NDVA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON NATIONAL DEFENCE AND VETERANS AFFAIRS
COMITÉ PERMANENT DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 12 mars 1998
[Traduction]
Le vice-président (M. Bob Wood (Nipissing, Lib.)): La séance est ouverte. Bonjour à tous et à toutes. Nous avons maintenant le quorum.
Le Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants poursuit ses audiences sur le bien-être général des forces armées.
M. Bertrand ne peut pas être avec nous ce matin. Pour citer mon collègue M. Proud—c'est une citation de l'armée de l'air—il a apparemment atterri «train d'atterrissage rentré» devant chez lui ce matin à cause du verglas et il s'est blessé au dos. Mais nous allons continuer en son absence.
Nous souhaitons aujourd'hui la bienvenue au professeur Gilles Paquet de l'Université d'Ottawa et au professeur Terry Copp de l'Université Wilfrid Laurier.
Sauf erreur, professeur Paquet, c'est vous qui allez prendre la parole en premier. Nous vous serions reconnaissants de limiter la durée de votre intervention à 10 ou 12 minutes—et cela s'adresse à vous aussi, Monsieur Copp—pour que nous ayons amplement le temps de vous poser des questions après vos exposés.
Vous avez la parole.
M. Gilles Paquet (Centre d'études sur la gouvernance, Université d'Ottawa): Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vous ai fait remettre un document d'une page que vous pouvez lire en français ou en anglais, comme vous préférez, afin de m'assurer que vous auriez au moins par écrit l'énoncé des principaux points que je veux aborder ce matin, au cas où je ne les formulerais pas aussi bien que je le voudrais.
Vous avez décidé d'étudier la question d'un contrat social entre les militaires, les citoyens et les politiciens, ce qui me semble une idée très importante. C'est important parce que nous arrivons maintenant au terme d'une époque pendant laquelle on pourrait dire que les forces armées ont été laissées à elles-mêmes, dans une sorte d'anarchie, et il me semble que cela ne sera probablement pas possible à l'avenir.
Je voudrais toutefois attirer votre attention sur un problème dont on traite dans le document plus long qui, je le sais, a été remis aux membres du comité, à savoir qu'un certain nombre d'hypothèses menacent de limiter considérablement la portée de vos travaux.
Je sais que l'on s'intéresse énormément au bien-être, dans le sens le plus étroit du terme, des pauvres officiers des forces armées. Nous savons, parce que cela a été rapporté par les médias, que des membres des forces armées ont recours aux banques alimentaires. Il est dangereux d'envisager la question purement sous l'angle d'un problème de revenu et d'emploi, car vous risquez ainsi de perdre de vue le fait qu'à mes yeux, le service dans les forces armées n'est pas—j'insiste sur cette négation—seulement un emploi. Comme on le disait quand j'étais jeune... je suis évidemment assez vieux pour me rappeler l'époque où les gens s'enrôlaient «dans le service».
Ce qui est vrai pour les forces armées, et même tout à fait vrai dans leur cas, l'est également pour les membres de la fonction publique en général. Je pense que le danger qui nous guette, c'est de nous pencher seulement sur le revenu et la situation financière des militaires, au lieu d'envisager globalement leur situation dans la société.
Quelles sont ces hypothèses dangereuses? Il me semble que nous ne savons plus quelle est la raison d'être des militaires. Avons-nous vraiment une force de combat? Est-ce plutôt une force de maintien de la paix? Ne pas poser ces questions, c'est simplement mal définir le problème.
Nous savons par ailleurs qu'il n'est plus possible pour les forces armées de vivre en autarcie. Il fut un temps où les militaires disaient aux politiciens de leur donner de l'argent sans poser de questions. Dans le nouveau monde qui est le nôtre, ce n'est plus possible. Même les militaires le savent. En se laissant tenter par l'illusion de recréer un statut spécial fictif sans préciser en quoi il consiste, on perpétuerait chez eux ce sentiment d'être à part, sans avoir suffisamment approfondi la question.
Tout cela pour dire que la situation nouvelle commande une nouvelle contrepartie. S'il y a effectivement accord de contrepartie, nous devons bien comprendre ce que nous exigeons des militaires pour savoir ce qu'il vaut la peine de leur donner en retour.
Il me semble qu'une simplification très dangereuse s'infiltre dans ce débat, à savoir que la question ne met en cause que les politiciens et les forces armées. Vous n'ignorez pas que la chute du général Boyle n'a pas été provoquée par les politiciens, mais bien par l'opinion publique. Les citoyens canadiens ont trouvé inacceptables les justifications qu'il leur a présentées. On se trompe lourdement si l'on s'imagine que les citoyens ne seront pas appelés à l'avenir à participer à la direction des forces armées.
• 0920
Quand les forces armées, pendant la tempête de verglas, sont
allées au Québec, elles y sont allées après des discussions avec le
gouvernement du Québec, lequel a insisté—tout à fait à juste
titre, semble-t-il—pour que les soldats ne soient pas armés. Par
conséquent, même les gouvernements provinciaux participent à
certains égards au système de direction des forces armées.
Le général Dallaire a été accusé en Belgique d'être responsable d'une foule de crimes. Des gouvernements étrangers exigent donc maintenant des comptes de nos forces armées.
Ce n'est plus le monde d'autrefois, dans lequel les militaires vivaient en vase clos et n'avaient de comptes à rendre qu'à eux-mêmes. Je trouve donc très dangereux que vous abordiez la question de leur rémunération ou de leur bien-être sans soulever aussi le problème de ce dont ils sont responsables.
Le danger tient aussi au fait que les forces armées sont tentées de déclarer, et déclarent effectivement que leur responsabilité est illimitée. Dans ce débat, si on le restreint aux politiciens, certaines personnes prétendent avoir une responsabilité illimitée et vous disent que la seule réponse possible est un engagement illimité.
Nous savons que vous n'êtes pas disposés à vous engager de la sorte, pas plus que la population. À moins d'écarter ces simplifications dangereuses et d'aller au fond du problème, c'est-à-dire de savoir exactement ce qu'on attend des forces armées—reconnaissant que dans ce nouveau monde qui est le nôtre, on est responsable non seulement envers le premier ministre et la Reine, mais aussi envers beaucoup d'autres parties, notamment les citoyens canadiens, je n'autoriserai des gens à porter des armes que si je crois qu'ils me sont moralement supérieurs. Par conséquent, la qualité des recrues en dit long sur la nature des forces armées.
À mon avis, les questions de ce genre doivent être abordées carrément dans le cadre de votre débat sur le contrat social. Je suis très inquiet à la pensée que ce débat pourrait porter seulement sur la paye et les conditions de travail.
Pourquoi suis-je d'avis que c'est faire fausse route de limiter ainsi le débat? J'ai essayé, dans le plus long de mes documents, de présenter quatre modèles de direction des forces armées.
Le premier, l'ancien, c'est l'autarcie: envoyez l'argent et ne posez pas de questions. Je suis convaincu que certains éléments des forces armées aimeraient bien revenir à cet ancien monde. Malheureusement, il n'existe plus.
Le deuxième modèle, qui est dangereux, c'est de voir les militaires seulement comme des employés avec lesquels on peut discuter. En fait, il a même été question qu'ils se syndicalisent. En fin de compte, c'est réduire dramatiquement le rôle des forces armées et de leur service que de tout ramener à un contrat de travail. Je suis de ceux qui croient que le danger qui nous guette, si nous faisons porter le débat uniquement sur ces questions salariales et d'avantages sociaux et de conditions de travail, c'est que cela peut rétrécir le contrat social au point qu'il ne serait rien de plus qu'un contrat de travail. À mes yeux, ce serait réduire dramatiquement le rôle des forces armées tel que je le perçois.
La troisième possibilité est d'essayer d'accorder aux militaires un statut spécial, de conclure un marché spécial qui n'est pas très bien compris. Je trouve que c'est également très dangereux, parce que dans tout cela, on oublierait de se demander savoir pourquoi diable nous voulons garder ces gens-là.
Le quatrième modèle est celui que j'appelle le «professionnalisme». Il s'agit de reconnaître que les membres des forces armées sont des professionnels. Tout comme les médecins, les avocats et d'autres professionnels, leurs conditions de travail ne sont pas seulement régies par de simples contrats de travail comme ceux qui s'appliquent aux employés ordinaires. Ils assument un fardeau professionnel qui est particulièrement lourd et important. Si nous comprenons cela, nous serons amenés à leur accorder des conditions de travail compatibles avec leur engagement, mais seulement si nous prenons la peine de définir en quoi consiste leur fardeau professionnel.
Alors, qu'allons-nous décider? Voulons-nous une force combattante, ou bien un service de maintien de la paix, ou encore de gendarmerie? Ce n'est pas à moi de le dire, mais nous devrions en discuter.
Il me semble qu'il faut reconnaître que les politiciens ont violé l'ancien contrat moral avec les forces armées. Je croyais que les forces armées avaient un contrat moral avec les citoyens: les militaires acceptent de faire le travail plutôt risqué qui consiste à mettre leur vie en danger pour nous. En contrepartie, nous leur donnons des ressources qui vont au moins les aider à réduire ce risque au minimum.
La politisation des débats aboutit par exemple à l'annulation du contrat pour l'achat d'hélicoptères. En tant que citoyen, je ne pouvais m'empêcher de trouver que l'on avait enfreint le contrat moral, que nous avions en fait décidé de ne plus leur donner un soutien maximal. Comme ces gens-là assumaient une responsabilité illimitée, nous avons décidé de rogner le plus possible et de ne leur fournir qu'un soutien minimal. Si c'est tout ce que nous pouvons leur offrir en fait de soutien, pouvons-nous nous attendre à un engagement suffisamment ferme? Je n'en suis pas certain.
• 0925
De nouvelles normes sociales ont été imposées aux forces
armées. Depuis la charte jusqu'à la base, tout a conspiré pour
rétrécir dramatiquement la mission des forces armées. La nouvelle
démocratie de participation a exigé de ces gens-là qu'ils rendent
des comptes. En écartant ces questions de portée générale, nous
risquons d'une certaine manière de laisser leur rôle se rétrécir
encore davantage, jusqu'à ce qu'ils ne soient plus que «des
employés comme les autres», sauf qu'ils auraient peut-être une
prime de risque.
J'ai le sentiment que, tout comme dans la fonction publique, mais à un degré extrême, nous devons accepter fondamentalement le fait que ces gens-là entrent à notre service. L'un des éléments importants qu'il faudra prendre en compte pour l'étude de votre contrat social, c'est le fait qu'ils perdent leur liberté. Ces gens-là donnent leur liberté. À bien des égards, ils n'ont pas le choix, ils doivent déménager ici et là et réagir à une foule de paramètres. C'est beaucoup plus fondamental que de simplement mesurer l'indice des prix à la consommation et d'indexer leur salaire pour qu'il soit proportionné à tel ou tel facteur.
Il sera nécessaire de tenir compte de ces questions centrales pour établir un contrat moral ou social avec les militaires, un contrat mettant en cause les citoyens, un contrat exigeant de reconnaître que les provinces existent et qu'elles sont devenues parties prenantes dans la direction des forces armées, et un contrat qui reconnaît que dans nos missions sur la scène internationale, d'autres pays se sentent maintenant libres de faire des commentaires à l'endroit de nos forces armées. Dans ce monde beaucoup plus vaste, nous devons définir les règles du jeu et il me semble que votre comité a un rôle important à jouer à cet égard.
Quant à savoir si cela peut se faire, j'ai essayé de soutenir dans le document—cet argument ne vous semblera peut-être pas convaincant—que tout changement à la culture d'une organisation aussi vaste que celle-ci exige 5 000 jours. Pour beaucoup d'entre vous, 5 000 jours, cela peut sembler très long. D'après ce que je peux en juger, cela représente à peu près l'espérance de vie qu'il me reste. Si je peux m'attendre à vivre tout au plus 5 000 jours dans le meilleur des cas, est-ce trop demander que d'espérer que l'on puisse, pendant cette période, faire certaines des réformes que je propose? Je ne le crois pas.
M. John Richardson (Perth—Middlesex, Lib.): J'espère que vous avez une quelconque garantie relativement à cette période de 5 000 jours.
M. Gilles Paquet: Merci beaucoup, monsieur le président.
Le vice-président (M. Bob Wood): Merci pour votre point de vue très intéressant. Je suis sûr que nous aurons beaucoup de questions à vous poser le moment venu.
Nous entendrons maintenant M. Copp. Monsieur, vous avez la parole pour 10 ou 12 minutes.
M. Terry Copp (codirecteur, Centre Laurier d'études militaires stratégiques et sur le désarmement, Université Wilfrid Laurier): Merci beaucoup.
J'ai adopté dans mon document une approche quelque peu différente de celle de mon collègue. C'est une optique peut-être plus limitée, mais aussi peut-être plus centrée sur un objectif immédiat. Je voudrais d'abord énoncer clairement la prémisse sur laquelle j'ai fondé mon analyse, qui est du genre de celle qu'on peut attendre de la part d'un historien ordinaire qui veut analyser une situation.
Premièrement, je suppose que nous fonctionnons dans le cadre du livre blanc de 1994 et que nous définissons les forces armées, leurs rôles et leurs missions telles qu'elles existent dans les faits aujourd'hui. Si le gouvernement publie un nouveau livre blanc qui redéfinit les forces armées d'une façon fondamentalement différente, alors une bonne partie des observations que je vais faire aujourd'hui deviendront, à ce qu'il me semble, largement non pertinentes et devraient donc être écartées. Tout au moins, il faudrait les actualiser. C'est ma première prémisse.
Ma deuxième prémisse découle en particulier d'une étude comparative de ce qui se passe dans les forces armées britanniques et américaines. Personnellement, je suis convaincu que s'il y a de graves problèmes dans les Forces canadiennes, ce sont probablement des problèmes qui ne pouvaient manquer d'émerger dans une organisation qui a subi un stress aussi intense que celui qu'ont subi les Forces canadiennes au cours de la dernière décennie. Des compressions d'effectifs de plus de 30 p. 100; un bouleversement complet de tout l'environnement international alors que les militaires avaient été entraînés, équipés et s'étaient forgés une doctrine convenant à un environnement international maintenant dépassé; l'obligation, pour les officiers supérieurs, de gérer, pour reprendre cette horrible expression qui est à la mode, «la restructuration des forces armées», qui n'était bien sûr, en réalité, rien d'autre qu'une réduction massive de la taille des forces armées; les carrières tronquées et l'impression que beaucoup de jeunes gens qui se sont joints aux forces armées pour y faire une certaine carrière se retrouvent maintenant dans un environnement très différent—pour être très bref, je dirai qu'à mon avis personnel, les Forces canadiennes ont superbement réussi dans leur tâche de s'adapter aux énormes changements qui leur ont été imposés.
• 0930
Je signale également dans mon document que je ne souscris pas
à l'opinion véhiculée dans les médias, selon laquelle il y a une
crise de leadership dans les Forces armées canadiennes. Je le
répète, il me semble très clair que, compte tenu des défis énormes
qu'elles ont dû relever depuis cinq ou six ans, les forces armées
se sont très bien débrouillées.
En fait, je crois qu'il est faux de dire que des incidents comme ceux qui se sont produits en Somalie sont attribuables à la culture des forces armées, parce que, selon ma vision profane du monde, je trouve que dans la plupart de ces affectations, que ce soit à Haïti ou ces dernières années à Chypre ou en Bosnie ou dans des dizaines d'autres endroits où les Forces armées canadiennes sont déployées, notre bilan est excellent et nos alliés le reconnaissent. Les meilleurs juges de la performance des Forces canadiennes sont leurs homologues dans d'autres régions et je soutiens simplement que les Forces canadiennes sont considérées très compétentes et d'un professionnalisme irréprochable par leurs homologues.
Je ne peux m'empêcher de remarquer que si la culture des Forces armées canadiennes et si les chefs des Forces armées canadiennes produisent des résultats favorables dans la plupart des cas, et même en fait dans presque tous les cas, et ne produisent des résultats difficiles à défendre ou à expliquer que dans des cas isolés, alors une simple analyse permet de dire que ce n'est probablement pas la culture ou l'institution ou le leadership qui est en faute, mais plutôt la situation spécifique qui exige une étude de cas. Donc, si vous ne partiez pas de ces prémisses, les arguments que je fais maintenant seraient bien sûr très différents.
Fondamentalement, je soutiens que la notion d'un contrat social—je préfère l'expression «charte du service militaire»—vaut la peine d'être étudiée cette année par le comité et j'ai d'ailleurs suggéré un libellé pour un tel contrat ou énoncé. J'ai délibérément utilisé des mots simples. Je n'ai pas tenté de faire dans le grandiose, parce que j'ai pensé que chacun s'y essaierait, mais j'accepte que la notion d'un énoncé relativement simple de la part du gouvernement du Canada au nom de la population du Canada, à l'intention des hommes et des femmes qui servent dans les Forces armées canadiennes, est un objectif souhaitable à court terme.
Ensuite, comme on m'avait demandé de le faire, j'ai énoncé une série d'options qui, me semblait-il, devaient être envisagées.
La première consiste simplement à établir une charte du service militaire ou un contrat social. J'ai exposé cette possibilité dans le document et je ne me répéterai pas ici.
La deuxième option que je présente est celle de la syndicalisation. Je dois dire qu'à notre symposium, l'un de mes amis et collègues, le professeur Marc Milner de l'Université du Nouveau-Brunswick, a consacré la totalité de son exposé à la question de la syndicalisation des forces armées, et je pense qu'il a présenté un bon plaidoyer en sa faveur.
Personnellement, à titre d'historien occasionnel des relations ouvrières et à titre d'universitaire qui s'adonne de temps à autre à l'étude de ces questions, je ne suis pas contre le principe de la syndicalisation. Je crois simplement que dans le contexte de la fin des années 90, compte tenu des changements qui se produisent dans les forces armées, il est tout simplement peu probable que cela se fasse dans un environnement que je peux comprendre et j'ai donc décidé de mettre cela de côté. Ce n'est pas une idée absurde; ce n'est tout simplement pas une idée qui, à mon avis, devrait être examinée dans l'immédiat.
Dans ma troisième option, je dis que le contrat social devrait prendre la forme de la déclaration que j'ai déjà mentionnée et s'accompagner de ce que j'appelle, pour simplifier, une initiative de qualité de vie. Dans une partie assez longue du document, j'expose les mesures qui ont été prises dans les forces armées des États-Unis, dans le cadre d'une initiative présidentielle sur la qualité de la vie, et qui consistent en une série de changements qui sont apportés dans l'armée et dont on fait grand état au Sénat, à la Chambre des représentants et même devant la population américaine.
Je fais ensuite remarquer qu'en réalité, les Forces armées canadiennes, à leur propre manière effacée, ont suivi un programme parallèle. On ne l'a pas présenté comme une initiative de qualité de la vie. Il n'a pas non plus reçu la bénédiction du premier ministre, comme les Américains ont eu celle du président Clinton, et ils n'ont pas mis à contribution les chefs de file du Sénat et de la Chambre des communes, mais dans un certain nombre de domaines, les Forces armées canadiennes ont pris des mesures pour remédier aux problèmes les plus flagrants et les plus graves auxquels elles sont confrontées.
Je suggère ensuite, dans la quatrième option, la possibilité de la déclaration d'un contrat social qui s'accompagnerait de négociations collectives volontaires. L'un des autres conférenciers, le Dr Donald Savage, ancien directeur général de l'Association canadienne des professeurs d'université, a fait un exposé détaillé fondé essentiellement sur une analyse de l'Association des membres de la GRC et a laissé entendre qu'une association de ce genre pourrait fort bien servir de modèle pour discuter de questions comme la qualité de vie, les salaires, les conditions de travail, etc. D'après M. Savage, l'expérience acquise à l'Association des membres de la GRC démontre que c'est un système qui a connu un éclatant succès, qui n'a pas perturbé la chaîne de commandement ni causé d'autres problèmes de moral dans les effectifs.
• 0935
Je conclus en disant que personnellement, compte tenu de la
conjoncture en 1998, je choisirais l'initiative de qualité de vie,
accompagnée de la déclaration d'une charte du service militaire par
le gouvernement du Canada. À mon avis, les forces armées subissent
constamment des changements, et le fait de créer ces systèmes, de
mettre en place les systèmes voulus pour permettre la négociation
collective volontaire selon le modèle de l'association des membres
en 1998-1999, imposerait un stress encore plus intense à une
organisation qui réagit constamment à de nouveaux changements.
Enfin—j'espère avoir réussi à m'en tenir à dix minutes—je fais des suggestions sur la façon dont on pourrait s'y prendre pour faire cette déclaration de contrat social ou établir la charte du service militaire sur des bases assez solides qui ne seraient pas une simple déclaration floue. Je crois qu'à l'heure actuelle, seulement deux options s'offrent à nous. L'une consiste à faire une déclaration dans le cadre d'un texte législatif, d'une disposition prépondérante—et je ne vais pas donner aux parlementaires des instructions sur la façon de s'y prendre exactement, parce que je suis certain que vous en savez plus long que moi à ce sujet.
La deuxième approche que je suggère est de suivre le précédent créé par l'initiative prise par le premier ministre en 1995, lorsqu'il a présenté une motion à la Chambre des communes et au Sénat en vue de reconnaître le Québec comme société distincte au Canada. Cette motion ayant été adoptée à la fois à la Chambre des communes et au Sénat, elle a acquis une stature telle qu'il ne s'agissait plus d'une simple déclaration d'intention. Je crois que si le comité pouvait se mettre d'accord et recommander un texte de déclaration de contrat social ou de charte du service militaire, il faudrait alors pour mettre cela en vigueur une résolution conjointe... pardon, pas une résolution conjointe. La bonne façon de s'y prendre serait de faire adopter une résolution par la Chambre des communes et une résolution par le Sénat du Canada appuyant la charte du service militaire.
Merci.
Le vice-président (M. Bob Wood): Merci.
Je sais que bon nombre de membres du comité veulent poser des questions au professeur Paquet et à vous, professeur Copp, et nous allons donc passer sans plus tarder aux questions.
[Français]
Nous commencerons par Mme Bujold du Bloc québécois. Madame Bujold, vous avez 10 minutes.
Mme Jocelyne Girard-Bujold (Jonquière, BQ): Je vous remercie beaucoup. Je viens tout juste de prendre connaissance de vos rapports mutuels. Ce n'est pas habituellement moi qui participe aux séances de ce comité. Vos exposés ont été pour moi une source d'interrogation.
Professeur Paquet, vous avez proposé quatre modèles et fait des constats par la suite. J'aimerais que vous repreniez ces quatre modèles très distincts, que vous en fassiez une synthèse et que vous me disiez plus précisément ce qu'on pourrait faire pour aller encore plus loin en vue du symposium qui aura lieu sous peu.
M. Gilles Paquet: Comme le mentionnait mon collègue, le professeur Copp, ce symposium a été organisé par les Forces armées en janvier. On a demandé à un certain nombre d'entre nous d'examiner un peu les possibilités de modèles de contrat social. Il n'y a pas de différence fondamentale, à mon avis, entre la position que je défends et celle de mon collègue, le professeur Copp. Le contenu de la déclaration dont il parlait est très important parce que le cadre dans lequel oeuvrent les Forces armées est en train de changer.
Peut-on penser à réduire le statut des gens de l'armée à celui de simples travailleurs ordinaires? C'est un des modèles que je rejette. Je m'y oppose parce que ce n'est pas un simple modèle de marché du travail comme celui de menuisier ou de regrattier. C'est un modèle qui ne s'applique pas et il serait dangereux de réduire ainsi leur statut.
L'autre modèle extrême est celui de l'autarcie complète, lequel permettrait aux Forces armées de continuer, comme auparavant, à exercer une autorité entièrement limitée à leurs propres lois, l'État dans l'État. On aurait dit cela au Québec d'Hydro-Québec à un moment donné.
• 0940
Ce modèle-là n'est pas pensable, lui non plus, en raison
des formes de relations qui existent avec le reste de
la société et qui ont changé dans une démocratie où les
partenaires ont un peu plus de droit de regard.
On a cherché, dans un troisième modèle, à savoir s'il fallait leur donner un statut particulier. C'est un langage qu'on a utilisé à toutes les sauces et qui nous évite d'aller au fond des choses. On peut dire qu'on vous donne un statut particulier sans vous dire pourquoi. J'ai pensé que cela pourrait en partie résoudre le problème, mais pas complètement. Il m'a semblé qu'il fallait reconnaître que ce modèle du militaire professionnel est le plus valable. Il s'agit alors de définir ce qu'on attend de ces gens-là, ce qui n'est pas clair du tout pour le moment. Comme l'indiquait très bien mon collègue, M. Copp, quand on continue à sabrer dans les ressources d'un groupe et qu'on lui demande de tout faire comme si de rien n'était, il est très clair qu'il est impensable de s'attendre à ce que cela continue indéfiniment. Il faudra que le gouvernement canadien, qui ne cesse de réduire les ressources des Forces armées, en arrive à décider ce qui lui semble le plus important et ce qui ne l'est pas.
Deuxièmement, il me semblait important de reconnaître que lorsque nous discutons de la rémunération et des conditions de travail des militaires, il ne faut pas nous limiter à un cadre strict de convention collective. Mon collègue, le professeur Copp, parlait d'une approche à deux volets: d'une part, la déclaration générale qui me semble être importante et, d'autre part, une sorte de négociation collective plus ou moins générale qui pourrait être plus souple que celle que mènent les syndicats, mais semblable à celle que la Gendarmerie royale du Canada a retenue.
L'important pour moi, c'est que la déclaration soit particulièrement claire dans la reconnaissance du fait qu'on demande aux gens qui entrent dans les Forces armées de laisser tomber une partie de leur liberté et qu'on accepte de payer ce que ça coûte et d'offrir des conditions de travail raisonnables. D'autres pays ont convenu depuis longtemps de ce besoin d'une sorte de reconnaissance du contrat moral entre les Forces armées, le politique et les citoyens.
Je précisais ce que la définition de cette déclaration englobait. Par exemple, lorsque je dis que je voudrais pouvoir dire que je n'accepte pas que des gens portent les armes dans mon pays à moins qu'ils soient moralement et éthiquement supérieurs au citoyen moyen, cela sous-tend évidemment des problèmes au niveau de la sélection et des qualités générales de ces troupes, lesquelles peuvent être ou ne pas être là, mais qui seront dictées par une déclaration qui va imposer cette direction.
C'est pourquoi il me semble dangereux de réduire cela à un problème de convention collective ou de négociation salariale, encore que ces problèmes-là soient incontournables. Je voudrais toutefois qu'on les mette en contexte. Il y a convergence à ce niveau avec mon collègue, le professeur Copp, qui soumet l'idée d'une déclaration très claire qui définisse très bien ce qu'on attend de nos Forces armées et qui devienne la base d'un contrat moral ou d'une charte qui est importante et qui va définir le quid pour le quo.
Découlant de cela, il y aura des conditions de travail et des conditions salariales qui vont nous sembler raisonnables pour ce genre de travail. Le danger, à mon avis, de s'en tenir à la deuxième étape seulement et de tomber purement dans la convention collective, c'est qu'on n'ira pas au fond des choses et qu'on n'aura pas la chance de redéfinir ce qu'on attend de nos Forces armées.
[Traduction]
Le vice-président (M. Bob Wood): Vous avez encore du temps.
[Français]
Mme Jocelyne Girard-Bujold: Je reviendrai plus tard.
[Traduction]
Le vice-président (M. Bob Wood): Bon, je vais donner la parole à M. Proud pour dix minutes.
M. George Proud (Hillsborough, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. J'ai trouvé vos exposés très intéressants, surtout quand vous avez parlé du rôle des forces. Comme vous l'avez dit, professeur Paquet, je crois que nos travaux portent sur bien d'autres choses que l'argent et les conditions de vie. Et je suis entièrement d'accord, professeur Copp, pour dire que le gouvernement devrait faire une déclaration quant à ce que nous attendons des forces armées et à ce que les militaires peuvent attendre du gouvernement.
Bien sûr, le problème est que depuis peut-être 50 ans, les gouvernements ont fait trop de déclarations en sens contraire. Pendant l'examen de la défense en 1994, je disais au comité et à qui voulait m'entendre que dès qu'un gouvernement est en difficulté financière et doit faire des compressions, l'une de ses premières cibles est le ministère de la Défense, et la plupart du temps, le public et les groupes d'action sociale s'en réjouissent énormément. Mais je crois que les gouvernements ne regardent jamais plus loin, qu'ils ne pensent jamais à examiner l'aspect social, les hommes et les femmes en uniforme, les gens, comme vous le dites, dans la réserve et dans la salle d'exercice. On ne va jamais au fond des choses.
• 0945
J'ai toujours dit qu'il n'est pas difficile de convaincre le
public de l'importance d'avoir des forces armées solides. Le
problème est d'en convaincre les banquettes ministérielles. Je
pense que c'est l'une des raisons de l'existence du comité
aujourd'hui—nous sommes chargés d'étudier le problème avec lequel
nous sommes aux prises. Depuis 50 ans, depuis la fin de la Seconde
Guerre mondiale, chaque fois que l'on fait des compressions au
Canada, l'une des premières cibles a toujours été le ministère de
la Défense nationale. Nous avons toujours dit aux hommes et aux
femmes en uniforme qu'ils devaient se contenter de ce qu'ils
avaient, et ils se sont extraordinairement bien débrouillés avec
cela au cours des dernières années.
Je ne crois pas que l'on ait été juste. Je crois que les partis au pouvoir doivent faire une quelconque déclaration—et pas un seul parti ne l'a fait depuis 50 ans—et que nous devons examiner ce que nous pouvons faire pour ces hommes et ces femmes quand nous disons «Voici ce que nous attendons de vous et voici ce que vous pouvez attendre de nous», parce que ces gens-là jouent un rôle spécial dans notre société. Vous êtes tous les deux professeurs et vous avez sans nul doute déjà entendu un adage qui date de bien longtemps et selon lequel le moyen le plus rapide de perdre sa souveraineté, c'est de renoncer à ses forces armées.
Quoi qu'il en soit, je pense que nous sommes très chanceux ici au Canada d'avoir au sud de nos frontières un voisin qui ne laisserait pas une telle chose se produire chez nous, non pas parce qu'il forme le plus grand peuple au monde, quoique je crois qu'il l'est effectivement, mais surtout parce que cela pourrait aussi lui arriver. Je pense qu'il le ferait dans son propre intérêt.
Nous avons eu tendance à nous en accommoder depuis 50 ans, et même avant la Seconde Guerre mondiale. Nous avons laissé nos forces armées se réduire au minimum et ensuite nous en avons payé le prix, nous dit-on, lorsque la Seconde Guerre mondiale a commencé, parce que les soldats n'étaient pas bien entraînés et nous avons subi inutilement de lourdes pertes.
Je crois que le comité a un rôle vital à jouer pour tracer l'avenir de nos forces armées. Nous étudions les problèmes sociaux auxquels nos soldats sont confrontés, mais je suppose que je voudrais vous demander si vous êtes d'accord, dans une certaine mesure, avec ce que je dis, c'est-à-dire que nous devons aller plus loin, que nous devons examiner ce que les gouvernements ont fait au fil des ans.
Si nous voulons sérieusement avoir des forces armées qui sont aptes au combat et bien équipées, alors notre gouvernement doit prendre un engagement envers nos militaires, afin qu'ils puissent fonctionner sans crainte... comme l'un de vous l'a dit, les jours sont révolus où l'on disait simplement «envoyez-nous l'argent et nous allons faire notre travail». Ce ne sera plus comme cela, mais il doit y avoir un moyen pour nous de prendre un engagement. Nous avons essayé de le faire en 1994 au comité mixte. L'une de mes suggestions était que nous nous engagions à consacrer 1,5 p. 100 du PIB au budget des forces armées. Cela n'a pas passé, évidemment, mais je pense que la suggestion en valait la peine.
D'après les commentaires que j'ai faits sur cette question, je suppose que le problème qui se pose à nous et au comité est le suivant: comment les convaincre qu'ils n'ont pas le choix, qu'ils doivent le faire?
Merci.
M. Terry Copp: Je suis d'accord avec ce que vous dites. Dans mon mémoire au comité, je soulève justement le point que le chef d'état-major de la Défense a soulevé devant vous: si, par exemple, le comité devait recommander une augmentation de salaire, surtout pour les caporaux et les soldats qui semblent en avoir grandement besoin, les militaires ne peuvent tout simplement pas accorder cette augmentation à même leur budget actuel. Comme le général Baril l'a dit, il faudra que l'argent vienne de l'extérieur de l'enveloppe qui est actuellement accordée à la Défense nationale, parce que si l'on prend l'argent dans cette enveloppe d'environ 9 milliards de dollars, alors il faudra faire des compressions dans l'entraînement, l'entretien et une foule d'autres domaines.
En fait, dans mon document, j'esquisse une situation dont je suis certain que vous avez déjà entendu parler, à savoir que même dans ces circonstances, c'est-à-dire si l'on accordait des fonds additionnels pour une augmentation de salaire, étant donné les problèmes auxquels les militaires sont confrontés dans le cadre d'un budget fixe et surtout les pressions qui s'exercent actuellement sur ce budget, il faudra que quelque chose cède quelque part. Ou bien on achète du nouveau matériel et l'on n'a plus d'argent pour l'entraînement, ou bien l'on concentre les efforts sur l'entraînement pour avoir le degré de préparation le plus élevé possible, et l'on sacrifie ailleurs. À court terme, il faudra faire d'autres changements. Voilà les exigences que nous imposons aux militaires.
• 0950
Je suis tout à fait d'accord avec vous, parce que j'ai étudié
l'histoire des Forces armées canadiennes. Nous avons fait subir
cette situation à maintes reprises aux Forces armées canadiennes,
puis une crise a surgi. Alors nous leur avons dit «Écoutez, les
gars, allez-y. Vous devez y aller, vous devez faire votre travail.
Nous sommes désolés de ne pas vous avoir aidés à vous préparer l'an
dernier, mais aujourd'hui, c'est aujourd'hui, alors mettez-vous au
travail». Il faut reconnaître le très grand mérite des Forces
armées canadiennes, qui ont toujours réussi, d'une manière ou d'une
autre, à être à la hauteur des exigences et à aligner sur le
terrain une force à peu près passable.
M. Gilles Paquet: Je pense que vous avez raison et il me semble que la raison pour laquelle nous avons agi de la sorte, c'est que personne ne nous a jamais reproché d'avoir violé notre contrat moral avec les forces armées. Le professeur Copp est probablement plus optimiste que je ne le suis; pour ma part, voici comment je vois le compromis: ces gens-là sont prêts à donner leur vie et à assumer d'énormes responsabilités personnelles, mais si nous commençons à être chiches envers eux, j'ai l'impression qu'ils ne seront peut-être plus prêts à le faire la prochaine fois.
Il suffit de lire les journaux pour voir que les forces armées perdent leurs pilotes. Ils n'ont pas assez de pilotes pour accomplir toutes les tâches dans notre pays, parce que le salaire est très inférieur à ce que le secteur privé offre aux pilotes compétents. Si ces gens-là sont compétents et que nous leur demandions en plus de sacrifier leur liberté, tout en leur offrant une petite fraction du salaire qu'ils pourraient toucher ailleurs, on comprend facilement pourquoi ils s'en vont ailleurs.
Mais la question fondamentale, c'est la définition de ce contrat moral. Ce qui m'inquiète le plus, c'est que la dernière fois qu'il y a eu débat dans le dossier des hélicoptères, je n'ai pas entendu un mot de la part des banquettes ministérielles ou même de l'Opposition au sujet de l'engagement envers ce contrat moral conclu entre les citoyens et les politiciens, d'une part, et les forces armées, d'autre part. Je crois que l'avantage d'une déclaration, bien que ce puisse être une formule creuse, c'est que l'on pourrait aussi utiliser cette déclaration à rebours, pour faire honte aux politiciens qui pourraient choisir la voie de la facilité et rompre ce contrat à leur guise.
M. George Proud: Je pense qu'il y a eu un tollé à ce sujet, autant des banquettes ministérielles que de celles de l'Opposition. Je pense que le public n'a pas bougé, mais c'est bien sûr le problème qui se pose. L'une de nos questions, c'est de savoir comment rejoindre le public à ce sujet. En tant que députés, nous devons déployer de plus grands efforts dans ce domaine. Nous avons essayé de le faire après notre étude sur la défense en 1994. Certains ont obtenu une couverture médiatique à ce sujet, d'autres n'y sont pas parvenus. C'est une question qui revêt une grande importance à nos yeux, en tout cas à mes yeux, de savoir que les gens sont convaincus que les militaires ont besoin de meilleur matériel, de plus d'argent, etc.
Un autre thème qui revient toujours dans mes discussions avec les officiers supérieurs et la haute direction des forces armées, c'est bien sûr qu'à mon avis, ils pourraient aussi être un peu plus responsables et dépenser leur argent plus judicieusement. D'après tous les rapports qui nous parviennent à ce sujet, je trouve qu'ils ont un petit problème de ce côté également.
Cela dit, monsieur le président, je vous remercie.
Le vice-président (M. Bob Wood): Je donne la parole à M. Pratt, après quoi nous reviendrons à Mme Girard-Bujold.
M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.): Merci, monsieur le président.
En écoutant vos exposés, messieurs les professeurs, il m'a semblé déceler ne serait-ce qu'un léger désaccord entre vous au sujet du rôle des forces armées. Professeur Copp, vous semblez vous fonder sur le livre blanc pour définir en quoi consisterait ce contrat social. Professeur Paquet, vous semblez poser plus de questions quant au rôle des forces armées et à ce qu'on devrait attendre de leur part, c'est-à-dire s'il devrait s'agir d'une force de maintien de la paix, d'une gendarmerie, ou encore d'une force apte au combat et pouvant être déployée rapidement. Comment expliquez-vous cette divergence?
M. Gilles Paquet: Je vais m'expliquer d'abord, après quoi Terry prendra la parole.
J'ai l'esprit ouvert à ce sujet. Je suis d'avis que l'on ne peut pas continuer à faire des compressions tout en exigeant que les forces maintiennent tous les services qu'elles fournissaient quand leurs ressources étaient supérieures de 40 p. 100 ou 50 p. 100 à ce qu'elles sont maintenant.
Les forces armées peuvent soutenir avec insistance qu'il est très important qu'elles demeurent aptes au combat pour assumer nos obligations internationales, etc. Mais en plus, nous leur avons demandé d'intervenir dans les crises intérieures, par exemple à Winnipeg et lors de la tempête de verglas, et nous leur demandons d'être partout où nous décidons d'intervenir pour maintenir la paix. Tout cela s'additionne.
À mon avis, on ne peut pas faire comme si le problème allait disparaître. Si la situation évolue et que les ressources diminuent, je trouve que l'on ne peut tout simplement pas se fonder sur l'engagement de 1994 si, dans les faits, on ne fournit pas les ressources nécessaires pour faire du bon travail.
C'est pourquoi, dans le débat sur ce que devrait être le rôle de l'armée, je trouve qu'il serait désastreux, littéralement, de réduire notre armée à une gendarmerie, mais qu'il n'est pas déraisonnable de penser que les décisions budgétaires qui sont prises nous conduisent tout droit vers cette éventualité.
À certains égards, je crains que nous évitions de définir le compromis nécessaire, parce que c'est commode pour tout le monde. D'une part, les forces armées prétendent qu'elles vont faire des efforts héroïques pour continuer à tout faire, et d'autre part, les décideurs politiques et financiers prétendent que puisque les militaires ne se plaignent pas trop, ils doivent être capables de le faire. Au bout du compte, les deux parties seront perdantes.
Mon argument est que je ne sais pas ce que vous, en tant que dirigeants élus du pays, voulez faire de l'armée, mais je trouve que vous nous devez à nous, à titre de citoyens, et que vous leur devez à eux, en tant que militaires, d'ouvrir le débat et de préciser les choses.
M. David Pratt: Dois-je comprendre qu'à votre avis, le livre blanc de 1994 est essentiellement désuet parce que les circonstances et les contraintes financières imposées par le gouvernement ont...
M. Gilles Paquet: Je le considère comme un document qui présente un intérêt historique.
Une voix: Comme vous y allez!
M. Terry Copp: Je voudrais faire des observations à ce sujet. Il est certain que la situation envisagée dans le livre blanc a commencé à s'effriter en raison des circonstances, mais je le répète, j'ai été extraordinairement impressionné—et cela fait partie de mes activités professionnelles puisque je suis historien militaire et que j'étudie autant le passé que le présent des Forces armées canadiennes—par la faculté d'adaptation des militaires canadiens. En fait, quand on parle de potentiel de combat dans le scénario envisagé dans le livre blanc de 1994, les militaires ont choisi certains domaines précis où ils pouvaient maintenir un degré élevé de ce que nous qualifierons de «crédibilité» comme force apte au combat, et ils ont reconnu qu'il faudrait laisser tomber cette capacité ailleurs.
C'est un équilibre très délicat à maintenir, mais à ce jour, en 1998, nous n'avons pas perdu notre capacité d'être une force apte au combat dans un certain nombre de secteurs que les Forces armées canadiennes ont définis. Nous ne pouvons pas tout faire, mais nous pouvons faire extraordinairement bien un certain nombre de choses.
La difficulté est que, dans le scénario actuel, lorsqu'auront lieu les prochaines compressions budgétaires et les prochaines réductions d'effectifs, ramenant le budget à environ 9,1 milliards de dollars en 1999—je ne me rappelle plus du chiffre exact, mais il est précisé dans mon document—, le défi deviendra vraiment difficile et il est très clair que les répercussions sur le budget de fonctionnement et d'entretien seront graves. Il faudra vraiment détourner de l'argent des budgets de fonctionnement et d'entretien pour maintenir les immobilisations.
Peut-être que vous pouvez faire cela jusque vers l'an 2000, et parce que nous avons acheté de fantastiques frégates, parce que nos avions de combat ne sont pas obsolètes et que les nouveaux véhicules armés de transport de troupes conviennent à bon nombre des missions que nous pourrions décider d'accomplir, les forces armées conservent, à court terme, pendant une période de deux ou trois ans, la capacité de combat qui était envisagée dans le livre blanc.
Mais je conviens avec le professeur Paquet que si les citoyens du Canada et le gouvernement du Canada continuent de rogner les ressources des forces armées, alors il nous faudra un nouveau livre blanc, parce que nous aurons supprimé les possibilités envisagées dans le livre blanc de 1994, et les Canadiens devront encore une fois s'interroger et prendre une décision sur ce qu'ils veulent.
• 1000
J'ajoute un dernier mot: dans le monde où nous vivons, nous
avons la quasi-certitude qu'à un moment donné d'ici cinq ou six
ans, le ministre des Affaires étrangères va téléphoner à la Défense
nationale et dire «J'ai besoin d'un bataillon mécanisé doté d'un
soutien aérien dans tel ou tel pays dès demain, et dépêchez-vous»;
et le ministre de la Défense nationale dira, comme il l'a dit à
presque chaque occasion depuis 1956 «Vous venez de recommander au
Cabinet de consacrer moins d'argent aux militaires, et vous voulez
maintenant que nous fassions cela!». Alors le premier ministre
téléphonera au ministre de la Défense nationale ou le coincera dans
un coin et lui dira «Ne discute pas». L'affaire s'arrêtera là et le
ministre de la Défense nationale n'aura pas le choix, il devra
mettre sur pied la force demandée.
Je vous dis que si nous créons une gendarmerie, si nous nous dotons d'une force qui n'est pas suffisamment apte au combat, nous finirons par envoyer nos jeunes hommes et nos jeunes femmes affronter le danger sans leur fournir la capacité d'être aussi efficaces qu'ils devraient l'être. C'est une promesse ou une prédiction que je vous fais.
Le vice-président (M. Bob Wood): Madame Bujold.
[Français]
Mme Jocelyne Girard-Bujold: Je suis très heureuse d'entendre toutes les informations que vous nous communiquez. Mais je veux aller au-delà de tout cela.
Je constate, à la lecture des documents qui m'ont été remis, que tout le monde, y compris M. Eggleton, le ministre de la Défense, et le général Baril, dit qu'un contrat social clair entre les forces et le ministère s'impose maintenant. Aujourd'hui, on doit faire cela parce qu'il est vrai que tout a changé. Nous autres aussi, on a changé. Tout a changé: les missions de paix que font présentement les Forces canadiennes, les conditions de vie, les conditions de travail, etc. Je suis aussi consciente qu'il va falloir que ce soient ces gens qui s'assoient à la même table et qui définissent ce contrat.
Je voudrais savoir ce qu'on devra identifier en premier lieu dans ce contrat social, dans la charte qui doit régir tout cela, dans ce contrat matériel, ce contrat de salaire, ce contrat régissant les conditions physiques et tout cela. Je voudrais vraiment qu'on puisse le définir, ce contrat social parce que c'est un besoin actuel.
Je crois me rappeler que le professeur Copp disait que ce contrat social devait comprendre une clause de protection de la vie privée. C'est sûr que le budget de la Défense a été de plus en plus réduit. Tout le monde le constate. Moi, je voudrais qu'on aille au-delà de cela. Ce sont les politiciens qui définiront ce que ce sera, après qu'on aura défini notre contrat social précisant ce que les militaires doivent au gouvernement et à la population. Alors, il faut définir ce contrat social. J'aimerais que vous m'en donniez les grandes lignes.
[Traduction]
M. Terry Copp: Dans l'énoncé que j'ai inclus dans mon document, j'ai traité de façon assez générale de ce que le peuple canadien et le gouvernement canadien doivent aux membres des forces armées. Je précise, et je crois que je dois le répéter ici, que la déclaration doit être à mon avis énoncée en termes très généraux; ce doit être un engagement ou la reconnaissance des responsabilités que nous avons envers des gens qui renoncent à leur liberté et qui entrent au service de leur pays.
Ma propre préférence, à partir de là, serait d'établir dans les forces armées une initiative semblable à celle lancée aux États-Unis en vue de rehausser la qualité de la vie, avec la participation des militaires du rang aux discussions en tant que délégués. Je pense que la liste des questions dont il faut traiter est très évidente et je les ai identifiées spécifiquement dans le document, mais je crois que si l'on obtenait des militaires du rang qu'ils participent à la discussion de ces questions, on obtiendrait leur adhésion et on pourrait les intégrer au processus; ou encore, si nous étions vraiment audacieux et décidions d'adopter la négociation collective volontaire, alors il est certain que des militaires du rang élus par leurs collègues auraient un rôle fondamental à jouer pour ce qui est de définir les questions et de les résoudre.
Je pense que c'est assez clair. La question qui se pose est de savoir si une telle déclaration porterait également sur l'orientation future des forces armées, son rôle et son budget. Je ne crois pas que ce devrait être le cas. Je ne crois pas qu'un gouvernement quelconque, en régime de démocratie parlementaire, renoncerait au pouvoir de décider du montant du budget et des rôles qui seraient confiés aux formes armées, même si c'était inscrit dans une mesure législative comportant une disposition prépondérante.
• 1005
Je comprends que le comité doit continuer d'explorer la vaste
question de savoir quel doit être le but des forces armées. Mais
comme je l'ai dit au début de mon exposé aujourd'hui, nous devons
vraiment supposer que le livre blanc de 1994, sous réserve d'y
apporter les modifications nécessaires, sera notre point de départ
pour l'élaboration du contrat social. Ce sont là les forces armées
que nous aurons au cours des quatre ou cinq prochaines années. Je
pense que c'est vrai. Mais quel sort réserverons-nous au cours de
ces quatre ou cinq prochaines années aux jeunes hommes et aux
jeunes femmes qui servent dans ces forces armées? Je pense qu'il
faut répondre à cette question au moyen d'une déclaration et d'une
initiative pour la qualité de la vie.
J'espère que cette réponse vous est utile.
[Français]
Mme Jocelyne Girard-Bujold: Vous venez de me dire que vous voudriez que les militaires de tous les échelons participent à l'élaboration de leur échelle salariale et de leurs conditions de travail. Je pense que c'est un nouveau langage qu'il faudra faire accepter au sein des Forces armées canadiennes. Mais je me trompe peut-être. Cela ne se fait pas habituellement, n'est-ce pas?
[Traduction]
M. Terry Copp: Non, vous avez absolument raison. Ce n'est pas le système qui est actuellement en place et l'on peut dire que bien des gens dans les forces armées s'inquiètent des répercussions que cela pourrait avoir sur la chaîne de commandement. Dans les forces armées, vous faites encore ce que l'on vous dit de faire, si la personne qui vous le dit a un grade plus élevé. C'est une expérience remarquable pour la plupart d'entre nous.
Je soutiens dans le document qu'un simple soldat qui participe à une discussion sur une clause d'indemnité de vie chère ou la création d'un centre de ressources familiales dans une base ne se met pas en marge de la chaîne de commandement. Il fonctionne simplement dans un rôle différent pour discuter des conditions de travail. Mais dès qu'il quitte la table de discussion, il ou elle redevient un caporal qui doit obéir, plus ou moins, aux ordres d'un sergent.
[Français]
Mme Jocelyne Girard-Bujold: Merci.
[Traduction]
Le vice-président (M. Bob Wood): M. Richardson, suivi de M. Clouthier.
M. John Richardson: Merci, monsieur le président. Je voudrais remercier les deux professeurs d'être venus présenter leurs réflexions au comité.
Nous vivons des temps difficiles et il y a une foule de facteurs qui entrent en jeu. Je pense que les gens s'imaginent savoir de quoi ils parlent quand ils examinent les forces armées, mais qu'ils ne savent pas vraiment de quoi il retourne; ils n'ont pas idée de l'expérience que vivent ces gens-là depuis le jour où ils s'enrôlent comme marins, soldats ou aviateurs. Ils vont directement au camp d'entraînement. Ils sont mis en marge de la société et on leur fait subir un programme d'entraînement très intensif pour les orienter vers la vie militaire. C'est en grande partie un entraînement traditionnel qui s'est perpétué au fil des siècles et qui vise à les faire marcher droit, et c'est nécessaire. Tout de suite après, ils sont envoyés à bord d'un navire ou bien ils reçoivent une formation supplémentaire pour pouvoir joindre les rangs d'une compagnie de la marine, ou bien ils rejoignent un bataillon d'infanterie dans lequel ils reçoivent encore une formation qui leur permettra d'obtenir la qualification de fantassin ou de servant de mortier, ou de tireur antichar, ou de conducteur de char.
Mais, pour eux, c'est comme monter un escalier roulant qui ne s'arrête pas. Et qu'obtiennent-ils en retour? Ils ont parfois 30 jours de congés. C'est leur maximum annuel, quand ils peuvent le prendre. Et nous les faisons travailler constamment. On entend parfois dire qu'ils travaillent seulement quand nous les envoyons à l'étranger, mais en fait, ils travaillent tout le temps. Ils font de longues heures et ils doivent suivre sans cesse un entraînement collectif qui est tellement nécessaire pour que les équipages de navire travaillent à l'unisson, ou les soldats d'une brigade ou d'une division dans l'armée, ou les membres d'une escadre ou d'un groupe dans l'aviation; ils doivent s'entraîner constamment s'ils veulent avoir la moindre utilité comme soldats aptes au combat.
Quand ils partent pour 30 jours, ils s'entraînent près de 20 heures par jour pour tirer le maximum de leur période de formation. À la fin de cet entraînement, qui est très intense, ils sont épuisés.
• 1010
Je pense que les gens qui n'ont jamais vu à quoi ressemble
l'entraînement dans la marine, dans l'armée ou dans l'armée de
l'air n'ont pas idée de l'intensité de cette formation en groupe,
qui se fait depuis la sous-unité jusqu'à l'unité et ensuite
jusqu'au niveau de la brigade ou de la division dans l'armée... Je
ne connais pas aussi bien la situation dans la marine, mais je suis
au courant et je l'ai vue de mes propres yeux.
Et ça, c'est seulement l'entraînement. Et ensuite, nous, à la Chambre des communes... Chaque fois que quelqu'un éternue quelque part dans le monde, l'un de nos ministres se lève au garde-à-vous et dit «Toujours prêt».
Dans quelle mesure sommes-nous prêts? Nous avons pris l'engagement envers l'OTAN d'avoir toujours un groupement tactique prêt à partir en un délai donné. Nous avons l'équivalent dans la marine et dans l'armée de l'air. Je ne pense pas que les gens soient au courant des nombreuses exigences et de l'état de préparation que l'on impose aux forces actuelles. Pourtant, chacun est prêt à les sacrifier dès qu'il y a le moindre maudit problème n'importe où au Canada ou dans le monde.
On est en train de les épuiser. Je ne pense pas que ce soit seulement à cause du salaire. Ils sont épuisés, point, parce qu'ils sont fréquemment en affectation et qu'on les envoie suivre de la formation loin de chez eux. Leur vie se déroule à un rythme frénétique.
On nous dit: écoutez, je vois les gens qui sont affectés au quartier général de la Défense nationale. Leur affectation semble statique. Mais c'est l'une des rares périodes de calme qu'ils vont connaître, pendant leur séjour au quartier général de la Défense nationale.
Je voudrais seulement que les gens comprennent ce que cela exige. Ces longues affectations et les fréquents séjours loin de leur famille créent aussi beaucoup de stress familial. Ils sont comme tous les autres Canadiens. Ils veulent une famille. Ils veulent se marier et avoir des enfants. Mais combien de Canadiens doivent subir pareilles interruptions, pour aller dans le Sinaï, ou sur les hauteurs du Golan, ou en Bosnie? Il y en a qui en sont à leur deuxième ou troisième présence là-bas. Ce n'est pas pratique courante quand on travaille chez General Motors. Si cela se faisait chez GM, je vous le dis, la ligne d'assemblage s'arrêterait tout net.
Je pense donc que notre ministre des Affaires étrangères, notre premier ministre et tous les autres qui participent aux décisions, lorsqu'il s'agit de les envoyer là-bas, devraient s'arrêter et penser à la fatigue que l'on impose à nos soldats, premièrement. Nous les entraînons en prévision de la guerre, car c'est la formation opérationnelle de base, nécessaire pour respecter nos engagements envers l'OTAN, mais je ne pense pas que nous puissions continuer à dire «Oui, monsieur, toujours prêt» chaque fois qu'il se passe quelque chose quelque part dans le monde. À un moment donné, nous devrons commencer à choisir et à tenir compte de la santé physique et mentale des membres des forces armées.
Je sais que les commandants de la marine, de l'armée et de l'aviation n'aiment pas dire qu'ils sont incapables de faire quelque chose. Leur fierté l'emporte sur la réalité. Mais il faudra bien un jour que quelqu'un dise «Mes soldats sont épuisés» ou bien «Nous ne pouvons pas accepter cette mission; nos marins sont épuisés, c'est impossible»; et cela vaut aussi pour nos aviateurs. Je n'ai jamais entendu cela. La fierté obscurcit leur jugement.
Je pense en fait qu'on a calomnié nos soldats. Le regrettable incident de Somalie a entaché notre réputation aux yeux du public. Il est certain que les gens qui sont allés en Somalie, à l'exception du petit groupe de ceux qui ont perpétré cet épouvantable crime contre le Somalien... Nous avons bien servi et nous avons bien servi en Somalie, à l'exception de cette unique bavure.
Je demande seulement aux historiens... Nous avons des gens en place et c'est vrai que nous devons les payer mieux, mais nous devons aussi voir à ce qu'il y ait un peu plus de stabilité dans leur vie familiale et personnelle. Le concept des grandes bases, la marine qui se sépare quasiment en deux parties égales sur les deux côtes, l'armée qui adopte le concept des grandes bases dans l'ouest, dans le centre du Canada, et aussi au Québec et dans l'est du Canada, tout cela réduira le nombre des affectations et rendra la vie un peu moins frénétique pour les soldats. Dans quelle mesure, nous le saurons seulement en réexaminant la question dans cinq ans. Mais nous devons voir nos soldats comme des êtres humains et être conscients de l'usure que nous leur imposons.
Nous avons parlé des cinq points qui figurent dans votre note ici. Je tiens à vous dire que vous devriez suivre un jeune caporal d'infanterie pendant son entraînement, ne serait-ce qu'une journée; un simple caporal, après quoi vous pourriez suivre un jeune lieutenant ou un major pendant leur entraînement et vous verriez combien de sommeil ces gens-là peuvent avoir quand ils sont en entraînement de manoeuvre pendant 30 jours. Ils dorment très peu et ils sont fatigués en maudit. On s'imagine savoir ce qui se passe, mais embarquez à bord d'un navire et vous verrez tout le travail que ces marins abattent, ou encore allez vous promener autour d'un aérodrome au moment de manoeuvres et voyez la somme de travail exigée au sol pour garder les hélicoptères en vol.
• 1015
Je demande seulement aux gens qui n'ont qu'une connaissance
livresque de la question d'aller voir cela de leurs propres yeux,
de toucher du doigt la réalité, d'aller dormir à même le sol
glacial quand il pleut et ensuite de se relever et de se remettre
au travail. Je pense que nous ne faisons pas toute la lumière sur
la situation de nos soldats, de nos marins et de nos aviateurs. Ils
ont été des héros au Québec, ils ont été des héros au Saguenay et
ils ont été des héros à Winnipeg. Ces hommes et ces femmes sont
habitués, ils font cela depuis des années, ils s'entraînent
constamment et je demande aux gens d'examiner la situation de près.
Je suis très favorable à l'idée d'un contrat social, mais j'aimerais étudier un tel document très attentivement avant de l'adopter, pour m'assurer qu'il correspond vraiment aux besoins des marins, des soldats et des aviateurs de nos forces, que ce n'est pas seulement un prétexte pour les faire travailler encore davantage, et qu'il prévoira une juste rémunération en congés et en salaire.
Tout ce que je peux dire, c'est que je suis très fier de ce qui reste. Je pense qu'il y a un noyau qui peut servir de base pour étoffer les forces, mais il faut que la direction et le soutien soient solides, depuis le premier ministre jusqu'à la base, et que le soutien émane aussi du grand public. Mais si nous n'avons pas le premier ministre de notre côté, nous sommes en difficulté. Je ne peux pas dire que le premier ministre n'est pas de notre côté, mais disons qu'une manifestation publique de soutien sur une base périodique contribuerait grandement à relever le moral des troupes.
Je vous suis reconnaissant, professeur Paquet et professeur Copp, des énoncés que vous nous avez remis dans vos documents. Nous avons besoin de concentrer notre attention sur des questions fondamentales, et je vous en remercie beaucoup.
Le vice-président (M. Bob Wood): Vous pouvez faire un commentaire si vous le voulez. Je ne sais trop, John... était-ce une déclaration ou une question?
M. John Richardson: S'il y a une question, elle porte sur le fait que je ne veux pas qu'on examine cela de façon superficielle. Je veux que les gens sachent vraiment à quoi ressemble la vie quotidienne de nos soldats, qu'ils en fassent eux-mêmes l'expérience avant de se réunir dans une tour d'ivoire et de prendre des décisions à ce sujet.
Le vice-président (M. Bob Wood): Professeur Paquet.
M. Gilles Paquet: Je pense que vous avez raison, mais en même temps, il est dangereux de soulever les passions comme vous le faites si bien, parce que la passion est nécessaire—vous avez raison là-dessus—, mais je crois que ce qui importe, c'est que vous soyez partie prenante dans la transformation des valeurs canadiennes en effectuant votre travail comme il se doit. Aux États-Unis, les soldats que je rencontre dans un aéroport typique portent avec fierté leur uniforme, parce que la population là-bas est fière d'eux. Je pense que nous devons acquérir la capacité de reconnaître tout cela.
L'un des points dont le professeur Copp et moi-même avons parlé au sujet de cette déclaration, de ce contrat moral, qui peut sembler à première vue un point de pure forme—mais qui est de la même nature que la Charte des droits, laquelle était au début une sorte d'énoncé général et vague qui ne signifiait pas grand-chose. Mais par la suite, elle s'est imposée dans notre pays et aujourd'hui, elle régit tous les aspects de nos vies, bons et mauvais. Il importe que vous reconnaissiez le besoin de ce qui peut sembler à beaucoup être tellement éloigné de la réalité, cette notion de la reconnaissance, d'une déclaration, d'un contrat moral, parce que si nous ne le faisons pas, nous ne réussirons pas à bien informer la population.
Et vous avez tout à fait raison de dire qu'il faut commencer tout en haut. Je ne lis pas moi non plus dans les pensées du premier ministre, mais il est certain qu'il s'est montré particulièrement prudent dans ses déclarations—au milieu de toutes ces controverses—quant à l'importance de ces gens-là pour notre pays.
• 1020
Donc, à certains égards, même si cela peut vous sembler très
éloigné de la réalité que de s'attarder à cette déclaration
solennelle, ce sont des mots qui acquièrent un pouvoir immense une
fois qu'ils sont prononcés et qu'on peut s'en servir pour rappeler
aux politiciens et aux citoyens leur engagement envers les forces
armées.
Le vice-président (M. Bob Wood): Merci, monsieur Richardson.
Merci, monsieur Paquet.
La parole est à M. Clouthier, après quoi nous reviendrons à M. Benoit.
M. Hec Clouthier (Renfrew—Nipissing—Pembroke, Lib.): Professeur, je m'intéresse beaucoup à votre contrat social. Comme vous le savez, c'est probablement fondé sur ce que Jean-Jacques Rousseau a dit: le plus grand bien possible pour le plus grand nombre de gens possible. Mais après avoir écouté mon collègue John Richardson, je trouve fort difficile de décider dans quel sens s'orienter. C'est bien beau de faire de belles phrases, mais la parole ne suffit pas si nous ne sommes pas prêts à passer aux actes.
À qui la faute? Il serait très facile pour les militaires de dire que c'est la faute des politiciens, parce qu'ils ne veulent pas nous donner assez d'argent. Comme je suis néophyte en politique et que je viens du domaine des affaires, je crois que l'argent explique bien des choses. Nous avons réduit notre budget, qui est passé d'environ 12 milliards à 9 milliards de dollars, et si nous continuons dans la même voie—j'espère que ce ne sera pas le cas—il faudra en conclure qu'il est inutile d'espérer des augmentations de salaire et du meilleur matériel, ce qui se traduirait à mon avis par une élévation du moral parmi les militaires.
Cela dit, ma question s'adresse au professeur Paquet. Croyez-vous que nous pourrons obtenir d'aussi bons résultats de nos militaires si nous leur imposons des compressions? La réalité, c'est que si l'argent manque, nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre de faire certaines choses que nous voulons faire. Par conséquent, peut-être que la seule solution, qui ne serait pas celle que je choisirais, s'il n'en tenait qu'à moi, consisterait à réduire encore davantage les effectifs militaires, parce qu'au moins on pourrait probablement alors payer de meilleurs salaires à ceux qui restent, tout en améliorant leur équipement.
Professeur, qu'en pensez-vous? Peut-être que la réalité est telle que c'est ce que nous devrions faire.
M. Gilles Paquet: Vous avez raison de dire qu'il vous serait peut-être financièrement impossible de convaincre vos supérieurs ou vos collègues de débloquer tout l'argent nécessaire, mais dans ce cas, il devient crucial de discuter avec les militaires de ce que l'on peut raisonnablement attendre d'eux dans ces circonstances.
Ce que je trouve difficile à accepter à l'heure actuelle, c'est le déni de la réalité que je constate franchement de part et d'autre, de la part des politiciens qui disent qu'il y avait beaucoup de gras à couper et que les militaires peuvent faire tout cela avec moins d'argent; et de la part des militaires, peut-être par fierté ou je ne sais trop, qui disent oui, nous allons le faire en prétendant avoir les ressources voulues pour y arriver.
J'ai le sentiment que c'est une fausse impression. Nous sommes actuellement sur le point d'entrer dans la zone de danger, dans laquelle nous pourrions être confrontés à une véritable crise. La prochaine fois, nous n'aurons peut-être pas, dans ce monde en rapide évolution qui est le nôtre... Nous ne sommes plus en 1945. La prochaine fois qu'une crise surgira et qu'il nous faudra faire appel à nos forces armées, ce sera peut-être une question de jours, et si nous avons perdu la capacité de faire tout cela, nous ferons courir de graves dangers à la population.
Il est vrai que les familles en souffrent, que nous devons payer des salaires raisonnables et veiller à ce que les conditions de travail soient raisonnables, mais il me semble que tout cela suivra une fois que nous aurons reconnu la valeur des services rendus par les militaires.
Dans la conjoncture présente, si l'on demandait à tous les Canadiens d'indiquer, sur la déclaration d'impôt qu'ils remettront ce mois-ci, le montant qu'ils sont disposés à consacrer aux forces armées, je ne crois pas que ce montant serait très élevé. Je dois me demander comment il se fait que nos dirigeants—c'est-à-dire vous—ne s'occupent pas de définir cela. M. Clouthier a mentionné qu'il y a eu des grognements. Je n'en ai pas eu connaissance. Peut-être sommes-nous aveugles, dans les milieux universitaires, mais l'idée que je m'en fais, c'est que des gens diront haut et fort: «Nous avons violé notre contrat moral avec ces gens-là. Il est inacceptable de trahir ainsi notre engagement pour des raisons de commodité politique».
• 1025
Dans certains cas, les gens diraient même que cette
reconnaissance est quasiment plus importante que les produits de
première nécessité. En fait, je suis tout à fait certain que si les
citoyens et les politiciens reconnaissaient clairement l'importance
fondamentale des forces armées, cela aiderait grandement à atténuer
le malaise.
M. Hec Clouthier: Je partage votre avis, professeur, mais je ne suis pas tout à fait d'accord avec le professeur Copp quand il dit qu'il ne semble pas y avoir de problème de leadership. Je pense que si nous devons assumer nos responsabilités, en tant que politiciens et en tant que citoyens canadiens, certains chefs militaires doivent aussi assumer les leurs.
Je crois qu'il y a une dichotomie bien réelle chez certains officiers supérieurs entre le moment où ils sont au pouvoir ou dans les rangs militaires et après, quand ils sont à la retraite. Je le constate depuis que je siège à ce comité. Certains généraux à la retraite semblent avoir connu leur chemin de Damas.
Je suis d'accord avec mon collègue John Richardson pour dire que la qualité de vie des officiers subalternes, des sous-officiers et des simples soldats en a subi les conséquences, mais comment pouvons-nous le savoir, à moins que des généraux ou des colonels ne prennent la parole pour dénoncer publiquement la situation? Il y en a qui refusent de le faire ou qui choisissent de ne pas le faire, pour quelque raison que ce soit, mais dès qu'ils prennent leur retraite, on dirait qu'ils voient tout à coup la lumière: ma foi, se disent-ils, nous avons vraiment des problèmes et il faut faire quelque chose à ce sujet. Nous avons entendu des généraux deux étoiles, assis à votre place, dire qu'ils ne pouvaient rien y faire; mais dès qu'ils sont à la retraite, ils veulent dénoncer les problèmes.
Je vous dis que la responsabilité doit être partagée entre les politiciens et les militaires. Les deux doivent se concerter et faire prendre connaissance au grand public des difficultés bien réelles auxquelles sont confrontés les militaires du rang et que mon collègue John Richardson a décrites avec tellement d'éloquence. Il y a vraiment des problèmes à cet égard, mais le leadership doit aussi venir des rangs des militaires, intrinsèquement, parce que nous ne sommes pas avec eux au jour le jour.
M. Terry Copp: Je ne voudrais pas me faire prendre à soutenir que les militaires sont parfaits. L'argument que j'essayais d'avancer, c'est que si l'on remonte à peine en 1989, nous avions alors un environnement international stable qui s'appelait la guerre froide. Les fonctions des militaires étaient clairement définies. Je pense que l'on peut dire à juste titre, sans être partisans, que nous avons eu un livre blanc qui décrivait une situation très différente pour les militaires. Nous promettions l'équipement et le mandat adaptés à ce monde-là. C'est dans ce monde des années 80 qu'a été élaboré le programme qui nous a donné les frégates et autre matériel de ce genre.
Ensuite, entre 1989 et 1991, la conjoncture internationale a changé du tout au tout. C'est alors que nous nous sommes lancés dans toute une série de mesures pour réduire les effectifs des forces armées. Puis, en 1994, nous les avons redéfinies dans le livre blanc. Nous n'avions pas sitôt fini d'assimiler ce livre blanc que nous avons amorcé une nouvelle ronde de réductions d'effectifs des forces armées.
Vous avez pris une organisation qui comptait près de 100 000 hommes et l'avez ramenée à 60 000, et selon les rumeurs, nous atteindrons 56 000 en laissant l'attrition suivre son cours. Vous avez demandé à un groupe d'officiers supérieurs de tenter de gérer une situation... Je vous le dis, dans les autres organisations qui ont subi ce processus, comme les universités, que je connais ou les grandes entreprises, les coûts au chapitre du moral et des difficultés de gestion ont été énormes.
C'est pourquoi je voudrais dire aux membres du comité que si vous êtes personnellement convaincus que les forces armées vont subir d'autres importantes compressions budgétaires et de nouvelles compressions d'effectifs, alors, pour l'amour du ciel, n'allez pas publier une déclaration de contrat social. Les militaires vont se tordre de rire. Presque tous préféreraient qu'on leur donne de façon durable la capacité d'accomplir leur mission, plutôt que de voir adopter n'importe quel autre changement. Cela s'applique à tous les grades et jusqu'aux simples soldats. La crainte que les forces armées continuent de voir, mois après mois, leur capacité de fonctionner réduite, en raison de l'attrition, est la pire atteinte au moral des troupes.
M. Hec Clouthier: Je suis d'accord avec vous, professeur. C'est pourquoi je trouve que nous devons être très prudents dans cette histoire de contrat social. Chose certaine, il faudrait absolument que ce soit un énoncé de mission très général.
Le vice-président (M. Bob Wood): Monsieur Proud, vous pouvez poser une brève question.
M. George Proud: Je veux seulement ajouter à ce qu'ont dit mes collègues.
Au sujet des compressions budgétaires imposées à la Défense, nous l'avons dit très fermement, même si c'est probablement vrai que vous n'en avez pas entendu parler. Nous avons dit aux responsables: vous ne pouvez plus couper; on est allé aussi loin qu'il était possible de le faire. Nous ne voulions pas que l'on aille aussi loin que l'on est en fait allé, là où nous en sommes maintenant. Nous avions dit qu'ils ne pouvaient pas aller plus loin parce que s'ils le faisaient, ils se retrouveraient avec une force policière tout à fait inadéquate. On n'aurait même plus de forces armées.
• 1030
Ce sont les faits, mais après vous avoir écoutés, je suppose
que nous devrons parler d'une voix encore plus forte à l'intention
des dirigeants. J'espère que nous pourrons obtenir l'appui de tous
nos collègues à cet égard.
Merci.
Le vice-président (M. Bob Wood): Monsieur Benoit, êtes-vous prêt à intervenir?
M. Leon E. Benoit (Lakeland, Réf.): Oui, merci, monsieur le président.
Le vice-président (M. Bob Wood): Vous avez la parole.
M. Leon Benoit: Bonjour, messieurs. Je m'excuse de ne pas avoir été présent pour entendre vos exposés. J'ai quand même des questions à vous poser.
Monsieur Copp, vous auriez déclaré selon M. Clouthier qu'il ne semble pas y avoir de problème de leadership dans les forces armées. Je conviens qu'il y a bon nombre d'excellents chefs militaires. Ils s'efforcent probablement d'être de bons chefs, dans la mesure où le système actuel le leur permet. Mais le général Clive Addy a comparu à notre dernière réunion et a affirmé de façon non équivoque que les chefs militaires avaient beau déployer tous leurs efforts, ils se font mettre des bâtons dans les roues par les gens du ministère, par les bureaucrates, même dans des dossiers aussi fondamentaux que le soin des blessés dans nos forces armées. Ils ne peuvent même pas donner l'assurance que les soldats qui sont blessés sous leur commandement seront bien soignés, à cause de l'ingérence des bureaucrates. Il me semble que l'on a mis sur pied un système qui ne peut tout simplement pas bien fonctionner.
Je ne sais trop où vous vouliez en venir avec votre déclaration, ou si vous savez vraiment de quoi vous parlez, parce que je n'ai pas entendu le contexte. Mais, de façon générale, il est possible que ce ne soit pas la faute des chefs. Chose certaine, les chefs militaires ne fonctionnent pas bien dans le cadre du système que nous avons en place.
Je voudrais entendre vos commentaires là-dessus.
M. Terry Copp: Le problème tient à ce que de nombreux critiques des militaires, y compris beaucoup d'officiers supérieurs à la retraite, appellent le «transfert de tâches à des civils». C'est l'expression qu'on utilise pour décrire une situation où la cohabitation de commandants en uniforme et de fonctionnaires civils au quartier général de la Défense nationale a abouti, de l'avis de bien des gens, à la confusion en ce qui a trait aux responsabilités et aux fonctions. À mon avis, pour ce que vaut mon jugement, et il n'a peut-être pas beaucoup de valeur, c'est un argument qu'il faut utiliser avec grande prudence.
La vérité est que, surtout depuis dix ans, on a à maintes reprises demandé aux forces armées de remplir des rôles qui exigent de nos soldats qu'ils travaillent de concert avec les Nations Unies et, comme le professeur Paquet l'a dit, avec d'autres organisations dans d'autres pays. Personnellement, je ne suis pas du tout convaincu que les civils qui ont travaillé aux côtés des militaires aient toujours fait du mauvais travail ou que les officiers en uniforme aient toujours eu raison. Je reconnais qu'il y a eu des tensions.
Je suppose que mon argument, monsieur, est simplement que je vis dans un environnement—tout comme le professeur Paquet—dans lequel, pour quelque raison que ce soit, le gouvernement du Canada et les gouvernements de plusieurs provinces ont décidé que les universités pouvaient subir des compressions, sauf que nous avons dû accepter un plus grand nombre d'étudiants tout en subissant ces compressions. Nous avons eu des budgets de plus en plus petits, de moins en moins de professeurs, de moins en moins de ressources de bibliothèque, mais de plus en plus d'étudiants, et le gouvernement et la société ont dit que nous devions apprendre à nous débrouiller. Je peux vous dire que nous avons en effet appris à nous débrouiller, mais que pendant le processus d'apprentissage, il y a eu beaucoup de conflits et de mesquineries et que beaucoup d'erreurs ont été commises. La plupart des universités ont toutefois réussi de peine et de misère à continuer de faire leur travail, qui consiste à faire de leur mieux pour donner une bonne éducation aux jeunes Canadiens et pour soutenir la recherche.
C'est simplement l'argument que j'avance au sujet de l'armée. Je ne dis pas qu'il n'y a pas eu d'anicroches. Je dis seulement que, compte tenu des pressions qu'ils ont subies, les militaires sont loin d'être aussi mauvais que l'image que nous en ont présentée les médias.
M. Leon Benoit: Mais si l'on donnait 5 milliards de dollars de plus aux militaires l'année prochaine, les problèmes de fonctionnement seraient-ils résolus?
M. Terry Copp: En deux mots, je réponds que les problèmes ne seraient pas résolus. C'est une organisation humaine complexe dans laquelle, dès qu'on résout une série de problèmes, une autre série de problèmes apparaît. Mais si l'on trouvait 5 milliards de dollars pour les militaires, cet argent pourrait en grande partie servir à remédier au problème du contrat social en termes de salaires. Ce serait un changement très considérable pour les gens qui sont sur le terrain, ceux dont nous parlions tout à l'heure.
M. Leon Benoit: Mais d'après les témoins que nous avons entendus au comité, bien qu'il me semble en effet qu'il a souvent été question de salaires, on dirait que les problèmes les plus graves n'ont pas trait à l'argent. Cela ressort particulièrement dans les conversations que nous avons après les réunions.
L'argent est important, c'est indéniable. Je sais que c'est important pour régler les problèmes de salaire, ne vous méprenez pas sur mes paroles. Mais c'est un fait que bien des gens dans les forces armées ont vraiment l'impression qu'on ne les reconnaît pas à leur juste valeur et qu'on ne les traite pas équitablement.
• 1035
En fait, ce sont des questions comme le fait de séparer
inutilement les membres des familles. Ils comprennent bien que
s'ils doivent partir outre-mer pour une mission, cela fait partie
de leur vie. Ils sont prêts à le faire. Mais quelques mois après
leur retour, on les affecte de nouveau ici ou là et la vie
familiale devient simplement impossible. Les questions de ce genre
prennent plus d'importance.
Et puis il y a encore un autre problème. Vous dites que c'est une organisation complexe. Je trouve que cela fait partie du problème. Nous sommes passés à travers toute cette enquête sur la Somalie. Cela a fait ressortir beaucoup de problèmes dans la façon dont fonctionnent les militaires. Pourtant, nous avons encore vu récemment des gens comparaître devant le comité...
Une personne dont j'ai parlé hier à la période des questions, Simone Olofson, de Cold Lake, a exprimé ses griefs devant le comité, après quoi elle a reçu une lettre de menaces du juge-avocat adjoint, qui l'a sermonnée pour sa comparution et lui a laissé entendre très clairement qu'elle ferait mieux de ne plus jamais dire quoi que ce soit contre les militaires—après que le ministre de la Défense nationale et le chef d'état-major de la Défense eurent dit aux militaires, venez nous parler, cette fois-ci, nous allons vous écouter et nous allons vraiment changer. J'en conclus que ce changement ne s'est pas produit et je dois vous demander s'il est possible qu'il se réalise.
M. Gilles Paquet: On peut fausser la réalité en focalisant l'attention sur une verrue au visage de quelqu'un.
Vous avez raison. Pour le moment, la grande transition... et quand vous dites qu'il y a des gens dans les forces armées qui se plaignent de la bureaucratie, moi je dis que ce sont des balivernes. Le problème est qu'il fut un temps où les forces armées vivaient dans une autarcie complète et avaient leurs propres règles. Les militaires devront apprendre, malheureusement, à affronter la réalité: les citoyens, les politiciens et la bureaucratie. Ils n'aiment pas cela? Tant pis pour eux. Ils devront s'y faire.
Vous ne devriez donc pas prendre trop au sérieux cette complainte qui consiste à dire «Ce n'est pas notre faute, c'est la faute des bureaucrates». Vous avez raison.
Deuxièmement, c'est vrai qu'il y a eu de la mauvaise gestion. Tout ce que je sais de la lettre dont vous parlez, celle qui a été publiée dans le journal ce matin, c'est qu'il y a eu manque de jugement. Ce sont des choses qui arrivent. Mais il serait...
M. Leon Benoit: Si c'était un manque de jugement, cela pourrait aller. Si ce major Barber a commis une erreur, très bien, cela arrive. Mais quand il a été saisi du dossier, pourquoi le ministre n'a-t-il pas présenté toutes ses excuses à cette personne, en disant simplement que nous avions commis une très grave erreur? Pourquoi est-ce tellement difficile de s'excuser et de demander à ce major d'aller présenter lui-même ses excuses à la femme en question?
Premièrement, le ministre en question dit, eh bien, vous vous trompez complètement. Vingt minutes plus tard, dans un point de presse, il dit, écoutez, nous nous sommes excusés.
Le vice-président (M. Bob Wood): Monsieur Benoit, si je peux vous interrompre, je voudrais revenir à vos questions. Le greffier m'informe qu'apparemment, le juge-avocat a envoyé une lettre au président, comme vous le suggérez, pour dire que c'était un malentendu. Il s'est excusé. Apparemment, cela ne se reproduira plus. Le président a également répondu à Mme Olofson.
M. Leon Benoit: Au président du comité.
Le vice-président (M. Bob Wood): Oui.
M. Leon Benoit: Eh bien, il se trouve que j'ai parlé à Mme Olofson hier soir et qu'elle n'avait reçu aucune excuse.
Le vice-président (M. Bob Wood): Non, pas encore, mais elle en recevra. Je veux seulement faire le point à votre intention.
M. Leon Benoit: C'est une attitude chez les militaires et je croyais que cela aurait changé à la suite de l'enquête sur la Somalie. Et la façon dont le ministre s'est comporté est plus discutable que ce que le major a fait. Tout le monde peut commettre une erreur.
Non pas que je crois que cette erreur soit le moindrement justifiable. C'est très grave, c'est un abus de confiance flagrant. On a dit aux gens, venez témoigner devant le comité, on vous écoutera et l'on tentera d'apporter des changements. Et ce n'est pas seulement un abus de confiance à l'endroit de Mme Olofson. Les gens se passent le mot. Tout le monde est au courant sur cette base et même d'un bout à l'autre du pays. Nous nous en sommes aperçus pendant notre tournée. Les gens se passent le mot d'une base à l'autre. C'est un abus de confiance envers quiconque a comparu devant notre comité.
Qu'allons-nous faire maintenant? Comment pouvons-nous être certains qu'aucune mesure disciplinaire ne sera prise à l'avenir, pendant la suite de nos audiences?
M. Terry Copp: Je ne veux pas du tout sous-estimer la portée de vos propos. Quand nous avons commencé nos séances de discussion, la jeune femme qui examinait le moral des militaires à Kingston s'est fait dire par le commandant de la base de Kingston qu'elle ne pouvait pas faire cela et qu'elle devait quitter la base. Nous avions eu le mandat de le faire, mais il a fallu à peu près une semaine pour tirer les choses au clair entre Ottawa et la base de Kingston. Je suis très critique quant à la façon dont les militaires ont traité ce dossier, dans un certain nombre de cas précis.
• 1040
Je veux seulement vous dire qu'il y a une chose que le public
canadien ne semble pas vouloir comprendre: dans la grande majorité
des cas, lorsque les Forces armées canadiennes ont été envoyées en
mission, nos soldats ont fait preuve d'une compétence et d'un
professionnalisme exceptionnels, à maintes et maintes reprises.
Nous ne devons pas perdre cela de vue quand nous discutons
d'incidents comme celui de la Somalie ou cette gaffe du JAG.
Et vous savez ce qu'il en est des médias.
M. Leon Benoit: C'est peut-être plus... parce que nous avons dans les forces des hommes et des femmes qui sont excellents, depuis les simples soldats jusqu'en haut de la hiérarchie, et j'ai été impressionné...
M. Terry Copp: On ne cesse pas d'être un excellent homme ou une excellente femme quand on est promu au rang de major général.
M. Leon Benoit: Alors ça montre...
M. Terry Copp: Cela n'entraîne pas automatiquement des changements...
M. Leon Benoit: En général, non, et cela montre qu'il y a un grave problème de structure. J'ai entendu auprès de nombreuses sources maintenant, autant au comité que durant des entretiens que j'ai eus avec les gens, que le problème tient à l'existence d'un lien trop étroit entre les militaires, qui n'ont jamais été censés faire partie de la fonction publique, et cette bureaucratie qu'est le ministère. C'est bien simple, les liens sont trop étroits et il y a trop d'ingérence de la part du ministère dans les activités des militaires.
Si nous voulons des forces armées qui fonctionnent bien—et je crois que c'est essentiel—alors il faut séparer davantage les deux entités. Je pense qu'il faut que ça se fasse. Je suis d'accord avec vous: pourquoi des hommes et des femmes qui sont d'honnêtes gens quand ils sont simples soldats ou caporaux deviendraient-ils tout à coup de mauvaises personnes en accédant aux grades supérieurs? Je ne crois pas que ce soit le cas.
M. Gilles Paquet: Je ne partage pas cet avis. Je ne crois pas que l'on pourra un jour revenir à l'époque où l'armée était complètement autarcique. En dépit de ce que vous ou les militaires pouvez souhaiter, dans le nouveau système beaucoup plus ouvert et démocratique dans lequel nous fonctionnons maintenant, nous avons le droit d'exiger des forces armées qu'elles rendent des comptes aux citoyens. Vous avez le droit, en tant que politiciens, d'exiger des comptes. Et c'est une chose que les militaires devront apprendre. Ils doivent composer avec de nombreux intervenants et veiller à pouvoir communiquer avec tous et à les convaincre.
M. Leon Benoit: En tout cas, ils ne l'ont pas encore appris. Ils n'ont pas encore appris à rendre des comptes.
M. Gilles Paquet: Ils ne sont pas les seuls à avoir beaucoup à apprendre. Beaucoup de nos institutions, qui étaient auparavant hiérarchiques, verticales, autocratiques—même nos partis politiques—découvrent précisément qu'elles ne peuvent plus fonctionner de cette façon et qu'il faudra passer par un long processus d'apprentissage. Vous avez raison.
Le vice-président (M. Bob Wood): Merci, monsieur Benoit. Si vous avez d'autres questions à poser à nos témoins, nous reviendrons à vous dans un instant.
Monsieur Paquet, j'ai une question à vous poser. Bien que vous l'ayez faite voilà maintenant une heure et quelques minutes, j'espère que vous n'avez pas oublié votre déclaration d'ouverture dans laquelle vous avez dit que nous devrions faire davantage appel aux citoyens et aux provinces. Pourriez-vous nous en dire plus long là-dessus? Laissez-vous entendre que nous devrions inviter davantage de simples citoyens à témoigner devant le comité? Ou bien...
M. Gilles Paquet: Je pense que ce que nous avons oublié, c'est que dans le bon vieux temps, le lien entre les forces armées et le premier ministre et la Reine était très clair. Les militaires relevaient directement du premier ministre et de la Reine. Je dis que dans les faits—non pas dans la loi, mais dans les faits—à mesure que nous avons fait intervenir davantage de partenaires dans le système, nous avons été obligés de les prendre en compte.
Si un gouvernement belge peut critiquer le général Dallaire, si en fait l'OTAN a le droit d'exiger des choses de nous, et si le premier ministre du Québec peut dicter les conditions auxquelles l'armée peut faire ceci ou cela dans sa province, il faut bien se rendre compte que c'est la réalité. Et le citoyen lui-même, qui a bien souvent été laissé sur la touche, devient de plus en plus... Comme je l'ai dit tout à l'heure, dès lors qu'un général n'a pas pu se justifier d'une manière acceptable aux yeux des citoyens, il était, à toutes fins utiles, fini.
Il faut convaincre le citoyen que les forces armées sont importantes, mais il faut aussi qu'il reconnaisse qu'à titre de citoyen, il a le droit d'autoriser d'autres citoyens à porter les armes et à imposer leur présence par la violence au besoin, mais qu'il a aussi le droit de retirer son consentement dès qu'il n'a plus envie de l'accorder.
J'ai le sentiment qu'aux États-Unis, quand ils ont eu des difficultés avec leurs forces armées, à l'époque de My Lai, alors que la légitimité des forces armées était sérieusement remise en question, les Américains ont fait une réforme en profondeur quant au choix de leurs soldats et de l'entraînement qu'ils reçoivent, parce qu'ils essayaient de «relégitimiser», aux yeux des citoyens, le rôle et l'importance de l'armée.
• 1045
Pour ma part, j'ai dit que je ne me sens à l'aise d'autoriser
les militaires à porter les armes dans mon pays que si ceux-ci sont
moralement supérieurs à moi comme citoyen. Cette exigence ne serait
peut-être pas formulée dans un document ayant valeur légale, mais
elle ferait partie du contrat moral dont il faut discuter.
De la même manière, je ne dis pas qu'il faut accorder un droit de veto à tous les premiers ministres provinciaux, mais si, dans les faits, les militaires doivent de plus en plus intervenir dans les provinces en cas de crise quelconque, il est plus que raisonnable de reconnaître que tous les intervenants devront en discuter et de reconnaître la légitimité de chacun d'eux. Je n'oserais même pas m'aventurer dans ce champ de mines que sont les conjectures sur ce qui se passerait dans l'éventualité où une partie du pays se séparerait—le fait que nous n'y pensons pas à l'avance, que nous ne nous demandons pas à qui ces gens-là doivent rendre des comptes. À qui devront-ils justifier leur comportement?
Pour le moment, je dis seulement que cela n'incombe plus seulement au premier ministre. Cette tâche est dévolue à beaucoup d'autres intervenants, sauf que nous avons les plus grandes difficultés à nous mettre dans la tête que nous sommes maintenant en présence de cette nouvelle multiplicité des responsabilités à l'égard des forces armées. Je crains que vous, membres du comité, ne devriez commencer à y réfléchir, à faire preuve d'imagination et à trouver des solutions.
Le vice-président (M. Bob Wood): Vous faites également remarquer qu'un contrat social, c'est plutôt une entente officieuse concernant le bon comportement ainsi que des buts, des croyances et des attitudes partagés. Puisqu'il s'agit d'une entente non officielle relativement à de grands principes généraux, est-il nécessaire, à votre avis, de définir cela aussi précisément que certains de vos collègues le proposent? Pouvons-nous définir ce contrat social sans nous lancer dans un débat technique ou philosophique, ou bien est-ce inévitable?
M. Gilles Paquet: Cela dépend. La Magna Carta est à mes yeux un modèle de contrat moral qui nous lie tous. Il s'agissait simplement à l'époque de rappeler aux gens un certain nombre de vérités fondamentales et de faits incontournables.
Plus on entre dans les détails, plus l'on devient précis, et plus ce sera controversé. C'est pourquoi, comme le professeur Copp l'a dit, la déclaration devra être rédigée en termes généraux, à l'instar de la Charte des droits. Mais le texte doit être suffisamment vigoureux pour que les gens aient le sentiment qu'il y a là un engagement et qu'il y a moyen de dénoncer une éventuelle atteinte à cet engagement précis.
Je préfère pour ma part l'expression «contrat moral», parce qu'il y a certaines choses que l'on ne peut pas mettre par écrit, mais le mot «moral» a une forte connotation d'engagement. J'aurais le sentiment d'avoir pris un engagement moral... c'est pourquoi j'ai dit que le gouvernement a rompu l'engagement moral qu'il avait pris envers les forces armées dans ce compromis: vous risquez votre vie et je vais vous donner l'équipement voulu pour le faire. Nous avons rompu notre engagement et personne ne l'a dénoncé.
Je dis par conséquent que la déclaration, la charte, le contrat moral doit être rédigé de telle manière qu'il sera facile pour le citoyen de comprendre qu'il y a eu violation, le cas échéant, et qu'il sera facile pour certains—nous, vous, d'autres encore—d'expliquer aux citoyens qu'il s'est passé quelque chose d'abusif et d'inacceptable.
Le vice-président (M. Bob Wood): Merci.
[Français]
Madame Bujold, avez-vous d'autres questions?
Mme Jocelyne Girard-Bujold: Je pense que c'est M. Richardson et M. Clouthier qui ont dit qu'aujourd'hui, les gens ne reconnaissaient pas la valeur des Forces canadiennes. M. Richardson nous a donné des exemples très précis démontrant que les gens ne connaissaient pas le travail des militaires.
Je pense qu'on revient au départ. Vos observations, professeur Paquet et professeur Copp, démontrent qu'il est important de définir leur rôle et que les Canadiens participent à l'élaboration de cette définition. On ne pourra jamais être fiers de nos Forces armées canadiennes si on ne nous dit pas quel est précisément leur rôle. Il s'agit de définir le rôle des Forces armées canadiennes. Vous savez, il y a une base militaire juste à côté de ma circonscription, et je rencontre souvent les militaires. Ils ne sont pas très heureux à l'intérieur de cette structure.
Vous savez que dans le passé, le militaire était dans une cage dorée. Personne n'avait le droit d'aller voir tout ce qui avait trait à la défense. Personne ne pouvait s'approcher de cela. C'était une structure qui restait à l'intérieur d'elle-même. Je disais que c'était une cage dorée. Il serait peut-être bon de brasser cette cage dorée afin qu'on puisse enfin parler du rôle que les militaires ont joué dans le passé, du rôle qu'ils jouent présentement et du rôle qu'ils devront jouer à l'avenir, pour que tous les Québécois et les Canadiens soient fiers de ces gens qui décident d'entrer dans les Forces armées canadiennes pour défendre leur pays et participer à des missions de paix.
• 1050
Tous les éléments que vous nous
avez donnés me prouvent qu'il est important
de le définir, et cela très rapidement.
Je ne sais pas si le professeur Paquet...
M. Gilles Paquet: Je pense que vous avez raison. L'élément le plus important de ma présentation d'aujourd'hui a été de vous rappeler de ne pas vous laisser piéger par les problèmes de paye, de conditions de travail, de soutien à la famille. Ce sont tous des problèmes très importants, mais si vous les réglez à la pièce, vous ne résoudrez pas le problème le plus important, qui est celui de la direction générale dans laquelle nos Forces armées doivent aller. Ce contrat moral, comme je l'appelle, va guider toutes les autres sortes de décisions par la suite. Si je réussis à vous convaincre qu'il faut définir un peu mieux le rôle que les politiciens souhaitent donner aux Forces armées, je n'aurai pas perdu mon temps.
Mme Jocelyne Girard-Bujold: Professeur Copp, pouvez-vous me donner votre opinion sur ce que je viens de dire?
[Traduction]
M. Terry Copp: Je me demande si ce qui vous préoccupe, ce n'est pas plutôt la question de l'orientation et de la structure future des forces armées, des rôles qu'elles seraient appelées à jouer au Canada et à l'étranger. Si c'est bien la question, j'ai limité tout à fait délibérément mes propres observations, en ce sens que je crois que le maintien d'une force apte au combat, organisée plus ou moins fondamentalement telle qu'elle est aujourd'hui, est d'une importance vitale.
Je voudrais simplement dire, en partie en réponse à un commentaire que quelqu'un a fait tout à l'heure, moi qui ai étudié l'histoire militaire et qui ai dirigé les études d'autres étudiants en cette matière, je peux dire carrément que dans la période de l'après-guerre, les Forces armées canadiennes ont à plusieurs reprises dit au Cabinet: nous n'avons pas vraiment les ressources voulues pour faire ce que vous nous demandez de faire; et le Cabinet a rétorqué: faites-le quand même. En fait, j'ai récemment fait remarquer à l'occasion d'une conférence qu'il n'est pas arrivé une seule fois, entre l'intervention de Pearson dans les années 50 et les années 90, que le gouvernement canadien dise non. Il est peut-être arrivé que le gouvernement ait dit, écoutez, nous ne pouvons pas faire exactement cela, mais nous pourrions peut-être faire ceci à la place, qu'en pensez-vous? Mais il n'a jamais dit non.
À mon avis—et je crois que les faits et gestes du premier ministre Chrétien prouvent ce que j'avance, puisqu'il a accepté de jouer un rôle pendant la mobilisation en vue d'une intervention dans le Golfe, après avoir adopté une position contraire dans ce dossier longtemps auparavant, quand la guerre du Golfe a éclaté—la réalité géopolitique dans laquelle le Canada évolue est telle que les politiciens exigeront, parce que le public l'exigera, que le Canada soit en mesure de participer à une large gamme de missions nécessitant des forces aptes au combat. C'est pourquoi je trouve inconcevable que nous puissions ne plus posséder des forces capables d'intervenir aux côtés de nos alliés dans des situations qui sont inconnues et imprévisibles. Tout ce que le passé peut nous apprendre, c'est que de telles situations ne manqueront pas d'arriver et qu'elles nous prendront par surprise.
[Français]
Mme Jocelyne Girard-Bujold: Ce que vous me dites est vrai. Alors, pourquoi en êtes-vous rendus là? On est à l'aube d'un nouveau siècle présentement. Les conditions ont changé. Tout change présentement. Le rôle des Forces armées va aussi changer. Si leur rôle présent et futur est bien défini dans une charte, les gouvernements ne pourront pas faire autrement que d'acquiescer à leurs demandes par rapport à ce nouveau rôle. Il doit être défini généralement, comme le dit le professeur Paquet, et pas nécessairement de façon pointue. Ce sera un élément de plus pour les aider à réaliser leur mandat. C'est ce que je pense. Votre interrogation me porte à croire qu'il est encore plus important de le définir afin que les gouvernements et les politiciens ne viennent pas contrer des choses qui seraient définies dans leur mandat, présent ou futur.
[Traduction]
M. Terry Copp: Je suis d'accord.
[Français]
Mme Jocelyne Girard-Bujold: Merci.
[Traduction]
Le vice-président (M. Bob Wood): John Richardson.
M. John Richardson: Merci beaucoup, monsieur le président.
Encore une fois, professeur Paquet et professeur Copp, je voudrais vous remercier d'être venus témoigner et en particulier de nous avoir présenté quelque chose de concret, un plan qui est lourd de conséquences pour l'avenir des forces.
Je voudrais, au nom de tous les membres du comité, exprimer le voeu que si vous participez à cette étude et si vous êtes appelés à y participer activement...
À un moment donné, monsieur le président, je voudrais qu'ils puissent nous tenir au courant périodiquement, afin que nous apportions notre soutien à un tel programme. J'ai hâte de voir cette prochaine étape.
• 1055
Je me félicite de cette initiative et je compte avoir le
plaisir de vous revoir tous les deux. Je pense que nous nous
comprenons bien. En tout cas, j'ai bien aimé votre franchise à tous
les deux dans vos réponses. Vous n'avez pas beaucoup patiné. Je
vous en suis reconnaissant.
Le vice-président (M. Bob Wood): Monsieur Benoit.
M. Leon Benoit: Merci, monsieur le président.
Cela fait je ne sais combien de fois que j'entends cette expression «contrat social». Les mots à eux seuls suffisent à me rendre nerveux. Si nous mettions davantage l'accent sur une définition plus précise du rôle des militaires, si l'on tentait plutôt de faire des changements structurels pour que les militaires puissent fonctionner sans qu'il y ait autant d'ingérence de la part des bureaucrates...
Et puis je trouve que vous avez fait une déclaration importante, à savoir que les politiciens se laisseront fléchir par les exigences du public. Vous dites que le public exige que le Canada intervienne un peu partout dans le monde. S'il en est ainsi—et je signale que je ne suis pas du tout certain que ce soit ce que le public a dit dans bien des cas—alors le gouvernement ne devrait-il pas répondre à cela en faisant en sorte que les politiciens les plus en vue au pays reconnaissent l'importance des militaires, dont on a parlé tout à l'heure, et le fassent savoir aux Canadiens.
Et cela doit venir du premier ministre. En 30 ans, je n'ai jamais entendu un premier ministre dire que nous avons besoin de nos militaires, qu'ils accomplissent une fonction extrêmement importante dans notre pays, que nous dépendons d'eux pour assurer notre sécurité. Je n'ai jamais entendu un premier ministre dire cela en 30 ans. Le ministre de la Défense le dit. Je ne pense pas avoir jamais entendu un ténor de la politique, autre que le ministre de la Défense nationale, dire une chose pareille au cours des 30 dernières années.
Il y a cinq, six, sept ans, je me demandais pourquoi nous devions dépenser 12 milliards de dollars pour les militaires. Qu'est-ce qu'on obtenait pour ce montant? Le message que je recevais était que nous n'avions plus vraiment besoin d'eux: les Américains vont nous défendre, qu'avons-nous à faire d'une armée? Ce message était erroné. Depuis lors, j'ai compris à quel point il est critique de pouvoir compter sur des militaires, y compris une unité apte au combat.
Mais comment cela pourra-t-il jamais arriver? Comment les citoyens du Canada peuvent-ils décider qu'il vaut la peine d'investir l'argent de leurs impôts dans les forces armées, si nos plus hauts dirigeants, à commencer par le premier ministre, refusent de se commettre et de transmettre clairement ce message au grand public? Tant que cela n'arrivera pas, je ne vois vraiment aucun véritable espoir de changement qui soit le moindrement valable.
Je voudrais savoir ce que vous en pensez.
M. Terry Copp: C'est tellement facile d'être d'accord avec vous. Durant la dernière campagne électorale, j'ai été fort étonné de constater qu'aucun des partis politiques ne s'est vraiment penché sur la question de l'avenir des forces armées. Je me rappelle avoir demandé à Doug Young, le ministre d'alors, s'il profiterait de la campagne électorale pour décrire certains problèmes auxquels les militaires sont confrontés et indiquer que le gouvernement avait des propositions à faire pour les résoudre. Il a dit non, je ne crois pas que les forces armées seront une question d'actualité dans cette campagne électorale. Il avait raison; il n'en a pas été question.
M. Leon Benoit: Ce ne sera jamais d'actualité tant que le premier ministre et les plus hauts dirigeants n'en feront pas une question d'actualité.
M. Terry Copp: J'en conviens.
M. Gilles Paquet: Mais j'ai de la difficulté à comprendre pourquoi le contrat social vous inquiète tellement. En fait, l'idée du contrat social, de la déclaration, de la tentative que nous avons tous les deux proposée ce matin, c'est d'obtenir que le gouvernement et le premier ministre fassent une déclaration, qu'ils s'engagent officiellement, même si cela a valeur morale et non légale...
Je sais que l'expression contrat social rappelle vaguement Jean-Jacques Rousseau et que cela peut en tracasser certains, mais je vous exhorte de ne pas écarter cela, parce que beaucoup des points que vous essayez de faire valoir seraient justement bien servis par l'existence d'un contrat moral ou social de ce genre.
M. Leon Benoit: Merci beaucoup.
Le vice-président (M. Bob Wood): Merci.
Merci, professeur Paquet et professeur Copp, de nous avoir fait part de vos réflexions ce matin. Il est évident que sur certaines questions, vous avez touché une corde sensible chez beaucoup de membres du comité, ce qui est excellent, et nous vous sommes des plus reconnaissants de nous avoir parlé en toute franchise. Cela a été très utile au comité, à en juger d'après le nombre de questions qui ont été posées. Merci encore d'être venus nous rencontrer ce matin.
Le comité s'ajourne maintenant jusqu'à lundi matin, à 9 heures, lorsque nous reprendrons nos travaux à la base des forces armées de Kingston.