INDU Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON INDUSTRY
COMITÉ PERMANENT DE L'INDUSTRIE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 4 mai 2000
Le vice-président (M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.)): Je déclare ouverte cette séance où, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous nous proposons d'étudier la Loi sur la concurrence.
Comme il s'agit d'une vidéoconférence, je recommande aux membres du comité d'utiliser leur écouteur pour s'assurer de bien entendre le conférencier qui est à la télévision.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à notre témoin, qui se trouve à l'Université de la Colombie-Britannique, M. W.T. Stanbury, professeur à la Faculté de commerce et d'administration des affaires.
Soyez le bienvenu, monsieur Stanbury. Espérons que notre technologie de pointe va bien fonctionner pour que nous puissions faire ce que nous avons prévu de faire.
M. W.T. Stanbury (professeur, Faculté de commerce et d'administration des affaires, Université de la Colombie-Britannique): Merci, monsieur le président.
J'ai fait parvenir au comité un résumé de mes remarques, et je me propose maintenant de vous les présenter pour qu'elles soient consignées au compte rendu. J'ai déjà soumis au comité le texte intégral de mon mémoire.
Permettez-moi de vous dire que je suis très heureux de répondre à l'invitation du Comité de l'industrie et de vous donner mon opinion sur les modifications proposées à la législation canadienne sur la concurrence, qui se trouvent incorporées dans quatre projets de loi d'initiative parlementaire: le projet de loi C-402, proposé par M. McTeague; le projet de loi C-438, proposé par Mme Redman, le projet de loi C-471, proposé par Mme Jennings; et le projet de loi C-472, proposé, lui aussi, par M. McTeague.
Mon mémoire proprement dit porte sur le projet de loi C-472, notamment sur les importants changements qu'on y propose à l'égard des dispositions relatives aux complots, qui se trouvent actuellement énoncées à l'article 45 de la Loi sur la concurrence.
Permettez-moi toutefois de vous parler d'abord des projets de loi C-438, C-471 et C-402. J'appuie entièrement le projet de loi C-438, qui vise les pratiques de marketing trompeuses faisant appel à la poste. Je suis heureux qu'il ait été entériné par le comité le 10 avril dernier.
Deuxièmement, j'appuie entièrement le projet de loi C-471. En prévoyant une collaboration réciproque plus grande avec les autorités antitrust—en l'occurrence pour les questions civiles—on permettra l'application plus efficace de la politique en matière de concurrence.
Troisièmement, j'appuie le projet de loi C-402, qui vise à ajouter trois pratiques déloyales à la liste énoncée à l'article 78, qui est au nombre des dispositions de la Loi sur la concurrence concernant l'abus au civil de la position dominante. J'accorde cependant mon appui à ce projet de loi pour des raisons d'ordre pratique, que je présente aux pages 4 et 5 de mon mémoire, où vous trouverez également des observations additionnelles sur ces dispositions.
Je voudrais maintenant en arriver au coeur du sujet, qui est, selon moi, le projet de loi C-472. J'attacherai de l'importance surtout aux nouveaux articles 45, 79.1 et 79.2 proposés, lesquels, pris ensemble, créeraient une approche absolument inédite aux principales dispositions sur le complot, actuellement énoncées à l'article 45 de la Loi sur la concurrence.
Je voudrais donc tout d'abord vous parler de l'article 45. Bien qu'un certain nombre de dispositions du projet de loi C-472 me déçoivent, je souscris à ses trois principaux principes en matière d'accords entre concurrents, à savoir: l'application du critère de la violation per se à l'égard de certains types d'accords; deuxièmement, l'adoption dans le droit civil d'une nouvelle disposition portant sur tous les autres types d'accords entre concurrents; et, troisièmement, la création de la disposition relative à «l'autorisation préalable» à l'égard des accords proposés auxquels s'appliqueraient les nouvelles dispositions civiles sur le complot.
• 1535
Selon le Bureau de la concurrence, le nouvel article 45 aura
pour effet, et je cite:
-
d'interdire per se les accords consistant à fixer les prix, à
répartir les marchés, à limiter la production ou
l'approvisionnement ou à boycotter des concurrents.
Je doute personnellement, pour plusieurs raisons, que le nouvel article 45 aurait cet effet.
Premièrement, l'élément «intention» essentiel à toute disposition de type per se n'est pas clair à mon avis. Je vous invite à vous reporter aux alinéas 5.(1)d) et e), aux pages 9 à 11 de mon mémoire.
Deuxièmement, la disposition d'exonération prévue à l'alinéa 45(7)e) va directement à l'encontre de l'idée de rendre certains accords entre concurrents illégaux per se, c'est-à-dire indépendamment de leur portée ou de leurs effets. Je vous invite à vous reporter à mon mémoire, aux pages 11 et 12, pour plus de détails.
Troisièmement, il n'est pas certain que le nouvel article 45 s'appliquerait aux concurrents possibles, mais il faudrait qu'il s'applique à eux, de manière à ce qu'il soit interdit de conclure des accords avec des concurrents possibles. J'en parle aux pages 12 et 13 de mon mémoire.
Je propose également de renforcer l'article 45 du projet de loi C-472 à plusieurs autres égards.
Premièrement, le comité devrait recommander que le Canada cherche à obtenir de ses principaux partenaires commerciaux—les États-Unis, le Japon et l'UE—qu'ils acceptent de conclure avec lui un accord en vertu duquel chacun cesserait de soustraire les cartels d'exportation à l'application de sa législation sur la concurrence.
Deuxièmement, le Parlement devrait supprimer la limite prévue aux amendes infligées à la suite d'une condamnation—actuellement 10 millions de dollars—afin de faire clairement savoir aux entreprises que les accords entre concurrents ne seront pas tolérés. Le comité devrait aussi recommander d'exhorter les tribunaux à ne jamais infliger d'amende inférieure au montant estimatif des gains indus découlant de ces accords—et je parle de cela aux pages 13 à 15 de mon mémoire.
On trouvera à l'annexe 1 le texte intégral des changements que je propose d'apporter au nouvel article 45 proposé et que j'explique de façon détaillée dans mon mémoire.
Passons maintenant au nouvel article 79.1, qui porte sur l'infraction civile d'accord anticoncurrentiel. Tout accord entre concurrents autre que les accords qui relèveraient du droit pénal aux termes du nouvel article 45 constituerait une infraction civile en vertu de la Loi sur la concurrence. Je souscris au nouvel article 79.1 en principe, mais je propose les quelques améliorations qui suivent.
Premièrement, le nouvel article 79.1 devrait préciser que le meilleur étalon pour évaluer la diminution de la concurrence est la mesure dans laquelle l'accord permet d'augmenter les prix de façon profitable pendant au moins un certain temps, par exemple un an. J'explique ce point à la page 16 de mon mémoire.
Deuxièmement, je recommande de remplacer le membre de phrase «peut rendre» par le terme «rend», au nouveau paragraphe 79.1(1) du projet de loi C-472. L'idée ici, monsieur le président, est essentiellement que le tribunal, s'il constate qu'il y a une diminution importante de la concurrence, serait tenu d'imposer une ordonnance visant à corriger la situation.
Troisièmement, il y aurait lieu de supprimer le nouveau paragraphe 79.1(3). En obligeant le tribunal à se préoccuper avant tout de la durée des accords visés par cet article, le paragraphe n'a aucun effet sur l'incidence globale sur la concurrence. J'explique pourquoi il en est ainsi aux pages 18 et 19 de mon mémoire.
Quatrièmement, le nouvel article 79.1 devrait prévoir une sanction pécuniaire administrative suffisante pour éliminer les gains injustement tirés d'un complot dont on a conclu qu'il a réduit considérablement la concurrence. J'explique ce point à la page 19 de mon mémoire.
Diverses personnes affirmeront sans doute que l'on devrait pouvoir invoquer en défense les gains d'efficience permis par ces accords ou que le tribunal devrait tenir compte d'autres avantages découlant des accords lorsqu'il s'agit de déterminer si la concurrence a été considérablement diminuée. À mon avis, le comité devrait repousser ces arguments. Le nouvel article 79.1 devrait obliger le tribunal à se préoccuper uniquement de savoir si les accords respectent le critère de la diminution importante de la concurrence.
• 1540
Hier soir ou ce matin, je vous ai fait parvenir le nouveau
texte que je propose pour l'article 79.1 du projet de loi. Il se
trouve à l'annexe 2. Je serai heureux de répondre aux questions que
vous aurez à ce sujet quand j'aurai terminé.
Enfin, je veux vous parler du nouvel article 79.2, qui porte sur le certificat d'autorisation. J'appuie cet article, mais je crois qu'il devrait employer à l'égard du critère que le commissaire devra appliquer le libellé employé à l'article 79.1 pour énoncer celui que le Tribunal de la concurrence devra appliquer. Je propose d'autres changements mineurs, que vous pourrez trouver aussi, en l'occurrence, à l'annexe 3 du résumé de mon mémoire.
Voilà, brièvement résumées—et j'insiste sur le mot «brièvement»—, monsieur le président, les observations que j'avais à faire. Je vous invite à me poser des questions.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup, monsieur Stanbury.
Passons maintenant aux questions.
Nous allons commencer par M. Charlie Penson.
M. Charlie Penson (Peace River, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.
Je tiens à souhaiter la bienvenue à M. Stanbury, qui se joint à nous par vidéoconférence. Vous nous avez présenté tout un exposé juridique où vous nous avez parlé d'une multitude de catégories, si bien qu'il me faudrait du temps pour examiner vos recommandations.
Je suis toutefois intrigué par la proposition que vous avez faite concernant la coopération internationale avec nos partenaires commerciaux et les cartels d'exportation. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Je voudrais aussi vous demander si vous ne pensez pas que les négociations qui se poursuivent à l'Organisation mondiale du commerce en vue d'en arriver à une espèce de droit international de la concurrence répondraient à vos préoccupations.
M. W.T. Stanbury: Je veux tout d'abord vous expliquer le principe de base qui est en cause ici. Il me semble qu'il y a une anomalie fondamentale à dire que nous allons interdire les accords visant à fixer les prix, etc., sur le marché intérieur tout en disant que nous allons essentiellement exempter ces accords sur les marchés étrangers. Soit dit en passant, tous nos partenaires commerciaux ont des lois identiques ou très semblables aux nôtres.
Par contre, nous avons aussi une disposition—l'article 46 à l'heure actuelle—qui interdit aux fournisseurs du marché intérieur de conclure avec des étrangers des accords pour fixer les prix s'il en résulte des conséquences pour les prix, etc., au Canada.
Je le répète, je trouve que l'exemption à l'égard des cartels d'exportation est une contradiction en cette époque de mondialisation croissante. Je ne sais pas exactement ce qui est proposé à l'OMC. Il se peut bien que cela soit tout à fait compatible avec ce que je propose ici. Quoi qu'il en soit, mon argument est simple. Nos principaux partenaires commerciaux sont les États-Unis, le Japon et l'Union européenne. Même si c'était là les seuls pays avec qui nous conclurions un accord réciproque pour éliminer l'exemption visant les cartels d'exportation, ce serait déjà un progrès énorme.
Nous collaborons déjà avec ces pays-là, comme vous le savez. Ainsi, certaines des amendes les plus importantes qui ont été imposées récemment pour des accords de ce genre visaient en fait des cartels internationaux. Si nous estimons que c'est ce qu'il convient de faire, je ne vois pas pourquoi nous aurions une politique qui admette, si vous me passez cette vulgarité, qu'on baise les étrangers. Si ce n'est pas bien de baiser les consommateurs canadiens, j'estime que, en cette époque de mondialisation croissante, ce n'est pas bien non plus de baiser les étrangers.
M. Charlie Penson: Monsieur Stanbury, je suis sûr que vous savez que beaucoup de pays exemptent certaines industries de leur législation sur la concurrence, et le Canada ne fait pas exception à la règle. Je songe notamment à l'industrie agricole, qui est soumise à la gestion de l'offre.
M. W.T. Stanbury: Oui.
M. Charlie Penson: Je me demande simplement comment vous concilieriez cela avec vos recommandations. Ne seriez-vous pas d'accord pour dire que les autres pays nous montreraient du doigt ici au Canada du fait que les étrangers ont un accès minime ou inexistant à notre marché? La Loi sur la concurrence ne s'applique même pas à ce secteur-là. Il me semble que cela pourrait être gênant si nous demandions à d'autres pays de supprimer leurs cartels.
M. W.T. Stanbury: Premièrement, je vous ferai remarquer que la Loi sur la concurrence exempte déjà les actes réglementés, si bien qu'elle exempte les offices de commercialisation de la gestion de l'offre.
Je ne propose pas de changer cette exemption comme telle, mais plutôt de passer par la voie de la collaboration et de dire aux États-Unis, à l'Union européenne et au Japon: «Nous allons supprimer notre exemption concernant les cartels d'exportation si vous supprimez la vôtre.» Soit dit en passant, j'aimerais bien qu'on en fasse autant pour d'autres pays aussi, mais il faut bien se rendre à l'évidence que la majeure partie de nos échanges se font avec ces pays-là. Je ne vois pas que cela puisse créer un problème.
À propos, si vous voulez m'entendre discourir sur les raisons qui militent en faveur de l'élimination des offices de commercialisation de la gestion de l'offre, je serai heureux de le faire, mais je crois qu'il vaudrait mieux réserver cela pour une autre tribune.
• 1545
Je ne vois pas ce qu'il y a d'incompatible à exempter ces
offices sur le marché intérieur, et par conséquent sur le marché
extérieur aussi—puisqu'ils font partie des actes réglementés—et
à supprimer simultanément tous les autres cartels d'exportation.
Cela me paraît parfaitement compatible.
M. Charlie Penson: Je dis seulement que, si on n'arrive même pas à assurer la concurrence sur tous les marchés chez soi, d'autres peuvent considérer qu'il y a là un problème. D'autres pays ont déjà contesté le fait que le Canada refuse l'accès à ses marchés.
M. W.T. Stanbury: Tout à fait.
M. Charlie Penson: Il y a aussi l'autre question, je suppose. Un des plus gros cartels du monde, celui de l'OPEP, continuerait sans doute à échapper aux règles, je suppose, parce que nous n'arriverions sans doute pas à obtenir sa collaboration.
M. W.T. Stanbury: Sans doute pas.
Par contre, dans la mesure où nous sommes directement touchés par le cartel de l'OPEP, nous pourrions peut-être attirer certaines de ses extensions. Je n'en suis vraiment pas sûr, mais c'est peu probable. Naturellement, le cartel cherche à faire augmenter les prix et à limiter l'offre, etc., comme on peut s'y attendre. Des pays plus grands et plus puissants que le nôtre n'ont pas réussi à venir à bout du cartel, si bien qu'il faut le considérer comme un phénomène plus ou moins exogène.
Nous sommes toutefois en mesure de constater que l'influence de l'OPEP a des hauts et des bas. Elle a le vent dans les voiles. Il y a quelques années, le prix du pétrole était à la baisse et se situait aux alentours de 12 $. Il atteint maintenant plus du double de ce montant. Tantôt les cartels sont influents, tantôt ils le sont moins. Je voudrais effectivement pouvoir m'y attaquer, mais l'actuelle loi ne le permet pas. Ce ne serait tout simplement pas pratique.
M. Charlie Penson: Merci beaucoup.
M. W.T. Stanbury: Merci.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur McTeague.
M. Dan McTeague (Pickering—Ajax—Uxbridge, Lib.): Merci, monsieur le président.
Monsieur Stanbury, c'est un honneur de pouvoir discuter avec vous aujourd'hui. En fait, j'avais supposé que nous allions discuter non pas seulement de mon projet de loi, le projet de loi C-472, et du projet de loi C-402, mais plus particulièrement du nouvel article concernant le droit privé d'action, mais puisque vous vous êtes concentré sur d'autres questions, je me considère privilégié d'avoir entendu vos observations là-dessus.
Nous avons entendu plusieurs autres observateurs, plus particulièrement des avocats, nous dire qu'il y a une espèce de gouffre—à tout le moins entre les économistes du milieu universitaire et les juristes. Sans vouloir les accuser de servir l'intérêt de leurs clients, j'estime que la réforme en profondeur de la Loi sur la concurrence se fait certainement attendre depuis trop longtemps, et il s'agit certainement là d'un premier pas vers cette réforme.
J'aimerais savoir si vous pensez que le droit privé d'action limité que je propose au projet de loi C-472 à certains égards est un petit pas dans la bonne direction, un pas négligeable qui n'aura finalement pas beaucoup d'effet. Ou est-ce quelque chose qu'il faudrait poursuivre avec plus de vigueur? Je me suis déjà heurté à un certain nombre de personnes qui disent que ce n'est pas ce qu'il convient de faire.
J'aimerais aussi que vous me disiez ce que vous pensez des dispositions visant les ordonnances de cesser et de s'abstenir que j'ai incluses dans mon projet de loi.
M. W.T. Stanbury: À propos de l'accès privé aux tribunaux, j'ai fait partie du comité consultatif en 1996. Nous avons dû négocier une entente en vue d'approfondir cette question. C'est ce qui a conduit au rapport fait par Roach et Trebilcock. Leur analyse me paraît très solide. Si j'interprète bien votre proposition, elle me paraît raisonnable comme premier pas.
Je partage toutefois certaines des préoccupations de mon collègue, Tom Ross, au sujet du nouvel article 75 que vous proposez. Nous avons tous deux tenu des propos assez injurieux au sujet de cette disposition. Je crois savoir que votre intention, en prévoyant cet accès, est en quelque sorte d'accorder aux particuliers un recours à l'égard de questions qui pourraient ne pas être suffisamment importantes pour influer de façon générale sur la concurrence. Si c'est votre intention, il me semble que la disposition serait un outil pratique.
À vrai dire, je préférerais toutefois une analyse en profondeur des ramifications de l'article 75 et un examen visant à déterminer s'il y a lieu de le modifier avant que nous ne l'incluions dans la loi. Naturellement, il serait possible de le modifier ultérieurement, mais ce qui m'inquiète, c'est que l'article 75 est un des rares articles de la loi qui ne prévoient pas l'application du critère du préjudice pour la concurrence et constitue de ce fait une anomalie.
En tout cas, je suis sûr que Tom en a parlé et qu'il a bien fait le point.
M. Dan McTeague: En plus, je suppose et j'espère que vous avez participé à la tribune de consultation de M. Sessman, qui doit voyager dans tout le pays.
M. W.T. Stanbury: Oui. Nous en avons déjà parlé. J'aurai un peu plus de temps que je n'en ai eu pour le comité et j'ai l'intention d'aborder un plus grand nombre de sujets.
M. Dan McTeague: Monsieur Stanbury, en tant que parlementaires, nous avons entendu des préoccupations exprimées par toutes sortes de gens, à l'exception de ceux qui comprennent bien la Loi sur la concurrence, c'est-à-dire les conseillers juridiques et les économistes, et qui dénonçaient le fait que dans sa version actuelle la loi est très riche au plan conceptuel—c'est ce que nous a dit Lawson Hunter ce matin même—mais qu'en réalité elle est presque impossible à appliquer à bien des égards.
• 1550
Pensez-vous que les projets de loi C-472 et C-402 vont donner
l'occasion d'apporter une indispensable interprétation judiciaire
à cette loi de nature économique?
M. W.T. Stanbury: Oui, ils devraient normalement avoir cet effet dans un plus grand nombre de cas.
Mais puis-je vous proposer un élément complémentaire qui pourrait vous être utile? Comme vous le savez, il est possible d'intenter des poursuites privées devant les tribunaux pour des dommages simples. Mais comme vous le savez aussi, les poursuites de ce genre sont très peu nombreuses, et ce, pour de très bonnes raisons. Tout d'abord, on ne peut obtenir que des dommages simples; aux États-Unis, on peut obtenir des dommages-intérêts triples. Deuxièmement, nous appliquons les règles anglo-canadiennes concernant les dépens, par opposition aux règles américaines, si bien que celui qui perd doit assumer les dépens de son adversaire. Troisièmement, de façon générale, nous sommes plus réticents à accepter les recours collectifs.
Je propose donc modestement d'inclure dans la loi une disposition qui accorderait des dommages doubles. Je suis sûr que cela stimulerait les recours collectifs.
M. Dan McTeague: Monsieur Stanbury, j'ai évidemment lu votre document, et j'avais moi-même pensé à cette formule, mais je crois qu'il serait plus...
M. W.T. Stanbury: Vous savez, cela figurait déjà dans le projet de loi C-256 de 1971.
M. Dan McTeague: Cela me paraît très intéressant, car, pour autant que je sache, nous n'avons pas très bien réussi dans ce domaine jusqu'à maintenant. Ceux qui s'opposent à ce type de changement, et qui appartiennent généralement à l'Association du Barreau canadien—même si tous ne sont pas de cet avis, et je ne veux pas les dénigrer—sont les mêmes qui, en 1971, ont fait échouer la tentative de modification et ont encore fait la même chose en 1984, lorsque André Ouellet a essayé de supprimer le mot «indûment».
M. W.T. Stanbury: C'était en 1981.
M. Dan McTeague: Entre 1981 et 1984, je crois, et on lui a demandé...
M. W.T. Stanbury: Non. En 1981.
M. Dan McTeague: ... d'étendre ses consultations.
Je voudrais poser une dernière question, car je sais que certains collègues veulent aborder le même sujet, monsieur Stanbury. Ne serait-il pas préférable que le Bureau de la concurrence choisisse de cinq à dix cas de fusion au lieu de consacrer toutes ses ressources à la surveillance du secteur bancaire, auquel se consacre déjà le Bureau du surintendant des institutions financières, pour voir si on peut en dégager une certaine jurisprudence, plutôt que de s'occuper des 412 ou 420 dossiers qui lui sont confiés actuellement?
M. W.T. Stanbury: Vous devez comprendre—et je suis sûr qu'on vous l'a expliqué—qu'il s'agit là d'un processus de filtration. Certaines analyses durent quelques heures, d'autres quelques jours, d'autres quelques semaines, voire plusieurs mois. Il faut reconnaître qu'à l'occasion de cet exercice de filtration un grand nombre de dossiers sont rejetés parce qu'ils ne comportent pas d'atteinte à la concurrence et ne justifient pas que l'enquête se poursuive.
J'aurais plus de scrupules à dispenser le Bureau de la concurrence de l'analyse des fusions des banques, car dans ce cas l'autorité de réglementation serait aussi l'autorité chargée de protéger la concurrence dans ce secteur d'activité. Il risquerait d'y avoir conflit. Je suis convaincu que le ministre des Finances a véritablement besoin de la capacité d'analyse fine et approfondie que propose le Bureau de la concurrence.
Il y aurait une autre façon de s'en sortir, et je suis sûr que vous en êtes conscient, monsieur McTeague, et ce serait d'y consacrer davantage de ressources. Comme vous le savez, votre comité a joué un rôle très positif, et j'ai moi-même rédigé un article pour dire qu'un problème existait et que les choses avaient changé depuis quelques années. Et néanmoins, une augmentation des ressources... Je veux dire qu'il y a bien des économistes qui sont prêts à se remettre au travail pour régler ces problèmes.
M. Dan McTeague: Merci.
On me signale que je peux poser une autre question, ce que je m'empresse de faire avec plaisir.
Vous avez parlé tout à l'heure de la particularité des triples dommages aux États-Unis. Comme certaines provinces, dont la mienne, l'Ontario, n'acceptent pas les honoraires conditionnels et que les avocats ne sont pas autorisés à fonctionner selon ce principe, est-il certain qu'on pourrait obtenir des dommages triples du tribunal, par opposition au modèle américain, qui soumet beaucoup plus de litiges à la justice? Ou mieux encore, serait-il possible que deux organismes défendent les intérêts de l'ensemble des consommateurs, comme c'est le cas aux États-Unis, au lieu de tous les confier au Bureau de la concurrence?
M. W.T. Stanbury: Tout d'abord, nous n'avons pas besoin de deux organismes au Canada, compte tenu, notamment, de l'envergure de nos activités. Deuxièmement, si vous optez pour des dommages doubles... Et je propose que l'on continue de soumettre les litiges à la justice, et non pas au Tribunal de la concurrence. Éventuellement, on pourrait avoir les deux possibilités; un changement est toujours possible. À mon avis, rien ne s'y oppose au plan juridique.
Mais si vous me permettez de revenir un instant sur la question de l'accès au tribunal, je vous suggérerais une formule un peu plus ambitieuse, monsieur McTeague, qui reprend celle de Trebilcock et Roach, c'est-à-dire que des dispositions supplémentaires permettraient à des parties privées d'accéder à ce tribunal. On pourrait ainsi étoffer la jurisprudence, conformément à votre objectif.
M. Dan McTeague: C'est effectivement ce que je souhaite faire, mais il me semble qu'il faut d'abord essayer de dégager un consensus sur ce point, monsieur Stanbury. Je suis un simple député et j'ai bien des idées en tête, mais si je ne parviens pas à rallier mes collègues du parti gouvernemental et de l'opposition, l'affaire va rapidement dérailler sous l'effet de pouvoirs qui vont bien au-delà des maigres ressources dont je dispose dans ma circonscription de Pickering, Ajax et Uxbridge.
En revanche, j'aimerais savoir ce que vous avez à dire au sujet des droits d'action privés. Pouvez-vous me donner quelques détails? Si vous estimez que ce que nous faisons est limité—ce dont je conviendrai avec vous—quels sont les autres domaines d'intervention possibles? Pensez-vous qu'il faudrait étendre le droit d'action privé à l'ensemble de la disposition sur l'abus de position dominante dans la Loi sur la concurrence?
M. W.T. Stanbury: Oui, cela ne me poserait aucun problème, mais, encore une fois, je préconise la formule de Roach et Trebilcock, qui comporte un effet de filtration, de façon que le Bureau de la concurrence ait un droit de premier refus. S'il décide de ne pas intervenir, les parties privées auront un recours, mais il est important d'avoir une disposition qui permet au tribunal de rejeter et d'éliminer très rapidement les actions abusives et non fondées.
M. Dan McTeague: Frivoles et vexatoires, selon la formule bien établie en droit anglais... On ne peut accueillir...
M. Dan Stanbury: Oui.
M. Dan McTeague: ... les requêtes ridicules qui risqueraient de faire jurisprudence. C'est l'une des soupapes de sécurité que je me suis efforcé d'intégrer à la loi en permettant à une personne d'exercer son contrôle.
Dans la mesure où le Canada n'a pas de véritable sanction civile qui ne soit pas d'application générale ou par voie d'injonction, c'est-à-dire susceptible d'appel au civil, nous nous distinguons considérablement des autres systèmes de droit, et je ne pense pas uniquement aux États-Unis. Si chaque personne doit soumettre son litige au tribunal, qui serait ainsi saisi de centaines de cas dont il pourrait ne pas avoir à connaître, je me demande s'il n'y aurait pas lieu d'étendre ces pouvoirs d'intervention par injonction, mais de permettre une application plus générale des principes établis dans un cas particulier.
Prenons le cas d'une société—les exemples sur lesquels j'ai travaillé concernaient les secteurs de l'épicerie et de l'essence—un indépendant qui estime avoir été évincé; le tribunal estime qu'il s'agit d'un cas prima facie d'abus de position dominante ou d'une autre forme de concurrence abusive. Qu'est-ce qui empêcherait une autre personne, qui n'aurait pas les ressources suffisantes pour se pourvoir devant le tribunal, mais qui serait également victime de la même forme d'abus de la part du même concurrent...? J'ai l'impression qu'en ce qui concerne les dispositions de la Loi sur la concurrence visant les recours civils on procède toujours au cas par cas. Comment éviter cette difficulté?
M. W.T. Stanbury: Excusez-moi. Je ne peux répondre à cette question. Je ne peux pas entrer dans les subtilités de ce qu'il faudrait faire en droit civil pour régler le problème. Je ne peux pas vous aider.
M. Dan McTeague: Merci, monsieur Stanbury.
Merci, monsieur le président.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Penson.
M. Charlie Penson: Monsieur Stanbury, lorsque vous avez parlé tout à l'heure des pouvoirs du Bureau de la concurrence et de la nécessité d'une analyse approfondie, je me suis posé des questions sur la récente fusion d'Air Canada et de Canadien, où le ministre des Transports a demandé l'intervention du Bureau de la concurrence. Je veux dire qu'on peut bien changer les règlements tant qu'on veut, mais quelles solutions peut-on trouver dans un tel scénario?
M. W.T. Stanbury: En réalité, c'est le Parlement qui a stipulé dans la Loi sur les transports au Canada cette suspension de la Loi sur la concurrence. Je dois reconnaître que ce fut à mon avis une grave erreur. J'étais conseiller auprès du commissaire dans ce dossier, et j'ai été très décontenancé dès le départ par la façon dont le ministère des Transports est intervenu, ainsi que vous le signalez. Disons carrément qu'il a voulu en faire une formalité.
Je tiens cependant à féliciter le commissaire du travail qu'il a fait; il a étudié très rigoureusement la question et trouvé une solution pour donner aux Canadiens une idée des problèmes que risquait d'entraîner cette fusion.
La difficulté tient aux dispositions de la Loi sur les transports; c'est cela qu'il faut changer.
M. Charlie Penson: Je comprends ce que vous voulez dire. On en revient à mon argument de tout à l'heure concernant les industries déréglementées. C'est le gouvernement qui décide s'il faut déréglementer ou non, mais le Bureau de la concurrence n'est guère plus avancé quand il y a des restrictions dans ce domaine, et le public n'obtient pas la protection dont il a besoin.
M. W.T. Stanbury: Souvenons-nous qu'auparavant la Loi sur les transports au Canada... Cette disposition est apparue dans la loi de 1996. Avant cela, les fusions dans le secteur des transports, y compris entre compagnies aériennes, étaient traitées en parallèle par le ministère des Transports et par les autorités responsables en matière de concurrence. Pourquoi le gouvernement a-t-il décidé de modifier tout cela? Je n'en sais rien. Ce changement ne me semble pas opportun. Je pense qu'il faudrait faire marche arrière et réassujettir l'industrie des transports aériens et tout le reste à la loi de la concurrence.
Si je peux ajouter quelque chose sur les industries réglementées, vous savez sans doute que la répartition du travail entre les industries réglementées et la loi de la concurrence résulte d'une jurisprudence désignée sous le nom de «moyen de défense fondé sur des actes réglementés». Dans d'autres pays, des gouvernements ont décidé de préciser dans une loi les conditions dans lesquelles une industrie est assujettie à la réglementation tandis qu'une autre sera soumise à la loi de la concurrence.
Je connais bien la situation dans le secteur des télécommunications, qui est passé du monopole réglementé à la concurrence, et même, dans certains cas, à la concurrence totale avec entrée libre. Le problème, c'est que, malgré une excellente coopération informelle entre les deux autorités, il y a toujours des difficultés pendant la phase transitoire. À quel moment faut-il passer d'une situation réglementée par le CRTC et non régie par la Loi sur la concurrence à la situation inverse, c'est-à-dire au régime de la Loi sur la concurrence et à la fin de l'intervention du CRTC?
Je peux vous dire que le Parlement pourrait aider considérablement les deux parties en fixant des règles fonctionnelles à ce sujet. J'en ai parlé dans un article il y a quelques années. Je vous invite à y réfléchir, puisque vous êtes habilités à régler les questions de ce genre.
M. Charlie Penson: Ce serait des règles concernant la période de transition. Est-ce bien ce que vous proposez?
M. W.T. Stanbury: Oui. Ces règles préciseraient à quel moment on passe du régime de la réglementation à celui de la concurrence; c'est d'autant plus important que nous sommes en période de déréglementation et que l'on impose de plus en plus de concurrence, comme on l'a fait dans les télécommunications et dans les transports aériens.
M. Charlie Penson: J'ai une autre question à poser. M. McTeague a posé une question sur les dispositions du projet de loi C-472 concernant les ordonnances de cesser et de s'abstenir. Je ne vous ai pas entendu répondre. J'aimerais savoir ce que vous pensez de ces dispositions dans le projet de loi C-472.
M. W.T. Stanbury: Je dois dire en préambule que je suis tout à fait favorable à la séparation entre, d'une part, l'enquête et la poursuite dans l'application de la loi, et d'autre part, l'élément d'arbitrage. En réalité, la loi confère au commissaire un pouvoir d'arbitrage à court terme.
Je veux aussi faire preuve de pragmatisme et je sais que dans les transports aériens, notamment, les pratiques d'éviction et autres agissements hostiles peuvent faire suffisamment de tort à un concurrent en peu de temps—je veux dire en quelques jours ou en quelques semaines—pour qu'il n'ait plus aucun intérêt à obtenir gain de cause en justice quelques mois plus tard.
Voilà donc ce qu'il faudrait rectifier. Quelle est la meilleure façon d'obtenir une injonction temporaire et presque instantanée dans les situations d'urgence de ce genre? Il y a deux possibilités. Tout d'abord, limiter les pouvoirs du commissaire en matière d'ordonnances de cesser et de s'abstenir en fixant un délai précis, comme on l'a proposé. L'autre solution concerne le pouvoir analogue d'une injonction ex parte avec procédure accélérée devant le tribunal—ou devant un magistrat du tribunal—suivie par une audience obligatoire dans un délai de 40 ou de 30 jours, ou dans tout autre délai jugé approprié, le commissaire étant assujetti aux mêmes dispositions. Ce sont les deux possibilités.
M. Charlie Penson: Pour prendre un exemple, dans le cas de prix de faveur, il faudrait convaincre le juge ou le magistrat de la nécessité d'une ordonnance de cesser et de s'abstenir. Est-ce bien ce que vous proposez?
M. W.T. Stanbury: Non, ce serait une procédure ex parte, comme dans le cas du commissaire. Autrement dit, le plaignant devrait comparaître devant le commissaire ou devant un juge du tribunal. On appliquerait les mêmes normes que pour une injonction ex parte à très court terme, puisque l'autre partie ne peut se faire entendre et qu'il faut préserver ses droits dans l'affaire... Il faut endiguer l'hémorragie s'il s'agit d'un problème sérieux, sans pour autant considérer que l'affaire est close. Dans le cas proposé, au lieu du commissaire, ce pourrait être un juge du tribunal, avec des critères analogues.
M. Charlie Penson: Oui, je comprends ce que vous dites, mais il me semble que l'affaire ne pourra être entendue avant un certain temps. Il faut analyser la portée des dommages ou du tort subis. Le juge doit prendre sa décision en fonction de critères qu'il maîtrise bien.
M. W.T. Stanbury: Oui, c'est vrai, et le commissaire devra notamment définir les critères ou les lignes directrices concernant la façon dont cette disposition doit être interprétée.
Je répète que le législateur pourrait préciser certains facteurs qu'il doit prendre en compte. Nous pourrions vous aider en vous proposant les critères qu'il doit faire respecter—ou, soit dit en passant, qu'un juge devrait faire respecter.
Mais cela dit, pour ce qui est de la nécessité de l'analyse, vous avez parfaitement raison, mais cette analyse est nécessaire, que ce soit le commissaire qui prend la décision ou un seul membre du tribunal. La seule différence, j'imagine, c'est le fait de rencontrer le commissaire, si vous voulez agir à ce titre; il vous faudrait un jour ou deux de moins que dans le cas d'un juge. Mais encore là...
M. Charlie Penson: Je comprends. Vous voulez qu'il y ait séparation, de telle sorte que ceux qui entendent la cause et ceux qui prennent les mesures ne soient pas les mêmes personnes.
M. W.T. Stanbury: Oui—sans oublier ceux qui font enquête.
M. Charlie Penson: D'accord. Merci.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci, monsieur Penson.
Chers collègues, je vais vous donner un peu plus de temps, parce que je sais qu'une fois qu'on se met à poser des questions, on veut en poser plusieurs à la fois. Étant donné qu'il s'agit d'un sujet difficile, je suis plus généreux que d'habitude dans l'attribution du temps.
Monsieur Murray, c'est à votre tour, et nous reviendrons ensuite à M. McTeague.
M. Ian Murray (Lanark—Carleton, Lib.): Merci, monsieur le président.
Ma question fait suite aussi à ce qu'on a dit. Certains d'entre nous, qui sommes profanes, ont du mal à comprendre toute cette question des prix d'éviction. Je me demandais si vous pouviez définir ce que c'est. Quelles circonstances doit-il y avoir? Il y a parfois des circonstances qui semblent conduire à des prix d'éviction pour de simples observateurs alors que ce n'est peut-être pas vraiment le cas.
M. W.T. Stanbury: Un prix d'éviction, essentiellement, c'est vendre sous le coût de production, dans des conditions où cela n'est justifiable sur le plan économique pour le prédateur que si, un jour prochain, il peut augmenter ses prix et récupérer ses pertes.
Les conditions nécessaires sont telles que le prédateur doit disposer d'un certain contrôle du marché, premièrement, et deuxièmement il doit y avoir des obstacles suffisamment élevés à l'entrée au marché, de telle sorte que le prédateur, ayant subséquemment terrassé son rival—soit en l'écartant du marché, soit en l'écrasant tout simplement—peut alors augmenter ses prix à l'avenir.
S'il n'y a pas d'obstacle à l'entrée au marché, il ne peut pas augmenter ses prix, parce que s'il le fait, de nouveaux arrivants vont l'envahir et y rétablir la concurrentialité.
Telles sont les conditions nécessaires pour que l'on puisse parler de prix d'éviction. C'est essentiellement ce dont il s'agit.
Maintenant cela devient compliqué. Cela devient compliqué lorsque dans plusieurs industries tertiaires, et l'industrie aérienne est l'une d'entre elles, le coût marginal à très court terme est près de zéro. J'ai analysé cela. Si vous prenez l'exemple des vols transcontinentaux pour Air Canada ou les Lignes aériennes Canadien International, une fois qu'elles ont établi un horaire, comme c'est le cas à tous les trimestres, et qu'il y a un siège vacant, elles devraient accepter toute personne qui est disposée à payer plus de 40 $ ou 50 $, parce que ce montant couvre la manutention supplémentaire des bagages, la commission, un peu de carburant et un repas.
Cela dit, au tarif le plus bas, comme le dernier que j'ai eu, on demande, je crois, quelque chose comme 399 $. C'est très bas comparativement au plein tarif classe économique, qui dépasse de beaucoup les 2 000 $, mais cela dépasse encore largement le coût à très court terme. D'où cette question épineuse: y a-t-il des industries où le coût marginal à très court terme est essentiellement de zéro?
Cela signifie que lorsque vous avez ce genre de situation, le concurrent qui dispose des plus gros moyens... Comme je l'ai dit, s'il s'agit d'une épreuve d'endurance, c'est la personne qui a le plus de réserves qui va survivre, et l'autre s'effondrera, et tout sera fini.
C'est encore beaucoup plus compliqué que ça, mais cela vous donne une idée, je crois. Le fait est que la loi, telle qu'elle est libellée maintenant, remonte à 1935. Elle visait essentiellement à régler le problème des grandes surfaces et des dépanneurs, parlons franchement, et il s'agissait d'alimentation. Eh bien, nous vivons dans un monde aujourd'hui où la plupart des ventes et de la production se situent dans le secteur tertiaire, et certaines de ces industries présentent les caractéristiques que j'ai mentionnées, auquel cas cette loi est parfaitement inutile. Il nous faut une nouvelle loi sur les prix d'éviction.
M. Ian Murray: Voilà qui est très clair. Je vous sais gré de cette analogie.
Dans l'histoire canadienne, savez-vous combien souvent on a allégué qu'il y avait prix d'éviction et combien souvent cela a été prouvé? Je me demande souvent si le directeur de la concurrence demande...
M. W.T. Stanbury: Je crois qu'il y a eu six ou sept cas depuis 1935. Pour autant que je sache, les plaignants ont eu gain de cause deux ou trois fois. Mais vous devez comprendre que le problème se situe maintenant au niveau de la loi elle-même, n'est-ce pas?
Dans plusieurs secteurs, soit dit en passant, je ne pourrais même pas vous dire ce qui constitue des prix d'éviction. Dans l'industrie aérienne, dans certaines circonstances, on peut causer presque autant de tort à son concurrent en modifiant sa capacité qu'en jouant avec des bas prix.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Imaginez que le prix au rabais est de 399 $. Au lieu de l'abaisser encore plus, ajoutez simplement beaucoup plus de sièges que l'on en offrait auparavant, ou ajoutez plus de vols, pour qu'il y en ait autant que chez votre rival. Au même prix, la plupart des gens privilégient la commodité; donc, ce qui va se passer, c'est que vous allez effectivement, en inondant ce marché... C'est ce que j'appellerais, ou ce qui pourrait être, une conduite déloyale. Il y a d'autres petits jeux auxquels vous pouvez jouer aussi.
Voilà pourquoi, par exemple, le projet de loi C-26, à mon avis, va régler certains de ces problèmes en inscrivant dans les textes réglementaires les dispositions qui pourraient être prises en vertu des articles relatifs à l'abus d'une position dominante, les articles 78 et 79. On portera remède directement aux problèmes qui peuvent se poser dans l'industrie aérienne, où une conduite déloyale peut apparaître.
M. Ian Murray: Merci beaucoup.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur McTeague.
M. Dan McTeague: Monsieur Stanbury, j'ai retenu quelques observations que vous avez faites un peu plus tôt relativement à votre solution duale en ce qui concerne les ordonnances de cesser et de s'abstenir, disposition qui se trouve dans le projet de loi C-472 et qui vise l'émission d'une ordonnance provisoire limitée, par opposition à la disposition que nous avons en ce moment, qui requiert le consentement dans certains cas, dans certains cas l'intervention du tribunal, et, dans ces cas, l'émission d'une ordonnance pourrait prendre entre deux semaines et deux ans.
Bien sûr, nous avons entendu d'autres témoins qui ont dit que s'il faut tant de temps, bien sûr, cela ne sert à rien, parce que le concurrent est mort et enterré, les funérailles sont terminées, et le mal a été fait. On se retrouve alors avec une ou deux entreprises dominantes qui peuvent poursuivre leurs abus—peut-être même dans une situation qui est plus réelle que virtuelle.
Vous avez également parlé de l'ordonnance ex parte au tribunal. Cela m'intéresse, parce qu'il me semble, selon la compréhension limitée que j'ai de l'industrie des valeurs mobilières, que c'est exactement ce qui peut se passer.
Dans le cas des valeurs mobilières—et je ne connais pas la situation en Colombie-Britannique, mais je connais bien la situation en Ontario—on peut obtenir une ordonnance très rapidement et la personne peut obtenir un consentement. La commission des valeurs mobilières peut intervenir pour quelques jours, à tout le moins, et obtenir une ordonnance quelconque de cessation temporaire qui lui permet de réunir des preuves. Cela me semble constituer un compromis assez raisonnable, où l'on pourrait raviver une certaine opposition aux dispositions relatives aux ordonnances de cesser et de s'abstenir, et l'on pourrait peut-être apporter des amendements à mon propre projet de loi, lequel fait bien sûr l'objet de nombreuses autres discussions.
Je me demande si vous pourriez nous parler un peu plus longuement de cette notion d'ordonnance ex parte, dont vous avez parlé un peu plus tôt avec M. Penson. Je me demande si c'est à votre avis la meilleure solution, par opposition à ce que je propose maintenant dans mon projet de loi.
M. W.T. Stanbury: Je n'y ai pas réfléchi longuement, mais ce que vous voulez, essentiellement, pour ce qui est de ces ordonnances de cesser et de s'abstenir, c'est une action rapide...
M. Dan McTeague: Exactement.
M. W.T. Stanbury: ... pour le cas où il y aurait le feu dans la demeure, et je comprends cela. Ce que je proposerais, ce serait un libellé analogue, qui ne s'appliquerait qu'au tribunal, et où l'on dirait que le tribunal doit, dans les 24 heures, etc., et tout le reste serait à l'avenant.
Il ne nous restera plus alors qu'à savoir s'il vaut mieux confier cela au commissaire ou s'il vaut mieux s'adresser à un membre du tribunal. Je dis pour ma part que si le législateur est très clair, s'il dit qu'il s'attend à ce que le tribunal soit en mesure de se réunir à 24 heures d'avis pour une procédure ex parte, pour une ordonnance provisoire de cesser de s'abstenir, en respectant des critères précis, etc., l'audience formelle ayant lieu dans un délai de 30 ou 40 jours, je ne sais pas, ce que l'on jugera approprié, il me semble que ce serait analogue. On aurait l'avantage d'un cloisonnement plus net entre le rôle d'enquête ou de poursuite que le directeur et le ministère de la Justice jouent et le rôle d'arbitrage que jouent les tribunaux administratifs et autres. Moi, c'est cela qui me préoccupe.
Soit dit en passant, je veux être clair. Ce n'est pas que je n'ai pas confiance dans le commissaire. La seule chose qui me préoccupe, c'est qu'il est trop facile d'ajouter de telles dispositions à l'infini, etc. On se retrouve alors dans un genre de situations comme on en connaît à la Federal Trade Commission, sans connaître les tenants et aboutissants de tout cela.
M. Dan McTeague: Imaginez une contestation constitutionnelle en vertu de l'article 7: et j'imagine que cela peut se produire, que cela me plaise ou non.
• 1615
J'apprécie vos propos parce que je les trouve très
constructifs, et ils nous aideront à améliorer cette loi et à la
rendre plus acceptable à toutes les parties.
Nous avons entendu plus tôt aujourd'hui M. Ross, qui nous a parlé des critères relatifs aux effets de la concurrence dans le projet de loi C-472. Je me demandais si vous pouviez nous parler de cela et nous dire si cela correspond à votre définition d'un critère ou d'un moyen acceptable. Pardonnez-moi, je n'ai pas eu assez de temps pour lire votre mémoire; je n'en ai pas encore terminé avec les centaines de pages que vous avez écrites par le passé, avec Khemani et plusieurs autres.
M. W.T. Stanbury: Monsieur le président, si vous me permettez d'attirer votre attention sur l'annexe 2, nous pourrons peut-être en discuter, et en particulier de mon paragraphe 79.1(5).
Ce que je propose dans mon corrigé de votre article 79.1, monsieur McTeague, c'est que le tribunal n'ait qu'un seul critère: le fait de diminuer sensiblement la concurrence.
Mais alors, pour aider le tribunal à comprendre ce que cela signifie, j'ai commencé par songer à une analogie avec les dispositions relatives aux fusions, où l'on demande au tribunal de prendre en compte toute une série de facteurs. J'y ai alors réfléchi de nouveau, et j'ai pensé qu'il valait mieux limiter la liste de facteurs à un seul.
Voici ce que je propose dans ma version du paragraphe 79.1(5). Je dis ceci:
-
Pour l'application du paragraphe (1), lorsque le Tribunal détermine
si l'accord ou l'arrangement...
—et voici le critère relatif au fait de diminuer sensiblement la concurrence—
-
... a eu, ou aura vraisemblablement pour effet d'empêcher ou de
diminuer sensiblement la concurrence, il tient surtout compte de la
mesure dans laquelle l'accord ou l'arrangement procure, a procuré
ou procurera vraisemblablement des avantages économiques aux
participants.
Cela veut dire, bien sûr, que les avantages économiques pour les participants prennent la forme de prix et de profits accrus. C'est précisément ce que l'on veut dans une loi visant à prévenir la fixation des prix, le partage du marché et tout le reste: limiter la faculté qu'ont les entreprises de réduire leur production et d'augmenter les prix au mépris de la concurrence. C'est à cela que j'en viens ici.
M. Dan McTeague: Si cela dépend alors de la perspective de prix et profits accrus, et si c'est comme cela qu'on les mesure, ne voudriez-vous pas inclure également des éléments comme la limitation du choix? Ou alors, qu'en est-il si les prix n'augmentent pas? Si vous êtes un prédateur habile ou si vous complotez habilement et que vous ne voulez pas être remarqué, pourquoi se limiter seulement à ces deux éléments?
M. W.T. Stanbury: Eh bien, parce que... Disons que vous êtes devant une situation où vous croyez que les prix du marché vont tomber; vous complotez alors pour éviter cette chute. Cette disposition empêcherait cela. Parce que, dans un sens, on demanderait au tribunal d'examiner cette situation: en l'absence de tel ou tel accord, à quel niveau les prix se seraient-ils situés? Disons que c'est un dollar, et qu'on fixe le prix à 1,50 $, ce qui était le prix du marché avant cette transformation de la demande, transformation qui aurait autrement réduit les prix. On a pu maintenir les prix à leur niveau alors qu'ils auraient dû baisser. On a donc gagné 50 cents pièce fois le nombre de pièces vendues. Si cela n'est pas clair, je vais reprendre mon texte afin de dire très clairement l'objectif que je poursuis.
M. Dan McTeague: Très bien, merci. Je voulais vous féliciter pour ces mesures qui occuperont un peu plus le tribunal. Considérant ses états de service, je pense qu'il pourrait en faire un peu plus. Ces mesures pourraient fort bien nous mener à cela, mais ce n'est pas moi qui ai le dernier mot à dire ici.
De même, j'avais une question relativement à vos réserves concernant le projet de loi C-402. Vous semblez vous inquiéter quelque peu du fait qu'il ne concerne qu'une seule industrie, mais je vous assure que telle n'est pas l'intention du projet de loi. Le projet de loi C-402 vise de manière générale à régler cette question beaucoup plus vaste que constituent les coûts d'étalage dans un milieu où... Par exemple, aux États-Unis, je crois savoir que la sous-commission américaine de la petite entreprise est absolument outrée du fait que cinq entreprises dominent aujourd'hui 30 p. 100 du marché de détail de l'épicerie. On commence dans ce pays à entendre des mots comme «oligopsone».
Cependant, le fait que trois ou quatre entreprises contrôlent jusqu'à 90 p. 100 du marché de l'épicerie dans notre pays ne suscite aucun émoi parmi les politiciens et les décideurs. Dans un contexte comme celui-là, j'imagine que oui, l'industrie de l'alimentation pose un problème, mais vous êtes de la Colombie-Britannique, et vous connaissez donc l'entreprise qui fabrique les cartes Pendragon, qui, l'été dernier, ne pouvait mettre ses cartes d'anniversaire ou de fête sur les rayons d'un grand nombre de chaînes pharmaceutiques. Selon elle, les cartes Hallmark et les cartes Carleton avaient pris des dispositions pour verser des montants exorbitants, ce qui leur assurait l'exclusivité sur ces rayons, interdisant ainsi à une entreprise efficace la possibilité même de leur faire concurrence au détail.
• 1620
Vous comprendrez, j'espère, que le projet de loi C-402 a une
portée plus générale que spécifique, ce qui préoccupe certaines
personnes. J'ai dit, en fait, au sujet du projet de loi C-235 l'an
dernier, qu'il était impossible de proposer une loi qui ne
traiterait que de l'industrie pétrolière; par définition, une telle
loi doit s'appliquer à toutes les entreprises, sans quoi elle
serait couverte de ridicule dans tous les tribunaux du pays. Chose
certaine, c'est ce que plusieurs ont pensé ici à Ottawa.
M. W.T. Stanbury: Je crois comprendre qu'un bon nombre des problèmes dont vous avez été saisis provenaient de manière générale du secteur du détail, des épiciers surtout, mais vous avez mentionné ce cas-là.
Par exemple, je fais état à la page 5 de l'achat d'espace sur les rayons ou de l'accès au stock d'une entreprise. On vous demanderait entre autres choses de réfléchir au fait que si une entreprise a un pouvoir oligopsonique ou monopsonique, selon ce que vous dites, elle peut en profiter de plusieurs façons, mais surtout de deux façons. Premièrement, en exigeant des frais pour la location de ses rayons, comme vous l'avez dit, ou en accordant un contrat d'exclusivité, ou peu importe—quelque chose de ce genre. Deuxièmement, elle pourrait simplement exiger des prix plus bas pour le prix d'achat, et j'épouse ici le point de vue du détaillant qui contrôle son marché. Ou il pourrait y avoir une combinaison des deux.
Ce que je dis, c'est que si vous voulez rédiger une loi en ce sens, il faut s'assurer que ce soit bien fait, il faut dire que l'on s'attaque à l'exercice de ce pouvoir oligopsonique ou monopsonique—ce pouvoir de l'acheteur—peu importe comment l'on procède. C'est tout. C'est la raison pour laquelle je pinaille, si vous voulez. Je suis favorable à cela; je dis seulement qu'en général il faut s'assurer que ces dispositions sont d'application générale, et, deuxièmement, il faut s'assurer d'obtenir ce que l'on veut. Je pense que je sais ce que je veux; mais je n'ai pas la certitude que vous allez obtenir ce que vous voulez.
Si, par exemple, on adopte votre disposition, et que l'industrie dit: ah, eh bien, nous ne pouvons plus faire ça, cette méthode est désormais interdite, la méthode de l'achat d'espace de rayons; eh bien, nous allons tout simplement vous demander, à vous le fournisseur, de nous vendre à 10 p. 100 de moins que l'on aurait exigé en l'absence de ce contrat d'exclusivité... J'ai vu que cela se faisait. Il y a plusieurs années de cela—et ça fait longtemps maintenant—je remplissais les étagères dans un supermarché. C'est alors qu'est née l'idée de louer pour la fin de semaine des têtes de gondole; je suis donc parfaitement au courant de ce genre de pratique...
M. Dan McTeague: ... davantage de rabais, des bas prix tous les jours, des allocations coop... Ce sont toutes là diverses allocations commerciales que l'industrie a acceptées.
Monsieur Stanbury, nous avons fait notre propre enquête parce que nous craignions qu'il ne soit pas possible de porter confidentiellement ces affaires devant le bureau. Si elle était portée devant le tribunal, toute l'affaire deviendrait soudainement publique, et les faits seraient connus.
Je sais que nous avons présenté cela au comité il y a quelques mois, et je serais heureux de vous en fournir un exemplaire, mais ce que nous avons constaté, c'est que dans certains cas les particuliers, les fabricants en particulier, n'étaient que trop heureux de payer le coût d'étalage et de voir ce coût d'étalage subir une augmentation de 300, 400 ou 500 p. 100 sur une période d'un ou deux ans, car ils savaient que cela aurait pour effet d'éliminer les petits fabricants et de les évincer littéralement du marché. C'est l'une des raisons pour lesquelles à l'heure actuelle, monsieur Stanbury, le consommateur canadien a beaucoup moins de choix que le consommateur américain pour ce qui est des produits qu'il retrouve en magasin. C'est peut-être une question que vous voudriez examiner à titre de comparaison.
J'ai cependant une question plus importante et plus pressante à vous poser: avez-vous constaté que la prolifération d'industries à un ou deux participants au Canada nécessite d'apporter à la Loi sur la concurrence des changements beaucoup plus importants que ceux qui sont permis ou envisagés dans mon projet de loi?
M. W.T. Stanbury: Je dois admettre que l'augmentation de la concentration m'inquiète, même si l'on dit qu'avec la mondialisation la concurrence étrangère s'occupera de tout cela et que nous ne devrions pas nous inquiéter de la concentration intérieure. Eh bien, franchement, cela dépend si, dans un marché spécifique, pour un produit ou une région géographique, il y a effectivement une concurrence étrangère et intérieure. Sur certains marchés de détail, il y a un oligopsone ou un oligopole très serré, et c'est une question qui devrait nous préoccuper.
Or, il faut peut-être se demander, de façon plus générale, s'il est nécessaire d'ajouter à l'article sur les complots une disposition qui ne porterait pas en fait sur les complots, mais plutôt sur le parallélisme conscient. Car bon nombre de ces pratiques se retrouvent dans la façon dont ces entreprises qui sont en petit nombre coordonnent leur comportement; j'ai abordé la question en détail dans d'autres documents.
• 1625
Je pense que ce que vous devez faire, c'est songer à des
solutions de rechange, à toutes sortes de façons différentes de
vous attaquer au problème dont vous parlez. Je ne dis pas que ce
n'est pas là un début raisonnable. Je dis tout simplement que je ne
retiendrais pas mon souffle, qu'en s'attaquant à cette pratique en
particulier, cela ne va pas tout changer... En un sens c'est
quelque chose qu'ils pourront contourner. Voilà ce qui m'inquiète.
Si c'est l'oligopsone que pose réellement un problème, il faudrait alors rédiger la disposition par rapport à l'oligopsone et tout simplement donner des exemples sur la façon de l'utiliser, mais il ne faut pas tenter de l'empêcher ou être trop précis. Il faut mettre l'accent sur le fondement de l'action, qui est le pouvoir oligopsonique, la capacité de faire baisser les prix en deçà d'un niveau concurrentiel lorsqu'on achète des produits, plutôt qu'au-dessus du niveau concurrentiel lorsque l'on vend des produits à titre d'oligopoleur.
M. Dan McTeague: Merci, monsieur Stanbury. Je veux également vous remercier en particulier pour tout l'excellent travail que vous avez effectué à cet égard. Cela a été très utile. J'ai passé tout l'été l'an dernier à examiner tout le travail que vous avez fait. Je peux vous dire que nous n'assimilons pas tout cela par osmose. Le bon travail que beaucoup d'entre vous ont effectué—M. Ross et d'autres—nous a énormément aidés, de sorte que, même si à titre de députés nous avons de temps à autre l'occasion de nous attaquer à ce problème, peut-être que nous réussirons à le régler du premier coup.
Merci, monsieur le président, du temps que vous m'avez accordé.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci, monsieur McTeague.
Y a-t-il d'autres questions?
Monsieur Penson.
M. Charlie Penson: Monsieur Stanbury, j'ai un peu de mal à comprendre toute cette question de la concurrence et le rôle que le gouvernement devrait jouer dans ce domaine. À titre de député, je n'ai pas reçu beaucoup de plaintes relativement à des comportements monopolistiques. Il y en a certainement eu, mais voici ce qui me préoccupe: où est la limite entre la loi sur la concurrence et le marché? Quoi qu'il en soit, n'est-il pas naturel pour une entreprise de tenter d'accaparer une plus grande part du marché? Toutes les entreprises veulent voir leur chiffre d'affaires grossir et obtenir une plus grande part du marché.
Je tente tout simplement de comprendre jusqu'où doit aller une loi sur la concurrence. Lorsque nous parlons d'une division selon la région, est-ce que cela signifie par comté? Lorsque l'on parle de comportement monopolistique, comment déterminer jusqu'à quel point il faut laisser les forces du marché agir et jusqu'où doit aller une loi sur la concurrence? Voilà la question qui me préoccupe. Si vous avez des idées qui pourraient nous aider, je vous en saurais gré.
M. W.T. Stanbury: La loi sur la concurrence est tout d'abord conçue pour s'attaquer au comportement monopolistique. En d'autres termes, pour avoir une allocation optimale, de la variété, le choix, et toutes ces autres choses, nous comptons effectivement sur des marchés concurrentiels.
Cependant, il est vrai que les entreprises ne veulent pas seulement maximiser leur part du marché; elles veulent aussi maximiser leurs profits. Il y a généralement deux façons de s'y prendre pour faire cela. Premièrement, il est possible de faire concurrence grâce à une large gamme de techniques. On peut ou non avoir du succès, ou on peut avoir un succès modéré, ou encore on peut avoir un succès spectaculaire grâce à une excellente innovation et devenir ainsi très riche.
C'est très bien. Je ne suis absolument pas contre cela, mais il y a ensuite certains types de comportements qui, s'ils sont utilisés dans le contexte de la concurrence sur le marché, peuvent être anticoncurrentiels. Naturellement, le problème pour la loi sur la concurrence consiste à ne pas mélanger les torchons et les serviettes, car, comme Tom Ross l'a souligné, j'en suis certain, il peut y avoir une concurrence réellement difficile, mais toutefois loyale, et nous ne voulons pas empêcher une telle concurrence. Au fait, ce genre de concurrence peut acculer certaines personnes à la faillite. Ensuite, il y a d'autres genres de tactiques et de comportements concurrentiels que nous voulons combattre.
Par exemple, je ne veux pas... Et la loi actuelle ne dit pas que l'on ne peut pas obtenir un monopole par des méthodes loyales et appropriées, c'est-à-dire devenir essentiellement le seul vendeur sur un marché donné. En passant, un marché est la combinaison d'une étendue géographique et de la substitution d'un produit. J'y reviendrai plus tard si vous le voulez.
En même temps, on dit qu'il est possible de garder un monopole, mais qu'il faut cependant le faire en respectant les règles de la concurrence loyale sans aller à l'encontre de la loi sur la concurrence.
C'est ce qui est arrivé dans le cas de Bill Gates. Le problème, ce n'est pas le fait qu'il a un monopole ou occupe une position très dominante. Le problème, c'est la façon dont il a obtenu son monopole et, plus particulièrement, la façon dont il l'a maintenu. C'est ce que le tribunal n'a pas aimé... Certaines tactiques étaient inacceptables. On ne lui reproche pas d'avoir 95 p. 100 du marché. Le problème, c'est la façon dont il l'a obtenu et, ce qui est encore plus important, comment il s'y est pris pour le garder. Selon les tribunaux américains, il a dépassé les bornes.
• 1630
Eh bien, la loi canadienne est essentiellement la même, c'est-à-dire
qu'elle est axée sur le comportement, et non pas sur la
structure.
Donc, pour revenir en arrière, l'idée principale, c'est de donner aux entreprises une grande marge de manoeuvre sur le plan de la concurrence, mais lorsque les entreprises sont en quelque sorte de connivence pour fixer les prix, interdire l'entrée, établir des prix d'éviction ou tenter de se fusionner afin de limiter la concurrence plutôt que de permettre une économie d'efficience, nous devons y mettre fin.
La loi sur la concurrence est essentiellement une protection. Si le marché fonctionne merveilleusement bien, le commissaire ne devrait pas intervenir. Le fait est que le marché ne fonctionne pas parfaitement bien sur une base autonome. Il y a des concurrents qui cherchent à fixer les prix. Il y a des concurrents qui exercent leur pouvoir sur le marché d'une façon qui est inacceptable pour la société. Nous devons tout simplement leur taper sur les doigts et dire: «Non».
Le problème consiste à s'assurer que les critères utilisés sont appropriés, que les gens reçoivent un avertissement formel, que les pénalités sont appropriées et que la façon de faire enquête est appropriée. Il s'agit d'un processus complexe. Si tout cela est plus nouveau pour vous que pour moi, vous devez vous rendre compte que la situation a évolué au Canada depuis 1889 et que pendant de nombreuses décennies nous avons fait un mauvais travail. Nous faisons un assez bon travail maintenant, mais nous pouvons encore faire mieux.
M. Charlie Penson: Monsieur Stanbury, j'ai certainement compris ce que vous avez dit et je suis d'accord avec vous, mais il me semble qu'il y a plusieurs façons d'avoir un marché concurrentiel. Nous en avons beaucoup parlé ici autour de cette table. Je donne souvent l'exemple de la vente de l'essence au détail aux États-Unis, où 80 p. 100 des fournisseurs sont des indépendants tandis que 20 p. 100 sont de grandes sociétés pétrolières. Le Canada fonctionne tout simplement exactement à l'opposé.
Il me semble que si les entreprises peuvent évoluer dans un environnement sain, les forces du marché pourront mieux faire leur travail sur le plan de la concurrence, sans qu'il soit nécessaire d'utiliser la loi sur la concurrence. Comme vous l'avez dit, je pense que la loi sur la concurrence est une mesure de précaution au cas où cela ne fonctionnerait pas.
Je me demande tout simplement si vous êtes d'accord avec moi pour dire que rien ne peut vraiment remplacer un milieu des affaires sain qui encourage l'existence de nombreuses entreprises. C'est peut-être la meilleure méthode.
M. W.T. Stanbury: Oui, mais l'une des façons d'encourager cela consiste à utiliser la loi pour éliminer par exemple certains types d'obstacles comme les tarifs. Nous sommes en train de les éliminer progressivement. Nous devons maintenant nous préoccuper des obstacles non tarifaires.
Ce que nous cherchons, c'est la plus grande concurrence possible en général, mais tandis que le gouvernement encourage la concurrence d'un côté, il la limite de l'autre. Nous savons tous—et vous y avez fait allusion précédemment—que d'importants secteurs de l'économie sont assujettis à une réglementation directe.
Il y a des années, j'ai lu un livre merveilleux qui s'intitulait Government as the Mother of Monopoly. C'est réellement vrai. Ce dont l'auteur voulait parler, c'est de situations comme celle des offices de commercialisation de la gestion de l'offre et d'autres dispositions. À l'époque, cela incluait le monopole du système téléphonique, etc. Tout cela a changé, mais ce que je veux dire, c'est que c'est l'orientation. Nous devons systématiquement éliminer toutes ces contraintes une à une, dans la mesure du possible, car l'État est l'auteur de bon nombre de ces contraintes.
Permettez-moi de vous donner un autre exemple qui est très abstrait, mais extrêmement important. Je veux parler des obstacles au commerce interprovincial. Écoutez, vous et vos homologues provinciaux...
M. Charlie Penson: Je crois comprendre que cela coûte aux Canadiens 7 milliards de dollars par an.
M. W.T. Stanbury: Oui, et franchement, entre vous et moi, cela me semble peu élevé.
Ce que je veux dire, c'est que cette question devrait être une priorité à l'ordre du jour de la réunion annuelle des ministres fédéral et provinciaux et qu'un rapport d'étape devrait être présenté chaque année pour préciser ce qui a été fait en vue de réduire ces obstacles. Plutôt, ce qui arrive, c'est que lorsque Ottawa veut s'entendre avec les provinces, il tolère toutes sortes d'obstacles interprovinciaux au commerce.
Il me semble que si vous voulez vraiment que les forces du marché fonctionnent, il faut inclure à l'ordre du jour toutes ces choses en plus de la loi sur la concurrence. Je ne pense pas qu'il y ait de différences là. Il faut tout simplement comprendre la large gamme de questions qu'il faut réellement prendre en compte.
M. Charlie Penson: Oui. Merci beaucoup. Je vous remercie de vos commentaires.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Y a-t-il d'autres questions?
Monsieur Stanbury, je tiens à vous remercier beaucoup pour votre exposé et pour cet échange que nous avons eu cet après-midi. Cela a été très intéressant pour nous. Je suis certain que nous aurons d'autres questions à vous poser plus tard, mais pour le moment je vous remercie de votre participation aujourd'hui.
M. W.T. Stanbury: Merci, monsieur le président. Cela a été un plaisir pour moi de tenter de vous aider.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): La séance est levée.