INDU Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON INDUSTRY
COMITÉ PERMANENT DE L'INDUSTRIE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 4 mai 2000
Le vice-président (M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.)): La séance est ouverte. Conformément au mandat que lui confère le paragraphe 108(2) du Règlement, notre comité procède à l'examen de la Loi sur la concurrence.
Je souhaite la bienvenue aujourd'hui au professeur Thomas Ross, de la Faculté du commerce et de l'administration des entreprises de l'Université de la Colombie-Britannique, et à M. Lawson A. Hunter, associé chez Stikeman Elliott et ancien directeur du Bureau de la concurrence. Nous ne nous souvenons plus très bien de la date, cependant. Soyez les bienvenus. Nous allons commencer par M. Ross.
M. Thomas W. Ross (professeur, Faculté du commerce et de l'administration des entreprises, Université de la Colombie- Britannique): Merci, monsieur le président.
Je tiens tout d'abord à remercier chaleureusement le comité de m'avoir invité. C'est en réalité pour moi un plaisir et un honneur d'être ici. Voilà déjà un certain temps que je m'occupe de la politique de la concurrence et il est très encourageant de voir que l'on s'intéresse d'aussi près à cette question. Je ne m'étais encore jamais présenté devant un comité parlementaire quand, il y a quelques mois, on m'a demandé de comparaître devant le Comité des transports sur la question de la concurrence dans l'industrie aérienne, et voilà qu'aujourd'hui on m'offre une nouvelle occasion d'intervenir. Je m'en réjouis à l'avance.
Vous avez devant vous, je l'espère, une copie de notes que j'ai préparées, et je pense qu'elles ont par ailleurs été traduites. Étant donné que je n'ai pas beaucoup de temps, si vous n'y voyez pas d'inconvénients, je vais passer en revue les différentes questions selon la priorité que je leur accorde, car je me rends compte qu'il m'est impossible de vous exposer tout ce qui figure dans ces notes. N'hésitez pas cependant, au moment venu, de me poser toutes les questions qui vous viendront à l'esprit au sujet de mes notes.
J'aimerais tout d'abord vous parler de la réforme des dispositions ayant trait à la collusion, qui figurent à l'article 45. Je suis très impressionné par les propositions faites dans le projet de loi C-472. Depuis 1990-1991 environ, je préconise, et j'ai publié des études à cet effet, une modification produisant à peu près les mêmes effets que celle de ce nouveau projet de loi au sujet des ententes sur les prix.
Il me paraît important de créer deux directions s'occupant des ententes passées entre les concurrents, l'une d'entre elles se chargeant de faire condamner, plus facilement qu'à l'heure actuelle, ceux qui véritablement fixent artificiellement les prix. Selon la législation actuelle, ces condamnations peuvent être très difficiles à obtenir étant donné qu'il faut prouver que l'on a agi «indûment», ce qui peut être gênant. Toutefois, je reconnais que d'un autre côté nous devons laisser davantage le champ libre aux alliances stratégiques et aux coentreprises, dans le cadre de ces accords complexes que nous voyons apparaître de nos jours entre des entreprises qui, à certains égards, sont concurrentes, mais qui par ailleurs peuvent tirer parti, de même que l'ensemble du Canada, de cette collaboration. J'ai donc préconisé la création de ces deux directions aux termes de la loi. Je l'ai écrit vers 1990-1991.
Je pense que vous avez entendu il y a quelques jours Tim Kennish. En sa compagnie, j'ai rédigé une étude très détaillée concernant ce projet. Vous en avez aussi certainement une copie. Dans la négative, je pourrais certainement vous en fournir une. Le nouveau projet de loi C-472 ressemble de très près à ce que nous voulions proposer avec Tim, ce qui est magnifique.
J'ai cependant deux sujets de préoccupation sur lesquels je désire attirer votre attention. Tout d'abord, le nouveau paragraphe 79.1(1) qui est proposé, qui s'applique à la direction en quelque sorte désignée pour s'occuper de ces alliances stratégiques et de ces coentreprises, ne prévoit pas de moyen de défense alléguant l'efficacité de l'opération. Cela confère un pouvoir discrétionnaire au tribunal. On déclare que le tribunal peut prononcer une ordonnance, mais on ne précise pas vraiment sur quel motif il doit se fonder. À notre avis, il convient de considérer ces ententes comme on le fait pour les fusions. Dans le cas des fusions, on tient compte des moyens de défense axés sur l'efficacité. C'est d'ailleurs le principal critère d'analyse, car il faut pouvoir examiner l'efficacité de l'opération, qui contrebalance ses effets pernicieux sur la concurrence. Parfois, les conséquences dommageables pour la concurrence restent relativement faibles par rapport aux gains que sont susceptibles de procurer les coentreprises ou les alliances stratégiques. J'aimerais donc que l'on envisage ici un moyen de défense axé sur l'efficacité. J'ai rédigé avec Tim un projet en ce sens, mais d'autres spécialistes pourraient probablement mieux le faire que nous. Quoi qu'il en soit, c'est mon premier sujet de préoccupation.
Ma deuxième préoccupation, et vous m'en voyez quelque peu marri, a trait au garde-fou de 25 p. 100 qui figure ici. Cette disposition exempte pour l'essentiel les ententes de tout examen lorsque les parties ont moins de 25 p. 100 du marché. Si j'en suis quelque peu gêné, c'est parce que j'avais proposé cette éventualité dans l'étude que j'ai rédigée avec Tim Kennish. Je n'y suis plus favorable maintenant. Si je n'y suis plus favorable, c'est parce que j'estime qu'une telle disposition ne doit pas être prévue par la loi; elle relève à mon avis de la réglementation.
• 0915
Si je dis que cette disposition ne doit pas figurer dans la loi—et
j'aimerais avoir l'opinion de Lawson Hunter à ce sujet—c'est parce
que lorsqu'on définit quelque chose dans la loi de cette manière, on
ne fait que paver la voie à d'énormes contentieux au sujet de la
définition du marché, la partie en cause déclarant que le marché est
en fait national et qu'elle a moins de 25 p. 100 du marché national,
le commissaire pouvant estimer de son côté que le marché est davantage
local, provincial ou régional et que l'entreprise en cause a 50 p. 100
du marché du Québec ou des Maritimes, par exemple.
Étant donné que c'est précisé dans la loi, il faudra entamer un contentieux, éventuellement devant la justice s'il s'agit d'une action criminelle. Comme pour les fusions, j'aime le principe d'un garde-fou, mais je préférerais qu'il figure dans la réglementation plutôt que dans la loi.
Ce sont là les deux grands points sur lesquels je voulais intervenir au sujet de l'article 45.
Je passe maintenant au refus de vendre. Je n'aime pas beaucoup l'article 75 qui traite du refus de vendre. J'estime que les dispositions portant sur l'abus de position dominante devraient pouvoir être appliquées à ce genre de comportement lorsqu'il est vraiment gênant. Ce qui me dérange surtout au sujet du refus de vendre, c'est qu'il n'a aucun lien avec les effets sur la concurrence. Sur presque tous les points, pour enfreindre les dispositions de la Loi sur la concurrence, il faut d'une manière ou d'une autre restreindre la concurrence. Toutefois, il n'en va pas de même pour le refus de vendre. Il y a tout simplement quelqu'un qui est gêné dans son exploitation parce que vous ne lui fournissez pas ce dont il a besoin. Le tribunal a accepté de définir les marchés en fonction des marques, de sorte que si vous êtes un vendeur de pièces Chrysler et que si votre client ne réussit pas à obtenir des pièces, c'est une raison suffisante pour le tribunal, ce qui fait qu'une affaire qui devrait porter en quelque sorte sur un contrat privé relève désormais de la Loi sur la concurrence.
Les nouvelles dispositions du projet de loi C-472 privatisent ces conflits. En l'occurrence, il est bon de faire en sorte que des recours privés puissent régler la question de ces refus de vendre, ou du moins de prévoir la possibilité de ces recours, mais à mon avis, si vous procédez ainsi, il est d'autant plus important d'établir un certain critère portant sur les effets sur la concurrence. Il faut que le refus de vendre porte atteinte à la concurrence et non pas à un simple concurrent. Il ne s'agit pas de protéger les concurrents inefficaces. Il ne s'agit pas de permettre à une entreprise d'en obliger une autre à lui vendre des fournitures même si cette dernière ne veut pas le faire parce qu'elle estime que la première n'est pas en mesure d'en faire un bon usage ou si cela n'est pas conforme à sa stratégie d'approvisionnement. Vous remarquerez qu'il n'est même pas besoin d'avoir déjà acheté par le passé pour pouvoir se prévaloir de cet article. Il vous suffit d'aller voir quelqu'un, de lui demander de vendre et qu'il vous le refuse. Si l'on règle cette affaire dans le cadre du droit privé des contrats, on dispose alors de moyens de recours.
Je préférerais donc que l'on élimine purement et simplement les dispositions s'appliquant au refus de vendre, en sachant que si c'est le fait d'une entreprise jouissant d'une position dominante, on peut toujours se prévaloir de l'abus de position dominante, qui ne respecte pas les critères protégeant la concurrence.
À défaut, j'ajouterais un critère lié à la concurrence, quelque chose établissant qu'il faut que la concurrence soit restreinte puis, comme le fait le projet de loi C-472, j'autoriserais les parties à intenter pour leur propre compte des recours privés si le commissaire considère qu'il n'est pas dans l'intérêt général qu'il le fasse lui-même.
Je ferais maintenant quelques observations au sujet du Bureau de la concurrence et de la loi en général.
Je considère que de manière générale il s'agit d'une loi bien structurée, moderne et dont nous pouvons être fiers. Elle est le reflet d'une pensée économique moderne. C'est une législation qui impose une réglementation économique. Il est important de s'en souvenir. Elle se présente très bien pour l'instant. Je m'en montre très fier lorsque j'en parle à mes collègues étrangers. Cela dit, j'ai bien entendu des idées au sujet de sa révision.
Je pense que nous pouvons aussi être assez fiers du Bureau de la concurrence. Compte tenu des ressources dont il dispose, il a fait un excellent travail. Ce travail est respecté à l'étranger et les pays qui se chargent d'élaborer de nouvelles lois sur la concurrence ou de mettre en place de nouvelles politiques d'application des lois existantes nous demandent régulièrement des conseils, ce qui vous donne une idée de notre stature internationale.
J'aime le principe consistant à associer des juristes et des non-juristes au sein du tribunal. Je suis un peu moins convaincu par les membres non-juristes à temps partiel. Je ne vois pas très bien quel genre de non-juristes à temps partiel peut être utile au tribunal. Je suis très satisfait des membres non juristes siégeant à l'heure actuelle et ayant siégé par le passé au sein du tribunal. Je ne suis pas sûr, cependant, que l'on puisse obtenir à temps partiel le personnel de qualité dont nous avons besoin.
J'ai deux sujets de préoccupation concernant le bureau. Tout d'abord, il manque de ressources et de personnel dans certains domaines. Cela vient en partie de l'élargissement de son mandat. Toutes sortes de secteurs qui étaient jusqu'alors réglementés tombent désormais sous sa coupe: les télécommunications, bientôt l'électricité, et le gaz naturel. Différents marchés qui jusqu'alors ne relevaient pas de son mandat en font partie désormais, la privatisation renforçant bien entendu cette tendance. Bien évidemment, le travail supplémentaire imposé par la vague des fusions n'a fait qu'aggraver la situation.
• 0920
Mon deuxième sujet de préoccupation au sujet du bureau est la place
qui y est faite à l'économie. De toute évidence, la Loi sur la
concurrence établit une réglementation économique—du meilleur cru, à
mon avis. Je ne suis pas sûr que l'économie occupe toute la place qui
lui revient dans le fonctionnement du bureau. Vous verrez que je
propose la création d'un poste d'économiste en chef, qui serait en
quelque sorte le bras droit du commissaire et qui dirigerait le
travail et veillerait sur la qualité des études des économistes, aussi
bien à l'interne que les consultants extérieurs appelés à fournir des
conseils sur certaines affaires.
Quant aux dispositions s'appliquant aux prix abusifs, j'aime le principe qui consiste à ne plus les faire figurer dans le droit criminel. On pourrait soit les laisser à l'article 79, en cas d'abus, soit établir une nouvelle disposition civile s'appliquant aux prix abusifs. Je pense que ce serait bien dans les deux cas. Je considère qu'il est nécessaire de pouvoir prononcer des ordonnances temporaires en cas de prix abusifs, même s'il me semble que la formulation des dispositions actuelles risque d'être trop large et d'accorder trop de pouvoir au commissaire.
Pour ce qui est des prix imposés, il y a en quelque sorte une anomalie, étant donné que nous reconnaissons les avantages éventuels sur le plan de l'efficacité de pratiques comme les ventes exclusives ou les ventes liées. Nous n'en faisons pas des actes criminels et elles ne sont pas en soi illégales. Il est en quelque sorte étrange que nous agissions ainsi vis-à-vis des prix imposés. Il y a bien d'excellentes raisons de recourir aux prix imposés qui n'ont rien à voir avec la restriction de la concurrence.
Je ne suis pas de ceux qui disent que les prix imposés sont toujours efficaces et ne peuvent jamais nuire à la concurrence. Je considère qu'ils peuvent effectivement nuire à la concurrence. Mais, comme on l'a proposé, je prévoirais à cet effet un recours civil, une procédure de révision, et j'accorderais en l'espèce un moyen de défense fondé sur l'efficacité, ou du moins l'intervention d'un critère se rapportant aux répercussions sur la concurrence. Là encore, il est assez étrange qu'on ne l'ait pas déjà fait jusqu'à présent. C'est en quelque sorte une anomalie historique.
Si j'avais le choix, je supprimerais purement et simplement les dispositions traitant de la discrimination par les prix et je me référerais uniquement à l'abus de position dominante si quelqu'un y avait recours pour imposer une discrimination par les prix.
Les dispositions portant sur la discrimination par les prix n'ont pas été très efficaces jusqu'à présent, mais c'est peut-être mieux comme ça. Les Américains, aux termes de la loi Robinson-Patman, se sont vus parfois forcer la main par de petits acheteurs s'efforçant d'obtenir des rabais auxquels ils n'avaient même pas particulièrement droit en vertu des dispositions s'appliquant à la justification des coûts. Je ne pense pas vraiment que ce soit pour nous une bonne chose.
J'ai une ou deux dernières choses à ajouter et ensuite je vais me taire. Je vous le promets.
M. Dan McTeague (Pickering—Ajax—Uxbridge, Lib.): C'est notre travail.
M. Thomas Ross: C'est une chose bien difficile à dire pour un professeur.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Non, vous aurez les questions.
M. Thomas Ross: Très bien, en effet.
Je ne pense pas que les recours privés devant le tribunal soient une bonne chose. Certains des contentieux de ce type, tels que le refus de faire telle ou telle chose, ne sont en fait que des conflits contractuels entre des personnes qui n'ont pas réussi à bien exécuter le contrat au départ et qui veulent alors—du moins, une des parties en cause—que le commissaire bataille à leur place.
Je pense qu'il est donc bon qu'on permette au commissaire de s'abstenir dans ce cas et de laisser les parties privées se débrouiller. Si toutefois vous envisagez les recours privés devant le tribunal, je vous invite cependant à prévoir un critère lié aux incidences sur la concurrence.
Il ne faut pas adopter en l'état la disposition traitant du refus de vendre parce qu'alors tous ceux qui veulent obliger un vendeur à les approvisionner vont s'en prévaloir. Il se peut pourtant que ce refus n'ait aucun effet sur la concurrence. Il vous faut donc à mon avis un critère s'appliquant aux effets sur la concurrence chaque fois que vous prévoyez un recours privé.
N'oubliez pas que les batailles dans le secteur de la distribution—je pense que je le signale aussi dans mes notes—remontent à plus d'un siècle. Lorsque A&P a entrepris de créer de grandes chaînes de magasins, d'abord aux États-Unis, puis finalement au Canada dans la deuxième moitié du XIXe siècle, les détaillants traditionnels se sont sentis très menacés. Ils ont entrepris toutes sortes de recours pour lutter contre cette implantation, y compris en faisant pression sur les politiciens, qui ont fini par adopter des législations sur la discrimination par les prix au Canada et aux États-Unis. Les États-Unis ont ensuite adopté une fiscalité particulière pour les magasins à chaîne, dans le seul but de les gêner au bénéfice des magasins familiaux.
Ces batailles ne datent donc pas d'aujourd'hui. Ce que nous disons, c'est qu'il faut protéger la concurrence et non pas nécessairement les concurrents individuels.
• 0925
Enfin—et c'est en quelque sorte une dernière note—on n'a pas prévu
non plus de critère lié aux effets sur la concurrence en matière de
prix à la livraison et je considère, pour les raisons que j'ai
indiquées au sujet du refus de vendre, que l'on ne devrait pas
intenter de recours en matière de prix à la livraison à moins que l'on
considère que cette pratique nuit à la concurrence.
Je vous remercie.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci, monsieur Ross.
Je vais maintenant donner la parole à M. Hunter.
M. Lawson A.W. Hunter (associé, Stikeman Elliott): Merci, monsieur le président. Je m'efforcerai d'être très bref. La seule étude que j'ai rédigée à ce sujet a été présentée lors d'un colloque organisé par l'université Queen's sur la question du droit des fusions.
Comme je l'ai mentionné au greffier, je tiens à préciser à titre de préambule que j'exprime ici mon point de vue personnel. Ce n'est pas le point de vue de mes clients, dont certains pourraient être intéressés par le mandat de votre comité.
Vous vous êtes demandé, monsieur le président, à quelle date j'ai occupé les fonctions de directeur aux termes de la loi. C'était entre 1981 et 1985. Depuis cette époque, on a accordé davantage d'intérêt et d'appui à la politique sur la concurrence dans notre pays, et je pense qu'il s'agit là d'une évolution très positive.
Lorsque j'ai quitté mes fonctions, un journaliste m'ayant demandé quel était mon plus grand regret, je lui ai répondu que c'était le fait qu'à mon avis les Canadiens ne croyaient pas vraiment que le marché puisse produire des résultats acceptables sur le plan économique ou social, ce qui rendait très difficile la promotion de notre politique. Comme vous le savez, les gouvernements successifs s'étaient efforcés pendant près de 20 ans d'apporter à la loi des grandes réformes qui ont été adoptées en 1986. Depuis cette époque, toutefois, je pense qu'il y a eu une évolution et le fait que votre comité entreprenne toutes ces démarches et qu'il se passe bien d'autres choses ailleurs, comme vous le savez tous, me confirme qu'il y a bien une évolution.
Cela dit, je vais vous parler quelque peu des risques qu'il y a à aller trop loin. Pour cela, je vais vous dire ce qui me paraît être un bonne politique sur la concurrence.
Tout d'abord, c'est une loi d'application générale, ce qui en fait un instrument très grossier. De ce fait, il s'agit d'un instrument très discrétionnaire. Il confère énormément de pouvoir aux responsables de la réglementation. Je dirais que les fonctions du commissaire à la concurrence en font l'un des responsables les plus puissants de la fonction publique de notre pays. Il dispose d'un énorme pouvoir. Je pense qu'il vous faut en tenir compte lorsque vous considérez les pouvoirs et les attributions correspondant à ce poste.
En second lieu, la politique sur la concurrence n'est pas une politique à court terme, les effets de la politique sur la concurrence sont à moyen et à long termes. Si vous pensez pouvoir l'utiliser—et j'imagine que c'est ce qui m'inquiète un peu—pour régler des problèmes à court terme, ce serait à mon avis une erreur.
En troisième lieu, la politique sur la concurrence n'a rien à voir avec l'équité. Elle peut être équitable en ce sens qu'il faut que tous les responsables du monde des affaires aient la même possibilité de prendre part au marché, mais il n'y a pas d'équité au sens où on accorderait un traitement égal à tous, ou tout le monde pourrait être en mesure d'acheter les produits au même prix ou de n'être pas désavantagé face à la concurrence. La politique sur la concurrence a uniquement pour but d'essayer de voir si certaines personnes peuvent obtenir un avantage par rapport à d'autres.
Enfin, elle ne s'intéresse pas à la distribution de la richesse au sein de l'économie. Elle s'intéresse à la façon dont cette richesse est répartie, en partant du principe que le marché est le meilleur moyen de distribuer la richesse, mais il ne s'agit pas de savoir si l'argent qui finit dans les poches de l'un aurait été mieux placé dans les poches de l'autre. Toute tentative visant à redistribuer la richesse au moyen de la politique sur la concurrence est donc à mon avis erronée.
Il s'ensuit donc par ailleurs qu'une politique sur la concurrence reprise par la loi est une politique doctrinale. Elle s'appuie sur une politique économique. Comme je l'ai indiqué à maintes reprises, le droit vise à incorporer une politique économique à la législation. Par conséquent, lorsqu'on cherche à voir ce que doit en fait comporter cette politique, on doit penser d'un point de vue doctrinaire. Il doit en être ainsi. Si vous cherchez à atteindre un autre objectif, un objectif social quelconque, par exemple, vous vous trompez à mon avis. Il vous faut chercher à le faire ailleurs. Si vous voulez intervenir pour aider certaines catégories, il vous faut le faire par un autre moyen.
• 0930
Je ne veux pas dire par là que nous allons trop loin, mais je vois
qu'il y a des risques. Ce n'est pas une panacée. Je m'en suis aperçu
lorsque je me suis retrouvé dans le secteur privé. Des gens sont venus
me voir, très découragés, pour me dire que la loi ne les aidait en
rien. Je dois vous avouer bien franchement, cependant, que dans la
plupart des cas il était normal qu'elle ne les aide pas.
Je ferai une dernière observation à ce sujet pour vous dire qu'il est facile parfois de définir ce qui est mauvais, les comportements que l'on juge mauvais. Il n'est pas toujours aussi facile de trouver un remède.
Je pourrais vous citer à ce titre l'exemple de Microsoft. Vous me direz que Microsoft a bien mal agi, et je n'en disconviens pas nécessairement, mais lorsqu'on se met à interroger les gens pour leur demander ce qu'il faudrait faire, comment remédier à la chose, les solutions ne sont pas aussi évidentes. On en arrive donc souvent à se demander: «Même si ce comportement me paraît erroné, comment y remédier sur le plan du droit?»
Je voudrais évoquer deux points en particulier. Dans le droit des fusions, je pense qu'il y a deux choses importantes qui probablement doivent être modifiées. Vous les trouverez toutes deux dans mon étude.
Tout d'abord, je suis préoccupé par le fait que le droit actuel n'accorde pas suffisamment d'importance à l'innovation. En compagnie du bureau, nous devons conférer, soit dans la loi, soit dans les règlements, davantage d'importance à l'innovation au sein des marchés, ce qui détermine souvent le temps que l'on est prêt à accorder à l'étude de l'évolution des marchés. On a tendance à retenir un délai de deux ans, et je considère que dans certains secteurs il se peut que ce soit trop long. Dans d'autres, ce pourrait bien être trop court. Toutefois, je ne suis pas sûr que l'innovation soit bien prise en compte pour l'instant par la loi.
Ma deuxième observation porte sur l'efficacité. Je suis le principal rédacteur de la législation que vous avez devant vous, et à l'époque nous avions prévu un moyen de défense fondé sur l'efficacité dans le droit des fusions, ce que je considère comme étant probablement une bonne chose sur le plan des principes. Je pense toutefois que cela a eu pour effet de ne pas vraiment tenir compte suffisamment des gains d'efficacité dans le cadre du processus discrétionnaire d'examen des fusions. Je pense qu'il serait temps d'en faire un élément d'examen exprès lorsque le directeur décide de s'opposer à une fusion.
D'ailleurs, la FTC a entrepris une longue série d'auditions, dont j'ai parlé dans mon étude, concernant la façon de tenir compte des gains d'efficacité. Elle en a conclu qu'il était préférable d'en faire un élément à prendre en considération plutôt qu'un moyen de défense. À mon avis, il est important que les entreprises canadiennes soient en mesure d'exercer leur concurrence au plan international. Nous devons leur garantir la possibilité d'améliorer leur efficacité et de réduire leurs coûts au sein d'une économie de plus en plus mondialisée.
Je ferai rapidement deux dernières observations.
Pour ce qui est des recours privés, je dois vous dire que je n'y suis pas favorable—et là encore j'en parle dans mon étude. À mon avis, il s'agit là d'un avantage comparatif du système canadien par rapport à celui des États-Unis. Notre société est moins contentieuse. Vous n'ignorez pas qu'aux États-Unis il y a bien davantage de recours permettant de tripler les dommages-intérêts. Je pense qu'il s'agit là d'un avantage comparatif pour le Canada et nous devrions prendre bien soin de ne pas abandonner notre système pour le leur.
En second lieu, je ne suis pas convaincu que la loi ne soit pas suffisamment respectée et appliquée dans l'état actuel des choses. On peut penser que s'il faut autoriser les recours privés, c'est parce que dans le cadre du régime en vigueur, les entreprises ne respectent pas la loi ou le responsable de la réglementation ne la fait pas suffisamment bien appliquer.
Essentiellement, dans les domaines dont nous parlons ici—ventes liées, ventes exclusives et refus de vendre—la loi n'a pas changé depuis que j'ai quitté mon poste de directeur.
Lorsque j'étais directeur, je demandais toujours au responsable concerné du bureau: où sont les affaires? Nous n'avons jamais eu d'affaires. En fait, il n'y en avait pas, et je suis sûr que la situation n'a pas changé, qu'il n'y a pas sur le marché de comportements tellement inadmissibles qu'il faille autoriser les recours privés.
À mon avis, ceux qui en bénéficieraient surtout, ce sont les avocats et certains économistes. Je ne suis pas sûr que l'économie ou même que de nombreuses entreprises en bénéficieraient.
• 0935
Je pense donc qu'il vous faut donc être très prudent à ce sujet—que
l'on va se servir de ces dispositions pour en tirer un avantage sur la
concurrence, un avantage stratégique. Si cela vous intéresse, je peux
vous raconter des histoires à faire dresser les cheveux sur la tête
concernant ce qui se passe d'ores et déjà en matière de recours privés
contre des sociétés canadiennes, car je m'occupe en ce moment de trois
affaires dans lesquelles je sais que des entreprises ont dépensé des
sommes énormes pour s'opposer à des poursuites absolument frivoles. On
ne fera par là qu'imposer aux entreprises des suppléments de coûts qui
ne produiront aucun avantage économique.
Enfin, sur la question des ordonnances provisoires, j'ai bien peur qu'il s'agisse là d'une modification majeure de l'institution qui confère au commissaire des pouvoirs de décision indépendants qui ont force de loi. Si vous décidez de le faire, prenez garde de ne pas oublier les protections accordées par la loi.
Voilà qui met fin à mon exposé. Je vous remercie.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci.
Monsieur Penson.
M. Charlie Penson (Peace River, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.
Je suis très inquiet de l'orientation que nous prenons en élargissant le mandat du Bureau de la concurrence et, par la même occasion, celui du personnel.
J'exploite avec ma famille une ferme en Alberta. Dans le secteur de l'agriculture, on a pris l'habitude de dire depuis longtemps: «Il faut faire bien attention à ce que l'on demande au gouvernement, on risque de l'obtenir.» C'est ce qui m'inquiète, et je pense que M. Hunter a évoqué la chose.
Il m'apparaît que ce qu'il y a de mieux pour la concurrence, c'est un marché en bonne santé et, comme vous l'avez indiqué, une loi sur la concurrence me semble être un instrument très grossier. Il me semble que ce ne doit être qu'une solution de dernier recours. Nous devrions nous efforcer de créer les conditions d'un marché florissant, ce qui nous éviterait d'avoir à connaître des affaires qui se présentent à nous.
Je me demande d'où vient l'urgence. Nous l'avons vu dans le secteur du transport aérien, mais où est l'urgence ici? Où est le problème que l'on appréhende et qui justifie que l'on renforce ici la législation?
M. Thomas Ross: La question peut légitimement se poser. Il ne m'apparaît pas clairement que de nombreuses dispositions législatives supplémentaires s'imposent. Il s'agit avant tout d'affiner les dispositions d'une législation qui, pour l'instant, donne de bons résultats.
Vous avez parlé d'urgence dans le cas du transport aérien. Le secteur du transport aérien nous a amenés récemment à nous inquiéter au sujet de l'imposition de prix abusifs et à nous demander si notre législation était suffisamment stricte sur ce point, ce qui nous a permis de poser le principe des ordonnances temporaires, par exemple, et ce qui débouche aujourd'hui sur des dispositions plus générales pour traiter ce genre de choses. Voilà donc un cas d'urgence. On a le sentiment que la loi n'est peut-être pas en mesure de mettre fin à ces comportements abusifs.
Il y a aussi l'urgence qui semble découler des préoccupations du monde des affaires—et Lawson pourra peut-être aussi en parler—qui cherche à adapter notre loi aux coentreprises et aux alliances stratégiques, car il a le sentiment qu'il pourrait y avoir là un blocage, que la loi est trop stricte à l'heure actuelle, ou du moins il le craint.
Imaginez que vous cherchiez à créer une coentreprise quelconque avec une société qui est votre concurrente. Selon la législation actuelle, vous pourriez théoriquement être en infraction et risquer la prison. Disons que cela ne se passe pas...
M. Charlie Penson: Comme dans le cas d'Air Canada avant qu'elle bénéficie d'une exemption.
M. Thomas Ross: Oui, elle a bénéficié d'une exemption. Il n'en reste pas moins que dans d'autres secteurs industriels, vous risquez la prison si vous rencontrez un concurrent pour lui parler d'une affaire, pour peu que cela implique des décisions prises en commun au sujet des prix ou autres, même si vous êtes en train d'élaborer un produit ou un procédé nouveau, si vous jugez qu'il est exceptionnel et que le marché va l'adopter avec enthousiasme et si cela ne va aucunement nuire à la concurrence.
Par conséquent, certaines propositions, y compris le projet de loi C-472 et tout ce dont nous avons parlé avec Tim Kennish, ne sont pas en fait des ajouts à la loi mais visent en quelque sorte à la rendre plus souple, à la décomposer pour qu'une partie de ses dispositions sanctionne très durement l'établissement de véritables cartels, la fixation de prix imposés dans le secteur des vitamines et dans d'autres domaines, par exemple, et à nous permettre en fait d'intervenir plus facilement en évitant de longues et difficiles poursuites judiciaires lorsqu'il ne s'agit effectivement que de savoir si l'on a bien agi «indûment». D'un autre côté, on pourrait traiter de manière plus impartiale des affaires mettant en jeu des alliances stratégiques ou des coentreprises, qui ne relèvent pas de la procédure pénale, sans que les intéressés ne risquent d'aller en prison ou d'avoir à payer d'énormes amendes. Il s'agirait en fait de traiter ces affaires plus ou moins comme des fusions.
Lors d'une fusion, on analyse d'un côté les avantages et de l'autre les coûts et on fait la part des choses dans l'intérêt de l'économie du Canada. Si tout bien considéré c'est une bonne chose, on autorise alors la fusion. Je ne considère donc pas que l'ensemble des dispositions qui nous sont présentées ici alourdissent notre réglementation.
• 0940
Après tout, le droit sur la concurrence est en quelque sorte inséré
dans un cadre législatif, comme l'a indiqué M. Lawson. La solution de
rechange, dans certains cas, c'est une réglementation propre à chaque
secteur. Étant donné que nous n'avons pas suffisamment de concurrence
dans le secteur du transport aérien, nous devons réglementer les
compagnies aériennes ou, si nous n'avons pas suffisamment de
concurrents dans le secteur du gaz naturel, il faut alors que le gaz
naturel... C'est la pire des solutions.
M. Charlie Penson: Monsieur Ross, excusez-moi de vous interrompre, mais je n'ai pas beaucoup de temps. Je voudrais simplement enchaîner sur ce que vous avez dit. Il est certain que les ordonnances provisoires—l'obligation de cesser certains agissements—visent à renforcer la concurrence...
M. Thomas Ross: Oui, absolument. Voilà une disposition qui résulte de la situation d'urgence créée avant tout par les affaires mettant en cause des prix abusifs.
M. Charlie Penson: Puis-je vous interroger un instant à ce sujet? Nous avons entendu d'autres témoins qui se sont préoccupés du fait...
M. Dan McTeague: Des avocats.
M. Charlie Penson: ... que l'on aille plus loin que les dispositions actuelles. Ils nous ont dit que la loi actuelle était suffisante et nous permettait de bien défendre notre cause devant un juge. Qu'en pensez-vous?
M. Thomas Ross: Les avocats sont peut-être mieux placés que moi pour répondre à cette question. En tant qu'économiste, je peux vous dire que nous avons besoin de certains pouvoirs pour agir rapidement lorsque des prix abusifs sont imposés, pour ménager la concurrence avant que la victime ne disparaisse.
M. Charlie Penson: Il n'en faut pas moins que ces dispositions soient adéquates, n'est-ce pas?
M. Thomas Ross: M. Lawson s'inquiète légitimement des pouvoirs conférés au commissaire par certaines propositions, et j'estime qu'il faut en tenir compte. Il appartient aux avocats de décider du bien-fondé de la procédure, mais le principe économique qui consiste à agir rapidement pour protéger la victime avant qu'elle ne disparaisse est un bon principe.
M. Charlie Penson: Certes, mais il faut aussi que les dispositions soient les bonnes parce que l'autre entreprise pourrait aussi devenir une victime, n'est-ce pas? Une ordonnance visant à faire cesser certaines activités à très court terme pourrait avoir des incidences très négatives sur une entreprise, si l'on se trompe.
M. Thomas Ross: Oui, bien sûr. Monsieur Lawson— M. Hunter—fait très justement remarquer qu'il ne faut pas qu'au Canada les gens puissent se prévaloir de la Loi sur la concurrence pour des raisons stratégiques. C'est ce que l'on voit constamment aux États-Unis, où les gens se servent de la Loi sur la concurrence pour abattre leurs concurrents, pour les ralentir en cas de fusion et pour les obliger à leur consentir de meilleurs prix qui ne sont pas justifiés par le simple jeu du marché. Nous aurions vraiment tort de nous lancer dans cette voie.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Une dernière question, rapidement.
M. Charlie Penson: J'aimerais avoir l'opinion de M. Hunter. À titre de commentaire, cependant, pour l'inciter à répondre, je dirais que comme dans le cas de notre loi antidumping, il me semble parfois que nous protégeons des secteurs industriels canadiens laissant beaucoup à désirer et que par conséquent il nous faut être très prudent lorsque nous concevons ce genre de loi. Je me demande simplement ce que vous en pensez.
M. Lawson Hunter: Je suis d'accord avec cette observation. J'exerce aussi en matière de dumping et je sais ce qui peut se passer dans ce domaine. Toutefois, votre première observation est très intéressante et je ferai quelques commentaires à ce sujet parce que je ne sais pas très bien quelle est la réponse.
Je ne cache pas que la plupart de mes clients appartiennent au monde des grandes entreprises. Je ne dirai pas que c'est la totalité, parce que je représente aussi des gens qui se plaignent du comportement de leurs concurrents plus gros, mais du point de vue des entreprises, il n'est pas vraiment nécessaire de modifier la loi, si ce n'est éventuellement qu'elles s'inquiètent du bien- fondé d'une telle loi dans une économie mondiale. Peut-on faire quelque chose pour nous assurer que l'économie et que les entreprises canadiennes sont aussi concurrentielles que possible?
Il y a un autre facteur, comme l'a mentionné Tom, c'est le fait que le gouvernement, en raison de l'OMC ou d'autres facteurs, n'a plus aujourd'hui tous les instruments de politique législative dont il disposait auparavant pour intervenir sur le marché. Je dis un peu à la blague au ministère de l'Industrie—et Kevin Lynch est l'un de mes amis—que l'on peut considérer que la politique sur la concurrence est l'outil de politique économique le plus puissant que conserve le ministère. Ce dernier avait l'habitude de distribuer toutes sortes de subventions et d'intervenir de toutes sortes de manières sur le marché. Aujourd'hui, il n'en reste plus grand-chose. Par ailleurs, du fait de la déréglementation et de l'ouverture de l'économie mondiale, la politique sur la concurrence est la seule infrastructure qui subsiste en matière de politique législative. Par conséquent, si des pressions politiques s'exercent, c'est je pense parce que l'on a tendance à dire: «Bon, qu'est-ce qui nous reste? Faisons...
M. Charlie Penson: Il y a cependant la limitation des investissements.
M. Lawson Hunter: ... intervenir celle-là».
Je pense aussi que c'est parce que la visibilité est plus grande. Bien évidemment, des affaires comme celles des fusions entre les banques ou entre les compagnies aériennes rendent cette politique plus visible et attirent l'attention. Quant à savoir si ces raisons sont bonnes ou mauvaises, je n'en sais rien. Je constate simplement qu'il en est ainsi.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci, monsieur Penson.
Monsieur McTeague.
M. Dan McTeague: Merci, messieurs, d'être venus ici aujourd'hui.
Je me dois de faire remarquer que lorsque mon collègue de l'Alliance—si c'est bien là le nom que se donne son parti de nos jours—s'inquiète de l'étendue des pouvoirs qui s'exercent sur des gens que l'on peut soupçonner d'avoir commis des infractions à la concurrence ou des actes illégaux, on ne saurait jamais être trop prudent. Pourtant, lorsqu'il s'agit du Code criminel, ils sont les premiers à s'assurer que la police dispose de tous les pouvoirs nécessaires à une arrestation. Je pense que c'est une contradiction que de toute évidence il leur faudra résoudre l'année prochaine, car de notre côté nous n'avons pas eu ce genre de problème. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons pris cette initiative. Je pense qu'elle a beaucoup à voir avec...
M. Charlie Penson: Nous avons des points de vue différents, c'est indéniable.
M. Dan McTeague: ... le fait que nous veillons sur les petites entreprises. Nous ne sommes pas particulièrement inféodés aux compagnies pétrolières ou aux grands groupes d'intérêt, et je pense que nous l'avons fait savoir très clairement. Nous voulons être sûrs de représenter tous les gens, et non pas certaines gens.
Professeur Hunter, j'ai lu beaucoup de choses vous concernant et je sais bien dans quelle situation particulière vous vous êtes retrouvés en 1984 au sujet de l'affaire Southam, je crois. Je pense que vous étiez à l'époque directeur des enquêtes ou directeur de l'ancienne commission sur les pratiques restrictives du commerce. L'affaire Hunter c. Southam Inc. se rapportait...
M. Lawson Hunter: J'étais le poursuivant.
M. Dan McTeague: Vous étiez le poursuivant. Vous allez maintenant être le poursuivi.
Ça m'intéresse. Il nous apparaît au sein de ce comité que ceux qui s'opposent à la moindre modification, à moins de préconiser bien entendu le statu quo, semblent être les avocats ayant de très gros clients, qui défendent les intérêts des plus gros parmi les gros dans notre pays, et qui estiment que le statu quo est acceptable.
Notre comité a déjà entendu des témoignages indiquant que le barreau canadien est bien davantage qu'aux États-Unis favorable aux mesures de protection qu'a la concurrence ou aux lois antitrust. Nous notons ici les différences qui existent avec les recours civils qu'offre aux États-Unis la loi Clayton. Nous sommes aussi au courant du fait que l'on s'inquiète de savoir si le ministère, que vous avez dirigé à une époque, dispose des ressources nécessaires. En fait, il y a trois moyens de recours aux États-Unis dans le domaine de la concurrence, alors qu'il y en a finalement qu'un seul chez nous. Les États-Unis ont la FTC, la division antitrust du ministère de la Justice ainsi qu'évidemment les recours privés devant les tribunaux.
J'aimerais savoir ce que vous en pensez et je vous demande de parler en juriste et de nous dire comment un tribunal jugeant en équité—disons n'importe quel tribunal au Canada, mais je me réfère au système britannique sur lequel le nôtre est fondé—traiterait une folle poursuite intentée en vue de lui lier les mains, et si en fait vous considérez que des poursuites frivoles, qui sont susceptibles de vous inquiéter, ont déjà été intentées par le passé. Croyez-vous réellement qu'un tribunal administratif, étant donné tous les garde-fous que prévoit le projet de loi C-472, ou qu'une cour quelconque, si nous décidions finalement d'autoriser les recours privés, accepterait dans 20 ans, 30 ans ou Dieu sait quand, d'entendre une telle affaire, ou si l'on verrait d'un très mauvais oeil le fait que quelqu'un cherche à intenter de folles poursuites en la matière?
M. Lawson Hunter: C'est une bonne question. Malheureusement, je pense que vous n'allez peut-être pas aimer la réponse.
M. Dan McTeague: Voilà un an que je suis là.
M. Lawson Hunter: C'est très bien. Je vais vous citer une ou deux affaires que je qualifierais d'ubuesques. Comment les éviter? Là est le problème. Comme vous le savez, on a toujours posé le principe en droit qu'il est possible d'écarter les folles poursuites et les recours frivoles. Il vous faut donc vous pencher sur le droit qui régit la façon d'écarter ce genre d'affaires. Cela nous amène au problème des jugements prononcés par voie sommaire et à la facilité de les obtenir. Il est de plus en plus difficile d'écarter des affaires aux premiers stades de la procédure. Un arrêt prononcé récemment par la Cour d'appel de l'Ontario rend la chose très difficile.
Cela dit, et pour être tout à fait franc avec vous, dans deux de ces trois affaires que je pourrais qualifier ainsi—et je dois être très prudent en parlant de cette manière, parce que l'une d'entre elles est encore devant les tribunaux—nous avons déposé des requêtes en jugement par voie sommaire. Dans l'une d'entre elles, nous avons eu totalement gain de cause, à notre grande surprise—parce que la barre est placée très haut—alors qu'il s'agissait d'une affaire portant sur des prix abusifs. Dans l'autre, nous avons gagné en partie. Toutefois, le prix à payer pour en arriver là était bien trop élevé.
M. Dan McTeague: Je me demande bien pourquoi, lorsqu'on a la possibilité, on ne permettrait pas à quelqu'un qui a une cause légitime et qui veut saisir un organisme en mesure effectivement de l'entendre, mais qui n'a pas les moyens de faire valoir sa cause alors qu'elle estime qu'au bout du compte... Comme l'a fait remarquer M. Ross un peu plus tôt, il faut attendre d'être mis en faillite avant que l'on puisse finalement se faire entendre et que quelqu'un rétablisse les règles de la concurrence. Ne sommes-nous pas tout simplement en train de nous contenter d'un principe idéal selon lequel la Loi sur la concurrence suffit à préserver la concurrence en laissant aux concurrents le soin de se débrouiller comme ils peuvent, particulièrement ceux qui sont efficaces?
M. Lawson Hunter: Dans deux de ces trois affaires, les intéressés se sont adressés au bureau, qui leur a répondu: «Ce n'est pas sérieux; nous ne prenons pas en charge cette affaire.» Puis, au bout de deux ans et d'un million de dollars de frais juridiques, on arrive éventuellement à obtenir réparation.
• 0950
Vous partez du principe que ces poursuites vont être intentées pour
des motifs légitimes et suffisamment fondés. Je n'en suis pas
convaincu. Là encore, voyez les États-Unis et les nombreux recours que
l'on trouve là-bas. Voyez ce qui se passe dans le reste du monde. Ces
droits n'existent certainement pas au Royaume-Uni. Prenez le cas de
l'Europe, on n'y retrouve pas ces droits.
M. Dan McTeague: Ils existent jusqu'à un certain point, monsieur Hunter, dans le modèle britannique du projet de loi C-472. Je reconnais toutefois que la majeure partie de notre commerce se fait avec les États-Unis. Je reconnais aussi que les groupes qui sont justement ceux qui critiquent le plus souvent avec la dernière énergie toute modification apportée à la Loi sur la concurrence, qu'ils ont établi en 1986, sont les mêmes en fait que ceux qui nous demandent d'établir des règles parallèles avec les États-Unis en matière d'échanges et d'accords commerciaux.
J'ai une philosophie peut-être davantage continentale et j'estime que la règle ceteris paribus doit s'appliquer dans presque toutes les circonstances et que ce qui vaut pour les uns vaut aussi pour les autres.
Je relève avec intérêt les inquiétudes que vous avez exprimées au sujet des folles poursuites. Si je tombe malade, je ne manquerai pas de consulter un médecin. Si la maladie est sur le point de s'étendre à d'autres domaines et si vous avez peur que l'on manque de jurisprudence, pourquoi ne voulez-vous pas nous doter d'un mécanisme nous permettant de faire effectivement appel au tribunal et de prendre une décision? Disons que ce n'est pas nécessairement le tribunal tout entier. Le mécanisme prévu par le projet de loi C-472, et j'imagine par le projet de loi C-26, vise à permettre à un membre au moins du tribunal de se prononcer rapidement et efficacement pour savoir si telle ou telle affaire doit être entendue ou au contraire écartée par le bureau si elle n'en vaut pas la peine.
Je pense qu'il y a dans le monde des affaires des gens qui sont des deux côtés de la barrière, pour ou contre, et qui peuvent parfaitement être en mesure de bien mieux comprendre leur secteur que le bureau. Il faudrait peut-être que le tribunal puisse avoir connaissance de ce genre de situation. Pourquoi une telle résistance face à un ajustement aussi minime de la Loi sur la concurrence?
M. Lawson Hunter: Ce que l'on craint, je pense, c'est qu'il ne s'agisse pas d'un tout petit ajustement, mais d'un véritable changement. On craint par ailleurs que le tribunal applique les règles générales et éventuellement modifie les règles, et j'ai bien peur qu'il le fasse. Quant à la nécessité de filtrer utilement les affaires, il est bien évident que c'est indispensable si l'on adopte ce genre de mesure.
On me dit que je soulève une question à laquelle il est impossible de répondre. Vous n'êtes pas le premier à me faire cette observation. En ce qui me concerne, deux questions se posent. Pensez-vous tout d'abord que l'état du droit, quant au fond, est bon et que c'est son application qui laisse à désirer? Supposons que c'est ce que vous nous dites. Il faut alors vous demander si la loi est bien appliquée comme il se doit. Je ne suis pas convaincu que ce ne soit pas le cas.
Le temps consacré par les avocats, les économistes et les entrepreneurs aux questions liées au respect de la loi sur la concurrence a suivi une progression géométrique. Lorsque je suis entré chez Stikeman Elliott en 1993, nous étions deux. Nous avons aujourd'hui 20 avocats. Il ne s'agit pas de dire que cette question n'est pas traitée au sérieux. Ce n'est pas que la loi est mal appliquée. Le domaine est en pleine expansion.
M. Dan McTeague: J'en conviens. Ce que j'ai trouvé intéressant...
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur McTeague, j'aimerais simplement donner à M. Ross la possibilité de faire quelques commentaires pour répondre à vos questions avant que nous passions au suivant.
M. Thomas Ross: Non, c'est parfait. Ces questions s'adressaient logiquement à M. Hunter et je pense qu'il y a répondu.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Nous allons passer la parole à M. Dubé et nous reviendrons à vous.
M. Dan McTeague: Je vous remercie. J'ai aussi quelques questions à poser à M. Ross.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Dubé.
[Français]
M. Antoine Dubé (Lévis-et-Chutes-de-la-Chaudière, BQ): Merci, monsieur Lastewka.
Je ne suis pas un expert en ces questions et j'apprécie entendre des gens hautement spécialisés comme vous. Je vais poser des questions générales.
On compare souvent notre régime de concurrence à celui des Américains. Si on le comparait à ceux d'autres pays de l'OCDE, des 28 grandes... J'ai lu récemment des critiques. Je n'ai pas la référence ici, mais on disait qu'au Canada, le bureau agissait à partir de plaintes seulement et manquait d'autonomie. C'est la critique qu'on formulait. Oublions les Américains, car on connaît assez bien leur situation. Comment le Canada se situe-t-il par rapport aux autres pays? Ma question s'adresse à vous deux.
[Traduction]
M. Lawson Hunter: Là encore, je ne peux parler pour tous les pays, mais je pense que c'est varié. Je dirais que c'est vrai au Canada pour ce qui est des comportements visés par la loi, l'abus de position dominante ou les monopoles, par exemple, et que le bureau agit alors en fonction des plaintes. Là encore, je le dis souvent, c'est en fonction du courrier reçu. Les gens viennent et ne prennent pas nécessairement eux-mêmes des initiatives, mais ils le font à l'occasion, ils constatent une situation et font leur enquête. Toutefois, c'est dans la plupart des cas le courrier reçu qui détermine les mesures prises pour veiller à l'application de la loi.
• 0955
C'est en grande partie vrai aux États-Unis au sein des organismes
gouvernementaux. La situation est très différente aux États-Unis étant
donné que 80 p. 100 au moins—et je ne connais pas les statistiques
actuelles—des affaires qui se présentent aux États-Unis résultent de
recours privés intentés dans le cadre des lois prévoyant de triples
dommages-intérêts. On fait donc davantage appel dans ce pays aux
recours personnels qu'à l'intervention du gouvernement.
En Europe, et au sein de l'Union européenne, je pense que ce sont avant tout les plaintes qui sont à l'origine des affaires. C'est aussi en partie un problème légal. Même si l'organisme souhaite pour sa part enquêter sur une affaire, s'il n'y a pas des gens qui ont été lésés et qui sont prêts à faire valoir leur cause, il est très difficile de monter un dossier, car sinon on reste dans les généralités, ce qui me paraît difficile du point de vue des règles de la preuve.
Je ne pense donc pas qu'il y ait un tel décalage. Je considère que le cas des Américains est différent parce qu'il existe dans ce pays de très puissants recours privés en dommages-intérêts qui s'appliquent à une grande partie du droit et davantage que dans le nôtre. Toutefois, pour ce qui est des mesures gouvernementales visant à faire respecter la loi, j'ai l'impression que nous ne sommes pas très loin de ce qui se fait ailleurs.
M. Thomas Ross: Je vous répondrais la même chose. Je pense que le domaine dans lequel il y a une différence, mais elle existe dans la plupart des pays, c'est celui des fusions, l'examen des fusions étant bien souvent mené de façon bien plus active. En apprenant l'annonce d'une fusion, les responsables chargés des fusions, au Canada comme aux États-Unis ou en Europe, vont se préparer à agir s'ils savent que l'affaire est d'importance. D'ailleurs, selon le droit en vigueur, il se peut qu'ils en soient notifiés à l'avance. Ce ne sont pas là les plaintes qui déclenchent le processus, mais c'est le seul cas parmi tous les grands domaines du droit.
À l'occasion aussi, dans le domaine des ententes sur les prix—et c'est vrai au Canada comme aux États-Unis et en Europe—il se peut que l'on ait reçu une information au sujet d'une collusion sur les prix, qui n'émane pas nécessairement d'un tiers souhaitant porter plainte, mais éventuellement d'un participant au complot qui se sent coupable ou nerveux et qui a choisi de parler pour éviter une sanction.
Donc, comme l'a dit Lawson, je ne pense pas que nos systèmes soient si différents.
[Français]
M. Antoine Dubé: J'aimerais poser une autre question. On sait que les principales préoccupations portent souvent sur le fusionnement, mais il y a un domaine qui n'est pas toujours pris en considération. C'est ce que j'appelle l'intégration des entreprises. Par exemple, je pense à des raffineurs qui sont en même temps propriétaires de stations-service au détail, et il y a bien d'autres domaines comme celui-là. Cela me préoccupe quand je vois que des gens peuvent contrôler à la fois les entrées et les sorties d'une entreprise sous-jacente et finir par exercer une forme de monopole. Trouvez-vous qu'au Canada, la loi actuelle nous permet d'examiner les intégrations abusives? Je sais bien qu'on ne peut pas les empêcher totalement, mais qu'est-ce que vous en pensez?
[Traduction]
M. Thomas Ross: Je vais répondre en premier. Je pense que c'est probablement le cas. Les problèmes d'intégration verticale se posent de temps en temps. Ils entraînent des difficultés liées à la concurrence, notamment lorsqu'ils s'accompagnent d'une concentration horizontale. Bien souvent, c'est cette intégration verticale qui concentre les parts de marché entre quelques mains au niveau d'un produit donné, et l'on obtient alors un pouvoir sur le marché à un niveau que l'on peut qualifier d'horizontal. Il est très difficile aux nouveaux arrivants de pénétrer sur le marché, parce qu'il leur faut s'intégrer à tous les niveaux et parce qu'il n'y a personne avec qui traiter aux autres niveaux étant donné que l'intégration est complète. Par conséquent, les liens verticaux, qu'il s'agisse d'une intégration pleine et entière ou simplement d'un contrat exclusif, peuvent poser des problèmes du point de vue de la concurrence. Je considère toutefois que ces questions peuvent largement être réglées dans le cadre du droit actuel. Si des problèmes se posent, on peut avoir recours à l'article 79, qui traite de l'abus de position dominante, en invoquant éventuellement une position dominante conjointe ou, si une seule entreprise prend trop d'importance, une position dominante individuelle.
Je n'ai pas trop réfléchi à la question, mais j'estime que nous avons éventuellement les outils pour régler des problèmes de ce genre. Là encore, on peut aussi faire appel à la loi pour examiner les blocages apportés par les intégrations verticales en fonction des articles traitant des pratiques restreignant la concurrence.
M. Lawson Hunter: Puis-je apporter rapidement quelques commentaires?
C'est un domaine difficile de notre droit, c'est indéniable. Je pense qu'en droit, notamment sur les questions de contrats d'exclusivité et de ventes liées, il s'agit là en fait avant tout de problèmes d'intégration verticale non liés aux prix dont la loi traite précisément.
Je ne suis pas sûr que dans tous les secteurs industriels nous ayons été suffisamment prudents, même sur le plan des fusions, au sujet des conséquences de l'intégration verticale. J'évoquerai votre secteur favori. Je considère que dans le secteur du raffinage on n'a pas prêté un intérêt suffisant à cette question lorsque l'industrie pétrolière s'est consolidée.
Je ne citerai pas de noms en particulier, mais je considère personnellement que le secteur du raffinage a été l'élément clé lors de l'une de ces fusions à la fin des années 80. Le bureau a autorisé les consolidations et c'est pourquoi à mon avis on enregistre les problèmes actuels dans ce secteur. L'approvisionnement n'était tout simplement pas suffisant et l'on est parti du principe qu'il nous viendrait de l'autre côté de la frontière, mais c'était impossible en réalité.
Il faut donc regarder en arrière et je pense que certaines décisions prises par le passé ont peut-être aggravé ces difficultés. Toutefois, comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure, la difficulté est encore aujourd'hui de savoir quel remède on peut bien apporter. C'est ce qui est difficile dans cette loi.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Dubé, une dernière question.
[Français]
M. Antoine Dubé: Cela m'a intéressé lorsque vous avez dit qu'on n'accordait pas assez d'importance à l'innovation. Vous avez passé assez rapidement sur cela. L'innovation a ceci de particulier que forcément, celui qui innove est seul dans son nouveau domaine. Ai-je bien compris que vous voulez promouvoir l'innovation plutôt que de l'encadrer? Est-ce bien ce que j'ai compris? Je veux vous laisser plus de temps pour en parler. Je n'ai pas eu le temps de lire tous les documents, mais ce qu'on a dit au sujet de l'innovation est nouveau.
[Traduction]
M. Lawson Hunter: Vous n'ignorez pas que d'aucuns affirment que les changements interviennent aujourd'hui à la vitesse de la lumière, peu ou prou, ce que John Roth dirait probablement, et que l'innovation en matière d'examen des fusions—et je tiens à revenir là-dessus—prend à mon avis de plus en plus d'importance. Je vais vous parler d'une affaire dont je me suis occupé, celle de la fusion des banques. Je pense que, de manière générale, le bureau a fait dans ce cas un très bon travail. Le seul point sur lequel son travail m'a paru laisser à désirer, c'est la façon dont il a pris en compte le changement et l'innovation dans ce secteur de l'économie. À mon avis, il n'a pas compris à quel point l'évolution était rapide dans ce secteur. Il a adopté par conséquent un point de vue bien trop restrictif concernant l'évolution de la concurrence à l'avenir et il s'est prononcé avant tout en termes de part de marché enregistrée par le passé pour décider dans quelle mesure un problème se posait, plutôt que de considérer l'évolution probable du secteur.
N'oubliez pas que toute cette démarche concernant les fusions revient à faire des prévisions. On essaie de voir ce que sera le monde dans deux, trois ou cinq ans, ce qui n'est pas facile.
Je pense que les responsables doivent être bien formés. Ils doivent s'assurer de ne pas oublier que le secteur évolue très rapidement, ne pas se laisser piéger par les structures du passé et éviter ainsi de bloquer des opérations qui auraient dû se produire.
Je pense donc que la loi, dans sa conception actuelle, leur permet de le faire. En fait, j'estime qu'elle est tout à fait bien adaptée, mais c'est son application qui m'inquiète. Par ailleurs—je le dis dans mon étude—je crains qu'ils ne considèrent les fusions d'une manière plus négative que positive. Ils ont tendance à déclarer que l'on va lier les mains des gens par l'intermédiaire des droits se rapportant à la propriété intellectuelle. Ils privilégient donc toutes les conséquences pernicieuses plutôt que de considérer tout ce qui peut se révéler positif dans le secteur en cause.
Je sais que c'est vague, mais...
M. Thomas Ross: J'aimerais ajouter quelques mots à ce sujet. Je me sens obligé de répondre étant donné que je faisais partie du conseil d'administration de l'équipe chargée de l'examen des fusions bancaires.
En fait, je ne trouve pas grand-chose à redire à ce que vient d'affirmer mon collègue. L'innovation pose effectivement des problèmes importants en matière d'examen des fusions. Le problème, de manière générale et tel que j'ai pu le voir en ce qui a trait aux fusions bancaires, c'est qu'il est très difficile de savoir ce qui va se passer à l'avenir. C'est bien beau de dire que l'innovation va tout changer et qu'il suffit d'attendre, mais on ne sait pas de quelle façon tout va changer ni dans quelle mesure telle ou telle orientation—en l'occurrence, l'autorisation ou non de la fusion—va favoriser davantage l'innovation.
On peut soutenir que plus il y a des intervenants sur le marché, plus il va y avoir d'innovation et qu'une fusion pourrait bien être une mauvaise chose. Il nous fallait au moins envisager cette possibilité. Bien évidemment, c'est le même problème qui se pose dans l'affaire Microsoft; si l'on casse Microsoft, va-t-on obtenir davantage d'innovation que si l'on conserve cette entreprise dans son intégralité? Il est évident que tel qu'elle se présente, cette entreprise a obtenu beaucoup de succès, mais on a le sentiment dans certains milieux qu'on obtiendrait davantage d'innovation si on la morcelait.
Je ne m'oppose donc pas vraiment à Lawson sur ce point. Je dis simplement que nous devons effectivement prendre en compte l'innovation, mais c'est parfois plus facile à dire qu'à faire, parce que l'on est vraiment dans l'inconnu.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Murray.
M. Ian Murray (Lanark—Carleton, Lib.): Merci, monsieur le président.
En fait, M. Dubé m'a coupé l'herbe sous le pied. Simplement pour enchaîner sur cette question de l'innovation, il est évident que le bureau s'adresse à des spécialistes de l'extérieur comme le professeur Ross sur des questions comme celle-là, mais fait-on bien appel au bon groupe de responsables pour traiter de ces questions? Ne doit-on pas partir du principe que l'innovation va prendre de plus en plus de place et que la composition des équipes de responsables chargés de se pencher sur ces questions doit éventuellement être différente?
M. Lawson Hunter: Je n'en suis pas sûr. Je pense que c'est une question d'attitude. C'est pourquoi je dis qu'à mon avis il faut que le bureau entame une évolution très nette, parce que je ne suis pas sûr que la loi, telle qu'elle est formulée, le permette pour que ce facteur prenne davantage d'importance, notamment dans certains secteurs de l'économie. Il n'a pas tant d'importance dans d'autres, mais dans bien des secteurs, il est primordial. Il faut en tenir compte et le préciser plus clairement, à mon avis.
Tom a évoqué l'incertitude de l'avenir, ce qui est toujours un problème dans le droit s'appliquant aux fusions parce que, je le répète, c'est un exercice de prévision et qu'à mon avis le gouvernement et le bureau devraient hésiter davantage à intervenir lorsque l'incertitude est grande. Lorsqu'ils ne savent pas vraiment ce qui va se passer, ils devraient accorder le bénéfice du doute au secteur privé car j'estime que le risque est très grand qu'ils causent plus de mal que de bien.
M. Ian Murray: On en revient donc presque à la question de la confiance du public. En vous fondant sur votre expérience, j'aimerais donc que vous me disiez dans quelle mesure à votre avis le public peut faire finalement confiance aux grosses entreprises, car je pense que c'est de ça dont on parle ici, parce qu'il semble que l'on ait au départ un préjugé contre les grosses entreprises. On le constate même dans les politiques publiques: les petites entreprises sont en quelque sorte sacrées et les méchantes sont les grosses entreprises. Vous constaterez que dans nombre de discours des politiciens et au sein du grand public, on ne semble pas faire confiance aux grosses entreprises. Est-il juste de dire, cependant, que les grosses entreprises, quand elles planifient leur exploitation, ont tendance à rechercher les moyens de tourner la loi, ou est-ce qu'elles s'efforcent d'agir de manière très responsable et de se dire que la loi impose des limites que l'on ne peut pas dépasser? J'aimerais savoir quelle a été votre expérience dans ce domaine.
M. Lawson Hunter: J'ai dit tout à l'heure combien de temps et d'efforts il fallait consacrer à l'obligation de respecter la loi et j'ai pu constater que les grosses entreprises, si elles cherchaient à gagner de l'argent et bien entendu à prendre le pas sur leurs concurrents, n'étaient pas pour autant un ramassis de personnes sans foi ni loi cherchant à profiter des dispositions de la législation.
Il ne faut pas oublier non plus que dans bien des cas le Canada n'est pas seul en cause. Il faut s'assurer d'aller de pair avec les Américains parce que ce sont nos partenaires commerciaux et que nos méthodes et nos opérations sont passées en revue dans de nombreux pays différents. C'est donc un domaine en pleine expansion. L'obligation de respecter la loi demande donc beaucoup de temps et d'effort, largement plus qu'au milieu des années 80.
• 1010
Je ne vous dirais pas qu'il y a des gens qui ne vont pas chercher à
aller à l'extrême limite de ce qui est permis. J'entends par là que
selon les entreprises, les facteurs de risque sont différents.
Certaines d'entre elles vont tout de suite à la limite et d'autres
s'en gardent bien. Tout dépend donc en général des facteurs de risque
des entreprises. Toutefois, si j'en crois mon expérience, les gens ne
vont pas jusqu'à enfreindre carrément la loi.
M. Ian Murray: Est-ce que j'ai le temps de poser une autre question, monsieur le président?
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Oui.
M. Ian Murray: Je pense qu'il est juste de dire que cet examen de la politique de la concurrence remonte en grande partie à notre étude d'une proposition de loi antérieure de M. McTeague. Nous avons entendu un témoin qui possédait un ou plusieurs magasins familiaux dans l'Est. Il a allégué devant nous qu'il avait été mis en faillite par l'arrivée d'une grosse chaîne de magasins faisant baisser les prix sur un certain nombre d'articles très courants. Son argumentation était très convaincante.
J'ai été frappé, monsieur Hunter, par votre observation selon laquelle la politique de la concurrence ne vise pas l'équité sous la forme d'un traitement égal pour tous mais qu'elle a pour but de s'assurer que des gens puissent obtenir des avantages par rapport à d'autres. Pourtant, tous ceux qui sont assis autour de cette table et qui, à l'exception éventuellement de M. McTeague, ne sont pas des spécialistes de la politique ou du droit sur la concurrence, étaient intimement persuadés qu'il s'agissait avant tout d'empêcher que les petits ne subissent les assauts des gros les obligeant finalement à cesser leur exploitation.
Si d'autres cas de ce genre nous sont exposés, vers quoi allons-nous nous tourner s'il ne s'agit pas là par définition d'un exemple flagrant de prix abusifs? Nous avons une idée de la définition des prix abusifs, mais elle ne concorde pas nécessairement avec la définition légale. En attendant, ce commerçant a été mis hors circuit et son concurrent a finalement repris le marché. Que devons-nous faire?
M. Lawson Hunter: Bien. Disons que j'ai personnellement une longue expérience de ces questions. Ma famille tenait une épicerie il y a des années, avant que n'arrivent les supermarchés. Le petit village dans lequel elle habitait faisait vivre trois petites épiceries. Du jour au lendemain, un supermarché s'est installé et soudainement la clientèle, pour une raison ou pour une autre, est allée s'y approvisionner. Finalement, nous avons dû cesser nos activités. Ce ne fut pas de plein gré, vous savez, mais malheureusement, c'est l'innovation qui en était la cause. C'était une bonne chose pour le consommateur. Il nous fallait, soit installer notre propre supermarché, soit cesser nos activités. Nous avons cessé nos activités.
Je me souviens que lorsque je travaillais au bureau au cours des années 70, il y avait dans notre pays tout un secteur d'entreprises en gros qui vendaient du tabac et des confiseries. Soudainement, les fabricants ont jugé plus efficace de distribuer leurs produits eux-mêmes. Ils ont donc cessé d'approvisionner ces entreprises, déclarant qu'ils n'en avaient pas besoin.
Ces dernières ont poussé les hauts cris. Elles ont déclaré que c'était inqualifiable, qu'il nous fallait remédier à la chose en vertu de la Loi sur la concurrence. Toutefois, ce n'était pas le rôle de la Loi sur la concurrence, parce qu'il y avait là une innovation et que la situation était préférable pour les consommateurs.
Aujourd'hui, dans le secteur de l'épicerie, il faut craindre que les plus gros acquièrent trop de pouvoir, ce qui serait mauvais pour les consommateurs. Toutefois, il faut prendre bien soin aussi de ne pas bloquer l'évolution nécessaire de l'économie lorsqu'il y a de l'innovation et que l'on a trouvé un meilleur moyen de faire les choses. En fin de compte, il faut que le bénéficiaire soit le consommateur et non pas l'entrepreneur lui-même.
Aujourd'hui, l'entrepreneur est lui aussi un consommateur, comme c'est le cas lorsque nous parlons de l'intégration verticale du marché de l'essence, où le distributeur est le client du raffineur. Il faut faire bien attention cependant de ne pas tomber dans le piège qui consiste à dire que telle ou telle personne doit rester en activité et que pour cela il faut s'assurer que les consommateurs ne parviennent pas à faire baisser les prix, ce qui à mon avis n'est pas une bonne chose.
M. Thomas Ross: J'aimerais ajouter une ou deux choses si c'est possible. Ce ne sera pas très long parce que je suis d'accord avec ce que vient de dire Lawson.
La concurrence n'est pas toujours très belle, et c'est bien regrettable. Il y a des perdants, des particuliers comme des entreprises.
L'innovation au niveau des organisations est une forme très importante d'innovation. Parfois, nous l'oublions. Nous pensons l'innovation en termes de produits ou de procédés nouveaux, mais parfois il s'agit d'une simple forme d'organisation de type nouveau. Il s'agit finalement de se demander si le consommateur va en profiter.
• 1015
Vous savez, lorsqu'un petit épicier est lésé par des prix abusifs, il
nous faut intervenir. S'il est lésé parce que la chaîne d'épicerie
jouissant d'une position dominante a forcé la main des fournisseurs et
leur a dit de ne pas l'approvisionner, nous nous devons d'intervenir
parce que nous voulons que les règles du jeu soient les mêmes pour
tous et que l'épicier indépendant puisse exercer sa concurrence.
Toutefois, lorsque les règles du jeu sont les mêmes et qu'une forme
d'organisation prend le pas sur une autre... Il ne nous reste pas non
plus beaucoup de forgerons et je ne pense pas qu'il soit dans notre
intérêt de les protéger.
M. Ian Murray: Très bien, je vous remercie.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci, monsieur Murray.
Monsieur McTeague.
M. Dan McTeague: Merci, monsieur le président.
Messieurs, nombre de questions ont été soulevées et nombre de commentaires ont été faits au sujet de la formulation de la Loi sur la concurrence. Je comprends que lorsqu'on emploie des qualificatifs comme «indûment», «limitant substantiellement la concurrence», «marchés pertinents», «substitution» et «pratique», on tend chaque fois à accorder le bénéfice du doute au défendeur. Ou, comme dans le cas d'un accusé à qui l'on reproche tels ou tels agissements, nous avons ici une loi qui se veut très complète mais qui, dans la pratique, sur le plan de la jurisprudence, est pratiquement impossible à faire appliquer. Il n'y a pratiquement aucune jurisprudence dans nombre d'affaires concernant ce secteur.
Je ferai aussi remarquer que, non pas en matière de prix abusifs—une question qui m'intéresse en particulier et qui, comme l'a fait très justement remarquer M. Murray, a en quelque sorte lancé toute cette question liée à la concurrence—mais dans des domaines comme les ententes sur les prix, les collusions ou les complots visés par l'article 45, on utilise le terme «indûment».
Dans les deux affaires que je connais—l'affaire des produits pharmaceutiques de la Nouvelle-Écosse et, plus tard, celle qui traite du transport Clarke—on a vu que des pratiques qui étaient en soi tout à fait illégales, comme celle qui consiste à s'entendre sur les prix, étaient acceptables dans la mesure où elles ne semblaient pas influer sur le marché pertinent.
Le marché pertinent dans l'affaire Clarke dépendait du fait que les intéressés n'exerçaient pas leur contrôle sur le transport intermodal du fret entre l'Ontario et l'Ouest alors qu'ils s'étaient pratiquement mis d'accord sur le transport en camion selon des clauses qui auraient constitué par ailleurs une entente.
Il m'apparaît que la Loi sur la concurrence ne nous a absolument pas permis jusqu'à présent de porter en justice le genre d'affaires... Par conséquent, les gens nous disent: «Apportez-nous la preuve que l'on a besoin de changer la Loi sur la concurrence parce que de toute évidence il n'y a jamais eu de problème, très peu d'affaires ont été portées en justice». À tous deux, je vous affirme que cela vient du fait qu'en raison de la formulation de la loi, il est pratiquement impossible de traduire une affaire en justice à moins, bien entendu, d'avoir les reins solides et d'être prêts à soutenir une lutte acharnée.
Cela m'amène à relever que lorsqu'on procède à un changement, le premier réflexe de ceux qui bénéficient d'une rente de situation consiste à dire que l'on va faire fuir les investissements. Je l'ai entendu des milliers de fois. Je vous pose la question à tous deux, fait-on fuir les investissements lorsqu'on autorise au Canada une pratique qui serait jugée illégale aux États-Unis?
Où est l'intérêt du public lorsque nous disons que parce que nous ne pouvons pas nous attaquer à Microsoft, ADM, Bell, Kodak Eastman, ou à toute autre entreprise de ce genre, ou lorsque nous invitons...? Comme nous l'avons vu cet été dans l'affaire des vitamines, les éléments de preuve recueillis à l'échelle mondiale ont permis d'entamer avec succès des poursuites chez nous. Bien évidemment, c'est mon avis personnel, mais nous avons reçu...
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Pouvez-vous poser votre question?
M. Dan McTeague: Oui, j'y viens, monsieur le président.
Nous avons appliqué les règles de la concurrence par pays interposé; nous avons appliqué la décision des autres.
Dites-moi pourquoi nous devrions accepter au Canada des règles qui, en matière de concurrence, sont dans la pratique plus difficiles à faire appliquer que dans les autres pays, notamment que chez notre grand partenaire commercial du sud?
Chacun d'entre vous peut me répondre.
M. Thomas Ross: Je vais commencer, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.
Par où commencer? Tout d'abord, je pense que vous avez raison, monsieur McTeague, au sujet du qualificatif «indûment». C'est ce que j'avais proposé moi aussi, dans l'étude de 1991 que j'ai rédigée avec Tim Kennish, en demandant que l'on raye le mot «indûment» pour faciliter les poursuites lorsqu'il y a nettement collusion et entente sur les prix. On ne serait pas obligé, par exemple, de résoudre des questions épineuses s'appliquant à la définition du marché.
M. Dan McTeague: Effectivement.
M. Thomas Ross: Il suffirait d'avoir la preuve que les responsables se sont réunis dans une arrière-salle de café pour s'entendre sur les prix. Je suis donc tout à fait en faveur d'une telle simplification.
Vous exagérez peut-être un peu. Je pense que nous pourrions obtenir des condamnations en matière d'entente sur les prix. Nous aurions pu probablement, à mon avis, intenter nos propres poursuites dans l'affaire des vitamines, étant donné les indices dont nous disposions. Il est certain que nous avons été aidés par l'information qui avait été fournie, mais nous pouvons quand même avoir gain de cause dans des cas aussi flagrants.
• 1020
Je ne pense pas que les poursuites intentées contre des personnes qui
s'entendent sur les prix risquent le moindrement de faire fuir les
investissements. Je ne suis donc pas particulièrement inquiet à ce
sujet. Ce que je crains, par contre, c'est que notre droit actuel
bloque des activités commerciales légitimes qui s'exercent par
l'intermédiaire d'alliances stratégiques ou de coentreprises. C'est
pourquoi je suis favorable au nouveau paragraphe 79.1(1) qui est
proposé. Il est conforme à un certain nombre de choses que j'ai
préconisées dans mes écrits, à savoir qu'il convient d'évaluer les
ententes de nature plus complexe en se référant davantage aux critères
s'appliquant aux fusions. Je suis favorable à ces dispositions et je
pense qu'elles éviteront éventuellement la fuite des investissements.
Je pense qu'avec le projet de loi C-472 ou avec ma proposition, vous bénéficiez de ce qu'il y a de mieux dans les deux cas. Vous pouvez plus facilement imposer le respect des lois dans les cas graves que vous voulez éviter. Par contre, lorsque l'affaire est complexe et que des personnes raisonnables peuvent légitimement être en désaccord, lorsqu'il convient d'évaluer comme il se doit les coûts et les avantages, il est alors possible de peser le pour et le contre comme s'il s'agissait d'une fusion entre les parties.
Il est paradoxal de constater que lorsque deux entreprises se réunissent pour procéder à une fusion, nous leur appliquons en quelque sorte une procédure civile qui tient compte des avantages de la fusion et de toutes sortes de critères, alors que si elles se réunissent pour évoquer une démarche qui va un peu moins loin qu'une fusion, qui ne va pas jusqu'à être qualifiée de fusion et que le bureau ne considère pas comme une fusion, elles risquent alors d'aller en prison.
M. Lawson Hunter: Je ne sais pas vraiment comment répondre à cette question. Il y a de très nombreuses affaires qui relèvent des dispositions s'appliquant aux collusions. Au cours des 20 ou 25 dernières années, on n'a pas traduit en justice de nombreuses affaires relevant des dispositions s'appliquant aux collusions. Toutefois, si l'on remonte aux années 40, 50 et 60, on constate que de très nombreuses affaires ont été plaidées et que le gouvernement a généralement eu gain de cause.
Je vais vous faire un petit historique qui remonte à mon séjour au sein de l'administration. Lorsque nous avons lancé les consultations ayant mené aux modifications de 1986, j'ai déclaré qu'il y avait trois grands domaines clés que nous devions considérer: les fusions, les monopoles et les collusions. Nous avons procédé aux consultations au sujet de l'article s'appliquant aux collusions. Il m'apparaissait évident que sur le plan des politiques il était bon de prévoir en soi des infractions s'appliquant aux ententes sur les prix, à la répartition des parts de marché et aux boycotts. Le plus dur est de réussir à formuler et à rédiger des dispositions qui n'aillent pas trop loin.
Souvenez-vous qu'aux États-Unis il n'y a qu'une ligne dans la loi Sherman, d'où tout est parti. Tout a évolué à partir de la jurisprudence. Les États-Unis n'ont pas légiféré tout cela. Ce sont les tribunaux qui ont interprété cet article.
La difficulté que l'on rencontre, c'est que toutes sortes d'affaires qui ne devraient pas relever de ces dispositions nous seront alors présentées. Je dois dire que je suis gêné par le caractère assez vague de la formulation de ce projet de loi. Il y a des choses que l'on ne veut pas englober, et qui vont être englobées de toute manière. On se retrouve donc avec toute une liste d'exemptions. Au bout du compte, le gouvernement a déclaré que tout cela allait paraître quelque peu étrange. Nous allons tout détailler pour ensuite faire des exceptions pour tout retirer. Il y a donc un risque ici. Comment formuler la chose pour ne pas englober en fait ce qui est bon lorsqu'on a un instrument aussi grossier?
Cela me ramène...
M. Dan McTeague: Je pense que vous avez raison. Nous avons besoin d'une certaine souplesse sur ce point.
M. Lawson Hunter: En effet.
M. Dan McTeague: S'il y a une chose sur laquelle s'entendent toutes les parties impliquées dans le domaine de la concurrence, que ce soit celles qui préconisent le statu quo et qui ont participé à son établissement, ou d'autres comme moi-même, petites et grosses entreprises, gens de droite ou de gauche, c'est que la rapidité de l'évolution de l'économie ne nous permet pas de bien affecter les ressources dont dispose ce ministère. J'ai entendu d'autres intervenants, et nous l'entendrons probablement dire par d'autres témoins aujourd'hui, nous affirmer que tout marche comme sur des roulettes, que la situation est absolument saine et que nous avons suffisamment de ressources pour faire ce que nous voulons faire. Il suffit de voir ce qui se passe dans notre pays pour constater que le Bureau canadien de la concurrence n'est relativement pas aussi bien financé qu'ailleurs et doit probablement consacrer une grande partie de ses ressources à des questions telles que les fusions.
Nous avons enregistré une évolution dans les domaines de la déréglementation, comme vous l'avez fait remarquer, et de la rationalisation. De nombreux changements ont lieu actuellement et nous voudrions par conséquent pouvoir disposer de mécanismes nous laissant le temps de juger dans quelle mesure ces changements répondent à l'intérêt général.
Je pense qu'il nous faut nous demander aujourd'hui si ce que nous avons fait il y a 15 ans est aussi acceptable que ce que nous avions fait 20 ans auparavant. Si cette loi, dont l'importance est primordiale, vous l'avez dit tous deux, ne peut pas s'adapter à l'évolution des circonstances, elle perd tout intérêt, non seulement pour les grosses entreprises, mais pour l'ensemble de la population canadienne. Est-il juste de décrire ainsi la situation dans laquelle nous nous trouvons?
M. Thomas Ross: Oui, c'est mon avis. Vous avez soulevé de nombreuses questions, monsieur McTeague, et je suis d'accord avec vous sur tous les plans.
Il faut que la loi évolue, comme l'a indiqué M. Lawson. Effectivement, le gouvernement a eu gain de cause dans un certain nombre d'affaires impliquant des collusions. Il s'est mis toutefois à éprouver des difficultés au cours des années 70, tant sur le plan des fusions que des ententes sur les prix, et il est apparu qu'il serait plus difficile à l'avenir d'avoir gain de cause. C'est l'une des raisons pour lesquelles on a adopté les modifications de 1986, même si les dispositions s'appliquant aux collusions n'ont pas beaucoup changé. La loi a effectivement évolué. Je pense que nombre des propositions qui vous sont faites ici seront très utiles.
M. Lawson Hunter: J'aimerais faire une rapide observation, parce que je sais que nous n'avons pas beaucoup de temps. J'en reviens à mon argument du début. Nous avons affaire ici à une politique doctrinaire, qui sera donc nécessairement un instrument relativement grossier. Il faut que les principes soient bien établis dans la loi. C'est l'application qui doit changer. Je ne pense pas que sur le plan des principes notre loi s'écarte beaucoup de celles de nos partenaires commerciaux. Cette loi—je me plais évidemment à le dire puisque je dois avouer que j'en ai été l'un des principaux architectes—est la loi antitrust la plus concise et la mieux fondée sur le plan économique dans le monde.
M. Dan McTeague: Sur le plan des principes.
M. Lawson Hunter: C'est l'application qui est déterminante.
M. Dan McTeague: Je vous remercie.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci, monsieur McTeague.
Je remercie M. Hunter et M. Ross de leurs exposés et de la discussion de ce matin, qui a été très instructive.
Nous allons maintenant lever la première partie de cette séance avant de passer à la suite.
La présidente (Mme Susan Whelan (Essex, Lib.)): Nous reprenons la séance.
Nous sommes très heureux d'accueillir les témoins suivants: M. Warren Grover, avocat chez Blake, Cassels et Graydon; et M. James Musgrove, lui aussi avocat chez Lang Michener.
Nous allons commencer dans cet ordre, si cela convient à M. Grover. Nous sommes prêts à écouter vos exposés, après quoi nous vous poserons à tous deux des questions.
M. Warren M. Grover (avocat, Blake, Cassels et Graydon): Merci, madame la présidente.
J'ai déjà comparu devant votre comité. J'étudie le droit sur la concurrence depuis plus longtemps que la plupart des gens. J'ai obtenu une maîtrise sur le sujet en 1960 à Berkeley après avoir été diplômé de l'Université de Toronto. J'enseigne et je pratique dans le domaine depuis 1960.
Je trouve étrange que l'on me dise que la loi n'était pas applicable, parce qu'il est bien évident qu'elle l'était en 1960. J'aimerais faire quelque commentaire à ce sujet parce que j'estime que notre loi actuelle sur la concurrence est archaïque et verbeuse parce que bien des boursouflures qui ont été apportées au cours des années 30 n'ont jamais été corrigées. En l'occurrence, personne ne s'est jamais prévalu des articles 50 et 51. Ces articles sont tout simplement mort-nés alors qu'ils comportent un grand nombre de qualificatifs qui, à mon avis, ont gêné l'application de la loi.
Si l'on revient à une formulation simple, comme aux États- Unis... Souvenez-vous que dans l'Union européenne il n'y a que deux articles. La loi antitrust Sherman ne comporte en fait que deux articles, qui tiennent en quatre lignes; le premier est rédigé en une ligne et le suivant en trois lignes. C'est tout. Le reste, ce sont les règlements d'application qui s'en chargent, et c'est justement ce qui nous manque.
Au cours des 20 dernières années, l'application de la loi à ce niveau s'est révélée défectueuse. Au titre des nouvelles sections de la loi qui sont entrées en vigueur en 1986, je pense que le directeur a eu du succès dans tous les cas sauf un. Il a obtenu en tout cas quelques succès et les résultats qu'il a obtenus en matière d'application sont donc très bons. Par contre, sur des questions telles que les infractions sur les prix, alors que l'on en fait partout un acte criminel dans le cadre de dispositions inapplicables, la solution n'est pas en fait d'intégrer toutes ces dispositions aux recours civils, mais de s'en débarrasser purement et simplement, ce qui les fera dépendre des recours civils en vertu des règles s'appliquant aux monopoles.
Ces dispositions ne sont pas importantes si personne n'exerce un pouvoir sur le marché. Le supermarché que l'on a évoqué lors du dernier témoignage ne peut rien faire s'il n'exerce pas un pouvoir sur le marché. Je ne peux dire à personne d'agir dans tel ou tel sens. Il s'agit donc en fait de viser les prix abusifs s'accompagnant d'un pouvoir sur le marché, et alors on peut intervenir. Ce qu'il nous faut en fait, c'est pouvoir faire appliquer cette loi, je pense que c'est important.
Je ne m'écarterai pas beaucoup de ce que je viens de vous dire au sujet des infractions sur les prix, mais je préciserai que l'un des facteurs qu'il vous faut envisager... Je crois comprendre que M. Hunter est originaire de la ville de Florenceville, au Nouveau- Brunswick, qui possède trois épiceries pour 600 habitants, ce qui fait beaucoup pour 600 personnes. D'un autre côté, lorsqu'il n'en reste plus qu'une et que les prix se mettent à grimper, où est la concurrence?
• 1035
Il ne faudrait pas que nous nous débarrassions complètement de la
concurrence en oubliant de tenir compte du fait que notre économie,
contrairement à celles des États-Unis et de l'Europe, s'appuie sur une
faible population disséminée sur un très grand territoire. En matière
de loi sur la concurrence, tous les économistes qui prennent la parole
appartiennent précisément à l'école de Chicago ou à celle de Harvard.
Excusez-moi, mais ce ne sont pas les bonnes écoles. Nous avons besoin
d'une école canadienne en cette matière, et selon ce type d'école, il
faut que les petites gens puissent imposer une certaine discipline aux
gros, sinon il n'y a plus de concurrence sur le marché.
Des facteurs comme l'efficacité ont leur importance, mais pas plus que le fait d'avoir un concurrent supplémentaire. Je ne préconise pas qu'il y en ait 25 et que l'on conserve 25 épiceries, mais l'on ne pourra pas disposer d'une politique canadienne efficace en matière de concurrence s'il n'y a pas des petits pour remettre les gros dans le droit chemin. C'est à mon avis le gros problème au sein de notre économie.
Il est indéniable cependant, à mon avis, que pour ce qui est des dispositions traitant des infractions sur les prix—vous le trouverez dans ma petite étude, mais je n'ai pas jugé nécessaire de vous la rapporter en détail parce que je ne le juge pas utile—vous pouvez vous débarrasser des articles 50, 51 et 61 sans dommage, parce qu'ils sont tous repris dans les dispositions de l'article 79. En fait, ça pourra vous aider.
Quant au qualificatif «indûment» qui figure dans les dispositions s'appliquant aux collusions, je ne pense pas qu'il ait joué un rôle important. L'important, c'est qu'au cours des 20 dernières années, le gouvernement fédéral n'a tout simplement pas fait valoir résolument sont point de vue. Il l'avait fait dans les affaires antérieures et, comme l'a fait remarquer M. Lawson il y a une minute, il avait eu gain de cause dans pratiquement tous les cas. Je pense d'ailleurs que lorsque j'ai obtenu mon diplôme de l'Université de Toronto, le professeur de l'époque aurait pu déclarer que le gouvernement obtenait sans difficulté gain de cause aux termes de l'article 45.
D'où est venue la difficulté? La pensée économique a évolué aux États-Unis, ce qui a eu automatiquement un effet sur les avocats canadiens. Ils ne sont pas fous. Ils savent interpréter ce que nous disent les États-Unis. Il y a eu une évolution aux États- Unis, puis on est revenu en arrière. Il y a eu ce que l'on a appelé les règles d'application non discrétionnaire et la règle du bon sens. Toutes sortes d'affaires ont été rejetées en vertu de la règle du bon sens pendant toutes ces années aux États-Unis, puis l'on y est revenu plus ou moins à des infractions non discrétionnaires.
Je ne considère donc pas qu'il y ait là un problème mais je dis cependant, comme je l'ai dit au point six, que le défaut d'application de l'article 45 au cours des dernières années est évident. Oui, le gouvernement a été débouté, mais il n'a pas instruit de nombreuses affaires, et lorsqu'il l'a fait ce n'était pas très raisonnable, comme dans l'affaire Perreault. Il a eu gain de cause mais, mon Dieu, il s'agissait d'une auto-école de Sherbrooke. Ce n'est pas grand-chose.
Quoi qu'il en soit, je considère qu'il nous faut bien voir que le directeur a besoin d'avoir son propre personnel juridique et de pouvoir engager des avocats de l'extérieur, qui doivent être effectivement des spécialistes de la concurrence. Il y a une différence, je vous l'affirme, entre l'abus de position dominante et l'abus de drogues. On n'a pas recours aux mêmes procureurs de la Couronne. C'est pourtant exactement ce qui se passe. Ce n'est tout simplement pas possible.
Je vous demande donc d'écarter de la loi les articles superflus traitant des infractions sur les prix, parce qu'ils n'apportent rien. On a besoin d'une concurrence efficace, mais pour cela il faut qu'il y ait des concurrents.
Ne vous laissez pas bercer, je me suis aussi efforcé de le dire dans mon étude, par l'illusion selon laquelle la mondialisation augmente la concurrence. Je ne pense pas que ce soit vrai au Canada. Du fait de la mondialisation, on a consacré davantage d'argent aux opérations de mise en marché et l'on a vu arriver de grosses entreprises comme Home Depot, que les clients apprécient, mais pas vraiment en raison de leurs bas prix. En réalité, ces entreprises font d'énormes campagnes de mise en marché, ce qui plaît aux clients. Ils aiment qu'on leur vante la bonne qualité des produits et autres choses de ce genre. Toutefois, petit à petit les prix augmentent.
Laissez-moi vous dire que l'augmentation des prix n'est pas le seul problème. Lorsque les prix baissent ou restent les mêmes, personne ne se plaint. Ce qui se passe, toutefois, c'est que Home Depot arrive sur le marché, que des entreprises comme Beaver Lumbers disparaissent et que les prix se mettent lentement à grimper.
• 1040
Ces entreprises sont efficaces, mais lorsqu'elles consacrent des
sommes énormes à la mise en marché, êtes-vous sûrs que cette
efficacité ne se paie pas ailleurs? Je peux vous démontrer que
lorsqu'on fusionne deux entreprises, on perd l'un des deux présidents.
Chacun d'eux était payé davantage. Par conséquent, il y a une
efficacité.
C'est simpliste, mais voilà à quoi se ramène finalement l'efficacité et les économies d'échelle. Je ne les nie pas; je demande simplement que l'on considère l'ensemble de la situation.
La deuxième erreur, à mon avis, c'est de dire que les entreprises de haute technologie évoluent si rapidement qu'elles n'ont pas vraiment le temps de porter préjudice à quiconque et qu'il ne faut donc pas s'en inquiéter. Il m'apparaît que la plupart des grands milliardaires appartenant à ces entreprises de haute technologie se sont contentés d'écorcher les consommateurs pendant les dix ans de leur gloire pour passer ensuite à autre chose. Je ne pense pas que ce soit nécessairement une bonne chose. Nous avons certainement besoin d'innovation, et le Canada a été très lent à innover. Quatre-vingt-dix pour cent au moins de nos brevets sont détenus à l'étranger. Nous avons très mal su innover. Je ne dis pas que nous n'avons rien fait. Toutefois, lorsqu'on dit qu'il ne faut pas tenir compte des problèmes posés par la haute technologie parce qu'ils vont disparaître d'eux-mêmes, il me semble que l'on oublie qu'en attendant c'est le consommateur qui paie les pots cassés.
Il m'apparaît que c'est aux parlementaires qu'il incombe de se demander si les lois sur la concurrence doivent s'intéresser à la répartition des richesses jusqu'au niveau du consommateur ou simplement s'inquiéter de l'efficacité globale, de ce que l'on appelle l'efficacité du marché.
Madame la présidente, j'ai probablement dépassé les dix minutes qui me sont allouées et je vais laisser la parole à mes collègues. Il est plus important d'écouter vos questions que d'écouter mon exposé. Je vous remercie.
La présidente: Merci, monsieur Grover.
Nous allons maintenant entendre M. Musgrove. Monsieur Musgrove, vous avez la parole.
M. James Musgrove (avocat, Lang Michener): Merci, madame la présidente.
Merci de m'avoir invité ici aujourd'hui à vous parler de la Loi sur la concurrence. C'est l'une des quelques lois-cadres qui s'appliquent à la façon dont nous régissons notre économie, ce qui la rend très importante. Je pense que c'est important, parce que c'est déterminant pour les succès futurs de notre économie. Nous n'avons en fait pas d'autre politique industrielle globale. Nous avons une politique industrielle aux termes de laquelle, sauf dans les secteurs réglementés—et c'est là une partie de l'intervention de M. Warren avec laquelle je suis d'accord—où l'objet de la réglementation est confié à des responsables qui savent ce qu'ils font, notre économie est axée sur la concurrence. Nous laissons les gens se débrouiller et les consommateurs doivent en profiter au bout du compte. Il faut donc que cette loi soit bien conçue pour que le consommateur puisse en retirer tous les avantages économiques, sinon il va en pâtir. Voilà pourquoi son importance est fondamentale.
Je suis heureux de constater qu'un grand débat s'instaure au sujet des dispositions de la loi et de la portée qu'il convient de lui accorder. Je crois cependant que la façon de procéder est importante. À mon avis, le rapport VanDuzer apporte une grande contribution à ce débat.
Finalement, je considère cependant que la bonne façon de procéder pour le gouvernement est de tenir compte des différents points de vue exprimés dans le cadre de cette procédure et selon d'autres modalités pour arrêter dans le cadre d'une discussion ce qu'il souhaite faire et les raisons pour lesquelles tel ou tel changement s'impose plutôt que de procéder par petites touches, tant au niveau de la procédure que des expédients qui consistent à placer ici et là quelques dispositions concernant les compagnies aériennes, les stations d'essence ou tel autre secteur industriel. Ce sont les responsables de la réglementation dans des secteurs précis qui doivent s'en charger. Il faut que ces règles puissent s'appliquer dans tous les cas, sinon il faut les faire figurer ailleurs. Voilà ce que j'ai à dire brièvement au sujet de la façon de procéder.
Je voudrais aussi évoquer très rapidement la possibilité qu'a le commissaire d'exercer directement un rôle en matière de réglementation plutôt que de se contenter de procéder à des enquêtes et d'intenter des poursuites. Je pense que c'est regrettable. Nous avons déjà connu cette situation. Nous avons séparé les deux fonctions parce que nous le jugions préférable. On peut toujours recourir aux ordonnances provisoires si on le souhaite. Il y a toutefois un organisme qui prononce les ordonnances et un autre qui se charge des enquêtes et des poursuites. Je considère que cette séparation est saine.
J'aborderai rapidement la question des recours privés. En 1986, après en avoir longtemps débattu, nous nous sommes dotés d'un régime n'autorisant pas les recours privés. Jamais personne n'a fait la démonstration, du moins à mon avis, que ce régime n'était pas le bon.
• 1045
Comme l'a indiqué Warren dans son intervention, en cette matière,
lorsque le gouvernement intente des poursuites, il a gain de cause.
Cela nous laisse penser que le gouvernement procède de manière
raisonnable et obtient des résultats. Il m'est bien sûr arrivé de me
trouver dans l'autre camp et de perdre, mais c'est la vie. Il n'y a
rien à redire.
Si vous autorisez cependant les recours privés, les gens qui vont intenter des poursuites n'auront pas l'intérêt général en tête, mais des intérêts privés. Il n'y a aucun inconvénient à cela, mais c'est ce qui va se passer. C'est ce qui va vous arriver si vous autorisez les recours privés.
Le tribunal a accordé réparation dans presque tous les cas et je dirais que cela s'explique, du moins en grande partie, par le fait que le tribunal a toujours à connaître de cas tragiques, le préjudice causé à la victime la condamnant parfois à disparaître. C'est triste. C'est regrettable sur le plan humain. Il se peut toutefois que ce soit justifié d'un point de vue économique. Il n'en reste pas moins qu'il est difficile de débouter une victime qui se présente devant le tribunal. Si on ne le fait pas, cependant, il se peut qu'à longue échéance ce soient les consommateurs qui deviennent les victimes, parce qu'ils ne sont pas là pour protester.
Je crains qu'en autorisant les recours privés on décourage les gens de sous-traiter une partie de leur exploitation. Il peut être justifié qu'ils changent d'avis après coup et qu'ils confient à nouveau le travail à leurs propres services, mais ils seront dans l'impossibilité de le faire parce qu'on leur intentera alors des poursuites. Ce serait inefficace et ils éviteront donc au départ de s'adresser ailleurs.
Si l'on s'inquiète du fait que le gouvernement ne fait pas suffisamment respecter la loi, il existe un moyen de recours direct et exprès. Le Bureau de la concurrence est désormais un centre de profit qui a permis d'engranger 100 millions de dollars d'amendes au cours des 12 derniers mois. C'est assez conséquent. Ces affaires ne sont pas allées en justice, mais il y a des gens qui ont estimé que leur cause était suffisamment faible pour faire des offres de règlement se montant à 100 millions de dollars. C'est beaucoup d'argent. L'opération est rentable. Si l'on a besoin de plus de ressources pour veiller à l'application de la loi, je dirais qu'il y a là une décision facile à prendre plutôt que de risquer d'être inefficace en modifiant la loi.
Je vais maintenant passer rapidement à la question des infractions concernant les prix, parce que j'ai cru comprendre que c'est l'une des principales raisons pour lesquelles j'ai été invité à comparaître. Dans toute la dernière partie des notes que je vous ai fait parvenir à l'avance, de la page trois jusqu'à la fin, je les passe en revue une par une. Je ne suis pas aussi radical que Warren, qui voudrait purement et simplement les supprimer, même si je pense que ce ne serait pas une catastrophe.
Au sujet des prix abusifs, je déclare que c'est un casse-tête qui comporte quatre pièces, une d'entre elles seulement s'imposant logiquement, lorsqu'en fait les prix sont trop bas et portent préjudice à la concurrence. Tout le reste n'a aucun sens. Je ne conserverais donc que les prix trop bas qui portent préjudice à la concurrence et je modifierais le reste. Vous pouvez le faire en supprimant les dix derniers mots de l'article concerné. C'est assez facile à faire. Je vous avoue franchement que je n'ai rien non plus contre la méthode préconisée par Warren, vous avez le choix à mon avis.
Je gagne très bien ma vie en donnant aux gens des conseils sur la façon d'éviter de commettre l'infraction de discrimination par les prix. Je n'ai jamais connu de situation m'amenant à penser qu'un préjudice avait été commis sur le plan économique, sauf pour ce qui est du versement de mes honoraires. Toutes ces modifications feront la joie des avocats. Elles vont beaucoup me profiter. Toutefois, je ne pense pas qu'elles vont profiter à notre économie. La discrimination par les prix revient essentiellement au même que le versement d'allocations discriminatoires. Il y a l'article concernant les pratiques régionales abusives. Là encore, comme le dit Warren, ces dispositions ne profitent en rien à l'économie, sauf pour ce qui est des honoraires juridiques.
Le cas des prix imposés est à mon avis un peu plus complexe. Warren voudrait que l'on se débarrasse de l'article 61. Je n'en sais rien. J'imagine que ce n'est pas ce que l'on va faire. Je m'efforcerais d'en limiter la portée, et j'ai indiqué en quatre points dans mon étude les moyens devant nous permettre d'y parvenir. Toutefois, c'est une question plus difficile.
Le gros inconvénient que je vois à l'article portant sur la discrimination par les prix c'est le fait qu'aujourd'hui les gens passent des alliances stratégiques aux termes desquelles l'une des parties fournit l'une des composantes du produit, l'autre se chargeant de fournir l'autre composante et les deux parties s'engageant à commercialiser conjointement le produit. L'une des parties achète la composante à l'autre et se charge de vendre l'ensemble. Les deux parties dans ce genre d'affaire ont un intérêt véritable et légitime à fixer le prix du produit sur le marché et pourtant, selon la façon dont est formulée l'article sur la discrimination par les prix, elles vont encourir de graves difficultés. On peut améliorer ces dispositions, mais c'est difficile et en grande partie inefficace, sauf là encore en ce qui me concerne.
Voilà en dix minutes à quoi se résume ce que j'avais à dire.
• 1050
Je conclurais en relevant que la presse a mis en cause ces dernières
semaines l'efficacité du Bureau de la concurrence, sa renommée
internationale, etc. Je n'exerce pas dans le monde entier, mais je
considère que ces critiques sont injustes. Je ne suis pas toujours
d'accord avec le bureau et je me montre parfois très critique, mais
j'estime que c'est une organisation qui fait preuve de
professionnalisme. Le bureau fait un excellent travail. Chaque fois
que j'ai eu affaire à lui, il a fait un travail admirable
comparativement à ce que l'on peut voir chez d'autres responsables
internationaux de la réglementation. Je considère tout simplement que
ces critiques ont été injustes.
Je vous remercie.
La présidente: Merci, monsieur Musgrove.
[Français]
Monsieur Dubé, s'il vous plaît.
M. Antoine Dubé: Il est peu commun, monsieur Grover, de voir quelqu'un qui, voulant améliorer la loi, nous propose d'en éliminer certains articles. C'est plutôt rare. Pour justifier votre position, vous avez dit que certains articles de la loi n'étaient pas applicables ou n'étaient pas appliqués.
Je ne suis pas un expert en matière de concurrence, mais ce que vous dites m'intrigue. À quoi sert-il d'avoir de belles lois si elles ne sont pas appliquées ou pas applicables?
Je sais que vous avez parlé des articles en question, mais est-ce que vous suggérez, de façon générale, de simplifier la loi, de la réduire de beaucoup? Je l'ai relue dernièrement, et elle n'est pas simple. J'imagine que l'accès direct doit être difficile pour une petite entreprise. Ce ne sont pas toutes les entreprises qui ont des avocats à leur disposition et le recours à des avocats peut être coûteux. Alors, il y a des gens de petites entreprises qui ignorent peut-être les possibilités qui leur sont offertes par cette loi. Vous avez bien fait ressortir cela en parlant d'épiceries dans des régions données. C'est un fait que c'est souvent le cas au Canada, surtout dans les régions éloignées.
J'aimerais vous entendre commenter ce sujet davantage, parce que vous avez passé très rapidement là-dessus et que votre mémoire est très bref. J'aimerais que vous expliquiez cela davantage. Pour les grandes villes, la loi est peut-être convenable, mais pour les petites régions, que pourrait-on faire?
[Traduction]
M. Warren Grover: Je vais vous répondre de deux manières différentes.
Tout d'abord, j'ai déclaré au sujet de notre loi que certaines de ses dispositions faisaient de l'ombre à celles qui étaient les mieux conçues. Les articles 78 et 79 qui ont trait à l'abus de position dominante donnent de bons résultats, mais les vieilles dispositions des articles 50 et 51 concernant les infractions sur les prix, qui n'ont jamais été appliqués, font croire aux gens que tel est l'état du droit dans ce domaine alors qu'il faut plutôt se réclamer des articles 78 et 79. On met donc l'accent, comme l'a indiqué M. Musgrove, sur ces vieilles dispositions verbeuses et non applicables qu'il conviendrait selon moi d'abroger parce que les gens se rabattraient alors à mon avis sur les dispositions des articles 78 et 79.
Pour ce qui est de la deuxième partie de votre question, si je l'ai bien comprise, étant donné que la population est disséminée dans notre pays, nous devons faire quelque chose pour essayer d'encourager les petites entreprises établies dans les petites localités à se développer et à concurrencer les grosses. Je reconnais que ce n'est peut-être pas entièrement du ressort de la loi sur la concurrence étant donné que celle-ci laisse généralement le champ libre aux entreprises concurrentes. Disons que si l'on décide de procéder ainsi dans la pratique, cela signifie généralement que les gros vont manger les petits. C'est ce qui se passe dans la lutte pour la survie. Toutefois, on peut intervenir par certains moyens... J'ai proposé quelques mesures ici parce que j'estime qu'il est important que le Canada se mette à développer ses propres théories en la matière, ce qu'il n'a pas fait. C'est la faute à des gens comme moi, qui auraient dû le faire et qui ne l'ont pas fait.
• 1055
Ainsi, les municipalités de ces petites localités avaient tendance à
favoriser les entreprises locales. Si le gouvernement du Canada
intimait à ses fonctionnaires l'ordre de cesser de prendre les vols
d'Air Canada, pensez-vous qu'il faudrait très longtemps pour qu'une
autre compagnie aérienne vienne s'installer? Il vous suffit d'aller à
l'aéroport d'Ottawa pour voir ce qui se passe. La moitié des clients
d'Air Canada sont des fonctionnaires du gouvernement qui voyagent
essentiellement avec des billets à plein tarif. Il suffit d'implanter
une autre compagnie aérienne pour régler le problème. Vous me suivez?
Voilà un exemple de solution canadienne devant nous permettre d'aider les petites et moyennes entreprises. Faisons en sorte que le gouvernement les aide de cette manière. Je ne sais pas comment légiférer la chose. Je ne suis pas un législateur, mais voilà entre autre une idée.
Une autre idée, que j'ai mentionnée dans cette étude, consisterait à interdire ces clauses de non-concurrence qui figurent dans tous les contrats d'achat. Chaque fois que l'on rachète un concurrent, on fait figurer une clause l'empêchant de concurrencer l'acheteur.
Nous n'avons pas suffisamment de spécialistes au Canada pour nous permettre de les laisser en plan. Ils connaissent leur entreprise. Ils ont peut-être mis 30 ans à la développer. Ils connaissent leur métier, qu'il s'agisse de boulangerie ou de toute autre chose. Voilà qu'ils sont rachetés. Un plus gros entre en scène et se charge de reprendre leurs activités à un bon prix. Ils sont disposés à vendre. La première chose qu'on leur dit c'est: «Vous vous abstiendrez de nous concurrencer. Vous n'irez pas travailler pour un autre boulanger.» Voilà que l'un de nos meilleurs boulangers se recycle désormais dans l'agriculture ou dans tout autre domaine. Il ne peut plus être boulanger.
Je n'ai jamais compris la raison des clauses de ce genre au Canada. Elles se fondent sur une vieille jurisprudence anglaise de 1898. C'est l'affaire Nordenfeldt guns jugée par la Chambre des lords. Il me paraît logique que l'on se débarrasse de ces clauses pour essayer de protéger nos petites entreprises et laisser nos gens en activité. On va nous dire que le prix de vente des entreprises pourrait en subir les conséquences. L'acheteur préfère vous écarter du marché. Est-ce que cela favorise la concurrence? Est-ce que cela profite aux consommateurs ou est-ce parce que l'on veut éviter une concurrence susceptible de faire baisser les prix? C'est peut-être cette dernière raison qui est la bonne, peut-être bien.
Est-ce que j'ai répondu à votre question?
M. Antoine Dubé: Oui.
[Français]
Monsieur Musgrove, vous craignez les effets de ce que vous appelez l'accès privé à un tribunal. Je suis de ceux qui souhaitent encourager les petites entreprises, quitte à ce que ce soit parfois au détriment des plus grandes, parce que je viens d'une région où les petites entreprises sont importantes. Vous craignez les excès. Si c'était balisé de façon à éviter les excès, ne serait-ce pas un bon moyen pour une petite entreprise de se protéger? Il y aurait peut-être certains moyens qu'on pourrait envisager pour éviter ces abus de procédures et de démarches judiciaires qui, finalement, entraînent des contraintes.
[Traduction]
M. James Musgrove: Bien entendu, il est possible d'autoriser les recours privés. Nous le savons. Il y a des mécanismes dont on discute. Certains sont meilleurs que d'autres. C'est tout à fait possible. Toutefois, qu'est-ce qui est préférable pour le Canada, non pas seulement pour les petites entreprises canadiennes, pour les grosses entreprises canadiennes, mais pour l'économie du Canada en général et, au bout du compte, à mon avis, pour les consommateurs canadiens? Les gens raisonnables ne sont pas tous d'accord, et c'est normal, sur ce point.
Je considère personnellement que nous n'assisterons pas à des batailles en faveur du consommateur ou de l'intérêt général, mais à des batailles pour le compte des intérêts des entreprises privées, mettant éventuellement aux prises des petites contre des grosses entreprises. J'imagine que pour une bonne part, des entreprises de plus en plus grosses lutteront avec la dernière énergie et à mon avis les fournisseurs seront de moins en moins tentés de traiter avec des intermédiaires et préféreront faire tout par eux-mêmes. Il n'y aura donc pas de risque de dérapage parce que rien ne se sera passé au départ. Rien n'aura changé.
• 1100
Comme vous l'avez évoqué lors de la dernière séance, l'économie
évolue. On avait l'habitude de passer par l'intermédiaire de
grossistes spécialisés dans les produits du tabac. On a cessé de le
faire et désormais on passe par l'Internet. Qui sait ce qui va se
produire? Ni vous ni moi ne le savons. Toutefois, si vous instituez un
mécanisme permettant aux gens qui bénéficient d'une rente de situation
de s'opposer à tous ceux qui veulent s'immiscer dans leur pré carré,
ils vont s'en servir non pas pour protéger l'intérêt général, même
s'il peut arriver que ce soit la conséquence de leur action, mais pour
protéger leurs propres intérêts. Le gouvernement ne devrait y recourir
que pour protéger l'intérêt public, et à bon escient, lorsqu'il le
juge approprié. Il n'a pas suffisamment d'argent. J'estime qu'il y a
de meilleurs moyens de régler la chose que celui-ci.
Les petites entreprises auxquelles vous vous référez, si c'est cela qui vous préoccupe, n'auront probablement pas suffisamment d'argent pour intenter ce genre de recours. La question des recours privés intéresse les entreprises et non pas les consommateurs. Il s'agit simplement par là de protéger un groupe d'entreprises par rapport à un autre.
N'oubliez pas que dans la mesure où elles ont passé des contrats ou toute autre entente, elles peuvent se protéger si elles le désirent. On ne parle ici que des cas où elles ne peuvent pas le faire, sinon elles peuvent toujours intenter elles-mêmes des poursuites devant la justice.
Cette loi existe. Il n'y a pas là de préjudice objectif. Il ne s'agit pas d'un meurtre ou d'un vol de banque. Cette loi est là pour protéger l'économie. Si on ne porte pas un préjudice significatif à l'économie, il ne devrait pas y avoir un recours à mon avis.
Nous ne sommes peut-être pas d'accord, mais voilà ce que j'en pense.
[Français]
M. Antoine Dubé: M. Grover semble avoir un point de vue différent.
[Traduction]
M. Warren Grover: J'aimerais ajouter que mon inquiétude en tant que praticien qui exerce dans ce domaine est double.
Le bureau a déjà publié des statistiques indiquant ce qu'il en coûte pour s'adresser au tribunal. En moyenne—les affaires n'ont pas été tellement nombreuses—pour le seul bureau il en a coûté plus de 1 million de dollars pour aller devant le tribunal. M. Musgrove comme moi-même avons aussi été dans l'autre camp. J'ai agi pour le compte du bureau et j'ai aussi représenté l'autre camp. Dans l'affaire NutraSweet, nous étions de l'autre côté. Toutefois, je suis sûr que les coûts sont encore plus élevés pour ce qui est du défendeur. Par conséquent, lorsqu'on s'adresse au tribunal, cela coûte cher. Je suis d'accord par ailleurs avec M. Musgrove pour dire que ce ne sont pas les petits qui vont s'adresser au tribunal; ce sont les grosses entreprises.
Le gros problème, cependant, ne vient-il pas du fait que lorsqu'on va s'adresser au bureau pour se plaindre d'une question qui relève véritablement de l'intérêt général, le bureau va peut- être vous répondre que l'on peut intenter des poursuites, qu'il n'a pas à s'en mêler et que l'on dispose d'un recours?
Oui, on a un recours comme on a toujours la possibilité de traverser à la nage les chutes du Niagara. Il y a pourtant certains risques, si vous voyez ce que je veux dire.
[Français]
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Dubé.
[Traduction]
La parole est à M. McTeague.
M. Dan McTeague: C'est une très intéressante juxtaposition entre vous-même, messieurs Musgrove et Grover.
Je dois avouer que je suis d'accord sur bien des points avec ce qu'a dit M. Grover et qu'il nous a donné bien des éclaircissements sur ce qui inquiète mon collègue M. Dubé au sujet des dispositions traitant des infractions sur les prix, qui font double emploi avec celles qui figurent déjà en matière d'abus de position dominante, de prix imposés par un fournisseur bénéficiant d'une intégration verticale, etc.
Je suis très préoccupé par nombre de vos observations, monsieur Musgrove. C'est pourquoi c'est à vous que j'adresserai mes questions.
Vous nous avez dit que personne n'avait démontré qu'il fallait accorder des recours privés, que l'on ne devait pas conférer au bureau le pouvoir d'ordonner de cesser certaines activités et que les ordonnances provisoires sont suffisantes. Selon votre expérience, si je suis victime, comme l'a évoqué M. Grover un peu plus tôt, des agissements d'une personne appartenant à un secteur évoluant rapidement comme la haute technologie, et que cela constitue éventuellement un acte contraire à la concurrence, combien faudra-t-il de temps au tribunal, dans la plupart des cas, pour que l'on remédie véritablement à la situation, ou faudra-t-il attendre que je sois bien mort et enterré pour que le tribunal accepte d'entendre ma cause?
M. James Musgrove: Parlez-vous d'un jugement définitif?
M. Dan McTeague: Oui, c'est bien ça.
M. James Musgrove: Il se peut très bien que vous soyez mort et enterré. Il faudra probablement deux ans.
M. Dan McTeague: Merci, monsieur Musgrove.
J'ai de nombreuses questions à poser et je pense qu'il est préférable de les poser d'abord pour que vous puissiez ensuite y répondre en détail.
Vous nous dites que ces gens auront le temps de subir un préjudice grave, mais je pense qu'il est clair maintenant qu'ils seront morts et enterrés avant que nous prenions effectivement des mesures.
• 1105
Je m'inquiète du fait que vous semblez croire que dans certaines
circonstances, pour ce qui est des ordonnances intimant l'ordre de
cesser certaines activités, le Bureau de la concurrence assumerait en
fait une partie du rôle du tribunal en tranchant les affaires grâce à
ces pouvoirs limitées.
Monsieur Musgrove, si j'ai décidé de ne pas poursuivre et si quelqu'un de la partie considère que non seulement cette décision lui porte préjudice et s'avère inefficace, comme on l'a vu dans le secteur de l'épicerie et du pétrole, mais qu'en outre elle aura des effets pernicieux sur l'économie en général, est-ce que le bureau n'a pas déjà pris la décision de ne pas poursuivre l'affaire?
M. James Musgrove: Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris.
Si le bureau a décidé de ne pas poursuivre dans une affaire, il a bien entendu pris une décision. La personne ou l'entreprise qui dépose une plainte estiment que le comportement est préjudiciable en soi. Qu'ils le jugent préjudiciable pour l'économie ou pour les consommateurs, je vous avoue bien franchement, compte tenu de mon expérience, que cela leur est bien égal.
M. Dan McTeague: Ma question est bien simple, et je pense que vous n'y répondez pas. Le bureau prend constamment des décisions lorsqu'il choisit de poursuivre ou non une affaire. Il le fait en appréciant les règlements d'application, en fonction de ce qu'il sait de la Loi sur la concurrence, de ses insuffisances ou autres. Il le fait aussi compte tenu de la façon dont il conçoit le marché.
Ne peut-on pas penser que les marchés, que leur complication, soient tels qu'on ne puisse pas suffisamment apprécier l'évolution rapide des marchés du fait de la mondialisation, de la déréglementation, des fusions, etc., ce qui justifierait que des personnes ayant des intérêts particuliers, des gens qui comprennent bien mieux les complications de leur propre secteur, puissent avancer certaines choses susceptibles en fin de compte d'aller dans le sens de l'intérêt général, que vous estimez comprendre?
M. James Musgrove: Oui, bien entendu, c'est possible. Toutefois, si le responsable de la plainte comprend si bien le marché, comme vous le supposez, il devrait pouvoir transmettre cette connaissance au bureau. Le bureau n'est pas stupide. Il ne connaît peut-être pas tous les marchés, mais il sait écouter et comprendre ce qui se dit. Si une affaire revêt une importance cruciale, il va écouter.
J'en reviens au secteur en pleine expansion que l'on a évoqué. Je n'ai pas à me prononcer pour ou contre Microsoft. Ça m'est égal, mais qui sait ce que nous réserve l'avenir? Il s'agit là d'un secteur qui évolue rapidement et il est bien difficile pour qui que ce soit, pour le tribunal, pour le bureau, pour les participants, de l'appréhender.
La présidente: Avant que vous poursuiviez, en réponse à une question précédente, M. Musgrove a déclaré qu'il faudrait deux ans. Je pense qu'il se référait à un jugement définitif.
M. James Musgrove: Oui, c'est exact.
La présidente: Pour obtenir une ordonnance provisoire, il ne faudrait que deux semaines environ.
M. James Musgrove: C'est tout à fait exact. Je ne me prononçais pas contre les ordonnances provisoires, madame la présidente. Je disais que le soin de prononcer une quelconque ordonnance provisoire devait être confié au tribunal, et non pas au commissaire. Le commissaire se charge d'enquêter et d'intenter des poursuites, son rôle n'est pas le même. Le tribunal tranche. C'est un autre point pertinent... Il y avait auparavant la CPRC, qui possédait ces deux pouvoirs. C'était une erreur. Nous les avons séparés, il faut continuer à le faire.
Si l'on considère que l'on a besoin d'ordonnances provisoires—et je vous avoue que je n'ai pas d'opinion sur ce point, c'est bien possible—demandons au tribunal de les prononcer.
La présidente: Je vous remercie. Excusez-moi, monsieur McTeague, vous pouvez poursuivre.
M. Dan McTeague: Merci, madame la présidente.
Si vous me le permettez, monsieur Musgrove, je vais me montrer plus direct. Est-ce que vous représentez des clients qui ont par ailleurs leur société mère aux États-Unis?
M. James Musgrove: Oui, parfois.
M. Dan McTeague: Est-ce que vous ne trouvez pas particulièrement étrange que vos clients disposent là-bas de moyens de recours tels que des recours privés, la possibilité de bénéficier dans certains cas de triples dommages et intérêts, ce qui n'est pas possible ici au Canada ou, mieux encore, que dans certaines circonstances on agirait aux États-Unis de manière totalement illégale alors qu'on pourrait faire la même chose au Canada en ayant la certitude de pouvoir faire traîner la procédure pendant deux, trois ou quatre ans, comme nous l'avons vu dans le cas de la fusion de Superior Propane, au point où l'on ne voit plus l'efficacité du procédé et où les petites entreprises disparaissent? Enfin, le coût de cette procédure, auquel vous avez fait tous deux allusion un peu plus tôt, est bien plus élevé pour l'économie en général.
M. James Musgrove: Vous soulevez de nombreuses questions.
Je trouve effectivement étrange que les États-Unis aient prévu ces recours privés imposant des dommages-intérêts triples. La plupart des pays du monde trouvent la chose étrange. Il y a des situations qui sont vraisemblablement illégales aux États-Unis et qui ne le sont pas au Canada. L'inverse existe aussi. Ce sont chaque fois des cas relativement marginaux. La plupart de ce qui est illégal ici l'est aussi là-bas, et vice versa.
M. Dan McTeague: Ce sont là toutes mes questions pour l'instant. Est-ce qu'il me reste du temps, madame la présidente?
La présidente: Nous vous redonnerons la parole plus tard.
M. Dan McTeague: Oui, je vais laisser la place aux autres. Je vous remercie.
La présidente: Monsieur Murray, vous avez la parole.
M. Ian Murray: Merci, madame la présidente.
Je pense, messieurs, que vos deux mémoires sont très clairs et je ne veux pas entrer dans les petits détails de la loi. Je suis davantage frappé par tout ce grand débat qui est essentiellement un débat de politique publique opposant les grosses chaînes de magasins au petit commerce familial.
Je relève avec intérêt, monsieur Musgrove, que dans l'une de vos conclusions vous indiquez que la Loi sur la concurrence est par essence la politique industrielle du Canada. C'est mon point de départ pour cette discussion. S'il en est ainsi, je vous demanderai alors de vous mettre à la place des députés, qui sont contactés par des gens qui sont découragés, et même désespérés, parce qu'ils ont un commerce et qu'une grosse chaîne vient de s'implanter. Ces personnes ont toujours habité la localité, elles emploient de nombreux résidents locaux, elles subventionnent des équipes de hockey locales, etc., tout ce que peut faire une petite entreprise au sein de la collectivité, et elles voient arriver la faillite et sont sur le point de cesser leurs activités parce qu'elles estiment ne pas pouvoir exercer leur concurrence.
Si je suis aux prises avec ce problème, c'est parce que je crois essentiellement au libre jeu des forces du marché et parce que je vois par ailleurs que les gens font leur choix en décidant d'aller ailleurs. S'ils décident d'aller s'approvisionner chez Chapters plutôt que de s'adresser au libraire local, ils le font sans se poser de questions. S'ils décident d'aller chez Home Depot, comme l'a mentionné M. Grover, il semble que l'expérience leur convient, que ce soit en raison d'une bonne mise en marché ou pour autre chose. D'ailleurs, une bonne mise en marché est une bonne chose. On ne peut que l'applaudir.
Je vous le répète, je me triture les méninges en me demandant si vous considérez, monsieur Musgrove, que c'est quelque chose que notre gouvernement devrait faire—disons que c'est votre avis personnel et non pas un avis juridique que je vous demande ici—ou est-ce que nous ferions une folie en cherchant à arrêter en pleine course, en nous plaçant sur son chemin, ce véritable train que constitue la libre concurrence sur le marché, qui ne peut qu'être une bonne chose? Dans certains secteurs, il serait peut-être bon de ne pas toucher pour l'essentiel à la Loi sur la concurrence, mais dans d'autres il faudrait peut-être réexaminer certaines dispositions lorsque cela ne risque pas d'empiéter sur les règles de l'OMC, de l'ALE ou autres?
Je voudrais simplement que l'on en discute.
M. James Musgrove: Je vous remercie. C'est une question délicate. Je vais essayer de vous donner mon opinion et certains éléments de réponse.
Warren nous a dit tout d'abord qu'il fallait qu'il y ait suffisamment de concurrents. Je suis d'accord avec cette exigence. Je ne sais pas par contre combien il en faut pour que ce soit suffisant; tout dépend du secteur et de l'entreprise considérée, mais il en faut suffisamment. Au Canada, ce n'est peut-être pas la même chose qu'aux États-Unis; ce qui est suffisant ici ne l'est peut-être pas là, et vice versa. Il se peut que dans certains cas on ne puisse pas avoir cinq ou six grandes chaînes dans un secteur donné au Canada; notre marché est tout simplement trop restreint. Toutefois, il en faut suffisamment, compte tenu de la situation qui est celle du Canada.
Je suis préoccupé, cependant, comme je vous l'ai dit au sujet du demandeur qui a subi un grave préjudice et qui s'adresse au Tribunal de la concurrence, par les gens en difficulté dans votre circonscription qui vous demandent d'intervenir. C'est la même réaction sur le plan humain, je la comprends et je représente d'ailleurs une petite chaîne de libraires. Je comprends le problème, mais il semble que la population aime se servir chez Chapters et qu'elle achète davantage de livres. En fait, ce marché est en pleine expansion.
Il y aussi toute la question de l'assurance bancaire. Cette question s'est posée elle aussi alors qu'il y a tout un groupe de pression extraordinairement efficace composé de petits et moyens entrepreneurs, et parfois de gros entrepreneurs, que sont les courtiers. Ils sont organisés, ils habitent dans les circonscriptions, leur gagne-pain est menacé et ils constituent un groupe de pression très efficace.
C'était une décision politique. Notre cabinet représente des courtiers d'assurance, mais je ne sais pas si c'était la bonne décision sur le plan économique. J'imagine que les banques pourraient assurer la population plus efficacement et moins cher.
Tous ces gens qui savent exercer des pressions, qui participent à la vie politique, qui sont connus au sein de leur collectivité et qui subventionnent les équipes des petites ligues sont d'excellentes personnes, ils n'aimeront pas cette évolution, mais de mon côté je vais bénéficier d'une assurance moins chère et il en sera de même pour vous et pour tous les Canadiens à faible revenu.
M. Ian Murray: Monsieur Grover, je ne sais pas si vous avez quelque chose à ajouter à ce que vous avez dit tout à l'heure.
M. Warren Grover: J'ajouterai seulement que je ne suis pas convaincu que vous allez bénéficier d'une assurance moins chère pendant très longtemps...
M. Dan McTeague: En effet.
M. Warren Grover: ... lorsqu'il n'y aura plus d'autres concurrents dans le secteur.
Je n'ai pas eu l'impression que les banques, par exemple, ont tout changé lorsqu'elles sont entrées dans le secteur du courtage. Ce qui a changé ce secteur, c'est l'Internet. Les commissions n'ont baissé qu'à partir du moment où l'Internet est apparu sur le marché et où d'autres intervenants, des entreprises de New York, se sont mis à les faire baisser. Ce n'est pas parce que les courtiers—et je parle ici de ce que j'appelle l'industrie du courtage—ont été repris par les banques. Ce n'est pas à mon avis ce qui a fait baisser les coûts pour les consommateurs.
Je relève cependant une chose que vous avez dite vous-même, soit que l'on ne peut pas nier que lorsque les gros distributeurs s'installent, ils exercent leur exploitation d'une manière qui plaît au consommateur. Les magasins Chapters sont aux petits soins pour les consommateurs, ce qui n'était peut-être pas le cas des petites librairies des petites villes, ou même des chaînes de magasins Britnells ou Coles. Il y a là matière à réflexion. On commercialise peut-être mal nos produits au Canada et c'est ce que révèle ce genre d'entreprise, parce qu'il est indéniable que le consommateur les apprécie. C'est quelque chose contre laquelle, à mon avis, on ne peut pas lutter—c'est comme votre train, qu'on ne peut pas arrêter—si ce n'est en reconnaissant que les opérations de commercialisation sont nécessaires tout au long de la chaîne.
Ce qui me paraît aussi bien particulier au Canada—et je le vois jusqu'à un certain point dans certaines annonces publicitaires qui passent actuellement à Toronto—c'est que l'on n'a jamais eu l'idée «d'acheter canadien». Aux États-Unis, on fait uniquement...
M. Ian Murray: Sauf pour ce qui est de la bière, j'imagine, ces derniers temps.
M. Warren Grover: Nous devons acheter notre bière parce qu'il n'y en a pas d'autre. Nous ne laissons pas les autres traverser la frontière. Les entrepôts de nos brasseurs se chargent efficacement de les écarter.
Je considère que l'on nous incite davantage aujourd'hui à acheter canadien, mais lorsque j'étais jeune on achetait canadien parce que l'on ne pouvait pas...
M. Ian Murray: En effet. Nous avions des tarifs douaniers et d'autres dispositifs qui encourageaient cette situation.
Il y a une autre dimension à ce problème, et je sais que nous nous écartons ici de notre sujet, mais j'ai dans ma circonscription un certain nombre de petites villes. J'ai aussi Kanata, où l'on voit arriver de nombreux gros distributeurs qui sont, là encore, très appréciés. En réalité, toutefois, ce ne sont pas simplement les petits détaillants qui disparaissent, mais finalement tout ce qui est au coeur et qui fait l'âme des petites localités, qui est détruit lorsque ces entreprises cessent leur activité. Les devantures restent fermées et l'on se retrouve en quelque sorte dans des centres-villes fantômes. La qualité de vie en souffre. Les vieilles personnes, qui avaient l'habitude de faire leurs courses à pied n'en ont plus aussi facilement la possibilité.
Il s'agit donc ici en fait d'opposer la qualité de vie de la population canadienne au libre jeu des forces du marché, auquel très peu de Canadiens sont prêts à s'opposer, à mon avis. Je suis sûr que c'est là un débat qu'il faudra reprendre plus tard, en dehors de cet examen de notre politique de la concurrence, mais ce qui m'a amené à faire cette réflexion, je l'ai dit tout à l'heure, c'est la déclaration d'un témoin précédent, qui nous a dit que sa famille était propriétaire d'une épicerie qui avait dû fermer ses portes lors de l'arrivée d'une grande chaîne commerciale.
Là encore, je ne m'attends pas à ce que vous me donniez des solutions magiques.
M. James Musgrove: Je dirais seulement qu'il s'agit là de questions que l'on peut légitimement se poser en matière de politique sociale et que quelle que soit la façon dont on intervienne, en vertu du zonage ou selon d'autres moyens, il faut éviter de le faire dans le cadre de la Loi sur la concurrence.
Il y a un petit marché à deux pas de chez moi dont les prix sont le double de ceux de Loblaws. Ce marché est florissant. Il offre un excellent service et je peux y aller à pied. Toutefois, s'il n'offrait pas un excellent service, il disparaîtrait, parce que les prix y sont deux fois plus élevés que chez Loblaws.
M. Ian Murray: Je vous remercie.
La présidente: Merci, monsieur Murray.
[Français]
Monsieur Dubé, avez-vous d'autres questions?
M. Antoine Dubé: Oui. La société évolue de deux façons: les petites localités sont de plus en plus petites et les grands centres sont de plus en plus grands, tout cela dans un contexte de mondialisation. Cela me préoccupe de la même façon. Vous dites que cela ne devrait pas être régi par la Loi sur la concurrence, mais lorsqu'on est dans un contexte de libre marché, d'ALENA et de mondialisation, quel autre moyen peut-on avoir? Dans ce contexte-là, on ne peut pas subventionner les entreprises. Les déductions fiscales doivent s'appliquer à tous.
Je pose la question de nouveau parce que je trouve que c'est un débat intéressant. Si l'avenir des régions n'est pas dans cette loi, de quel outil un gouvernement dispose-t-il aujourd'hui pour réglementer le développement économique régional?
[Traduction]
La présidente: Monsieur Grover.
M. Warren Grover: Je vais essayer de donner quelques éléments de réponse.
Tout d'abord, je pense que si l'on intervient dans le cadre de la Loi sur la concurrence, les choses seraient plus faciles si le Bureau de la concurrence avait des bureaux locaux. L'une de ses grandes difficultés... Lorsque je me rends à Ottawa, je sens que le bureau agit et réfléchit comme si tout se trouvait à Ottawa. Il ne sait pas prendre le pouls des campagnes, ni des grandes métropoles, soit les deux milieux auxquels je suis habitué.
S'il disposait de bureaux dans ce genre de milieu en particulier, il saurait à quel moment les gros distributeurs ou autres viennent s'installer... Et croyez-moi, un gros distributeur ne va pas venir s'installer à Florenceville ou à Saint John River. La population n'y est pas suffisante. Il serait éventuellement trop gros pour elle.
Si ces bureaux pouvaient examiner dans quelle mesure ces gros distributeurs ont des pratiques déloyales, relèvent leurs prix par la suite, etc. En l'absence d'un bureau local, excusez-moi, mais quelqu'un qui travaille à la Place du Portage ne pourra rien voir.
Il ne mène pas suffisamment ses propres enquêtes. Il attend qu'il y ait une plainte et généralement il ne comprend pas l'affaire parce que personne n'a fait enquête dans le secteur. Il n'a pas de dossiers, contrairement à la FTC. Cette dernière a des dossiers sur pratiquement tous les secteurs, et je dois dire que l'on avait auparavant des dossiers au Canada sur différents secteurs. Il ne cherche pas à entrer dans le jeu.
Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il ne faut pas arrêter le progrès. On ne doit pas empêcher le consommateur de décider. Il faut cependant mettre fin aux pratiques contraires à la concurrence. S'il faut attendre que la victime soit rendue pratiquement à la dernière extrémité—et j'ai oublié tous les qualificatifs que vous avez employés—pour que le Bureau de la concurrence prenne conscience du problème, ce sera trop tard. L'une des solutions consiste à faire davantage d'enquêtes locales.
Je dois dire que le principe d'une intervention rapide me plaît. Je suis d'accord avec M. Musgrove. Rien n'a jamais empêché que l'on obtienne directement un mandat de perquisition, absolument rien.
On fait la même chose dans le secteur des valeurs mobilières. On obtient une ordonnance, sans difficulté, mais l'on doit s'adresser à la commission. Le même jour, on peut agir directement. C'est la façon normale de procéder en droit depuis au moins 40 ans, depuis que je suis avocat. On s'adresse directement à la cour. Il est possible alors d'obtenir, pour faire cesser tous les agissements susceptibles de se produire, une injonction dont la durée de validité n'est que de quatre ou cinq jours en attendant que quelqu'un vienne faire une déclaration en présence des deux parties. On obtient les mêmes résultats qu'ici sans donner prise aux critiques.
Ce qui m'inquiète au sujet du pouvoir du commissaire, c'est que l'on va se retrouver avec une affaire constitutionnelle sur les bras. Ça va remonter jusqu'à la Cour suprême du Canada et, pendant sept années, on ne saura pas si ça fonctionne ou non.
Dans l'affaire Hunter c. Southam, alors qu'on s'était efforcé de conférer ce pouvoir à la CPRC, tout s'est écroulé. Pourquoi ne pas simplement lui accorder temporairement le droit de demander directement des injonctions provisoires? C'est un moyen bien connu. On se présente devant l'instance concernée et on l'obtient dans l'heure. Il ne faut pas deux ans... Voilà donc ce qui pourrait vous aider à mon avis. Il faut qu'il dispose d'un pouvoir, mais je pense qu'on peut le faire par ce moyen.
La présidente: Monsieur Musgrove, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. James Musgrove: Non. Je suis effectivement d'accord avec tout ce qu'a dit Warren.
[Français]
La présidente: Monsieur Dubé.
M. Antoine Dubé: Sur un tout autre plan, est-ce qu'en vertu des lois canadiennes sur la concurrence—et je prends un cas hypothétique—, Microsoft aurait pu être obligée de comparaître et de se défendre? Est-ce qu'il y aurait eu le même genre de situation qu'aux États-Unis? Si on avait une compagnie semblable à Microsoft au Canada, est-ce qu'on pourrait faire la même chose?
M. James Musgrove: Je ne prétends pas être un spécialiste de l'affaire Microsoft, mais de manière générale, je pense que la réponse est oui. D'ailleurs, dans ce cas précis, nous tirons les marrons du feu, si vous voulez, alors que les États-Unis prennent l'initiative des poursuites. Quels que soient les résultats dans la pratique, les consommateurs canadiens vont en bénéficier. Si cette situation était propre au Canada, je ne vois pas ce qui nous empêcherait de le faire—là encore sans connaître l'affaire dans tous ses détails, uniquement d'après ce que l'on peut lire dans les journaux.
[Français]
M. Antoine Dubé: Vous n'en êtes pas sûr.
Mr. Warren Grover: Non.
[Traduction]
Prenons l'exemple de Nortel, notre société de haute technologie la plus grosse et la plus rentable. Le Canada ne pourrait pas la partager en deux car 90 p. 100 de ses activités s'exercent aux États-Unis ou ailleurs qu'au Canada. Nous sommes un petit pays. Ce comportement nous convient. C'est la condition de nos exportations. Plus de la moitié des ordinateurs dans le monde sont installés aux États-Unis. Ils peuvent se permettre de dire à Microsoft «C'est ainsi que ça va se passer» et ils seront obéis. Au Canada, si nous faisons la même chose à Nortel, nous pouvons vraisemblablement lui dire adieu. Cette société déménagerait ses activités au sud de notre frontière—elle y serait accueillie à bras ouverts, et ce ne serait que 10 p. 100...
J'ai travaillé auprès de nombreuses sociétés canadiennes dont 90 p. 100 des activités, et même davantage, s'exercent à l'étranger. Donc, pour en venir à ce qui se passe en matière de fusion, qui n'est pas le domaine que j'ai cherché à aborder, est-ce que je pense que ce genre de solution et de cession d'une partie des actifs est un bon remède pour le Canada? Non. Aux États-Unis, peut-être. Prenez le cas, aux États-Unis, d'une des deux entreprises de produits chimiques ayant fusionné. Les responsables ont jugé que la division des aliments pour les animaux domestiques était trop grosse. Ils ont obligé l'une des entreprises à se départir de sa division de produits alimentaires pour animaux domestiques avant de fusionner. Savez-vous où se trouvaient la plupart des magasins? La plupart d'entre eux étaient alors au Canada. Ce sont les États-Unis qui ont été à l'origine de tout cela. Je n'y vois rien à redire.
Dans une affaire à laquelle j'ai pris part, 90 ou 100 p. 100 de la fabrication se faisait aux États-Unis et l'on avait à la base deux entreprises possédant de grosses parts de marché au Canada qui fusionnaient, mais qui le faisaient aux États-Unis. Qu'allions-nous leur dire de faire? Leur dire de céder leurs usines au Tennessee? Il n'en était pas question, il faut être réaliste. Je vous dis par conséquent, voulez-vous d'autres...?
Je ne suis pas venu en fait vous parler des dispositions concernant les fusions, mais plutôt de celles qui traitent des infractions sur les prix. Toutefois, vous m'interrogez au sujet des fusions, et je pense que l'on a besoin de nombreux autres recours au Canada. Il faut réfléchir différemment à des solutions moins draconiennes que la dissolution ou la cession d'actifs. C'est trop ambitieux.
Il en va de même pour les dispositions ayant trait aux monopoles. On a éventuellement besoin d'autres recours que celui de l'obligation de cesser telle ou telle activité. La cession d'actifs est un recours difficile à mettre en oeuvre pour les grandes entreprises.
La présidente: Je vous remercie, monsieur Dubé.
Monsieur Lastewka, avez-vous des questions à poser?
M. Walt Lastewka: Laissez-moi peut-être faire quelques observations.
Vos exposés me sont apparus très concis et en plein dans le sujet, et je vous en félicite. Je tiens à vous poser une question à la suite de vos exposés et de la discussion qui a suivi. Si vous deviez changer une chose au Bureau de la concurrence, quelque chose qui vous dérange ou qu'il convient d'ajouter au bureau, quelle serait pour vous la grande priorité?
M. James Musgrove: Je vais vous répondre en premier.
Voilà longtemps que je préconise des changements concernant les dispositions traitant des infractions sur les prix, celles qu'évoquent le rapport VanDuzer et que je mentionne dans mes notes... Je suis heureux que l'on me demande d'en parler. Je pense que ce serait la grande chose à faire.
M. Walt Lastewka: Très bien.
M. Warren Grover: D'un point de vue législatif, je pense que c'est ce que nous aurions de mieux à faire. L'important, ce sont les trois choses qu'a évoquées M. Hunter: les fusions, les procédures abusives et les collusions. Aucune d'entre elles ne serait touchée par cette démarche.
Vous me demandez ce que le bureau devrait faire, et je pense qu'il devrait à nouveau s'abstenir d'intervenir dans les secteurs réglementés, comme je le dis dans mon étude, pour s'occuper de ces nouveaux domaines. Il me semble que vous me demandez entre autres quelles sont les tâches que j'aimerais voir confier au bureau. J'aimerais qu'il devienne un spécialiste des secteurs non réglementés et qu'il entreprenne de lui-même, même en l'absence de plaintes, de faire respecter la loi. Je considère qu'une telle utilisation des ressources du bureau serait tout à fait la bienvenue.
M. Walt Lastewka: Je vous remercie.
La présidente: Merci, monsieur Lastewka.
Monsieur McTeague, avez-vous quelques dernières questions à poser?
M. Dan McTeague: Oui.
Monsieur Grover, vous avez évoqué précédemment le cas des épiceries, et cette question m'intéresse, car je suis de près l'affaire Chapters et bien d'autres affaires dans le secteur du gaz et du pétrole, dans lesquelles la disparition d'un grand nombre d'entreprises individuelles, pour des raisons d'efficacité ou non, peut entraîner finalement une montée des prix sur certains marchés. Je ne vous ai pas entendu évoquer la question du manque de choix, qui peut être le résultat de l'une de ces activités que l'on ne décèle pas.
Je fais référence à l'épicerie locale qu'a citée en exemple M. Musgrove. Est-ce qu'il n'est pas possible que cette petite épicerie fasse payer deux fois plus cher que chez Loblaws parce que Loblaws a le pouvoir, l'assise, qui lui permettent de forcer la main aux fournisseurs, ce qui fait que ses prix sont bien plus bas que ceux du petit épicier indépendant? Ces derniers peuvent consentir des coûts d'étalage et des prix de reprise. Je peux vous citer en exemple des coopératives qui dans leur publicité parlent de ristournes, de remises sur les livraisons en entrepôt, de programmes spéciaux et de rabais sur les factures.
Toutes ces conditions sont exigées par les oligopoles—soit ceux qui ont la haute main sur le commerce de détail et sur les fabricants, de sorte que ceux-ci doivent faire payer aux petites chaînes d'épicerie indépendantes que fréquente M. Musgrove... La seule possibilité qui reste au petit commerce, s'il veut rester efficace, c'est de relever ses prix. Le seul recours qu'il lui reste est d'offrir un service légèrement meilleur.
Est-ce que cela ne vous paraît pas la norme, non seulement dans le secteur de l'épicerie, mais aussi dans tous les secteurs du pays?
M. Warren Grover: Il y a une certaine vérité dans ce que vous me dites, mais je sais aussi, pour avoir conseillé des professionnels de l'épicerie—si vous me permettez d'y revenir un instant—que les pouvoirs s'exercent dans les deux camps. Le vendeur de céréales ou d'autres produits de ce genre veut pouvoir exposer ses produits en tête de gondole. Si l'on veut s'amuser avec toutes ces questions liées aux infractions sur les prix, il suffit de se reporter aux dispositions actuelles des articles 50 et 51.
Je suis d'accord avec l'une des observations qu'a faites M. Musgrove. Il est toujours possible de s'adresser à un avocat pour faire ce que l'on veut. Loblaws peut aller voir une grosse entreprise comme Kellogg's—et je n'ai travaillé ni pour Kellogg's, ni pour Loblaws—et lui dire: «Nous ne voulons pas bénéficier de bas prix en permanence, nous voulons avoir des rabais de telle ou telle manière, 14 fois par an, que la commercialisation se fasse dans telle ou telle condition, nous voulons bénéficier de coupons...» Et ainsi de suite. Kellogg's va se pencher sur la question et élaborer un plan. Ce plan est différent, si j'en crois mon expérience, dans chaque magasin. Finalement, on ira voir les avocats—Musgrove ou moi-même—et nous nous efforcerons de concevoir quelque chose qui répond aux exigences, mais en tenant compte des dispositions alambiquées de cette loi, pour être sûrs de ne pas commettre une stupidité. On se demande pourquoi nous prenons cette peine, parce que de toute façon il n'y a jamais de poursuites.
À mon avis, c'est absolument une perte de temps. Est-ce que Loblaws est en mesure d'exiger des prix moins élevés que les petits magasins? Selon les règles en vigueur aux États-Unis, pour exiger un prix inférieur, il faut pouvoir démontrer l'existence d'un avantage comparatif. Ainsi, si j'expédie tout un lot de marchandises en vrac chez Loblaws—d'ailleurs, c'est ainsi que l'on procède, généralement Kellogg's ne livre pas au magasin, mais à l'entrepôt—cela va me coûter bien moins cher que si je dois envoyer un garçon à bicyclette livrer au magasin de M. Musgrove, parce qu'il y aura bien moins de difficultés en chemin.
M. Dan McTeague: Toutefois, est-ce que le fabricant ne va pas dire dans ces circonstances: «Il me faut maintenant, pour pouvoir approvisionner Kellogg's, General Mills ou autre...» Si une société donnée, Procter & Gamble, par exemple, n'éprouve aucune difficulté à dépenser 2 millions de dollars pour mettre un produit sur les rayons d'un grand magasin, par exemple, comment une petite entreprise va-t-elle pouvoir en faire autant? Si elle le fait, comment va-t-elle pouvoir recouvrer cet énorme manque à gagner? Ne va-t-elle pas le récupérer sur le dos des plus petits opérateurs? Est-ce que cela n'entraîne pas par conséquent un manque d'efficacité du fabricant du fait du manque de choix, ainsi que des prix éventuellement plus élevés, non pas chez Loblaws, mais pour le petit magasin indépendant, qui ne sera pas toujours en mesure d'acheter ou d'offrir des prix compétitifs par rapport aux grands magasins?
• 1135
Nous ne sommes donc pas dans votre cas de figure, celui de Home Depot
qui vient concurrencer les petits magasins. Dans notre exemple, Home
Depot exerce une telle présence sur le marché du fabricant que ce
dernier est obligé de recourir à une discrimination par les prix au
détriment des petits commerces. Cela restreint la concurrence.
M. Warren Grover: Je vous dis toutefois que si la discrimination par les prix consiste à demander à celui qui s'en plaint de démontrer que le prix qui lui est appliqué est différent, ce qui est la règle aux États-Unis, ça n'a jamais été notre règle. Je considère qu'il est très difficile de savoir quels sont ces coûts mais, si j'en crois mon expérience, l'autre camp est généralement tout aussi puissant. Des entreprises comme Kellogg's ne sont pas si petites, même si on les compare à...
Je vais prendre un exemple plus simple que nous connaissons tous. Il faut que Coca-Cola soit sur les rayons. On ne peut pas tout simplement dire à Coca-Cola: «Si vous ne faites pas cela, je vous retire des tablettes».
M. Dan McTeague: Sauf, bien évidemment, si Coca-Cola n'a la possibilité de vendre 90 p. 100 de sa production qu'en passant uniquement par deux distributeurs au Canada. La dynamique est alors différente. Ce n'est alors peut-être plus un cas de figure théorique, mais une réalité aujourd'hui étant donné les fusions qui ont eu lieu dans le secteur de l'épicerie.
Excusez-moi, je me rends compte que nous n'avons pas beaucoup de temps, mais j'aimerais poser une dernière question, madame la présidente, si vous me le permettez.
La présidente: Allez-y.
M. Dan McTeague: Vous vous inquiétez de l'exercice par le commissaire du pouvoir de faire cesser telle ou telle activité. Pouvez-vous me donner un exemple qui me fasse comprendre pour quelle raison vous préférez que le tribunal exerce ce même pouvoir discrétionnaire? Y a-t-il une raison, à votre avis, qui fait que le commissaire ne devrait pas avoir le pouvoir d'ordonner de cesser telle activité, lorsqu'il estime que cette interdiction est justifiée, et doit-on fixer un certain nombre de conditions à l'exercice de ce pouvoir par le commissaire au cas où l'on adopterait ce projet de loi?
M. Warren Grover: À mon avis, un gros problème de constitutionnalité se pose au sujet de ce projet de loi en vertu du pouvoir conféré aux tribunaux par notre Constitution, je crois que c'est à l'article 96, dans ce que l'on appelait l'AANB. Il est facile d'y remédier. Il ne faut pas que celui qui fait la police soit lui-même en mesure d'exercer ce pouvoir; c'est tout ce que je dis. Ce n'est pas difficile à régler. S'il pouvait s'adresser—ce qu'il ne peut pas faire à l'heure actuelle—directement au tribunal pour lui dire: «J'éprouve des difficultés. Donnez-moi quatre jours. J'ai ici mon ordonnance intimant l'ordre de cesser cette activité pendant quatre jours, mais il faut me donner votre aval»... cela se fait constamment dans les affaires civiles.
M. Dan McTeague: Toutefois, lorsque se produit éventuellement un cas d'urgence—et vous m'excuserez, mais en tant que profane je considère qu'il y a ici en quelque sorte une contradiction flagrante—le policier peut aussi arrêter quelqu'un qui est sur le point de commettre un crime, un voleur de banque... quelqu'un qui commet une infraction quelconque au Code criminel. Il n'a pas besoin d'aller demander une injonction ou l'avis d'un juge, ou d'attendre qu'un juge ait pris une décision. S'il attend, le crime aura déjà été commis, avec des conséquences graves et souvent mortelles pour la victime.
Ne pourrions-nous pas faire en sorte que notre Bureau de la concurrence soit en mesure d'agir effectivement comme la police plutôt que de lui refuser ce pouvoir? Il ne peut que renvoyer l'affaire, et la procédure dure actuellement deux semaines, deux mois ou deux ans.
M. Warren Grover: Je ne suis pas un avocat spécialisé dans le droit criminel, et ma connaissance de la police est très limitée. Pourtant, il faut que les policiers aient vu commettre un acte illicite avant de pouvoir intervenir. D'ailleurs, ils sont très critiqués lorsqu'ils abattent quelqu'un qui a clairement enfreint la loi—lorsqu'on considère qu'ils ont abusé de leur force.
Dans le cas du commissaire, lorsqu'il prend sa décision, il n'est pas sur place dans la rue, il est assis dans un bureau au 21e étage de la Place du Portage alors qu'une quinzaine de personnes lui ont raconté l'affaire. Vous me suivez? Il ne s'agit pas d'une intervention instantanée, comme dans le cas d'un vol de banque à main armée. Ce n'est pas la même chose.
Je vous le dis, je ne pense pas qu'en allant demander directement une ordonnance, il éprouverait des difficultés, et cela nous épargnerait bien des maux. En ma qualité d'avocat, je sais que j'ai une très bonne cause du point de vue constitutionnel. Nous l'avons déjà indiqué dans un mémoire présenté par l'ABC au sujet du projet de loi C-26. L'argumentation constitutionnelle est très solide. Même si elle n'est pas retenue, la procédure sera longue devant la Cour suprême du Canada.
M. James Musgrove: Je pense que Warren a raison sur la question constitutionnelle, mais il a encore plus raison lorsqu'il dit que ce n'est pas la même chose qu'un vol de banque. Le problème, c'est qu'on se laisse emporter par sa propre cause. Le commissaire se laisse emporter. Je me laisse emporter. Nous nous laissons tous emporter et notre jugement en est faussé. C'est pourquoi le tribunal est censé être neutre.
M. Dan McTeague: Quant aux voleurs de grands chemins, madame la présidente, vous pouvez en parler à certains des gens de ma circonscription, lorsqu'ils voient le prix de l'essence.
Merci, madame la présidente.
La présidente: Merci, monsieur McTeague. Nous n'allons pas aborder maintenant la question du prix de l'essence. Ce sera pour un autre jour.
Je tiens à remercier M. Musgrove et M. Grover d'être venus ce matin. Ce fut très instructif. Notre comité a apprécié vos lumières et votre franchise. Nous espérons vous revoir à l'avenir. Merci.
La séance est levée. Je rappelle aux membres du comité que nous nous réunissons cet après-midi à 15 h 30.