JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS
COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 16 mars 2000
Le président (Andy Scott (Fredericton, Lib.): Je déclare la séance ouverte. Nous attendions tous l'arrivée d'Ivan Grose. Merci, Ivan. Nous sommes prêts à commencer.
Nous poursuivons notre examen du projet de loi C-23, qui vise à moderniser le régime d'avantages et d'obligations dans les lois du Canada.
Nous accueillons aujourd'hui quatre groupes de témoins: du milieu universitaire, plus précisément du Osgoode Hall Law School, M. Bruce Ryder; l'Église unie du Canada; l'Association du Barreau canadien et la Nation naskapie de... Je m'excuse, est-ce qu'on peut m'aider à prononcer ce mot?
M. Robert Pratt (avocat, Nation naskapie de Kawawachikamach): Kawawachikamach.
Le président: Kawawachikamach. Merci.
Si d'autres présentations s'avèrent nécessaires, j'invite les représentants des organismes à les faire. Comme vous le savez, chaque personne ou organisme a droit à 10 minutes. J'entends respecter le temps alloué. Nous aurons ensuite une discussion avec les membres du comité.
Sans plus tarder, j'invite M. Bruce Ryder à nous présenter son exposé.
M. Bruce Ryder (professeur, Osgoode Hall Law School): Merci, monsieur le président et honorables membres du comité. C'est un plaisir pour moi d'être ici. Je tiens à remercier le comité de m'avoir invité à comparaître devant lui aujourd'hui pour discuter du bien-fondé du projet de loi C-23, la Loi sur la modernisation de certains régimes d'avantages et d'obligations.
En tant que juriste, je m'intéresse, entre autres, aux aspects du droit constitutionnel et du droit de la famille qui se recoupent. C'est un sujet que j'enseigne, que j'étudie et sur lequel j'écris depuis 1987.
Le projet de loi C-23 mérite, à mon avis, l'appui enthousiaste des parlementaires. Il propose des mesures importantes qui visent à reconnaître les unions de fait, et à répondre aux besoins et attentes des conjoints de fait. Les couples de gais et de lesbiennes de même que les personnes qui vivent ensemble et qui sont engagées dans une relation d'amour à l'extérieur du mariage sont traités, à l'heure actuelle, de manière discriminatoire en vertu de nombreuses lois fédérales. Le projet de loi C-23 vise donc à permettre au Parlement d'éliminer la discrimination fondée sur l'état matrimonial et l'orientation sexuelle dans toutes les lois et politiques fédérales.
En fait, le projet de loi propose des mesures qui se font attendre depuis longtemps. Il y a 15 ans, soit en 1985, le comité parlementaire sur les droits à l'égalité avait recommandé qu'on adopte une définition uniforme de conjoint de fait et que celle-ci soit incluse dans toutes les lois fédérales traitant des droits et responsabilités des couples mariés.
Les tribunaux ont, depuis, donné raison au comité parlementaire. L'article 15 de la Charte interdit toute forme de discrimination à l'égard des couples de même sexe ou de sexe différent qui habitent ensemble. Par conséquent, la question n'est pas de savoir s'il faut aller de l'avant avec les modifications que propose le projet de loi C-23, mais plutôt si ces changements seront institués par les tribunaux, de façon morcelée, dans le cadre de procès longs et coûteux, ou s'ils seront institués par nos représentants élus de manière responsable, globale et rationnelle. Le gouvernement a pris la décision qui s'impose en optant pour la deuxième solution.
Le projet de loi C-23 applique le principe d'égalité à toutes les relations conjugales entre adultes engagés, avec plusieurs exceptions importantes. Les conjoints de fait ne sont pas inclus dans les définitions de personne à charge qui accompagne le requérant ou de membre de la catégorie de la famille, qui figurent dans la Loi et le règlement sur l'immigration. Les règles spéciales relatives aux conjoints que prévoit la Loi sur la preuve au Canada ne sont pas modifiées par le projet de loi. La définition de personne à charge autorisée à présenter une demande d'indemnisation pour accident mortel en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada ne l'est pas non plus. J'exhorte le gouvernement à donner suite aux modifications promises à ces lois, afin que les droits des cohabitants de même sexe et de sexe différent soient reconnus dans toutes les lois fédérales.
Mis à part les obligations constitutionnelles du Parlement en matière d'égalité des droits, il existe une autre raison d'appuyer le projet de loi: il permet au gouvernement d'atteindre plusieurs grands objectifs. Par exemple, de nombreuses lois fédérales visent à préserver et à promouvoir l'intégrité des relations entre adultes engagés, à accorder des avantages financiers, à reconnaître l'interdépendance des personnes vivant ensemble, à verser des indemnités aux membres de la famille en cas de décès d'un être cher ou de blessures subies par celui-ci, à tenir compte des intérêts financiers des cohabitants dans la définition des conflits d'intérêts dans diverses lois fédérales—bon nombre de ces lois se s'adressent qu'aux couples mariés. Or, si on les appliquait aux unions qui présentent les mêmes caractéristiques fonctionnelles, soit le mariage, l'interdépendance financière et affective, les changements proposés par le projet de loi C-23 donneraient lieu à l'adoption de politiques fédérales beaucoup plus cohérentes et efficaces.
Le projet de loi C-23 ne modifie pas la définition de mariage. Il ne définit pas non plus le terme mariage, parce qu'il n'est pas nécessaire de le faire. La jurisprudence définit clairement le mariage comme étant l'union d'un homme et d'une femme. Par conséquent, la Loi sur le divorce ne s'applique qu'aux conjoints mariés.
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L'ensemble des droits et responsabilités juridiques que
possèdent les conjoints mariés demeure inchangé, sauf que le projet
de loi C-23 abroge plusieurs dispositions déraisonnables et
archaïques, comme l'article 329 du Code criminel, qui dispose que
nul ne commet, pendant la cohabitation, le vol d'une chose qui est
la propriété de son conjoint.
Le concept de relation conjugale est un élément central de la définition de conjoint de fait qui figure dans le projet de loi C- 23. J'ai l'impression qu'on saisit mal le sens juridique du mot conjugal. Cette confusion tient au fait que sa définition est large, évolutive et différente de celle qu'on lui donne en dehors du milieu juridique.
Les tribunaux définissent la relation conjugale en fonction de l'existence d'une interdépendance ou dépendance financière. Plusieurs autres facteurs entrent en ligne de compte. Par exemple, si le couple est engagé l'un envers l'autre et envers la collectivité, s'il s'aide mutuellement, s'il élève des enfants, s'il a des rapports sexuels ou affectifs, et s'il participe à des activités sociales et récréatives.
La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt M. c. H., a clairement laissé entendre qu'aucun facteur n'est déterminatif. Le juge Cory a précisé qu'il se peut que les relations conjugales «ne correspondent pas au modèle hétérosexuel traditionnel», et qu'un couple peut avoir une union conjugale sans avoir de relations sexuelles. Le tribunal a statué que le terme conjugal doit être défini de façon large, puisque les relations de couples, peu importe leur état matrimonial ou orientation sexuelle, varient grandement.
Ainsi, la définition de conjoint de fait dans le projet de loi C-23 sera interprétée de façon large, évolutive et contextuelle par les tribunaux et autres décideurs juridiques. Quand les relations de couple présentent les caractéristiques fonctionnelles d'interdépendance financière et affective qui cadrent avec les objectifs d'un texte législatif particulier, les tribunaux sont susceptibles de conclure que ces relations sont de nature conjugale.
La définition de conjoint de fait a ceci de désavantageux que sa souplesse même crée des incertitudes dans son application, incertitudes qui, pour pouvoir être dissipées, peuvent donner lieu à des questions personnelles sur les détails intimes de la vie des gens. C'est là l'inconvénient de tout état civil qui est imposé aux couples par voie législative.
On peut régler ce problème en permettant à un plus grand nombre de couples de formaliser leur relation par le biais de déclarations publiques. Il suffit, par exemple, de modifier la définition juridique du terme mariage en supprimant l'exigence voulant que les personnes doivent être de sexe différent, comme envisagent de le faire les Pays-Bas, ou en créant un nouvel état civil parallèle au mariage, comme l'ont fait le Danemark, la Suède, l'Islande, la Norvège, les Pays-Bas et Hawaï. Mentionnons aussi le projet de loi sur l'union civile dont est actuellement saisie l'assemblée législative du Vermont.
Le gouvernement devrait accorder une attention sérieuse à ces propositions et les considérer non pas comme une alternative au projet de loi C-23, mais comme des mesures éventuelles, car elles peuvent grandement contribuer à promouvoir l'autonomie, les droits à l'égalité et la vie privée de personnes adultes engagées vivant ensemble dans une relation d'amour.
Je répondrai volontiers aux questions du comité. Je vous remercie de votre attention.
Le président: Merci beaucoup. Je vous remercie également d'avoir tenu compte du temps de parole qui vous a été alloué.
Avant d'aller plus loin, je tiens à dire que la sonnerie d'appel se fait entendre, et que des votes auront peut-être lieu. Si nous devons interrompre nos travaux, je m'en excuse à l'avance. C'est comme cela que les choses se passent ici.
Nous allons maintenant entendre M. Doyle, de l'Église unie du Canada. Vous avez 10 minutes.
M. William Doyle (président, Groupe de coordination Église- société, Église unie du Canada): Bonjour. Je m'appelle Bill Doyle. Je travaille comme bénévole auprès de l'Église unie du Canada, à Winnipeg. J'assure la coprésidence du groupe de coordination Église-société de la mission au Canada. Ce comité, qui est basé à Toronto, est chargé de coordonner, à l'échelle nationale, les travaux qu'effectue l'Église unie dans le domaine des droits de la personne et de la justice sociale.
• 1115
Le conseil général, qui se réunit actuellement tous les trois
ans, est l'organe national qui dirige l'Église unie du Canada. Les
décisions des membres qui y sont élus deviennent la politique de
l'Église en matière de régie interne et en ce qui concerne les
sujets de politique publique sur lesquels elle prend position.
Depuis le milieu des années 70, les conseils généraux de l'Église soulignent la nécessité d'accorder aux gais et aux lesbiennes les mêmes droits dont jouissent les autres membres de la société canadienne. En octobre 1976, le Service Église-société de l'Église unie du Canada a donné son aval à un mémoire présenté à la Commission des droits de la personne de l'Ontario, mémoire qui recommandait que le Code des droits de la personne de l'Ontario interdise la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. L'Église unie a fait une recommandation similaire en 1977, lors des audiences publiques qui portaient sur la nouvelle Loi canadienne sur les droits de la personne.
En 1984, le conseil général, réunit à Morden, a adopté un rapport sur la sexualité dans lequel l'Église unie reconfirmait la nécessité d'inclure l'orientation sexuelle dans la législation sur les droits de la personne.
En 1992, en réponse à des pétitions présentées par l'Église unie, le conseil général a accepté d'accorder aux partenaires des employés gais et lesbiennes de l'Église des prestations de santé, de pension et d'assurance-soins dentaires.
En 1996, l'Église unie a comparu devant le Comité des droits de la personne de la Chambre des communes et s'est dite en faveur d'inclure dans la Loi canadienne sur les droits de la personne l'orientation sexuelle comme motif de distinction injuste.
En 1997, le conseil général a adopté une résolution en faveur des modifications proposées à la Loi de l'impôt sur le revenu, modifications qui visaient à redéfinir le terme «conjoint» de manière à ce que les conjoints de même sexe soient traités de la même façon que les conjoints de sexe opposé.
Au fil des ans, les conférences régionales de l'Église unie ont également exercé des pressions auprès de leurs gouvernements provinciaux pour qu'ils incluent l'orientation sexuelle dans les codes provinciaux des droits de la personne.
Au lieu d'entrer dans les détails du projet de loi, nous préférons résumer les positions adoptées par le conseil général qui nous amènent à l'appuyer.
La première raison pour laquelle l'Église s'intéresse au projet de loi est la suivante. Par leurs déclarations à l'appui des droits de la personne, nos conseils généraux successifs ont instamment demandé d'accorder un traitement égal aux gais et aux lesbiennes et de ne pas faire preuve de discrimination contre eux dans l'emploi, les services et le logement, toutes choses auxquelles tous les Canadiens ont droit sans discrimination, selon la législation canadienne sur les droits de la personne. Notre position s'inspire essentiellement des vues théologiques que nous avons de Jésus-Christ et de l'existence qu'il a menée en tant que représentant du Nouveau testament en faveur de ceux qui, au sein de la société, sont exclus, marginalisés et victimes de discrimination.
À titre d'employeur, nous veillons depuis un certain nombre d'années à ne pas tenir compte de l'orientation sexuelle dans l'embauche et la rémunération. Le conseil général a adopté en 1992 des politiques qui ont, par exemple, modifié les régimes de prestations de santé, de pension et d'assurance-soins dentaires de l'Église. Il a aussi pris position, en 1997, à l'égard de la façon dont les gais et les lesbiennes sont traités dans la Loi de l'impôt sur le revenu. Le principe de base qu'il invoque à l'appui de ces positions est celui de l'égalité des avantages découlant de l'emploi pour tous les employés, quelle que soit leur orientation sexuelle.
Nous avons également eu à régler de nombreux problèmes auxquels sont confrontés les gais et les lesbiennes qui tentent d'obtenir des avantages en matière de santé, d'assurance-soins dentaires et autres pour les partenaires de même sexe. Par exemple, les employés qui veulent avoir accès à ces avantages doivent habituellement s'adresser à la congrégation locale, plus précisément au trésorier de celle-ci. Toutefois, il leur est souvent impossible de le faire parce qu'ils n'osent pas avouer leur homosexualité à la congrégation. Consciente de cette situation, l'Église a pris des mesures pour que ces personnes puissent présenter leur demande au bureau national de l'Église.
L'application de ces politiques internes a eu des résultats extrêmement positifs. Personne n'a jamais estimé qu'elles privilégiaient un groupe au détriment d'un autre. Au contraire, tous y ont vu un instrument de justice au travail.
• 1120
Sauf erreur, le projet de loi C-23 assurera aux gais et aux
lesbiennes des recours juridiques plutôt que de les obliger plus
longtemps à compter sur la bonne volonté de leurs employeurs ou des
pouvoirs publics de leur pays, et nous souscrivons à cet objectif.
Bien que l'Église unie, en 1992, et de nombreux autres employeurs
aient décidé d'accorder des prestations de survivant aux
partenaires d'employés gais et lesbiennes, ce droit continue de
leur être refusé en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu,
puisque, pour ce faire, il faudrait que l'employeur désenregistre
son régime de pension, avec toutes les conséquences fiscales que
cela entraîne. Nous comprenons que le projet de loi C-23 assurera
aux gais et aux lesbiennes un traitement égal en vertu des régimes
de pension.
Comme je l'ai indiqué, je travaille comme volontaire auprès de l'Église unie. Dans la «vie réelle», j'exerce la profession d'avocat, à Winnipeg, et je travaille de près avec la communauté gaie et lesbienne. J'ai été témoin, de façon régulière, des inégalités qu'ont subi les partenaires et les couples gais et lesbiennes qui figuraient parmi mes clients.
De façon plus précise, j'ai été témoin des inégalités qu'ils ont subi lors du décès d'un des deux conjoints. Les conjoints ou partenaires de même sexe peuvent, au moment du décès d'un des conjoints, transférer les crédits du régime enregistré d'épargne- retraite ou du fonds enregistré de revenu de retraite au conjoint ou partenaire survivant, sans payer d'impôt. Ce n'est pas le cas pour les partenaires de même sexe. Lors du décès d'un des partenaires, tous les crédits doivent être calculés dans le revenu touché durant la dernière année d'imposition précédant son décès, ce qui entraîne des conséquences fiscales sérieuses.
La seconde raison pour laquelle l'Église s'intéresse au projet de loi est qu'elle souhaite que la loi soutienne le désir de permanence et de fidélité chez les couples, quelle que soit leur orientation sexuelle. Autrement dit, l'Église a pour politique d'aider les couples à demeurer monogames et exclusifs toute leur vie. Ces normes s'appliquent aux couples homosexuels autant qu'hétérosexuels. Le projet de loi est donc utile dans la mesure où il crée un cadre juridique dans lequel tous les Canadiens peuvent nouer pour la vie des relations que la société et la loi reconnaissent comme valables.
L'Église unie appartient au volet de la tradition chrétienne qui ne considère pas le mariage comme un sacrement. Elle n'en prend pas moins très au sérieux les voeux que les époux prononcent devant Dieu et en présence de témoins. Le conseil général n'a pas voulu employer le terme «mariage» pour désigner l'union entre personnes de même sexe, mais il reconnaît que les fidèles gais ou lesbiennes de l'Église peuvent prendre le même engagement à vie que les couples hétérosexuels et prononcer leurs voeux solennels devant des témoins qui les appuieront dans leur engagement mutuel. Le 34e conseil général a donc demandé, en 1992, à la division de la mission au Canada de produire des ressources liturgiques et pastorales afin d'aider les partenaires de même sexe à rendre leurs relations permanentes en signant des pactes entre partenaires de même sexe.
Le troisième motif pour lequel l'Église appuie les modifications proposées est le suivant: le projet de loi équilibre les droits et les responsabilités des deux partenaires dans l'éventualité d'une rupture de leur union. Le conseil général a reconnu que parfois, les couples évoluent de telle manière qu'il leur devient impossible de subsister et de durer jusqu'à la mort d'un des partenaires. Nous croyons que lorsque c'est le cas, nous pouvons compter sur la grâce et la miséricorde de Dieu. L'Église ne condamne pas ceux qui décident que le divorce est la seule solution qui leur reste. Elle exhorte les communautés à aider les couples à éviter d'en arriver là en les aidant à bien préparer leur mariage, dans le cas des couples hétérosexuels, ou leur pacte entre partenaires de même sexe, dans le cas des couples homosexuels. Elle offre aussi des services de consultation et des cours d'enrichissement personnel. Mais en bout de ligne, si les membres d'un couple ne peuvent continuer de cheminer ensemble, la grâce de Dieu et l'appui de l'Église leur demeurent acquis.
L'Église a une haute opinion des relations intimes et de la responsabilité mutuelle de leurs membres, opinion qui l'amène à insister auprès des couples qui se séparent, quelle que soit leur orientation sexuelle, pour que chacun des membres veille au bien-être de l'autre après la séparation. Ayant vécu une certaine interdépendance, ils continuent d'être responsables jusqu'à un certain point du bien-être l'un de l'autre même si leur relation intime prend fin. D'où l'argument de l'Église voulant que les personnes qui nouent des relations homosexuelles portent la même responsabilité que celles qui forment des couples hétérosexuels, notamment en matière de pension alimentaire pour enfants et de soutien financier du partenaire avec lequel ils ont vécu longtemps une relation intime. Bien entendu, les provinces ont encore beaucoup à faire dans ce domaine, étant donné que cette question relève essentiellement de leur compétence. Toutefois, l'Église recommande d'appuyer le projet de loi et de l'adopter dans les meilleurs délais.
Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Nous allons maintenant entendre l'Association du Barreau canadien.
Mme Joan Bercovich (directrice principale, Affaires juridiques et gouvernementales, Association du Barreau canadien): Bonjour. Je m'appelle Joan Bercovich. Je suis accompagnée de Terry Hancock et nous comparaissons aujourd'hui devant vous au nom de l'Association du Barreau canadien, un organisme voué à l'amélioration de la loi et à l'administration de la justice.
[Français]
La présentation que nous faisons aujourd'hui est en harmonie avec ses buts et objectifs.
[Traduction]
Mme Hancock, qui pratique le droit à Toronto, est également membre bénévole de la Conférence sur l'orientation et l'identité sexuelles. Elle va donc vous présenter l'exposé et répondre à vos questions.
Mme Terry D. Hancock (membre, Conférence sur l'orientation et l'identité sexuelles, Association du Barreau canadien): Merci, madame Bercovich.
Je suis heureuse de vous parler en faveur du projet de loi C-23 aujourd'hui, et fière d'appuyer son adoption au nom de l'Association du Barreau canadien, qui a joué un rôle décisif au chapitre de l'égalité des droits des gais, des lesbiennes, des bisexuels et transsexuels. L'ABC est la première, et jusqu'à ce jour la seule, organisation professionnelle au Canada à reconnaître ses membres homosexuels, bisexuels et transsexuels par l'entremise de la Conférence nationale sur l'orientation et l'identité sexuelles. L'Association appuie également les efforts en ce sens des divisions de l'ABC en Colombie-Britannique, en Alberta, au Manitoba, en Ontario, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse. En tant que membre de la division de l'Ontario, je tiens à souligner le rôle prépondérant de personnes comme Kevin Carroll, qui était président du groupe à l'époque, et qui ont aidé à créer cette organisation, la première du genre en Ontario.
L'ABC soutient depuis de nombreuses années les projets de réforme législative. À trois reprises au cours des six dernières années, le conseil de l'ABC, qui représente des membres de toutes les régions du pays, a adopté des résolutions invitant divers gouvernements à inclure les gais, les lesbiennes, les bisexuels et les transsexuels dans leurs lois et à mettre fin à la discrimination dont ils sont victimes. L'ABC a présenté divers mémoires au gouvernement fédéral sur, par exemple, les modifications à la Loi canadienne sur les droits de la personne et les dispositions sur la détermination de la peine applicables aux crimes haineux. La division albertaine de l'ABC a soutenu la cause de Delwin Vriend, qui avait été renvoyé parce qu'il était gai.
Je tiens à dire d'emblée que l'Association du Barreau canadien appuie de façon sans équivoque le projet de loi C-23 et exhorte le comité à lui donner son aval sans apporter de modifications sur le fond. Le projet de loi C-23 reconnaît qu'il n'est plus équitable, ni tolérable pour notre pays de refuser aux gais et aux lesbiennes les responsabilités et avantages accordés aux autres. En outre, ce projet de loi affirme la dignité et l'autonomie de cette communauté.
En effet, le projet de loi rattrape en quelque sorte l'opinion de la société moderne. La jurisprudence en vertu de la Charte a reconnu que l'orientation sexuelle constitue un motif illicite de discrimination. D'autres gouvernements provinciaux et territoriaux, tels que la Colombie-Britannique, l'Ontario, le Québec et, dans une certaine mesure, le Yukon ont déjà adopté une législation sur cette question. Plus important encore, les employeurs du secteur privé ont, de leur propre chef, décidé de reconnaître les partenaires gais et lesbiennes en leur conférant les mêmes avantages sociaux que ceux des conjoints de sexes opposés, et ce, bien avant n'importe quel autre gouvernement au pays.
Je compte mettre l'accent, dans mon exposé, sur la nécessité d'intégrer les couples de gais et de lesbiennes, parce que leur reconnaissance est devenue un impératif constitutionnel aux termes du projet de loi C-23. Je tiens toutefois à ajouter que l'ABC préconise également d'inclure les hétérosexuels vivant en union de fait.
Mon exposé gravitera autour de trois points. Tout d'abord, je tiens à vous parler des droits de la personne, de la jurisprudence en vertu de la Charte et de la définition de «conjoint». Ensuite, j'aimerais vous offrir notre assistance technique en ce qui concerne le projet de loi C-23 et, enfin, je vous parlerai brièvement des lacunes que nous avons relevées dans le projet de loi et dont le professeur Ryder vous a si éloquemment parlé.
Commençons par les droits de la personne, la jurisprudence en vertu de la Charte et la définition du mot «conjoint». Le statut juridique des gais et lesbiennes du Canada a fait l'objet de maints litiges distincts et ponctuels, à grands frais pour les plaignants et pour les contribuables qui ont financé la défense au nom du gouvernement. Au début, les poursuites lancées en vertu de la Charte et des droits de la personne n'ont pas donné gain de cause aux lesbiennes et aux gais. Les relations des couples de gais et de lesbiennes ont depuis toujours été exclues lors de l'interprétation des définitions de «statut familial» et de «statut marital». En 1995, dans la fameuse affaire Egan, la Cour suprême du Canada a statué que l'orientation sexuelle était un motif analogue de discrimination en vertu de l'article 15 et que la définition «sexe opposé» de «époux» ou de «cohabitant» dans la législation relative au Régime de pensions du Canada et à la Loi sur la sécurité de la vieillesse exerçait une discrimination à l'égard des gais et des lesbiennes, mais concluait néanmoins que cette discrimination pouvait être justifiée par des motifs raisonnables en vertu de l'article 1 de la Charte.
L'intégration complète des couples de gais et de lesbiennes dans le droit fédéral n'a vraiment débuté qu'en 1998, avec la décision rendue par la Cour d'appel de l'Ontario dans la cause Rosenberg. Dans cet arrêt, la Cour d'appel a statué que les termes «ou du même sexe» étaient compris dans la définition du mot «époux» prévue au paragraphe 252(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu. En d'autres mots, on pouvait enregistrer des régimes de pensions et des modifications aux régimes de retraite enregistrés lorsque les prestations du survivant étaient versées au conjoint gai ou lesbienne survivant. J'ajouterais que le gouvernement fédéral n'a pas interjeté appel de cette décision devant la Cour suprême du Canada.
• 1130
En 1999, la Cour suprême du Canada statuait, dans l'affaire
M. c. H., que la définition de «époux» axée sur le sexe opposé, dans
les dispositions relatives à la pension alimentaire au conjoint
contenues dans la Loi ontarienne sur le droit de la famille
exerçait une discrimination à l'égard des gais et lesbiennes.
Cependant, contrairement à ce qui s'est passé dans la cause Egan,
on n'a pas estimé que cette discrimination pouvait être
raisonnablement justifiée en vertu de l'article 1 de la Charte.
Enfin, dans l'arrêt Moore et Akerstrom, la Division de première instance de la Cour fédérale a rejeté la proposition du gouvernement visant à créer une nouvelle catégorie réservée aux conjoints du même sexe pour régler la plainte en matière de droits de la personne, soutenant que le modèle fondé sur le principe «distinct mais égal» constituait une pratique discriminatoire fondée sur l'orientation sexuelle en vertu de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Ces causes, ainsi que de nombreuses autres décisions rendues par des tribunaux inférieurs provinciaux, montrent trois choses. Tout d'abord, la reconnaissance des relations entre couples de gais et de lesbiennes est devenue un impératif constitutionnel. Ensuite, les gouvernements devraient à présent montrer la voie en modifiant la législation de manière à ce qu'elle se conforme à cette obligation. La nature sporadique et morcelée des poursuites est coûteuse et n'est pas, selon nous, le moyen d'effectuer une réforme. Enfin, la loi en vertu de la Charte a reconnu que les gais et lesbiennes sont des conjoints et a rejeté la création d'une catégorie distincte mais égale fondée sur l'orientation sexuelle. Je souligne que, dans l'arrêt Rosenberg, le tribunal a soutenu que le recours approprié en vertu de l'article 52 consistait à élargir la définition du mot «époux» pour y inclure «ou d'un même sexe».
L'utilisation du mot «époux» est au coeur de ce débat. Nous ne pouvons pas ignorer la jurisprudence établie dans les arrêts Rosenberg, M. c. H. et Moore et Akerstrom. Nous pouvons reconnaître que l'inclusion des couples de gais et de lesbiennes sous le vocable de «conjoint de fait» plutôt que d'«époux» est un compromis politique.
L'ABC exhorte le comité à ne pas proposer de modification susceptible d'exacerber ce compromis politique en diminuant la portée de la législation en vigueur ou en employant un langage laissant entendre que les relations de nature hétérosexuelle sont supérieures aux autres.
Passons maintenant à l'assistance technique offerte pour le projet de loi C-23. Nous avons mis en relief deux lois que l'on trouvera aux pages 8 et 9 de notre mémoire. La première est la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et la seconde, la disposition transitoire prévue à l'article 145 de la Loi de l'impôt sur le revenu visant les pensions alimentaires.
Commençons par la première, c'est-à-dire la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Deux points ont été soulevés par notre comité de la faillite et de l'insolvabilité. Le premier concerne la période durant laquelle les personnes demeurent liées l'une à l'autre lors d'une faillite. Les personnes mariées demeurent liées jusqu'à leur divorce. Il semble que les conjoints de fait perdent leur lien dès que cesse leur cohabitation.
Cela pose des difficultés. Tout d'abord, un conjoint de fait qui n'est pas un époux marié peut se déclarer en faillite dès qu'il a cessé de cohabiter avec l'autre. Ensuite, la période de 12 moins de rétroactivité qui s'applique à l'époux marié passe à trois mois seulement lorsqu'elle s'applique à un ancien conjoint de fait. L'ABC propose simplement d'appliquer les mêmes règles aux deux.
Ensuite, cela pose aussi des difficultés pour ce qui est d'établir de manière concluante qu'une personne a bien été en réalité le conjoint de fait aux fins d'application des règles contre la collusion de la Loi sur la faillite. Lorsque les conjoints sont mariés, il existe un certificat de mariage établissant le lien. Il peut par contre être plus difficile de prouver l'union de fait. L'ABC recommande simplement d'adopter des critères pour établir une union de fait, par voie réglementaire et en fonction de la jurisprudence établie au sujet des rapports conjugaux.
En ce qui concerne la disposition provisoire prévue à l'article 145 au sujet des pensions alimentaires, il faudrait apporter des éclaircissements, car elle ne semble pas faire de distinction entre les pensions alimentaires actuellement déduites en vertu des alinéas 56(1)b) et 60b) de la Loi de l'impôt sur le revenu et celles qui s'appliqueront aux couples de gais et de lesbiennes qui ne pouvaient auparavant se prévaloir des avantages de la Loi de l'impôt sur le revenu avant 2001. Il est invraisemblable, à notre avis, que le projet de loi C-23 cherche à modifier le statu quo de la loi actuelle. Nous soumettons respectueusement qu'il a simplement besoin d'être précisé.
Brièvement, pour ce qui est des lacunes du projet de loi C-23 et des moyens de les combler, le professeur Ryder a déjà abordé avec vous la Loi sur l'immigration, la Loi sur la preuve et la contraignabilité du conjoint à témoigner, de même que l'exemption maritale pour l'âge du consentement en vertu du Code criminel, et enfin de la Loi sur la marine marchande du Canada que je vous suis reconnaissante, professeur Ryder, d'avoir mentionnée. Je ne les passerai pas en revue avec vous, mais je répète simplement que nous sommes d'accord avec le professeur Ryder pour dire qu'il faudrait les examiner et qu'elles font justement l'objet d'un examen actuellement.
Je tiens cependant à vous parler d'une question distincte concernant les moyens d'aller de l'avant, soit de l'effet rétroactif. Bien que le projet de loi n'ait pas d'effet rétroactif, nous exhortons le comité et le gouvernement fédéral à traiter équitablement les couples de lesbiennes et de gais et les autres personnes dont on a rejeté les réclamations, et ce, en violation de la Charte.
• 1135
En guise de conclusion, sous réserve des deux points
techniques que j'ai mentionnés—soit la Loi sur la faillite et
l'insolvabilité et la disposition transitoire 145—, l'ABC exhorte
le gouvernement à adopter ce projet de loi sans y apporter de
modifications substantielles. Le projet de loi C-23 cherche à
intégrer les couples de conjoints de fait gais et lesbiennes et
hétérosexuels dans la société canadienne. Cette législation suit la
tendance croissante qui gagne tout le pays à reconnaître par voie
législative les couples de gais et de lesbiennes et à rejoindre les
employeurs du secteur privé. L'ABC appuie par conséquent fortement
ce projet de loi et revendique l'égalité et la dignité des
Canadiens et Canadiennes gais, lesbiennes, bisexuels et
transsexuels.
Voilà qui met fin à mon exposé.
Le président: Je vous remercie beaucoup.
Comme dernier témoin, nous entendons le chef Einish.
Le chef Philip Einish (Peuple naskapi de Kawawachikamach): [Le témoin s'exprime dans sa langue]
Bonjour, monsieur le président, et bonjour à toutes les autres personnes qui prennent part à ce débat. Je me nomme Philip Einish et, depuis août 1997, je suis le chef du Peuple naskapi de Kawawachikamach, connu auparavant sur le nom de Bande naskapie du Québec.
Ce matin, je suis accompagné de M. John Mameamskum, directeur général de notre peuple, et de M. Robert Pratt, notre conseiller juridique depuis bien des années déjà.
De temps immémorial, les Naskapis sont établis dans de vastes régions du nord du Québec et du Labrador. Le 31 janvier 1978, les Naskapis ont conclu la Convention du Nord-Est québécois, c'est-à- dire la CNEQ, avec les gouvernements du Canada et du Québec ainsi que d'autres parties. Cette convention relative à nos revendications territoriales, très similaire à la Convention de la Baie James et du Nord québécois conclue le 11 novembre 1975 avec les Cris de la Baie James et les Inuits du Québec, réglait les revendications relatives aux territoires ancestraux des Naskapis au Québec.
Conformément à l'article 20 de la Convention du Nord-Est québécois, les Naskapis ont quitté une petite réserve sur laquelle ils étaient établis avec les Montagnais de Schefferville, dans la ville de Schefferville, et se sont relogés sur leur territoire de la catégorie IA-N au lac Matemace, à environ 10 kilomètres au nord de Schefferville, où ils ont construit le village de Kawawachikamach. Ils forment maintenant une collectivité d'environ 750 et disposent de leur propre école et de leur propre dispensaire.
J'aimerais maintenant céder la parole à notre conseiller juridique, M. Robert Pratt.
M. Robert Pratt: Je vous remercie.
En vertu de l'article 7 de la Convention du Nord-Est québécois, le gouvernement du Canada a convenu de recommander au Parlement d'adopter une législation relative à l'administration locale des Naskapis sur les territoires de la catégorie IA-N. Cet article 7 reflète l'article 9 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois.
Le paragraphe 7.1 de la Convention du Nord-Est québécois décrit les principaux éléments à inclure dans cette législation, mais sans fournir de détails. Le paragraphe 7.2 dispose ensuite que:
-
Dès la signature de la présente Convention, des discussions doivent
s'engager entre le Canada et le conseil de la bande naskapi pour
déterminer, conformément aux alinéas 7.1.1 à 7.1.16 inclus, les
modalités des mesures législatives envisagées dans le présent
chapitre.
Le paragraphe 9.02 de la Convention de la Baie James contenait une disposition similaire relativement aux Cris de la Baie James.
Au cours des quatre années suivantes, les Naskapis, les Cris et des représentants du gouvernement du Canada ont discuté des dispositions à inclure dans la législation spéciale relative à l'administration locale. À chaque étape, les membres de notre collectivité ont été longuement consultés. Au terme de ces discussions, le Parlement du Canada a adopté la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec—la LCNQ—, soit le chapitre 18 des Lois du Canada de 1984. Nous soulignons que, conformément au paragraphe 7.2 de la Convention du Nord-Est québécois, et au paragraphe 9.02 de la Convention de la Baie James, ce sont les Cris, les Naskapis et le gouvernement du Canada conjointement qui ont déterminé le contenu de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec. Le Canada n'avait pas le droit de déterminer seul son contenu.
Les modifications projetées à la LCNQ sont décrites aux articles 89 et 90 du projet de loi C-23. Les modifications qui touchent les Naskapis élargissent la définition de «conjoints» donnée à l'article 74 de la LCNQ.
Actuellement, le terme «conjoints» est défini comme suit à l'article 174 de la LCNQ:
-
Couple:
-
a) dont le mariage a été célébré ou reconnu conformément aux lois
de la province [de Québec];
-
b) non marié d'autre part et vivant en union de fait, compte tenu
des coutumes [...] naskapies.
• 1140
Les modifications proposées dans le projet de loi C-23
élargissent la définition de «conjoints» de façon à inclure, en plus
des personnes actuellement décrites à l'article 174, «deux
conjoints de fait». Suivant la nouvelle définition incluse dans le
paragraphe 89(2) du projet de loi C-23, un «conjoint de fait» serait
défini comme «La personne qui vit avec une autre dans une relation
conjugale depuis au moins un an». Ce en quoi consiste une «relation
conjugale» n'est pas très clair, mais vraisemblablement, cette
expression serait interprétée comme la relation établie entre des
personnes qui ont des relations sexuelles ensemble.
Ces modifications changeraient le sens des dispositions suivantes de la LCNQ: les alinéas 103(1)b), 103(1)c), 105(4)b), 105(4)c), l'article 175 et l'alinéa 182(1)a). Je vais vous résumer les changements très rapidement.
Le changement apporté à l'alinéa 103(1)b) donnerait au conjoint non naskapi de même sexe (tel que défini) d'un Naskapi et aux parents au premier degré de ce conjoint le droit d'habiter sur le territoire de la catégorie IA-N. Le changement aux alinéas 105(4)b) et c) donnerait au conjoint non naskapi de même sexe (tel que défini) d'un Naskapi et aux parents de ce conjoint au premier degré le droit d'accès au territoire de la catégorie IA-N. Le changement envisagé à l'article 175 donnerait au conjoint survivant de même sexe (tel que défini) les qualités requises pour être considéré comme héritier légitime d'un Naskapi décédé sans laisser de testament. Enfin, le changement à l'alinéa 182(1)a) donnerait les qualités requises au conjoint de même sexe (tel que défini) pour être reconnu en tant membre du conseil de famille d'un Naskapi décédé en vue de prendre des décisions sur la disposition des biens traditionnels de ce défunt.
Le contexte constitutionnel. Le gouvernement canadien peut affirmer que la Charte canadienne des droits et libertés et la jurisprudence relative à celle-ci donnent des droits égaux aux conjoints de fait de même sexe et aux conjoints de fait de sexe opposé et que cela constitue une justification suffisante pour modifier la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec de la façon prévue dans le projet de loi C-23, parce que la LCNQ et, sous- entendu la CNEQ, sont soumises à la Charte. Par contre, nous sommes d'avis que l'exercice des droits issus de traités des Naskapis énoncés dans la LCNQ et la CNEQ ne sont pas soumis à l'application de la Charte.
Notre mémoire cite ensuite l'article 25 de la Loi constitutionnelle de 1982, dont je vous épargnerai bien sûr la lecture, et de l'article 35 que tout le monde connaît bien, j'en suis sûr. Je vous rappelle toutefois que l'article 25 dit simplement que la Charte ne porte pas atteinte aux droits ou libertés ancestraux ou issus de traités.
Nous sommes conscients que la Cour suprême du Canada a statué que la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle fait partie des discriminations interdites par le paragraphe 15(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Cependant, nous sommes d'avis qu'en vertu de l'article 25 de la Loi constitutionnelle, il ne serait pas possible d'annuler, en invoquant la Charte, un droit ancestral ou issu de traité en se basant sur le fait que son exercice est discriminatoire envers une personne à cause de son orientation sexuelle.
Tous les droits des Naskapis inclus dans la LCNQ sont des droits garantis directement dans la CNEQ ou prévus à l'article 7 de la CNEQ. Ce genre de droits équivaut à des droits issus de traités et protégés par la Constitution aux termes de l'article 25 et du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle. Par conséquent, l'article 25 de la Loi constitutionnelle empêcherait les modifications prévues dans le projet de loi C-23 de s'appliquer aux dispositions visées de la LCNQ, à moins que les Naskapis ne conviennent d'effectuer des modifications de ce type et jusqu'à ce qu'ils en conviennent.
Nous attirons votre attention sur le paragraphe 35(4) de la Loi constitutionnelle qui prévoit que les droits ancestraux et les droits issus de traités sont garantis également aux personnes des deux sexes. Cette disposition et le paragraphe 35(3) ont été adoptés en 1983 en modifiant la Loi constitutionnelle de 1982. On peut présumer que leur but était de faire en sorte que l'immunité dont faisaient l'objet les droits ancestraux et issus de traités aux termes de l'article 25 de la Loi constitutionnelle à l'égard des dispositions antidiscriminatoires de la Charte, ne servirait jamais pour faire une distinction entre les hommes et les femmes. Le paragraphe 35(4) soutient donc notre interprétation selon laquelle l'interdiction de la Charte de se fonder sur l'orientation sexuelle pour faire de la discrimination ne s'applique pas aux droits issus de traités.
Fondamentalement, notre position est donc que la Charte ne s'applique pas à nos droits issus de traités garantis dans la CNEQ ou la LCNQ et, de plus, que la Constitution ne donne pas au Parlement du Canada le pouvoir de modifier la CNEQ et la LCNQ sans notre autorisation.
Je cède maintenant la parole à John Mameamskum, directeur général de notre peuple.
M. John Mameamskum (directeur général, Peuple naskapi de Kawawachikamach): Je vous remercie beaucoup de nous avoir invités à prendre la parole aujourd'hui.
Voici notre position concernant les conjoints de même sexe. Nous n'avons pas mené d'enquête systématique à ce sujet, mais il semble que les opinions sont partagées dans la collectivité naskapie relativement à la reconnaissance des conjoints de même sexe et, en particulier, à la modification de la CNEQ et de la LCNQ de façon à reconnaître que les conjoints de même sexe ont les mêmes droits issus de traités que les conjoints de fait de sexe opposé qui vivent ensemble conformément à la coutume naskapie.
Plus particulièrement, plusieurs de nos anciens sont profondément religieux et s'opposent, pour des motifs basés sur la Bible, à ce qu'on permette que des conjoints de même sexe vivent ensemble; certains des membres plus jeunes de notre collectivité ont peut-être une attitude plus tolérante.
Nous reconnaissons que plusieurs des modifications prévues dans le projet de loi C-23 auront des incidences sur des Naskapis particuliers, comme sur d'autres Canadiens, et qu'elles n'ont pas trait aux droits issus de traités des Naskapis.
Nous demandons plutôt qu'on nous fournisse l'occasion de prendre une décision sur cette importante question en rapport avec nos droits issus de traités, conformément à nos coutumes et à nos normes. Il y a près de 20 ans, nous avons obtenu ce droit qui est garanti dans la Constitution. Nous ne sommes pas opposés au mode de vie des conjoints de même sexe. Nous reconnaissons que votre société a le droit de se régir conformément à ces normes. Nous vous demandons de nous reconnaître le même droit en ce qui concerne nos droits issus de traités.
En guise de conclusion, nous vous remercions de nous avoir autorisés à comparaître devant votre comité et d'avoir écouté notre exposé. Nous vous demandons de respecter les droits issus de traités signés par les Naskapis et l'obligation qu'impose au gouvernement du Canada un traité solennel et de recommander au Parlement de supprimer les modifications à la CNEQ proposées dans le projet de loi C-23 qui touchent les Naskapis.
C'est tout ce que nous avions à dire. Nous demeurons à votre disposition pour répondre aux questions.
Le président: Je vous remercie beaucoup.
En fait, je remercie tous les témoins d'aujourd'hui.
Nous allons maintenant passer à la période de questions. M. Lowther sera la premier. Il dispose de sept minutes.
M. Eric Lowther (Calgary-Centre, Réf.): Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins. De toute évidence, vous avez beaucoup réfléchi à cette question. Je sais gré particulièrement au Peuple naskapi de son exposé et j'applaudis le greffier de vous avoir inclus dans la liste des témoins. Votre témoignage complète en quelque sorte une dimension que nous ne voudrions certes pas oublier, mais que nous aurions peut-être omise si vous n'aviez pas été là. Je me réjouis donc de votre présence.
J'aimerais bien avoir moi aussi un bouclier pour me protéger des effets du projet de loi à l'étude, comme semble l'avoir le Peuple naskapi. Malheureusement, en tant que Canadien, je ne semble pas jouir de la même protection.
Ma première question s'adresse à M. Doyle, de l'Église unie. J'ai appris avec intérêt que l'Église unie respecte les pétitions de ses membres. Quand vous avez parlé de pétitions réclamant que les mêmes avantages soient consentis aux conjoints de même sexe qui sont à l'emploi de l'Église, je me suis rappelé qu'en 1986-1987, des paroissiens de tout le pays avaient signé quelque 1 800 pétitions contre l'ordination d'homosexuels avoués. L'Église a-t- elle pour politique actuelle d'ordonner les homosexuels avoués?
M. William Doyle: C'est certes la politique de l'église.
Tel que j'ai compris les événements que vous avez décrits, les diverses pétitions ont été présentées au conseil général à Victoria. Or, le conseil général se divise en comités sessionnels qui étudient divers domaines liés aux questions soumises au conseil général. Toutes les pétitions, à la fois pour et contre l'ordination des homosexuels avoués, auraient été soumises à ce comité sessionnel, qui est formé de membres de l'Église unie venant de tous les coins du pays qui s'intéressent à cette question particulière et qui la connaissent bien. Le comité fait son travail dans la semaine et demie ou les deux semaines qui suivent pour essayer de dégager un consensus quant à la position à recommander aux membres du conseil général.
• 1150
Que je sache, le comité était formé à la fois de partisans et
de pourfendeurs de l'ordination des lesbiennes et des gais avoués.
Le compromis qui a été recommandé à l'ensemble des membres du
conseil général avait l'appui de tous les membres du comité.
C'est le processus que suit l'Église unie et c'est celui qu'elle a utilisé à l'époque. On ne fonctionne pas particulièrement en fonction du nombre de personnes pour et contre une question, mais plutôt en fonction du nombre de personnes membres du conseil général qui sont pour ou contre une décision particulière.
M. Eric Lowther: Ainsi, le comité s'est essentiellement prononcé. Il a examiné entre autres les pétitions, mais il n'a pas forcément fondé sa recommandation...
M. William Doyle: C'est exact. Comme je l'ai dit, le comité était représentatif des divers points de vue et ces points de vue ont permis d'arriver à un consensus en vue d'une recommandation faite au Conseil général.
M. Eric Lowther: L'Église unie pense-t-elle que Jésus-Christ serait en faveur du mariage gai?
M. William Doyle: L'Église unie, comme je l'ai dit dans mon exposé, n'a pas pris position à cet égard. L'Église unie est très diversifiée dans ses opinions sur pratiquement toutes les questions, sur les questions théologiques également. Depuis un an et demi, on a pu lire dans les médias les opinions théologiques du modérateur. Ces opinions reflètent certainement celles d'une bonne partie des membres de l'Église unie et elles sont aussi directement à l'opposé de celles d'une autre bonne partie des membres de l'Église unie. Par conséquent, tant que le Conseil général n'aura pas pris de décision au sujet de cette question particulière, je ne peux pas vous dire quelle est la position de l'Église unie.
M. Eric Lowther: D'accord, je vous remercie.
En entendant le témoignage des avocats—il y a beaucoup d'avocats autour de la table, comme cela a été le cas hier également, ainsi que beaucoup d'avocats qui semblent intéressés par ces questions—je trouve intéressant que l'on dise essentiellement que cela ne vise pas le mariage, que le projet de loi C-23 ne touche pas le mariage. Pourtant, nous avons un autre exemple où les tribunaux donnent une indication à cet égard. Il y a près de neuf mois, le Parlement a déclaré qu'il souhaitait assurer la protection du mariage et confirmer légalement cette institution de toutes les façons possibles. Pourtant, ce projet de loi évite une fois de plus de donner une définition du mariage. C'est aujourd'hui un concept de common law.
Ce projet de loi accorde tous les avantages et donne toutes les obligations, à part quelques exceptions que les avocats ne manquent pas de souligner, ce que j'apprécie. À la page 11 et au point C du document fourni par l'Association du Barreau canadien, il est indiqué que l'âge du consentement requis en matière de relation sexuelle anale entre personnes non mariées est plus élevé et que peut être, faudrait-il l'abaisser pour régler la question d'une des exemptions omises par le projet de loi C-23. J'imagine que cela veut dire qu'il faut abaisser l'âge en pareil cas pour que cela ne pose pas de problème pour ce genre d'activité dans des relations entre personnes de même sexe.
Au bout du compte, il ne semble pas y avoir de différence, mis à part ces quelques points, entre la façon dont le mariage serait légalement traité et la façon dont une relation homosexuelle serait traitée après le projet de loi C-23.
En plus, les témoins ont débattu de la définition de ce qui est conjugal et de ce qui ne l'est pas. Certains n'ont pas de problème à ce qu'à la Cour suprême, ce concept reste vague; il s'agirait d'un ensemble de critères au sujet desquels la cour pourrait prendre une décision. Pourtant, personne ne semble vraiment vouloir... Il y a eu, je crois, un témoin aujourd'hui qui a dit qu'il faudrait être un peu plus clair à ce sujet. Je pense qu'il s'agit en fait de la Nation naskapie qui souhaite une définition plus claire qui figurerait dans la loi.
Nous n'avons toujours pas une idée de qui serait laissé pour compte—qui n'aurait pas accès aux avantages et qui pourrait y avoir accès. D'après certains, les relations sexuelles ne sont pas une condition requise, d'après d'autres, oui. Au bout du compte, la seule façon de s'en assurer consisterait, j'imagine, à se présenter devant la cour pour laisser à l'État le soin de déterminer le genre de relation qu'entretiennent deux personnes. L'État déciderait alors si effectivement, suffisamment de choses se passent dans cette relation pour le convaincre qu'il s'agit d'une relation conjugale. Quelqu'un qui va examiner... On court toujours le risque de ne pas répondre aux conditions requises à cet égard, si l'on s'en tient au libellé actuel du projet de loi. Cela me semble inopportun, surtout lorsque l'on dit que ce projet de loi ne coûtera rien, alors que l'on ne sait pas qui remplit effectivement les conditions requises. La nature conjugale d'une relation étant si mal définie, il m'est difficile de comprendre comment on peut être sûr que cela ne va rien coûter, car ne sait même pas qui entretient une telle relation aujourd'hui.
Le vice-président (M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.)): Monsieur Lowther, pouvez-vous poser une question?
M. Eric Lowther: Certainement. Je donne simplement le contexte de ma question. Merci, monsieur Grose.
Je trouve également intéressant que l'on dise que le fait d'accorder tous les avantages et les privilèges—qui sont accordés aux personnes mariées et aux familles—à des personnes qui choisissent de vivre leur homosexualité, ne va rien coûter. Cela revient-il donc à dire que le gouvernement fédéral libéral ne supporte aujourd'hui aucun coût en ce qui concerne les avantages et obligations conférés aux familles et aux personnes mariées? Le même régime d'avantages est prévu.
Ce qui me semble tragique, c'est que nous savons au plan statistique, d'après l'étude longitudinale du gouvernement, qu'un mariage solide constitue le meilleur environnement pour élever des enfants. Il est prouvé que des relations stables où les enfants ont accès aux deux genres produisent de bons et responsables citoyens à long terme, en règle générale. Je ne dis pas que cela marche toujours, mais en règle générale, cela semble être le cas, d'après des preuves empiriques. On pourrait penser que la politique gouvernementale voudrait encourager ce qui fonctionne et ce qui, effectivement, contribue à l'intérêt public.
J'ai du mal, monsieur le président...
Le vice-président (M. Ivan Grose): J'ai du mal également.
M. Eric Lowther: Cela m'amène directement à ma question.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Vous faites une déclaration.
M. Eric Lowther: J'essaye de déterminer dans tout ceci comment le fait d'accorder des avantages aux personnes qui choisissent de vivre ensemble une année et qui nouent un genre de relations conjugales et je dirais sexuelles, car je ne vois pas d'autre définition, sert l'intérêt public. Il suffit de consulter un dictionnaire pour apprendre que «conjugal» désigne une union sexuelle entre époux. Par conséquent, à moins que la loi ne le définisse, je ne vois pas ce que cela pourrait être autrement. La loi n'en donne pas de définition. Comment le fait d'accorder ces avantages sert-il l'intérêt public?
Le vice-président (M. Ivan Grose): C'est une question. Je dois vous interrompre ici pour obtenir une réponse.
M. Eric Lowther: D'accord. J'ai d'autres questions.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Comme nous ne sommes que quatre, je suis sûr que nous aurons suffisamment de temps.
M. Eric Lowther: D'accord, très bien.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Qui veut répondre?
M. Bruce Ryder: Je me ferais un plaisir de répondre aux observations de M. Lowther.
Comme je l'ai dit dans mon exposé, je crois que l'on sert l'intérêt public de nombreuses façons si l'on respecte l'engagement pris en vertu de la Charte en matière d'égalité et si l'on réalise mieux les objectifs du gouvernement. Je crois que le problème exprimé au sujet de la nécessité d'une relation sexuelle, et de l'absence de clarté à ce sujet... Lorsque la Cour suprême du Canada déclare que ce n'est pas nécessaire, les tribunaux doivent suivre. Cela me paraît évident.
Comment expliquer que les gens craignent que le mariage soit menacé? Cela provient du fait que nous avons ici une situation juridique discriminatoire. Un des grands avantages de ce projet de loi pour ceux qui vivent dans le cadre de mariages traditionnels, et pour n'importe qui d'autre également, c'est qu'il supprime les caractéristiques discriminatoires de cette institution. C'est à mon avis un énorme avantage, car les Canadiens tiennent à l'égalité; ils tiennent à supprimer toute discrimination dans les lois fédérales. Je ne crois pas que les Canadiens veuillent vivre dans des institutions discriminatoires ou au sein d'une société qui refuse l'accès à des institutions sociales fondamentales en s'appuyant sur un motif illicite de discrimination.
Il me semble que l'une des réponses évidentes aux points soulevés par M. Lowther, c'est que le fait de combler l'énorme écart qui existe actuellement entre les personnes mariées et les autres qui entretiennent des relations équivalentes du point de vue fonctionnel représente un énorme avantage social. En comblant cet écart, il est beaucoup moins probable que les tribunaux invalident le mariage sous prétexte qu'il est une violation de l'article 15.
• 1200
Il me semble qu'on ne peut dire que du bien au sujet d'un
projet de loi qui supprime les effets discriminatoires du mariage
et qui permet de remplir notre engagement en matière d'égalité.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Ryder.
Monsieur Ménard, vous avez sept minutes. Puisque nous ne sommes que quatre, je vais être généreux, mais n'exagérez pas trop.
[Français]
M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Monsieur le président, vous me connaissez. La discipline est une grande vertu que je n'entends pas trahir ce matin, ne suivant pas en cela les traces de mon prédécesseur.
Je voudrais poser trois questions à nos témoins. La première concerne le témoignage très intéressant de la nation naskapie. Je crois comprendre deux ou trois choses à votre témoignage. Vous nous dites que la Charte canadienne des droits et libertés ne s'applique pas aux droits qui sont issus des traités et qu'elle ne s'appliquerait donc pas à certaines dispositions prévues par le projet de loi.
Par ailleurs, vous déclarez ne pas être contre l'égalité, mais dites qu'il y a des motifs religieux qui font qu'il y a un clivage entre des gens plus âgés et des gens moins âgés dans vos communautés.
Quand la ministre a comparu devant ce comité, je lui ai moi-même posé la question que mon collègue Claude Bachand, qui connaît bien le dossier des affaires autochtones, avait portée à mon attention. La ministre de la Justice m'a répondu qu'aucune disposition concernant les Premières Nations ne s'appliquerait sans qu'il y ait eu au préalable une négociation avec elles.
Est-ce que vous êtes au courant de la volonté de la ministre de faire en sorte que les dispositions vous concernant ne s'appliquent pas sans une négociation préalable avec vous? Ça, c'est la première chose.
Deuxièmement, croyez-vous malgré tout que si vous êtes laissés à vous-mêmes, vous allez travailler à reconnaître les conjoints de même sexe dans toutes les lois, puisque c'est une question de droit à l'égalité?
Veuillez répondre à ma première question. Je reviendrai à la deuxième.
[Traduction]
M. John Mameamskum: Tout d'abord, nous sommes ici uniquement pour protéger ce qui découle des accords et de la Constitution. Cela est imposé aux Naskapis sans modification et sans consentement de la part des Naskapis. Deuxièmement, nous sommes en faveur du projet de loi qui donne les mêmes droits aux couples de même sexe, si cela peut répondre à votre question. C'est une obligation constitutionnelle que le gouvernement du Canada doit aux Naskapis en vertu de l'accord. Toute modification nécessite notre consentement.
[Français]
M. Réal Ménard: Mais quand nous, les membres du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, allons passer au vote article par article et arriverons aux dispositions vous concernant, si nous retenons ces articles par respect pour les droits qui vous sont conférés en vertu des différents traités, notamment le droit de régler vous-mêmes ces questions-là, nous pouvons les retenir jusqu'à ce que la ministre ait négocié avec vous, comme elle nous a dit qu'elle le ferait, ou nous pouvons le faire en ayant la conviction que vous souscrivez au principe de l'égalité de tous les individus et que votre nation va y travailler à l'interne. C'est ce que je comprends.
[Traduction]
M. John Mameamskum: Nous avons demandé à la ministre de s'engager à ce sujet avant qu'une modification touchant les Naskapis ne soit adoptée par le gouvernement et nous attendons toujours la réponse de la ministre.
[Français]
M. Réal Ménard: Je vais demander au président.
Monsieur le président, je me rappelle bien que lors de sa comparution devant notre comité, la ministre McLellan—je la vois encore avec son petit tailleur gris, le sourire aux lèvres—nous a bien dit qu'aucune disposition concernant les Premières Nations n'entrerait en vigueur sans une négociation préalable avec elles. Vous rappelez-vous cela, monsieur le président?
[Traduction]
Vous en rappelez-vous?
Le vice-président (M. Ivan Grose): C'est ce dont je me souviens plus ou moins.
M. Réal Ménard: Vous voulez être satisfait à ce sujet.
M. Robert Pratt: J'aimerais répondre.
Les Naskapis ont demandé spécifiquement à la ministre de ne pas accepter de mettre en vigueur ces modifications sans le consentement des Naskapis et cet engagement n'a pas encore été reçu.
Il nous est très difficile de percevoir suffisamment de latitude dans le libellé de la loi qui permettrait de modifier les dispositions à la satisfaction des Naskapis. Nous préférerions que ces dispositions soient retirées et que les Naskapis et le Canada prennent conjointement une décision sur la façon de modifier la loi.
Les Naskapis aimeraient apporter beaucoup d'autres modifications à la loi. Il n'y a eu absolument aucune consultation avec les Naskapis. Nous avons entendu parler des modifications proposées lorsqu'elles ont été présentée au Parlement. Il n'y a pas eu de consultation préalable.
[Français]
M. Réal Ménard: Je continue, monsieur le président.
Évidemment, vous comprenez que la chicane est un peu prise chez les libéraux, mais laissez passer la fin de semaine, et je suis sûr que la ministre de la Justice va revenir. Nous avons eu la garantie en comité parlementaire, que la ministre entendait négocier. Évidemment, il faudra voir la forme que cela va prendre. Je crois comprendre que vous souscrivez au principe de l'égalité entre les individus, mais qu'il y a des obligations constitutionnelles qui font que vous devez être consultés au préalable. Si jamais ces obligations ne sont pas respectées, vous pourrez compter sur le Bloc québécois et sur d'autres parlementaires, je l'imagine, pour s'assurer qu'elles le soient. Nous comprenons bien le rôle spécifique qu'est le vôtre.
• 1205
Je voudrais maintenant échanger un peu avec l'Église
unie du Canada, qui a tenu un discours très
rafraîchissant, ce qui m'a amené à me faire la réflexion
suivante: les Églises
se suivent mais ne se ressemblent pas. Je sais qu'il
doit y en avoir pour tous dans ce milieu.
Je crois comprendre que vous appuyez le projet de loi C-23 parce que vous croyez que ça peut être un élément qui va venir reconnaître le caractère permanent ou la plus grande stabilité qui doit caractériser l'ensemble des unions. Vous croyez donc que les couples homosexuels peuvent faire preuve de stabilité. Est-ce que je comprends bien votre raisonnement?
[Traduction]
M. William Doyle: Oui, c'est certainement vrai. Dans le passé, les gais et les lesbiennes se sont toujours plaints du stéréotype selon lequel de telles relations sont passagères, etc., mais le fait est que la société dans son ensemble n'apporte aucun appui pour assurer la pérennité de ces relations; malgré cela toutefois, beaucoup de relations homosexuelles durent 30 ou 40 ans. Le fait est toutefois que le gouvernement ou le public n'ont jamais apporté d'appui à cet égard. Cela va complètement changer la situation.
[Français]
M. Réal Ménard: J'ai une dernière petite question, monsieur le président. Évidemment, la religion est quelque chose de personnel, mais je formulerais le voeu que certains membres du Parti réformiste soient aussi membres de l'Église unie du Canada. Je pense que cela amènerait une diversité de points de vue extrêmement enrichissante pour nos travaux.
Je vais maintenant interroger l'Association du Barreau canadien. Certains avocats et avocates qui ont comparu devant le comité nous ont suggéré d'inscrire dans le préambule du projet de loi la discrimination dont les communautés gaies et lesbiennes ont fait l'objet par le passé. Je crois, entre autres, que le Comité canadien d'action sur le statut de la femme nous a fait cette suggestion. Ça peut être un point de vue intéressant au niveau de la valeur interprétative pour les magistrats. Peut-être M. Ryder a-t-il une opinion là-dessus. Qu'est-ce que vous en pensez?
Mme Terry Hancock: Je m'excuse, monsieur Ménard, mais je vais vous répondre en anglais, parce que cela fait longtemps que j'ai parlé en français.
[Traduction]
Votre question porte sur l'interprétation d'un préambule et je crois que M. Ryder va pouvoir confirmer mes propos. Quand bien même nous tenons à avoir un préambule qui parle de l'objectif élevé et louable de non-discrimination à l'égard des gais et des lesbiennes, il n'est pas primordial à des fins d'interprétation. Le fait d'avoir un préambule à un projet de loi ne signifie pas nécessairement que l'ensemble du projet de loi doit être interprété par rapport au préambule. Son effet juridique est de valeur minime contrairement à son effet symbolique qui est très important.
[Français]
M. Réal Ménard: D'accord. Peut-être que M. Ryder peut nous dire ce qu'il en pense.
[Traduction]
Le vice-président (M. Ivan Grose): Monsieur Ménard, si c'est votre dernière question, je vous en serais reconnaissant.
M. Réal Ménard: C'est ma dernière question; je m'en vais par la suite, ce qui va vous attrister.
M. Bruce Ryder: C'est une idée intéressante. Un préambule n'a qu'une valeur interprétative. Toute la loi doit être interprétée d'une manière compatible avec les droits à l'égalité et avec les autres droits prévus par la Constitution, si bien que je ne suis pas sûr que cela ajouterait beaucoup de poids. Cela vaut toutefois la peine de l'examiner pour plus de certitude. Il est également possible, bien sûr, d'avoir une disposition interprétative dans le corps de la loi elle-même, peut-être comme modification à la Loi d'interprétation.
Le projet de loi du Vermont dont j'ai parlé et dont l'assemblée législative de cet État est actuellement saisie renferme une disposition interprétative dans le corps de la loi même indiquant aux tribunaux d'interpréter l'état civil d'union libre entre homosexuels, état civil parallèle à celui prévu pour le mariage, comme étant assorti exactement des mêmes droits et responsabilités que ceux prévus pour les époux. Il serait peut-être utile que le Parlement prévoit également ce genre d'indication dans le projet de loi C-23.
• 1210
Je crois qu'il vaut la peine de le dire non pas tant pour son
impact interprétatif, car je ne crois pas que cela ajoutera
beaucoup plus à ce que prévoit déjà l'article 15, mais cela
pourrait être symboliquement précieux et permettre d'indiquer
clairement que ce projet de loi découle d'un engagement en matière
d'égalité et vise à remplir cet engagement afin de traiter les
couples de gais et de lesbiennes de la même façon et avec le même
respect que les couples hétérosexuels.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Ménard.
Monsieur John McKay, vous disposez de sept minutes ou à peu près.
M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): J'aimerais parler de la question du mot «conjugal» car, de toute évidence, c'est un élément clé du projet de loi en matière d'interprétation.
Je me reporte à la note en bas de la page 9 du mémoire de L'Association du Barreau canadien qui est une description assez précise de ce que signifie le terme «conjugal» aux fins de la loi. Permettez-moi de la citer aux fins du compte rendu.
-
Ces éléments sont tirés d'un test servant à déterminer les
relations conjugales approuvé par la Cour suprême du Canada dans
M. c. H., supra, tiré de l'arrêt Molodowich c. Penttinen [...] La
Cour suprême reconnaît que ces éléments peuvent se retrouver dans
une relation à différents degrés et ne sont pas tous requis pour
établir l'existence d'une relation conjugale. La valeur que l'on
accorde à chacun d'entre eux dépendra des circonstances propres à
chaque cas.
Dans le corps du texte, il est fait mention des éléments à prendre en compte.
-
Ces critères pourraient être, entre autres, la cohabitation, les
biens communs, le comportement sexuel et personnel, les enfants, le
soutien financier et la perception sociale du couple.
La question que je veux poser d'abord à M. Ryder, puis à M. Doyle et à Mme Hancock, est la suivante: l'activité sexuelle est-elle un élément sine qua non d'une relation conjugale?
M. Bruce Ryder: Non. Pour les tribunaux, le facteur le plus important qui permette de déterminer si la relation est de nature conjugale, c'est le degré élevé d'interdépendance ou de dépendance économique dans la vie du couple. Cela a été l'élément central. Compte tenu de cet élément central, l'interdépendance économique et également l'interdépendance affective, tous les autres facteurs sont conçus pour aider les tribunaux à déterminer si ces caractéristiques fonctionnelles existent, s'il s'agit de relations déterminées, à long terme, interdépendantes et où le soutien est mutuel. Le fait d'entretenir des relations sexuelles indique que c'est le cas, mais ce n'est pas nécessaire.
Comme je l'ai dit plus tôt, lorsque la Cour suprême du Canada déclare que ce n'est pas nécessaire, aucun facteur n'est déterminant à lui seul, il est donc clair que ce n'est pas nécessaire. J'imagine que la grande majorité des relations conjugales renferment un élément sexuel, mais il y a également des relations conjugales où ce n'est pas le cas. Il y a beaucoup de mariages où ce n'est pas le cas.
M. John McKay: Je suppose que M. Doyle et Mme Hancock donneraient la même réponse, n'est-ce pas?
Mme Terry Hancock: Absolument.
M. John McKay: À partir de telles hypothèses, disons par exemple que le jour après l'adoption de ce projet de loi, quelqu'un entre dans le bureau de M. Doyle et déclare qu'il veut bénéficier des droits et des avantages du projet de loi C-23 tout en disant de manière fort explicite qu'il répond à tous les critères, mais que sa relation ne comporte pas d'éléments sexuels. Je suppose que M. Doyle serait prêt à plaider cette cause, n'est-ce pas?
M. William Doyle: Sans aucun doute, je pense. En ce qui concerne les couples de même sexe, ce serait la même chose qu'en ce qui concerne les couples de sexe opposé aujourd'hui. Les personnes peuvent faire une déclaration solennelle aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu que c'est le cas, et cette déclaration est acceptée. Il n'y a pas de raison pour laquelle cette déclaration ne serait pas acceptée dans le cas d'un couple de même sexe également.
M. John McKay: La façon dont le gouvernement a fait la promotion de ce projet de loi—n'oubliez pas que je suis un député de la majorité—a consisté essentiellement à dire qu'il s'agit d'aligner simplement les conjoints homosexuels de fait sur les conjoints hétérosexuels de fait. Jusqu'à présent, aucune déclaration n'a été faite selon laquelle la sexualité n'a peut-être rien à voir avec la nature conjugale d'une relation—les relations sexuelles n'ayant rien à voir avec la nature conjugale d'une relation et ne constituant pas un élément nécessaire de la nature conjugale d'une relation. À mon avis, cela modifie entièrement la nature du projet de loi, car cela ouvre la porte à toutes sortes d'autres relations dépendantes et interdépendantes, n'est-ce pas?
M. Bruce Ryder: Je pense que vous avez raison, surtout lorsque l'on s'en tient à la jurisprudence qui interprète ce qu'est la «nature conjugale d'une relation» depuis les dernières décennies. La jurisprudence est assez importante maintenant, parce que les provinces ont ajouté des définitions de conjoint de fait dans beaucoup de leurs lois, surtout depuis les années 70. Il est évident qu'il s'agit d'un concept en pleine évolution. Je crois que nous pourrions trouver des exemples dans le passé où la nature conjugale d'une relation était un concept applicable uniquement au mariage, cela étant probablement l'interprétation dominante.
M. John McKay: Historiquement, c'est vrai.
M. Bruce Ryder: Puis, c'est devenu semblable au mariage, sans se limiter exclusivement au mariage.
Je pense qu'il y a une évolution—et l'affaire M. c. H. cristallise cette évolution—jusqu'au point où l'on en arrive presque à une situation semblable à celle du mariage, qui s'éloigne un peu plus de la compréhension historique de ce qu'est le mariage. Par conséquent, dans l'affaire M. c. H., la Cour suprême du Canada décrète que la sexualité ou les relations sexuelles ne sont pas une condition nécessaire. Comme vous le dites, monsieur McKay, il s'agit d'un élément de la définition...
M. John McKay: Oui.
M. Bruce Ryder: ... qui ne lui est toutefois pas nécessaire.
Je crois que cela reflète les changements dans la façon dont nous considérons ce qui est important dans des relations personnelles adultes et ce qui est essentiel au sujet du mariage. Auparavant, le rôle du mariage en matière de procréation et de continuité des familles était sa principale raison d'être. Aujourd'hui, dans les démocraties libérales modernes, on pense que la raison d'être dominante du mariage, c'est la qualité du soutien affectif et économique que s'apportent les deux conjoints d'un couple.
M. John McKay: Du point de vue du gouvernement, la grande question de politique qui se pose c'est que si la nature conjugale d'une relation sous-entend des relations sexuelles—c'est-à-dire, si le conjoint homosexuel de fait est égal au conjoint hétérosexuel de fait—cela équivaut à 10 millions de dollars. Si en fait, cela vise d'autres relations dépendantes, c'est beaucoup plus que 10 millions de dollars. J'imagine—et je spécule bien sûr—que cela est plutôt de l'ordre de 300 millions de dollars.
En fait, en n'assortissant pas la définition de la «nature conjugale d'une relation» d'un élément sexuel comme condition sine qua non, vous laissez aux tribunaux le soin de définir ce que la nature conjugale d'une relation peut vouloir dire dans n'importe quelle relation. Pour reprendre l'exemple de M. Doyle relatif aux transferts libres d'impôt, M. Doyle recevrait sans doute dans son bureau un couple de n'importe quelle description souhaitant réaliser le transfert libre d'impôt d'un RER, ou d'autre chose, comme dans le cadre d'un mariage.
À votre avis, le gouvernement devrait-il «sortir du placard» et dire que la nature conjugale d'une relation renferme, par définition, un élément sexuel, que les relations sexuelles sont une condition sine qua non de la nature conjugale d'une relation?
M. Bruce Ryder: En d'autres termes, donner une définition explicite dans la loi, monsieur McKay?
M. John McKay: Exactement, une définition explicite.
M. Bruce Ryder: Personnellement, je ne crois pas que ce soit la bonne façon de procéder, car lorsqu'on examine tout l'éventail des lois fédérales traitant de questions comme le conflit d'intérêts, les prestations de pension, les droits aux prestations en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, etc., on s'aperçoit que la raison d'être de tout ceci, c'est essentiellement de réagir aux conséquences des relations interdépendantes économiques et affectives. Il ne s'agit pas des conséquences propres aux relations sexuelles.
Dans une grande mesure, je crois que l'on peut affirmer qu'il n'est absolument pas pertinent de préciser l'existence de relations sexuelles ou non et que par conséquent cela ne devrait être pertinent que dans la mesure où cela permet de décider que la relation en question présente des caractéristiques qualitatives d'interdépendance économique et affective qui sont pertinentes en ce qui concerne les objectifs du gouvernement fédéral en matière de politique législative.
• 1220
J'aimerais aussi rapidement vous rassurer au sujet des coûts.
Je ne pense pas que les implications soient actuellement si
importantes—c'est-à-dire les implications qui découlent de
l'assouplissement et de l'évolution de l'interprétation juridique
de la relation «conjugale», et cela pour une ou deux raisons.
Évidemment, le projet de loi traite des avantages et des
obligations. Il prévoit bien des façons d'accorder des avantages,
mais il en prévoit aussi beaucoup qui entraînent la perte
d'avantages—par exemple, si des personnes vivant ensemble doivent
combiner leurs revenus pour déterminer leur admissibilité au
supplément de revenu garanti conformément à la Loi sur la sécurité
de la vieillesse.
Voilà pourquoi je ne pense pas que les implications financières de cette mesure soient aussi importantes. Quoi qu'il en soit, comme je l'ai déjà dit, je pense qu'il y a un écart entre cette nouvelle interprétation juridique de la relation conjugale et l'interprétation qui a cours dans la société. Je pense que la plupart des gens associent union conjugale à relation sexuelle. Je ne pense pas qu'il y ait vraiment beaucoup de couples vivant ensemble sans avoir de relations sexuelles qui veulent s'afficher comme conjoints de fait, parce que l'union de fait suppose qu'ils sont aussi partenaires sexuels.
Les choses peuvent toujours changer, mais je pense qu'actuellement il y a un écart entre ce que la société entend par relation conjugale et la définition juridique de conjoint de fait. Je ne crois donc pas qu'une foule de gens vont revendiquer ce statut s'ils vivent ensemble sans avoir de relations sexuelles.
M. John McKay: Je suis prêt à accepter votre point de vue pour ce qui est des implications juridiques. Dans le cas des implications financières, je le suis moins.
M. Bruce Ryder: Très bien.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci monsieur McKay.
Monsieur Lowther, vous avez trois minutes.
M. Eric Lowther: Pour poursuivre sur le même sujet, il est intéressant d'entendre M. Ryder dire que cette relation peut supposer une interdépendance économique. Il semble que c'est tout à fait contraire à la façon dont la ministre de la Justice conçoit le projet de loi. Elle a indiqué clairement—et je crois que c'est devant notre comité—que ce projet de loi ne parle pas de dépendance. Elle a dit qu'il traite de relations conjugales entre conjoints de même sexe et de sexe opposé. Puis, selon le Vancouver Sun, elle aurait reconnu que le projet de loi s'applique aux couples engagés dans une relation conjugale. Elle ajoutait que la relation de dépendance est très complexe et pouvait avoir d'importantes répercussions et que le projet de loi ne s'attaquait pas à cela, qu'il ne traitait que des relations conjugales.
Il semble donc que c'est seulement s'il y a... Pour moi c'est encore obscur. Pour la plupart des gens, la relation conjugale suppose un lien sexuel et non un lien de dépendance. Il n'est pas question de dépendance, selon la ministre; le projet de loi ne traite pas de la dépendance. Donc, s'il n'est pas question de dépendance, il me semble qu'il est question de rapports sexuels. Nous accordons des avantages en partant du principe qu'il y a relation sexuelle intime. Je ne suis pas sûr que c'est ce que veulent les Canadiens.
Je pense que la Nation naskapie présente un argument très valable; en effet, elle aimerait être consultée avant que la mesure soit présentée en raison de ses répercussions possibles sur les ententes découlant de traités et tout le reste. Je pense que cela correspond probablement à ce que beaucoup de Canadiens pensent. C'est du moins ce que pense le Parti réformiste auquel j'appartiens.
Nous parlons d'équité dans ce projet de loi. Par souci d'équité, je pense qu'on devrait retenir la suggestion de la Nation naskapie qui propose qu'on demande l'avis des citoyens avant de leur soumettre la mesure. Nous accueillons cinq avocats aujourd'hui. Je ne suis pas avocat, mais un simple profane. M. McKay est avocat et il pose des questions plus pertinentes que moi sur le sujet. Mais je pense qu'on ferait preuve d'équité en permettant aux Canadiens de donner leur avis.
En fait, en toute équité, le gouvernement devrait permettre un vote libre là-dessus. Je ne pense pas que ce sera le cas; je crois que les membres du parti ministériel devront voter en faveur du projet de loi, qu'ils soient d'accord ou non. Je dois dire que certains croyant que leurs électeurs s'opposeraient à cette mesure ont choisi de voter non pas selon la politique de leur parti mais selon la volonté de leurs électeurs. Je les en félicite.
• 1225
En toute équité, je pense qu'il faudrait permettre au
Parlement de mieux débattre de cette question. Nous en avons
discuté pendant quatre heures et demie, puis on a eu recours à la
clôture pour mettre fin au débat.
Je pense qu'il faudrait aussi faire preuve d'équité à l'égard de ceux qui veulent témoigner devant notre comité mais, à cause de délais serrés, nous ne pourrons pas entendre des opinions comme celles de la Nation naskapie qui présenteraient un point de vue différent.
Je pense qu'il n'est pas équitable non plus d'exclure certaines relations. La ministre de la Justice soutient qu'il n'est pas question de dépendance. M. Ryder est d'avis que la dépendance économique pourrait être admissible. Pourtant, pour la ministre de la Justice, ce n'est pas le cas. Nous allons donc accorder les avantages liés au mariage et à la famille à deux personnes de même sexe parce qu'ils ont une relation sexuelle mais, dans le cas de ceux qui n'ont pas de relations sexuelles mais qui achètent des cadeaux et autres choses, la situation n'est pas claire. Est-ce qu'ils sont admissibles? Apparemment non, selon la ministre de la Justice et, pour moi, ce n'est pas juste. C'est de la discrimination, si jamais il y avait discrimination.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Monsieur Lowther, voulez- vous poser votre question, je vous prie.
M. Eric Lowther: Ma question s'adresse aux représentants de la Nation naskapie. Si on vous avait présenté la mesure comme vous nous l'avez expliqué—c'est-à-dire si le gouvernement vous avait vous consulté et que votre peuple avait pu donner son avis—pensez- vous que votre peuple aurait approuvé un projet de loi de ce genre, qui considère que des relations homosexuelles entre conjoints du même sexe sont équivalentes à des relations hétérosexuelles entre conjoints mariés et de fait de sexe opposé?
Merci.
M. John Mameamskum: Comme nous l'avons dit, nous n'avons pas beaucoup consulté les gens à ce sujet. Il reste que cette question aurait fait l'objet d'un référendum. Nous avons le droit de tenir des référendums...
M. Eric Lowther: Bonne idée.
M. John Mameamskum: ... conformément à la Loi sur les Cris et les Naskapis. Ce qui nous inquiète le plus, ce sont les amendements adoptés sans notre consentement. C'est surtout pour cette raison que nous comparaissons devant le comité.
M. Eric Lowther: Merci beaucoup. C'est très bien.
Le vice-président (M. Ivan Grose): J'aimerais dire que, pour moi, l'étude en comité correspond à l'étape de la consultation. Voilà pourquoi nous recevons des témoins. Nous avons entendu beaucoup de témoins et le projet de loi peut toujours être amendé. Il y a des consultations en cours.
Monsieur DeVillers, vous avez trois minutes.
Si vous êtes d'accord, étant donné que nous avons assez de temps, je pense que trois minutes ne suffisent pas. On pourrait accorder sept minutes à chacun pour un dernier tour avant de conclure la discussion. Est-ce que vous êtes tous d'accord?
Des voix: Oui.
M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Merci monsieur le président. Je n'ai qu'une question à poser et je vais laisser M. McKay écouler le reste de mes sept minutes.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Non, vous avez seulement trois minutes. La période sept minutes commence après vous.
M. Paul DeVillers: D'accord. Je m'excuse.
J'aimerais revenir à la définition de relation conjugale donnée par M. Ryder, qui dit que les relations sexuelles ne sont qu'une des caractéristiques de cette définition.
Plus précisément, je me demande si une relation mère-fille ou une relation entre personnes qui vivent ensemble sans avoir de relations sexuelles constitue, selon vous, une relation de nature conjugale dans le contexte du projet de loi.
M. Bruce Ryder: Comme je l'ai déjà dit, tout dépendra du contexte et de la loi qui est en cause, parce que les définitions légales sont toujours interprétées en fonction de l'application de la loi. Mais, habituellement, les tribunaux vérifient si les faits montrent qu'il s'agit d'une relation amoureuse engagée dans laquelle les conjoints subviennent à leurs besoins économiques et affectifs. Si c'est le cas, il y a des mesures pertinentes à toute une série de lois fédérales qui s'appliqueront probablement.
Je pense qu'il est très difficile de se prononcer en fonction du genre de relations—parents et enfants, personnes qui partagent un logement ou amis. C'est une analyse beaucoup plus spécifique. Nous ne pouvons pas généraliser. Tout dépend des aspects qualitatifs de la relation, c'est-à-dire s'il y a engagement à long terme, si les partenaires déclarent qu'ils se sont engagés à long terme à subvenir à leurs besoins affectifs et économiques et à vivre ensemble. Si c'est le cas, je pense que les tribunaux vont probablement considérer qu'il s'agit d'une relation conjugale parce qu'elle est conforme à l'application de cette loi?
J'ai parlé du supplément de revenu garanti. L'admissibilité à ce supplément aux termes de la Loi sur la sécurité de la vieillesse est déterminée essentiellement par les besoins et les ressources du ménage. Il apparaît alors raisonnable, si des personnes vivent ensemble et ont l'intention de continuer à le faire, de tenir compte du revenu des personnes vivant dans ce ménage.
• 1230
Parler de cela en théorie peut paraître assez curieux mais
c'est plus facile de répondre, je pense, si on examine une
situation concrète, ce que les juges et d'autres décideurs auront
à faire, dans le contexte d'une loi particulière—pour se demander,
par exemple, si deux personnes entretiennent une relation assez
intime pour être visées par les lignes directrices sur les conflits
d'intérêts.
M. Paul DeVillers: Bien mais, en théorie, je ne suis pas sûr de ce qui se passe. Cela me paraît encore confus.
Merci.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci monsieur DeVillers.
Nous commençons maintenant un tour de sept minutes, ce qui vous donnera plus de temps pour vous exprimer ou poser des questions.
C'est au tour de M. Lowther.
M. Eric Lowther: Si vous êtes d'accord, monsieur le président, j'aimerais mieux prendre la parole après M. McKay.
Le vice-président (M. Ivan Grose): D'accord—c'est comme vous voulez. Nous fonctionnons de façon démocratique.
M. John McKay: J'aimerais revenir à l'imprécision que vous avez signalée, à savoir que c'est toujours le contexte qui va déterminer s'il s'agit d'une relation conjugale, et prévoir où le projet de loi sera contesté. Cela va probablement se passer dans le bureau de M. Doyle.
N'est-il pas possible qu'une relation solide de 20 ans, qui a tout d'une relation conjugale sauf le sexe, ne soit pas considérée admissible aux droits, avantages et obligations visés par ce projet de loi tandis qu'une relation d'un an qui a tout d'une relation conjugale y compris le sexe, le soit, ce qui, à certains égards, créerait une autre forme de discrimination?
Autrement dit, pour éliminer une certaine forme de discrimination, le projet de loi en crée une autre. Est-ce une interprétation raisonnable des effets possibles du projet de loi?
M. Bruce Ryder: C'est possible, j'imagine, que les juges interprètent la nature conjugale d'une relation d'une façon qui paraisse discriminatoire à certains d'entre nous. Mais si la décision est rendue par des juges de tribunaux inférieurs, par exemple, et que la Cour suprême du Canada statue que la définition d'une relation conjugale est extrêmement souple, les juges ne vont pas annuler les définitions; ils vont les interpréter d'une façon qui est conforme aux droits à l'égalité. Ils concluront qu'il est discriminatoire d'exclure les relations en question et qu'il convient de les inclure pour l'application de cette mesure législative.
Vous savez, comme je l'ai déjà dit, je pense que nous parlons... Je veux souligner qu'il est facile de critiquer cette définition. Elle donne lieu à des incertitudes, et c'est malheureux. Mais il est beaucoup plus difficile d'en rédiger une meilleure.
Même en réunissant les meilleurs juristes, il sera très difficile d'en arriver à une définition précisant les couples qui peuvent être visés par toute cette série de lois fédérales, et il y aura des incertitudes. C'est pourquoi je tiens à signaler à tous les membres du comité et au gouvernement que la meilleure façon de contourner ces difficultés—les difficultés que vous avez soulevées, monsieur Lowther, et celles que d'autres membres du comité ont soulevées—est de permettre à un plus grand nombre de personnes de déclarer leur relation et de demander que toute cette série de lois s'appliquent à eux. Nous ne voulons pas vivre avec l'incertitude de cette définition. Nous ne voulons pas que l'État puisse s'ingérer dans nos vies privées. Donnez-nous la possibilité de nous marier ou de déclarer que nous vivons dans une relation comparable au mariage.
Cette mesure comporte de nombreux avantages et j'espère que le gouvernement l'examinera sérieusement.
M. John McKay: À certains égards, le gouvernement va à contre-courant. Il aurait dû parler de partenaires domestiques plutôt. Il y aurait des partenariats domestiques enregistrés et d'autres non enregistrés. On définit alors l'univers de la dépendance et on élimine les problèmes. Vous avez complètement négligé la question de la protection de la vie privée parce que ceux qui veulent déclarer leur relation seront admissibles et ceux qui ne la déclarent pas ne le seront pas.
En fait, le projet de loi crée un autre régime discriminatoire avec ingérence.
M. Bruce Ryder: Je ne crois pas qu'il soit discriminatoire. Je pense qu'on peut l'interpréter d'une façon qui respecte les droits à l'égalité inscrits dans la Charte, et nos tribunaux vont l'interpréter en conformité avec la Charte.
Les définitions de cette nature ne peuvent être appliquées sans entraîner une certaine ingérence dans la vie privée des gens. L'application des régimes provinciaux d'aide sociale nous l'a appris et nous pouvons probablement trouver d'autres exemples d'ingérence dans les programmes fédéraux. Mais je ne pense pas qu'il soit honnête de proposer à la place de ne pas avoir de définition, outre celle du mariage ou du partenariat civil enregistré.
Il reste que—et c'est la raison pour laquelle on définit les conjoints de fait dans diverses lois provinciales sur le droit de la famille—il y aura toujours des gens qui vont choisir de ne pas déclarer leur relation ou qui voudront le faire, mais pas leur partenaire, ou qui ont l'intention de maintenir le statut d'une première union. Si nous ne prévoyons rien pour eux, ils risquent d'être victimes d'exploitation économique et de ne pas avoir accès à toute une série de lois fédérales très fondamentales. Je pense donc que nous avons besoin des deux régimes.
M. John McKay: Nous sommes du même avis à ce sujet. C'est pourquoi j'aimerais qu'il y ait deux régimes parallèles, un régime avec enregistrement et un sans enregistrement. Les droits et les obligations seraient semblables, mais ceux qui n'ont pas déclaré leur relation devraient, selon la prépondérance des probabilités, prouver qu'ils entretiennent une relation de dépendance. Je pense qu'on éliminerait ainsi beaucoup de problèmes.
Il me reste une ou deux minutes. Pourriez-vous nous expliquer rapidement ce que le Vermont a fait quand il a été confronté au même problème?
M. Bruce Ryder: Avec plaisir, monsieur McKay.
J'imagine que les membres du comité savent qu'une décision a été rendue dans l'affaire Baker v. State par le tribunal de dernière instance du Vermont en décembre 1999, je pense. La décision stipulait que la définition de mariage dans l'État du Vermont était contraire à la Constitution et que les avantages et les droits prévus dans toutes les lois du Vermont s'appliquaient également aux couples de gais et de lesbiennes. On pouvait donner suite à cette décision soit en changeant la définition du mariage pour permettre le mariage entre personnes du même sexe ou en adoptant une loi équivalente—prévoyant un régime de partenariat civil enregistré ou une autre mesure semblable.
Autant que je sache, l'assemblée législative du Vermont a décidé, après plusieurs mois de délibérations, de choisir la deuxième solution—c'est-à-dire de ne pas modifier la définition du mariage mais d'adopter une loi équivalente sur les «unions civiles». Le projet de loi est très simple. Le Comité de la justice de l'État vient d'en terminer l'étude et les deux chambres du Vermont sont sur le point d'en être saisies.
Le projet de loi crée un régime d'enregistrement dont s'occuperont les bureaux qui accordent les permis de mariage. Le régime est ouvert seulement aux couples du même sexe qui sont adultes et ne font pas partie des catégories de personnes interdites. Il accorde un ensemble de droits et d'obligations équivalents à ceux que possèdent actuellement les conjoints mariés, conformément aux lois du Vermont.
M. John McKay: Que prévoit-il pour les couples hétérosexuels qui vivent en union de fait?
M. Bruce Ryder: Il ne traite pas des conjoints non mariés ou non enregistrés.
Les membres du comité savent peut-être aussi que le Canada a fait beaucoup plus que les États-Unis, et bien des pays européens, pour reconnaître les droits des conjoints de fait. Le Vermont n'a pas traité précisément de cette question dans ce projet de loi.
Le président: Merci monsieur Ryder.
Monsieur Lowther, vous avez sept minutes.
M. Eric Lowther: Je pense que je n'aurai pas d'autres questions après ce tour. Je remercie les témoins de leur patience. Il n'est pas nécessaire de nous éterniser là-dessus, mais je pense que nous avons progressé aujourd'hui.
Certes, les juristes et les témoins qui ont comparu devant nous, sauf peut-être les représentants de la Nation naskapie, approuvent le projet de loi et ne veulent pas qu'il soit modifié. Maintenant, on semble reconnaître que le projet de loi va entraîner une certaine ingérence dans la vie privée. C'est ce que dit M. Ryder, et je suis d'accord avec lui.
• 1240
Il est vrai que les gens qui veulent savoir s'ils répondent
aux critères établis doivent s'adresser aux tribunaux. Maintenant,
l'État va s'ingérer dans la vie des gens pour savoir si leur
relation les rend admissibles ou non. Je pense que ce n'est pas la
place de l'État.
Nous préférerions qu'il existe un système auquel les gens pourraient adhérer ou non pour empêcher l'État de s'ingérer dans la vie privée des gens afin de déterminer la nature d'une relation intime. Malheureusement, le projet de loi ne propose pas un système de ce genre. J'inviterais les témoins à revenir sur leur position et à proposer des amendements qui nous permettraient de moins nous ingérer dans la vie privée des gens—ce qui n'est probablement acceptable.
De plus, je pense qu'il appartient aux membres... Certes, on discute beaucoup à la Chambre de l'importance des enfants et de l'intérêt des enfants. C'est ce dont j'aimerais parler maintenant pour vous poser une question, bien sûr.
L'enquête longitudinale nationale de Statistique Canada fournit des informations utiles sur les enfants. Elle nous apprend des choses très intéressantes. On voudrait que la politique gouvernementale favorise, fasse valoir ou entérine ce qui fonctionne, d'après ce que nous savons.
Voilà certains faits que nous avons constatés. On apprend que les enfants nés de parents qui sont mariés et n'ont pas vécu en union de fait avant le mariage risquent à peu près trois fois moins de vivre dans une famille éclatée que les enfants dont les parents vivaient en union de fait au moment de leur naissance et ne se marient pas par la suite. Donc, une famille risque trois fois moins d'éclater si les parents sont mariés. Les enfants nés de familles traditionnelles, c'est-à-dire dont les parents sont mariés et n'ont pas vécu en union de fait avant le mariage, sont les moins susceptibles, à 13,6 p. 100, de vivre dans une famille éclatée avant l'âge de 10 ans.
Il faut comparer cette situation aux situations auxquelles nous voulons offrir les mêmes avantages. Ce sont les chiffres—tirés d'une étude du gouvernement fédéral—sur les enfants nés d'une union de fait qui sont vraiment les plus frappants. À l'âge de 10 ans, 63 p. 100 de ces enfants—par rapport à 14 p. 100 des enfants nés de parents mariés—vivent dans des familles éclatées, ce qui confirme que les unions de fait sont de courte durée, même quand il y a des enfants. Même si nous voulons peut-être ignorer les faits, les couples formés de partenaires du même sexe ne peuvent naturellement pas avoir d'enfants. J'apprends peut-être quelque chose à certains, mais ce n'est tout simplement pas possible. Il est prouvé qu'une mère et un père qui sont mariés et qui sont engagés l'un envers l'autre ont une relation qui fonctionne.
Il me semble qu'il serait raisonnable que la politique gouvernementale reconnaisse que cette relation fonctionne et procure des avantages d'intérêt public, parce qu'elle permet de transmettre des valeurs aux enfants qui en sont issus et de leur apprendre à devenir des citoyens responsables. Il est démontré que ce genre de relation fonctionne. Les faits le prouvent.
Je ne vois pas où est l'intérêt public—l'intérêt de la société—à accorder les avantages de la famille à deux hommes ou à deux femmes qui décident de vivre ensemble pendant un an et qui ont une certaine stimulation sexuelle, parce qu'en fait ils ne peuvent avoir de rapports sexuels. C'est biologiquement impossible quand ils sont du même sexe.
Je le répète, je ne tiens pas à entrer dans ces sujets, mais ce sont les faits. Nous devons en tenir compte.
Nous parlons d'égalité et de justice, mais nous négligeons le fait que la politique publique doit veiller à l'intérêt public. Je ne vois pas en quoi ces relations peuvent servir l'intérêt public. C'est un autre des éléments qui nous troublent dans cette loi.
J'aimerais bien avoir l'avis de la Nation naskapie à ce sujet.
M. Robert Pratt: Dans notre document d'information, nous informons le comité de notre avis sur l'objet de la loi. Mais comme l'ont fait remarquer les autres témoins de la Nation naskapie, il n'y a pas eu de véritable consultation.
• 1245
Là où nous voulons en venir, dans notre mémoire, c'est que les
droits attribués aux Naskapis par traité ne sont pas régis par la
Charte. Il n'est pas nécessaire que le gouvernement amende la Loi
sur les Cris et les Naskapis parce qu'elle ne relève pas de la
Charte en ce qui concerne les droits issus des traités. Nous
demandons au gouvernement, s'il juge nécessaire de modifier le
traité tel qu'il est dans la Loi sur les Cris et les Naskapis, de
venir en discuter les Naskapis. C'est un droit issu de traité. Vous
n'avez pas le droit d'amender le traité, ni de modifier la loi du
gouvernement local qui relèvent directement du traité. Nous sommes
disposés à discuter avec vous du contenu du projet de loi C-23,
mais vous devez être prêts à parler avec nous. C'est notre droit,
qui nous revient par traité. Nous n'irons pas plus loin, pour le
moment.
Merci.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Pratt.
Monsieur Lowther? Madame Carroll. Nous avons profité de votre courte absence pour changer les règles. Vous avez donc sept minutes.
Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): Merci, monsieur le président. On sent l'approche de la St-Patrick.
Je m'excuse d'avoir dû m'absenter; ainsi va la vie, ici. Mais puisque j'ai manqué cette partie et que je peux lire le compte rendu du débat—comme je le fais toujours—, puisque c'est la transcription exacte des propos tenus ici, je ne serai pas vexée si ce que je comptais porter à l'attention, tout d'abord de l'Association du Barreau canadien, mais aussi de Mme Ryder, a déjà été traité. Alors ne vous gênez pas pour me dire «nous en avons déjà parlé, c'est dans le compte rendu».
Hier, une certaine madame Holland, de l'université Western Ontario, est venue témoigner devant le comité et, la semaine qui a précédé la relâche, je crois, nous avons entendu une professeure de l'université Queen's dont le nom m'échappe. Ces deux professeures de droit—et mes copains du Barreau canadien le savent, je ne dois mon diplôme en droit qu'aux vertus de l'osmose, donc, je laisse entièrement la question entre vos mains—ces deux professeures, dis-je, ont déclaré que cette loi pourrait en fait déclencher d'autres mesures législatives à cause de conflits avec la Charte. Cela me préoccupe quelque peu, et j'aimerais connaître votre avis sur la question, et qu'il figure au compte rendu.
Si vous permettez, je vais citer un propos qu'a tenu Mme Holland hier—puisque j'ai dû retourner à mon bureau, j'ai pu y prendre un certain document—elle disait que la création d'un nouveau partenariat de fait revenait en réalité à emprunter une autre voie que celle que préconise la jurisprudence et qu'en réalité, on assiste depuis quelque temps, en matière de jurisprudence au Canada—j'ai sa déclaration ici—à «une assimilation du mariage avec la cohabitation». D'après elle, cette nouvelle catégorie n'est pas nécessaire et va, comme je l'ai dit, à l'encontre du processus ou du flux jurisprudentiel actuel.
Maintenant, j'aimerais bien entendre vos commentaires, madame Ryder, et aussi ceux de Mme Hancock ou de Mme Bercovich. En a-t-il été question en mon absence, monsieur le président?
Le vice-président (M. Ivan Grose): Non.
Mme Terry Hancock: Non, pas du tout.
Mme Aileen Carroll: D'accord. Merci.
Mme Terry Hancock: J'aimerais répondre à votre question, parce qu'elle concerne certainement une grande part de l'appui que donne l'Association du Barreau canadien à ce processus.
Comme je l'ai dit dans mon mémoire, les tribunaux ont déjà élargi la définition du terme «époux». En créant une catégorie distincte, vous empruntez la voie de la distinction sémantique, et les mots sont très importants pour les avocats. Il est possible, comme Mme Winifred Holland l'a dit, qu'en créant un terme différent, on s'expose aux conflits. C'est exactement le genre de traitement distinct mais égal qui a été rejeté dans l'arrêt Moore et Akerstrom parce qu'il créait une catégorie distincte fondée sur l'orientation sexuelle. Nous ne savons pas, par exemple, s'il existait dans la Charte un article selon lequel un conjoint de fait qui a les droits et les avantages des couples mariés... si le tribunal considérerait la différence de termes comme une violation potentielle de la Charte.
Je pense que ce qu'il faut bien souligner, c'est que cela revient à un compromis politique. Il y a beaucoup de lesbiennes et de gais qui aimeraient pouvoir se dire des époux. Leur relation ressemble en tous points à celle qu'entretiennent tous les couples hétérosexuels mariés. Les tribunaux en débattent depuis une vingtaine d'années. Nous en sommes arrivés au point, ces cinq dernières années, où les tribunaux ont élargi, plutôt que de restreindre, la définition du terme.
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Dans l'affaire Rosenberg en particulier, le tribunal a déclaré
que l'article 52 de la Charte—la disposition attribution de
prépondérance—exigeait que le terme «époux», en vertu de la Loi de
l'impôt sur le revenu, article 252, soit élargi pour englober les
conjoints de même sexe. Et c'est le problème qui se pose ici; oui,
cela peut créer de nouveaux litiges et oui, il y aura un débat sur
les compromis politiques. Je pense que les gens comme
Mme Holland—et à ce que je comprends, Mme Bailey en a parlé dans
son témoignage aussi—essaient probablement de faire comprendre au
comité que cela fait partie de la problématique.
M. Bruce Ryder: Je crois qu'il est important de faire la distinction entre la question de fond et la question symbolique, parce que dans le fond, le projet de loi C-23 suit la voie que vous avez décrite; c'est-à-dire qu'elle est conforme à la tendance à l'assimilation des couples mariés et non mariés en ce qui concerne leurs droits et leurs obligations. Mais moi aussi, comme Terry vient de le dire, je crois qu'il y a un problème de préoccupation symbolique à cause de la manière dont c'est formulé.
Le projet de loi 5, qui a été adopté par le gouvernement de l'Ontario l'automne dernier en réponse à la décision rendue dans l'affaire M. c. H., présentait le même problème, parce que le gouvernement de l'Ontario avait choisi de réserver le terme «époux» aux couples hétérosexuels et créé une nouvelle terminologie juridique pour désigner les partenaires de même sexe, non pas des époux, et a mis l'accent sur le fait qu'il cherchait, ce faisant, à préserver l'image traditionnelle de la famille. Bien entendu, le projet de loi C-23 fait un choix différent qui, à mon avis, est loin d'être aussi discriminatoire que celui du gouvernement de l'Ontario.
Je pense que la question que poserait un tribunal au sujet du projet de loi 5, le projet de loi de l'Ontario, est: pourquoi? Y avait-il une bonne raison de vouloir créer un statut juridique distinct? La réponse du gouvernement a été que c'était pour préserver la famille traditionnelle, voulant dire par là que les familles gaies et lesbiennes... Toute la rhétorique donnait à penser que les familles gaies et lesbiennes étaient moins valables.
Je crois que la situation qui se pose maintenant est différente. Le terme «époux» est maintenant réservé dans les lois fédérales aux maris et femmes et l'expression «conjoint de fait» a été ajoutée pour englober tous les couples de fait, qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels. Il n'y a pas de discrimination, donc, dans la catégorie des conjoints de fait, mais il y en a cependant une entre la catégorie de l'époux et du partenaire, parce que la catégorie de l'époux qui, apparemment, revêt une grande signification pour beaucoup de gens et pour le gouvernement ontarien, et peut-être même d'autres gouvernements, n'est toujours pas accessible aux couples de lesbiennes et de gais.
En fait, je crois qu'en bout de ligne, ce que cela démontre c'est que la définition du mariage est discriminatoire. Si le gouvernement souhaite supprimer toute discrimination des lois fédérales, alors comme je l'ai suggéré, il faut, soit reformuler la définition du mariage pour en éliminer la notion de sexe opposé, soit choisir la solution que l'assemblée législative du Vermont envisage en ce moment et établir un statut parallèle qui englobe tous les droits et obligations attribués aux couples mariés.
Mme Aileen Carroll: J'étais là lorsque vous avez parlé de la solution du Vermont, alors je l'apprécie, et comme je l'ai dit, nous avons aussi le compte rendu de la discussion. Je vous remercie de votre intervention. Je pense qu'il est important que vos propos soient au compte rendu, puisque les intervenants sont des proposants et des enseignants du domaine juridique. Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Saada, y a-t-il quelque chose...? Non.
D'accord, puisque c'est ainsi, monsieur Grose, vous avez la parole.
M. Ivan Grose: J'aimerais ajouter quelque chose que j'avais eu l'intention de dire si j'avais encore occupé le fauteuil. J'aimerais remercier particulièrement le Peuple naskapi qui a remis ce mémoire avec quelques jours d'avance. Ainsi, j'ai pu le lire à tête reposée le soir. Autrement, j'aurais probablement lu quelque chose de plus stimulant mais de moins productif. Dans mon cas, cependant, j'apprécie lorsque nous recevons les mémoires à l'avance, parce qu'alors, nous pouvons venir aux audiences bien préparés. Merci.
[Français]
M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Je viens de me rendre compte que ma réponse pourrait prêter à confusion. Alors, je préfère clarifier les choses. Je ne me sens pas en mesure de vous poser des questions très concrètes, très précises, et surtout très intelligentes, ayant été obligé, par devoir envers la Chambre, d'être absent lors de votre présentation. Je vais lire vos rapports avec grand plaisir et grand intérêt. La question m'intéresse et je ne voulais pas être mal compris. Donc, je n'ai pas de questions à vous poser.
Le président: Merci, tout le monde. Encore une fois, je m'excuse d'avoir dû m'absenter. Nous sommes nombreux à siéger à des comités qui se font concurrence, mais je tiens à vous remercier pour vos interventions.
Mes collègues me conseillent d'examiner avec une attention particulière le compte rendu des discussions, puisque vos interventions ont été des plus intéressantes. Je perçois cela comme un grand compliment.
Merci beaucoup.
La séance est levée.