y a d'autres circonstances admissibles. Je considère cette cause et je ne crois pas que nous allons voir beaucoup d'abus de ces pouvoirs. Il reste d'ailleurs à savoir s'il y a effectivement eu abus dans ce cas.
Si le ministère de la Justice s'était limité à ces deux situations, je suis sûr qu'il s'en présenterait d'autres que nous ne pouvons prévoir ici et où la police serait empêchée d'agir selon le besoin. Il me paraît important de ne pas se limiter à ces deux situations.
Enfin, en ce qui concerne l'équilibre entre l'intérêt de la police pour aller arrêter des suspects—qui est aussi une question de sécurité publique—et le droit des citoyens à préserver l'intimité de leur foyer, ce droit n'a plus aucun sens si vous ne vous sentez pas en sécurité chez vous; deuxièmement, je trouve que le projet de loi atteint cet équilibre.
Le ministère de la Justice s'est retrouvé avec une décision de la Cour suprême et il a répondu par un projet de loi qui, dans l'ensemble, équilibre les exigences de respect de la vie privée et celles de la sécurité publique. Quand je dis que la Cour suprême aurait dû s'inspirer de l'exemple de la police en matière de sécurité publique, je veux dire qu'il me paraît justifié pour la police de placer la sécurité publique au-dessus de tout car elle ne sait pas quel geste risque de commettre un meurtrier en fuite.
La présidente: Nous reviendrons à vous, monsieur Marceau, mais je veux m'assurer que tout le monde ait au moins un tour.
[Français]
M. Richard Marceau: On avait cinq minutes chacun, et je n'ai utilisé que trois minutes. Je voudrais juste faire un petit commentaire.
[Traduction]
La présidente: Je sais que c'est la période de questions et réponses et je tâcherais de revenir à vous.
Monsieur MacKay.
M. Peter MacKay: Merci, madame la présidente.
Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Sullivan. Nous apprécions que vous soyez venu avec si peu de préavis. Vos remarques montrent combien cette question vous tient à coeur. Les victimes ont trouvé en vous un excellent défenseur.
Je ne veux pas préfacer ma question d'un trop long préambule, mais je tiens à dire que moi aussi je partage votre inquiétude, comme d'autres autour de cette table, quant à la rapidité de la procédure. J'accepte également vos remarques, comme j'ai accepté hier celles du sergent détective Jessop, concernant la responsabilité des parlementaires qui se doivent de prendre l'initiative dans l'administration de la justice.
Ce que vous avez dit à propos de la perte de confiance dans le système de justice et les tribunaux peut s'étendre également au Parlement. C'est pourquoi je suis très inquiet de nous voir adopter un projet de loi sous la menace de la Cour suprême, et d'adopter ainsi peut-être une loi imparfaite. Allons-nous l'adopter à la hâte et risquer que la même chose se reproduise devant un tribunal quelconque, où l'on aura encore une fois interprété le sens de perquisition, où des preuves seront exclues, et nous devrons alors tout recommencer? Nous devrions nous efforcer de bien faire les choses la première fois.
Puisque votre expérience est dans la représentation des victimes, j'aimerais beaucoup avoir votre point de vue sur la question du financement. Vous avez dit à propos des victimes et de leur participation au système—et il faut dire que sur ce plan-là nous avons fait beaucoup de progrès depuis quelques années, j'espère que vous en conviendrez, mais il y a encore certainement bien des choses à améliorer—il semble que ce projet de loi ne règle pas le problème. Il n'y est nulle part question d'améliorer le financement afin de s'assurer que les agents puissent communiquer avec des magistrats 24 heures par jour sept jours par semaine afin d'obtenir un mandat.
• 1615
J'aimerais que vous nous disiez quels changements vous
envisagez ou souhaiteriez voir en ce qui concerne les droits des
victimes à participer au processus et, plus précisément, à être
entendues par le tribunal.
M. Steve Sullivan: La question du financement est importante car lorsque j'ai parlé à Mme Heard, qui était la belle-fille de la victime, elle a dit: «Assurez-vous que le projet de loi qu'ils adopteront puisse fonctionner.»
Ce qu'elle a voulu dire par là, je crois, c'est que quel que soit le régime prévu, les policiers doivent pouvoir faire leur travail. Et pour cela—vous l'avez dit—ils doivent pouvoir s'adresser à un juge 24 heures par jour, sept jours par semaine.
Hier, la ministre a dit qu'il ne fallait attendre aucun financement du gouvernement fédéral. M. Newark a dit que selon lui le financement devait venir du gouvernement. Je ne sais pas si c'est le cas ou non, mais si le gouvernement fédéral adopte un projet de loi imposant certaines exigences à la police, il lui incombe de s'assurer qu'elle puisse les satisfaire.
Il faudra donc qu'il paye de sa poche—et je crois franchement que Mme Heard et les autres victimes sont indifférentes à la question—ou qu'il s'entende avec les provinces pour s'assurer, avant l'adoption du projet de loi, que la police aura les moyens nécessaires.
Quant aux victimes du crime en général, elles ont vraiment fait beaucoup de chemin. Je l'ai constaté cet été lorsque je suis allé en Colombie-Britannique pour les audiences dans le cadre de l'examen judiciaire de Clifford Olson. J'ai pu voir la différence dans le traitement des victimes. Elles peuvent s'exprimer et la Couronne tient compte de leur opinion.
Elles ont fait beaucoup de progrès. Elles ont fait beaucoup de progrès également dans le processus législatif, puisqu'elles peuvent maintenant y participer.
Je suis sûr que M. et Mme Heard seraient ici si cela leur avait été possible, si Mme Heard n'était pas hospitalisée. J'espère avoir bien traduit leurs sentiments.
Depuis quelques années, les victimes et les groupes qui les représentent ont plus que jamais eu la possibilité de se faire entendre dans le processus et j'espère que cela continuera.
Je comprends vos inquiétudes concernant la démarche pour ce projet de loi, et je les partage.
M. Andrew Telegdi: Mes questions ont déjà été presque toutes posées, mais je m'inquiète d'entendre cette condamnation générale des tribunaux.
On a dit tout à l'heure qu'il était très important de maintenir le respect du public pour les tribunaux. Je veux bien que l'on s'arrête à des questions précises, qu'on les examine, et que, si nécessaire, l'on règle des problèmes; mais condamner de façon générale les tribunaux, c'est les affaiblir.
La société ne peut pas se permettre de juger l'efficacité des tribunaux en fonction des manchettes des journaux, bien qu'on le fasse souvent.
Beaucoup de recherches ont été faites, en particulier par M. Anthony Doob, du Centre de criminologie de l'Université de Toronto. Il a testé la perception qu'avait le public du système judiciaire en prenant deux groupes, dont l'un était informé d'une affaire par les journaux, tandis que l'autre avait la transcription du procès. Il a constaté que les gens avaient bien plus tendance à approuver la décision et la peine lorsqu'ils avaient pu lire la transcription du procès que lorsqu'ils n'avaient reçu l'information que par les médias.
Il est vrai que les tribunaux commettent des erreurs, et c'est notre responsabilité, en tant que parlementaires, de trouver des solutions. Mais je m'inquiète quand je vous entends parler d'éclatement du système et de groupes de justiciers. Quand nous disons que les tribunaux ont commis une erreur, nous essayons d'être assez spécifiques, afin de pouvoir traiter du problème qui se pose et d'éviter les condamnations globales.
• 1620
Ma question a déjà été posée, madame la présidente.
La présidente: Monsieur Lee, il reste deux minutes et demie pour le parti de la majorité.
M. Derek Lee: Merci.
Monsieur Sullivan, je vous ai écouté attentivement présenter votre point de vue. J'ai tendance parfois à entrer davantage dans les détails techniques ne le souhaiteraient les témoins, mais permettez-moi de vous dire ceci.
Un agent de police a reçu un mandat et s'apprête à entrer, avec renfort, dans une maison en rangée—celle du milieu. Il frappe à la porte, s'annonce, s'apprête à entrer—d'après la nouvelle loi, il est prêt à y aller—et il dit: «C'est nous, nous sommes venus vous arrêter.» La personne qui est à l'intérieur répond: «Vous ne pouvez pas entrer car il vient de s'enfuir par la porte arrière.»
Tel que je comprends ce projet de loi, le policier ne peut entrer à moins d'être absolument certain que le suspect est là, et donc si on lui dit que l'accusé s'est enfui par la porte arrière, il ne peut pas entrer ou traverser la maison en courant pour l'attraper. Il se retrouve donc sur la rue Oak, devant une rangée de maisons, parfaitement impuissant, à moins d'avoir à sa disposition un hélicoptère ou quelqu'un capable de sauter par-dessus une rangée de maisons. Ai-je bien compris?
M. Steve Sullivan: C'est ce que j'ai essayé de démontrer dans le mémoire, lorsque je parle des motifs raisonnables de pénétrer ou des motifs raisonnables de croire que la personne se trouve bien dans l'habitation. Si quelqu'un derrière la porte vous dit que cette personne n'y est pas, avez-vous tout de même un motif raisonnable? Je n'en sais rien. J'ai soulevé la question parce que je ne connais pas la réponse. Probablement que vous ne pouvez pas entrer.
M. Derek Lee: C'est peut-être stupide d'aller arrêter quelqu'un sans surveiller la porte arrière, mais ça c'est autre chose. Je voulais simplement le mentionner pour que les choses soient claires.
La présidente: Monsieur Lee, ce ne serait certainement pas la première fois qu'on essaierait de légiférer la stupidité. Merci.
Je crois que le Parti réformiste n'a pas d'autres questions. M. Marceau avait une petite question complémentaire et je vais la lui permettre.
M. Peter MacKay: Me restait-il du temps, madame la présidente?
La présidente: Je suis passée comme une flèche. Je pensais que vous n'aviez qu'une seule question.
[Français]
M. Richard Marceau: Je voudrais faire un commentaire à M. Sullivan, bien que je n'aie pas l'habitude de perdre du temps sur ce genre de choses.
M. Sullivan est venu nous parler aujourd'hui de l'importance du Parlement et de l'importance de l'apport des députés à des projets de loi comme celui-ci. Mais il nous dit ensuite qu'il y a 25 p. 100 de la population qui ne comprend pas, c'est-à-dire 25 p. 100 des victimes et 25 p. 100 des policiers, et que ce n'est pas important. Je trouve cela inacceptable et je tenais à le dire ici pour que ce soit noté.
[Traduction]
La présidente: Merci.
Avez-vous une autre question, monsieur MacKay?
M. Peter MacKay: C'est plutôt un commentaire concernant l'article 1 dans les contestations invoquant la Charte. On a parlé hier de ces situations où une décision de la Cour suprême touche tout un article du Code criminel, et, comme dans ce cas-ci, annule toutes les dispositions sur l'arrestation. On a parlé du préavis que la Cour suprême pourrait donner et du fait qu'elle pourrait permettre à la Couronne d'intervenir, au moins dans un cas comme celui-là.
En outre, pour ce qui est de jeter le discrédit sur l'administration de la justice, expression qui est utilisée dans la Charte et que vous reprenez dans vos commentaires... Une chose aussi fondamentale que de voir quelqu'un se sortir d'une accusation de meurtre... Je ne vois pas ce qui pourrait davantage jeter le discrédit sur l'administration de la justice.
J'aimerais avoir votre avis là-dessus.
M. Steve Sullivan: Je suis tout à fait de votre avis. Dans cette affaire, l'opinion dissidente était davantage fondée sur le bon sens. Dans son discours devant l'Association canadienne de justice pénale, Madame le juge L'Heureux-Dubé a exprimé les mêmes sentiments que vous.
M. le juge Sopinka dit:
-
Le prix que peut entraîner pour la société la perte d'une telle
condamnation est pleinement justifié dans une société libre et
démocratique régie par le droit.
Rien pour moi ne justifie que Michael Feeney ne paie pas pour le meurtre qu'il a commis.
• 1625
La question des abus de pouvoir par la police est importante.
Nous ne pouvons pas nous permettre de l'oublier, les tribunaux
doivent en être conscients et en tenir compte dans leurs décisions.
Mais si la police n'a pas parfaitement suivi la course d'obstacles que lui a préparée la Cour suprême, cela veut-il dire que la preuve doive automatiquement être exclue? Je ne le crois pas. Les preuves obtenues dans cette affaire sont solides. Elles n'ont rien à voir avec ce que la police a pu faire. Les exclure parce qu'on a perçu qu'il y avait abus de pouvoir... c'est vrai que rien ne jette davantage le discrédit sur l'administration de la justice.
La présidente: Merci, monsieur Sullivan.
Précisons-le, M. Feeney n'a pas été tout simplement libéré. Il doit être jugé à nouveau. Je crois que c'est important de le rappeler pour ceux qui n'auraient pas lu le dossier.
Très bien. Merci, monsieur Sullivan et à bientôt.
M. Peter MacKay: Mais il est libre actuellement.
La présidente: Il devra subir un autre procès. Il y aura un autre procès.
Je crois que nous pouvons passer directement au témoin suivant, l'Association canadienne des chefs de police représentée par M. Brian McConnell, directeur exécutif, le chef Brian Ford, qui est président du Comité des amendements législatifs et Vince Westwick, membre du comité et conseiller juridique.
Allez-y, monsieur McConnell.
[Français]
M. Brian McConnell (directeur exécutif, Association canadienne des chefs de police): Madame la présidente, membres du comité et spécialement monsieur Marceau, j'aimerais offrir, au nom de l'Association canadienne des chefs de police ainsi qu'en mon nom personnel, nos excuses pour n'avoir pas réussi à préparer un document en langue française.
Habituellement, nous soumettons tous nos documents dans les deux langues officielles, mais cette fois-ci, en raison d'un manque de temps—nous avons eu l'appel hier après-midi pour comparaître cet après-midi—, nous n'avons pas eu la possibilité de faire traduire le document. Je m'en excuse.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Ford.
M. Brian Ford (président, Comité de modifications aux lois, Association canadienne des chefs de police): Je m'associe à ce que vient de dire M. McConnell. Nous comprenons combien il est important que les documents soient présentés dans les deux langues, et nous sommes vraiment désolés de ne pas avoir pu faire traduire ce texte. Il est préférable pour nous, en tant qu'association, ainsi que pour la valeur des documents que nous présentons aux membres du Parlement et à ce comité que le document soit dans les deux langues, et nous nous excusons donc sincèrement. Mais vu le préavis, il a fallu agir très vite, et le temps nous a tout simplement manqué.
Si la présidente et les membres du comité le souhaitent, nous pouvons vous faire parvenir un texte dans les deux langues d'ici la fin de la semaine. Nous pourrions faire cela.
Je m'appelle Brian Ford et je suis chef des services de police de la région d'Ottawa-Carleton. Je suis ici aujourd'hui en tant que président du Comité de modifications aux lois de l'Association canadienne des chefs de police.
Je suis accompagné de Brian McConnell, que vous avez entendu, et qui est directeur exécutif de l'ACCP; de Vince Westwick, conseiller général auprès de la Police régionale d'Ottawa-Carleton et membre du Comité de modifications aux lois.
L'ACCP se consacre au soutien et à la promotion de l'efficacité et de l'efficience dans l'application de la loi, ainsi qu'à la protection et à la sécurité des Canadiens et Canadiennes. L'Association compte cinq catégories de membres—actifs, associés, entreprises, à vie et honoraires. Nous avons environ 786 membres. L'ACCP est le porte-parole des dirigeants des services de police du Canada tout entier, c'est-à-dire de ces personnes qui sont responsables du maintien de l'ordre dans les communautés.
• 1630
Nous sommes venus aujourd'hui vous parler du projet de loi
C-16, Loi modifiant le Code criminel et la Loi d'interprétation
(arrestation et entrée dans les habitations)—connue aussi sous le
nom de «Loi Feeney». Nous nous sommes divisé la tâche. Je
présenterai l'introduction et les commentaires d'ordre général
concernant le projet de loi et les conséquences de l'arrêt Feeney.
M. Westwick présentera des recommandations techniques très précises
et M. McConnell conclura avec les recommandations générales.
Tout d'abord, permettez-moi de dire quelques mots à propos de la Cour suprême du Canada. Contrairement à ce que l'on en dit parfois—et je crois qu'il m'est arrivé personnellement de faire quelques réflexions sur l'air qu'on y respire—nous savons bien qu'il appartient à la Cour d'interpréter et d'appliquer la Charte canadienne des droits et libertés. Bien que nous n'éprouvions aucun plaisir—et je le dis sincèrement—à nous trouver parfois en porte-à-faux avec la Cour, nous estimons qu'il est juste, dans une société libre et démocratique, d'exprimer nos inquiétudes face à des situations qui découlent des décisions d'un tribunal, que ce soit la Cour suprême ou toute autre. En tant que chefs de police, ce n'est pas seulement notre droit, mais aussi notre devoir d'attirer votre attention et celle d'autres organismes sur ces situations, le cas échéant.
La tâche de la police est difficile. Nous devons arriver sur les lieux du meurtre ou d'un autre crime et essayer de mettre un peu d'ordre dans le chaos qu'entraînent les crimes graves. Surtout, nous devons nous occuper des victimes, de leurs familles, de la collectivité, et essayer d'expliquer un système juridique et judiciaire qui leur paraît souvent insensible à leurs besoins. Ce qu'expriment la police et les victimes, ce n'est pas le manque de respect, mais la frustration, pure et simple. Ce n'est pas seulement la frustration des agents de police du pays tout entier. C'est aussi, dans une large mesure, la frustration des collectivités, petites et grandes, au sein desquelles nos membres travaillent.
Depuis la décision Feeney, j'ai assisté à des assemblées communautaires, et on m'a demandé ce que je pensais de cette décision et ce qui se passait dans les tribunaux. Mais il n'y a pas seulement l'arrêt Feeney. Il y en a d'autres qui frappent les gens, comme celle concernant la défense d'ivresse. Le Parlement doit alors précipitamment adopter des projets de loi pour remédier à la situation. Un tribunal du Québec a rendu récemment une décision dans laquelle le juge disait que ça ne constituait pas un acte de violence que de pendre quelqu'un à la fenêtre par les pieds. Il y a ainsi beaucoup de décisions qui suscitent dans la population et au sein de la police beaucoup de frustrations.
La Charte canadienne des droits et libertés est un instrument important que notre association appuie. Nous estimons que c'est un document dont peuvent être fiers les citoyens et les services de police. Même si nous ne sommes pas toujours d'accord avec les décisions qui aboutissent à la libération des coupables, nous comprenons et respectons les droits que les tribunaux protègent, le respect de la procédure, et les droits fondamentaux de la personne.
Toutefois, bien que l'arrêt Feeney ne relève pas nécessairement de la Charte des droits et libertés, et même si les choses ne se sont pas passées précisément comme elles auraient dû se passer du point de vue de la procédure, la question est de savoir si la décision jettera le discrédit sur l'administration de la justice et si elle offense la conscience publique. Il me semble que ce sont là des critères que les juges doivent garder à l'esprit dans leurs décisions. Est-ce que cela pourrait heurter la conscience publique? Non. Est-ce que cela peut jeter le discrédit sur l'administration de la justice? Non.
Je me fonde pour le dire sur le fait que la décision a été rendue par une étroite majorité des juges de la Cour suprême. Et si la décision était serrée, on ne peut pas dire que les juges étaient très proches dans leur interprétation de l'affaire. Au contraire. Ils étaient diamétralement opposés. Un juge en particulier a félicité la police pour la manière dont elle avait travaillé dans cette affaire. Au nom de l'autre camp, M. Sopinka l'a condamnée. La divergence d'opinion était donc considérable, et c'est le camp de M. Sopinka qui l'a emporté.
Je ne crois pas qu'on puisse dire que la justice est totalement aveugle, ni qu'elle devrait l'être. Même si c'est ainsi qu'elle est représentée sur la statue, il me semble qu'il faut tout de même démontrer aux Canadiens que nous avons le sens de la justice. Et pour cela, il faut se demander si cela heurte la conscience publique? Si cela risque de jeter le discrédit sur l'administration de la justice? Il me semble que ce sont là les meilleurs critères.
• 1635
Et cela nous amène, selon moi—et cela a déjà été dit, hier,
sauf erreur par l'Association canadienne des policiers—à la
question de la compétence du système de justice pénale. En tant que
législateurs, vous devez vous y intéresser. Vous devez vous
demander comment cela peut avancer la cause de la justice que
policiers et citoyens perdent confiance dans leurs tribunaux. Et
c'est le cas.
C'est notre point de vue. Nous sommes venus vous exprimer cette frustration et nous vous demandons de ne pas balayer du revers de la main nos préoccupations. Nous ne sommes pas venus en oiseaux de malheur. Mais nous disons simplement que la population a de moins en moins confiance en la justice et nous vous demandons d'y réfléchir attentivement. Vous pouvez y faire quelque chose, et nous vous invitons à y réfléchir.
Lorsque les tribunaux rendent des décisions comme l'arrêt Feeney, ils s'empressent de dire qu'ils ne font qu'interpréter la loi et appliquer la Charte. Seul le Parlement peut modifier les lois, nous disent-ils; mais quand le ministère de la Justice nous consulte à propos de nouvelles lois, comme le projet C-16, on nous rappelle que la loi doit être conforme à la Charte.
Je me permets de porter à votre attention le premier paragraphe et le préambule du projet de loi C-16:
-
Attendu que le Parlement reconnaît que les mesures prévues par la
présente loi doivent être compatibles avec les droits et libertés
garantis par la Charte canadienne des droits et libertés...
On ne s'en sort pas. Les tribunaux disent qu'ils ne peuvent pas aller à l'encontre de la Charte et le Parlement dit qu'il doit adopter des lois compatibles avec celle-ci. C'est ce qu'on nous répète régulièrement depuis quelques années. Nous sommes venus devant votre comité à maintes reprises, pour les projets de loi C-17, C-46, C-55 et, surtout, C-95.
Nous comprenons l'importance des principes que défend la Charte. Nous comprenons qu'un gouvernement hésitera toujours à invoquer la clause dérogatoire, et que c'est normal. Mais il faudra bien en venir à régler ces questions de manière pratique et concrète sans quoi il sera impossible d'arrêter l'érosion de la confiance publique dans le système juridique.
Sur un plan pratique, les nouvelles procédures judiciaires que prévoit d'ajouter ce projet de loi ont des conséquences très concrètes, parmi lesquelles une nette augmentation du temps, de la documentation et des ressources que devront employer des services de police déjà surchargés. Les tribunaux nous disent que ce sont de simples considérations administratives et d'adresser nos préoccupations concernant les ressources et les aspects pratiques au Parlement.
Mais ce ne sont pas de simples questions administratives. En ma qualité d'administrateur des services de police, je dois veiller à un équilibre entre, d'une part, la capacité de faire appliquer la loi avec mes ressources et, d'autre part, la capacité de réagir aux situations urgentes. Je dois offrir un service communautaire en collaboration avec les autres éléments de la collectivité, qu'il s'agisse des commerçants ou des groupes d'intérêt spéciaux.
La partie application de la loi, celle qui aboutit devant les tribunaux, n'est qu'un volet mineur de notre activité. Mais elle prend de plus en plus de notre temps, à cause des procédures et des contraintes puisqu'on nous impose maintenant d'obtenir d'un juge un mandat d'arrestation d'abord puis un autre qui nous permette d'exécuter le premier. Voilà le ridicule de cette situation.
Et ce n'est pas tout. Si nous allons arrêter quelqu'un—il faut avoir un agent à la porte principale et un autre à la porte arrière—il nous faut maintenant leur demander d'attendre qu'on obtienne un télémandat. Nous allons vous présenter des recommandations là-dessus. Comment allons-nous trouver quelqu'un à deux ou trois heures du matin? C'est difficile de trouver un juge de paix à deux ou trois heures du matin.
Dans notre communauté, 66 p. 100 des jeunes qui ont un contact négatif avec nous, qui se frottent à la loi, ne sont pas inculpés parce que nous avons d'excellents programmes communautaires. Nous avons de très bons programmes communautaires de déjudiciarisation pour contrevenants adultes. Mais ils demandent du temps et des ressources.
La communauté me presse maintenant d'ouvrir des centres de police communautaire dans différents endroits de la région dont je suis responsable. J'aimerais pouvoir le faire, car je comprends leur avantage. Je comprends l'intérêt qu'il y a à voir un centre pour la jeunesse, et son efficacité contre la criminalité dans un quartier.
Si on impose ce type de fardeau administratif aux agents, mes ressources en seront diminuées. Ils devront obtenir un mandat pour ceci, un mandat pour cela, avec toute la paperasserie que cela comporte et le temps que cela prend. Les gens doivent attendre trois à quatre heures pendant que les agents obtiennent un mandat pour exécuter un mandat.
Où couper? Je ne peux pas couper sur mon temps de réaction. À deux et trois heures du matin, autant qu'à cinq ou six heures de l'après-midi, les gens exigent notre présence dans des situations urgentes. Ils veulent que mes agents y soient et ils doivent y être.
• 1640
Et ils font un excellent travail. Ils le font jour après jour.
Ils appuient le système de justice pénale. Mais il leur est parfois
difficile de le faire lorsqu'ils voient des décisions comme
celle-ci et qu'on leur impose encore une autre formalité pour
s'assurer que ceci ne se passe pas et que cela ne se produise pas.
Il faut trouver un équilibre.
Je dois trouver un équilibre entre l'aspect réaction et maintien de l'ordre, d'une part, et la prestation des services communautaires, qui nous permette de collaborer avec la population et de travailler avec la communauté. Dans notre seule localité, nous avons 1 200 bénévoles qui travaillent avec nous. Il me faut jongler cela avec la capacité d'acquitter cette autre petite portion de notre responsabilité... Et en même temps, j'essaie d'alléger le fardeau des tribunaux. J'essaie d'économiser de ce côté-là. Le travail que nous faisons auprès de la communauté se traduit à long terme par des économies.
Et c'est vrai que quand nous venons vous parler de nos préoccupations, nous le faisons avec passion, parce que nous croyons passionnément à notre travail dans la communauté. Parfois, des gens assis quelque part dans un tribunal, n'y voient qu'un problème administratif. Ce n'est pas seulement un aspect administratif; c'est un fardeau. Ce n'est pas un fardeau au niveau fédéral ou provincial, mais au niveau municipal. C'est nous qui le portons. Quand nous vous parlons au nom de l'Association canadienne des chefs de police, nous parlons au nom de ceux qui portent le fardeau. Tout cela retombe sur les épaules des agents qui travaillent au niveau local.
Cela dit, je vous présente notre première recommandation. Je sais qu'elle ne sera pas acceptée et je sais que vous n'en ferez rien cette fois-ci, mais il vous faudra peut-être y revenir un jour si vous voulez restaurer la confiance. Nous recommandons que le Code criminel du Canada soit remanié de manière à y inclure une clause dérogatoire en vue de l'adoption de dispositions qui permettent de régler ces graves problèmes de sécurité publique et que, lorsque ces problèmes se présentent, le Parlement puisse déterminer si la situation est suffisamment grave pour justifier l'inclusion d'une nouvelle disposition.
Selon nous, nous avons une situation de ce type dans le cas Feeney, et nous estimons que l'entrée dans une habitation dans des circonstances comme celle du cas Feeney est raisonnable et logique et ne détruit pas l'équilibre entre droits individuels et protection de la société.
Pensez-y. Nous vous le demandons respectueusement.
En ce qui concerne le projet de loi C-16, comme je l'ai dit au départ, c'est sans doute ce que nous pouvons espérer de mieux. Nous avons cependant des recommandations précises que M. Westwick va vous présenter.
M. Vincent Westwick (avocat général, Association canadienne des chefs de police): Merci.
Madame la présidente, je vais vous présenter rapidement nos recommandations spécifiques car les commentaires et les explications techniques se trouvent dans le mémoire.
Je vous demanderais, pendant que vous écoutez mes commentaires, ou lorsque vous les lirez, de vous mettre à la place d'un agent de police qui est appelé à régler ces actes en fonction de ce projet de loi, car c'est essentiellement une loi qui régira les actes des policiers. C'est de cela qu'il s'agit. Essayez de voir l'aspect pratique, du point de vue de l'agent, peut-être au milieu de la nuit, peut-être en milieu rural, peut-être dans une situation comme celle de Feeney.
Tout d'abord, il y a ici une coquille dont j'accepte la pleine responsabilité, mais je peux vous assurer que nous avons dactylographié ceci dans la voiture, en venant, et donc nous étions un peu pressés. J'ai été quelque peu rassuré, toutefois, lorsque j'ai vu que vous aviez mal épelé mon nom. Nous sommes donc quittes. Au bas de la page 5, il faut lire 529.2, pour l'article qui dit qu'il faut avoir des motifs raisonnables d'obtenir une autorisation et qu'il faut les mettre par écrit et prêter serment. Nous n'y voyons aucune objection. Mais pour avoir des motifs raisonnables, pour prêter serment, il faut qu'il y ait certains éléments d'enquête, un certain travail de la part des agents. Les juges l'exigeront, comme ils l'ont fait par le passé pour délivrer des mandats dans d'autres domaines, et nous nous attendons à ce qu'ils continuent de le faire.
C'est la deuxième partie qui nous préoccupe, et je veux parler de l'insistance sur les motifs raisonnables et probables. Cela veut dire que l'agent, après avoir prêté serment par écrit qu'il a des motifs raisonnables, doit s'assurer que ces motifs restent valables juste avant d'exécuter le mandat, juste avant d'entrer dans l'habitation.
A priori, cela peut sembler raisonnable, mais je vous demande encore une fois de vous mettre à la place de cet agent de police qui se trouve devant la porte au milieu de la nuit. Pensez-vous qu'il doit entreprendre une nouvelle enquête, ou que doit-il faire pour réétablir les motifs raisonnables et probables qu'il avait lorsqu'il est allé devant le juge de paix? Nous ne voyons là rien qui serve l'intérêt public, mais plutôt un autre sujet de contre-interrogatoire plus tard. Nous proposons donc que cette partie soit entièrement éliminée, ou au moins modifiée pour parler de soupçon raisonnable.
• 1645
La deuxième recommandation porte sur l'alinéa 529.3(2), en
haut de la page 7, intitulé «Exigent circumstances» (situation
d'urgence). Je dois dire que si je soulève la question c'est en
partie parce que j'ai du mal à prononcer le mot «exigent». Ce n'est
pas que je mette en cause les capacités linguistiques de nos
agents, qui s'en tireront certainement beaucoup mieux que moi, mais
je me demande si nous sommes en train de créer un nouveau terme que
les tribunaux vont ensuite interpréter, car chaque fois que le
Parlement introduit un nouveau mot dans une loi, cela a pour effet
de créer une nouvelle norme. En voulant essayer de faciliter la
tâche aux agents et aux tribunaux, je crains que nous ne soyons en
train de créer un problème. Nous vous suggérons de remplacer
l'expression «exigent circumstances» tout d'abord pour que je
puisse la prononcer, et enfin pour faciliter la tâche aux
tribunaux, par l'expression «urgent circumstances».
Je ne suis pas linguiste, mais je ne serais pas étonné que «urgent» est un sens plus étroit que «exigent». Mais si l'on considère le projet de loi dans son ensemble et tout son contexte, à notre avis cela ne fera pas une grande différence.
Nous proposons une autre modification concernant les sous-alinéas 529.3(2)a) et 529.3(2)b). Pardonnez-moi d'entrer dans les détails techniques, mais si vous regardez rapidement le projet de loi, vous constaterez que l'on dit au sous-alinéa a) qu'il faut avoir des motifs raisonnables de soupçonner, et en b) des motifs raisonnables de croire. En droit, la différence est considérable. Exigerons-nous de l'agent de police qui se trouve devant la porte à deux heures du matin en pleine campagne qu'il fasse bien la distinction entre motifs raisonnables de soupçonner et motifs raisonnables de croire? C'est pourtant ce que leur impose ce projet de loi, et cela nous paraît déraisonnable. Encore une fois, cela ne fera que permettre un nouveau sujet de contre-interrogatoire sans que cela n'apporte rien de positif au projet de loi ou au procès.
Pénultième point: l'utilisation du terme «imminent». Vous voyez qu'il faudrait que je le répète onze fois. Dans la version anglaise, il apparaît onze fois dans deux articles, et nous trouvons cela bizarre, puisque le projet de loi tout entier porte sur des situations d'urgence, et que dans deux paragraphes le terme est précédé de l'adverbe «immédiatement». Il me paraît quelque peu excessif d'exiger des agents qu'avant d'entrer ils considèrent s'il y a risque de lésions corporelles imminentes. Qu'est-ce que cela veut dire? Qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire si vous êtes devant la porte à deux heures du matin en pleine campagne comme dans le cas Feeney? Qu'est-ce que cela veut dire exactement? Qu'est-ce que cela apporte?
D'après moi, pour le type de mandat dont il est question dans le projet de loi C-16, le temps est un luxe que les agents n'auront jamais. Il s'agit là de situations graves et soudaines, et nous estimons qu'en incluant ce mot, on ne fait que surcharger et contraindre l'agent.
Il y a ensuite deux mentions de la différence entre soupçonner et croire qui revient dans les articles suivants et je ne me répéterai donc pas. Enfin, je voudrais vous parler des alinéas 529.4(2) et 529.4(3). Il s'agit ici de l'exception à l'obligation de prévenir—chaque fois qu'un agent exécute un mandat, il ou elle doit prévenir qu'il va entrer. Il doit dire «police» et faire suivre d'une récitation. Ce paragraphe prévoit une exception, et il se lit comme suit. Je vous demanderais d'écouter attentivement, car c'est ce qu'on demande à un agent de faire, à deux heures du matin:
-
(2) L'autorisation est délivrée sous réserve de la condition
suivante: l'agent de la paix ne peut pénétrer dans la maison
d'habitation sans prévenir que si, au moment où il entre, il a des
motifs raisonnables, selon le cas
-
a) de soupçonner que le fait de prévenir l'exposerait ou exposerait
une autre personne à des lésions corporelles imminentes ou à la
mort;
-
b) de croire que le fait de prévenir entraînerait la perte ou la
destruction imminente d'éléments de preuve relatifs à la
perpétration d'un acte criminel.
• 1650
Cela nous paraît excessif d'exiger d'un agent de police qu'il
tienne compte de toutes ces choses alors qu'il a déjà obtenu une
approbation, qu'il a l'autorisation préalable de ne pas s'annoncer.
C'est une lourde contrainte pour l'agent, et elle ne sert aucun
intérêt public que je puisse voir.
Et sur ce, je vais demander à M. McConnell de conclure.
M. Brian McConnell: Je voudrais parler du nouveau paragraphe 529(5), qui concerne les ressources. On y envisage le recours à des télémandats. Nous n'avons aucune objection, et nous approuvons même l'idée, comme nous l'avons fait pour l'application plus générale des télémandats.
Cependant, nous devons vous signaler que l'utilisation des ressources varie d'une province à l'autre. En ces temps d'austérité dans les provinces, et à tous les niveaux, nous craignons que les juges et les juges de paix ne soient pas disponibles, ce qui rendrait la loi inapplicable. Rien ne contribuera davantage à accroître la frustration qu'un problème de ce genre. Nous savons que la question sera mise à l'ordre du jour de la prochaine réunion des ministres responsables de la justice. Cela ne veut pas nécessairement dire que les provinces mettront à disposition les ressources nécessaires pour permettre l'application de ce projet de loi.
Nous présentons donc la recommandation suivante: que l'on obtienne des provinces l'assurance qu'elles mettront à disposition des ressources adéquates, et si cela n'est pas possible, que le gouvernement fédéral s'engage à fournir les fonds nécessaires et, en outre, que l'ACCP soit consultée en ce qui concerne ces ressources.
Il y a également la question du matériel de formation. Depuis quelques années, le droit pénal est de plus en plus complexe. Je citerai en exemple le projet de loi C-17, loi pénale omnibus; le projet de loi C-55, sur les contrevenants dangereux et le C-95, sur les organisations criminelles. Si le projet de loi C-16 est relativement court, il n'en contient pas moins des concepts juridiques complexes, sans parler de l'applicabilité et des répercussions dans la common law, que mentionne le préambule. Ces nouvelles lois sont adoptées par le Parlement puis envoyées aux services de police avec un communiqué et un document d'information. Cela veut donc dire que chaque service doit utiliser ses maigres ressources pour le lire, l'interpréter, le comprendre et instruire ses agents quant à l'application de la nouvelle loi et à ce qu'elle change dans leur travail quotidien.
La tâche est énorme pour tous les services de police, mais elle devient impossible pour les petits contingents ou les corps ruraux, qui n'ont peut-être pas accès à des ressources comme notre ami M. Westwick.
Nous demandons donc au gouvernement, par le biais du ministère de la Justice du Solliciteur général, de préparer le matériel de formation pour les services de police. Cela permettra non seulement de s'assurer que la loi sera bien comprise, mais fera en sorte que le public soit mieux informé du système juridique et l'accepte mieux. Nous recommandons donc que soit préparé du matériel de formation touchant le projet de loi C-16 et d'autres récemment adoptés à l'intention de la police et des agents de la paix.
Je précise que l'ACCP serait ravie de collaborer à cette initiative avec le gouvernement.
M. Brian Ford: Voilà qui met fin à notre présentation, madame la présidente. Nous vous remercions d'avoir pris le temps de nous entendre. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.
La présidente: Je vais commencer par des tours de cinq minutes. Si vous utilisez tout votre temps pour poser la question—et je m'adresse à tous mes collègues—il faut quand même qu'on vous réponde et donc vous vous montrez injuste envers les autres. Comme nous n'avons pas jusqu'ici adopté de motion là-dessus, certains d'entre vous devront peut-être faire appel aux autres si vous voulez une motion. Je vous rappelle qu'en dépassant votre temps vous vous montrez injustes envers vos collègues. J'essaie tout simplement de me montrer aussi juste que possible envers tout le monde dans les circonstances.
• 1655
Cinq minutes, monsieur Ramsay.
M. Jack Ramsay: Merci, madame la présidente. J'essaierai de m'y tenir.
Encore une fois, c'est le processus qui est mis en cause. J'ai cinq minutes pour poser une question sur un projet de loi qui a une importance énorme pour l'application de la loi. Mais revenons à ce que je voulais vous dire dans le temps qui m'est accordé.
Il me semble que la décision de la Cour suprême du Canada découle directement des préoccupations concernant l'abus des pouvoirs policiers. Par conséquent, on limite ces pouvoirs, ceux des agents de la paix, par des contraintes juridiques.
Nous nous souvenons tous de l'époque où les agents de la GRC, les seniors tout au moins, avaient des mandats d'assistance.
La présidente: Des brefs. Très utiles.
M. Jack Ramsay: Des brefs d'assistance. Ils ont été éliminés parce qu'on craignait les abus. Mais il me semble maintenant que le pendule est allé tout à fait à l'extrême opposé. La capacité des agents de la paix à faire leur travail s'en trouve réduite et la société est en danger. Nous serons moins en sécurité parce que la police est entravée par toutes ces choses que vous nous avez mentionnées.
Dites-moi. Si on ne fait rien pour régler la difficulté à obtenir les mandats avec ce projet de loi, quel sera le résultat?
M. Brian Ford: Le résultat de l'incapacité à obtenir un mandat sera que si nous soupçonnons qu'une personne se trouve dans une habitation donnée, il nous faudra y mettre beaucoup de ressources. Bien entendu, lorsque nous allons arrêter quelqu'un, nous nous devons de nous assurer que l'arrestation pourra se faire. C'est un aspect très important. Vince et Brian ont parlé de la difficulté d'obtenir un mandat à une heure ou à trois heures du matin ou à neuf heures le soir. C'est très difficile d'obtenir un mandat d'un juge de paix en dehors des heures normales d'ouverture.
M. Jack Ramsay: Qu'est-ce que cela signifie alors?
M. Brian Ford: Cela signifie que nous devrons utiliser des ressources pour nous assurer que toutes les sorties sont gardées, fenêtres et portes... que l'endroit est encerclé. Il faudra au moins quatre agents. Dans certaines petites localités, c'est l'ensemble du corps de police...
Quatre agents sur 1 000, ça paraît peu, mais nous faisons ce genre de choses plusieurs fois dans une soirée. Nous ne le faisons pas qu'une fois par jour, mais plusieurs fois. À Toronto, cela se produit des centaines de fois en une soirée. Dans les grandes villes, les gens disent: Vous avez les moyens, vous avez 5 000 ou 1 000 agents. C'est vrai, mais c'est en rapport avec le nombre d'appels qu'on reçoit ou le nombre d'incidents sur lesquels il faut enquêter.
Cela représenterait un fardeau majeur pour les ressources policières. À mon avis, même les très grands corps de police auront du mal à répondre comme il faut aux appels urgents. Les chefs de police auront moins de marge de manoeuvre dans le déploiement de leurs ressources au sein de la communauté. Ils pourront moins facilement répondre aux appels urgents et cela pose aussi un problème du point de vue de la sécurité de l'agent et de la communauté.
M. Jack Ramsay: Même si le projet de loi réinstitue certains pouvoirs, certains pouvoirs de la common law qui existaient avant l'arrêt Feeney, sans les ressources nécessaires, surtout dans les régions éloignées ou rurales, comme celle où s'est passée l'affaire Feeney, ça ne va pas renforcer la sécurité. Ce projet de loi à lui seul ne le fera pas, si on n'y met pas les ressources pour assurer le service 24 heures par jour.
L'hypothèse est-elle juste?
M. Brian Ford: C'est exact. L'hypothèse est très juste.
M. Jack Ramsay: J'ai terminé. Mon temps est écoulé. Enfin, je n'ai pas terminé, mais mon temps est écoulé.
La présidente: Monsieur Ramsay, en quatre minutes quarante et une secondes vous avez posé trois questions. Je suis fière de vous. Vous faites des progrès.
M. Jack Ramsay: N'allons pas trop loin.
La présidente: Monsieur Marceau, voyons si vous pouvez faire mieux.
[Français]
M. Richard Marceau: Tout d'abord, j'apprécie les excuses qui ont été présentées. Je comprends vos problèmes de temps et je lirai avec attention la version française du mémoire que vous présenterez d'ici la fin de la semaine.
Cela étant dit, j'ai quelques questions. Je vais encore une fois les poser l'une après l'autre et ensuite j'attendrai les réponses.
La première question porte sur votre recommandation numéro 4, lorsque vous demandez de remplacer le mot «croire» par le mot «soupçonner». Il me semble que la question qui sous-tend tout le projet de loi, de la façon dont je le comprends, en est une d'équilibre. Encore une fois, comme je le disais tout à l'heure, c'est une question d'équilibre entre les droits et libertés des individus et les pouvoirs de l'État ou de la police de procéder à des arrestations ou encore d'entrer dans des habitations.
Est-ce qu'il n'y a pas danger, en passant de «croire» à «soupçonner», de rompre un peu l'équilibre que recherche ce projet de loi-là entre droits individuels et pouvoirs policiers? C'est ma première question.
Deuxièmement, on parlait du mot «imminent» tout à l'heure, monsieur Westwick. On disait qu'on le voyait trop souvent, et à la recommandation numéro 5, vous vouliez l'enlever du paragraphe 529.3(2) proposé. À mon avis, ce sont encore des exemples de situations d'urgence où on pourrait entrer sans mandat. Est-ce qu'en enlevant le mot «imminent», on n'élargit pas un peu les situations d'urgence en permettant des entrées sans mandat, brisant ainsi l'équilibre qu'on cherche à atteindre?
Ma troisième question est plus simple. À la page 10, vous parlez de coupures dans les ressources. Est-ce qu'à l'heure actuelle, dans la plupart des provinces et en particulier au Québec, les fonds seraient suffisants pour couvrir les cas de télémandats?
Voici enfin ma dernière question. Vous faites plusieurs recommandations, mais je ne vois nulle part votre avis général sur le projet de loi. Est-ce que, généralement, vous êtes d'accord sur le projet de loi C-16?
[Traduction]
M. Vince Westwick: Monsieur Marceau, si vous permettez, j'aimerais répondre à quelques-unes de vos questions.
Pour ce qui est de réduire la norme, je ne pense pas que nous recherchions un abaissement général des normes. Vous avez raison. Je ne crois pas que le Parlement souhaite adopter des lois qui donnent à la police des lignes directrices trop vagues, et nous ne l'approuverions pas. Mais ce que vous faites, c'est de prendre l'utilisation... Si je peux vous demander de regarder l'article 529.3 proposé, par exemple, au paragraphe 529.3(2), l'expression «motifs raisonnables de soupçonner» apparaît en a), tandis qu'en b), on parle de «motifs raisonnables de croire». Je comprends pourquoi: en a) on parle de lésions corporelles, et en b) d'éléments de la preuve. Je vois bien la différence et je la comprends.
Mais je me demande s'il y a véritablement une différence pratique aux yeux de l'agent devant la porte. Que demandons-nous par là à un agent, du point de vue de sa responsabilité morale par rapport à la loi, lorsque nous lui demandons de distinguer entre motifs raisonnables de soupçonner et motifs raisonnables de croire?
Ce n'est pas une question de réduction des normes, monsieur Marceau. On pourrait, je suppose, proposer de mettre dans les deux cas «motifs raisonnables de croire». Ce n'est pas ce que je suggérerais, mais c'est à vous d'en décider. La question, cependant, est de savoir pourquoi il faut deux normes différentes et deux paragraphes? Je n'en vois pas la raison. Je ne pense pas que cela affaiblirait de quelque manière que ce soit le projet de loi.
• 1705
Votre deuxième question traite de la recommandation 5, sur le
mot «imminent». Là encore, je pense aux policiers. Qu'est-ce que
cela veut dire?
Supposons que le suspect, la personne qui fait l'objet du mandat, est dans le salon, dans le cas d'une dispute familiale, par exemple. Car souvent ces cas découlent de situations familiales. Supposons que les enfants ou l'épouse, par exemple, ou d'autres membres de la famille soient en haut dans une chambre à coucher. Le type est ivre et il a une arme à feu. Y a-t-il danger imminent pour les membres de la famille?
Supposons qu'ils soient en bas en train de regarder la télévision, dans la même pièce, dans le garage, ou qu'ils vont rentrer bientôt. Que signifie «imminent» quand vous êtes à deux heures du matin devant une maison où vous savez qu'un crime grave a déjà été commis et que vous avez une autorisation, un mandat, et que le critère de la «situation d'urgence» a déjà été appliqué? Qu'est-ce que cela apporte de plus?
Ce que je crains, ce n'est pas comme je l'ai dit en plaisantant à moitié qu'un agent de police puisse être contre-interrogé; ils ont l'habitude, cela fait partie de leur travail quotidien. Ce que je crains, c'est qu'un agent hésite dans son analyse du terme «danger imminent» et se dise que ces enfants après tout sont en haut, pas dans la même pièce que le suspect et que, par conséquent, il n'est pas vraiment nécessaire de pénétrer dans l'habitation. Et puis, survient une tragédie.
Je ne crois pas que ces mots ajoutent grand-chose au projet de loi, puisqu'il traite déjà de situations urgentes et graves. Je ne vois pas ce que cela apporte de plus.
En ce qui concerne l'état des ressources dans la province du Québec, votre troisième question, je laisserai la parole à M. McConnell. Personnellement, je ne sais pas quel est l'état des ressources dans cette province. Je sais simplement par mes conversations avec des gens dans le pays tout entier que la question de l'accès aux télémandats suscite des inquiétudes. Mais je ne peux pas vous donner des détails pour le Québec.
[Français]
M. Brian McConnell: Il y a quelques années, j'ai passé quatre ans au Québec. J'étais responsable des opérations criminelles et d'un corps policier national canadien pour la province de Québec. Je peux vous dire que bien des fois, nous avons eu de la misère à contacter un juge pour obtenir un mandat.
[Traduction]
Dans bien des provinces cela pose un problème. J'ai reçu récemment une lettre du service de police de London qui expliquait d'innombrables difficultés à contacter un juge de paix pour obtenir un mandat en dehors des heures normales d'ouverture. London n'est pas comme certaines de nos villes. C'est un problème.
[Français]
Je ne me permettrai pas de commenter la capacité de la province du Québec de prendre ses responsabilités.
[Traduction]
C'est un problème dans de nombreuses régions à cause des ressources actuelles. C'est une responsabilité de plus que l'on impose. Quand une personne se trouve dans un coin reculé de la circonscription de M. Ramsay, par exemple, il peut être difficile d'établir le contact. Et quand il est possible d'obtenir ce contact, encore faut-il qu'il y ait à l'autre bout du fil quelqu'un qui soit autorisé à délivrer l'autorisation ou le mandat. À mon avis, ces conditions ne sont pas réunies partout dans le pays. Cela va poser un problème.
M. Brian Ford: Que nous appuyions ou non le projet de loi... nous appuyons le projet de loi, mais avec les commentaires que nous avons faits. Nous comprenons la nécessité d'un projet de loi. Ce serait la meilleure façon de le dire. Mais il y a bien entendu un certain nombre de problèmes que nous voulions mentionner au comité et qui nous paraissent suffisamment graves pour vous demander de vous pencher là-dessus lorsque vous aurez terminé avec le projet de loi. Oui, nous appuyons le projet de loi, mais des changements nous paraissent nécessaires.
Je sais bien que je dis deux choses différentes à la fois, mais il reste que...
La présidente: Oui, mais ce n'est pas une première pour un chef de police, n'est-ce pas?
Des voix: Oh, oh.
La présidente: Monsieur MacKay.
M. Peter MacKay: Je ne m'en mêle pas.
• 1710
Je me trouve dans une situation semblable, monsieur. Je crois
que tous les partis d'opposition vont, de manière générale, appuyer
le projet de loi. Mais nous souhaiterions avoir plus de temps. Je
partage l'avis de M. Ramsay sur ce point. J'aurais beaucoup aimé
recevoir votre association pendant plusieurs heures, parce que j'ai
au moins une douzaine de questions que je souhaiterais vous poser.
Cela dit, j'aimerais faire un petit commentaire sur certaines de vos remarques. Je comprends tout à fait ce que vous nous avez dit quant aux retards et aux problèmes de ressources qui pourraient rendre ce projet de loi très difficile à manier devant les tribunaux. J'ai vu des cas où l'on discute pendant des jours de la validité d'un mandat. J'accepte aussi vos commentaires concernant la terminologie. Je constate une tendance à nous prendre au piège, avec des mots tels que «exigent», et nous sommes obligés de réagir.
De plus en plus, la tâche est lourde et complexe pour les simples policiers. Ce n'est pas seulement à cause de la jurisprudence, mais aussi de la terminologie. Qu'entend-on exactement par «exigent circumstances»? Il nous faut constamment expliquer ces définitions à cause de décisions comme l'arrêt Feeney.
Je suis heureux de voir qu'il va enfin y avoir un certain équilibre dans la discussion. Je crois que nous devons entendre la Criminal Lawyers' Association. Ayant moi-même participé aux joutes linguistiques des tribunaux, je comprends parfaitement vos commentaires concernant la terminologie.
J'ai quelques questions à vous poser. La première porte sur le formulaire 7.1 qui va de pair avec l'article 529.1, sur l'identité de la personne:
-
Aux agents de la paix de (circonscription territoriale):
-
Le présent mandat est délivré en rapport avec l'arrestation de A.
On nomme la personne. Est-ce que cela vous inquiète, pour les cas où le suspect vous serait inconnu; faudrait-il prévoir la possibilité de remplacer cela par une description physique?
En outre, j'aimerais avoir votre avis sur la rétroactivité de la loi. Lorsque le projet de loi sera adopté à la Chambre, serait-il bon qu'il soit précisé que la loi prend effet à la date de la décision rendue par la cour d'appel, ou à la date de l'arrestation, je devrais dire le 22 mai 1997.
M. Vince Westwick: J'aimerais répondre. J'avoue avec une certaine honte que je n'ai même pas regardé le formulaire. Je n'ai tout simplement pas eu le temps.
Mais vous avez raison. Je me répète, mais c'est pour bien souligner l'importance de la chose. Nous ne traitons pas ici de situation criminelle ordinaire, mais de situation où les choses se passent vite et vous ne pouvez pas avoir toutes les informations au départ. Alors il serait utile effectivement de pouvoir avoir une description au lieu d'un nom. Je vous remercie de nous l'avoir signalé. Je m'en attribuerais volontiers le mérite.
Deuxièmement, pour ce qui est de la rétroactivité, je ne veux pas trop approfondir la discussion. Puisque, bien évidemment, seuls les mandats auxquels s'applique le projet de loi seront exécutés après son adoption, je ne pense pas que la rétroactivité soit un problème, mais je n'y ai pas vraiment réfléchi.
Tout simplement, si en tant que législateurs vous estimez qu'il y a là un problème, je pencherais certainement en faveur de la rétroactivité. Mais je ne crois pas que cela s'applique ici. Si vous pensez que c'est le cas, alors n'hésitez pas, et nous vous seront reconnaissants.
M. Peter MacKay: Il n'y a pas seulement la question de l'identité. J'aimerais aussi avoir votre avis, vu votre expérience des arrestations dans plusieurs habitations, si vous souhaitez avoir la possibilité de donner plusieurs adresses où le suspect pourrait se trouver.
M. Vince Westwick: La réponse serait encore une fois la même.
M. Brian McConnell: Certainement.
M. Vince Westwick: Si vous avez un suspect qui habite sur la rue Oak—puisque quelqu'un a mentionné cette rue-là ce matin—et dont la mère habite sur Cambie, le frère dans une autre rue, et que vous savez qu'il pourrait être chez eux, c'est essentiel.
M. Peter MacKay: Merci.
M. Vince Westwick: Merci encore.
La présidente: Merci, monsieur MacKay. Monsieur Lee.
M. Derek Lee: Je me sens presque submergé par tous ces détails techniques, à tel point que je me demande si l'on peut vraiment imposer cela à la police.
Toujours dans ce sens-là, nous venons de parler de la possibilité de modifier le formulaire 7.1 en ce qui concerne l'identité; autrement dit, homme blanc, portant lunettes et complet bleu, au lieu de donner un nom. Nous en avons parlé hier, mais ça n'a pas encore été réglé.
Pour ce qui est des adresses multiples—ma question s'adresse à n'importe lequel d'entre vous—comme l'article 529 impose que l'agent croie que la personne se trouve dans l'habitation, comment pourriez-vous nommer trois adresses différentes? Si vous donnez trois adresses différentes, vous ne pouvez plus croire que la personne se trouve dans l'habitation où vous allez pénétrer.
M. Brian Ford: Il n'est pas rare dans le cours d'une enquête, quand on a un mandat d'arrestation pour une personne, sans tenir compte des assignations à comparaître—que l'on se rende à l'endroit le plus probable... ou que l'on reçoive des informations disant que la personne se trouve à tel endroit, et qu'arrivé là on constate qu'elle est maintenant allée ailleurs, et quand vous arrivez à cette autre adresse, vous constatez qu'elle est encore partie pour une autre adresse. Cela pourrait être la maison familiale, ou la maison de quelqu'un d'autre, d'un ami qu'elle fréquente. Nous avons raison de croire, puisque nous avons reçu des informations, que le suspect se trouve à cette adresse-là; mais au moment où nous y arrivons, nous constatons qu'il est reparti. Cela arrive souvent dans une enquête criminelle.
M. Derek Lee: Oui, mais monsieur Ford, vous ne pourrez plus le faire avec cette nouvelle loi...
M. Brian Ford: Je le sais bien. Il faudra à chaque fois obtenir un nouveau mandat.
M. Derek Lee: ... parce qu'avec cette nouvelle loi, vous devez avoir des motifs de croire qu'il est dans la maison. Vous ne pouvez donc plus agir de cette manière. Donc vous avez un problème. Vous devez avoir des raisons de croire qu'il est dans telle maison, et non pas dans l'une parmi d'autres.
M. Brian Ford: Je le sais bien, et c'est pourquoi je parlais tout à l'heure du fardeau administratif, parce qu'il faut à chaque fois obtenir un nouveau mandat.
M. Derek Lee: Oui. Nous n'avons même pas réfléchi à tout cela encore.
Si vous le voulez bien, essayons de voir ensemble la difficulté que rencontrera un service de police, un agent de police, un corps policier ou un agent de la paix qui va arrêter une personne qu'il ou elle soupçonne d'avoir commis un crime. Nous nous trouvons dans un véritable champs de mines où guettent les avocats de la défense. Nous allons assister à des jeux fort intéressants lorsque ces avocats vont guider l'agent qui a effectué l'arrestation à travers ce champ, en espérant trouver l'erreur—n'importe laquelle fera l'affaire—qui permettra de jeter le doute sur toute la preuve.
Pour arrêter quelqu'un, il vous faut un mandat. C'est exact. Tout le monde est d'accord là-dessus.
M. Brian Ford: Dans certains cas ce n'est pas nécessaire.
M. Derek Lee: En cas de poursuite immédiate.
M. Brian Ford: En cas de poursuite immédiate.
M. Derek Lee: Nous ne savons pas exactement ce que signifie situation d'urgence, mais nous comprenons la notion de poursuite immédiate.
Dans tous les autres cas, vous n'êtes pas en poursuite immédiate mais vous pensez avoir trouvé le type au 21 de la rue Oak, maison d'habitation. Supposons que cette maison se trouve dans une rangée, sans ruelle, simplement une longue rangée de maisons de ville. Il vous faut obtenir un mandat d'arrestation. Ensuite, il vous faudra probablement un deuxième mandat pour pénétrer dans l'habitation. Si vous avez de la chance, votre premier mandat vous autorisera peut-être à faire les deux choses à la fois, mais si vous avez déjà obtenu un mandat d'arrestation sans que l'adresse y figure, vous devrez obtenir un deuxième mandat, avec l'adresse.
M. Brian Ford: C'est exact.
M. Derek Lee: Maintenant, vous avez votre mandat. Est-il vrai qu'avant d'entrer dans l'habitation, l'agent de police doit avoir des motifs raisonnables de croire que la personne s'y trouve? Est-ce exact? Par conséquent, l'avocat de la défense, si vous me permettez...
La question est très longue, mais je suppose que je pourrais leur permettre de dire oui toutes les 30 secondes. C'est très important, madame la présidente, parce qu'il y a maintenant le critère des motifs raisonnables pour entrer, et si, comme dans Feeney, l'avocat de la défense demande à l'agent: «Quel motif raisonnable aviez-vous de croire que le suspect se trouvait là?» et que l'agent répond et bien, j'ai pensé qu'il devait s'y trouver, parce que tout indiquait que... Mais est-ce que vous avez fait enquête pour vous assurer que vous aviez des motifs raisonnables? Non, le sergent m'a dit d'y aller et d'exécuter le mandat. Et bien, vous n'avez peut-être pas de motifs raisonnables.
• 1720
Alors, ai-je raison de penser qu'avant d'entrer, l'agent de
police va devoir s'arrêter, réfléchir à ses motifs raisonnables et
les noter?
M. Vince Westwick: Je vous ai très bien suivi jusqu'au moment où vous avez dit que le mandat était exécuté parce que le sergent en avait donné l'ordre. En 1997, ça ne se produirait pas. Le mandat est délivré au nom de la personne qui a des motifs raisonnables et cette personne-là doit être présente. Il n'est plus possible de déléguer cette autorité.
M. Derek Lee: Donc, seule cette personne-là peut entrer; il n'y a qu'un agent qui puisse entrer.
M. Vince Westwick: Non. En général, la personne qui a obtenu le mandat, au nom duquel il a été délivré, doit faire partie de l'équipe, ou au moins se trouver sur les lieux de l'arrestation.
M. Derek Lee: Bon. Et j'imagine qu'il faut aussi s'annoncer, n'est-ce pas?
M. Vince Westwick: Je vous ai peut-être induit en erreur là-dessus.
M. Derek Lee: Faut-il s'annoncer?
M. Vince Westwick: Oui... à moins que.
M. Derek Lee: D'où vient cette exigence?
M. Vince Westwick: Elle est ici.
M. Derek Lee: Vous avez parlé d'un article qui exige que l'on prévienne...
M. Vince Westwick: Sauf dans les cas d'exception. C'est ce que propose le nouvel article 529.4.
M. Derek Lee: Non, cet article-là parle des cas où il n'est pas nécessaire de prévenir. Mais où se trouve l'obligation générale de vous annoncer quand vous avez un mandat?
M. Vince Westwick: Je crois que c'est dans la common law. Oui, c'est un point de common law.
M. Derek Lee: C'est ce qui me semblait. Maintenant l'obligation de prévenir figure dans la common law, dans l'arrêt Landry, que nous avons incorporé à notre procédure. Ça ne figure même pas dans la loi que nous avons préparée. L'annonce exigée, pensons-nous, par la common law ne figure même pas dans cette loi. C'est donc une quatrième étape. Il faut donc prévenir, même s'il n'en est pas question ici. L'obligation figure quelque part dans le manuel de police. Nous avons donc un mandat, plus un autre mandat, plus des motifs raisonnables de croire que la personne se trouve là, plus l'obligation de prévenir.
Il y a ensuite l'exception à cette obligation si le mandat le permet. L'ennui c'est que d'après la loi, si vous avez bénéficié d'une telle exception, vous devez tout de même prévenir ou avoir des motifs raisonnables pour ne pas le faire. Nous avons donc une cinquième étape.
Ai-je raison de dire que si l'agent de police négligeait le test des motifs raisonnables avant d'omettre de prévenir—chose qui n'est même pas exigée dans ce code—s'il néglige de noter les raisons pour lesquelles il ne s'est pas annoncé, l'entrée serait illégale? Se serait une entrée non autorisée. S'il enfonce la porte, il aura commis une entrée par effraction. Il se rend coupable d'une infraction criminelle. Toute la preuve en serait affaiblie, et nous nous retrouvons dans Feeney 2.
Mon scénario est-il déraisonnable?
M. Brian Ford: Je ne pense pas que l'agent enfreindrait la loi en ne prévenant pas. S'il a de bonnes raisons...
M. Derek Lee: Monsieur Ford, ça c'est avec l'ancienne loi. La common law.
M. Brian Ford: Je sais. Je vois souvent des cas où l'annonce et l'entrée sont simultanées. Pourvu qu'il y ait annonce... Il va y avoir toutes sortes de choses. Il faut prévenir dans un délai de x minutes, et il va y avoir toutes sortes de choses.
M. Derek Lee: Conviendrez-vous que vous ne pourrez plus désormais entrer en même que vous vous annoncez puisque...
M. Brian Ford: Non, je n'en conviendrais pas. Il faut que je prenne le temps.
M. Derek Lee: Vous voulez prendre le temps d'y réfléchir une minute.
M. Brian Ford: Non, je crois que l'annonce et l'entrée peuvent être simultanées: «Police, nous entrons.»—boom, la porte est enfoncée. Il arrive souvent qu'on soit obligé de procéder ainsi. Je pense que c'est une bonne chose de ne pas codifier l'annonce, car alors il se pose toutes sortes de questions: quelle doit être la longueur de l'annonce? Doit-il y en avoir une? Comment devez-vous frapper? Faut-il sonner? Combien de fois? Ça devient trop compliqué et cela revient à codifier inutilement une partie de la common law.
• 1725
L'annonce et l'entrée peuvent être simultanées et elles le
sont: «Police. Nous entrons.»—boom, et la porte est enfoncée. Vous
le faites pour que les occupants sachent que vous êtes là, pour
éviter le plus possible la destruction d'éléments de preuve et pour
avoir l'avantage de la surprise afin d'assurer la sécurité de
l'agent.
M. Derek Lee: Et avec tout cela, vous appuyez tout de même le projet de loi tel qu'il est à cause des circonstances dans lesquelles nous nous trouvons; à quelques importantes exceptions près.
M. Brian Ford: On dit que les petits ruisseaux font les grandes rivières. C'est un petit ruisseau.
La présidente: Merci beaucoup de votre aide.
Nous allons faire une pause de deux minutes.
La présidente: Bon, nous reprenons nos travaux.
De la Criminal Lawyers' Association, nous allons entendre Irwin Koziebrocki, trésorier, qui est déjà venu devant notre comité. Bonjour. Dites-nous peut-être ce que vous faites.
M. Irwin Koziebrocki (trésorier, Criminal Lawyers' Association of Ontario): Je suis membre du bureau exécutif de la Criminal Lawyers' Association, et je suis en outre président de ce que nous appelons notre comité législatif. Quand vous, ou la province de l'Ontario, décidez d'adopter certaines lois qui pourraient avoir une incidence sur le droit criminel, je l'examine—et je demande aux membres de mon comité d'en faire autant—pour que nous puissions venir présenter notre point de vue devant des comités comme le vôtre.
Pour ce qui est de mon expérience, je pratique le droit pénal depuis près de 23 ans maintenant. J'ai d'abord été avocat auprès de la Direction générale des appels en matière criminelle et des poursuites spéciales au Bureau du Procureur général de l'Ontario, où nous faisions exactement ce qu'indique le titre: des appels en matière pénale et des poursuites spéciales. En 1982, juste à temps pour l'adoption de la Charte, je suis passé au secteur privé, et j'exerce le droit pénal depuis une quinzaine d'années en collaboration avec deux autres avocats de la défense.
Actuellement, je m'occupe surtout d'appels, devant la Cour d'appel et la Cour suprême du Canada. Je m'occupe aussi de procès sur lesquels porte certainement votre loi. J'ai défendu un certain nombre d'affaires sur des questions constitutionnelles, devant la Cour d'appel et devant la Cour suprême du Canada.
La présidente: Monsieur Koziebrocki, j'ai parlé de vous hier. J'ai promis à M. Ramsay que vous aviez eu votre part d'affaires concernant la Charte. Ai-je eu raison?
M. Irwin Koziebrocki: Vous avez eu raison. En fait, même si ça ne veut pas dire grand-chose, le juge Sopinka dans sa décision mentionne la décision Manninnen, qui était une décision importante concernant l'article 10, qui garantit le droit à l'assistance d'un avocat. J'ai eu le plaisir de défendre ce dossier, avec d'autres, devant la Cour suprême du Canada.
Avec votre permission, votre comité nous a demandé de venir donner notre avis sur le projet de loi C-16, loi modifiant le Code criminel en ce qui concerne les pouvoirs de la police en matière d'arrestation et d'entrée dans les habitations. Comme nous avons reçu le projet de loi et votre demande tout récemment—je crois que c'était hier que nous avons appris que vous souhaitiez nous voir aujourd'hui—nous n'avons pas pu procéder aux consultations et à la recherche que nous entreprenons habituellement avant de vous présenter un mémoire. C'est donc plus ou moins mon point de vue que vous allez entendre sur ce projet de loi, bien que j'aie consulté par téléphone quelques membres de notre comité.
Tel que je comprends le projet de loi C-16, il constitue une réaction au jugement de la Cour suprême dans l'affaire Feeney, jugement rendu le 22 mai. Dans cette affaire, la Cour suprême a jugé que, de manière générale, il faut obtenir un mandat pour arrêter quelqu'un dans une habitation. Je crois que cela décrit le contexte dans lequel se situe la question.
Pour examiner ce projet de loi, je dirais respectueusement qu'il faut comprendre les divers principes établis ou renforcés par la décision Feeney. Brièvement, permettez-moi d'énoncer les cinq principes qu'établit ou renforce l'arrêt Feeney, selon moi.
• 1740
Le premier, c'est qu'à l'ère de la Charte, lorsqu'on veut
assurer l'équilibre entre les intérêts touchant la vie privée de
l'individu dans une habitation et l'intérêt de la société sous
forme d'une protection policière efficace, la protection de la vie
privée prime sur les intérêts de la police. C'est ce que dit la
Cour suprême du Canada à la page 154 de Canadian Criminal Cases, où
l'on trouve le jugement.
Le deuxième principe, c'est qu'il est nécessaire, pour respecter la Charte, d'obtenir une autorisation préalable, c'est-à-dire pour empêcher une intrusion injustifiée dans la vie privée. Encore une fois, c'est ce que dit le juge Sopinka à la page 155 de Canadian Criminal Cases.
Le troisième principe que semble avoir énoncé la Cour suprême, c'est qu'il faut un mandat pour effectuer une arrestation dans une habitation.
Quatrièmement, il ne peut y avoir exception à l'exigence du mandat pour effectuer une arrestation dans une résidence que dans des circonstances d'urgence, comme en cas de poursuite immédiate.
Cinquièmement, outre la nécessité d'obtenir un mandat pour toute arrestation dans une habitation, les autorités doivent prévenir avant d'entrer par la force dans un lieu d'habitation. Ceci afin de réduire le caractère envahissant de l'arrestation dans un lieu d'habitation.
M. le juge Sopinka les résume de la manière suivante. Je vais vous le lire, car il me paraît important de bien comprendre d'où vient ce projet de loi. C'est à la page 158 de la décision de la Cour suprême du Canada, telle que reproduite dans Canadian Criminal Cases. On peut lire, au paragraphe 51:
-
En résumé, les conditions ci-après doivent généralement être
remplies pour qu'une arrestation relative à un acte criminel dans
une maison privée soit légale: un mandat doit être obtenu sur la
foi de motifs raisonnables et probables d'effectuer une arrestation
et de croire que la personne recherchée se trouve dans les lieux en
question, et une annonce régulière doit être faite avant d'entrer.
Cette règle souffre une exception dans le cas d'une prise en
chasse. Notre Cour n'a pas encore pleinement abordé la question de
savoir s'il existe une exception pour les situations d'urgence en
général, et il n'est pas nécessaire non plus d'y répondre dans le
présent pourvoi, étant donné que j'estime qu'il n'y avait pas de
situation d'urgence quand l'arrestation a été effectuée.
C'est ce que dit la Cour suprême. Ce qui a changé, fondamentalement, c'est qu'il faut maintenant un autre mandat, en plus du mandat d'arrestation, pour pénétrer dans une habitation.
En réalité, la principale question qui découle du projet de loi C-16, tel que je le conçois, est la suivante. Il ne s'agit pas tant de savoir ce qui s'impose, selon la Cour suprême, car cela est assez clair; il s'agit surtout de savoir si le projet de loi que vous avez rédigé est constitutionnel et conforme à la Charte.
Je crois pouvoir vous donner un avis général sur les articles qui vous intéressent. Je crois qu'on peut dire à la lecture de ce projet de loi que les nouveaux articles 529, 529.1 et 529.2 prévoient la nécessité d'obtenir un mandat pour arrêter et appréhender une personne dans une habitation, comme l'exige la Cour suprême du Canada. C'est essentiellement ce que demandait la Cour, et c'est ce que font apparemment ces nouveaux articles proposés.
La seule chose que je suggérerais, en ce qui concerne le nouvel article 529, c'est que vous vous demandiez où et dans quelles situations une arrestation peut être effectuée. Est-il votre intention d'inclure, par exemple, des condamnations sommaires, plutôt que des actes criminels? La Cour suprême, dans son résumé, parle d'arrestations pour actes criminels. En lisant l'article 529, vous vous apercevrez peut-être qu'il n'est pas précis de ce point de vue et qu'il pourrait même permettre à des policiers d'entrer dans une habitation pour des infractions relativement mineures.
• 1745
La difficulté que j'ai avec le projet de loi C-16 c'est
lorsqu'il propose de permettre l'entrée sans mandat, au nouvel
article 529.3, ou sans avis préalable, au nouvel article 529.4 ou,
surtout, sans mandat et sans annonce, comme le propose le
paragraphe 529.4(3). Dans ces aspects-là de la loi, il a été
suggéré que vous sortez du terrain constitutionnel.
En ce qui concerne le nouvel article 529.3, qui porte sur la question de l'arrestation sans mandat, et d'entrer sans mandat, un certain nombre de choses qui sont exigées pourraient constituer des lacunes qui rendraient cet article inconstitutionnel.
Beaucoup de ces commentaires que je fais en ce qui concerne ces trois questions particulières se retrouvent dans chacun des articles.
Par exemple, au nouvel article 529.3, l'important est la phrase «Si l'urgence de la situation rend difficilement réalisable son obtention». Ensuite, certaines circonstances sont définies de manière générale—non pas exclusive, mais générale. La première de ces situations est celle où l'on soupçonne «qu'il est nécessaire de pénétrer dans la maison d'habitation pour éviter à une personne des lésions corporelles imminentes ou la mort», et la deuxième lorsqu'il y a motifs de croire «qu'il est nécessaire d'y pénétrer pour éviter leurs [les éléments de preuve] perte ou leur destruction imminentes».
En ce qui concerne la question que soulève l'alinéa 2a), concernant les lésions corporelles imminentes ou la mort, la question est de savoir si le soupçon constitue un critère approprié pour pénétrer sans mandat dans une habitation. Fort probablement, la nécessité de prévenir des lésions corporelles imminentes ou la mort passerait le test de la Charte. Toutefois, le simple critère du soupçon pourrait ne pas suffire. Car on peut avoir un soupçon à la suite d'une simple vérification dans le CIPC, qui révélerait qu'une personne a déjà été arrêtée pour possession d'armes dangereuses, alors que cela n'a peut-être rien à voir avec la situation actuelle.
Par exemple, il peut y avoir inculpation pour possession d'armes dangereuses, dans toutes sortes de circonstances. Une telle accusation pourrait découler d'une situation où quelqu'un aurait agité un manche à balai de manière menaçante. Ça suffirait pour susciter un soupçon dans l'esprit d'un agent de police et justifier que celui-ci pénètre dans une habitation.
Il faut aussi considérer le Code criminel. Que je sache, il n'y a qu'un seul autre endroit dans le Code criminel où l'on utilise le terme «soupçonner»—du moins je ne le trouve pas ailleurs—et c'est à l'article 254, qui traite des contrôles routiers. Dans cet article-là, un agent de police qui soupçonne qu'une personne pourrait avoir consommé de l'alcool en conduisant peut exiger de celle-ci qu'elle se soumette à un alcootest. Pour justifier le soupçon, il suffit que l'agent dénote la moindre odeur d'alcool lorsqu'il met la tête dans votre voiture. Voilà le genre de critère dont il s'agit, dans ce type de situation-là.
Ici, la situation est beaucoup plus grave. Il s'agit de pénétrer dans une habitation privée parce qu'on croit que quelqu'un y est en danger. Le critère que vous prévoyez là me paraît plutôt faible; il est peut-être approprié ou non, mais c'est le genre de chose qui est contestable. Si un agent de police dit: «Je le connais, c'est un malfaiteur; par conséquent je soupçonne qu'il risque d'infliger des lésions corporelles à quelqu'un dans cette habitation», vous risquez d'avoir un problème devant les tribunaux.
• 1750
L'alinéa 529.3(2)b) proposé permet de pénétrer dans une
habitation sans mandat dans le but de préserver les éléments de
preuve. À mon humble avis, c'est encore plus délicat. Bien que dans
l'arrêt Feeney la Cour suprême du Canada n'ait pas tranché la
question de savoir ce qui constitue une situation d'urgence et
qu'elle ait remis à une autre occasion la décision de savoir si la
protection des éléments de preuve constituait une situation
d'urgence, puisque la question ne se posait pas dans ce cas-là, je
crois, humblement, qu'éviter la perte d'éléments de preuve ne
constitue pas vraiment une justification pour entrer sans mandat.
Par exemple, lorsque le juge a rendu sa décision concernant l'admissibilité de la preuve, il n'a pas tenu compte de la nécessité de préserver les éléments de preuve. C'est donc une indication que la protection des éléments de preuve n'est pas un critère pour définir la situation d'urgence.
En outre, et surtout, lorsque les juges de la Cour suprême définissent la situation d'urgence dans l'arrêt Feeney, ils donnent deux exemples. Le premier est celui où un agent de police vient de voir quelqu'un entrer dans une habitation. Le deuxième—et c'est celui-là qui est mentionné comme étant le plus important pour définir la situation d'urgence—c'est qu'il est en poursuite immédiate. Les juges mentionnent l'arrêt Macooh, qui porte sur un cas de poursuite immédiate. Ils disent clairement que dans ces circonstances-là, il n'est pas nécessaire d'obtenir un mandat puisque vous poursuivez un suspect.
Par conséquent, les cas qui sont importants aux yeux de la police et qui surviennent soudainement sont couverts. Ils sont prévus par la loi, par la common law actuelle. Rien n'a changé de ce point de vue là.
La Cour suprême du Canada a clairement fait savoir que la police doit obtenir un mandat si elle n'est pas en poursuite immédiate, et elle l'a fait notamment en rejetant clairement, selon moi, l'opinion dissidente de Madame le juge L'Heureux-Dubé lorsqu'elle dit que la nécessité de préserver les éléments de preuve peut constituer une situation d'urgence. Les juges sont très clairs dans leur arrêt. Non seulement leur décision est-elle claire, mais ils rejettent son argument disant qu'il est fondé sur une autre opinion dissidente qu'elle avait rédigée dans un autre cas, et que ce n'est pas nécessairement ainsi que l'on établit le droit.
La présidente: Mais c'est logique.
M. Irwin Koziebrocki: C'est logique. Par conséquent, de notre point de vue, préserver des éléments de preuve ne constitue pas le type de situation qu'envisageait la Cour suprême pour permettre de pénétrer sans mandat dans une habitation privée. Il ne faut pas oublier que dans le contexte de ces dispositions, le but est d'effectuer une arrestation, et non pas d'obtenir des preuves; ce n'est pas le but de ces dispositions. Et c'est la raison de l'arrêt Feeney. La police était entrée pour obtenir des preuves.
Cela arrive dans beaucoup d'autres situations. On ne peut pas justifier une infraction à la Charte du fait que l'on voulait obtenir des preuves. Presque tous les cas que la Cour suprême a rejetés en se fondant sur la Charte sont des cas où la preuve a été rendue inadmissible. Manninnen est un parfait exemple. L'accusé avait avoué un vol qualifié, mais sa déclaration a été rejetée, bien qu'il ait admis sa culpabilité. Clarkson est un autre exemple où la personne a avoué un meurtre. Dans ce cas aussi, la preuve a été rejetée.
Il ne faut donc pas oublier que lorsqu'il s'agit de préserver la preuve, le Code criminel prévoit un mécanisme: c'est le mandat de perquisition. On s'en sert depuis de nombreuses années avec d'excellents résultats. Les policiers doivent avoir des motifs raisonnables de croire que des éléments de preuve se trouvent dans l'habitation au moment de l'arrestation, et cette possibilité leur reste ouverte.
• 1755
Comme vous le savez certainement, il y a aussi des cas où la
police tombe sur des éléments de preuve au moment de l'arrestation,
soit lorsqu'elle fouille l'accusé au moment de l'arrestation, pour
assurer sa propre protection, ou en entrant dans une habitation
pour effectuer une arrestation et que des marchandises s'y
trouvent. Je crois que personne ne vous dira que vous ne pouvez pas
les saisir, ou aller obtenir un mandat de saisie dans ces
circonstances.
Passons au nouveau paragraphe 529.4(1), qui élimine l'exigence en common law de prévenir avant d'entrer. Il faut noter que la Cour suprême du Canada n'a pas prévu d'exception sur ce point. Elle considère obligatoire de prévenir. C'est ce qu'elle a confirmé dans les arrêts Landry et Feeney. Il est impératif de prévenir avant de pénétrer dans une habitation, avec ou sans mandat, en poursuite immédiate ou autrement. Ce projet de loi vise à éliminer cette obligation, avec l'autorisation d'un juge, il est vrai.
Il ne faut pas oublier pourquoi cette exigence figure dans la common law depuis 300 ans. Il y a une raison historique. Il s'agit de prévenir l'occupant qu'un représentant de l'autorité s'apprête à entrer, comme on disait autrement «Au nom de Sa Majesté» et qu'il ne s'agit pas d'un intrus. On peut se demander pourquoi, maintenant, après avoir pendant plus de 300 ans prévenu les gens que vous veniez au nom de Sa Majesté, il ne serait plus nécessaire de prévenir avant d'entrer.
L'importance de cette exigence, à mon humble avis, dépasse le cadre de l'arrêt Feeney. Non seulement permet-elle à quelqu'un d'ouvrir la porte avec dignité lorsqu'un agent de police frappe, elle permet aussi aux occupants de savoir que ce sont les autorités qui sont à la porte et non un intrus. C'est un élément important. Une personne qui entrerait sans s'annoncer pourrait bien provoquer un acte violent chez quelqu'un qui penserait que son foyer est envahi par des inconnus. C'est un élément important que la loi a toujours pris en considération. Si nous revenons au principe initial que chacun est maître chez soi, il y a une raison à cela. Nous voulons éviter que des gens viennent causer des situations qui pourraient être violentes.
Le nouvel alinéa 529.4(1)a), où il est question d'une de ces situations raisonnables où un magistrat peut autoriser les policiers à omettre de prévenir s'ils s'exposent à des lésions corporelles ou à la mort, justifie peut-être cela. Ce type de situation-là est sans doute acceptable. Si les circonstances l'exigent et qu'un magistrat vous autorise à pénétrer sans prévenir, et si vous pouvez démontrer à un certain point que les agents de police s'exposaient à une agression ou à la mort, il est fort possible qu'il soit acceptable d'omettre de prévenir.
Mais ce n'est pas justifié s'il s'agit simplement de préserver des preuves qui «pourraient s'y trouver». Si l'obtention d'une once de hachisch ou de cocaïne risque par ailleurs de provoquer une violence grave et peut-être une tragédie, on peut penser que l'article 1 de la Charte ne justifierait pas l'omission d'un critère aussi fondamental pour pénétrer dans une maison d'habitation.
Dans le temps qu'il faut à la police pour entrer après avoir prévenu, que peut-on bien détruire? Vous avez entendu M. Ford, et il confirme mon opinion là-dessus. Il vous a expliqué comment cela se passe. Pour lui—et il est le chef de la police de cette région—l'annonce et l'entrée sont presque simultanées: les policiers préviennent et ils entrent. Il y a à cela trois raisons: prévenir les gens que la police est là, saisir les preuves et éviter leur destruction, et s'assurer un certain avantage tactique sur les éventuels occupants du lieu.
• 1800
Et si l'on omet de prévenir, que se passe-t-il? Quelles
preuves peuvent être détruites? Il est peu probable que l'on puisse
détruire autre chose que de très minimes éléments de preuve. Rien
de plus qu'une petite quantité de drogue, ou au maximum quelques
documents que l'on pourrait brûler; ou, horreur, quelqu'un pourrait
appuyer sur une touche de l'ordinateur et effacer toute
l'information.
Si le chef de la police a raison et que les policiers agissent ainsi—et jusqu'ici tout indique que c'est le cas, qu'ils préviennent et entrent presque simultanément—, ils trouveront la livre d'héroïne ou de cocaïne, le couteau sanglant, et contrairement à l'opinion minoritaire dans Feeney, il est fort peu probable que l'on puisse détruire la chemise tachée de sang dans un si bref délai.
La Criminal Lawyers' Association estime—et c'est mon avis également—que le nouveau paragraphe 529.4(3), alinéa b) en particulier, n'est pas constitutionnel.
M. Jack Ramsay: Pardon, qu'avez-vous dit?
M. Irwin Koziebrocki: Le nouveau paragraphe 529.4(3). Celui qui autorise les policiers à pénétrer dans une habitation sans mandat et sans prévenir, pour la seule raison qu'ils pensent pouvoir préserver ainsi des preuves.
Il y a ici trois choses que la Cour suprême du Canada juge inadmissibles. Il faut un mandat, mais vous en dispensez la police; il faut prévenir, mais vous en dispensez la police; et vous justifiez cela en disant qu'il est possible ou probable qu'il y ait des preuves dans cet endroit ce qui, à mon humble avis, ne vous donne pas une situation d'urgence.
Je vous dis qu'à mon avis ce type de situation ne passerait pas le test de la Charte. Elle ne respecte pas les droits prévus aux articles 8 et 10 de la Charte.
Il me semble que quand la Cour suprême du Canada dit au Parlement et à la population que le droit de préserver le caractère privé de l'habitation prime sur le droit de l'État à trouver des preuves, et que vous ajoutez à cela le risque de lésions que l'on encoure dans le but de n'obtenir qu'un minime élément de preuve, vous avez tous les ingrédients pour que cet article ne passe pas le test de la Charte.
Quant à l'alinéa 529.4(3)a), il traite du risque de violence. Il s'agit là d'une situation où, encore une fois, il y a risque de violence qui, dans certaines circonstances, pourrait amener la police à agir sans mandat. C'est peut-être justifié dans certaines circonstances; toutefois, comme on l'a dit plus tôt, le critère de soupçon qui figure ici pourrait bien être trop faible et vous devriez peut-être bien envisager de le remplacer par quelque chose comme un motif raisonnable de croire qu'il y a un risque de violence.
Comme je n'ai pris connaissance du projet de loi qu'hier, que j'ai commencé à taper mon exposé ce matin et que je l'ai terminé dans l'avion qui m'emmenait à Ottawa, je n'ai réussi à taper que la moitié du texte. Si vous le souhaitez, je peux compléter le travail à mon retour au bureau demain matin et vous envoyer le texte. Mais voilà les problèmes que je prévois après une première lecture des dispositions.
Il y a bien sûr des questions de terminologie et de sémantique. Ma secrétaire n'avait jamais, en 25 ans d'expérience, vu l'expression «exigent circumstances». Je suppose donc que tous les agents de police ne comprendront pas forcément le mot. Il m'a fallu aussi chercher le terme «impracticable» dans le dictionnaire. Je croyais que c'était synonyme de «impractical» mais ce n'est pas cela; le sens est beaucoup plus large.
La présidente: Le terme «practicable» se trouve certainement dans le Code criminel.
M. Irwin Koziebrocki: Oui, mais pas «impracticable».
La présidente: Cela veut dire le contraire.
M. Irwin Koziebrocki: Peut-être que j'avais moi entendu «unfeasible».
Ces dispositions introduisent donc des connotations juridiques qui pourraient présenter un problème à l'avenir parce qu'elles sont difficiles à définir. La terminologie n'est pas usuelle et ne correspond pas à ce qu'un agent de police a l'habitude de voir.
La présidente: Merci.
Avez-vous enclenché le chronomètre; il faut le surveiller. Cinq minutes.
M. Jack Ramsay: J'aimerais que nous parlions de ces dispositions qui, à votre sens, ne sont pas constitutionnelles. Prenons d'abord le nouvel alinéa 529.3(2)a).
Il m'est apparu assez clairement que le nouvel alinéa 529.3(3)b) n'était pas constitutionnel, selon mon interprétation de l'arrêt Feeney. Vous avez confirmé mon opinion lorsque vous avez parlé de la page 148a) de l'arrêt.
Il est donc très clair que la notion de situation d'urgence pour ce qui est de pénétrer sans mandat dans une habitation afin d'obtenir des preuves ne résistera pas à une contestation judiciaire. Cela me paraissait évident dès le début. Vous avez bien dit que selon vous ces deux éléments ne sont pas constitutionnels.
Vous êtes passé ensuite à l'alinéa 529.4(3)b). Vous estimez que cet alinéa n'est pas constitutionnel. Si vous me permettez de passer au paragraphe 529.4(3), est-ce que ce sont les alinéas a) et b) qui ne seraient pas constitutionnels selon vous, ou seulement le nouvel alinéa b)? Ou vous ai-je mal compris?
M. Irwin Koziebrocki: Il est certain, d'après moi, que le nouvel alinéa 529.4(3)b) est totalement inconstitutionnel. Il est contraire à tous les critères de la Cour suprême du Canada et de la common law.
Le cas du nouvel alinéa 529.4(3)a) est plus complexe, puisqu'il traite de situation de lésions corporelles et de mort imminente. Ce n'est peut-être pas constitutionnel, mais cela s'en rapproche. C'est le type de situation prévue au nouveau paragraphe 529.4(1), où il y aurait un otage dans la maison, ou vous entendez des coups de feu; allez-vous devoir trouver un juge de paix pour qu'il vous signe un document avant d'entrer? Honnêtement, ce type de situation passerait le test.
La seule difficulté, c'est ce critère trop faible que vous avez inclus. Si vous combinez cela avec toutes les autres infractions à la Charte et à la common law, vous vous mettez dans une situation qui pourrait bien aboutir à une contestation en vertu de la Charte.
M. Jack Ramsay: Bon, maintenant parlons de l'article 529.1. Il s'agit là de la délivrance d'un mandat d'entrer.
• 1810
Si vous revenez au paragraphe 51 de la décision de la Cour
suprême, page 158, et regardez la deuxième phrase, où l'on dit—en
fait, c'est la suite:...
-
[...] un mandat doit être obtenu sur la foi de motifs raisonnables
et probables d'effectuer une arrestation et de croire que la
personne recherchée se trouve dans les lieux en question [...]
Nous nous demandions plus tôt aujourd'hui si, en conformité avec le projet de loi C-16 et avec cette phrase que je viens de vous citer de l'arrêt de la Cour suprême, il serait possible de délivrer un mandat pour plusieurs adresses. J'aimerais avoir votre avis là-dessus. Autrement dit, le nouvel article 529.1 autoriserait-il la police à obtenir un mandat d'entrée afin d'effectuer une arrestation et à y faire inscrire plus d'une adresse ou, si l'on considère non seulement le projet de loi mais aussi, et surtout, l'arrêt de la Cour suprême du Canada, dans la phrase que j'ai citée, doit-il être limité à une seule adresse et, au moment de la délivrance du mandat, faut-il avoir des motifs raisonnables ou probables de croire, au moins à certains moments d'un certain jour, que la personne s'y trouvera?
M. Irwin Koziebrocki: À mon avis, on ne peut pas obtenir des mandats pour plusieurs adresses. Dans ce nouvel article, et vu ce que disait la Cour suprême du Canada, le code pénal prévoit la procédure normale d'obtention des mandats. Supposons que la police a fait son enquête et décide que le moment est venu de procéder à une arrestation. L'agent va voir le juge de paix et jure qu'il a des motifs raisonnables et probables de croire que M. Untel a commis un acte criminel; il demande donc un mandat. Il doit prêter serment avant que le mandat ne lui soit délivré. Il faut un mandat d'arrestation parce qu'il ne s'agit pas d'une simple citation à comparaître que l'on peut envoyer par la poste. L'affaire est grave et il faut un mandat d'arrestation parce que le suspect pourrait s'enfuir, par exemple.
Conformément à cette loi et à l'arrêt de la Cour suprême du Canada, l'agent de police va devoir énoncer ses motifs raisonnables et probables de croire que la personne se trouve à un endroit donné; parce que ce n'est pas nécessaire de procéder ainsi. Vous pouvez obtenir un mandat d'arrestation, arrêter quelqu'un dans la rue, ou attendre dans la voiture que la personne sorte et lui dire: «Excusez-moi, j'ai mandat de vous arrêter.»
Nous ne parlons ici que des cas où vous violez une résidence privée, en dépit du fait établi par un jugement, voilà 400 ans, que «chacun est maître chez soi». C'est de cela qu'il s'agit. Si vous voulez pénétrer chez quelqu'un, vous devez affirmer que la personne s'y trouve et expliquer vos raisons pour le faire.
Il se peut qu'au bout du compte vous ayez eu tort. Des motifs raisonnables et probables, cela ne signifie que vous deviez avoir raison. Vous devez avoir des motifs raisonnables en la circonstance. Vous entrez et vous demandez où est Paul et on vous dit que Paul n'est pas ici, qu'il habite un peu plus loin, à telle adresse. Comment le savez-vous? Parce que je l'ai aidé à déménager. Vous retournez donc chez le juge de paix et vous lui dites il me faut un nouveau mandat pour arrêter Paul à telle adresse; vous allez en chercher un.
M. Jack Ramsay: Si vous pénétrez une fois et que la personne ne s'y trouve pas, pouvez-vous réutiliser le même mandat pour revenir?
M. Irwin Koziebrocki: Le mandat qui vous autorise à pénétrer ou le mandat d'arrestation?
M. Jack Ramsay: Le mandat pour pénétrer.
M. Irwin Koziebrocki: À un autre moment? Cela dépend du mandat. Si le mandat est limité à un moment donné, probablement pas. Il faudrait obtenir une modification. Si vous avez un mandat non restrictif qui dit simplement que vous avez le droit de pénétrer dans telle habitation, vous pouvez probablement revenir si vous avez, encore une fois, des motifs raisonnables et probables de croire que la personne s'y trouve. Si on vous a dit, par exemple, qu'il est parti travailler et qu'il sera de retour à 18 h.
M. Jack Ramsay: Merci.
Le vice-président (M. John Maloney): Monsieur Marceau.
[Français]
M. Richard Marceau: J'ai quelques questions que je vais poser à la suite l'une de l'autre, et je vous laisserai le temps d'y répondre ensuite.
• 1815
Une question qui revient à intervalles réguliers
depuis le début des travaux de ce comité, c'est la
différence entre les motifs raisonnables de
«soupçonner» et les motifs raisonnables de «croire».
En théorie, je suis d'accord avec vous pour dire que «croire» semble être plus difficile que «soupçonner», mais j'aimerais que vous, qui avez combattu devant la Cour suprême, me disiez façon plus pratique comment on peut faire cette différence et comment un policier qui se présente devant une porte serait capable de faire la différence entre «croire» et «soupçonner». C'est ma première question.
Ma deuxième question concerne les situations d'urgence. Au paragraphe 529.3(2) proposé, on utilise le mot «notamment» dans la version française, ce qui signifie que ce n'est pas une liste limitative. Je voudrais savoir si, selon vous, ça ouvre la porte à un pouvoir discrétionnaire trop important pour les policiers et si cette définition plus large des situations d'urgence ne pourrait pas être considérée comme étant inconstitutionnelle.
Ma troisième question—et ce sera pour l'instant la dernière—concerne l'omission de prévenir à l'article 529.4 proposé. Il me semble que la common law a déjà établi certaines règles sur l'omission de prévenir. Je voudrais savoir s'il ne vaudrait pas mieux garder les exceptions que la common law a déjà proposées plutôt que de tenter de codifier de façon imparfaite les situations dans lesquelles l'omission de prévenir pourrait avoir lieu.
[Traduction]
M. Irwin Koziebrocki: Les agents de police connaissent la différence entre soupçonner et croire. À l'école de police, si l'on peut dire, on leur enseigne notamment les différents critères qu'ils appliquent. On leur enseigne comment utiliser un alcootest et comment effectuer des contrôles routiers. Cela fait partie du cours normal que l'on enseigne aux agents de police. Dans leurs enquêtes, les policiers parlent souvent de soupçons. Ils savent quand un cas est suspect, et quand ils peuvent croire qu'une personne a fait certaines choses.
Je ne crois vraiment pas que ces termes posent des problèmes à la police et je suis convaincu que les agents savent qu'il y a non seulement une différence, mais une différence quantitative entre ces deux termes. Et les tribunaux l'ont bien dit. Je ne vois pas là de difficulté ou de subtilité sémantique.
En ce qui concerne le paragraphe 529.3(2) proposé, touchant les situations d'urgence, et le fait que la liste n'est pas complète, elle ne l'est pas parce qu'elle ne peut pas l'être. Aussi futés que nous soyons, nous trouverons toujours une autre situation qui devient urgente dans certaines circonstances.
Même si, en tant qu'avocat de la défense, j'aimerais beaucoup pouvoir vous dire qu'il n'est possible d'obtenir ce type de mandat que dans deux circonstances précises, je suis suffisamment réaliste pour accepter que chaque cas sera examiné en fonction des circonstances et de la situation propres.
Il pourrait bien se présenter des circonstances qui pourraient s'inscrire dans cette liste incomplète. Si un agent de police s'en sert pour manoeuvrer, on s'en apercevra. Si les motifs sont réels, les tribunaux les maintiendront. Je n'ai pas la crainte que les agents s'en servent pour ne pas respecter leurs obligations.
• 1820
En ce qui concerne l'article 529.4 et la codification de
choses qui sont déjà dans la common law, c'est ce que j'ai essayé
de dire au début. La Cour suprême n'a demandé qu'une chose. Chose
qui a été faite dans les trois premiers articles du projet de loi.
On ne sait trop pourquoi, le législateur a ensuite décidé de
codifier non seulement la common law, mais aussi des exceptions que
contient celle-ci et sur lesquelles les tribunaux ne se sont pas
encore prononcés.
Autrement dit, le législateur ne se contente pas ici de répondre aux questions que lui a posées la Cour suprême du Canada; il a décidé d'aller voir s'il peut en même temps aider les agents de police, qu'il perçoit peut-être comme des victimes.
Permettez-moi de vous dire, humblement, que ce projet de loi va trop loin, et qu'au bout du compte vous risquez d'avoir de sérieux problèmes de constitutionnalité.
La présidente: Merci. Monsieur MacKay.
M. Peter MacKay: Merci, Madame la présidente.
J'ai écouté avec une attention toute particulière vos commentaires sur les articles qui selon vous ne résisteraient pas à une contestation en vertu de la Charte. Diriez-vous, de façon générale, que le projet de loi pourrait être amélioré? Je vous mets dans une situation délicate en tant qu'avocat de la défense, mais pensez-vous qu'il y ait ici des échappatoires que l'on pourrait éliminer?
M. Irwin Koziebrocki: Bien sûr.
M. Peter MacKay: Quel plaisir, pouvoir contre-interroger un avocat de la défense!
Des voix: Oh, oh.
M. Irwin Koziebrocki: Les lois ont notamment pour résultat de me faire travailler.
La présidente: La création d'emplois était au programme du Livre rouge.
M. Irwin Koziebrocki: Je sais. Malheureusement, c'est fort mal payé.
Oui, il y a toutes sortes de problèmes ici. Si vous adoptez la loi telle qu'elle est, vous pouvez être certain que des gens comme moi vont essayer de la démolir devant la Cour d'appel et la Cour suprême.
M. Peter MacKay: Bon.
À part cela, sur des questions que je qualifierais de «cosmétique», il y a ici des termes comme «imminent», «exigent», que l'on pourrait peut-être changer. Je dirais donc encore une fois qu'il y a beaucoup d'améliorations possibles, ne serait-ce que du point de vue de la terminologie utilisée dans ces articles.
M. Irwin Koziebrocki: Cela ne fait aucun doute. En utilisant des termes comme «imminent», vous invitez l'avocat de la défense à prétendre et démontrer qu'il n'y avait rien d'imminent.
M. Peter MacKay: À propos de l'article dont a parlé M. Ramsay, celui qui autorise l'entrée sans mandat, vous estimez—et je tiens à ce que ce soit très clair—qu'il ne résisterait pas à une contestation en vertu de la Charte. Je veux parler du paragraphe 529.4(3) proposé, alinéa b) en particulier, concernant la destruction ou la perte de preuves. Où la police entrerait afin de préserver des preuves.
Vous estimez que dans sa forme actuelle, les preuves seraient exclues parce que l'article est inconstitutionnel.
M. Irwin Koziebrocki: J'irais même plus loin. Je dirais que l'article serait annulé.
M. Peter MacKay: Très bien. Merci.
La présidente: Monsieur Lee.
M. Derek Lee: À propos de la poursuite immédiate, dont on a parlé plus tôt, ai-je raison de croire qu'il peut y avoir poursuite immédiate même si elle ne part pas du lieu du crime? Peut-on parler d'une poursuite immédiate qui surviendrait une semaine ou deux semaines après le crime?
M. Irwin Koziebrocki: Bien sûr. Par exemple, si la police recherche quelqu'un, connaît son identité, et voit cette personne partir en courant sur la rue Wellington—encore qu'il soit difficile ces jours-ci de courir sur la rue Wellington...
M. Derek Lee: C'est extrêmement dangereux.
M. Irwin Koziebrocki: —dans ce cas-là, si la police poursuit cette personne et finit devant une habitation, rien ne l'empêche d'entrer. C'est prévu dans la common law; cela a toujours été le cas. La Cour suprême du Canada le reconnaît, et dans l'arrêt Feeney, elle a dit spécifiquement que la police exerce alors son autorité comme il se doit.
M. Derek Lee: Il me semble que si quelqu'un se terre dans une habitation, il est peut-être moins cher de lui offrir 5 000 $, 10 000 $ ou 20 000 $ pour qu'il sorte que de faire face à toutes les poursuites auxquelles on s'expose à cause d'un mandat. Je dis cela en plaisantant.
Puis-je vous poser une question? Votre point de vue m'intéresse car il est sans doute partagé par beaucoup d'autres avocats de la défense. Vous avancez que le Parlement, si nous adoptions ce projet de loi, irait trop loin, plus loin qu'il n'est nécessaire. Pourtant, il me semble que c'est notre responsabilité de légiférer, de codifier, et de combler ces lacunes ou ces vides qui ont été créés par l'arrêt Feeney. Pensez-vous qu'en codifiant et en légiférant dans ce cas-ci nous allions au-delà de ce qui convient?
M. Irwin Koziebrocki: La question n'est pas de savoir si vous avez le droit de légiférer. Il est bien certain que vous en avez le droit. La question, telle que je la perçois, c'est que vous répondez par un projet de loi à un arrêt de la Cour suprême du Canada qui jugeait qu'on ne peut pas entrer dans un lieu d'habitation sans mandat; donc, vous devez faire quelque chose, sinon il ne sera jamais possible d'arrêter quelqu'un dans une maison. C'est bien cela?
M. Derek Lee: Oui.
M. Irwin Koziebrocki: C'est ce qu'a fait la Cour suprême du Canada. Et l'avocat du ministère de la Justice est allé à la Cour suprême du Canada demander que soit reporté l'effet de l'arrêt pour laisser le temps de préparer une loi? Maintenant, vous devez regarder ce que vous avez fait. Avez-vous répondu à la question qui était posée, ou avez-vous décidé de profiter de l'occasion pour faire davantage?
Je dirais que vous avez d'abord réglé le problème, et vous en avez profité ensuite pour inclure d'autres choses qui ne sont pas imposées par l'arrêt Feeney que vous utilisez comme une occasion d'introduire certaines dispositions. À mon avis, si vous lisez la décision de la Cour suprême, et d'autres arrêts qu'elle a rendus, vous verrez que cela va à l'encontre de cette décision.
Si vous me demandez est-ce que vous avez le droit de le faire, bien sûr. Je ne vous nie pas ce droit. Mais je dirais aussi que vous devriez considérer le mandat et regardez ce que vous faites avec ce projet de loi.
M. Derek Lee: Merci.
M. Peter MacKay: Madame la présidente, puis-je poser une petite question suite à ce dialogue?
La présidente: Bien sûr, allez-y.
M. Peter MacKay: Si je vous ai bien compris, vous dites que ce projet de loi pourrait être contraire à la jurisprudence qui nous vient de la Cour suprême. Ma question est peut-être impossible, car vous n'avez pas eu beaucoup de temps pour examiner la chose, mais c'est ce que j'ai cru comprendre de votre dernière intervention.
M. Irwin Koziebrocki: Je crois avoir dit exactement ce que je disais plus tôt. Si vous prenez, par exemple, les derniers articles de ce projet de loi, et que vous considérez ce qu'a dit la Cour suprême du Canada dans Feeney, Landry et d'autres arrêts, vous constatez que la common law et la Cour suprême du Canada imposent certains critères que ce projet de loi vient éliminer. Il faut donc se demander, à partir de là, si le projet de loi va à l'encontre de l'arrêt.
La présidente: Monsieur Bryden, avez-vous une question?
M. John Bryden (Wentworth—Burlington, Lib.): Oui. Ma question montre que je ne suis pas avocat, mais si la loi est contestée et qu'elle s'avère ne pas être constitutionnelle, la Cour annulera-t-elle la loi toute entière ou seulement les articles concernés?
M. Irwin Koziebrocki: Seulement ces articles pour lesquels la contestation aura été jugée valable.
M. Paul Forseth (New Westminster—Coquitlam—Burnaby, Réf.): Pour revenir au terme «exigent», est-ce qu'il est défini dans le Black's Law Dictionary, par exemple? Savez-vous ce que cela signifie réellement? Pourriez-vous suggérer un meilleur terme.
M. Irwin Koziebrocki: Je ne sais pas s'il est défini. Je suis sûr qu'il doit l'être. C'est un terme que les avocats utilisent à l'occasion, et la Cour suprême du Canada l'utilise, ce qui montre qu'il est important.
Ce n'est pas le genre de terme que j'utilise avec mes enfants ou dans la conversation courante. C'est un mot difficile. Mais il permet... ce n'est pas tant le mot qui est important que les circonstances qu'il décrit. Il faut voir si certaines circonstances données correspondent au critère établi par la loi ou par l'arrêt de la Cour suprême du Canada.
Par exemple, «poursuite immédiate», expression qui nous est familière et qui est passée dans la langue courante, correspond à ce type de circonstances. Sauver une vie correspondrait probablement aussi à ce type de circonstances puisque... c'est cela qu'il faut considérer.
Je n'ai pas vraiment eu le temps de réfléchir à un autre mot qui serait préférable, mais je suis qu'il en existe.
M. Paul Forseth: Si on a choisi ce mot-là, c'est probablement pour sa précision juridique, et je me demande si c'est le meilleur possible ou s'il n'y aurait pas autre chose.
M. Irwin Koziebrocki: C'est le mot qu'ont utilisé les juges de la Cour suprême dans leur arrêt; ils doivent donc penser que c'est le bon mot.
La présidente: Merci, monsieur Koziebrocki. Nous avons apprécié votre aide, comme d'habitude, et nous vous reverrons le 22.
Nous avons prévu des sandwichs; ils seront servis en haut. Vous souhaiterez peut-être vous réunir en caucus avant de passer à l'examen article par article. Je ne sais pas. Si nous pouvions être de retour dans un quart d'heure... Bon.
La séance est levée.