JURI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS
COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 13 mai 1998
[Traduction]
La présidente (Mme Shaughnessy Cohen (Windsor—St. Clair, Lib.)): Nous reprenons aujourd'hui l'étude du projet de loi C-37, Loi modifiant la Loi sur les juges et d'autres lois en conséquence.
Nous accueillons cet après-midi David W. Scott, c.r., qui était président de la Commission de 1995 sur le traitement et les avantages des juges. Bienvenue.
M. David W. Scott (président de la Commission de 1995 sur le traitement et les avantages des juges): Merci, madame la présidente.
La présidente: Monsieur Scott est aussi membre du conseil du Barreau du Haut-Canada et il a une vaste connaissance de la pratique du droit. Il sait aussi quels types de sacrifices font ceux qui accèdent à la magistrature. J'espère donc qu'il va nous en parler un peu.
Avez-vous un mémoire à présenter, David?
M. David Scott: Non, madame la présidente. Je vous ai écrit une lettre disant que je serais content de comparaître, mais que tout ce que nous avions à dire sur le sujet se trouvait dans notre rapport. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
La présidente: Formidable. M. Ramsay aura la parole en premier pendant dix minutes.
J'ai besoin d'une minuterie pour surveiller de très près ce gars-là. Dix minutes Ramsay n'ont rien à voir avec dix minutes pour le reste de la planète.
Êtes-vous prêt? Ajustons nos montres!
M. Jack Ramsay (Crowfoot, Réf.): Je vous remercie pour cette entrée en matière. Elle est appréciée.
Monsieur Scott, je vous remercie d'être venu aujourd'hui. J'ai de sérieuses réserves au sujet du projet de loi et j'espère que vous allez pouvoir dissiper certaines de mes craintes.
M. David Scott: Je l'espère.
M. Jack Ramsay: Le projet de loi recommande l'établissement d'une commission qui va se pencher sur les avantages pécuniaires consentis aux juges des cours fédérales. L'arrêt récent de la Cour suprême du Canada qui est à l'origine du projet de loi traitait de causes de l'Île-du-Prince-Édouard et de l'Alberta. Connaissez-vous ces deux affaires?
M. David Scott: Oui, mais probablement pas aussi bien que vous.
M. Jack Ramsay: Ne soyez pas modeste.
Ce qui m'inquiète, c'est que la commission qui sera établie aura la fonction et l'obligation d'examiner les traitements, avantages pécuniaires, etc. des juges des cours fédérales, mais il semble qu'elle ne pourra pas recommander une diminution des avantages parce que cela pourrait être perçu comme une ingérence susceptible de compromettre l'indépendance de la magistrature. Est- ce que j'ai bien compris?
M. David Scott: À la lecture du projet de loi, je n'ai pas eu l'impression qu'une diminution était hors de question, mais si vous voulez parler du jugement, je dirais que, selon mon interprétation de l'arrêt, toute diminution pouvant être perçue comme étant discriminatoire, au sens où elle ne viserait que les juges, serait sujette à une révision judiciaire.
• 1545
Je pourrais me tromper, mais si je comprends bien, le projet
de loi prévoit que le gouvernement pourrait recommander une
diminution qui concernerait uniquement les juges à condition
qu'elle soit justifiée en vertu du projet de loi. Toutefois, cette
recommandation serait sujette à une révision judiciaire. Dans sa
décision, le juge en chef dit que si c'était une réduction
générale, la révision serait réglée vite fait, mais si seuls les
juges étaient visés, il faudrait en démontrer la justification.
C'est ce que j'ai retenu du jugement.
M. Jack Ramsay: D'accord. Si la Commission fait une recommandation au gouvernement, quelle procédure faut-il prendre si les juges désapprouvent? Comment ça marchera? Si la Commission prend une décision qui ne plaît pas aux juges concernés, qu'arrive- t-il? Quelle sera la procédure à suivre?
M. David Scott: Si j'ai bien compris, la commission présentera des recommandations au gouvernement et, en vertu du projet de loi, le gouvernement sera tenu de donner suite à ce rapport. C'est sa réponse qui sera sujette à une révision judiciaire.
Supposons que la commission recommande une augmentation pour les juges et que le gouvernement réponde qu'il est contre une augmentation et qu'il envisage plutôt une baisse. La Cour suprême du Canada peut alors décider que cette réponse du gouvernement sera soumise à une révision judiciaire et les tribunaux détermineront si la décision gouvernementale est fondée ou non. Si les tribunaux concluent qu'elle n'est pas fondée, le gouvernement devra probablement repartir à zéro, puisque la baisse prévue sera jugée inconstitutionnelle.
M. Jack Ramsay: Comment entreprendrait-on la révision judiciaire de la décision gouvernementale?
M. David Scott: C'est une très bonne question, parce que quand je pense à la réaction du gouvernement à notre rapport, qui a été présentée en même temps que le projet de loi,—je veux parler de l'explication de l'adoption ou du rejet de nos diverses recommandations—c'est probablement ce document qui serait sujet à une révision judiciaire. Toute autre partie intéressée, sans doute un juge ou un groupe de juges, pourrait alors présenter aux tribunaux une demande de révision judiciaire qui viserait les motifs exposés dans le document. Si le tribunal concluait que les salaires proposés n'étaient pas justifiés, ils seraient déclarés inconstitutionnels et le gouvernement n'aurait pas le droit de les édicter. C'est ce que je comprends.
M. Jack Ramsay: Ce serait donc à la Cour suprême de dire au gouvernement ce qu'il doit faire.
M. David Scott: Ce serait probablement à la cour supérieure d'une province de le faire.
M. Jack Ramsay: Au bout du compte, en cas d'appel, ce serait la Cour suprême.
M. David Scott: Oui.
M. Jack Ramsay: Si je comprends bien le projet de loi et ce que vous dites au comité, il pourrait arriver que la décision du Parlement du Canada au sujet de la rémunération des juges des cours fédérales soit remise en question et même annulée. Le Parlement du Canada devrait se plier à la décision des tribunaux concernant la rémunération des juges nommés par le fédéral.
M. David Scott: En gros, vous avez raison. Le régime de rémunération proposé serait déclaré soit approprié et donc constitutionnel, soit inacceptable si on jugeait qu'il était injustifié et qu'il constituait une menace pour l'indépendance de la magistrature, et donc inconstitutionnel. Le gouvernement serait obligé de revenir à la case départ.
M. Jack Ramsay: On a fixé une échéance pour l'adoption du projet de loi. Nous devons respecter une date donnée. Qu'arriverait-il, à votre avis, si l'on ne respectait pas cette échéance?
M. David Scott: De quelle échéance parlez-vous?
M. Jack Ramsay: De l'échéance fixée pour le projet de loi C-37
La présidente: Je peux peut-être répondre à la question. L'arrêt concernant la rémunération des juges des cours provinciales a prévu une échéance qui a été prorogée jusqu'au 19 septembre, si je ne m'abuse. Les provinces doivent se conformer au jugement avant cette date. On nous a dit que si le projet de loi n'était pas adopté avant cette date, les juges nommés par le fédéral seraient en position d'intenter une action ou de faire la grève. Je n'en ai pas discuté personnellement avec le président de l'union, mais c'est ce que j'ai cru comprendre.
M. David Scott: Franchement, je n'ai pas réfléchi à ça. Je ne suis pas certain de pouvoir vous aider. Je n'ai pas tenu compte du fait que la Cour suprême a fixé une échéance pour rendre le régime de rémunération constitutionnel; je présume que c'est ça le but. Il faut probablement respecter cette échéance. Je serais très étonné que les juges fassent la grève, mais c'est une observation bien personnelle.
M. Jack Ramsay: Je ne crains pas que les juges fassent la grève. Je m'inquiète du fait qu'on pourrait interpréter la réticence du Parlement à agir dans ce domaine comme une ingérence susceptible de compromettre l'indépendance de la magistrature. Je m'inquiète de l'effet de cette décision sur le droit. C'est très préoccupant.
M. David Scott: C'est un sujet grave. D'après mon interprétation de l'arrêt de la Cour suprême du Canada, la protection de l'indépendance judiciaire dépend, selon la Cour suprême, d'une évaluation indépendante et rationnelle de la rémunération des juges afin de supprimer toute ingérence politique réelle ou apparente dans la procédure et la négociation. C'est l'idée maîtresse du projet de loi qui est imposée en partie par l'arrêt de la Cour.
Dans notre rapport, nous aurions été plus sévères envers le gouvernement que la Cour ne l'a été, parce que s'il n'en eût tenu qu'à nous, nous aurions obligé le gouvernement non seulement à répliquer au rapport de la Commission—c'est-à-dire, de fournir ses motifs—mais aussi de déposer un projet de loi incorporant toutes les modifications jugées pertinentes afin de faire avancer les choses. D'après ce que je comprends du projet de loi C-37, il n'est pas prévu que le gouvernement sera obligé de déposer un projet de loi, mais uniquement qu'il donne suite aux recommandations de la Commission.
M. Jack Ramsay: À mon avis, il est très grave de prétendre que si le gouvernement fédéral, en l'occurrence, omet d'augmenter la rémunération des juges des cours fédérales, ça constitue une ingérence qui compromet l'indépendance judiciaire puisqu'on aurait l'impression que les tribunaux l'emportent sur le Parlement du Canada dans ce domaine.
M. David Scott: Tout d'abord, je n'ai pas compris que le projet de loi ou plutôt la procédure était enclenchée par l'omission de hausser la rémunération. Que la rémunération soit augmentée ou non, qu'elle soit ou non acceptable et conforme aux recommandations de la Commission, et que la réponse du gouvernement soit fondée ou non, quelle que soit la recommandation de la Commission, le gouvernement devrait être libre de répondre par la négative, à condition que sa réponse soit justifiée.
Si la Commission recommandait que seuls les juges bénéficient d'une augmentation, et personne d'autre parmi les personnes rémunérées par le Trésor public, et si le gouvernement réagissait en disant que ce n'est ni juste ni raisonnable, je suis certain que les tribunaux confirmeraient sa conclusion.
C'est une première remarque. Je n'ai pas compris que le projet de loi obligeait à avoir une augmentation à tout prix. Il faut qu'il y ait un régime rationnel.
M. Jack Ramsay: Oui, mais j'imagine que les juges ne se plaindront pas s'ils bénéficient d'une augmentation, sauf s'ils la considèrent insuffisante. Mais c'est le droit qui accorde à nos tribunaux la suprématie sur le Parlement du Canada dans ce domaine exprès. Si cette suprématie n'est pas reconnue, ça peut être interprété comme une atteinte à l'indépendance de la magistrature. Voilà ce que j'ai du mal à comprendre.
M. David Scott: Comme presque tout le monde l'a dit lors du débat à la Chambre, c'est à cause de notre Constitution qui prévoit qu'en dernier ressort, dans certains domaines bien précis, les tribunaux jouent le rôle d'arbitre. Ça ne veut pas dire que les tribunaux sont les arbitres de la rémunération des juges, mais ça veut dire qu'il leur incombe de déterminer si le régime de rémunération proposé sape ou non l'indépendance judiciaire.
M. Jack Ramsay: Je pense que mon tour est terminé.
La présidente: Oui, je vous redonnerai la parole plus tard.
M. Jack Ramsay: Très bien. Merci.
La présidente: Vous avez une question? Je vous écoute.
M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ): Puis-je prendre la parole même si je ne suis pas avocat?
La présidente: Certainement. Vous donnerez peut-être un sens à la discussion.
M. Claude Bachand: Parlez-vous français, monsieur Scott?
M. David Scott: Malheureusement pas.
M. Claude Bachand: D'accord, alors veuillez mettre l'écouteur pour l'interprétation, s'il vous plaît.
[Français]
Avant de venir, j'ai pris connaissance de votre rapport. Je me suis surtout arrêté à la page 17, où vous recommandez «qu'à compter du 1er avril 1997, le gouvernement propose un réajustement à la hausse du traitement des juges». Une remarque que vous faites un petit plus haut à cette même page semble justifier votre recommandation. Vous dites que «le traitement des juges a, en l'absence d'indexation, subi une baisse d'environ 8 pour cent». Le résumé législatif préparé par la Direction de la recherche parlementaire indique que le projet de loi C-37 prévoit des augmentations de 4,1 p. 100 en 1997 et de 4,1 p. 100 en 1998. Qu'est-ce qui a justifié la recommandation d'un tel taux par la commission? Pourquoi arrivez-vous à 8 p. 100 ou 8,2 p. 100? Est-ce que cela représente uniquement l'indexation? À ce que je sache, le taux d'indexation au Canada en 1997 et 1998 est bien en-deçà de 4 p. 100. Comment justifiez-vous cette hausse qui, selon le Bloc québécois, est assez substantielle?
[Traduction]
M. David Scott: Je ne trouve pas ce texte à la page 17. Peut- être que nous avons des éditions différentes.
M. Claude Bachand: C'est à la page 17 du texte français.
La présidente: C'est à la page 15 en anglais.
M. David Scott: Je m'excuse.
Le 8 p. 100 dont il est question dans cette partie du rapport correspond au total de la perte de deux années d'indexation en fonction de l'indice de la rémunération pour l'ensemble des activités économiques. Comme nous avons voulu le montrer dans notre rapport, il est très important, pour les commissaires qui l'ont rédigé, de conserver toujours le même rapport entre la rémunération des juges et celle des avocats chevronnés parmi lesquels on choisit les futurs juges, afin de pouvoir attirer des membres de ce groupe dans la magistrature.
C'est pourquoi nous avons avancé dans notre analyse cette notion de relation de confiance entre l'État et la magistrature, puisque des membres du Barreau qui se trouvent au sommet de l'échelle des revenus et qui en font le sacrifice en devenant juges, conserveront néanmoins des revenus proportionnels à ceux de leurs collègues qui sont avocats. Donc, ce taux de 8 p. 100 qui apparaît dans la note au bas de la page 15, représente le total de l'indexation qui aurait dû être accordée pour les années 1993 à 1996 d'après l'indice de la rémunération pour l'ensemble des activités économiques.
[Français]
M. Claude Bachand: D'accord. Votre évaluation ne semble naturellement pas tenir compte de la situation économique précaire de plusieurs provinces, entre autres le Québec dont je pourrais vous parler et où les paiements de transfert ont été réduits de 1,4 milliard de dollars l'an passé. Avez-vous tenu compte de telles considérations ou vous êtes-vous limités uniquement au facteur dont vous avez fait mention il y a une minute?
[Traduction]
M. David Scott: Nous avons tenu compte uniquement de ce qui, d'après nos évaluations, nous paraissait nécessaire pour maintenir un rapport entre la rémunération des juges et celle des avocats parmi lesquels les juges sont choisis. Nous n'avons pas tenu compte de la situation particulière d'une province, d'un territoire ou d'un autre ressort, ni de leur capacité de payer.
[Français]
M. Claude Bachand: Je reviens au résumé législatif préparé par la Direction de la recherche parlementaire que j'ai en main. On y indique que le 1er avril 1998, une augmentation future de l'ordre de 2,08 p. 100 va s'appliquer, selon l'indice de la rémunération pour l'ensemble des activités économiques le 1er avril 1998. Je me demande si ces 2,08 p. 100 s'ajouteront aux 4,1 p. 100 prévus pour l'année 1998—pour un total de 6,18 p. 100—ou s'ils y sont déjà inclus. S'ils s'y ajoutent, on aura une augmentation de 4,1 p. 100 le 1er avril 1997 et une augmentation de 6,18 p. 100 le 1er avril 1998. Est-ce le cas?
[Traduction]
M. David Scott: Notre recommandation correspond à la situation à la date de notre rapport, c'est-à-dire en septembre 1996. Si je ne m'abuse, l'indice de la rémunération pour l'ensemble des activités économiques a recommencé à être appliqué en mars 1997— autrement dit, les salaires ont cessé d'être bloqués en mars 1997— donc, tout ce qui découlerait de cette indexation s'ajouterait à la fourchette que nous avons recommandée. Vous avez donc raison. Je ne suis pas certain que vos chiffres soient bons parce que je n'ai pas fait les calculs, mais vous avez raison au sujet de la hausse salariale que nous avons recommandée en septembre 1996. On n'a pas tenu compte du rétablissement de l'indexation qui est survenu plus tard.
M. Claude Bachand: Je vous remercie.
La présidente: Monsieur MacKay.
M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Merci, madame la présidente, et merci à vous, monsieur Scott, d'être ici.
Ma première question est étroitement reliée à ce que vous venez de nous dire au sujet de la qualité des juges qu'on recherche et de l'importance de choisir des avocats qui, bien que certains Canadiens aient du mal à le croire, acceptent essentiellement de subir une baisse de salaire quand ils abandonnent la pratique du droit pour se joindre à la magistrature. Je n'irai pas par quatre chemins. Y a-t-il de bons avocats qui refusent d'abandonner leur pratique pour la seule raison que le salaire est trop bas?
M. David Scott: Certainement. Il faut dire qu'aujourd'hui, la fourchette des revenus est plus grande que jamais chez les avocats de pratique. Il y en a beaucoup qui tirent le diable par la queue, mais il y a aussi beaucoup d'avocats prospères qui se trouvent à l'autre extrémité de l'échelle. Mais depuis que j'exerce le droit— et ça fait longtemps—il y a eu des tas d'excellents candidats qui n'ont pas voulu faire ce sacrifice, et c'est sans conteste un énorme sacrifice financier qu'on leur demande.
Ce qu'on a voulu montrer dans notre rapport, c'est que notre magistrature indépendante était aussi intéressante que n'importe quelle magistrature dans le monde et qu'il est très important d'avoir un régime capable d'attirer les bons candidats. Par exemple, à la Cour d'appel de l'Ontario, pendant mes années de pratique, il y a toujours eu des avocats chevronnés, ayant une réputation impeccable de compétence, qui étaient prêts à faire ce sacrifice. C'est pourquoi on dit que si vous laissez l'écart se creuser entre le traitement des juges et les revenus des avocats de pratique, on ne réussira plus à attirer de tels candidats. Pour un plaideur comme moi, il est inconcevable d'avoir une magistrature composée de—comment dire—d'avocats moyens, parce que ça ne marcherait tout simplement pas.
M. Peter MacKay: La vérité—et je ne veux pas trop insister là-dessus—c'est que dans toutes les professions, on a constaté l'élargissement de la fourchette des revenus. On pense tout de suite—je suis un mordu des sports, mais je pense aux salaires exorbitants que touchent certains athlètes. Par rapport à l'importance de la tâche d'un juge, d'un médecin ou d'un scientifique qui fait de la recherche, c'est relatif quand on parle d'un salaire de 170 000 $ et plus. Les juges rendent quotidiennement des décisions ayant une importance cruciale pour le système judiciaire.
M. David Scott: Effectivement. Et quand on en parle aux avocats qui plaident à longueur de journée, le pire, pour eux, c'est la nomination de juges qui ne sont pas vraiment à la hauteur. Notre objectif, c'est donc que seuls les meilleurs soient nommés. Or, pour nous, les commissaires, on ne peut y arriver qu'en préservant le rapport entre les revenus des juges et ceux des avocats.
M. Peter MacKay: J'hésite même à en parler, mais a-t-on envisagé une forme d'allocation non imposable, quelque chose comme ce que reçoivent les députés? En a-t-on discuté?
M. David Scott: Non, nous n'en avons pas discuté. Et personne ne nous a fait une telle suggestion.
M. Peter MacKay: Alors, pouvez-vous expliquer au comité certains des autres avantages offerts par le régime de rémunération? Je sais qu'on a parlé d'une allocation de voyage, d'assurance, mais pouvez-vous nous résumer les détails en deux mots?
M. David Scott: Le seul avantage économique direct qui est proposé, c'est la hausse du traitement de base. La règle de 80, qui est énoncée dans le rapport, ne vaut en fait que pour la retraite. Il y a aussi des dispositions concernant les intérêts à payer sur les cotisations au régime de pension des juges qui sont remboursées en cas de retraite anticipée, ainsi que les prestations au conjoint survivant. Mais ce qui coûtera vraiment quelque chose au gouvernement, c'est la hausse salariale.
M. Peter MacKay: Donc, les avantages concernant les assurances et les voyages sont négligeables.
M. David Scott: Par exemple, nous avons reçu des mémoires sur un certain nombre d'avantages dont les juges voudraient bénéficier, mais nous n'avons pas recommandé qu'ils soient accordés. Ainsi, les juges auraient préféré avoir droit au même régime d'assurance que les sous-ministres à l'échelon supérieur, et nous avons conclu que ça coûterait quelque chose à l'État. Nous avons donc recommandé de tenter plutôt d'adopter graduellement un régime d'assurance équivalent, en l'étalant sur une certaine période que nous n'avons pas précisée afin d'en amortir les effets.
Il y a donc plusieurs avantages que les juges ont suggérés et que nous n'avons pas recommandés. Donc, nos principales recommandations portent sur une hausse salariale qui nous semblait raisonnable afin de préserver le rapport dont j'ai parlé et sur l'adoption de la règle de 80 qui vise en fait à donner à la magistrature une composition plus contemporaine pour le public.
M. Peter MacKay: Merci.
Que répondez-vous à la plainte que...? Je vais révéler mon parti pris: je suis des Maritimes. Je sais que, pour le nouveau tribunal unifié de la famille, on était très content d'avoir obtenu la nomination de nouveaux juges, mais il semble qu'en Ontario, certaines personnes, dont le procureur général, ont dit qu'il n'y avait pas encore assez de juges et que la loi ne prévoyait pas assez de juges pour le tribunal unifié de la famille.
M. David Scott: Si vous voulez parler du nombre de postes de juge, nous ne nous sommes pas penchés sur la question. Nous nous sommes intéressés uniquement au niveau salarial nécessaire pour rendre le poste attrayant. Par exemple, au cours des cinq dernières années, il y a eu une augmentation du nombre de candidatures à la magistrature, mais je pense que ça a déjà diminué. Il faut néanmoins se demander si ce sont les bons candidats qui présentent une demande. Notre objectif, c'est donc d'avoir une échelle salariale qui permet au moins aux bons candidats de mieux gérer leur sacrifice.
M. Peter MacKay: D'accord. Merci beaucoup.
La présidente: Combien y a-t-il eu de candidats dans le Grand Toronto l'an dernier?
M. Davis Scott: Je l'ignore. Je ne fais plus partie du comité de sélection depuis environ deux ans, mais au moment où j'en étais membre, dans notre district, c'est-à-dire dans le nord et l'est de l'Ontario, il y avait probablement une quarantaine de candidatures. À un moment donné, il y avait probablement de 200 à 300 candidatures dans la province. Nous, au comité, on pouvait savoir qui présentait une demande et si c'était les meilleurs candidats.
La présidente: J'ai été étonnée d'apprendre que l'an dernier, à Toronto, il n'y a eu que 41 candidatures.
M. David Scott: Vous voyez.
La présidente: Ce n'est pas beaucoup.
M. David Scott: Je dirais que les candidatures ont plafonné il y a trois ou quatre ans. C'est bien simple. Il y avait une récession et les avocats, comme les autres, tiraient le diable par la queue. Beaucoup d'avocats ont décidé alors de poser leur candidature à la magistrature. Quand on fait partie du comité de sélection, on constate un afflux soudain de candidatures et, quand l'économie se rétablit, leur nombre diminue.
La présidente: C'est quand même intéressant.
M. Peter MacKay: Il faudrait peut-être obliger les avocats à présenter un état financier avec leur demande, comme on le fait au tribunal de la famille.
La présidente: Certains de mes collègues du Parti libéral veulent aussi poser quelques questions, mais...
J'ai perdu le fil de ma pensée. J'y reviendrai quand je le retrouverai.
M. Jack Ramsay: C'est ce qui arrive souvent aux avocats moyens.
La présidente: Les avocats moyens perdent le fil de leur pensée? Je n'ai jamais été dans la moyenne, monsieur Ramsay, et ne je vous dirai pas si j'étais au-dessus ou en dessous de la moyenne. Ça vous va?
M. Jack Ramsay: Je retire mon commentaire et je vous demande de bien vouloir m'excuser.
La présidente: Je vous revaudrai ça.
Monsieur Lee.
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Merci.
Monsieur Scott, je pensais que mes collègues d'en face allaient poser des questions un peu plus serrées. Je vais essayer d'être plus minutieux.
M. Jack Ramsay: Laissez-nous le temps.
M. Derek Lee: Monsieur Ramsay, oui, vous avez été assez...
Je vais aborder cette question de deux ou trois angles différents. Je n'aurai peut-être pas assez de temps, mais j'espère y revenir plus tard.
Je respecte le travail que vous avez fait à la Commission. Les questions que je vais poser ne devraient pas être perçues comme une critique personnelle à votre endroit. Vous êtes simplement celui qui...
M. David Scott: Je suis l'un des avocats moyens, comme l'a dit M. Ramsay.
M. Derek Lee: Eh bien, j'en suis un autre.
La présidente: Je dirais que le Barreau se porte assez bien, monsieur Scott.
M. Derek Lee: Je veux toucher deux ou trois points. Premièrement, pour en revenir à l'augmentation pécuniaire recommandée pour les juges, on recommande, si je ne m'abuse, des hausses en 1997 et 1998 de deux p. 100 et des poussières plus 4,1 p. 100 plus 2,08 p. 100 plus 4,1 p. 100.
M. David Scott: Je crois que c'est ça.
M. Derek Lee: Si j'additionne tous ces chiffres pour les deux années, j'obtiens un pourcentage cumulatif d'environ 13 p. 100.
M. David Scott: C'est ça.
M. Derek Lee: C'est une augmentation assez élevée quand on gagne 150 000 $ ou 200 000 $ par année. Ça met beaucoup de beurre dans les épinards.
Savez-vous si les sous-ministres de la fonction publique ont obtenu une hausse comparable pendant la même période?
M. David Scott: Je l'ignore tout à fait. J'ai demandé à un collègue ce qui est arrivé au bureau du ministre. Je n'ai aucune idée du traitement des sous-ministres.
M. Derek Lee: Le niveau DM-3 a entre autres servi de référence.
M. David Scott: J'ai cessé de m'intéresser à la question quand la Commission a remis son rapport. Je sais ce qui s'est passé avant septembre 1996. Je ne suis pas au courant de ce qui est arrivé depuis.
Par exemple, je sais qu'on a rétabli l'indexation après avoir débloqué les salaires, mais j'ignore quels étaient les taux d'inflation.
M. Derek Lee: D'accord. De ce 13 p. 100 sur lequel on s'entend, environ 8 p. 100 représenterait du rattrapage par rapport à l'indice de la rémunération. Est-ce que je me trompe en faisant cette présomption? Parce que c'est clairement dit là-dedans.
M. David Scott: Nous n'avons pas parlé de rattrapage et nous l'avons fait délibérément, mais d'autres pourraient l'appeler comme ça.
M. Derek Lee: Ai-je raison de conclure qu'en quantifiant les quatre années d'absence d'indexation, comme à la page 17 de votre rapport, on arrive à un total d'environ 8 p. 100?
M. David Scott: C'est exact.
M. Derek Lee: Comme je ne trouve rien nulle part qui corresponde à ce 8 p. 100, j'en conclus que ce pourcentage correspond à l'absence d'indexation.
M. David Scott: Exact.
M. Derek Lee: Alors moi, je qualifie de rattrapage cette hausse de 8 p. 100. C'est du rattrapage pour les juges.
M. David Scott: C'est vrai. Personnellement, monsieur Lee, je dirais que toute augmentation de salaire après une période de gel peut être qualifiée de rattrapage. Nous avons énoncé une formule comportant un certain élément de rattrapage, mais après avoir bloqué les salaires pendant un certain temps, toute augmentation accordée ensuite a un certain élément de rattrapage puisque, comme l'a dit la Cour suprême du Canada dans l'affaire de l'Île-du- Prince-Édouard, un gel salarial équivaut à une baisse des salaires.
M. Derek Lee: Je pense que tous les fonctionnaires ont subi une diminution de salaire pendant la période de gel. Personnellement, comme député... Nos salaires ont été bloqués pendant environ cinq ans. Après le déblocage, on a rétabli l'indexation à un ou deux pour cent, ou je ne sais trop. Il n'y a pas eu de rattrapage.
Votre groupe de travail est arrivé à la conclusion que les juges devraient avoir droit à un rattrapage, probablement à cause d'un autre critère, parce qu'on ne peut certainement pas parler de rattrapage pour la fonction publique, pour les parlementaires ou pour les DM-3, parce qu'il n'y en a pas eu.
M. David Scott: Nous avons tenté de décrire dans notre rapport... Quand le blocage des salaires a été imposé, la rémunération des juges a cessé d'être proportionnelle à celle des avocats de pratique parmi lesquels on tente de recruter de nouveaux juges. Nous avons donc voulu maintenir ce rapport entre la rémunération des juges et celle des avocats.
M. Derek Lee: Je dirais que vous avez tenté de mettre les juges et les avocats à l'abri de la conjoncture économique.
Je lisais justement le Toronto Star d'aujourd'hui, du 13 mai— et je serais très content d'en déposer une copie. Le titre, c'est «Pour les salaires, les juges ne donnent pas leur place». On dit dans l'article que les juges représentent la catégorie professionnelle la mieux rémunérée au Canada.
M. David Scott: Je n'ai pas lu l'article, quoique...
M. Derek Lee: Et c'est même avant l'augmentation.
M. David Scott: ... Steven Bindman, que j'ai croisé dans la rue tout à l'heure, m'a dit: «As-tu lu l'article? Tu es mieux de te préparer». De toute façon, je ne l'ai pas lu.
M. Derek Lee: Ce sont de simples données statistiques. En moyenne, les quelque 1 700 juges au Canada gagnent 126 000 $ par année. Viennent ensuite les médecins spécialistes qui gagnent en moyenne 123 000 $ par année. Tout le monde vient après les juges. Même les avocats, globalement, gagnent 81 000 $.
Vous voulez peut-être me dire ce que vous en pensez.
M. David Scott: Eh bien, il y a beaucoup d'avocats qui gagnent 20 000 $ et qui vont se demander d'où on a sorti cette moyenne de 81 000 $. Mais on ne trouvera pas beaucoup de juges pour contester la moyenne calculée, tout simplement parce que l'échantillon statistique renferme les mêmes traitements. Si le traitement d'un juge s'établit à 155 000 $, tous les juges vont toucher ce montant et, au bout du compte, le salaire moyen sera plus élevé que pour une catégorie professionnelle où les revenus varient. Je suis convaincu que certains avocats dans les grandes firmes de Toronto ont un revenu astronomique—700 000 $ ou 800 000 $.
M. Derek Lee: Cette statistique a été dérivée à la fin de 1995, c'est-à-dire vers la fin du gel salarial. Donc, pendant les cinq années où les salaires ont été bloqués, les juges sont arrivés à se retrouver tout en haut de l'échelle, en déclassant les médecins spécialistes et les omnipraticiens. C'est la première fois. Les juges, même pendant la période où les salaires étaient bloqués, n'ont pas pris de retard comme le reste de la société; ils sont passés en tête du peloton. Et maintenant, on veut leur accorder une augmentation de 13 p. 100 sous prétexte qu'ils ont droit à un rattrapage.
Je vais vous lire le paragraphe 196 de la décision du juge en chef qui a déclenché toute cette démarche. Quand je vais lire le texte, vous allez le reconnaître immédiatement. Le voici:
-
Finalement, je tiens à souligner que le fait de garantir aux juges
une rémunération minimale acceptable n'est pas un moyen de les
protéger contre les effets de la réduction des déficits. Rien ne
serait plus dommageable pour la réputation de la magistrature et
l'administration de la justice que la perception que les juges ne
supportent pas leur part du fardeau en période de difficultés
économiques.
Et ça continue.
Selon votre rapport, les juges ont esquivé leur part des difficultés économiques, puisqu'il y est recommandé un rattrapage complet et absolu.
M. David Scott: Eh bien, j'ai répliqué à votre observation sur le rattrapage... Ce n'est pas du rattrapage au sens où vous l'entendez que nous avons mentionné dans notre rapport. Soit vous allez accepter notre rapport, soit vous allez le rejeter, mais nous parlons de deux choses tout à fait différentes.
• 1620
En ce qui concerne les statistiques, je soutiens encore que,
si un échantillon de dix personnes gagnant toutes 155 000 $ est
comparé à un autre pour une catégorie où les revenus varient, on
obtiendra toujours ce genre de résultat.
Au sujet de votre dernière remarque, nous avons fait cette recommandation essentiellement dans le but d'amener les meilleurs candidats à accepter d'être nommés juges. Autrement dit, l'objectif en fixant de tels salaires—et il en est question dans le jugement... Si vous regardez dans l'arrêt, par exemple aux pages 53 et 106. Au bas de la page 53, là où le juge en chef parle de la sécurité financière, il écrit dans les deux dernières lignes, que l'un des objectifs visés, c'est d'attirer à la magistrature «des avocats possédant une très grande compétence et une excellente réputation».
Notre commission a été inspirée par le fait qu'à moins de maintenir un certain rapport connu entre les revenus de ces avocats et ceux des juges—seulement un rapport—on ne réussira pas à attirer les candidats de ce calibre. Et c'est ce qui est arrivé. Pendant la période de blocage salarial, les revenus des juges se sont effrités, mais pas ceux des avocats très compétents, dotés d'une excellente réputation. Ce que nous proposons, donc, c'est de tenter de rétablir ce rapport. À tort ou à raison, c'est ce que nous recommandons.
M. Derek Lee: D'accord. Les avocats les mieux payés au Canada se trouvent surtout dans Bay Street. Est-ce que ce sont aussi les meilleurs avocats au Canada?
M. David Scott: Oui, sans conteste, ce sont parmi les meilleurs avocats au Canada.
M. Derek Lee: Que faites-vous de la rue principale de Moncton, de Halifax ou de Vancouver? N'y a-t-il pas aussi de très bons avocats là-bas?
M. David Scott: Certains des meilleurs plaideurs sont des avocats qui travaillent dans des petites localités et qui gagnent beaucoup moins d'argent que les avocats de Bay Street, mais néanmoins, leurs revenus sont souvent bien supérieurs à ceux des juges.
Dernièrement, j'ai plaidé dans le nord de l'Ontario contre un avocat remarquable. Parfois, les gens présument que ceux qui ne sont pas à Toronto ne sont pas de même calibre. C'est vrai qu'ils ne gagnent probablement pas autant que les avocats chevronnés de Toronto, mais ils gagnent néanmoins plus d'argent qu'un juge. Bon nombre des autres avocats de sa ville gagnent moins qu'un juge, mais je suis certain que les meilleurs avocats des petites localités ont un revenu supérieur à celui des juges—pas tous, mais bon nombre d'entre eux. Et ce sont les meilleurs avocats qu'on veut attirer à la magistrature.
M. Derek Lee: Je n'ai rien contre ça et je n'ai rien non plus contre des salaires élevés.
Vous avez dit que nous sommes libres d'accepter ou de rejeter votre rapport. Après avoir lu l'arrêt, on n'est pas certain d'avoir encore le choix et je ne suis pas certain non plus que ce soit la meilleure façon d'administrer un État. Mais ce n'est pas vous qui avez rédigé le jugement; vous n'avez écrit que le rapport. Nous sommes libres d'accepter ou de rejeter le raisonnement exposé dans le jugement, mais croyez-vous que nous ayons vraiment le choix?
M. David Scott: Personnellement, je pense que vous êtes obligés d'établir un organisme indépendant qui servira de filtre. La Cour a dit qu'il fallait une commission indépendante entre la magistrature d'un côté et le Parlement de l'autre. C'est ce que nous avons recommandé et, par la suite, la Cour a statué qu'il serait inconstitutionnel d'agir sans une telle commission. J'avoue donc que vous n'avez pas tellement le choix.
M. Derek Lee: D'accord. Les hausses salariales qui nous sont proposées s'appliquent aux juges nommés par le fédéral qui, si je comprends bien, forment la catégorie des juges les mieux payés au pays.
M. David Scott: C'est vrai.
M. Derek Lee: Est-il possible que l'arrêt de la Cour suprême, qui visait surtout les juges des cours provinciales au départ, ait été quelque peu faussé par la situation qui était un peu difficile pour ces juges des cours provinciales et que, si la Cour s'était penchée exclusivement sur la situation des juges nommés par le fédéral, qui sont rémunérés mieux et plus régulièrement, etc., elle aurait moins insisté sur une procédure fixe pour la rémunération de tous les juges, tant les moins rémunérés que les mieux payés?
M. David Scott: Je ne le crois pas, monsieur Lee, parce que le problème ne date pas d'hier. C'est toujours pareil. La Cour suprême n'a pas tenu compte des montants; elle s'est penchée essentiellement sur la procédure suivie. Bien des gens ont été très surpris par l'attitude de la Cour au sujet des taux de traitement, des réductions et du gel des salaires. La Cour suprême a foncièrement statué qu'une diminution globale de tous les salaires versés par le Trésor public, sous réserve de quelque limite sans doute mythique, se justifie.
Mais il y a aussi beaucoup de monde qui n'étaient pas du tout étonnés que la Cour suprême fasse une telle affirmation, surtout, bien entendu, les juges des instances inférieures qui ne sont pas arrivés aux mêmes conclusions.
M. Derek Lee: Votre Commission admet qu'un blocage des salaires équivaut à une réduction.
M. David Scott: Effectivement.
M. Derek Lee: Mais pourquoi, en l'occurrence, alors que nous avons vécu la pire récession depuis la crise de 1929, vos collègues et vous n'avez-vous pas admis la possibilité de bloquer ou de réduire les salaires des juges? En définitive, votre rapport est bien loin de le faire et il parle même plutôt de «rattrapage». Vous dites que le blocage équivalait à une réduction et vous refusez toute possibilité de réduction parce que ça dérègle certaines choses. Vous avez dit qu'il ne devait pas y avoir de réduction salariale pour les juges. Vous avez recommandé un rattrapage.
M. David Scott: Nous avons dit...
M. Derek Lee: La Cour a dit qu'elle était indépendante, qu'elle avait raison et qu'il nous fallait agir comme elle le dit.
M. David Scott: Je ne suis pas sûr d'être d'accord avec vous pour cette dernière observation. Mais tout d'abord, qu'a dit la commission? Elle a dit que les juges n'avaient pas eu d'augmentation de salaire depuis cinq ans. Voilà ce qu'elle a dit. On a donc recommandé une augmentation salariale. Les motifs de l'augmentation recommandée sont expliqués dans le rapport et je les approuve sans réserve.
Quant à la procédure recommandée par la Cour suprême, je ne vois franchement pas le rapport avec la question de savoir si une augmentation est justifiée ou non. D'après moi, ce sont deux sujets bien distincts. Franchement, ce qu'a fait la Cour n'est pas si étonnant. Elle a dit que pour préserver l'indépendance de la magistrature, il fallait supprimer les négociations entre la magistrature et l'État. Il faut mettre un mur entre les deux et trouver un moyen de faire faire, par un tiers indépendant, une évaluation des augmentations recommandées par le Parlement.
M. Derek Lee: Merci.
La présidente: Monsieur Telegdi.
M. Andrew Telegdi (Kitchener—Waterloo, Lib.): Merci, madame la présidente.
Laissez-moi vous dire que j'ai rencontré de nombreux avocats généreux qui sont prêts à faire ce sacrifice suprême pour devenir juges. Je dois dire que j'ai rencontré de très bons avocats dans ma ville qui sont prêts à le faire.
Moi, je ne suis pas avocat.
M. David Scott: Je crois que c'est un avantage de nos jours.
M. Andrew Telegdi: La majorité des gens qui sont ici sont en fait des avocats. Je pense que M. Ramsay et moi sommes les deux seuls à ne pas l'être.
J'accepte difficilement votre prémisse qu'il faut être capable de concurrencer les meilleurs avocats de Bay Street. Bien entendu, si on parle de revenus de 800 000 $, 700 000 $, un million de dollars ou le montant que gagnent les meilleurs de Bay Street, on est tout à fait hors course.
Permettez-moi d'aborder la question d'un autre angle. Je connais certains juges nommés par le fédéral qui ont commencé comme procureurs de la Couronne pour le gouvernement de l'Ontario avant d'être nommés à une cour provinciale puis à une cour fédérale. Laissez-moi vous dire que ceux qui ont suivi cette filière sont très respectés et réussissent fort bien. Voilà qui démolit l'argument qu'il faut concurrencer les revenus des avocats de Bay Street, puisque ces juges n'ont pas été recrutés là et qu'à chaque étape de leur carrière, ils ont obtenu des augmentations de salaire intéressantes.
• 1630
J'ai une autre question. Supposons que quelqu'un soit un
excellent avocat qui a décidé de faire du droit de l'environnement
et de se spécialiser dans ce domaine. Ce n'est pas pour l'argent
qu'il s'y intéresse, mais pour les causes à défendre. Il me semble
à moi que cette personne pourrait faire un excellent juge. Vous
pourriez aussi recruter parmi les professeurs de droit, que ce soit
du droit de la famille où ils pourraient exceller sans jamais
gagner des revenus comparables à ceux des meilleurs avocats de Bay
Street, et en étant sont néanmoins très bons dans leur domaine et
peut-être même parmi les meilleurs.
Je me demande si on a pensé à certains de ces... J'ai du mal à accepter que les salaires versés aux phénix de Bay Street servent de référence par opposition à la rémunération des avocats qui ont préféré d'autres domaines du droit où les revenus n'ont rien à voir avec ceux de Bay Street. Ça ne me rentre pas dans la tête. Je suis d'accord avec mon collègue pour qui ce 8 p. 100, c'est du rattrapage—c'est certainement l'impression que ça donne—et 5 p. 100, une augmentation.
Ça me paraît un peu irréel. J'aurais espéré que les juges, qui font partie de la communauté, fassent certains sacrifices comme les autres travailleurs de la société et comme les fonctionnaires. Il y a des fonctionnaires très compétents qui ont fait ce sacrifice. Je ne crois pas que ce sacrifice porterait atteinte à leurs droits ou à leurs fonctions judiciaires.
M. David Scott: Je vais répliquer à certaines de vos observations en commençant par dire que le système ne marche pas s'il y a seulement «quelques» très bons juges. L'accusé qui subit son procès et dont les droits seront évalués par un juge qui ne fait pas partie des très bons juges, ne va pas trouver le système terriblement efficace.
Donc, à mon avis, le système doit s'efforcer d'attirer systématiquement les meilleurs. Il pourrait arriver que les juges soient d'anciens procureurs de la Couronne. Vous avez raison— certains juges sont effectivement d'anciens procureurs de la Couronne et ils sont bons, mais on ne peut pas avoir une magistrature composée exclusivement d'avocats qui ont fait carrière comme substituts du procureur, ou de spécialistes du droit de l'environnement.
On pourrait former une magistrature avec des gens très bien, mais quand on a besoin du système, on veut les meilleurs. Quand je parle de Bay Street, je ne veux pas dire que c'est l'endroit où se trouvent tous les meilleurs. Il faut aller les chercher là où ils se trouvent. Quand on nomme des juges, on vise à recruter les meilleurs, pas seulement les gentils, les bons gars ou les honorables, mais les meilleurs.
Et pour attirer les meilleurs, il va falloir surmonter un obstacle d'ordre économique en réglant le problème des incitatifs pour encourager les candidats à la magistrature à faire un sacrifice monétaire. C'est un fait concret. En tant qu'avocat de pratique—et laissez faire la Commission, vous pouvez en parler à tous ceux qui plaident à longueur de journée—je peux vous dire que l'une des plus grandes difficultés, c'est que le système n'attire pas toujours les meilleurs, même aujourd'hui, et c'est pourquoi je refuse l'idée qu'on assouplisse les critères pour des considérations économiques.
Si j'ai pu vous donner l'impression qu'il fallait aller à Bay Street pour trouver les meilleurs, je m'en excuse. Ce n'était pas mon intention. Je voulais simplement dire qu'il fallait recruter les meilleurs où qu'ils se trouvent.
• 1635
L'autre jour, j'ai entendu parler d'un candidat que quelqu'un
essayait d'attirer à la Cour d'appel de l'Ontario. C'est vraiment
le meilleur avocat et si cette personne était nommée juge à la Cour
d'appel de l'Ontario, la population de la province serait
extraordinairement bien servie. Voilà ce qui nous motive: attirer
les meilleurs. Ça ne veut pas dire qu'il ne se trouve pas d'anciens
procureurs de la Couronne ou d'anciens professeurs de droit parmi
les meilleurs. Malheureusement, on ne peut pas avoir une
magistrature composée exclusivement de catégories d'avocats
choisies d'avance parce que leurs attentes pécuniaires sont plus
modestes.
Voilà donc comment je réagis à votre idée. On pourrait aussi très facilement dire qu'il suffit de regarder le dossier des candidats. Il y a une pléthore de candidats. La plupart d'entre eux sont intéressés parce qu'ils aimeraient bien avoir une pension. Quand on choisit des juges, on ne retient pas nécessairement celui ou celle qui veut être juge dans le seul but de toucher une pension.
Ça dépend donc du mode d'évaluation des meilleurs et des considérations qui les intéressent. Nous disons dans notre rapport que l'une des considérations, c'est l'argent.
M. Andrew Telegdi: Si l'on acceptait votre argument et qu'on voulait attirer à la magistrature la crème des avocats, à combien s'élèverait le salaire?
M. David Scott: Nous avons pensé à un système qui fixerait le traitement en fonction de l'indice de la rémunération pour l'ensemble des activités économiques, qui est prévu dans la loi, et en tenant compte du coût de la vie pour calculer l'indexation. Ainsi, sur 10 ou 15 ans par exemple, il y aurait un rapport constant entre le salaire des juges et les niveaux de revenu de nos meilleurs avocats. Nous avons constaté qu'il y avait maintenant un écart disproportionné. Si vous me demandez si cet écart était acceptable il y a quelques années, je vous répondrais que oui. Mais en ce moment, il ne l'est plus et c'est pourquoi nous recommandons une augmentation de salaire.
Vous n'arriverez jamais à me convaincre qu'une augmentation de salaire après cinq ans de blocage est inadmissible pour les juges du seul fait qu'ils sont des juges. Je ne sais pas quelles ont été les augmentations pour les sous-ministres, mais j'ai eu l'impression qu'elles étaient assez élevées. Donc, l'important en l'occurrence, c'est le rapport. Les juges ont accepté d'être nommés, la loi a prévu une formule d'indexation selon l'indice de la rémunération et c'est le mécanisme qu'il faut utiliser pour leur assurer au moins une indexation. Comme il n'y en a pas eu, nous recommandons une hausse des salaires.
M. Andrew Telegdi: Merci.
La présidente: Je reviens à M. Ramsay qui a droit à quelques minutes, puis je sais que M. DeVillers a une question. Quant à moi, ma question m'est revenue.
M. Jack Ramsay: Si on en arrive à une contestation judiciaire des salaires des juges—autrement dit, si la Commission présente une recommandation, que le gouvernement la rejette et qu'un juge estime que c'est injuste et intente une action devant les tribunaux—comme il s'agit de juges des cours fédérales, ne croyez- vous pas qu'il y aurait conflit d'intérêts, puisque le tribunal aurait à trancher une question qui l'intéresse directement?
M. David Scott: Oui, il y a un conflit d'intérêts. J'ai plaidé dans l'affaire Beauregard et c'était fantastique jusqu'à ce que j'arrive à la Cour suprême du Canada où j'ai perdu.
La présidente: On déteste ça, n'est-ce pas?
M. David Scott: Toutes les instances ont admis qu'il y avait conflit d'intérêts, mais il y a une théorie dite de nécessité qui vise de tels cas. S'il y a un litige au sujet des droits de la magistrature, en vertu de notre régime, quelqu'un doit trancher et, selon notre Constitution, c'est la magistrature elle-même. Donc, la doctrine de nécessité s'applique et elle signifie essentiellement que les juges doivent statuer, et la société acceptera le jugement selon que les juges sont crédibles ou pas. La Constitution a conféré certaines tâches à la magistrature, dont celle-là.
M. Jack Ramsay: La société n'a donc pas voix au chapitre.
M. David Scott: Eh bien, s'il y avait contestation des salaires proposés par le gouvernement, je présume que les parties au litige seraient le gouvernement d'un côté et, de l'autre, l'auteur de la contestation—probablement soit un groupe d'intérêts appuyant la magistrature, soit des juges, soit la conférence des juges—et ce serait aux juges de décider.
C'est vrai que, de ce point de vue, vous avez raison, monsieur Ramsay. Étant donné les parties en cause, il y a manifestement conflit d'intérêts. Les juges qui rendront une décision se prononceront par la même occasion sur leur propre traitement.
La présidente: Comme nous on le fait au Parlement.
M. David Scott: Mais bien entendu.
M. Jack Ramsay: Oui, mais la société a son mot à dire sur nos salaires puisqu'elle se prononce aux élections générales à tous les quatre ou cinq ans. Et on est très sensible aux résultats. C'est pourquoi les salaires des députés sont bloqués depuis même plus de cinq ans, si je ne m'abuse. Nous sommes très sensibles à l'opinion publique parce que nous devons rendre des comptes à l'ensemble de la société. À qui les juges ont-ils des comptes à rendre dans ce processus décisionnel?
M. David Scott: En fin de compte, les juges agissent selon leur propre intégrité intellectuelle pour préserver la crédibilité du système aux yeux de la population.
À mon avis, quiconque lit la décision du juge en chef va être impressionné. Moi, ça m'a impressionné. J'ai été étonné par les principes qu'il a présentés comme allant de soi. En fait, il a dit dans son jugement qu'une réduction générale était fondée à première vue si elle s'appliquait à tous ceux qui sont rémunérés par le Trésor public. C'est une position que les juges n'ont jamais adoptée avant. Auparavant, les tribunaux estimaient qu'on ne pouvait pas réduire le salaire des juges.
Je trouve que la Cour suprême a pris une position très responsable à cet égard. Elle a statué qu'on pouvait non seulement avoir une commission indépendante, mais aussi que cette commission indépendante allait devoir tenir compte de plusieurs faits. D'abord, il y a le critère de la rationalité au lieu des critères habituels de l'article premier. De plus, la Cour a affirmé que certains régimes de rémunération étaient rationnels à première vue—je pense que ce sont les mots mêmes du juge en chef—par exemple une réduction ou un blocage général des salaires.
Donc, vous avez raison, monsieur Ramsay. Il n'y a pas d'autres façons de faire. Autrement, la magistrature se range contre celui qui la paye, ce qu'on a toujours considéré comme une menace pour son indépendance.
M. Jack Ramsay: Mais la magistrature tient maintenant le gros bout du bâton, tout simplement parce qu'elle peut déclarer que la décision du Parlement, en l'occurrence, constitue une ingérence qui porte atteinte à son indépendance.
Je voudrais aborder une autre question. J'apprécie énormément votre opinion parce que j'ai l'impression que nous pénétrons dans un domaine inexploré. Du moins moi, j'ai l'impression que c'est tout nouveau. Je me préoccupe de l'indépendance des juges qui peut être compromise.
Vous avez fait allusion au régime d'assurance. Si j'étais juge dans une cour fédérale et que la Commission recommandait ainsi un régime d'assurance ou un autre avantage, mais que le Parlement du Canada rejetait la recommandation, j'aurais personnellement l'impression que c'est une atteinte à mon indépendance et je pourrais contester devant les tribunaux. Si je gagne, c'est parfait. Si je perds, je continue néanmoins de penser que la nature même de la décision à l'origine du projet de loi sape mon indépendance.
Qu'arrive-t-il à un juge d'une cour fédérale profondément convaincu qu'il y a eu atteinte à l'indépendance de la magistrature, quelle que soit la décision du tribunal?
M. David Scott: J'avoue que je ne vous suis pas. Je m'en excuse. C'est ma faute.
M. Jack Ramsay: Je vais essayer d'être plus précis. Je suis un juge d'une cour fédérale.
M. David Scott: D'accord.
M. Jack Ramsay: La Commission a recommandé au Parlement du Canada de m'accorder un avantage que je trouve tout à fait juste et équitable. Mais le Parlement du Canada rejette cette recommandation. J'ai la possibilité de poursuivre, de contester la décision devant les tribunaux, parce que je suis fermement convaincu que je mérite cet avantage. Même si le tribunal auquel je fais appel n'accueille pas ma demande, je continue de penser que le tribunal se trompe. Après m'être adressé à l'instance suprême, je demeure convaincu que les tribunaux font erreur et qu'il s'agit d'une ingérence politique. Je trouve que la décision du Parlement compromet mon indépendance comme juge. Qu'est-ce que je fais?
M. David Scott: Eh bien, c'est exactement ce qui s'est passé dans l'affaire Beauregard. Le juge Beauregard siégeait à la Cour d'appel du Québec. Le gouvernement a imposé une cotisation obligatoire au régime de pension. Il s'est donc adressé aux tribunaux. Son propre intérêt et celui des autres juges étaient en cause, et il a gagné. Les tribunaux ont statué que la décision était inconstitutionnelle parce qu'elle imposait ce qui équivalait à une réduction de salaire, de son salaire de juge. Le juge de première instance a statué que c'était inconstitutionnel et la Cour d'appel a confirmé ce jugement. Il y a eu appel à la Cour suprême du Canada qui a infirmé la décision. Selon elle, c'est une mesure— c'est-à-dire un régime de pension contributif—qui correspond à ce qui se passe dans tous les segments de la société et, donc, le juge Beauregard se trompe.
Nul doute qu'il n'est pas d'accord avec la Cour, mais je suis certain que ça n'a eu aucun effet sur son indépendance. Il était comme n'importe quelle autre partie à un litige. Il s'est présenté devant le tribunal, a tenté de convaincre ses confrères qu'il avait raison, mais il a échoué. S'il avait réussi—d'ailleurs, le juge en chef Lamer l'a fait remarquer. On peut soutenir que l'indépendance judiciaire est compromise soit quand on favorise la magistrature, soit quand on lui refuse quelque chose.
M. Jack Ramsay: Donc, la perte d'un supposé avantage ne constitue pas de l'ingérence politique susceptible de compromettre l'indépendance de la magistrature.
M. David Scott: La Cour suprême a dit que c'était certainement moins susceptible d'arriver s'il y avait un intermédiaire assez crédible pour dissiper toute impression que l'État tente de nuire à la magistrature par des mesures discriminatoires, puisque le pouvoir judiciaire est le troisième élément du gouvernement.
M. Jack Ramsay: Mais ne croyez-vous pas, monsieur Scott, que depuis la décision de la Cour suprême du Canada dans le renvoi de l'Île-du-Prince-Édouard, les juges des cours fédérales ont l'impression que le refus de leur accorder une augmentation de salaire ou un avantage, ou encore toute décision injuste, qu'il s'agisse de diminuer leur salaire ou de rejeter une recommandation de la Commission, est susceptible de compromettre leur indépendance à cause des arrêts rendus? On peut estimer que c'est de l'ingérence politique susceptible de compromettre l'indépendance de la magistrature.
Si un avocat de la défense qui plaidait devant moi me disait: «Juge Ramsay, je constate que le Parlement du Canada vous a refusé tel avantage et je soutiens que c'est une ingérence susceptible de porter atteinte à votre indépendance; par conséquent, je vous demande de rejeter cette cause.» Ça pourrait arriver avant même l'audition de la cause.
Peut-être que la décision du Parlement ne serait pas contestée, mais si un avocat de la défense présentait un tel argument, je me dirais qu'il n'a peut-être pas tort.
M. David Scott: Si l'argument était soulevé aujourd'hui, le juge n'aurait qu'à répondre que la Cour suprême du Canada s'est prononcée dans le renvoi de l'Île-du-Prince-Édouard et qu'il n'y a pas lieu de s'en faire.
M. Jack Ramsay: Mais je vous rappelle que moi, comme juge, j'en suis convaincu. Je crois que nous avons droit à cette augmentation, à cette assurance ou à cet avantage.
M. David Scott: Oui, et la raison pour laquelle la Cour a proposé cet organisme tampon, c'est pour contrer toute mesure arbitraire susceptible de miner l'indépendance d'un juge et la magistrature devra l'accepter. En fait, c'est avantageux à la fois pour le public et pour la magistrature. Les juges sauront qu'ils ont le droit de déterminer si une mesure est arbitraire ou non et la population saura exactement la même chose, car s'il n'y a pas de contestation et que les motifs sont rationnels, alors c'est que la mesure n'est pas arbitraire.
Quand je regarde les jugements de la Cour suprême du Canada, je vois qu'elle a seulement formalisé et rendu efficace le système dont tout le monde s'attendait qu'il soit mis sur pied pour la commission triennale. Cette commission allait présenter des recommandations que le gouvernement étudierait. Il était censé donner suite à ces recommandations. Or, il n'a donné suite à aucune des recommandations des cinq commissions.
M. Jack Ramsay: Je pense néanmoins que ça va plus loin.
La présidente: Jack, je veux que Paul pose sa question avant la fin de la réunion, sans parler de mes 82 questions à moi.
M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Merci, madame la présidente.
Monsieur Scott, il y a deux ou trois points que je voudrais que vous m'expliquiez. Premièrement, il y a les commentaires du juge en chef au sujet d'une réduction ou d'un blocage général qui serait acceptable parce que tout le monde est visé. Étant donné le libellé actuel du projet de loi et d'après la recommandation de votre Commission, s'il y a deux hausses successives de 4 p. 100, qu'on a qualifiées d'assimilables à un rattrapage bien que vous sembliez réticent à le faire vous-même, ne pourrait-on pas soutenir le contraire si toute la fonction publique obtenait elle aussi une forme de rattrapage? Ne pourrait-on pas faire valoir l'observation contraire à celle du juge en chef pour justifier une mesure de rattrapage applicable à toute la fonction publique?
M. David Scott: Autrement dit, ce serait de la discrimination en faveur de la magistrature.
M. Paul DeVillers: Oui, si une réduction ou un gel des salaires est justifié lorsque c'est d'application universelle, alors l'inverse pourrait aussi être vrai.
M. David Scott: On pourrait effectivement soutenir qu'une mesure est arbitraire dans les deux sens. Ce que vous voulez dire, en fait, c'est qu'il peut y avoir une mesure arbitraire avantageuse pour la magistrature et, selon le jugement, la question est de savoir si la mesure est rationnelle. Mais vice versa, la mesure serait-elle rationnelle s'il s'agissait d'une mesure discriminatoire arbitraire contre la magistrature?
Nous avons recommandé une augmentation du traitement des juges. C'est ce que nous avons décidé.
M. Paul DeVillers: D'accord. C'est à ce moment qu'intervient la qualification de rattrapage.
M. David Scott: Nous utilisons une formule qui est présentée comme une forme de rattrapage. Si on n'avait pas utilisé cette formule et qu'on avait recommandé une augmentation de 8 p. 100, où en serait-on?
M. Paul DeVillers: Toutes les autres catégories se présenteraient à tour de rôle pour négocier chacune une augmentation.
M. David Scott: En effet.
M. Paul DeVillers: C'est cette possibilité de qualifier l'augmentation de rattrapage qui m'inquiète car elle créerait un précédent pour les autres négociations.
M. David Scott: On aurait peut-être dû se contenter de parler d'une hausse de 8 p. 100 et alors on n'entendrait pas parler de toutes ces craintes.
M. Paul DeVillers: Mon deuxième point concerne la réponse à une question de la présidente. C'était une observation au sujet du nombre de personnes qui ont présenté leur candidature à la magistrature. Si j'ai bien compris, vous avez expliqué qu'il y a deux ou trois ans, beaucoup d'avocats se présentaient parce que l'économie tournait au ralenti et que les revenus étaient inférieurs. C'est bien ce que vous avez dit?
M. David Scott: Je dirais que la pratique du droit a changé de façon spectaculaire depuis dix ans. Dans certains secteurs et à certains niveaux, ce n'est plus aussi payant que dans le passé. C'est pourquoi certains avocats ont présenté leur candidature.
M. Paul DeVillers: C'est là que vous faites la distinction entre eux et les meilleurs qui ont des revenus supérieurs. Vous ne semblez pas préoccupé par cette tendance à la baisse du revenu moyen des avocats.
M. David Scott: Pas quand on veut les meilleurs. Si on me demandait de trouver en Ontario dix avocats prêts à être nommés juges, je n'aurais aucune difficulté à le faire, mais si l'on me demandait d'en trouver dix parmi les meilleurs, c'est une autre paire de manches.
M. Paul DeVillers: Donc, les meilleurs avocats n'ont pas subi la même perte de revenu que d'autres.
M. David Scott: Effectivement. Enfin, il est évident que dans certains cas, leurs revenus ont pu diminuer pendant la récession, mais comparé au traitement des juges, c'est insignifiant.
M. Paul DeVillers: D'accord.
Merci, madame la présidente.
La présidente: Monsieur Scott, je veux faire appel à vos lumières pour une question qui est hors sujet, mais j'en profite puisque vous êtes là.
Je sais que vous avez fait partie de comités qui étudiaient les candidatures à la magistrature. Je suis d'accord avec vous pour dire que nous avons besoin de la crème des avocats dans la magistrature. Je ne suis pas d'accord avec certains de mes collègues qui pensent qu'un comité parlementaire pourrait débusquer les meilleurs candidats. Je ne pense pas que nous ayons les compétences requises. Comme je tiens à avoir les meilleurs juges possible, j'aime votre idée d'un comité du milieu du droit dont les membres seraient qualifiés pour étudier les nominations à la magistrature.
Mais je ne suis pas à l'aise avec certains éléments de cette procédure. Premièrement, je refuserais de présenter ma candidature. Je n'ai pas l'intention d'être juge un jour de toute façon, mais si je le voulais, je ne serais pas enchantée de savoir que des gens vont scruter ma vie et mon dossier à la loupe, sans jamais savoir si David Scott me trouve apte ou non à devenir juge. Je trouve cette façon de procéder foncièrement injuste. Un avocat peut présenter sa candidature, mais si elle est rejetée, il ne le saura jamais et il n'y a aucun droit d'appel.
Deuxièmement, comme ce sont le ministre de la Justice et le premier ministre qui sont pris à partie lorsqu'un juge se plante, je n'aime pas l'idée que le ministre ne puisse pas reconsidérer la décision du comité, comme c'est le cas jusqu'à présent. Je n'aime pas cette recommandation parce qu'elle nie tout recours.
Troisièmement, et c'est relié au même problème, si une ministre ne peut pas dire qu'elle ne fera plus appel au comité et qu'elle ne dira jamais que la candidature de Shaughnessy Cohen a été refusée pour un poste à la Cour de l'Ontario (Division générale), parce qu'elle n'accepte pas cette décision et si elle insiste pour que le comité étudie la candidature à nouveau parce qu'elle trouve que c'est la meilleure candidate, je me demande s'il ne pourrait pas y avoir une révision judiciaire de la décision de la ministre. En l'occurrence, elle a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire si elle a décidé de n'accepter que les candidats approuvés par le comité.
Vous voyez avec quels principes je me débats.
M. David Scott: Ce sont des questions très intéressantes.
Si on se reporte 20 ans en arrière, au moment où les juges étaient nommés...
La présidente: Je peux me reporter 20 ans en arrière.
M. David Scott: Alors si nous nous reportons tous 20 ans dans le passé, on constate que le système d'alors est sans rapport avec le système actuel. Il n'y avait pas de candidatures, personne ne savait qui était qui. Les juges étaient nommés parce qu'ils connaissaient quelqu'un du parti au pouvoir. Ça se voyait comme le nez au milieu du visage.
Maintenant, revenons au système actuel et reprenons vos observations. Les choses se passent en privé parce que, si c'était public, ce serait la débâcle. L'objectif, c'est d'avoir des échanges francs et libres entre ceux qui sont consultés confidentiellement. Ce n'est pas comme si seulement une ou deux personnes étaient consultées. On consulte beaucoup de monde et on finit par obtenir une opinion assez constante. Quand c'est public, on n'obtient pas les mêmes informations.
La présidente: Mais vous et moi savons... Je ne devrais pas pointer du doigt. Je présume que vous savez comme moi que ces comités sont de vraies passoires et que les candidats à la magistrature disent souvent à des gens comme mes collègues et moi que leur candidature a été retenue par le comité, qu'ils sont recommandés et qu'ils voudraient avoir notre aide pour attirer l'attention du ministre et se faire nommer.
M. David Scott: Ça pourrait arriver mais ça n'arrivera pas.
La présidente: Mais ça arrive pourtant.
M. David Scott: Si vous m'assurez que ça arrive, c'est manifestement parce que des membres du comité dévoilent ces renseignements. C'est donc qu'ils ne sont pas à leur place.
Quand je faisais partie du comité, on faisait très attention à ça. J'avais plein d'amis qui me demandaient si leur candidature avait été retenue. Je répondais systématiquement que c'était confidentiel et qu'ils ne le sauraient que s'ils étaient nommés.
La présidente: Mais comment peut-on choisir des juges dans un système? Je ne connais pas la réponse mais je suis prête à vous écouter. N'allez pas croire que je suis tout à fait rébarbative. Je ne suis pas convaincue de l'intégrité du système s'il a été conçu pour être confidentiel et qu'il ne l'est pas. J'apprends assez facilement des renseignements que je devrais être incapable d'obtenir, à cause de la façon dont le système est organisé. Je n'accepte pas ça.
M. David Scott: C'est parce qu'on choisit mal les membres du...
La présidente: D'accord.
• 1700
Il y a un autre problème, à mon avis, auquel je ne trouve pas
de solution. Quand un candidat bon ou mauvais, voire médiocre, se
présente et est refusé ou n'est pas recommandé, que faut-il faire?
Comment ne pas dire à quelqu'un qu'on le juge inapte à devenir
juge?
M. David Scott: Je pense qu'il faut accepter que ces candidats ne soient pas recommandés. Pendant les trois années environ où j'ai fait partie du comité, nous avons dû étudier à peu près 80 dossiers de candidature et je sais que tel ministre aurait bien aimé nommer certaines de ces personnes qui n'ont pourtant pas été recommandées.
La présidente: Je n'ai aucune objection à...
M. David Scott: On a entendu parler du fait que ces candidats n'avaient pas été recommandés, mais grâce à l'intégrité du système, la décision n'a pas changé.
La présidente: Ça ne me dérange pas que ces candidats ne soient pas retenus. Ce qui me dérange, c'est que les candidats rejetés n'en soient pas avisés. Supposons, par exemple, qu'un membre du comité ne déclare pas un conflit d'intérêts parce qu'il a l'impression qu'il n'est pas en conflit en étudiant un certain dossier.
M. David Scott: Si on informait les candidats de la décision, il pourrait y avoir révision judiciaire et alors toute la procédure serait différente.
Autrement dit, si on avisait les candidats qu'ils ont été refusés, il y aurait possibilité de révision judiciaire et donc contrôle judiciaire et le système serait complètement paralysé. C'est un système pratique.
Bien franchement, il n'a qu'un seul défaut dont vous ne conviendrez certainement pas. Ce défaut, c'est que le cabinet du ministre demande au comité de sélection de dire si un candidat est recommandé, chaudement recommandé ou pas recommandé. Dans le meilleur des mondes, le ministre ne retiendrait que les candidats chaudement recommandés, parce que quand vous avez 80 dossiers à étudier, il arrive que certains des candidats recommandés ne soient pas parmi les meilleurs. Ils pourraient aussi être bien moins bons qu'on le pensait au départ. Cependant, si on s'en tenait aux candidats chaudement recommandés, il serait probable qu'on retienne les meilleurs seulement. Malheureusement, ça entraverait nettement l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre.
La présidente: Pouvez-vous répondre rapidement à la dernière partie de ma question, à savoir est-ce que la ministre entrave l'exercice de son pouvoir discrétionnaire quand elle dit qu'elle choisira parmi les candidats qui seront recommandés par le comité de sélection?
M. David Scott: Non, je ne pense pas, parce que je crois qu'elle fait partie du système. Elle ou lui, selon le cas, a approuvé cette façon de procéder, ce qui revient à dire que le choix sera fait parmi les candidats dont le nom figurera sur la liste établie par le comité.
Laissez-moi vous dire une chose comme avocat qui pratique ici. Depuis quatre ou cinq ans, cinq ou six nouveaux juges ont été nommés dans la région. Si on les compare aux juges nommés il y a 25 ans, leur apolitisme est frappant. Je serais étonné qu'un seul de ces nouveaux juges ait des liens étroits avec le Parti libéral qui est au pouvoir en ce moment. Le ministre ne serait pourtant pas à court de candidats.
Je sais que bien des candidats sont nommés sans avoir jamais fait de politique. Le système n'est pas parfait, parce qu'on ne choisit pas seulement parmi les candidats chaudement recommandés, mais il y a un monde entre le système d'aujourd'hui et celui du passé.
La présidente: Mais si je présente ma candidature—et je n'ai pas l'intention de le faire parce que ça ne m'intéresse pas...
M. David Scott: Il ne faut jamais dire «Fontaine».
La présidente: Pourtant, je vous l'assure. Si je présentais ma candidature et que le comité la rejetait, pourquoi n'aurais-je pas le droit de le savoir?
M. David Scott: C'est par souci de commodité. Si vous aviez le droit de le savoir, vous iriez devant les tribunaux pour plaider qu'on n'a pas respecter votre droit d'être entendue, et il faudrait alors constituer un comité que vous auriez le droit d'aller contre- interroger. Plus personne ne donnerait son opinion. Ce serait la paralysie totale. Il faut que ce soit confidentiel.
Ce n'est pas n'importe qui qui peut devenir juge. Peut-être qu'un jour je voudrai être juge et qu'on ne retiendra pas ma candidature. Alors il faut faire autre chose comme pratiquer le droit.
La présidente: Ou se présenter aux élections.
D'accord, c'était tout à fait hors sujet, mais je vous remercie d'avoir nourri ma réflexion.
M. Peter MacKay: Franchement, je pense que vous devriez soumettre votre candidature.
La présidente: Vraiment? Voulez-vous demander à M. MacKay combien gagne un procureur de la Couronne adjoint dans le comté de Pictou en Nouvelle-Écosse?
M. Peter MacKay: C'est moins de 40 000 $.
La présidente: J'avoue qu'à mon avis, personne du comté de Pictou ne devrait être nommé juge.
M. Peter MacKay: Nous avons de grands juges de cette région. Et vous avez nommé quelqu'un qui en venait.
La présidente: Je sais.
Il y a donc des écarts entre les régions dont nous n'avons pas parlé. Néanmoins, merci beaucoup, monsieur Scott. C'était formidable. On s'est amusés aussi.
M. David Scott: Merci beaucoup. Je me suis amusé aussi.
La présidente: La séance est levée.