FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international
Témoignages du comité
TABLE DES MATIÈRES
Le jeudi 7 février 2002
¹ | 1540 |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine (Etobicoke--Lakeshore, Lib.)) |
M. Keith Martin (Esquimalt--Juan de Fuca, Alliance canadienne) |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
Mme Aileen Carroll (Barrie--Simcoe--Bradford, Lib.) |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
M. John Harvard (Charleswood St. James--Assiniboia, Lib.) |
M. Keith Martin |
M. John Harvard |
M. Keith Martin |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
¹ | 1545 |
M. Robert A. Pastor (professeur, Département des relations internationales, Université Emory (Atlanta)) |
¹ | 1550 |
¹ | 1555 |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
M. Kenneth P. Thomas (professeur, Département de sciences politiques, Université du Missouri (St-Louis)) |
º | 1600 |
º | 1605 |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
M. George Haynal (membre, Weatherhead Center for International Affairs, Université Harvard) |
º | 1610 |
º | 1615 |
º | 1620 |
º | 1625 |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
M. Keith Martin |
M. Robert A. Pastor |
º | 1630 |
º | 1635 |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ) |
M. Robert A. Pastor |
º | 1640 |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
Ms. Folco |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
M. Kenneth P. Thomas |
º | 1645 |
M. George Haynal |
º | 1650 |
M. Robert A. Pastor |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
Mme Meredith |
º | 1655 |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
M. Robert A. Pastor |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
Mme Diane Marleau (Sudbury, Lib.) |
» | 1700 |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
Mme Diane Marleau |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
M. Robert A. Pastor |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
M. Robert A. Pastor |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
Mme Francine Lalonde |
» | 1705 |
M. Robert A. Pastor |
» | 1710 |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce--Lachine, Lib.) |
M. Robert A. Pastor |
» | 1715 |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
M. Kenneth P. Thomas |
M. George Haynal |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
Mme Meredith |
» | 1720 |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
Mme Meredith |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
M. George Haynal |
» | 1725 |
M. Robert A. Pastor |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
Mme Marlene Jennings |
M. Robert A. Pastor |
» | 1730 |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
M. Robert A. Pastor |
La vice-présidente (Mme Jean Augustine) |
CANADA
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international |
|
l |
|
l |
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Témoignages du comité
Le jeudi 7 février 2002
[Enregistrement électronique]
¹ (1540)
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Jean Augustine (Etobicoke--Lakeshore, Lib.)): Bon après-midi. Nous avons une motion de M. Martin.
Conformément au paragraphe 108(2) du règlement, nous procédons à une étude de l'intégration nord-américaine et du rôle du Canada face aux nouveaux défis sécuritaires, et nous entendons à ce titre trois témoins; mais avant de vous les présenter, je crois savoir que nous avons une affaire à régler.
Monsieur Martin, avez-vous...
M. Keith Martin (Esquimalt--Juan de Fuca, Alliance canadienne): Madame Augustine, j'ai présenté une motion portant sur la crise au Zimbabwe et proposant une série de solutions. J'aimerais que le comité l'étudie dans les meilleurs délais, mais étant donné que nos invités d'aujourd'hui sont venus de loin et que nous sommes très intéressés par ce qu'ils ont à dire, je propose de reporter la motion à la prochaine séance du comité.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci beaucoup, monsieur Martin. Nous apprécions ce geste. Vous êtes une personne raisonnable, comme toujours. Nous traiterons donc de cette question plus tard.
Mme Aileen Carroll (Barrie--Simcoe--Bradford, Lib.): Je veux m'assurer qu'il est convenu que la motion sera examinée lors de la prochaine séance du comité, et non à la fin de celle-ci.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): C'est ce qui est convenu, madame Carroll, ce sera à la prochaine séance du comité--la prochaine fois que le comité siégera.
Monsieur Harvard.
M. John Harvard (Charleswood St. James--Assiniboia, Lib.): J'aimerais faire une petite suggestion--portant principalement sur le libellé, et non pas le sens, Keith. Nous pourrions peut-être parler du libellé avant le dépôt de la motion. Votre texte ne me paraît pas tout à fait clair. Je pense qu'il pourrait être mieux rédigé.
M. Keith Martin: Je suis ouvert aux propositions de clarification.
M. John Harvard: Je suis désolé de contrarier mon ami de Montréal.
M. Keith Martin: Toute suggestion des membres du comité sera certainement la bienvenue.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Très bien, merci.
Nous allons donc passer à l'audition de nos témoins. Nous sommes ravis de vous recevoir. Nous savons que vous êtes venus de loin pour nous rencontrer et nous vous en sommes reconnaissants. Nous espérons que votre séjour à Ottawa sera agréable et que vous aurez envie de revenir souvent.
M. Robert A. Pastor est titulaire de la chaire Goodrich C. White de relations internationales à l'Université Emory. Il est l'auteur de 14 ouvrages. Celui qui nous intéresse particulièrement est aux mains de notre greffier et vous serez certainement nombreux à vouloir le lire : Toward a North American Community. Parmi ses autres livres, on peut citer Limits to Friendship: The United States and Mexico; A Century's Journey: How the Great Powers Shape the World; etc. Voilà donc un expert et une autorité qui est venu nous rencontrer aujourd'hui, pour échanger des idées avec nous. Vous êtes le bienvenu, monsieur Pastor.
Je vous présente également tout de suite M. Kenneth Thomas, qui nous vient de l'Université du Missouri, à St-Louis. Il est professeur associé de sciences politiques et membre du Centre d'études internationales de l'Université du Missouri, à St-Louis, et auteur de Capital Beyond Borders: States and Firms in the Auto Industry. Bienvenue au Canada, Thomas. Nous sommes impatients d'entendre votre exposé.
Le troisième témoin, de notre cru, sera M. George Haynal, chargé de cours au Weatherhead Center for International Affairs de l'Université Harvard et ex-sous-ministre adjoint, responsable des Amériques, au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Le travail et le mandat de ce comité ne vous sont pas étrangers, monsieur. Bienvenue.
Nous allons commencer avec M. Pastor. Vous avez 10 minutes pour nous faire une déclaration liminaire. Nous aurons une période de questions à la toute fin, après l'audition de tous les témoins. Merci.
¹ (1545)
M. Robert A. Pastor (professeur, Département des relations internationales, Université Emory (Atlanta)): Merci à vous, madame la présidente et aux membres du comité.
En tant que citoyen des États-Unis, mais aussi résident de l'Amérique du Nord considérée dans son entier, je suis très honoré d'avoir été invité à témoigner devant votre comité. Je félicite le comité de chercher à construire de nouveaux fondements pour cette entité nord-américaine qui a émergé au cours des dernières décennies, qui est devenue tellement intégrée économiquement et socialement, mais l'est beaucoup moins à ce stade sur le plan politique.
Le préambule du Traité de Rome, fondant la Communauté économique européenne, commençait par exprimer la volonté de ses membres de «jeter le fondement d'une union toujours plus étroite entre les peuples d'Europe». Par contraste, l'Accord de libre-échange nord-américain se lit comme s'il avait été rédigé par le comique Lily Tomlin, qui a lancé un jour: «Nous sommes seuls, tous ensemble». L'ALÉNA se lit comme un contrat commercial visant à lever les entraves aux échanges et à l'investissement, mais dénué de toute vision plus large, de toute orientation pour l'avenir. Il postule que la magie du marché règlera tous les problèmes de l'Amérique du Nord. Mais nous nous sommes aperçus que tel n'est pas le cas.
Il ne s'agit pas de se tourner vers l'Union européenne comme modèle à transposer chez nous. Nos deux régimes sont très différents l'un de l'autre. Ils ont des problèmes dont nous n'avons pas besoin. Mais je pense que ce serait faire une erreur encore plus grande que de ne pas tirer quelques leçons de son expérience. C'est ce que j'essaie de faire dans mon livre.
L'ALÉNA, à mon sens, est une réussite puisqu'il a fait ce qu'on attendait de lui. Il a démonté les barrières au commerce et à l'investissement. Il a réussi à presque tripler les échanges et l'investissement. Il se pose des problèmes au niveau de l'exécution, que vous connaissez tous. Mais, à mon avis, le plus gros problème ne réside pas dans le contenu de l'ALÉNA, mais dans ce qui n'y figure pas, ce qui a été omis.
L'accord ne formule pas de grands projets, bien que nous soyons, en Amérique du Nord, la plus grande zone de libre-échange du monde, avec un produit brut supérieur de 15 p. 100 à celui de l'Union européenne. À bien des égards, il a commis une erreur opposée à celle de l'Union européenne, qui a sur-institutionnalisé. Nous-mêmes n'avons pas d'institutions dignes de mention. C'est cette omission de créer des institutions qui fait que nous n'avons pu anticiper ou réagir à la crise du peso en 1994-1995, qui a conduit à la détérioration régulière du dollar canadien et, plus important, nous a empêché d'élaborer une réaction commune des trois pays d'Amérique du Nord dans les jours qui ont suivi la tragédie du 11 septembre.
Les Américains ont apprécié la sympathie et le soutien que le Canada a exprimés aux États-Unis après l'événement, mais personnellement j'ai été déçu. J'ai été déçu de voir que le lendemain nous n'avons pas vu côte à côte les présidents des États-Unis et du Mexique et le premier ministre du Canada, exprimant leur solidarité et élaborant une approche commune. Je pense que l'absence de réponse commune dans les jours qui ont suivi le 11 septembre est le résultat direct du manque d'institutionnalisation.
Que faut-il donc faire? Dans le temps limité dont je dispose, permettez-moi d'esquisser dix propositions spécifiques dont je serais ravi de discuter plus en détail avec vous tous.
Premièrement, l'étape la plus importante consiste à créer une commission nord-américaine--non pas une administration bureaucratique prolifique comme la Commission européenne. Elle devrait être d'envergure restreinte--cinq membres de chacun des trois pays--et avoir un rôle consultatif. Son mandat premier serait de rédiger et de proposer un programme nord-américain que les trois leaders examineraient dans une conférence au sommet qui se tiendrait périodiquement, peut-être tous les six mois, peut-être une fois par an.
La deuxième mesure en est une où vous pouvez prendre l'initiative. Il existe déjà deux commissions parlementaires bilatérales--la commission américano-mexicaine et une commission canado-américaine. Vous pourriez prendre l'initiative de fonder un groupe parlementaire nord-américain. J'ose dire que le Congrès américain aurait grand besoin d'entendre les préoccupations et les sensibilités de nos deux voisins. Je pense que le fait pour les parlementaires des trois pays de se retrouver renforcerait la capacité à comprendre quels problèmes sont communs et quelles solutions devraient être élaborées en commun.
¹ (1550)
La troisième mesure serait un tribunal permanent du commerce et de l'investissement, en remplacement du mécanisme de règlement des différends au cas par cas. Nous avons maintenant suffisamment de précédents pour ne plus nous en remettre à des arbitres choisis pour chaque conflit, ne serait-ce que parce que ce mécanisme prête de plus en plus à des conflits d'intérêt. Un tribunal permanent nous permettrait de tirer les leçons de ces précédents et de régler plus rapidement certains des différends relatifs au commerce et à l'investissement.
Quatrièmement et c'est peut-être le problème le plus important, l'ALÉNA ne fait rien pour atténuer l'écart de développement, principalement entre le Mexique et ses deux voisins du Nord, mais aussi sur un plan plus général. Depuis la signature de l'ALÉNA, le fossé entre les pays s'est en fait élargi. L'Union européenne offre un merveilleux exemple de ce que l'on peut faire à cet égard. Entre 1986 et 1999, les disparités entre les pays riches et pauvres de l'Union européenne ont considérablement diminué, et ce n'est pas seulement par le fait de la magie du marché, mais plutôt grâce à une stratégie et un effort de développement de grande envergure.
Cela m'amène au cinquième élément, la création d'un fonds de développement nord-américain. Il ne s'agirait pas là d'une nouvelle bureaucratie; le fonds pourrait être administré par la Banque mondiale et la Banque de développement interaméricaine et, s'inspirant de l'Union européenne, il pourrait concentrer son action sur l'infrastructure et l'éducation, principalement au Mexique, de façon à imprimer à celui-ci un rythme de développement double de ses voisins du nord et commencer à combler l'écart.
Je peux comprendre pourquoi le Canada considère sa relation avec les États-Unis comme primordiale, mais le Canada est également le chef de file mondial du développement international et le Mexique est exemplaire à cet égard. Si nous pouvons montrer aux pays en développement à revenu moyen qu'ils peuvent combler l'écart avec les pays industrialisés, ce serait un modèle merveilleux pour le 21e siècle.
Sixièmement, la commission nord-américaine devrait proposer un plan spécifique d'infrastructure et de transport. Chez vous, la députée Val Meredith a déjà pris l'initiative en rédigeant un rapport pour votre Parlement, formulant quelques suggestions sur ce qu'il convient de faire. Je pense que l'on pourrait faire beaucoup plus dans le même ordre d'idée.
Septièmement, une commission nord-américaine pourrait proposer une approche continentale commune dans beaucoup d'autres domaines, qu'il s'agisse des subventions agricoles, de la politique réglementaire, de l'électricité ou de la technologie. Ce sont tous des domaines dans lesquels une commission nord-américaine pourrait proposer aux trois dirigeants des façons d'oeuvrer plus efficacement en vue de l'amélioration du niveau de vie de nos peuples.
Huitièmement, le dilemme de l'intégration tient à un seul problème, à savoir qu'à mesure que nous facilitons les échanges et la circulation des personnes, nous facilitons également le mouvement illégal des marchandises et des personnes. Cela nous amène au problème de sécurité que nous avons tous eu, car l'inverse produit des conséquences logiques encore plus fortes; autrement dit, lorsqu'on restreint le passage aux frontières pour empêcher le mouvement des terroristes ou des marchandises de contrebande, cela a des conséquences néfastes de grande ampleur sur notre économie. La question est de savoir comment régler le problème.
À mon avis, une façon de réduire de moitié les formalités administratives serait de créer un service nord-américain d'immigration, de douane et de contrôle. Au lieu de devoir passer par quatre postes frontière différents à la frontière États-Unis-Mexique et Canada-États-Unis, on aurait un seul service, composé de fonctionnaires des trois pays, fournissant une documentation à peu près identique. Mais la façon de réduire les formalités encore plus serait de négocier une union douanière, avec un tarif externe commun, qui devrait nécessairement être assorti d'un périmètre commun tarifaire et sécuritaire. Je sais que le terme de périmètre commun suscite des controverses ici, mais j'invite le Canada à définir pour lui-même ce que devrait être ce périmètre. J'espère qu'il ressemblerait à une approche coopérative des trois pays des problèmes sécuritaires et économiques communs.
¹ (1555)
Enfin, j'encourage les trois pays à promouvoir la création de centres de recherche nord-américains. L'Union européenne finance actuellement de 10 à 15 centres européens aux États-Unis, pour mener une action de sensibilisation. Avec quelques fonds de démarrage, on pourrait commencer à forger une nouvelle perception dans les trois pays et une nouvelle assise de recherche dont bénéficieraient les parlements des trois pays.
Tout cela est-il souhaitable et faisable? On s'inquiète beaucoup pour la souveraineté, mais dans mon ouvrage je passe en revue les définitions successives de ce terme au fil du temps. J'ai constaté qu'aucun mot n'a été davantage détourné que celui de «souveraineté». Il a été invoqué dans ce pays pour empêcher une modification de la législation énergétique, pourtant intervenue ultérieurement. Il a été invoqué au Mexique pour empêcher l'arrivée d'observateurs des élections, et cela a ultérieurement changé.
En fin de compte, si l'on analyse l'opinion publique, les sondages dans les trois pays montrent qu'une majorité dans chacun est prête à faire partie d'une entité nord-amércaine, dans la mesure où cela améliorerait le niveau de vie, ne menacerait pas la culture et améliorerait l'environnement. Mais l'opinion, tant au Canada qu'au Mexique, ne veut clairement pas que son pays soit assimilé par les États-Unis. Je pense que cette vision plus large d'une entité nord-américaine, distincte des trois pays mais fondée sur une communauté de destin, représente une orientation à laquelle beaucoup de gens aspirent et qu'il conviendrait d'envisager sérieusement.
Nos trois pays comptent au total près de 400 millions d'habitants. Nous gouvernements ont parfois consacré tellement d'efforts à définir nos différences que nous perdons de vue ce que nous avons en commun. Ce que nous avons en commun n'est pas seulement la géographie, mais aussi des valeurs, un idéal commun, une entente, un désir d'améliorer la vie de tous et de préserver notre identité et notre culture. J'espère que les délibérations de votre comité aideront les trois peuples à se concevoir non seulement comme citoyens de chacun des pays, mais aussi comme nord-américains.
Will Rogers a dit un jour que même si vous êtes sur la bonne route, si jamais vous vous y asseyez, vous pouvez vous faire écraser. Je pense que nous sommes sur la bonne route et que nous devons continuer à y avancer.
Merci.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci beaucoup, monsieur Pastor.
Nous allons passer à M. Thomas.
M. Kenneth P. Thomas (professeur, Département de sciences politiques, Université du Missouri (St-Louis)): Je tiens à vous remercier, madame la présidente, ainsi que les membres du comité, de m'avoir invité à prendre la parole ici aujourd'hui. Comme le professeur Pastor, je me suis inspiré dans mon travail des leçons de l'Union européenne. Je n'ai pas une vision des choses aussi large que celle que le professeur Pastor vous a présentée, me contentant de scruter mon petit morceau d'éléphant, en quelque sorte. Je veux vous parler du contrôle des subventions de localisation et de relocalisation en Amérique du Nord, en puisant dans mon ouvrage le plus récent: Competing for Capital: Europe and North America in a Global Era.
Je vais aborder principalement trois éléments. Premièrement, je traiterai brièvement des principaux problèmes que posent les subventions de localisation, connues également sous le nom de stimulants de l'investissement, de subventions à l'investissement ou, dans le jargon de l'Union européenne, d'aide étatique.
Deuxièmement, je dirai quelques mots du contexte nord-américain. Bien entendu, le bois-d'oeuvre fait de nouveau les grands titres de l'actualité et l'on ne peut ignorer la question, et je traiterai donc un peu des problèmes spécifiques que représentent les subventions dans le contexte nord-américain. Je vous indiquerai à cet égard mon estimation des subventions des États et gouvernements locaux aux États-Unis, tant les subventions générales que celles touchant la localisation des entreprises.
Troisièmement, je veux esquisser quelques éléments de solution, tant à court qu'à long terme. Je rejoindrai là-dessus certaines des conclusions de M. Pastor.
Je fais valoir que les subventions de localisation ou d'investissement posent trois problèmes fondamentaux. Cela ne signifie pas qu'elles représentent toujours une mauvaise politique, mais la présomption devrait militer contre elles, et ce pour trois raisons.
Premièrement, ces subventions tendent à être inefficientes. Elles incitent le capital à s'investir dans des lieux qui ne sont pas optimaux, si bien que les économies croissent moins rapidement qu'elles ne le feraient autrement. Deuxièmement, les subventions sont normalement inéquitables. Elles redistribuent l'argent du contribuable moyen vers les investisseurs plus riches. La distribution du revenu devient de ce fait moins égale qu'elle ne le serait autrement. Troisièmement, nombre de subventions encouragent des activités écologiquement néfastes, telles que la construction sur des terrains marécageux. Des études faites au Minnesota et au Wisconsin les relient également à la prolifération urbaine.
Bien entendu, dans le contexte nord-américain, les subventions sont de longue date un sujet de frictions dans les relations canado-américaines. Comme vous le savez, les États-Unis sont un des pays du monde qui recourent le plus fréquemment aux plaintes assorties de droits compensateurs, et les subventions canadiennes comme celles accordées au bois d'oeuvre en ont très, très souvent été la cible, même si les plaintes antérieures ont été rejetées.
Ces frictions sont encore amplifiées par le fait que les États-Unis, en général, ne sont pas très favorables à la notion de subventions régionales, ce qui concerne évidemment de près le Canada Atlantique. On voit cela également dans les plaintes américaines visant, par exemple, les subventions accordées au Mezzogiorno italien. Pourtant, les États-Unis eux-mêmes ont un programme appelé «empowerment zones» qui procède d'une motivation locationnelle similaire.
Un autre problème que nous constatons est que certaines entreprises jouent les localités américaines et canadiennes les unes contre les autres, soit pour des investissements nouveaux soit pour des fermetures potentielles d'usines. Un exemple que j'ai vu hier dans la presse est Motor Coach Industries qui met en rivalité le Manitoba et le Dakota du Nord.
Le dernier problème est que les subventions américaines sont généralement moins transparentes que les canadiennes, principalement parce qu'elles sont accordées par le biais d'allégements fiscaux plutôt que de versements directs. Cela contribue probablement à l'idée qui règne aux États-Unis qu'ils sont un pays à faibles subventions. Mais mes recherches montrent que les pratiques en la matière ne sont pas aussi exceptionnelles que le pourraient donner à penser les chiffres des comptes nationaux relatifs aux subventions.
J'ai construit quelques estimations des subventions locales et d'État aux États-Unis qui indiquent que 48,8 milliards de dollars US sont accordés chaque année aux entreprises, dont 26,4 milliards de dollars sous forme d'incitations à l'investissement. Ce sont là les chiffres de 1996 et ils trahissent une hausse substantielle par rapport à 1992, année où j'ai fait une estimation similaire pour la première édition de mon livre. En raison de la fragilité de ces estimations, je pourrais vous parler très longuement de toutes les prémisses sur lesquelles elles se fondent, mais je m'en abstiendrai. J'ose à peine avancer qu'elles ont augmenté de 60 p. 100, comme l'indiquent mes chiffres bruts, mais c'est une majoration substantielle lorsqu'on y regarde de près, sous quelque angle que ce soit.
Que peut-on faire pour résoudre ces problèmes? Je pense que le premier élément, et le plus primordial, est la transparence. Comme je l'ai dit, mes estimations des subventions étatiques locales américaines sont assises sur des hypothèses héroïques, car peu d'États et encore moins de municipalités publient des données utiles pour chiffrer les montants des subventions réelles. De nombreux responsables du développement économique veulent cacher aux États ou municipalités concurrents ce qu'ils donnent, et peut-être même aux citoyens «inquisiteurs».
Au Canada non plus le rapport annuel sur les incitations n'est un document public. Je peux comprendre la raison de cette discrétion. Comme un fonctionnaire provincial me l'a dit, ce serait agiter un drapeau rouge sous le nez du représentant commercial américain, et c'est bien vrai
º (1600)
Cela entrave le débat public des deux côtés de la frontière sur la valeur réelle des subventions. Je ne vais pas vous dire que le Canada devrait faire le premier pas, car vous dépendez manifestement beaucoup plus du commerce nord-américain que les États-Unis. Mais la bonne nouvelle est que l'on voit des deux côtés de la frontière des organisations de citoyens de plus en plus militantes qui pressent les pouvoirs publics à divulguer ces renseignements, précisément afin que ces politiques puissent être analysées selon leurs mérites. Ces organisations vont des néo-démocrates et de la Fédération canadienne des contribuables, du côté canadien, à Ralph Nader et au Cato Institute, aux États-Unis. Tant la droite que la gauche participent à ce mouvement, du fait que les subventions posent à la fois des problèmes d'efficience et d'équité, comme je l'ai mentionné au début.
Depuis la semaine dernière, neuf États américains ont maintenant des obligations constraignantes de publicité. Cela va jusqu'au niveau de l'entreprise--la société XY a reçu 300 000 $ de Minneapolis et est censée créer 80 nouveaux emplois etc., etc. Ce genre de renseignements détaillés est donc disponible dans certains cas.
Le deuxième élément est la reddition de comptes. Le Minnesota nous donne l'exemple à cet égard. Il a été le premier État à adopter des lignes directrices très explicites sur ce qui doit être divulgué, mais il est allé encore plus loin que cela. Il exige également que les organismes d'État et locaux imposent des normes salairiales aux emplois créés dans ces accords. Il n'impose pas un niveau de salaire particulier--évidemment les salaires en zone rurale seront inférieurs à ceux de la région de Minneapolis--mais une certaine norme doit être respectée.
Un autre élément de reddition de comptes, non encore employé au Minnesota mais déjà dans un certain nombre d'États américains et très largement dans l'Union européenne, est d'inscrire dans ces accords une clause de remboursement si l'entreprise ne remplit pas ses engagements--mettons qu'elle ne crée pas les emplois promis ou tout ce que vous voudrez--auquel cas une partie au moins de la subvention devra être restituée.
Le troisième élément, et probablement l'un des plus attrayants au plan politique, est de contrôler les subventions de relocalisation. Le code de conduite en matière d'investissement de l'Accord sur le commerce interne est manifestement un pas dans la bonne direction, encore qu'à mon sens il devrait être assorti d'un meilleur mécanisme d'exécution. On a constaté dans le différend entre la Colombie-Britannique et le Nouveau-Brunswick concernant United Parcel Services que le mécanisme d'exécution exige le dépôt de plaintes et des consultations, etc. Cela ressemble fort au vieux mécanisme de règlement des différends du GATT, qui est très lourd. Il vaudrait mieux pouvoir emprunter la voie judiciaire, comme d'aucuns le préconisent, par exemple la contestation de marchés publics, ou bien imposer une taxe fédérale sur les subventions de localisation, comme l'a proposé le représentant américain David Minge, ou encore instaurer un organisme indépendant, un peu comme la Direction générale de la concurrence de l'Union européenne.
Comme je l'ai dit, le Canada a déjà fait un pas en avant dans ce domaine et les États-Unis doivent impérativement en faire autant. Du fait que les subventions de relocalisation sont les plus flagrantes, il n'y a aucun avantage national lorsque le Nouveau-Brunswick arrache des emplois à la Colombie-Britannique ou le Minnesota au Nevada, ou tout ce que vous voudrez. Il n'y a pas d'avantage net du tout pour le pays, simplement le gaspillage de deniers publics.
Le quatrième élément consiste à déterminer ce que seraient des subventions acceptables. Cela est compliqué par les règles de l'Organisation mondiale du commerce, bien que l'ancienne liste des subventions «feu vert» serait un bon endroit pour commencer. Je pense pour ma part que les subventions régionales devraient être autorisées dans certaines limites, comme c'est le cas dans l'Union européenne, et d'ailleurs même aux États-Unis on trouve des précédents de subventions pour les régions défavorisées. La solution à long terme consiste probablement à créer un organisme pour l'ALÉNA similaire à la Direction générale de la concurrence de l'Union européenne. Cela devrait être complété, ainsi que le professeur Pastor l'a mentionné, par un mécanisme comme les fonds structurels de l'Union européenne, au profit du Mexique, afin que ce pays puisse accroître son niveau de vie rapidement, au lieu de peser sur les salaires payés aux États-Unis et au Canada.
Je devrais mentionner une dernière chose. On parle beaucoup du miracle irlandais, en oubliant souvent les fonds structurels consentis à ce pays par l'Union européenne. J'étais en Irlande pour une réunion familiale il y a peu, il y a 18 mois, et partout on voit de nouvelles routes construites par le « fonds de cohésion », c'est-à-dire le fonds de développement régional européen. De toute évidence, et je rejoins en cela ce qu'a dit le professeur Pastor, beaucoup d'argent a été consacré à l'infrastructure en Irlande, en Espagne, au Portugal et en Grèce, tout particulièrement.
º (1605)
Je vous remercie de votre attention et serais ravi de répondre à vos questions.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci beaucoup.
Nous allons maintenant entendre notre troisième témoin. Monsieur Haynal.
M. George Haynal (membre, Weatherhead Center for International Affairs, Université Harvard): Merci, madame la présidente. C'est pour moi un honneur d'avoir été invité à prendre la parole devant ce comité. Je le fais évidemment en ma capacité personnelle et en tant qu'Américain, mais permettez-moi de parler plus généralement de l'idée nord-américaine plutôt que, plus précisément, des questions de sécurité. J'ai pris la liberté de remettre au greffier du comité un texte que j'ai récemment publié sur la gestion de la frontière.
À ce stade de la réflexion sur l'Amérique du Nord, je pense qu'il n'est pas inutile de se poser quelques questions fondamentales. Par exemple, qu'est-ce que l'Amérique du Nord? En Europe, on a maintenant une entité que l'on peut qualifier de proprement européenne, qui a été construite au fil de longues années et de nombreux traités complexes, qui ont abouti à une Union européenne dotée d'une monnaie commune. Mais qu'est-ce que l'Amérique du Nord?
À ce stade, l'Amérique du Nord se compose de trois pays hautement différents: la puissance mondiale dominante, une démocratie industrielle de taille moyenne à l'avant-poste du monde moderne, et un grand pays en développement, dynamique et émergent. Ces trois pays ont entre eux quatre types de relations, certaines plus développées que les autres. Deux d'entre elles, qui sont organiques et ont des racines historiques et un rôle énorme, sont celles entre le Canada et les États-Unis et entre les États-Unis et le Mexique. L'autre, entre le Canada et le Mexique, en est une dont je traiterai très brièvement à la fin, qui est actuellement en cours d'édification selon des modalités particulièrement ingénieuses. La dernière, qui est le sujet de cette conversation, je suppose, est la relation trilatérale, dont l'aboutissement pourrait être une forme de communauté nord-américaine.
Parlons d'abord des relations organiques, car elles se ressemblent sensiblement, tout en étant fondamentalement très différentes. Notre relation avec les États-Unis est marquée par une confiance mutuelle inhabituelle et implicite. Elle est fondée sur des racines communes, une histoire d'amitié et de coopération et, comme je l'ai dit, ces racines communes ne sont pas simplement folkloriques puisqu'on les retrouve dans les institutions, les systèmes judiciaires, les cultures civiques, et qu'elles ont engendré des niveaux d'instruction et d'avancée technologique similaires.
Ces attributs de la similitude, si vous voulez, ont milité et militent en faveur d'un voisinage respectueux et bénéfique, si je puis dire les choses ainsi. Notre histoire en a effectivement été une d'un rapprochement régulier, aussi bien en tant que sociétés et économies partageant un espace, qu'en tant que partenaires et alliés oeuvrant activement dans le monde.
Je ne voudrais pas vous laisser sur une image entièrement peinte en rose. Il existe des anomalies dans cette relation, manifestement, causées par l'asymétrie fondamentale de la puissance respective des deux pays. C'est pourquoi la mutalité n'est pas spontanée; elle exige une gestion constante, particulièrement du côté canadien. Mais je reviendrai brièvement là-dessus plus tard.
Les relations entre le Mexique et les États-Unis sont de caractère quelque peu différent, bien qu'intenses et c'est là le point de similitude. Elles sont le résultat, ou bien sont perçues rétrospectivement comme le résultat, d'une histoire très mouvementée d'annexion et d'invasions. Il y a des divergences profondes dans les systèmes politiques, judiciaires et économiques, ainsi qu'au niveau de la culture civique et du capital social. Mais là aussi il y a ce que je pourrais appeler un partage d'ADN, bien que moins aisé. Les deux sociétés sont de plus en plus reliées entre elles par leurs habitants.
Des dizaines de millions--entre 10 et 20 millions, selon la manière de compter--de personnes ayant des connexions mexicaines vivent et travaillent aux États-Unis et sont une partie intégrante de l'économie de ce pays. Leur culture exerce un impact énorme, surtout, mais pas seulement, dans le sud-ouest, et ils deviennent de plus en plus influents dans la vie politique aux États-Unis, ayant des intérêts économiques et sociaux enjambant la frontière. Cela crée une connexion puissante qui est, à biens des égards, le premier moteur de cette relation.
J'ai dit, dans mon introduction sur ce sujet, que ces deux relations convergent. Je m'explique.
À l'intérieur de chacune, les parties se rapprochent. Leur interdépendance va croissant, en partie du fait de l'ALÉNA et en partie du fait d'autres développements organiques à l'intérieur des sociétés respectives. Cette interdépendance croissante s'accompagne d'une vulnérabilité mutuelle en hausse. Évidemment, cette vulnérabilité n'est pas égale entre les États-Unis et ses partenaires, pas plus qu'elle n'est unidimensionnelle. Je m'explique.
º (1610)
Le Canada et le Mexique sont respectivement le premier et prochainement le second partenaire commercial de États-Unis--c'est peut-être même déjà le cas à l'heure actuelle. Une partie substantielle des exportations américaines est à destination de ses voisins, mais elles ne représentent qu'un très petit pourcentage du PIB. En revanche, 87 p. 100 des exportations et du Canada et du Mexique sont à destination des États-Unis, et dans le cas du Canada elles représentent plus de 40 p. 100 du produit intérieur brut.
Toute perturbation du libre-accès garanti au marché américain du Mexique ou du Canada, ou même seulement ce risque, entraîne des conséquences potentiellement graves. La situtation, évidemment, est encore plus grave pour le Mexique, en partie parce que l'une des principales exportations de ce pays vers les États-Unis, comme je l'ai mentionné, se compose de main-d'oeuvre, laquelle n'a à ce stade pas d'accès garanti, ce qui représente un problème non seulement économique mais aussi social très inquiétant.
Ainsi, bien que la vulnérabilité entre les États-Unis et le Mexique d'une part, et les États-Unis et le Canada, d'autre part, soit mutuelle, elle est loin d'être symétrique. L'économie américaine, en effet, serait loin d'être autant touchée que celle de ses partenaires par une interruption, réelle ou potentielle, de ces flux commerciaux. La vulnérabilité américaine, il ne faut pas l'oublier, comporte d'autres dimensions, comme l'a démontré de façon horrible et tragique le 11 septembre, mais les responsables américains ne sont pas seulement préoccupés par le terrorisme, mais aussi le trafic de drogues, le trafic de clandestins et d'autres flux mondiaux. Ces vulnérabilités, je le signale, nous les partageons avec les Américains en tant que société moderne soeur en Amérique du Nord. Toutefois, dans la perception américaine, ce partage semble souvent asymétrique.
Cela m'amène à la troisième des relations nord-américaines que j'ai esquissées. Toute relation trilatérale, tout autre effort de construction d'une communauté nord-américaine--le sujet dont Bob Pastor parle avec tant de passion et de manière si enthousiasmante--passe par un amoindrissement et une gestion de ces vulnérabilités que nous avons en commun. Tout passe par là.
Au fur et à mesure que leur dépendance à l'égard du marché américain grandit, le Mexique et le Canada sont, chacun de son côté, poussés à rechercher une stabilité plus grande et plus systématique de cette relation, à rechercher un accès ininterrompu et assuré. Or, cet accès n'est pas et ne pourra jamais être accordé inconditionnellement. Il suppose une contrepartie, et cette contrepartie en Amérique du Nord est une forme de compatibilité systémique. Voyons cette notion d'un peu plus près.
Dans le cas du Canada, la compatibilité est perçue à la fois comme un coût et une opportunité. Autrement dit, elle peut renforcer notre capacité à faire des choses qui sont tout à fait dans notre intérêt national direct, le partage du fardeau et des règles convenues de coopération effectives avec les États-Unis et le Mexique étant avantageuses pour nous; dans d'autres cas, il peut s'agir d'un calcul mettant en équation les avantages et les inconvénients de certaines décisions politiques. De toute façon, nous avons toujours été obligés de gérer nos affaires d'une manière tenant compte de la réaction américaine. Cela fait tout simplement partie de l'art de gouverner dans ce pays.
La perception mexicaine, certainement sous le gouvernement du président Fox, est différente. La compatibilité avec les normes nord-américaines y représente un but en soi. C'est une récompense dérivée de l'intégration nord-américaine, une opportunité plus qu'une difficulté. Je m'explique.
L'objectif clé du gouvernement Fox est de moderniser le Mexique. À l'ère de la mondialisation, seul un régime ouvert et démocratique est durable. Seul un marché du travail dynamique pourra fournir des emplois et des opportunités à une population mexicaine très jeune--dont l'âge médian, je crois, est de l'ordre de 17,8 ans--et seule une économie dynamique stimulée par l'investissement permettra à la société mexicaine de remédier aux profondes inégalités régionales et sociales. Le marché américain, l'investissement américain, et la discipline de la compatibilité avec les normes nord-américaines sont vitaux pour réaliser cette vision. Ainsi, la compatibilité devient une valeur, comme je l'ai dit, plutôt qu'un problème de gestion.
C'est pourquoi je crois--et je me permets de l'exprimer ainsi--le président Fox a énoncé une vision transformative de l'Amérique du Nord dans son ensemble, comprenant une monnaie commune, un marché du travail ouvert et un tarif douanier extérieur commun, entre autres. Donc, le programme de Fox, celui d'une intégration nord-américaine plus étroite, de type Union européenne, est fondé sur l'intérêt national. Cet intérêt est-il partagé par les deux autres partenaires nord-américains? Mon sentiment pour le moment est que, à quelques exceptions très importantes près--dont l'une est assise à ma gauche--ce programme ne retient guère l'attention aux États-Unis. La personnalité la plus éminente à faire preuve d'ouverture d'esprit à cet égard, et ce n'est pas à négliger, est le président Bush, l'ancien gouverneur du Texas. Cet esprit, ouvert et réceptif à un débat sur ces propositions, est actuellement saturé par d'autres préoccupations.
º (1615)
En outre, l'opinion américaine est divisée sur certaines questions d'importance critique pour le Mexique, en particulier la nécessité de faire place dans l'économie à une nombreuse main-d'oeuvre mexicaine. On ne semble guère disposé de nos jours dans les cercles politiques américains, aux postes de commande, d'user d'instruments monétaires aux États-Unis pour soutenir des économies qui ne seraient autrement pas viables.
Même si elle est dans l'intérêt national--et je crois qu'elle l'est pour maintes raisons convainquantes--l'intégration américaine n'apparaît pas encore sur le radar américain en cette période d'après-11 septembre. Au Canada, l'éventualité d'une intégration plus poussée doit également être analysée en fonction de l'intérêt national. Nous n'avons pas besoin d'une transformation ou modernisation, à mon avis. Nous sommes une nation moderne et modèle, à notre propre façon. Toutefois, nous devons protéger l'investissement que nous avons effectué dans l'ALÉNA, par lequel nous avons engagé notre économie dans un espace économique nord-américain, si je puis exprimer les choses ainsi, tant sur le plan d'un accès partagé que d'une relation nouvelle avec un Mexique dynamique devant être considéré comme un partenaire économique, social et international. Pour cela, nous devons dépasser l'ALÉNA. Cela ne fait aucun doute. La question est donc de savoir comment parvenir à une vision nord-américaine, et non plus de savoir s'il y a lieu de le faire.
Les mesures que nous prenons pour construire cette relation trilatérale et la communauté qui en découle ne doivent pas nécessairement être prises dans les trois pays simultanément. Étant donné les différences de capacité et de relations entre nous, il faudrait envisager des approches multiples. Il faudrait examiner, par exemple, quelles mesures pourraient être prises à deux vitesses, comme on dit en Europe.
Un exemple d'une telle démarche à deux vitesses est l'adoption successive de l'ALÉ et de l'ALÉNA. Le Canada et les États-Unis peuvent, de leur côté, mettre en place certains éléments plus faciles à réaliser pour eux deux, puis inviter le Mexique à les rejoindre, ce dernier ayant alors une pleine connaissance des procédures et mécanismes fondés sur des règles convenues, pratiques et mutuellement respectueuses. On voit un exemple de cette sorte de processus dans la gestion concertée de la frontière dans laquelle le Canada et les États-Unis sont aujourd'hui engagés. De la même façon, le Mexique et les États-Unis peuvent s'attaquer à régler certains problèmes entre eux et conclure des accords auxquels le Canada pourra ultérieurement adhérer, s'il le veut; je songe, par exemple, à la libéralisation des marchés du travail, qui sont d'un intérêt bilatéral critique.
Ces étapes organiques, si je puis exprimer les choses ainsi, vers l'édification d'une relation trilatérale pourront et devront être complétés par d'autres mesures que les trois peuvent prendre ensemble. Permettez-moi de vous en donner brièvement quelques exemples. Ils n'ont rien d'original, mais je vais les donner quand même. Nous sommes engagés dans des discussions sur une approche nord-américaine de la gestion de nos besoins et ressources énergétiques. La coopération entre nous peut avoir d'énormes effets bénéfiques, non seulement sur le plan de la mise en valeur de nouvelles sources d'hydrocarbures, mais aussi sur le plan d'une action concertée face aux problèmes environnementaux et de la recherche et de l'exploitation de nouvelles sources d'énergie. Les mécanismes de consultation actuellement utilisés à cet effet, aussi officieux soient-ils, pourraient être davantage officialisés et ouverts à une plus grande participation, de façon à soutenir un débat politique ouvert à davantage d'intervenants et au public.
De même, dans le domaine de la coopération environnementale, la Commission de l'environnement érigée dans le cadre de l'ALÉNA pourrait et devrait jouer un rôle plus actif et alimenter le débat dans les trois pays sur nos défis communs. Dans le domaine commercial, il ne fait aucun doute que les différends comme celui sur le bois d'oeuvre sont un virus qui sape la santé de nos économies et nos relations. Il n'y a pas de système en place qui puisse contenir ces actions politisées aux États-Unis. Il n'y en aura peut-être jamais, mais il y a certainement lieu de rechercher des mécanismes de règlement des différends commerciaux plus robustes.
D'autres possibilités pratiques de coopération bilatérale abondent. Les marchés poussent à une infrastructure de transport nord-américaine plus intégrée et plus étoffée. Les flux commerciaux en Amérique du Nord ont une composante nord-sud de plus en plus dynamique. Les pouvoirs publics doivent veiller à ce que l'infrastructure soit en place pour faciliter ces mouvements, d'une manière conforme à nos objectifs environnementaux, plutôt que de les étouffer. Un discours actif sur les investissements nécessaires à la création d'artères nord-américaines serait opportun aux fins de cette coopération.
º (1620)
Il y a donc la possibilité d'une dynamique nord-américaine. Le produit final sera-t-il une communauté nord-américaine comme celle qui existe en Europe? La question est loin d'être tranchée. Existe-t-il un point d'aboutissement où nous aurons une communauté nord-américaine? Je le crois profondément.
Permettez-moi de conclure, paradoxalement, pour souligner ce point, en évoquant la quatrième relation, soit celle entre le Canada et le Mexique. Remarquablement, c'est là que je vois le « bourgeon d'un nouvel nord-américanisme », distinct de la convergence des deux axes bilatéraux centré sur les États-Unis dont j'ai parlé jusqu'à présent. Les relations canado-mexicaines étaient très modestes jusque bien avant dans les années 90. Notre commerce était parfaitement insignifiant, considérant la taille des deux économies. Les échanges humains étaient limités à peu près au tourisme dans le sens nord-sud. Les contacts culturels privilégiaient l'exotisme. La coopération politique sur la scène mondiale était pratiquement inexistante. L'ALÉNA a beaucoup changé les choses. En particulier, le niveau de nos échanges dépasse aujourd'hui 8 milliards de dollars par an.
Mais l'aspect le plus intéressant et encore peu remarqué est le degré de contact entre les deux gouvernements et entre les deux peuples qui s'est maintenant fait jour. Il y a eu une explosion des contacts au niveau gouvernemental depuis l'élection du président Fox. Son désir d'une telle coopération va dans le sens de son objectif de moderniser la société mexicaine ou, pour dire les choses autrement, de nord-américaniser la vie mexicaine.
Il y a, dans cette ambition, une convergence remarquable et constructive entre l'intérêt et la capacité. Le Canada est une société nord-américaine moderne, mais sans toutefois être les États-Unis. Les échanges entre nos systèmes, l'apprentissage réciproque, le soutien mutuel sont à la fois bénéfiques sur le plan pratique et socialement acceptables et bien perçus dans les deux sociétés.
Nous, au Canada, tenons à nos valeurs et souhaitons trouver dans le Mexique un partenaire bilatéral dans une relation mutuellement avantageuse. Nous souhaitons également voir le Mexique devenir--et je m'inscris là dans la perspective canadienne--un partenaire proche des États-Unis qui voit le monde d'une manière compatible avec la nôtre. Sans vouloir m'attarder sur ce point, rien ne pourrait être pire que de voir s'instaurer entre nous une dynamique de concurrence dans la gestion de cette relation.
Nous avons et désirons avoir en le Mexique un partenaire sur la scène internationale qui peut nous aider à promouvoir nos valeurs dans le système multilatéral, tant qu'il existe. Il existe un intérêt mutuel à poursuivre une coopération systémique--je pense que tous les avis que j'ai avancés sont partagés par le Mexique--une coopération qui édifie une identité nord-américaine, qui n'exclut pas les États-Unis, car fondée sur un objectif fondamental que ces derniers partagent: la création d'une compatibilité entre nos systèmes distincts, de façon à rendre possible une coopération plus étroite et un avantage mutuel.
Je conclurai avec un exemple de cette coopération et de cette démarche. L'élection du président Fox a été la plus régulière de l'histoire du Mexique. C'était effectivement une élection propre, et je parle là en termes absolus et non relatifs. Cette élection était supervisée par une commission électorale qui avait été réformée par l'ancien président Zedillo, lui-même un visionnaire, afin d'assurer que la vie politique mexicaine soit d'un caractère compatible avec celle de ses voisins nord-américains. Or, Élections Canada a été la principale source de conseils et de soutien pour ce processus électoral réformé.
Il est possible, et nécessaire, de multiplier ces formes de coopération, comme élément d'un large éventail d'initiatives venant des secteurs public, privé et sociaux, qui contribueront à renforcer la compatibilité et, par ce biais, forger une véritable communauté nord-américaine.
Je vous remercie.
º (1625)
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci beaucoup.
Nous allons maintenant passer à la période des questions. Nous aurons des tours de cinq minutes. La parole ira d'abord aux deux partis d'opposition, puis aux Libéraux, avant de retourner à l'opposition.
Nous allons commencer avec vous, monsieur Martin.
M. Keith Martin: Merci beaucoup, madame la présidente.
Merci à vous trois d'être venus. C'est un réel honneur que de vous avoir parmi nous. Vos interventions ont été des plus incisives.
Le professeur Pastor a énoncé ces 10 points de manière fantastique. Nous ne voulons pas nous faire écraser sur la route de Will Rogers; mais nous vivons à côté de l'éléphant, et nous devons sans cesse guetter l'éléphant pour voir dans quelle direction il va se rouler. Étant un pays beaucoup plus petit que les États-Unis, comment pouvons-nous avoir l'assurance que nos intérêts ne seront pas écrasés par les intérêts américains?
Cela m'amène à ma deuxième question, sur un point évoqué par le professeur Haynal. Quel est véritablement le degré d'intérêt au Congrès américain et au Sénat--et aussi dans le public américain--à créer ces commissions tripartites? Il faut être au moins deux pour danser le tango, trois en l'occurrence, comme vous dites.
Nous entendons, et constatons chaque jour, que le Canada et la coopération n'éveillent que très peu d'intérêt. Votre merveilleuse idée d'une aide américaine pour renforcer l'infrastructure mexicaine, et même canadienne, afin d'égaliser les choses, signifierait en substance que l'argent des Américains servirait à construire des routes au Canada et à financer l'éducation canadienne. Il me semble que ce serait commettre un suicide politique pour les politiciens américains de proposer une telle chose, aussi merveilleux que ce serait pour nous ici, au Canada. Peut-être pourriez-vous répondre à cela.
M. Robert A. Pastor: Certainement. Merci beaucoup.
J'ai fait parvenir un mémoire plus étoffé--je ne sais pas s'il vous a été communiqué--dans lequel j'ai explicité certains de ces thèmes.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Oui.
M. Robert Pastor: Mais permettez-moi de répondre spécifiquement à votre question.
Je pense que la seule chose pire que le refus des États-Unis de prendre la tête d'un mouvement vers une plus grande intégration nord-américaine serait qu'ils en prennent la tête. Nous en sommes là où nous sommes aujourd'hui en Amérique du Nord, en tout premier lieu, grâce à l'initiative canadienne de proposer un accord de libre-échange américano-canadien et, deuxièmement, grâce à l'initiative mexicaine de proposer ce qui est aujourd'hui connu sous le nom d'ALÉNA. Les États-Unis, en fait, avaient ces idées en tête depuis de nombreuses années. Le seul fait pour eux de les proposer aurait probablement suffi pour que le Canada et le Mexique décident de les rejeter. Je pense que le fait que l'initiative de l'ALÉNA soit venue des deux voisins «faibles», si vous voulez, a précisément rendu l'accord possible.
De même, nous sommes à un stade où l'absence de leadership de la part des États-Unis ouvre au Canada et au Mexique une avenue pour soumettre des idées. Si vous présentez vos idées de concert, vous aurez un auditoire aux États-Unis. Que le gouvernement les admettra d'emblée ou non dépendra largement de la nature du programme. Mais je pense qu'elles seront prises au sérieux dans certains milieux et qu'elles influenceront la nature du débat.
Le Canada doit d'abord décider ce qu'il veut retirer de cette relation. Comme M. Haynal vient de le signaler, les Mexicains ont aujourd'hui une vision. Ils ont la vision la plus clairement définie. J'ai discuté assez longuement de mon livre avec le président et le ministre des Affaires étrangères. Ils veulent avancer sur cette voie, mais ne peuvent y parvenir seuls. Les États-Unis n'ont pas encore déterminé la meilleure approche.
Je vous incite à promouvoir un agenda principalement parce que le Canada a toujours été en pointe s'agissant d'élaborer des règles et institutions internationales. Or, ce sont précisément elles qui manquent le plus en ce moment en Amérique du Nord. Ce sont elles qui vous prémuniront le mieux contre la puissance américaine. Les États-Unis ne vont pas toujours respecter toutes les règles--nous connaissons l'histoire--mais dans l'ensemble ils acceptent les institutions et les règles.
Donc, si je me mets à votre place, je ne comprends pas pourquoi vous laisseriez le champ libre à la puissance brute. Pourquoi ne pas tirer parti de votre plus grande force, soit la création de règles et d'institutions?
Vous m'avez demandé de clarifier cette idée d'un fonds de développement. Ma proposition est que chaque pays y contribue en proportion de sa richesse. Cela signifie évidemment que les États-Unis seraient le principal financier. Notre économie est dix fois supérieure à celle du Canada et 20 fois supérieure à celle du Mexique. La vaste majorité des montants devrait simplement aller au Mexique, avec peut-être juste un montant symbolique pour le Canada.
Ce serait une contribution similaire à celle que nous versons à la Banque mondiale et à la Banque de développement interaméricaine, sauf que nous avons un intérêt très spécial en Amérique du Nord à réduire cette énorme disparité entre le Mexique et les États-Unis.
J'ai discuté assez longuement de cette proposition avec des hauts fonctionnaires de la Maison Blanche et du Département d'État, ainsi qu'avec le sous-secrétaire au Trésor. Je n'ai pas rencontré un enthousiasme énorme pour l'idée de lancer un nouveau grand programme d'aide, comme ce serait interprété, mais je ne me suis pas non plus heurté à un refus ferme.
Si le Mexique avait soumis cette proposition en premier, plutôt que celle touchant l'immigration, franchement, je crois que ce serait déjà accepté. Si le Mexique et le Canada se mettaient d'accord entre eux, je pense que l'idée serait prise beaucoup plus au sérieux aux États-Unis.
º (1630)
C'est une idée nouvelle, et les idées nouvelles qui exigent beaucoup plus de fonds exigent habituellement un peu de temps avant d'aboutir ou une crise particulière ou un levier supplémentaire. Je pense que c'est une idée logique et j'espère que le Canada et le comité la trouveront intéressante.
º (1635)
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci, monsieur Pastor.
Votre temps est écoulé, monsieur Martin. Nous reviendrons à vous.
Madame Lalonde.
[Français]
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Merci infiniment à vous trois.
Je reviens d'une tournée mexicaine avec le chef de mon parti, le Bloc québécois, et un autre député, où on a rencontré des représentants du gouvernement, entre autres le ministre de l'Économie, des représentants politiques et des représentants sociaux, cela sur trois questions: un fonds de développement social et structurel inspiré de celui de l'Union européenne; un périmètre de sécurité négocié à trois, qui pourrait s'inspirer de ce qu'ont fait les Européens à Schengen, et non pas le copier; troisièmement, un institut monétaire des Amériques qui étudierait la question de la monnaie dans les années qui viennent, car il se peut que dans 15 ans, on soit devant l'obligation de se donner une seule monnaie.
J'ai entendu toutes vos paroles et je les ai bues comme du petit lait, en particulier celles de M. Pastor. Pour ma part, je tiens pour acquis que la meilleure stratégie, et j'espère que le Canada va embarquer là-dedans... Vous savez que le Québec avait appuyé la première entente de libre-échange. J'espère donc que, venant du Québec, ces projets-là pourront s'étendre partout au Canada. On peut tous les deux avoir une alliance avec le Mexique--c'est ce que vous avez dit--et avoir une écoute américaine.
Vous avez dit dans votre texte:
L'omission la plus flagrante de l'ALENA tient au fait que ce texte ne reconnaît pas l'énorme fossé qui sépare le Mexique de ses deux voisins du nord... |
C'est d'ailleurs l'idée qu'a eue M. Fox quand il est venu au Canada avec ce projet d'un fonds, que nous avons reprise et que nous voulons publiciser. Est-ce qu'il y a moyen de vendre aux États-Unis sur la base de l'intérêt américain? Il y aura moins de migrants si, avec des infrastructures de transport et d'éducation, le Mexique se développe davantage. C'est un meilleur marché. Je pense que c'est une proposition qui ne ferait que des gagnants et pour laquelle le Canada devrait se battre.
[Traduction]
M. Robert A. Pastor: Comme je viens de le dire à M. Martin, je pense que c'est là encore une idée nouvelle. L'administration républicaine n'a guère d'enthousiasme pour un programme d'aide, mais elle commence à reconnaître l'importance du Mexique. Le président Bush a clairement fait savoir son importance à ses yeux. Je pense qu'ils en discutent.
Mon point de vue personnel est que c'est tout à fait dans l'intérêt des États-Unis. Dans la mesure où les Américains s'inquiètent de l'afflux de migrants, par exemple, il est tout simplement impossible d'endiguer l'immigration clandestine sans combler l'écart de développement, les écarts de revenu, entre les États-Unis et le Mexique.
L'ALÉNA contient une stratégie de développement implicite, une qui encourage la migration du Mexique vers les États-Unis. La stratégie implicite est telle que 90 p. 100 de l'investissement étranger au Mexique se place dans les états frontaliers des États-Unis, qui sont très peu peuplés. Il y a certains déplacements de main-d'oeuvre du centre du sud du Mexique vers la frontière. Les gens savent que s'ils franchissent la frontière, ils vont multiplier leur salaire par dix, et donc l'effet global de cette stratégie de développement implicite est d'encourager la migration.
Il y a une façon très simple de régler le problème. J'en ai parlé avec des sociétés multinationales, leur demandant pourquoi elles s'établissent dans la zone frontalière, où le taux de rotation de la main-d'oeuvre est de 100 p. 100 chaque année, où les salaires sont plus élevés qu'au centre du pays et où la pollution et la congestion sont si prononcées. La réponse est très simple. Il n'y a pas d'infrastructure dans le centre et le sud du pays. Si l'on investit dans l'infrastructure dans le centre et si l'on construit des routes de la frontière jusqu'au centre et au sud du pays, l'investissement étranger suivra. Le taux de croissance économique du Mexique pourrait facilement être le double de celui des États-Unis et du Canada, et ce seul fait devrait commencer à modifier la nature de ce partenariat.
Une question distincte du fonds de développement est la problématique monétaire. Nous avons trois options. La première est la dollarisation de fait. En d'autres termes, aucun gouvernement ne prend de décisions mais le Canada et le Mexique utilisent de plus en plus le dollar US. Les entreprises et les touristes utilisent le dollar, tout le monde utilise le dollar. Je crois savoir que plus de la moitié des dépôts bancaires au Canada sont aujourd'hui en dollars US. Presque toutes les transactions des grandes sociétés se font en dollars. Si nous ne faisons rien, nous allons dans cette direction. C'est facile.
La deuxième option est la dollarisation de juré. Les trois gouvernements s'assoient et décident d'adopter le dollar comme monnaie unique.
La troisième option est une monnaie commune. Herbert Grubel a lancé l'idée de l'amero. Les Américains, je pense, sont très sûrs d'eux et veulent que tout le monde adopte leur dollar. Mais je pense qu'il y a aussi un pan de l'opinion américaine qui a une vision à plus long terme, la vision dont a procédé le plan Marshall et qui reconnaissait qu'il était dans l'intérêt à long terme de l'Amérique d'encourager l'unité européenne. Ce n'était pas un intérêt à court terme, mais à long terme. De même, je pense qu'il est dans l'intérêt des États-Unis de proposer ou d'envisager un régime dans lequel les trois pays se sentent à leur place et peuvent influencer cette entité plus large d'une monnaie amero, à la place du dollar américain.
Ce sont donc là à mon avis les trois options. Je pense que la plus probable est la dolarisation de facto, mais il me semble qu'il faudrait réfléchir de près à ce que nous souhaitons en tant que communauté et nous demander s'il ne vaut pas mieux pour nous de nous définir différemment au sein de cette entité et de prendre les décisions nous-mêmes.
º (1640)
[Français]
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci beaucoup, madame Lalonde.
Mme Francine Lalonde: Merci beaucoup, monsieur Pastor.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Madame Folco.
Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib.): Merci, madame la présidente.
Au point de départ, à l'autre bout de l'échelle sociale et économique, ce qui m'intéresse, c'est la société civile et le rôle que cette société civile joue dans nos politiques, considérant en particulier la nature participative des deux démocraties. Je parle ici du Canada et des États-Unis, mais c'est de plus en plus le cas au Mexique également.
Je pose la question aux trois témoins, même si M. Thomas n'a pas vraiment discuté de cet élément-là. Comment voyez-vous le rôle de la société civile dans ce grand plan, dans la préparation de la contribution à ce grand plan de réunir ces trois pays à l'intérieur d'un même cordon? Compte tenu du fait que les représentants de la société civile ne sont pas des élus pour la grande majorité, comment voyez-vous l'aspect de l'imputabilité de ces éléments à l'intérieur de ce plan? C'est ma première question.
Ma deuxième est un peu la même, mais elle touche l'entreprise privée. L'économie des États-Unis est un modèle pour plusieurs pays quant au rôle que l'entreprise privée joue; cette dernière prend souvent même le rôle que certains gouvernements peuvent jouer dans d'autres pays. Comment voyez-vous le rôle de l'entreprise privée dans la création de ce grand ensemble?
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Monsieur Thomas, il semble que tout le monde regarde dans votre direction. Reliez cela aux subventions.
M. Kenneth P. Thomas: Je pense que la société civile s'est montrée très active sur la question des subventions. Comme je l'ai mentionné, il y a des groupes de citoyens ici au Canada, et aussi aux États-Unis. Je connais beaucoup moins la situation au Mexique, sur le plan des subventions ou de l'intérêt de la société civile pour ces questions.
Je pense que c'est une question légitime de savoir comment la société civile rend des comptes, puisque généralement ses représentants ne sont pas élus, comme vous le faites remarquer. Je ne connais pas moi-même la réponse.
Je pense que le rôle du secteur privé est très important. Je pense que bien des entreprises privées ont conscience elles-mêmes que les subventions en fin de compte ne leur profitent pas. Lorsque, par exemple, des entreprises non concurrentielles sont maintenues en vie par des subventions ou ce genre de choses, cela nuit au bon fonctionnement du marché, cela pèse sur les profits des concurrents efficients et j'en ai entendu pas mal au Canada, en fait plus qu'aux États-Unis, dire à voix basse qu'elles sont prêtes à y renoncer.
On entend un peu cela aux États-Unis également, mais dans l'Union européenne, les principaux représentants patronaux s'accordent généralement à souhaiter la suppression des subventions et à se plaindre des subventions touchées par les concurrents, et ce n'était pas le cas en Europe il y a une vingtaine d'années.
º (1645)
M. George Haynal: J'espère que vous ne m'en voudrez pas de répondre en anglais.
Vous posez deux questions très intéressantes et importantes et qui comportent des éléments de [Note de la rédaction: Difficulté technique]. Il y a peu, au Mexique, la notion d'une intervention de la société civile étrangère n'était pas très bien reçue, si je puis dire les choses ainsi. Les gouvernements décourageaient même cela activement. Avec l'arrivée du président Fox, il y a eu un renversement, et l'on encourage aussi bien l'existence d'une société civile mexicaine que les contacts avec la société civile du reste de l'Amérique du Nord. Je pense qu'il y a un puissant mouvement vers la compatibilité--je reviens sans cesse à ce mot, car il est très important. C'est elle qui rend les autres choses possibles. Je pense donc que l'épanouissement de la société civile au Mexique va de pair avec un soutien plus large à la notion de communauté partagée au sein de l'Amérique du Nord.
Je formulerai une remarque. J'ai dit plus tôt qu'il y avait 20 millions d'Américains d'origine mexicaine, et j'ai vérifié ce chiffre auprès de Bob Pastor. Réfléchissez-y un moment, car c'est là un volet très puissant de la société civile américaine. Ils sont concentrés dans des régions où ils ont une grande importante politique, une grande influence politique, et le gouvernement mexicain entretient des liens très actifs avec cette population. De fait, il vient de rétablir le droit à la citoyenneté des Mexicains qui ont adopté la nationalité américaine, de façon à ce qu'ils puissent voter dans les deux pays.
Il existe, et c'est le chiffre le plus récent, 45 consulats ou consulats généraux mexicains aux États-Unis qui engagent le dialogue avec ce groupe et d'autres. Il y a là tout un pan de la société civile, il ne faut pas l'oublier, peut-être la composante la plus puissante de la société civile nord-américaine, qui milite pour une plus grande intégration et rejoint en cela les objectifs du gouvernement mexicain. Nous-mêmes, je crois, n'avons que 14 consulats aux États-Unis.
La question de l'influence du secteur privé dans ce processus est également énormément importante. Je pense pouvoir dire que le secteur privé est loin en avance sur le secteur public dans ce discours, sauf peut-être au Mexique, où il accuse un certain retard. Certains secteurs y sont favorables, mais ceux qui bénéficiaient de la protection des barrières tarifaires et d'autres formes de protection sont moins bien disposés.
Au Canada, les entreprises sont presque unanimes à souhaiter une intégration économique plus étroite, au moins avec les États-Unis et au moins ponctuellement avec le Mexique. Et je pense que si vous demandiez l'opinion des entreprises américaines, elles penchent également en ce sens bien que--et je m'arrêterai là--le secteur privé soit beaucoup plus catégorique qu'aux États-Unis, ce qui est encore une fois le reflet de l'asymétrie. C'est beaucoup moins un enjeu pour le secteur privé américain que pour le Canadien.
º (1650)
M. Robert A. Pastor: Je suis d'accord avec ce que M. Haynal vient de dire, mais pour être un peu plus direct, comme le veut la coutume américaine, disons tout d'abord que je trouve la question excellente. La réponse est que l'intégration nord-américaine est recherchée principalement par le marché et les entreprises, pour des raisons économiques, et deuxièmement par la société civile. Les gouvernements, le secteur public, ont une grande longueur de retard à cet égard. Évidemment, la société civile est beaucoup plus développée aux États-Unis et au Canada. Le nombre d'associations professionnelles, le nombre de réunions qui se déroulent, est énorme.
En revanche, c'est au Mexique que les choses sont les plus intéressantes, à bien des égards. Je connaissais très bien le président Salinas, car nous avons fréquenté l'université ensemble, et j'ai suivi l'évolution de sa pensée. Cela a été un grand choc pour moi lorsqu'il s'est fait le champion de l'ALÉNA, car jusqu'alors ses opinions étaient très représentatives de l'élite de Mexico, et consistait à vouloir tenir les États-Unis à distance, car si l'on réduisant les barrières avec les États-Unis, ces derniers domineraient le pays.
Je pense que l'une des raisons qui l'on fait changer d'avis est qu'il a commencé à effectuer de nombreux sondages d'opinion dans son pays--et c'était à un moment où le Mexique était encore très loin d'être démocratique. On a assisté à des progrès spectaculaires ces 12 dernières années sur ce plan, en grande partie grâce à l'aide d'Élections Canada et d'autres, mais tel n'était pas le cas alors. Il s'est rendu compte, en examinant les sondages d'opinion, que la perception des États-Unis dans le peuple mexicain avait changé, beaucoup plus que chez l'élite, et que les Mexicains étaient beaucoup plus prêts que par le passé à envisager une relation différente avec les États-Unis.
George a raison également de dire que la présence de 20 millions de Mexico-américains aux États-Unis constitue aujourd'hui un facteur très important. Les deux partis politiques rivalisent pour les bonnes grâces de ce groupe ethnique émergent qui n'a pas encore trouvé son ancrage, ce qui nous rend un peu plus susceptibles qu'auparavant d'envisager des mesures telles que le fonds de développement. Le fait que le président Bush ait accordé une si grande attention à une transformation fondamentale de notre législation en matière d'immigration, le sujet le plus sensible et le plus difficile de tous, en est une indication.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci.
Madame Meredith.
Mme Val Meredith (South Surrey--White Rock--Langley, PC/RD): Merci, madame la présidente.
Je ne vous dirai jamais assez, messieurs, combien je suis ravie de voir des témoins qui non seulement partagent mon avis quant à la direction dans laquelle nous devrions nous engager, mais qui oeuvrent activement pour cela.
J'aime toujours citer le mot de mot de M. Papademetriou, de la Fondation Carnegie, lorsqu'il a dit que le Mexique et le Canada se situent sur le même continuum dans leurs relations avec les États-Unis, mais à un palier différent. Ayant vu comment les choses se passent à la frontière canado-américaine et à la frontière mexico-américaine, je me dis que si seulement davantage de Canadiens pouvaient constater le potentiel des relations entre les trois pays, ils seraient un peu plus disposés à s'ouvrir.
Mais il m'est apparu très clairement, depuis toutes ces années que j'ai passées à travailler sur les problèmes frontaliers, que lorsqu'on parle de la nécessité de développer les institutions, ce sont les institutions elles-mêmes qui se mettent en travers du chemin. Ce sont les institutions comme les douanes canadiennes et les douanes américaines, Immigration Canada et Immigration États-Unis et nos ministères du Commerce, qui ne cessent de dresser l'un contre l'autre pour savoir qui aura le dernier mot, qui sera le premier à céder quelque chose.
Je connais moins bien la situation au Mexique, je pense que le pays est moins avancé, en quelque sorte, dans ce domaine. Mais je sais que lors de nos discussions sur l'accord frontalier canado-américain, il y avait là un représentant d'une administration--je ne dirai pas laquelle ni de quel pays--qui disait qu'il y avait 152 règlements qui empêchaient de le conclure.
J'ai répliqué: pourquoi ne pas dire aux politiciens et à ceux qui peuvent changer les lois et les règlements quels sont ces 152 règlements, afin qu'on puisse commencer à les démanteler? Mais rien ne s'est passé depuis. Comment peut-on donc surmonter cette résistance institutionnelle au changement, afin de pouvoir franchir ces étapes que vous avez esquissées?
J'ai une autre question, qui s'adresse plus précisément à vous, monsieur Thomas, sur les subventions. Comment les rendre transparentes? Je ne sais combien de nos différends commerciaux tournent autour d'accusations de subventions, mais permettez-moi de vous le dire, lorsque je traverse le désert du sud de la Californie et que je vois tous ces canaux d'irrigation, il y a là une subvention directe aux agriculteurs américains dont il n'est jamais question dans les accords commerciaux ou dans les analyses comparatives des subventions, notamment dans le domaine du bois d'oeuvre.
Ce n'est pas parce que nous faisons les choses différemment qu'il y a subvention. Le fait que nos gouvernements provinciaux contrôlent la manière dont ces ressources sont exploitées ne signifie pas qu'il y a subvention, pas plus qu'il n'y en a dans certaines méthodes américaines de fabriquer ou d'utiliser la ressource. Comment peut-on donc surmonter ces problèmes institutionnels, plutôt que d'en créer de nouveaux?
º (1655)
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci, madame Meredith. Vous avez utilisé pas mal de votre temps, si bien qu'il ne reste plus que deux minutes et demie pour la réponse. Il s'agit d'être équitable.
M. Robert A. Pastor: Premièrement, je veux féliciter Mme Meredith de son travail dans ce domaine, et aussi de sa réalisation que, en dépit des différences, le problème qui se pose à la frontière entre les États-Unis et le Mexique est le même qu'à celle entre les États-Unis et le Canada. Je pense que vous avez parfaitement cerné le problème.
Certaines institutions anciennes qui se mettent en travers du chemin ont besoin d'être repensées, redéfinies. Pendant très longtemps, la frontière mexico-américaine a été marquée par la peur américaine de la drogue et de l'immigration clandestine. La peur était absente de la frontière américano-canadienne; d'ailleurs, comme nous le savons tous, on se contentait de placer des cônes orange au travers de la route la nuit pour empêcher les gens de passer. J'ai d'ailleurs dit un jour devant un auditoire que les Canadiens sont probablement le seul peuple au monde à être dissuadé par des cônes orange. C'est pourquoi le choc a été si grand ici après le 11 septembre, et il y a donc cette différence.
Mais le fait est qu'il faut redéfinir ces administrations existantes et comprendre que la difficulté est essentiellement la même aux deux frontières, et la seule façon d'y parvenir est que des gens comme vous visitent les deux frontières et se rendent compte sur place. Comment faciliter l'accès des personnes, des biens et services légitimes et empêcher l'entrée des marchandises illégales, des terroristes et de tout ce que vous voudrez? C'est là la difficulté et je pense qu'il sera plus facile de réformer ces institutions si les trois pays s'assoient ensemble à la table, se posent la question et conviennent de démanteler toutes les institutions existantes pour en concevoir une nouvelle, une institution nord-américaine qui pourra faire les choses mieux.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci.
Madame Marleau.
Mme Diane Marleau (Sudbury, Lib.): On prête à notre premier ministre la phrase: «les Américains sont nos meilleurs amis, que nous le voulions ou non». Nous savons déjà depuis pas mal de temps que nous avons toujours eu plus de mal à faire venir les Américains au Canada que de faire aller les Canadiens aux États-Unis. Mais le réel défi est d'amener les Américains à nous connaître. Ils ne savent rien de nous et il est incroyablement difficile de changer cela.
Vous avez parlé de former un groupe parlementaire nord-américain. Je pense que c'est une excellente idée, mais j'ai fait beaucoup de voyages aux États-Unis et il est très difficile de rencontrer la moindre personnalité politique. Si vous avez de la chance, vous en rencontrez un et la conversation durera cinq secondes. Ce sont des gens très sympathiques, mais la relation n'est pas vraiment facile.
Comment proposez-vous de procéder et de faire en sorte que les parlementaires viennent, autres que les Canadiens et peut-être les Mexicains. Voilà ma première question.
Vous avez dit quantité de choses très importantes. L'autre grand défi, évidemment, est la taille des États-Unis et le fait que, si nous aspirons à des règles bien nettes et sommes prêts à les suivre, les Américains ont la capacité de les modifier quand cela leur chante. Par quel moyen pouvons-nous neutraliser cela, et par nous j'entends les Mexicains et les Canadiens? Qui ferait appliquer les décisions prises par ce super tribunal que vous préconisez? Vous dites que ce ne serait pas une administration lourde et ce genre de choses, mais que ce passe-t-il s'il y a une décision en faveur du Mexique et que les États-Unis n'en veulent pas? Il leur suffira de modifier les règles et de faire à leur tête.
Ce sont là de véritables difficultés. Il nous faudrait convaincre les Canadiens, d'abord, qu'il y a une place pour nous. C'est le plus épineux. Nombre des choses dont vous parlez seraient merveilleuses, dans un monde idéal.
» (1700)
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Est-ce que nous sommes parvenus à l'image de l'éléphant et de...
Mme Diane Marleau: Oui, tout à fait. Évidemment, c'est à notre avantage que les Mexicains soient à nos côtés. Cela fait un peu de contrepoids, et nous en avons besoin.
Tout d'abord, sur cette idée d'une relation entre élus des trois pays, rien que cela serait merveilleux.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci.
M. Robert A. Pastor: Vous me posez deux questions très difficiles. Comment fixer l'attention des membres du Congrès américain? Ils ont une capacité d'attention qui ne dépasse pas le niveau de la plupart des préadolescents.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Avez-vous l'intention de repasser la frontière?
M. Robert A. Pastor: Oui, oui. Mais ils ne font attention que si on leur parle comme cela. C'est justement ce que je veux faire ressortir. Franchement, je pense que vous serez plus susceptibles d'attirer leur attention dans un cadre trilatéral.
Deuxièmement, j'ai effectué une étude sur l'intérêt porté par le Congrès américain au Canada et au Mexique à différentes périodes. J'ai constaté que le Congrès prête davantage attention lorsque quelques personnalités éminentes sont réellement intéressées. D'autres alors suivent. Mike Mansfield, lorsqu'il était président du groupe interparlementaire États-Unis-Mexique, a réellement fait bouger les choses. Il s'agit donc, en partie, de cultiver quelques personnalités et de les amener à agir.
Mais c'est un problème éternel. Cela me rappelle le livre de l'ambassadeur Allan Gotlieb--vous savez, « j'ai cinq minutes à vous accorder ». Quiconque passe un peu de temps à Washington sait comment les choses se passent.
L'autre question était: Comment les amener à suivre les règles? Je pense que, dans l'ensemble, il y a un sens de la justice dans la mentalité américaine. Je ne dis pas que les États-Unis ne vont pas parfois enfreindre les règles ou essayer de les esquiver, mais je pense que vous pouvez en appeler à ce sens de la justice. Cela marchera, la plupart du temps. Je ne prétends pas que ce sera toujours. Mais dans la mesure où il existe des règles et des institutions pour les appliquer, cela marchera. Le mécanisme de règlement des différends sous le régime de l'ALÉNA fonctionne plutôt bien. Aucun des trois pays ne viole ouvertement ces accords. Ils vont peut-être faire appel auprès de l'OMC ou ce genre de choses, mais ils acceptent les règles.
Une voix: Sauf pour le bois d'oeuvre.
M. Robert A. Pastor: C'est par là que tout a commencé, c'est vrai.
[Français]
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Madame Lalonde.
Mme Francine Lalonde: Monsieur Pastor, vous disiez que le fonds social et culturel pourrait être administré par la Banque mondiale ou par la Banque interaméricaine de développement. C'est une question que nous avions aussi examinée. Mais ça ne pourrait pas être que ça. Si le fonds de l'Union européenne a été tellement efficace, c'est parce qu'il ne faisait pas que des prêts; il faisait aussi des investissements directs dans les infrastructures, et c'est cela qui a permis de développer, comme l'a dit M. Thomas très rapidement, des infrastructures qui ont bénéficié à tout le monde par la suite. Il faudrait donc sans doute créer une autre institution pour gérer cela.
Je voudrais que vous nous parliez aussi des avantages qu'il y aurait pour nous à connaître mieux la société mexicaine. Je voyais que vous aviez travaillé avec M. Castañeda, qui est maintenant le ministre des Affaires étrangères, qui parle anglais sans accent et qui parle français comme un Parisien. C'est un homme exceptionnel.
J'ai vécu presque un mois au Mexique et j'ai été émerveillée par cette démocratie mexicaine qui se vit et qui se construit en ce moment. Sans aucun complexe, on peut dire que le pouvoir que le Sénat a là-bas est sans comparaison avec celui qu'on a ici. On peut également dire que la société civile est très active et qu'elle se développe. Soit dit en passant, un fonds social permettrait à la société civile de vouloir une mondialisation plus humaine au lieu d'être contre, comme elle l'est maintenant.
Il y a une grande partie du Mexique qui est très moderne et qui doit être reconnue comme telle. Les Mexicains ne se conçoivent pas comme un pays en développement. Ils se conçoivent comme un pays plein de richesses qui a besoin d'avoir des moyens de développement.
Il me semble que, pour nous comme pour les Américains, ça permettrait de développer une communauté plus équilibrée.
» (1705)
[Traduction]
M. Robert A. Pastor: Je ne suis pas d'accord avec vous et je vais vous dire pourquoi.
Premièrement, j'ai étudié les fonds de l'Union européenne. En fait, il y a eu sept fonds différents dans les 40 dernières années. Je ne voudrais pas reproduire la structure européenne. Ces fonds ont dépensé plus de 400 milliards de dollars au cours des 25 dernières années et la plus grande partie a été gaspillée. D'après mon analyse, ces fonds n'ont été réellement efficaces que dans deux domaines, l'infrastructure et l'éducation. Cela peut être géré très facilement par la Banque mondiale et la BDI.
Franchement, je n'aimerais pas créer une nouvelle institution. Je pense que tout le génie de l'Amérique du Nord est de ne pas bureaucratiser. Utilisons ce que nous avons, pour éviter les lourdeurs et avoir une action concentrée. Je ne m'occuperais pas de développement social. Je pense que la Banque de développement interaméricaine suffit pour cela. Je me limiterais à ces deux domaines.
Comment mieux connaître la société civile? Je connais très bien Jorge Castenada. Nous avons rédigé un livre ensemble et échangé nos maisons. Vous avez tout à fait raison, c'est un homme exceptionnel. Mais je pense que Fox est l'aboutissement d'un processus de démocratisation au Mexique, qui a été très profond et relativement rapide.
J'ai eu le privilège en 2000 d'avoir été invité à organiser l'observation de deux élections. Ayant participé au débat sur l'ALÉNA, je connaissais bien les nombreuses prédictions qui avaient été faites sur ce qu'il s'ensuivrait. Mais il est arrivé une chose que nul n'avait prévu. J'ai organisé les observations et les élections au Mexique et aux États-Unis, et vous savez ce qui est arrivé: le Mexique a eu une élection libre et régulière, et pas les États-Unis. Ce n'est évidemment pas la faute de l'ALÉNA, mais cela montre bien que le Mexique a énormément progressé. Peut-être les États-Unis ont-ils quelque chose à apprendre de leurs voisins, sur le sujet de la société civile et de la démocratie.
» (1710)
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci.
Madame Jennings.
[Français]
Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce--Lachine, Lib.): Merci, madame la présidente. Merci beaucoup de vos présentations.
Compte tenu du fait que je ne siège à ce comité que depuis le mois de septembre et que j'ai passé près de cinq ans au Comité de l'industrie, il y a deux suggestions, l'une de M. Thomas et l'autre de M. Pastor, qui m'intéressent beaucoup. Cela touche le fait que le Canada est chef de file au niveau de l'élaboration des structures et des cadres législatifs et réglementaires dans plusieurs domaines au niveau international.
Monsieur Thomas, vous parlez de toute la question de la transparence, de l'imputabilité au niveau des subventions et de la possibilité de créer une structure basée un peu sur le modèle européen, mais pas nécessairement identique.
Monsieur Pastor, vous parlez de la commission nord-américaine qui définira un agenda pour des réunions au sommet avec les trois leaders d'Amérique du Nord, et qui aura la responsabilité de surveiller l'implantation ou la réalisation des décisions et des plans de ces trois leaders.
Honnêtement, comment le Canada peut-il, tout en poursuivant ses relations des États-Unis, compte tenu du pourcentage de ses exportations et ainsi de suite, miser davantage sur le Mexique et tenter d'élaborer sa relation bilatérale avec le Mexique afin de se positionner face aux États-Unis à l'intérieur de l'ALENA et de tenter d'amener les Américains à être plus ouverts à des solutions tripartites et donc non basées sur le pouvoir?
Actuellement, je ne pense pas qu'il y ait ce goût aux États-Unis, malgré ce que vous dites, monsieur Haynal, à savoir qu'il y a 20 millions d'Américains d'origine mexicaine, ce qui constitue tout un poids.
Je pense qu'au niveau des législateurs, il n'y a pas de réel intérêt au niveau tripartite. C'est vraiment bilatéral. Pour le Canada, le bilatéral porte plutôt sur les questions de la frontière, sur la sécurité nationale. Les Américains ne sont pas tellement dérangés par les délais au niveau de nos frontières; ce sont plutôt les Canadiens, nos commerces à nous, qui le sont. Oui, on continue à discuter, mais je me demande s'il y a un intérêt. Pensez-vous qu'il serait bon que le Canada commence à mettre davantage l'accent sur ses relations avec le Mexique, en misant sur les domaines dans lesquels il est le chef de file, comme la question de la gouvernance, l'imputabilité, l'élaboration des structures réglementaires, etc.?
[Traduction]
M. Robert A. Pastor: Vous avez raison, les législateurs américains ne sont pas très intéressés par une relation trilatérale. Ce qui les intéresse, ce sont les problèmes spécifiques. Comme votre collègue l'a fait remarquer, il est difficile de retenir leur attention. C'est l'une des raisons pour lesquelles je préconise des institutions, comme moyen de rendre les contacts routiniers.
Deuxièmement, j'espère que le Canada choisira d'approfondir ses relations avec le Mexique, pour diverses raisons mais notamment parce que cela pourrait encourager une approche plus trilatérale. Mais il y a une mauvaise façon d'attirer l'attention des États-Unis. Au tout début des négociations sur l'ALÉNA, certains responsables mexicains et canadiens pensaient qu'ils pourraient en quelque sorte se liguer face aux États-Unis. Cela s'est avéré très improductif, et je pense que ce le serait encore.
Ce que je propose est différent. Des consultations en vue d'élaborer des règles servant les intérêts des trois pays d'Amérique du Nord seraient très bénéfiques et susciteraient l'attention aux États-Unis d'une manière positive.
C'est une stratégie à très long terme. Je comprends la frustration que vous et d'autres ressentez, car je la partage aussi. Moi aussi je la ressens quand j'ai affaire au Congrès. Cela prendra du temps. Je pense que les mentalités commencent à changer et l'on en voit certains indices. Il faut simplement continuer à travailler là-dessus.
» (1715)
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Monsieur Thomas.
M. Kenneth P. Thomas: Je pense que vous avez raison d'insister sur la transparence et la reddition de comptes.
Pour en revenir à la question de Mme Meredith, je pense que les choses vont commencer à bouger précisément sous l'impulsion de la société civile. C'est un peu comme si les gouvernements voulaient se cacher des choses les uns aux autres et aussi au public. C'est pourquoi dans mon exposé j'insiste sur la participation des organisations non gouvernementales.
Je signale également que même dans l'Union européenne, certains pays ignorent encore les décisions de la commission, même après une décision en leur défaveur de la Cour européenne de justice. Mais dans le domaine que j'étudie, celui de l'aide étatique dans l'Union européenne, la résistance s'effrite peu à peu. Même l'Allemagne, qui a une longue histoire de conflits avec la commission au sujet de l'aide étatique, en est venue à céder beaucoup plus rapidement.
Évidemment, la disparité entre les États-Unis, le Canada et le Mexique est encore plus grande qu'entre l'Allemagne et les autres pays de l'UE, et ce pourrait ne pas être une partie de plaisir. Mais comme le disait le professeur Pastor, beaucoup de gens aux États-Unis diront: d'accord, nous avons perdu le match, mais il a été joué dans les règles. On verra peut-être un résultat comme celui-là dans le différend sur les sociétés de vente à l'étranger et les jugements de l'OMC. Les États-Unis ont changé les règles une fois et ont été condamnés, et probablement vont-ils finir par céder sur ce point.
M. George Haynal: Je pourrais peut-être ajouter une observation pour compléter ce qu'a dit Bob Pastor. Pour dire les choses de manière crue, à mon avis, le Congrès ne travaille pas sur la base de relations. Le Congrès travaille sur des enjeux et des problèmes, principalement d'intérêt sectoriel ou égoïste. Ce qui compte, ce sont donc les intérêts et les enjeux, pas les relations. Ce n'est donc pas le Congrès qui va faire avancer la cause d'une communauté nord-américaine.
L'impulsion viendra peut-être de la base. Vous avez demandé tout à l'heure comment accrocher l'attention des membres du Congrès. Pour reprendre le vieil adage, toute politique est locale. Cet adage n'est peut-être pas vieux, mais il est bon. Il est probablement beaucoup plus efficace de joindre les membres du Congrès chez eux qu'à Washington. Si l'on veut que le Contrès agisse, il faudra que l'impulsion vienne de leur circonscription.
L'impulsion est beaucoup plus susceptible de venir de l'administration. Pourtant, je ne connais personne dans l'administration, hormis le président, qui croit à la relation avec le Mexique.
En outre, ce n'est pas un projet nord-américain. Il ne faut jamais perdre cela de vue. C'est principalement un projet mexicain et cela est important. Ce n'est pas nécessairement un projet américain. Ce n'est le nôtre que par extension. Il va donc falloir mettre de la chair autour du squelette pour qu'il devienne digestible. Ce n'est qu'une fois que les hommes politiques aux États-Unis, en particulier, pourront l'appréhender comme une série d'enjeux individuels, plutôt que comme une vision, que les choses vont bouger. Il n'y a pas à l'heure actuelle de Jean Monnet, il n'y a que Bob Pastor. Je conviens donc avec lui que la tâche sera rude. Vous ne pourrez jamais contourner cette énorme boîte noire qu'est le système congressionnel, qui avale les choses à un bout et les recrache à l'autre. Il est très difficile de les suivre à l'intérieur.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci.
Madame Meredith.
Mme Val Meredith: Merci, madame la présidente.
Je veux poursuivre cette discussion car elle permet vraiment de cerner l'obstacle à surmonter. Et je vais vous donner l'occasion, monsieur Haynal, de répondre à la question sur la bureaucratie et les problèmes qu'elle présente.
Nous avons d'énormes barrières à franchir si nous voulons faire avancer ce projet, non seulement du fait des politiciens américains, mais aussi des politiciens ici au Canada et au Mexique. Cela tient en partie à notre méfiance à l'égard des États-Unis et en partie à la crainte que la main-d'oeuvre à bas salaire mexicaine ne vienne prendre nos emplois.
Le problème est-il que nous soyons tellement en avance sur l'opinion? Sommes-nous lancés là dans une quête futuriste, où nous devons attendre que les autres nous rattrapent, mais sans pouvoir les cravacher?
Je suis frustrée par la lenteur avec laquelle ces idées se propagent, face à la réticence à même ouvrir un débat. Vous êtes les premiers témoins à évoquer le concept nord-américain. Comment peut-on percer l'écran bureaucratique et politique pour au moins mettre ce débat à l'ordre du jour de plus d'une seule réunion de comité?
» (1720)
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Nous avons commencé ici, madame Meredith, en ouvrant le sujet. Nous entendons des témoins, etc. et c'est juste le début d'un plan plus large. Vous avez de l'initiative ici.
Mme Val Meredith: Bien. Et le Canada a souvent pris l'initiative.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci d'être venue. Je vous invite à revenir quand vous voudrez.
M. George Haynal: Sans vouloir empiéter sur le temps de Bob... Il importe de bien distinguer entre un projet nord-américain et un projet canado-américain, tout comme il est très important pour le Mexique de comprendre ce qu'est un agenda nord-américain et un agenda mexicain, et voir sous quelle apparence chacun se déguise. L'apparence n'est pas nécessairement la réalité, j'en reviens toujours à cela. Le projet nord-américain est un élément très important dans la transformation du Mexique en un État moderne, et il faut le reconnaître et l'appuyer en tant que tel. Il est dans l'intérêt du Canada de l'appuyer, mais le projet nord-américain en soi, selon notre perspective, est très différent de la perspective mexicaine.
Tout ce que je dis, c'est qu'au fur et à mesure que ce discours progresse, il importera de plus en plus d'introduire la dimension nord-américaine, mais sans la confondre avec le problème fondamental pour nous, qui est de bien gérer notre relation avec les États-Unis, une question de survie. Si nous ne gérons pas bien cette relation, tout le reste importera peu.
Voilà ma première réponse à la question générale de savoir comment faire avancer les choses. Une fois qu'on établit un tri dans ces éléments, on lève le voile de la confusion et les problèmes apparaissent plus clairement, qu'il s'agisse de survie, de commodité ou d'altruisme. C'est une vaste problématique qu'il faut mettre au net.
Pour ce qui est de la lourdeur bureaucratique, vous m'avez cité, mais je ne suis pas le seul à dire ces choses. Selon mon recensemente, l'Agence des douanes et du revenu Canada applique 186 règlements. Ce n'est pas elle qui a les a créés. C'était des décisions politiques. J'imagine que certaines de ces restrictions touchent l'importation de fouets de fiacre, car la frontière ne date pas d'hier. À ma connaissance, il n'y a pas eu d'analyse concertée des restrictions à la frontière et de leur raison d'être.
Je pense qu'il y a des inhibitions politiques et bureaucratiques qui l'empêchent. Schématiquement, les bureaucraties sont aux ordres de l'appareil politique et il s'agit donc de clarifier nos objectifs. Si nous avons des objectifs à la frontière qui sont d'intérêt commercial, c'est à l'appareil politique de faire savoir que nos règlements sont obsolètes et alors la bureaucratie réagira.
Au coeur de toute la problématique, il y a la confiance en soi. Pourquoi la frontière existe-t-elle? Contre quoi nous protège-t-elle? Est-ce un instrument partagé ou un instrument hostile? Est-ce une ligne qui ne fait que diviser nos deux pays, ou bien est-elle aussi un trait d'union?
Ce n'est pas aux bureaucrates de trancher ces questions. Ils peuvent proposer une certaine conception des choses, mais c'est votre action, dans ce domaine et dans d'autres, qui compte, car c'est une question politique. Ce sont toutes des questions politiques.
» (1725)
M. Robert A. Pastor: Ce sont de très bonnes questions.
Premièrement, l'obstacle bureaucratique. Dans votre question antérieure vous aviez énoncé une réalisation qui est très importante, à savoir que...
La question était de savoir laquelle de nos administrations était la plus avancée, l'américaine et la canadienne, ou la mexicaine, s'agissant de la frontière? Le grand paradoxe est que les deux pays les plus avancés sont peut-être aussi les plus régressifs, précisément parce qu'ils ont des institutions tellement enracinées qu'elles semblent impénétrables au changement. C'est donc peut-être bien le Mexique, qui possède le moins d'institutions, qui est le plus ouvert au changement.
J'ai fait une analyse détaillée de l'Europe et de l'Amérique du Nord, dans son entier, et je pense que le régime nord-américain est très différent, précisément parce que nous sommes beaucoup plus pragmatiques, en Amérique du Nord. Nous n'avons pas le boulet d'institutions très anciennes. Nous pouvons les modifier et c'est le stade où nous en sommes. La façon dont vous avez posé la question, c'est-à-dire pouvons-nous changer notre façon de concevoir les bureaucraties, permet d'entrevoir la réponse. La réponse est oui, mais ce sera très difficile, particulièrement pour les États-Unis et le Canada, car nous avons des systèmes fédéralistes très ancrés, nous avons des problèmes de répartition des pouvoirs entre gouvernements et des institutions anciennes résistantes au changement.
Votre deuxième question était de savoir comment effectuer une percée? Je pense que la réponse viendra, et viendra vite, car nous sommes des sociétés très ouvertes et ceci est la voie de l'avenir. George a très bien expliqué pourquoi chacun de nos pays devrait s'engager dans l'Amérique du Nord pour ses raisons propres, mais nous avons chacun une raison puissante de le faire. La raison du Mexique est de transformer son système de valeur. La raison du Canada est la nécessité de mieux gérer la relation.
Selon mon point de vue, la raison la plus puissante et convaincante pour laquelle les États-Unis devraient s'engager en Amérique du Nord est ce que j'appelle le paradoxe de l'insularité américaine. Le pays le plus grand et le plus puissant du monde est également le plus insulaire et la seule façon de casser ce moule est que les gens adoptent une identité différente qui dépasse les seuls États-Unis. Les Américains doivent se concevoir comme partie d'une entité un peu plus large. Celle de citoyen du monde est trop large, trop abstraite. En revanche, être un nord-américain est très réel. Je pense que c'est de cette façon que l'Amérique pourra changer la façon dont elle conçoit ses voisins, et soi-même et le reste du monde.
Ce sont toutes là des raisons pour lesquelles l'Amérique du Nord, en tant que vision, est réellement la voie de l'avenir et pourquoi vous tous pouvez allez voir vos électeurs et commencer à faire valoir ces arguments et rencontrer une certaine résonnance, et alors je pense que nous verrons un changement assez rapide.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): (???) Merci, monsieur Pastor. Si vous pouvez nous accorder encore cinq minutes, nous lèverons ensuite la séance.
Mme Jennings a droit à la dernière question.
Mme Marlene Jennings: Merci, madame la présidente.
Ma dernière question porte sur... Vous vous accordez tous à dire que, pour que les choses changent réellement, et soulever l'attention de l'Amérique, il faut des enjeux. Vous avez lancé l'idée, monsieur Pastor, d'une sorte de sommet régulier, non nécessairement une commission nord-américaine permanente qui ait un pouvoir de décision, etc., mais d'un sommet régulier des trois dirigeants, pour traiter de questions soulevées par l'un ou l'autre, ou tous les trois, mais revêtant une importance pour les trois. Est-ce que cela permettrait d'engager les trois pays dans une meilleure direction?
M. Robert A. Pastor: Je pense que les sommets seraient utiles, mais ils sont inadéquats. Nous avons vu ce qui s'est passé en avril à Québec.
À moins d'avoir un groupe distinct, autonome, à vision continentale, qui propose l'ordre du jour, les trois dirigeants se verront charger par leurs gouvernements, nécessairement, d'aborder les problèmes bilatéraux immédiats. Le problème des sommets, sans bon ordre du jour continental, est qu'ils deviendront de simples occasions de photos, et pas grand-chose de plus. Il manquera la substance.
Il faudra du temps pour que nos trois gouvernements déplacent leur point focal vers ce qui est bon pour l'Amérique du Nord. Le changement est trop grand. Je préférerais que nos gouvernements continuent à mandater leurs dirigeants, pour traiter d'un ordre du jour conçu par quelqu'un d'autre, avec des options pour quelqu'un d'autre. L'idée à la base de la commission nord-américaine est de réfléchir à l'infrastructure nord-américaine et de proposer une série d'idées, les gouvernements chargeant ensuite leurs dirigeants de réfléchir ensemble, autour de la table, à ce qui est bon pour leur pays.
Je pense donc que les sommets sont une bonne idée, mais ils n'amèront pas l'échange de vues profond sur la problématique nord-américaine s'il n'y a pas un groupe différent qui propose tout un programme.
» (1730)
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci.
Je tiens à saisir cette occasion pour vous dire que votre comparution aujourd'hui, et vos exposés, nous ont réellement donné matière à penser pour la suite de nos travaux. Toutes sortes de questions vont être soulevées, et nous mettrons à profit toutes vos idées dans notre dialogue avec les autres témoins.
Nous vous remercions donc d'être venus, nous vous remercions de nous avoir fait bénéficier de vos connaissances et nous vous souhaitons beaucoup de succès, non seulement dans vos rencontres dans les jours qui viennent au Canada, mais dans tout votre travail futur.
Monsieur Haynal, vous pouvez revenir n'importe quand--je pense que vous pouvez passer librement la frontière.
Monsieur Pastor, sur une note un peu plus légère, si vous voulez demander le statut de réfugié chez nous, vous ne serez pas refoulé. Faites attention.
M. Robert A. Pastor: J'y ai déjà pensé.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci beaucoup, monsieur Thomas.
Merci à tous. La séance est levée.