JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS
COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 28 mars 2001
Le président (L'hon. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): Je souhaite la bienvenue à la ministre de la Justice pour cette troisième réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, qui est saisi du projet de loi C-7, Loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence.
• 1535
Je crois comprendre que la ministre a une déclaration à faire.
Je vais donc lui donner immédiatement la parole car je sais que les
membres du comité ont beaucoup de questions à lui poser.
Madame la ministre, vous avez la parole.
[Français]
L'hon. Anne McLellan (ministre de la Justice et procureur général du Canada, Lib.): Merci, monsieur le président.
Il me fait grand plaisir d'être de retour parmi vous aujourd'hui pour discuter à nouveau du projet de loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents.
Comme vous le savez, j'ai déposé le projet de loi C-7 le 5 février dernier, après une longue période de consultations.
[Traduction]
La justice pour les jeunes est une question complexe qui ne se prête à aucune solution facile. Nos discussions avec nos collègues provinciaux et territoriaux, les comparutions antérieures de nombreux témoins devant le comité et nos communications continues avec les parties concernées montrent qu'il est extrêmement difficile d'obtenir l'unanimité sur le meilleur moyen d'améliorer le régime de justice des jeunes au Canada. Cela dit, il nous appartient de proposer les meilleures solutions possibles et de favoriser la coopération et la recherche de compromis, afin de mettre en oeuvre rapidement des solutions conformes aux intérêts de tous les Canadiens.
Personne ne devrait être surpris de me voir à nouveau devant le comité cet après-midi. En effet, le gouvernement n'a pas renoncé à son engagement de renouveler le système de justice pénale pour les jeunes depuis que le Comité permanent de la justice a entrepris son étude de fond de la question en 1997. De fait, le processus qui a précédé l'élaboration du projet de loi a été particulièrement exhaustif, voire épuisant.
Les parties concernées ont eu largement l'occasion d'exprimer leur opinion et leurs idées sur le renouveau de l'appareil de justice pénale, et sur ce projet de loi en particulier. Nous avons écouté les provinces et territoires, ainsi que d'autres parties prenantes, et nous avons apporté bon nombre de modifications au projet de loi pour tenir compte de leurs préoccupations.
Ceci m'amène au projet de loi lui-même, qui est similaire au projet de loi C-3, à une exception près—et elle est importante—dans la mesure où il intègre des amendements proposés par le gouvernement pour tenir compte des nombreuses préoccupations exprimées par les témoins qui ont comparu devant votre comité.
Les dispositions fondamentales du projet de loi ont fait l'objet d'un long débat public et il est maintenant temps de passer à l'action et de remplacer la Loi sur les jeunes contrevenants par cette Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Nous pourrons ensuite entreprendre l'étape importante de mise en oeuvre de la nouvelle loi avec une bonne planification et des crédits et des programmes adéquats pour atteindre nos objectifs.
Bien que certains aient contesté la nécessité d'une nouvelle législation sur la justice pour les jeunes, il est clair que la plupart des Canadiens estiment que la Loi sur les jeunes contrevenants n'est pas efficace comme assise législative de l'appareil de justice pénale des adolescents. Quinze années d'expérience avec la LJC confirment cette opinion.
Voyons donc maintenant comment les modifications proposées dans la nouvelle loi permettront de résoudre certains des problèmes clés de la LJC. Premièrement,
[Français]
la philosophie en matière de justice pour les adolescents préconisée par la Loi sur les jeunes contrevenants n'est pas cohérente. Contrairement à la Loi sur les jeunes contrevenants, le projet de loi C-7 établit les principes fondamentaux prioritaires du système de justice applicable aux jeunes.
Par exemple, le système de justice pénale pour les adolescents vise à prévenir le crime, à réadapter et réinsérer les adolescents dans la société, et à assujettir l'adolescent à des conséquences réelles pour les actes qu'il a commis. La poursuite et la réalisation de ces objectifs sont la meilleure façon de protéger la société.
[Traduction]
Les interventions relatives aux jeunes doivent être justes et proportionnelles, encourager la réparation des torts causés, et permettre aux parents et à d'autres de participer à la réadaptation et à la réintégration sociale des contrevenants.
Mon deuxième argument est que la LJC s'est traduite par le taux d'incarcération d'adolescents au Canada le plus élevé du monde occidental, États-Unis compris. Avec le projet de loi C-7, nous voulons réduire ce taux d'incarcération inacceptable. Le préambule du projet de loi indique clairement que le système de justice des adolescents doit réserver ses interventions les plus sévères aux crimes les plus graves, de façon à réduire le recours à l'incarcération.
• 1540
Nous indiquons dans le projet de loi que les peines non
carcérales peuvent souvent avoir des conséquences plus bénéfiques
et être plus efficaces pour la réadaptation des adolescents.
Mon troisième argument est que la LJC s'est traduite par un recours excessif aux tribunaux pour des affaires mineures qu'il est préférable de traiter en dehors des tribunaux. La Loi proposée sur le système de justice pénale pour les adolescents est destinée à permettre aux tribunaux de se concentrer sur les crimes graves commis par les adolescents, en ayant plus recours à des solutions non judiciaires efficaces et opportunes pour les actes criminels ou infractions moins graves.
Ces mesures extrajudiciaires peuvent avoir des effets bénéfiques, par exemple en permettant à l'adolescent de réparer le tort causé à la victime. Elles permettent aussi une intervention précoce auprès des jeunes, et elles offrent à la communauté l'occasion de jouer un rôle important en formulant des réactions locales à la criminalité des jeunes.
Mon quatrième argument est que la LJC a engendré des disparités et un déséquilibre en matière de peines infligées aux adolescents. Le projet de loi C-7 établit un code clair, logique et cohérent de détermination des peines. En outre, pour redresser le déséquilibre actuel, la nouvelle loi prévoit que les peines infligées aux adolescents ne peuvent être plus lourdes que celles qui le seraient à un adulte dans des circonstances similaires. Les nouvelles dispositions de détermination de la peine mettent aussi en relief le fait que chaque sentence doit être focalisée sur la réadaptation et la réintégration.
Un cinquième élément de comparaison est que la LJC n'assure pas de réintégration efficace de l'adolescent après sa remise en liberté. Le nouveau projet de loi contient des dispositions destinées à faciliter cette réintégration dans la communauté. Il exige que toutes les périodes de détention soient suivies d'une période de supervision et de soutien dans la communauté.
Mon sixième argument concerne le processus de la LJC concernant le transfert dans le système pour adultes, qui a débouché sur des injustices et des retards indus. Ceux d'entre nous qui connaissons le fonctionnement du système de justice des adolescents savons bien qu'il y a eu dans certains cas des délais que je qualifierais d'inadmissibles dans le traitement des demandes de transfert.
Le nouveau projet de loi sur la justice pénale pour les adolescents contient des modifications importantes pour corriger le caractère injuste du système de transfert actuel, la première de toutes étant que ce processus de transfert lui-même sera éliminé. Au lieu de cela, le tribunal pour adolescents sera doté du pouvoir d'imposer une sentence d'adulte dans certaines circonstances. Si un adolescent se voit infliger une sentence pour adulte, on présumera, s'il a moins de 18 ans, qu'il purgera cette sentence dans un établissement pour jeunes. Il est très important, monsieur le président, que l'on comprenne bien cette modification.
Ma septième réserve au sujet de la LJC est qu'elle n'établit pas de distinction claire entre les infractions vraiment graves et celles qui le sont moins. En conséquence, l'une des orientations fondamentales de la politique qui sous-tend le projet de loi C-7 est que les infractions vraiment graves seront traitées sévèrement, alors que celles qui le sont moins seront traitées au moyen de mesures moins intrusives mais souvent plus efficaces.
Ma huitième réserve concernant la loi existante est qu'elle ne prend pas en considération les préoccupations et intérêts des victimes. J'aimerais signaler que ces préoccupations sont clairement prises en compte dans le projet de loi C-7, lequel clarifie également le rôle de la victime dans le système de justice pénale pour adolescents.
Je réalise qu'un long processus a précédé l'élaboration de ce projet de loi et qu'une multitude d'occasions ont été offertes aux parties intéressées pour leur permettre d'y participer. Je tiens à dire aux membres du comité que, même si je n'ai pas toujours partagé les réserves qu'ils ont formulées, je les ai sérieusement prises en considération. Je crois les comprendre assez bien mais, si tel n'est pas le cas, je suis sûre que vous me le direz. Je crois avoir écouté attentivement les députés, autant de l'opposition que du gouvernement, qui ont exprimé des réserves, et je crois maintenant les comprendre. Je pense que nous avons adapté le projet de loi pour tenir compte de bon nombre de ces réserves.
J'aimerais d'ailleurs aborder maintenant certaines de ces préoccupations exprimées par mes collègues. L'une des principales critiques formulées par des représentants du Bloc québécois est que la nouvelle loi serait trop sévère et mettrait beaucoup trop l'accent sur l'acte criminel plutôt que sur les besoins de l'adolescent.
Je réponds à cela que la question n'est pas de savoir si cette loi est trop sévère ou, pour ceux qui viennent de l'Ontario, je suppose, trop laxiste. Ce qui compte, mesdames et messieurs, c'est ce que les Canadiens attendent de leur système de justice pénale pour les jeunes. Il s'agit donc de questions de reddition de comptes, de prise de responsabilité, de respect.
Avec la nouvelle loi qui est proposée, on mettra l'accent sur la recherche de la solution répondant le mieux à l'objectif de réadaptation et de réintégration sociale, de la solution qui tiendra le mieux compte des besoins et de la situation individuelle de l'adolescent, et de celle qui aura aussi un effet positif et éducatif.
• 1545
D'aucuns ont reproché au projet de loi de ne pas offrir assez
de souplesse en disant que trop de dispositions sont automatiques.
Je m'élève vivement contre cette interprétation. Certes, tout comme
le Code criminel et la LJC, le projet de loi C-7 contient certaines
présomptions. Mais soyons clairs: cela ne veut pas dire que les
mesures présumées s'appliqueront automatiquement. De fait, ceux et
celles d'entre nous qui connaissons le système de justice pour les
adolescents savons que les mesures présomptives n'ont rien
d'automatique. Dans le cas de la présomption de sentence pour
adulte, par exemple, que l'on trouve dans la LJC actuelle, la
présomption peut être réfutée par l'accusé, ou la Couronne peut y
renoncer. Et cela arrive fréquemment dans notre système de justice
pour les jeunes. De plus, comme vous le savez, les différentes
juridictions auront le pouvoir de fixer l'âge minimum de
présomption des peines pour adultes à un âge plus élevé que 14 ans
si elles le veulent.
On trouve beaucoup d'autres mécanismes de souplesse pour les provinces dans la nouvelle loi qui est proposée. Par exemple, celle-ci permettra l'établissement d'un programme de filtrage avant procès; des programmes fondés sur des mesures extrajudiciaires; des consultations auprès de groupes d'experts; des comités sur la justice pour les adolescents; la désignation du lieu de détention et du niveau de sécurité; l'élaboration de programmes de réadaptation et de réintégration; et le pouvoir de ne pas imposer de sentence pour adulte—voilà toute une série de mesures importantes, j'espère que le comité en conviendra, qui garantissent une bonne marge de manoeuvre aux procureurs généraux des provinces ou à leurs représentants.
À la différence de la LJC, qui n'indique pas quand une intervention doit être décidée, on indique clairement dans le projet de loi qu'il est important d'appliquer la bonne mesure au bon moment. On fait également référence de manière explicite au droit à un procès sans retard, ainsi qu'à d'autres droits et libertés, ce qui, j'espère que vous en conviendrez tous, compte encore plus pour les adolescents que pour les adultes.
Certains députés ont exprimé des réserves au sujet du fardeau financier que ce projet de loi imposerait aux provinces et aux territoires. Je crois me souvenir que c'était l'une de vos préoccupations, monsieur MacKay. Certes, refondre le système de justice pénale pour adolescents aura nécessairement des conséquences d'ordre financier, comme c'est le cas chaque fois que l'on veut renouveler quelque chose. Toutefois, des crédits supplémentaires seront fournis pour assurer une mise en oeuvre efficace du projet de loi ainsi que de l'initiative plus générale de refonte de la justice pénale pour adolescents. De fait, certains crédits sont déjà fournis aux provinces et aux territoires. Le gouvernement du Canada a engagé près de 1 milliard de dollars sur cinq ans dans des ententes enrichies de partage des coûts qui aideront les provinces et territoires à faire leur part dans le renouvellement du système de justice pénale pour adolescents.
Le gouvernement fournira aussi des crédits additionnels pour des projets pilotes novateurs et communautaires, des partenariats, des programmes de formation et d'autres mesures appuyant cette initiative. De plus, l'orientation fondamentale de la politique qui fonde le projet de loi est d'éviter la détention lorsque celle-ci n'est pas nécessaire et qu'elle n'est pas la solution efficace. Nous savons tous que la détention est une sanction qui coûte cher. Je ne sais plus, monsieur Mosley—n'est-ce pas la sanction pénale la plus dispendieuse de toutes?
M. Richard G. Mosley (sous-ministre adjoint, Secteur de la politique, ministère de la Justice): Si.
Mme Anne McLellan: Avec ce projet de loi, nous évoluons vers des programmes communautaires moins dispendieux et plus efficaces, ce qui devrait nous permettre à tous d'économiser de l'argent à longue échéance.
Nous avons entendu dire que le système d'aide à l'enfance n'est pas équipé pour s'occuper d'enfants de moins de 12 ans qui témoignent d'un comportement criminel. Laissez-moi souligner d'abord que le nombre d'enfants de moins de 12 ans qui commettent des actes criminels est tout à fait minime. Les causes de ce comportement sont extrêmement complexes et, à notre avis, mieux à même d'être traitées par les agences de santé et les agences sociales qui possèdent l'expertise et l'expérience requises. Cela dit, je conviens que le ministère de la Justice a un rôle à jouer. De fait, l'une des questions les plus importantes dont nous ayons discuté pendant l'élaboration de ce projet de loi était précisément de savoir comment traiter les jeunes enfants qui commettent des infractions. Le ministère a travaillé avec un large éventail de professionnels de maintes disciplines, ainsi qu'avec les provinces et les territoires, pour formuler une initiative nationale à l'intention des moins de 12 ans.
Même si ces enfants représentent une très faible proportion des enfants et adolescents qui commettent des actes criminels, je peux vous donner l'assurance que nous oeuvrons actuellement à l'élaboration d'une solution qui tiendra compte de leur manque de maturité et qui répondra à leurs besoins complexes. Cette solution, j'en ai la conviction, et le gouvernement aussi, sera la plus efficace si elle est cherchée en dehors du système formel de justice pénale.
En ce qui concerne la divulgation des nomes, nous avons entendu des critiques des deux côtés. Ce que nous visons avec ce projet de loi, c'est d'établir un équilibre. Nous croyons que divulguer le nom d'un jeune délinquant risquerait de nuire à ses chances de réadaptation et de réintégration dans la communauté, et c'est pourquoi nous avons maintenu l'interdiction de publication, à quelques exceptions importantes près. Ainsi, l'interdiction ne s'appliquera pas si l'adolescent se voit infliger une peine pour adulte. De plus, s'il se voit infliger une peine pour adolescent correspondant à l'une des cinq infractions présomptives—les infractions pénales les plus graves—son nom pourra être divulgué. Toutefois, cela ne sera pas automatique. L'adolescent ou la Couronne pourra toujours demander une interdiction de publication à cette étape.
• 1550
J'ai la conviction que les juges seront en mesure d'évaluer
chaque cas pour assurer l'interdiction de publication dans les cas
pertinents. Et j'ai la conviction aussi, entre parenthèses, qu'il
est encore plus important que les juges soient en mesure d'exercer
leur pouvoir discrétionnaire lorsqu'il s'agit d'adolescents, et
qu'ils peuvent en fait réunir et évaluer tous les facteurs
pertinents dans chaque cas. Je ne serais jamais en faveur de
réduire la marge discrétionnaire importante dont jouissent nos
magistrats, car ce sont eux qui sont presque toujours les mieux
placés pour évaluer des situations complexes, difficiles et
chargées d'émotion et pour tirer des conclusions qui soient justes
et équilibrées pour toutes les parties concernées, délinquant et
victime compris.
Certains députés de l'opposition estiment que c'est l'appareil judiciaire qui devrait décider si l'on doit avoir recours à des mesures extrajudiciaires. Cela irait à l'encontre de l'un des objectifs du projet de loi qui est de réduire le recours au système judiciaire formel. Comme je l'ai déjà dit, nous avons actuellement trop recours à ce système pour faire face à des problèmes relativement mineurs concernant les adolescents.
Comme nous l'indiquons dans les principes du projet de loi, la méthode la plus efficace pour redresser un comportement délinquant consiste à intervenir immédiatement. Un avertissement officiel d'un agent de police, sans impliquer le système judiciaire, est souvent efficace. Nous le savons parce que c'est ce que nous disent les agents de première ligne. Cela suffit bien souvent pour remettre dans le droit chemin un adolescent qui a commis une infraction sans violence. Qui de mieux pour en décider qu'un agent de première ligne comme un agent de police? Au lieu d'accaparer le temps précieux des tribunaux, que ceux-ci pourront consacrer à la répression de crimes plus graves—comme ceux du crime organisé—les agents de police et les procureurs auront le loisir de décider quelle est la meilleure solution pour les infractions moins graves. Ces dispositions devraient par ailleurs rassurer ceux qui s'inquiétaient d'une absence apparente de marge discrétionnaire dans la loi proposée.
D'aucuns ont dit que ce projet de loi offre la libération d'office. Je rejette cet argument. Certes, une partie de la sentence pourra être purgée dans la communauté. L'un des objectifs les plus importants du système de justice pour les jeunes est de favoriser la réadaptation et la réintégration sociale. En exigeant que la détention soit suivie d'une période de supervision conditionnelle dans la communauté, où les jeunes trouveront les structures de soutien dont ils ont besoin, on facilitera leur réintégration et leurs chances de réadaptation. N'oublions pas au demeurant que la libération dans la communauté ne sera pas automatique. Si l'on a une raison quelconque de croire que le jeune constitue un danger pour le public, il pourra être tenu de purger une partie ou la totalité de la peine restante en détention. De plus, en cas de transgression des conditions de libération dans la communauté, l'adolescent pourra être renvoyé en détention.
Je dois dire, mesdames et messieurs, que je suis très troublée qu'un jeune qui a toute sa vie devant lui mais qui a commis une faute, même très grave, puisse être mis à la porte d'un centre de détention sans que l'on ait prévu de supervision structurée pour l'aider à réintégrer sa collectivité d'origine. Si nous sommes vraiment une société généreuse qui veut sincèrement aider les jeunes à reprendre le droit chemin, cet élément de supervision est indispensable—nous l'offrons bien aux adultes! Il me semble donc très important, si nous voulons vraiment aider les jeunes, leurs familles, leur communauté et même leurs victimes, qu'ils puissent tourner la page et reprendre leur vie sur un bon pied. En conséquence, je crois qu'il est important d'offrir une bonne supervision à l'adolescent dès son retour dans la communauté.
D'aucuns nous ont aussi reproché de faire une distinction entre les délinquants violents et non violents. En fait, c'est parce que le Canada n'a pas ciblé les conséquences les plus sévères des actes criminels les plus graves que nous avons aujourd'hui l'un des taux d'incarcération d'adolescents les plus élevés au monde, ce qui ne nous fait pas honneur.
• 1555
Le projet de loi C-7 est destiné à établir des mesures plus
efficaces pour faire face à la fois aux infractions graves et
violentes et à la grande majorité des infractions qui sont moins
graves. D'aucuns supposent que le nouveau système provoquera des
délais plus longs, notamment entre l'arrestation, la mise en
accusation et le procès. Or, avec la mise en oeuvre de la Loi sur
le système de justice pénale pour les adolescents, nous prévoyons
quant à nous qu'il y aura moins de délais. La police disposera de
nouveaux outils pour s'occuper des jeunes au sein de leurs
collectivités. La police et la Couronne jouiront d'une plus grande
latitude, plus tôt dans le processus, ce qui débouchera sur des
solutions plus bénéfiques, plus efficaces et plus rapides dans la
plupart des cas les moins graves. Comme je l'ai déjà dit, le
processus judiciaire formel et la détention seront réservés aux
crimes les plus graves.
En outre, avec la nouvelle loi, les adolescents ne seront pas transférés devant un tribunal pour adultes, processus qui a pu autrefois engendrer des retards allant jusqu'à deux ans. Nous savons tous—nous le voyons dans nos tribunaux—que les demandes de transfert peuvent prendre longtemps et qu'il faut parfois longtemps pour qu'un adolescent passe en justice, ce qui débouche sur des appels. Avec la nouvelle loi, les tribunaux pour adolescents pourront imposer des peines pour adultes, ce qui rationalisera le processus en éliminant la nécessité de demander un transfert devant un tribunal pour adultes.
Mesdames et messieurs, même si nous comparaissons aujourd'hui pour traiter du projet de loi C-7, je manquerais à mes responsabilités si je ne mentionnais pas rapidement notre initiative plus générale de refonte de la justice pénale pour les adolescents. Durant l'examen de ce projet de loi, il sera important de reconnaître des limites et d'avoir des attentes raisonnables à son sujet. Voilà pourquoi la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents n'est qu'un élément de l'approche plus générale du gouvernement face à la criminalité des jeunes et au renouveau de l'appareil de justice pénale pour les adolescents.
Des crédits fédéraux accrus, des efforts de prévention du crime, des programmes efficaces, des approches novatrices, des recherches, un partenariat avec des secteurs tels que l'enseignement, l'aide à l'enfance et la santé mentale, l'amélioration de la vie dans les communautés autochtones, et une mise en oeuvre efficace par toutes les parties prenantes—tous ces éléments font partie intégrante de notre stratégie plus globale de renouveau du système de justice pénale pour les adolescents.
Je vous remercie de votre attention et de votre patience. J'espère avoir répondu à certaines de vos préoccupations. Je sais qu'il en subsiste certaines, mais ce processus de renouveau dure depuis plusieurs années. Les Canadiens et toutes les parties prenantes attendent que nous adoptions ce projet de loi et que nous passions à l'étape importante de sa mise en oeuvre. En conservant les éléments positifs et en corrigeant les faiblesses de la Loi sur les jeunes contrevenants, nous pouvons travailler ensemble pour renouveler notre système de justice pénale pour adolescents et pour faire en sorte qu'il soit plus juste et plus efficace pour tous les Canadiens.
[Français]
Monsieur le président et membres du comité, je vous remercie de votre patience et de votre attention. Je suis prête à répondre à vos questions. Merci.
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup, madame la ministre. Et ne vous inquiétez pas, un discours d'une demi-heure, dans notre comité, ce n'est pas long.
Monsieur Toews, pour sept minutes.
M. Vic Toews (Provencher, AC): Merci, monsieur le président.
Je remercie la ministre de sa déclaration.
Elle nous a certainement parlé de beaucoup de choses mais je ne pense pas qu'elle ait parlé des vrais problèmes. Je comprends que la formulation de ce projet de loi a été longue et tortueuse, mais c'est parce que de nombreuses questions entrent en jeu. Étant donné que j'ai eu à m'occuper de la Loi sur les jeunes contrevenants et de celle qui la précédait, la Loi sur les jeunes délinquants, je parle d'expérience. Or, quand j'examine ce texte, j'ai de sérieuses réserves. Quand j'en tourne les pages, je me dis que ce sera une mine d'or pour les avocats.
Je n'ai pu m'empêcher de sourire quand la ministre a dit que les agents de première ligne sont conscients de la valeur des avertissements ou des mises en garde. La triste réalité est qu'ils ont bien dû reconnaître qu'ils n'ont tout simplement plus d'autre choix, dans bien des cas. Le système actuel est inefficace et c'est donc le seul choix qui leur est laissé.
Monsieur le président, j'estime que les tentatives de réforme de cette loi sont vouées à l'échec. D'ici quelques années, nous serons à nouveau tous ici à nous gratter la tête en nous demandant ce qui n'a pas marché. Je crois pouvoir vous dire quelle sera la raison essentielle, même si je sais que ce ne sera probablement pas la seule. Je ne prétends pas être prophète en la matière, je tire simplement les conclusions de plusieurs années d'expérience.
• 1600
La ministre dit qu'elle n'est pas prête à établir une relation
de partenariat avec les provinces, sur un pied d'égalité, pour
assurer le succès de cette initiative fédérale. N'oublions pas
toutefois qu'il s'agit ici d'un champ de compétence fédéral. Les
provinces pourraient tout simplement se retirer du débat en disant:
«Nous n'avons rien à voir avec cette loi». Aucune disposition
constitutionnelle n'exige que les provinces mettent en application
cette législation pénale.
Malgré cela, elles restent à la table. C'est parce qu'elles sont préoccupées et qu'elles tiennent à régler le problème.
La ministre a refusé un partenariat financier à égalité avec les provinces. Interrogée sur ses raisons, elle a dit que le gouvernement fédéral n'a pas d'argent. Or, je répète qu'il s'agit d'un programme fédéral, d'une initiative fédérale, et qu'elle s'attend quand même à ce que les provinces en assument en fin de compte 75 p. 100 des frais.
Les provinces ne sont pas satisfaites. Elles s'inquiètent beaucoup de ce manque d'engagement. Certes, des crédits préliminaires sont prévus pour les premières années mais, ensuite, le financement sera discrétionnaire. Voilà le coeur même du problème. Le gouvernement fédéral pourrait retenir les fonds. Il ne donne aux provinces aucune garantie de financement. Voilà le vrai problème.
Cela fait aussi ressortir, monsieur le président, la vraie raison pour laquelle la ministre a refusé d'étendre les pouvoirs de réhabilitation des tribunaux pour adolescents aux enfants de moins de 12 ans. Je ne parle pas ici de leurs pouvoirs de punition. Je parle de leurs pouvoirs de réhabilitation pour s'occuper des enfants de moins de 12 ans. La raison n'est pas que des dispositions de punition seraient trop sévères pour les enfants, mais supposons quand même que tel soit le cas et traitons seulement des pouvoirs de réhabilitation. La vraie raison est que la ministre ne veut tout simplement pas consacrer d'argent fédéral à la mise en oeuvre du programme fédéral. Ça coûte de l'argent d'aider les provinces. Ça coûte de l'argent d'étendre les pouvoirs de réhabilitation des tribunaux pour adolescents aux enfants de moins de 12 ans.
Chacun sait—ce n'est pas un secret—que le système d'aide à l'enfance n'est tout simplement pas adéquat ni efficace pour s'occuper de ces enfants très problématiques. La ministre nous a dit aujourd'hui: «Ils ne sont pas si nombreux». Eh bien, s'ils ne sont pas si nombreux, pourquoi n'étend-elle pas les pouvoirs de réhabilitation? Le système d'aide à l'enfance n'est tout simplement pas aussi efficient que les tribunaux pour s'occuper de ces enfants et pour les confier aux autorités pertinentes. C'est ce qui se passait avec l'ancienne Loi sur les jeunes délinquants, lorsque j'étais chargé des poursuites. Les tribunaux avaient le pouvoir de demander aux agences d'aide à l'enfance: «Venez donc nous expliquer pourquoi cet enfant de 11 ans traîne dans la rue».
Je voudrais savoir pourquoi la ministre n'est pas favorable à ce partenariat à égalité avec les provinces, pour aider celles-ci à assumer ces responsabilités fédérales et pour venir en aide aussi aux enfants de moins de 12 ans. S'il y a une solution, ce n'est certainement pas dans cette loi qu'elle se trouve.
La ministre peut-elle répondre à cette question?
Mme Anne McLellan: Merci, monsieur Toews.
Tout d'abord, je ne nie pas que les anciens arrangements de partage des coûts ont été modifiés par un gouvernement précédent, que je ne nommerai pas. Nous le savons tous. Ce que fait notre gouvernement, c'est qu'il rebâtit cette relation.
Certes, nous ne sommes pas revenus au partage à égalité, et je ne peux vous promettre aujourd'hui que nous y reviendrons, mais nous avons certainement commencé à rebâtir cette relation de partage des coûts avec les provinces et les territoires.
Après 2004 et 2005, monsieur Toews, les budgets ne seront pas discrétionnaires. L'argent est là. Cet argent fera partie des prochaines ententes de contribution avec les provinces. Comme je l'ai dit, au cours des cinq prochaines années, nous allons fournir près de 1 milliard de dollars dans le cadre d'ententes de partage des coûts avec les provinces et les territoires. De fait, nous avons commencé à rebâtir la relation qui a été changée à la fin des années 80.
• 1605
C'est une question qui a de l'importance à mes yeux et au
sujet de laquelle mes collègues provinciaux m'entretiennent
régulièrement, comme vous le savez, étant donné que vous fûtes l'un
d'entre eux. C'était l'une de vos principales préoccupations et je
respecte la vigueur avec laquelle vous présentiez vos arguments. En
fait, c'est en partie à cause de vous que je suis retournée voir
mes collègues du Cabinet pour leur dire que la refonte du système
de justice pénale pour les adolescents doit obligatoirement
s'accompagner du rétablissement d'une relation de partage des coûts
avec les provinces et les territoires. Nous sommes engagés dans
cette voie. De fait, même si je comprends que l'on souhaite
toujours avoir des ressources supplémentaires dans tous les
domaines, j'estime que nous avons déjà fait un pas considérable
pour atténuer les préoccupations des provinces et des territoires.
Je peux vous dire que c'est là un aspect important de l'administration de la justice pénale dans notre pays. La Loi sur la justice pénale pour les adolescents n'est qu'un volet de notre législation pénale. Les provinces sont chargées de mettre en application notre législation pénale pour les adolescents tout comme elles le font du Code criminel en ce qui concerne les adultes. J'estime que c'est une obligation partagée, et je peux dire que le gouvernement fédéral est parfaitement conscient de sa responsabilité à cet égard. Je le répète, nous avons commencé à rebâtir cette relation de partage des coûts.
La raison pour laquelle nous n'abaissons pas l'âge pour inclure les enfants entre 10 ans et 12 ans, monsieur Toews, c'est que notre gouvernement ne pense pas, par principe, que des enfants de moins de 12 ans devraient être assujettis au système formel de justice pénale. Ce système est le système le plus sévère que nous ayons du point de vue de l'ingérence dans la vie des gens. Quand on entre dans le système formel de justice pénale, cela envoie un message puissant en matière de responsabilité, c'est-à-dire en matière de nécessité d'assumer ses responsabilités. La stigmatisation inhérente à l'entrée dans le système formel de justice pénale est telle...
Notre système de justice pénale existe pour réprimer et dissuader, ainsi que pour réadapter et réintégrer le système adulte. Dans notre système de justice pour les jeunes, nous voulons à l'évidence mettre l'accent sur la prévention, en premier lieu, et sur la réadaptation et la réintégration de ceux qui sont trouvés coupables d'avoir causé du tort à autrui. Mais nous ne croyons pas que ce système, avec tout ce qu'il implique sur le plan formel et sur le plan social, soit adéquat pour des enfants de moins de 12 ans.
Il y a des systèmes efficaces d'aide à l'enfance, ainsi que des systèmes efficaces de santé mentale qui sont adéquats pour s'occuper de ces jeunes. Toutefois, monsieur le président, comme nous savons qu'il peut y en avoir certains qui tomberont dans les fissures du système, il y a peut-être des choses que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux pourraient mieux faire ensemble et avec ceux qui oeuvrent dans ces systèmes. C'est pourquoi nous travaillons dur sur le projet des moins de 12 ans: pour veiller à ce que les enfants qui commettent des crimes et qui causent du tort à autrui obtiennent, tout comme leurs familles, l'aide nécessaire, de manière efficace.
Nous avons une multitude de programmes d'intervention auprès des familles, des communautés, de la police, et d'autres parties concernées, et avec les provinces et les territoires, pour veiller à ce que les jeunes susceptibles de présenter des risques soient identifiés le plus tôt possible, afin de leur donner, à eux et à leurs familles, le soutien et l'aide dont ils ont besoin. C'est ainsi, monsieur le président, que nous pourrons vraiment créer une société sûre.
Le président: Merci beaucoup, madame la ministre.
Je rappelle aux membres du comité que les sept minutes sont censées comprendre les questions et les réponses.
Monsieur Bellehumeur.
M. Michel Bellehumeur (Berthier—Montcalm, BQ): Madame la ministre, je vous écoute parler. Vous dites qu'il y a eu une longue période de consultations. Je ne sais pas si ceux et celles qui travaillent dans votre ministère manquent de rigueur ou d'information. Il est vrai que vous avez rencontré ou que les gens de votre ministère ont rencontré des gens au Québec, mais on ne peut pas appeler ça une consultation parce que vous n'écoutez pas.
Madame la ministre, encore aujourd'hui, malgré les 100 et quelques amendements que vous avez apportés à ce projet de loi et les changements apportés dans votre jargon et dans la façon de présenter les choses, je ne connais personne, au Québec, qui applique la Loi sur les jeunes contrevenants, de près ou de loin, et qui vous appuie. Que ce soit les avocats de la défense, les substituts du procureur de la Couronne, l'Institut Pinel, les écoles de criminologie, les centres communautaires juridiques, les centres jeunesse du Québec, les maisons de jeunes, la Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada ou même les juges, madame la ministre, personne ne vous appuie pas.
Vous pouvez parler à la presse de consultations, mais ne dites pas que vous avez écouté. Vous avez fait à votre tête. Je connais à peu près les allées et venus des gens que je vois ici et qui vous accompagnent. Ils sont allés voir les groupes, et tous les gens leur ont dit qu'ils faisaient fausse route. Et même plus, il y a des gens ici, dans cette salle, madame la ministre—je vais vous en nommer juste une, Me Viau qui est dans la rangée en arrière—, qui ont donné raison à ces groupes-là et qui ont dit qu'ils feraient leur devoirs. Aujourd'hui, on a des modifications qui ne respectent pas du tout cela. Vous pouvez bien rire. Le ministère aime bien rire quand ce sont des questions du Québec. Vous pouvez bien rire, mais personne au Québec n'appuie ce projet de loi. Mme Latimer et Me Viau ont bien du fun parce qu'elles font une question personnelle de ce dossier.
Je vais vous donner un exemple, madame la ministre, pour vous prouver que vous aussi, vous contribuez à la désinformation. Vous l'avez répété aujourd'hui. Vous l'avez fait dans votre lettre du 20 février. Vous dites que dorénavant, il n'y aura plus de renvoi d'adolescents aux tribunaux pour adultes. C'est vrai par écrit, mais lorsqu'on voit comment vous faites la rédaction dans le projet de loi C-7, on voit qu'il est faux que le tribunal pour adolescents aura dorénavant la compétence exclusive pour entendre les causes de jeunes contrevenants. C'est encore de la fiction législative de votre ministère.
L'article 13 du projet de loi C-7 nous dit que dans des cas de crimes graves, les cas dont on parle à l'article 462, dont le meurtre, et les cas dont on parle à l'article 61 du projet de loi, lorsque l'adolescent décidera d'être jugé devant un juge et jury—99,9 p. 100 vont le faire parce que ça leur donne tous les droits, et les avocats dans cette salle vous diront que c'est le cas—, dans tous ces cas-là, c'est le juge de la Cour supérieure de la province, qui est de juridiction criminelle, qui sera le juge qui entendra le procès. On dit que le juge est réputé être un juge du tribunal pour adolescents. Ah, là vous avez raison, madame la ministre. Le juge de la Cour supérieure va enlever son chapeau de juge de la Cour supérieure et mettre le chapeau du tribunal de la jeunesse. Il deviendra un grand juge du tribunal de la jeunesse.
Il y a plus que ça, madame la ministre. C'est à l'article 13 encore une fois. Les procès devant juge et jury vont se faire au tribunal de la jeunesse. Allez voir n'importe quel Tribunal de la jeunesse au Québec et vous verrez que ces tribunaux n'ont pas suffisamment de place pour recevoir des procès devant juge et jury. Votre projet de loi répond à ça: même le lieu, le tribunal de la Cour supérieure, sera réputé être le tribunal de la jeunesse.
Madame la ministre, vous faites vous-même de la fausse information. J'irais plus loin si on n'était pas en comité, mais il y a des règles parlementaires que je vais respecter.
Est-ce que vous reconnaissez, madame la ministre, que personne au Québec ne veut du projet de loi C-7? Est-ce que vous reconnaissez, entre autres, que les juges de la Cour supérieure, même s'ils sont très compétents, n'ont pas l'expérience des juges du tribunal de la jeunesse pour juger des jeunes, même dans des cas de meurtre, même dans des cas très graves? Si vous vous étiez rendue au Québec au lieu d'envoyer vos émissaires, si vous étiez allée vous-même au Québec rencontrer, entre autres, le juge coordonnateur du Tribunal de la jeunesse, si vous étiez allée rencontrer Mme Toutant de l'Institut Pinel, si vous étiez allée rencontrer les gens qui, au quotidien, appliquent la Loi sur les jeunes contrevenants, on vous aurait dit que ce sont quelquefois les jeunes qui commettent les crimes les plus graves qu'on est capable de récupérer et qu'on sert mieux la société quand on les récupére que quand on leur donne 25 ans, comme le prévoit votre projet de loi.
• 1615
Je sais que les règles sont telles que je n'aurai
plus le droit de parole après que vous l'aurez prise. Je
vais vous parler de l'article 61 également, madame la
ministre.
Avec l'article 61 de votre projet de loi, même si le Québec adopte un décret... Je suis sûr que vous le connaissez par coeur, madame la ministre, et que vous n'avez même pas besoin de regarder dans votre projet de loi. Je ne suis pas ministre et je connais cet article par coeur.
[Traduction]
M. Lynn Myers (Waterloo—Wellington, Lib.): Veuillez m'excuser.
Le président: Monsieur Bellehumeur, M. Myers souhaite faire un rappel au Règlement.
M. Lynn Myers: Monsieur le président, nous avons établi des règles pour les questions. Au lieu de faire du cinéma et de se montrer aussi borné qu'à l'habitude, M. Bellehumeur pourrait peut- être en arriver à poser une question? J'espère que c'est le cas car c'est pour répondre à nos questions que la ministre de la Justice est venue devant le comité. J'espère qu'il est prêt à respecter ces règles et à poser une question au lieu de faire simplement des tirades grandiloquentes.
Le président: M. Bellehumeur sait parfaitement qu'il a sept minutes et qu'il lui en reste moins d'une.
M. Michel Bellehumeur: Exactement.
Le président: La ministre doit répondre aux questions.
[Français]
M. Michel Bellehumeur: Vous allez soustraire le temps qu'il vient de me prendre.
[Traduction]
Le président: S'il souhaite vraiment que la ministre lui réponde, il va falloir qu'il lui laisse du temps.
[Français]
M. Michel Bellehumeur: À l'article 61, monsieur le président, on dit que le lieutenant-gouverneur d'une province peut adopter un décret. Même si le Québec adopte un décret, cela n'empêchera pas que le jeune soit traité selon les règles d'un tribunal pour adultes. Cela n'empêchera pas que ce soit un juge de la Cour supérieure qui reçoive le jeune. Cela n'empêchera pas la comparution, l'enquête sur cautionnement, l'enquête préliminaire et toutes ces procédures-là, alors qu'aujourd'hui, en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, ce n'est pas le cas.
Et il y a toute la question de la libération, des deux tiers et du tiers. Vous pouvez bien dire que vous n'êtes pas sûre que cela va s'appliquer, mais tous les experts le disent, sauf ceux de votre ministère. Réveillez-vous! Je ne sais pas ce qui arrive dans le ministère, mais ne faites pas juste consulter. Écoutez.
Voici ma dernière question, pour faire plaisir à mon collègue Myers, de toute évidence...
[Traduction]
Le président: C'était votre dernière question.
Madame la ministre.
Mme Anne McLellan: Je vais demander dans un instant à M. Mosley de répondre à certaines des remarques de M. Bellehumeur.
Vous et moi, monsieur Bellehumeur, savons fort bien que vous et d'autres êtes fondamentalement opposés à toute modification de notre système de justice pénale pour adolescents, et que vous vous opposez foncièrement à l'adoption de toute nouvelle législation dans ce domaine. C'est votre opinion, et vous et moi savons fort bien que nous sommes engagés dans des voies différentes en ce qui concerne ce que la société doit faire pour remplacer la LJC actuelle par une nouvelle législation qui fait partie d'un projet plus global de refonte du système de justice pénale pour adolescents. Cela dit, laissez-moi répéter mon argument. Nous avons écouté les parties concernées et nous avons prévu dans cette loi suffisamment de souplesse pour que le Québec continue d'appliquer ses programmes et mesures actuels.
Certes, j'apprécierais que l'on reconnaisse le fait que nous avons déployé beaucoup d'efforts pour tenir compte des besoins d'une diversité de provinces. Au nord du 60e parallèle, il est évident qu'il faut faire preuve d'une souplesse qui n'est peut-être celle que vous attendez, monsieur Bellehumeur, mais c'est quand même parfaitement légitime dans notre fédération. De fait, avec ce projet de loi, nous avons fait beaucoup d'efforts—et je sais que beaucoup de membres du comité en ont aussi fait beaucoup—pour garantir la flexibilité qui nous permettra d'avoir un système de justice pénale pour adolescents correspondant aux valeurs fondamentales que partagent tous les Canadiens, où qu'ils vivent, je peux vous en donner l'assurance.
M. Mosley a-t-il le temps de répondre à certaines des...
Le président: Peut-être pourra-t-il garder les questions en tête afin d'essayer d'y répondre en cours de route, car il y a beaucoup d'autres personnes qui attendent avec des questions légitimes et je vais donner la parole à M. Blaikie.
Mme Anne McLellan: Nous reviendrons sur les discussions concernant les tribunaux de la jeunesse, les cours supérieures, la loi existante et la nouvelle loi.
Le président: Lorsque les membres du comité arriveront à la cinquième de leurs sept minutes, je le leur indiquerai afin que la ministre ait au moins deux minutes pour leur répondre avant que je ne lui coupe la parole pour passer à quelqu'un d'autre.
Monsieur Blaikie.
M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD): Merci, monsieur le président. Je veillerai à ce que mes questions ne soient pas tellement longues qu'elles suscitent des rappels au Règlement.
Je suis probablement l'une des rares personnes ici qui se souviennent du dépôt de la Loi sur les jeunes contrevenants et des grands espoirs qu'elle avait suscités par rapport à la Loi sur les jeunes délinquants. Si je me souviens bien, nous étions alors tous assez favorables aux nouveaux concepts qui étaient proposés. Manifestement, il y a maintenant beaucoup de problèmes. Je n'ai aucune hésitation à dire que l'une des dernières choses que nous aurions pu prévoir serait que la loi nous amènerait à avoir le taux d'incarcération d'adolescents le plus élevé du monde occidental, si c'est bien ce que vous avez dit. Ce n'est certainement pas ce qu'envisageaient les architectes de la LJC en 1983-1984.
J'aimerais demander l'avis de la ministre sur une plainte que je crois légitime de la part des provinces et d'autres parties qui seront chargées de mettre cette nouvelle loi en application. Je veux parler du fait que c'est un véritable annuaire téléphonique, par rapport à la loi précédente, et qu'elle établit des mécanismes extrêmement complexes, ce qui est évidemment garant de coûts élevés et de beaucoup d'incertitude, sans que l'on donne d'aide financière aux provinces, au moment où l'on considère ce qui se passe de manière générale dans les relations fédérales-provinciales. La péréquation est plafonnée, même si la limite a été suspendue pour un an. Nous avons l'accord sur la santé, qui ne donne toujours pas aux provinces tout ce à quoi elles auraient eu droit, en matière de paiements de transferts fédéraux pour la santé, en 1993.
Donc, si l'on envisage ce projet de loi dans le contexte global des relations fédérales-provinciales, on peut dire que vous demandez beaucoup aux provinces et que vous essayez de leur faire avaler beaucoup de choses. N'y aurait-il pas moyen pour vous d'atténuer quelque peu le fardeau qu'elles ont l'impression, à mes yeux légitime, que vous leur imposez?
Mme Anne McLellan: Merci, monsieur Blaikie.
C'est une excellente question. J'ai entendu certaines des remarques exprimées au sujet de la complexité de la loi, et nous y avons répondu. Cela dit, comprenez que nous essayons de mettre sur pied un système destiné à résoudre certains des problèmes laissés en plan—ou certaines des conséquences malheureuses—lorsque la loi de 1984 est entrée en vigueur. Nous souhaitons donner une orientation plus claire à tous ceux qui oeuvrent dans l'appareil de justice pénale.
Vous dites qu'il y a plus d'articles dans cette loi? Cela dit, tout le début du texte concerne des mesures extrajudiciaires, ce qui est à mon avis une excellente chose, mesdames et messieurs. Cela ne figurait pas dans la LJC. On les y mentionnait en passant—et je pourrais vous en donner quelques exemples—alors que nous avons décidé cette fois de leur consacrer toute une partie de la loi, au début. C'est beaucoup plus détaillé, et cela touche aussi les dispositions relatives à la détermination de la peine.
Certaines personnes diront que la loi est plus complexe mais je ne pense pas qu'elle le soit au sens où, avec suffisamment de planification, de formation, de mise en oeuvre et d'éducation, elle ne sera pas très difficile à appliquer. De fait, nous allons donner aux acteurs clés du système de justice pénale certaines de choses qu'ils réclament depuis plus de 15 ans, comme plus de latitude et plus d'orientation aux agents d'application des lois. Nous avons formulé les principes d'une manière qui ne mène pas à l'incohérence que certains, notamment des juges des cours provinciales, reprochaient à la LJC.
• 1625
Y a-t-il beaucoup plus d'articles dans la loi et le texte est-
il plus long? Oui, mais je crois que cela contribuera à un système
de justice plus nuancé, et à un système de justice plus efficace
qui tiendra compte du fait que, si certaines choses ont bien
fonctionné avec la LJC, d'autres n'ont pas bien fonctionné du tout.
Il est temps pour nous de travailler ensemble pour assurer le
succès d'une nouvelle initiative sur la justice pour les
adolescents dont l'un des éléments est précisément ce texte de loi.
Comme pour tout changement nouveau ou important, qu'il s'agisse de justice pour adolescents, du Code criminel, des prestations d'assurance-emploi, du congé parental ou d'autre chose, il est important de prévoir un volet d'éducation et d'information et de veiller à ce que les personnes clés soient bien formées. Évidemment, quand on parle du système de justice pénale, il y a un grand nombre de parties prenantes dont il faut s'assurer qu'elles comprennent bien la nouvelle législation, qu'elles ont obtenu la formation voulue et qu'elles ont reçu l'information et l'éducation nécessaires. Voilà pourquoi nous consacrons beaucoup de temps, d'efforts et de ressources à toutes ces choses.
Mme Latimer, par exemple, pourrait vous parler des ateliers que nous organisons en collaboration avec d'autres, avec des parties prenantes clés du système de justice pour adolescents, afin de veiller à ce que tout le monde comprenne bien les manuels et les autres choses.
Le président: Très bien, concluez.
Mme Anne McLellan: D'accord. Et nous faisons tout cela parce que nous comprenons bien nos obligations à cet égard. C'est pourquoi, dans un sens, je dirais que nous avons eu de la chance de disposer de tout le temps qui a été consacré à cette initiative, puisque cela nous a permis de faire un travail énorme d'éducation et de formation.
Pour ce qui est de votre question sur les ressources, j'estime comme M. Toews que ce n'est pas notre gouvernement qui a mis à terre l'entente de partage des coûts à égalité, entente que nous sommes en train de rebâtir.
Le président: Moins de 30 secondes, monsieur Blaikie.
M. Bill Blaikie: Ce qu'il faut trouver, monsieur le président, c'est la complexité sans aboutir à ce que le procureur général du Manitoba qualifiait de sac d'embrouilles. C'est l'expression qu'il a employée pour qualifier la complexité de ce que l'on impose à la province, avec toutes les bretelles de sortie de l'appareil judiciaire. Cela dit, ce ne sont pas simplement des bretelles de sortie. Il y a aussi tellement de bretelles d'accès que les provinces ont bien du mal à voir comment elles pourront appliquer ce texte. Voilà le problème.
Le président: Merci.
Monsieur MacKay.
M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Merci. Madame la ministre, nous sommes très heureux que vous preniez le temps de venir devant notre comité, avec vos collaborateurs, pour parler de ce projet de loi très complexe.
Je voudrais revenir sur votre dernière remarque concernant le fait que votre gouvernement aurait hérité de cette situation. Le financement à 50 p. 100 n'a jamais été respecté depuis l'adoption de cette loi que nous avions nous-mêmes héritée de votre gouvernement. À l'époque, quand ce financement n'était pas assuré, la conjoncture était tout à fait différente. Nous mettions en oeuvre de nouvelles politiques économiques dont votre gouvernement a d'ailleurs ensuite largement bénéficié.
En ce qui concerne le financement, toutefois, je voudrais savoir ce qu'en pensent les provinces aujourd'hui. Ce projet de loi a fait l'objet de nombreuses machinations—elles durent depuis sept ans. Je suis donc heureux d'entendre que votre gouvernement commence à régler ce problème de financement à 50 p. 100, mais nous n'en sommes pas encore là et les provinces ne sont pas satisfaites.
Deuxièmement, en ce qui concerne la politique fondamentale que vous avez évoquée, et les conséquences de la détention, je tiens à rappeler à la ministre que la détention est aussi la forme de sanction la plus sûre, surtout quand on parle de délinquants violents.
Je n'hésite pas à dire que les principes de réparation et de mesures extrajudiciaires existent depuis l'adoption de cette loi. De fait, on y fait référence et on les définit dans la loi actuelle. Cela se trouve dans la première partie. On en parle aussi dans la déclaration de principe. Tout cela est donc déjà là, ce n'est rien de nouveau. Vous en proposez peut-être une définition plus étoffée mais c'est déjà là.
Pour ce qui est du temps perdu, c'est probablement l'aspect le plus préoccupant de ce projet de loi. Le texte est bien long. On passe d'une loi de 70 articles à une loi qui en aura 200. On va mettre en oeuvre toutes sortes de nouvelles procédures qui ouvriront aussi droit à appel. Donc, quand vous parlez de rationalisation, je constate que vous nous demandez d'adopter un gros projet de loi qui créera de nouvelles procédures judiciaires, lesquelles risquent d'engendrer un plus grand nombre d'appels.
Je tiens à ce qu'il soit parfaitement clair, madame la ministre, que je ne suis pas en désaccord avec les principes fondamentaux de la loi. J'estime en effet qu'il convient de mettre plus l'accent sur la violence et de consacrer moins de temps aux infractions mineures, que l'on peut régler d'autres manières. Mon problème, c'est que nous sommes en train de créer un monstre législatif à cause des nouvelles procédures.
• 1630
Je m'élève en particulier contre l'intégration de peines
conditionnelles dans le système de justice pénale pour les
adolescents. Cela n'existe pas aujourd'hui et ce n'est pas
nécessaire. Les juges ont déjà la latitude nécessaire pour donner
une deuxième ou une troisième chance aux jeunes avant d'imposer
leur incarcération. Le changement proposé va être une source de
confusion.
De même, on propose des modifications à la libération conditionnelle qui, dites-vous, ne sera pas la libération d'office, mais ce sera un système de libération conditionnelle pouvant entraîner une réduction de peine. Cela fait près de quatre ans que je n'exerce plus le droit pénal, madame la ministre, mais je sais qu'il est actuellement possible de combiner la détention et la probation. L'article 20 de la Loi sur les jeunes contrevenants permet cette combinaison, pendant un maximum de deux ans. Il indique clairement qu'on peut imposer l'incarcération en la combinant avec des conditions de probation et la participation à des programmes.
L'un des plus gros problèmes de cette loi est qu'elle va créer du travail inutile, engendrer de plus longs retards, permettre plus d'exploitation par certains avocats de la défense qui vont exploiter les nombreuses dispositions de la loi pour manipuler le système au détriment des jeunes et de leur réadaptation.
Mme Anne McLellan: Vous venez de soulever plusieurs questions importantes.
Avant de vous répondre, puis-je vous demander de me dire quelles procédures il y a dans la loi proposée qui risquent de prolonger la durée des procès contre les adolescents?
M. Peter MacKay: Très bien.
Premier exemple: les délibérations du juge pour décider si une infraction était violente ou non, décision qui, si j'ai bien compris, pourra aussi faire l'objet d'un appel.
Deuxième exemple: les délibérations sur les transferts—étant donné qu'on prévoit une nouvelle procédure de transfert—qui pourraient elles aussi entraîner d'autres appels. Ces deux exemples me viennent immédiatement à l'esprit.
Mme Anne McLellan: Pour ce qui est du transfert, quiconque, à l'heure actuelle... Vous avez dit que vous ne pratiquiez plus le droit pénal—vous étiez procureur, n'est-ce pas?
M. Peter MacKay: J'ai transféré des jeunes...
Mme Anne McLellan: Oui. Vous savez donc ce qui se passe avec un adolescent qui est accusé d'un acte criminel.
Je suppose que tout le monde ici conviendra qu'il est particulièrement important avec les jeunes d'essayer de régler ces questions le plus vite possible après l'événement. Même des adolescents de 16 ans vous diront: «Écoutez, si c'était tellement grave, comment se fait-il qu'il vous a fallu deux ou trois ans pour me dire que j'ai violé la loi et que j'ai fait quelque chose de mal?» Comme vous étiez procureur, vous êtes conscient de ce problème.
M. Peter MacKay: Dans l'ancien système, il fallait plus longtemps pour obtenir un transfert que pour passer en procès.
Mme Anne McLellan: C'est exact. Et vous savez quoi? C'est un scandale quand on parle de justice pour les jeunes. En fait, nous savons bien ce qui se passe car, quand on demande un transfert devant un tribunal pour adultes...
M. Peter MacKay: Il y aura une demande d'appel.
Mme Anne McLellan: C'est cela. Si le procureur demande le transfert et que la cour est d'accord, l'avocat de la défense se porte immédiatement en appel. Selon ce qui arrive en cour d'appel, il peut y avoir un autre appel ensuite.
Nous savons bien—car nous avons les statistiques—que cela peut prendre jusqu'à deux ans, deux ans avant que l'adolescent ne revienne en cour pour être jugé sur l'accusation fondamentale. Songez donc à ce qui se passe dans la communauté pendant cette période de deux ans. Les victimes disent: «Qu'est-ce qui se passe avec cette affaire?» La vie de l'adolescent est totalement en suspens, quel que soit l'acte qu'il ait commis, car on n'a même pas encore commencé à s'occuper de l'accusation fondamentale. La communauté se demande ce qui ne va pas et comment il se fait que l'adolescent n'a pas encore été jugé.
Nous voulons donc transformer radicalement ce système. Nous disons que le procureur peut demander une peine pour adultes à la fin du procès, ce qui veut dire que cela ne retarde pas le procès. Il ne peut pas y avoir d'appel au sujet du transfert. Le fond de l'accusation peut être jugé immédiatement.
C'est à la fin du procès que la cour décidera s'il conviendrait d'infliger une peine pour adultes, à condition évidemment que la Couronne en ait fait la demande ou que la présomption existe. C'est à ce moment-là que l'on s'occupera de savoir s'il est approprié d'infliger une peine pour adultes à cet adolescent. Entre-temps, les victimes auront pu venir assister au procès, celui-ci sera terminé et nous en serons à l'étape de la peine.
• 1635
Nous parlons donc ici d'une procédure foncièrement différente
qui sera meilleure pour tout le monde.
Le président: Merci beaucoup, madame la ministre.
Mme Anne McLellan: Richard prépare une liste des autres questions auxquelles il répondra à la fin.
Le président: Nous allons donc passer à M. Cotler.
Je crois comprendre que le gouvernement a sept minutes. J'ai quatre noms sur ma liste puis nous recommencerons.
Monsieur Cotler.
M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.): Comme vous le savez, madame la ministre, le Canada est partie à la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant, ce qui l'oblige à garantir que ses lois sont conformes à ses devoirs internationaux en vertu de la Convention.
De fait, on fait référence à la Convention dans le préambule du projet de loi. La Cour suprême du Canada a quant à elle affirmé la primauté des devoirs internationaux dans le cadre de la Convention sur les droits de l'enfant.
Certains critiques du projet de loi affirment que celui-ci ne respecte pas les obligations du Canada en vertu de la Convention dans la mesure où il n'offre pas aux jeunes contrevenants un niveau adéquat de protection spéciale de leurs droits et libertés, ce qui est l'un des principes opérationnels du projet de loi lui-même.
Voici un résumé des arguments de certains critiques: le projet de loi étend l'accès aux dossiers des jeunes—il y a une série exhaustive de dispositions à cet égard; il limite l'accès à un avocat; il facilite l'admissibilité de déclarations potentiellement auto-incriminantes; et il accorde beaucoup de latitude aux directeurs provinciaux pour ce qui est du niveau et de la durée de la détention.
J'ai donc deux séries de questions à poser à ce sujet. Premièrement, estimez-vous que le projet de loi est conforme à nos obligations au titre de la Convention sur les droits des enfants, considérant toutes les réserves qui ont pu être exprimées à ce chapitre?
Deuxièmement, pouvez-vous répondre à chacun des quatre arguments de ceux qui affirment que le projet de loi transgresse nos obligations internationales?
Mme Anne McLellan: C'est une question que nous avons examinée avec beaucoup d'attention.
Je suis heureuse d'avoir inclus la référence à la convention de l'ONU dans le préambule. Notre objectif à ce sujet était de montrer clairement que ce projet de loi est à notre avis parfaitement conforme à la convention et, en fait, monsieur Cotler, qu'il l'est plus que la loi précédente.
Par exemple, le transfert devant un tribunal pour adultes a été éliminé, comme nous l'avons déjà indiqué. Tous les procès se tiendront désormais devant un tribunal pour adolescents. En fait, nous avons renforcé la gamme des protections procédurales offertes aux jeunes. C'est là un facteur très important que certaines personnes ont tendance à oublier. Nous indiquons clairement dans le projet de loi qu'il faut respecter la règle de droit en ce qui concerne les adolescents, ce qui rehausse la conformité de la loi à la convention de l'ONU.
En outre, monsieur Cotler, nous avons déposé... c'est le gouvernement précédent... honnêtement, je ne sais pas quand ça été fait. Je suis sûre que Catherine le sait.
Quoi qu'il en soit, le gouvernement a formulé une réserve en ce qui concerne l'exigence que les contrevenants adolescents et adultes soient toujours détenus dans des milieux séparés et distincts car, comme nous l'avons déjà indiqué, il y a certaines régions du pays où les autorités locales estiment que ce ne serait ni adéquat ni possible dans tous les cas, par exemple dans certaines collectivités du Nord. Une réserve a donc été formulée sur cette question.
En vertu du projet de loi, toutes les peines infligées aux adolescents devraient être purgées dans un établissement pour adolescents séparé et distinct des établissements pour adultes. On trouve aussi dans le texte une présomption législative additionnelle rehaussant la protection des moins de 18 ans, étant donné que les adolescents de moins de 18 ans qui reçoivent une peine pour adultes la purgeront aussi dans un établissement pour adolescents. C'est là une protection importante pour cette catégorie d'adolescents.
Autre facteur important, la convention est axée sur les intérêts de l'enfant et nous en avons tenu compte précisément dans plusieurs domaines, par exemple en ce qui concerne la détention avant le procès et, évidemment, toute possibilité de détention dans un établissement pour adultes. En conséquence, nous estimons mieux respecter nos obligations en vertu de la convention de l'ONU avec cette loi qu'avec la précédente.
• 1640
Pour ce qui est de l'accès à un avocat, le Canada est un chef
de file mondial en ce qui concerne les services d'avocats offerts
aux jeunes qui passent devant un tribunal. Je crois pouvoir dire à
cet égard que nous avons un système d'aide juridique—et j'en
profite pour en donner le crédit aux provinces et aux territoires,
qui en assurent la gestion—qui permet aux jeunes et à leurs
familles d'avoir accès au système. Nous sommes considérés comme un
chef de file à cet égard et je ne vois donc pas pourquoi on nous
adresserait des reproches à ce sujet. Si un adolescent a un
problème quelconque à ce chapitre dans une province, il lui suffit
de faire appel au régime provincial d'aide juridique. S'il y a des
difficultés à ce chapitre, c'est avec les régimes provinciaux qu'il
faudra les régler. D'un point de vue global, cependant, et malgré
certaines difficultés ponctuelles, notre système d'aide juridique
est remarquable et je ne pense pas qu'on puisse nous adresser des
reproches à ce sujet.
Qu'aviez-vous demandé d'autre?
M. Irwin Cotler: J'avais parlé de l'accès élargi aux dossiers des adolescents...
Mme Anne McLellan: Sur cette question, nous avons examiné attentivement la situation et nous ne pensons pas contrevenir à la convention. De fait, nous estimons avoir rehaussé la protection des renseignements personnels en ce qui concerne ceux qui se verront infliger une peine pour adultes. Leur nom ne pourra être divulgué qu'après une condamnation par un tribunal pour adolescents, au cas où l'on aurait infligé une peine pour adultes. En vertu de la LJC, un jeune peut être transféré devant un tribunal pour adultes avant le procès et son nom peut être divulgué avant que le procès n'ait commencé et avant qu'il n'ait donc été trouvé coupable de quoi que ce soit.
Le changement que nous apportons à ce chapitre est important et constitue une protection importante pour les jeunes. À mon avis, si l'on veut publier des noms, cela ne doit pouvoir se faire que si l'adolescent a été trouvé coupable. N'oubliez pas que nous estimons que les adolescents constituent un cas différent et qu'il y a donc des raisons pour lesquelles on peut imposer une interdiction de publication tant que la culpabilité n'a pas été confirmée.
M. Irwin Cotler: Que pouvez-vous dire au sujet de la marge de manoeuvre des directeurs provinciaux?
Mme Anne McLellan: Les directeurs provinciaux ont déjà beaucoup de latitude, mais je vais demander à Catherine de vous répondre.
M. Irwin Cotler: Et cela ne concerne pas seulement le niveau de l'établissement de détention mais aussi la durée de la peine.
Mme Catherine Latimer (conseillère principale/directrice, Justice pour les adolescents, ministère de la Justice): La durée de la détention est déterminée par le juge et ne peut être modifiée par un directeur provincial. Je saisis donc mal les critiques dont vous parlez. Je serais très heureuse de vous donner d'autres renseignements à ce sujet.
Le président: Si vous le voulez, monsieur Cotler, nous vous rendrons la parole un peu plus tard. Vous avez déjà pas mal dépassé les sept minutes.
Monsieur Cadman, pour trois minutes.
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, AC): Merci, monsieur le président. Je remercie la ministre d'être venue aujourd'hui.
J'ai une question rapide à poser au sujet du volet de détention de la peine, par opposition au volet de supervision. Corrigez-moi si je me trompe mais, quand nous avons reçu ce projet de loi sous sa première mouture, le C-68, il y a quelque temps, il y avait une période obligatoire de deux tiers et une autre période d'un tiers. Autrement dit, pour une peine de trois ans, il devait y avoir deux années d'incarcération avec une année obligatoire de supervision. Je me souviens que certaines objections avaient été formulées par un témoin de la Colombie-Britannique qui avait dit que le public ne serait tout simplement pas prêt à accepter que l'on ramène à toutes fins pratiques la peine d'incarcération de trois ans à deux ans.
L'argument que l'on avait avancé à ce sujet—et je suis sûr que nous nous entendons là-dessus—était que chaque sentence doit comporter un volet de supervision. Vous avez modifié cette proposition et cela est maintenant laissé à la discrétion des tribunaux. Quelqu'un qui se voit infliger une peine de trois ans pour homicide, par exemple, pourrait en arriver à purger les trois années complètes en détention, sans supervision. Comme nous parlons ici de contrevenants très sérieux, sans doute de ceux qui ont le plus besoin de supervision, on risque de se retrouver avec un système dans lequel ils n'auront aucune supervision. Au bout de leurs trois années d'incarcération, on les mettra à la rue. Est-ce conforme à votre philosophie d'origine?
Mme Anne McLellan: Je vais demander à Catherine Latimer de vous répondre en détail mais je peux déjà vous dire que c'est une question qui avait été soulevée par plusieurs provinces. Celles-ci avaient exprimé des réserves à cet égard et c'est pourquoi nous avons apporté une modification. La proposition que vous voyez maintenant constitue une réponse aux préoccupations qui ont été exprimées par certains membres du système de justice pénale pour les jeunes.
• 1645
Catherine, pourriez-vous expliquer la modification que nous
avons apportée à ce sujet?
Mme Catherine Latimer: Nous avons décidé de donner plus de latitude aux magistrats pour fixer la période de détention et la période de supervision dans la communauté en ce qui concerne une gamme très limitée d'infractions, l'une d'entre elles étant, comme vous le dites, l'homicide. Les juges resteront obligés de prévoir une certaine période de supervision dans la communauté mais, techniquement parlant, s'ils voulaient faire preuve d'extrémisme, ils pourraient infliger trois ans moins une journée en détention et une seule journée dans la communauté.
Cela dit, nous pensons qu'il est important d'accorder cette latitude aux magistrats car, surtout dans des cas tels que l'homicide, ils pourraient for bien aller à l'autre extrême et n'exiger que quelques mois de détention et une très longue période de supervision dans la communauté. Ils pourraient fort bien répartir les deux volets de la peine de manière complètement différente mais nous pensions qu'il était important de leur laisser cette latitude.
Comme vous le savez, bon nombre de cas d'homicide comportent un élément accidentel non négligeable; il s'agit souvent du résultat catastrophique d'un incident dans lequel l'intention criminelle n'était pas particulièrement prononcée. C'est une infraction très intéressante, et c'en est une au sujet de laquelle nous pensons que le juge devrait posséder une certaine latitude quant à la répartition des deux volets.
Le président: Merci, monsieur Cadman.
Nous passons maintenant à M. Myers.
M. Lynn Myers: Merci beaucoup, monsieur le président.
Comme vous le savez, madame la ministre, je viens de la région de Waterloo, ville de près d'un demi-million d'habitants. J'y ai présidé la police pendant 10 ans.
Nous avons un conseil très efficace de prévention du crime à Waterloo. J'ai participé à la décision de donner aux agents de police l'instruction de donner des avertissements et de participer aux programmes de services communautaires, de réconciliation avec les victimes et de services d'aide aux victimes. Toutes ces mesures sont très importantes.
Ce qui m'intéresse, ce sont les mesures extrajudiciaires qui sont prévues dans le projet de loi, car certaines sont très bonnes. Je crois que nous devrions mettre en relief certaines des choses qui ont été mentionnées dans cette partie du projet de loi et, pour prendre un peu de recul par rapport à la partie plus formelle du système judiciaire, examiner plus attentivement ces mesures. Peut- être pourriez-vous nous donner des précisions sur certaines d'entre elles car je crois qu'il est important de bien comprendre qu'il y a d'autres mesures que l'on peut prendre pour empêcher les adolescents de s'engager dans cette voie et pour éviter qu'ils ne se retrouvent dans le système judiciaire formel d'une manière qui pourrait leur nuire.
Je suis donc encouragé par cette partie du projet de loi et je crois que vous devriez nous donner des précisions à ce sujet.
Mme Anne McLellan: Merci, monsieur Myers.
Je crois aussi que c'est l'une des parties les plus importantes du projet. Il s'agit en effet de ce qu'on peut appeler des primo-délinquants qui viennent de commettre un acte criminel sans violence, comme une infraction contre les biens, qui est moins grave—même si je comprends parfaitement que cela puisse être très grave pour la victime, je ne voudrais pas dire le contraire—et pour qui ces mesures extrajudiciaires peuvent être très utiles.
Les services de police nous ont beaucoup parlé de ces mesures, comme les avertissements, qui constituent une partie importante de leur arsenal. Évidemment, cela relève des provinces et ce sont elles qui peuvent décider de la manière dont ces programmes peuvent être mis en oeuvre.
Dans bien des cas, ces mesures sont utilisées pour faire face de manière opportune et efficace à un événement qui vient de se produire, en tenant compte du fait qu'il n'est pas toujours nécessaire d'avoir recours au système de justice pénale formel pour obtenir un résultat satisfaisant.
Dans les cas pertinents, ce sont évidemment les organismes d'exécution des lois et les procureurs de la Couronne qui useront de leur pouvoir discrétionnaire pour prendre ces décisions. Avec ce projet de loi, nous leur donnons le signal très clair que les mesures extrajudiciaires sont importantes et doivent être envisagées. Il ne s'agit pas cependant de mesures accessoires destinées à envoyer un jeune devant un juge pour que celui-ci le gronde et le renvoie chez lui en lui disant d'être un bon garçon, ou pour qu'il l'envoie en détention pendant quelques semaines ou quelques mois sans aucun suivi efficace.
• 1650
Nous savons, d'après les régions du pays où ces mesures
extrajudiciaires sont utilisées, qu'elles peuvent être très
efficaces pour obliger les jeunes à assumer leurs responsabilités
et à régler définitivement leurs problèmes avec les victimes et les
collectivités tout en leur donnant ensuite la chance de repartir du
bon pied et de ne pas récidiver.
Nous tenons donc à encourager ces programmes. Pour cela, il faut dispenser la formation requise. Il faut aussi, s'il y a lieu, donner des ressources additionnelles aux collectivités et aux provinces qui voudraient faire plus en la matière.
On parle beaucoup de conférences et de cercles sentenciels. Voilà d'autres mesures extrajudiciaires qui peuvent être importantes, qu'il s'agisse d'une conférence familiale ou d'un comité de justice pour les jeunes. Ce sont des outils très importants qui peuvent aider les organismes d'exécution des lois et les autres parties concernées à sanctionner correctement les jeunes contrevenants, à régler les problèmes avec les victimes et à faire le nécessaire dans les collectivités locales.
Je crois qu'il faut commencer à comprendre qu'il y a plus à faire, si on veut aider un jeune contrevenant à repartir du bon pied, qu'à l'envoyer devant un juge pour que celui-ci établisse sa culpabilité ou son innocence et lui inflige une sanction qui ne présentera peut-être aucun intérêt pour la victime ou pour la collectivité où l'infraction a été commise.
Je félicite donc la région de Waterloo pour le travail que vous avez fait et je suis sûre que vous et votre chef de la police, pour qui j'ai le plus grand respect, constaterez que ces dispositions de la loi et les ressources additionnelles seront utiles pour continuer ce genre de travail.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Bellehumeur, pour trois minutes.
[Français]
M. Michel Bellehumeur: C'était court, votre question.
Un jeune, accusé d'une infraction désignée, plaide non coupable et demande un procès devant juge et jury. Devant qui va-t-il être jugé, d'où vient le juge qui va le juger et, physiquement, où subira-t-il son procès?
[Traduction]
M. Richard Mosley: Monsieur le président, mon intervention concerne ce que disait M. Bellehumeur au sujet de l'article 13 du projet de loi qui prévoit, comme cela se fait depuis de nombreuses années, que les provinces pourront désigner des tribunaux pour adolescents et que cela pourra varier d'une province à l'autre.
Cela soulève évidemment le fait que l'une des garanties fondamentales que possède quiconque a commis une infraction pour laquelle il est passible d'une peine de plus de cinq ans a droit à un procès avec jury. En vertu de la Loi actuelle sur les jeunes contrevenants, un adolescent qui doit être transféré devant un tribunal pour adultes et qui choisit d'être jugé par un jury devra nécessairement être jugé par un juge de la cour supérieure avec jury.
Dans ce projet de loi, on reconnaît que les juges des cours supérieures ont l'expérience des jurys. Les cours provinciales ne fonctionnent pas avec des jurys. Les cours désignées comme tribunaux pour adolescents ne jugent pas avec des jurys. Donc, si un adolescent choisit d'être jugé par un juge et un jury, c'est la cour supérieure de la province qui sera considérée comme le tribunal pour adolescents dans son cas.
Je signale aussi qu'il n'est pas rare au Canada que des juges changent de responsabilité, c'est-à-dire qu'ils soient un jour juges pour adolescents et le lendemain, juges d'une cour provinciale pour adultes.
[Français]
M. Michel Bellehumeur: Où gagne-t-on du temps? Vous dites que ça va accélérer les choses. Où gagne-t-on du temps? Physiquement, il va être devant la Cour supérieure et le juge qui va faire le procès devant juge et jury sera un juge de la Cour supérieure. Qu'on ait un renvoi comme celui prévu dans la Loi sur les jeunes contrevenants ou qu'on applique le projet de loi C-7, avec l'article 13, c'est le même temps.
Dans le district de Joliette, où j'ai pratiqué longtemps, le Tribunal de la jeunesse occupe les mêmes locaux que la Cour du Québec et la Cour supérieure. Si quelqu'un demande un procès devant juge et jury, ça va lui prendre autant de temps: un an ou deux ans. Ce n'est pas parce la ministre de la Justice, d'un coup de petite baguette magique, change le chapeau que ça va accélérer les choses. C'est une question physique, une question de lieu qui n'existe pas.
• 1655
C'est une question aussi qui touche les juges de la
Cour supérieure qui ont déjà leur agenda, qui en ont
déjà plein
leur chapeau avec les Rock Machine et tous
les grands criminels.
Ils ne mettront pas leurs dossiers de côté pour
aller faire
ceux du tribunal de la jeunesse. Vous ne
gagnez aucun temps. Et ça, tous les spécialistes vous
l'ont dit. C'est de la désinformation lorsque vous
dites que les jeunes seront traités par le tribunal de la
jeunesse. Dans les cas spécifiques pour lesquels vous
avez modifié la loi, ce n'est pas vrai.
Le président: Monsieur Bellehumeur...
M. Michel Bellehumeur: C'est faux.
Le président: Monsieur Bellehumeur, c'est ça.
[Traduction]
Mme Anne McLellan: Je dois d'abord préciser, comme M. Bellehumeur devrait le savoir, qu'un jeune qui choisit aujourd'hui, avec la LJC, d'être jugé par un juge et un jury passe devant une cour supérieure.
[Français]
M. Michel Bellehumeur: C'est la même chose.
[Traduction]
Mme Anne McLellan: Ce qui va se passer dans ce contexte, comme M. Mosley vient de l'expliquer, c'est que le juge de la cour supérieure sera désigné juge de la cour pour adolescents, comme le prévoit la loi. Laissez-moi vous dire en quoi cela va nous faire gagner du temps. Vous n'écoutiez pas, monsieur Bellehumeur. Ce que j'ai dit...
[Français]
M. Michel Bellehumeur: Ce n'est pas un endroit.
[Traduction]
Mme Anne McLellan: Voici ce que j'ai dit au sujet des délais. Où y a-t-il actuellement des problèmes dans le système? En partie, avec les demandes de transfert. Quand on demande un transfert, il faut deux ans pour que le jeune soit jugé sur le fond et que l'on décide s'il était coupable ou non. Avec le projet de loi, il n'y aura plus de transfert devant un tribunal pour adultes. On tiendra immédiatement un procès sur le fond. Une fois qu'on aura établi la culpabilité ou l'innocence, on se demandera si une peine pour adultes serait justifiée, mais le procès sera à toutes fins pratiques terminé.
M. Vic Toews: Un rappel au Règlement.
Le président: Monsieur Toews, pour un rappel au Règlement.
M. Vic Toews: Je trouve cette discussion extrêmement intéressante et très utile. Ce que je trouve frustrant, c'est que les membres du comité aient si peu de temps pour poser leurs questions et obtenir des réponses. Je constate que chaque série question-réponse a duré plus que le temps prévu, et cela a probablement aussi été mon cas. Pourquoi ne faisons-nous pas simplement face à la réalité en augmentant le temps prévu pour chaque question et réponse, monsieur le président? Il est clair que la règle actuelle n'est pas respectée.
Le président: Je vous dis très respectueusement que la ministre doit nous quitter à 17 h 30 et que nous n'aurons donc pas le temps de régler ce problème d'ici là. Nous allons donc passer tout de suite à M. DeVillers.
[Français]
M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Merci, monsieur le président.
Madame la ministre, quand le comité a étudié le projet de loi C-3, on a entendu plusieurs témoignages de la province du Québec dans lesquels on se plaignait d'un manque de souplesse dans le projet de loi. Je ne suis pas sûr de la position de M. Bellehumeur. Je pense qu'il n'a pas eu assez de temps pour nous expliquer sa position lui-même, mais plusieurs témoins étaient venus du Québec. Est-ce que vous pouvez élaborer, peut-être, sur certains des éléments du projet de loi qui touchent les préoccupations des témoins du Québec?
[Traduction]
Mme Anne McLellan: Si vous lisez l'article 61, vous y trouverez un exemple de flexibilité puisqu'il donnera aux provinces le pouvoir de décider si elles veulent, dans leur propre juridiction, abaisser de 16 ans à 14 ans l'âge d'application des peines présomptives pour adultes. Voilà un facteur de flexibilité très important, me semble-t-il, qui respecte parfaitement le fait que différentes provinces peuvent avoir des opinions différentes. En fait, cela respecte aussi l'exercice des pouvoirs discrétionnaires à l'heure actuelle. Il arrive tous les jours, je suppose, que des procureurs de la Couronne exercent leur pouvoir discrétionnaire au nom du procureur général de la province lorsqu'ils choisissent de réclamer une peine pour adultes dans certain cas. Cela se fait déjà.
Ce que nous faisons avec l'article 61, c'est que nous disons aux provinces qu'elles peuvent prendre officiellement ce type de décision par décret du conseil. Elles peuvent dire que, dans leurs limites, elles exercent ce pouvoir discrétionnaire. Ce ne sera donc plus décidé au cas par cas, si vous voulez, ce sera fait de manière générale. Les provinces pourront adopter un décret du conseil déclarant que tout jeune de 14 ans ou de 15 ans qui est accusé de l'une de ces cinq infractions ne sera pas présumé être un adulte. C'est là un facteur de flexibilité important, à mon sens.
• 1700
En outre, en ce qui concerne des choses telles que des
programmes de préfiltrage, le Québec en a déjà. D'autres provinces
aussi. Certaines les mettent à l'essai. Voilà un autre exemple de
flexibilité. Nous ne disons pas que chaque province doit avoir un
programme de préfiltrage mais cette possibilité lui est offerte. Si
elle veut effectuer un préfiltrage des accusations, ce sera
possible.
Pour ce qui est des programmes d'avertissement de la police, nous offrons là aussi aux provinces le pouvoir de les mettre en oeuvre si elles le souhaitent.
En ce qui concerne les mesures extrajudiciaires, nous offrons donc un large éventail de possibilités aux provinces pour qu'elles prennent leurs propres décisions. Pour ce qui est de toute la gamme des options sentencielles, comme le service communautaire, la justice réparatrice, la supervision et le traitement, nous offrons beaucoup de souplesse aux provinces, tout comme avec les nouvelles options concernant les infractions les plus graves et violentes. Comme ce sont les provinces qui assurent l'administration du système de justice pénale, nous tenons dans toute la mesure du possible à leur donner la flexibilité dont elles ont besoin pour qu'elles puissent tenir compte de leurs circonstances locales.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur MacKay.
M. Peter MacKay: Madame McLellan, j'aimerais vraiment pouvoir passer plus de temps avec vous. Honnêtement.
Mme Anne McLellan: Il nous reste 30 minutes.
M. Peter MacKay: Mais j'ai trois questions à vous poser et vous n'aurez probablement le temps de répondre qu'à une seule.
Dans le scénario envisagé par M. Bellehumeur, voulez-vous nous dire qu'il y aura aussi un processus d'enquête préliminaire? En effet, s'il s'agit d'un acte criminel qui doit passer en cour supérieure, je suppose qu'il devra y avoir une enquête préliminaire.
Je viens de lire l'article 535 du Code. Avec les programmes d'avertissement de la police dont vous venez de parler, et avec les mesures extrajudiciaires, je crains que l'on n'augmente considérablement les responsabilités de la police. Vous allez en effet demander aux policiers de devenir des conseillers et des pères confesseurs dans les salons du pays. N'oubliez pas qu'ils seront déjà très occupés à saisir des armes à feu, avec votre nouvelle législation.
Troisièmement, là où existe ce nouveau système de transfert de jeunes à adultes, ne vaudrait-il pas au moins la peine d'envisager le transfert de l'enfant devant un tribunal pour adolescents? Je ne veux pas passer pour un extrémiste désireux d'enfermer des enfants de 11 ans à Kingston mais, si ce nouveau système doit fonctionner aussi brillamment que vous le dites, et comme il y a un nouveau système mettant l'accent sur l'intervention précoce... Vous venez de reconnaître que le système de justice pénale offre dans certains cas un service réel aux enfants car il permet de les sortir de l'ornière dans laquelle ils se sont fourvoyés. Dans bien des cas, il fait peut-être un travail que les services sociaux n'arrivent pas à faire.
Il y a eu dans votre ville d'origine un enfant de 11 ans qui a commis un vol à main armée. On a vu des enfants de 10 ans et de 11 ans qui ont volé des personnes âgées, qui ont battu d'autres enfants et qui, malheureusement, sont bien lancés pour devenir des criminels endurcis; or, j'estime que ces enfants sont parfaitement capables de comprendre la gravité de leurs actes. Ne pensez-vous pas que l'on devrait prévoir, dans certains cas très limités, qu'un juge puisse se pencher sur ces cas pour décider de les faire monter d'un cran dans le système, c'est-à-dire de les amener non pas dans le système pour adultes mais dans le système pour adolescents?
Mme Anne McLellan: Pour ce qui est de votre question concernant les enquêtes préliminaires, vous savez que les adolescents ont déjà maintenant droit à une enquête préliminaire.
M. Peter MacKay: En cas de transfert.
Mme Anne McLellan: Oui.
M. Peter MacKay: Donc, où gagne-t-on du temps? Il y aura...
M. Michel Bellehumeur: Où y a-t-il gain de temps?
Mme Anne McLellan: Mes remarques concernant l'opportunité du processus—mes remarques écrites—concernaient le transfert et la rationalisation de ce processus de façon à ce que l'adolescent puisse être jugé rapidement et qu'il sache à quoi s'en tenir quant à sa culpabilité. Cela sera plus rapide qu'aujourd'hui, vous en avez déjà convenu.
M. Peter MacKay: Certes, mais je voulais simplement vérifier qu'il y aurait encore une enquête préliminaire. Si tel est le cas, il n'y aura aucun gain de temps.
Mme Anne McLellan: Mais que voulez-vous? Les priver de leurs droits?
Le président: C'est ça.
M. Peter MacKay: Absolument pas. Je vous demandais simplement une confirmation.
Le président: Monsieur McKay.
M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Je voudrais revenir sur la question posée par M. DeVillers au sujet de la flexibilité. Le nouveau système sera foncièrement flexible. L'article 61 permettra au procureur général de la province d'appliquer avec flexibilité le système des infractions présomptives.
Cela dit, avec votre souci de flexibilité, ne craignez-vous pas le chaos? En théorie, vous pourriez avoir une limite de 16 ans au Québec, de 14 ans en Ontario et de 15 ans au Manitoba. En théorie, on va devoir marcher sur des oeufs. On pourrait se retrouver avec certaines infractions présomptives à 16 ans et avec d'autres infractions présomptives à 14 ans, et tout cela dans la même juridiction. Je me demande donc si, par souci de flexibilité, vous ne vous exposez pas en fait à des contestations au titre de la Charte et si ce genre de flexibilité n'expose pas les adolescents à des degrés de risque différents. Loin d'harmoniser le système dans tout le pays, vous allez en fait créer une mosaïque de systèmes différents qui permettra aux avocats de la défense de se demander si leurs clients sont bien traités avec justice. Quelqu'un qui n'est pas exposé avant l'âge de 16 ans à Hull le sera à partir de 14 ans à Ottawa, tout dépendant d'une décision discrétionnaire du procureur général.
Mme Anne McLellan: Croyez bien que nous avons réfléchi à cette question. L'exemple que vous venez de donner... Ça existe déjà, John. Ça existe aujourd'hui. Les procureurs généraux des provinces, ou leurs procureurs, prennent déjà ce genre de décision, et certains procureurs généraux peuvent déjà avoir promulgué des lignes directrices. Il peut déjà y avoir des instructions, si on veut bien les appeler comme cela, qui sont envoyées aux procureurs pour leur dire de toujours demander une peine pour adultes dans telle ou telle situation, ou de ne jamais en réclamer dans telle ou telle autre. Ces lignes directrices et instructions varient déjà d'une province à l'autre.
M. John McKay: Mais, aujourd'hui, cela exige un décret du conseil, n'est-ce pas?
Mme Anne McLellan: Ce que nous proposons avec le projet de loi, c'est que le procureur général soit parfaitement transparent à cet égard. En ce qui concerne les adolescents de 14 ans et de 15 ans, si l'on ne veut pas qu'ils soient assujettis à la présomption, le procureur général aura la possibilité d'en décider. Aujourd'hui, il doit simplement envoyer une instruction ou une ligne directrice à ses procureurs. Avec le nouveau système, il devra s'adresser à ses collègues et au lieutenant-gouverneur en conseil pour promulguer un règlement. Cela a pour conséquence de rendre le processus beaucoup plus transparent et d'instaurer un degré beaucoup plus élevé de responsabilité politique qu'à l'heure actuelle. M. Toews, qui fut procureur général, sait que nous pourrions probablement nous adresser à beaucoup de gens au Manitoba, en Alberta ou en Ontario avant de trouver une seule personne qui connaisse les lignes directrices ou instructions qui sont émises par le procureur général au sujet des diverses catégories d'infractions, par exemple le vol à l'étalage. Même à l'intérieur d'une même province, il peut y avoir des variantes, étant donné que les procureurs de telle ou telle ville peuvent choisir de procéder par voie d'accusation ou par voie sommaire, selon la nature du problème. De ce fait, le nouveau système que nous proposons garantit un degré plus élevé de transparence et de responsabilité politique.
M. John McKay: Est-ce que...
Le président: Merci, monsieur McKay. Monsieur Sorenson.
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, AC): Merci, monsieur le président, et merci à la ministre d'être venue. Je n'aurais jamais imaginé que je ferais partie d'un comité de la justice. Mon père me disait toujours: «Tu ferais mieux de te méfier sinon tu vas te retrouver devant la justice». Aujourd'hui, je me retrouve devant un comité et ça m'impressionne beaucoup.
Mme Anne McLellan: Vous auriez dû devenir avocat.
M. Kevin Sorenson: C'est vrai.
J'ai trois questions à vous poser. Comme nous prenons souvent le même avion, entre Ottawa et notre province, quelqu'un m'a dit un jour que je devrais essayer de trouver un siège à côté du vôtre si j'ai des questions à vous poser, et peut-être pourriez-vous...
Mme Anne McLellan: Absolument, j'en serais très heureuse. J'en serais très heureuse.
Des voix: Oh!
M. Kevin Sorenson: Tant pis pour vous, monsieur Scott.
Mes questions...
Mme Anne McLellan: J'ai vraiment fait preuve d'insensibilité.
M. Kevin Sorenson: C'était parfait. Comme vous avez dû répondre à son intervention, j'espère que j'aurai plus de temps.
Notre problème concerne...
Le président: Vous êtes arrivé à vos dernières secondes.
M. Kevin Sorenson: Notre problème, madame la ministre, c'est la protection de la société. D'après nous, cela doit être le principe directeur de toute nouvelle Loi sur la justice pénale pour les adolescents. Or, dans le projet de loi que vous venez de déposer, nous estimons que cela devient secondaire. Certes, vous pouvez dire que la réadaptation aboutit à long terme à améliorer la protection de la société, étant donné que des jeunes contrevenants réadaptés seront prêts à réintégrer la société. Toutefois, nous pouvons aussi vous dire que certains programmes de réadaptation ne marchent absolument pas.
En ce qui concerne les mesures extrajudiciaires ou les programmes communautaires dont vous avez parlé, pensez-vous qu'on devrait les appliquer à tous les types de contrevenants ou simplement aux primo-contrevenants non violents? C'était ma première question.
Dans le cas des contrevenants violents, nous pensons qu'un grand nombre peuvent être efficacement réhabilités si on leur inflige certaines périodes d'incarcération avec des programmes de réhabilitation, et cela assure aussi la protection de la société, mais d'une manière différente. Or, un vieux document de Statistique Canada nous apprenait qu'une très petite proportion des contrevenants violents se retrouve en prison. Je m'interroge à ce sujet.
Ma deuxième question concerne le problème de la publication.
Le président: Ce sera votre dernière question.
M. Kevin Sorenson: Vous dites que l'adolescent pourra demander que son nom ne soit pas divulgué. Avez-vous prévu un mécanisme d'appel de l'interdiction de divulgation? Si un juge décide que le nom ne sera pas divulgué, aura-t-on la possibilité d'en appeler de sa décision?
Le président: Merci, monsieur Sorenson. Je vous interromps pour permettre à la ministre de répondre.
Mme Anne McLellan: En ce qui concerne les principes directeurs de ce projet de loi, votre déclaration est intéressante car, si je me souviens bien, M. Bellehumeur a exprimé une position bien différente sur ce que devraient être les principes fondamentaux de la loi. À son avis, nous mettons beaucoup trop l'accent sur la protection de la société et pas assez sur d'autres valeurs.
Laissez-moi vous dire que ce projet de loi repose à nos yeux sur trois valeurs importantes: premièrement, si l'on veut vraiment créer une société sûre, la meilleure manière est de prévenir le crime, avant toute chose. De prévenir la création d'autres victimes. Cela souligne l'importance d'une intervention précoce dans la vie des jeunes à risque et de leurs familles. Voilà pourquoi nous avons un programme de prévention du crime. Voilà pourquoi nous oeuvrons avec les provinces dans ce domaine. Voilà pourquoi nous avons toute une panoplie de services sociaux d'intervention précoce qui sont destinés à essayer d'identifier les jeunes à risque, dès le plus jeune âge, par exemple les enfants nés avec le SAF. Dans un sens, la prévention du crime remonte bien avant la naissance de l'enfant dans la mesure où, si nous pouvons identifier les femmes enceintes qui sont attirées par la boisson ou par les drogues, nous pouvons faire beaucoup pour éviter que les jeunes de ce pays se retrouvent dans les prisons. C'est une question qui revêt une importance fondamentale pour nos collectivités autochtones, où qu'elles se trouvent. La prévention est donc un facteur clé à nos yeux.
Ensuite, bien sûr, nous voulons nous occuper des jeunes qui transgressent la loi. Nous tenons à ce qu'ils rendent compte de leurs actes et à ce qu'ils assument leurs responsabilités, mais cela ne veut pas toujours dire—et ne doit pas toujours dire—qu'il faut envoyer les gens en prison pendant plus longtemps. Quel serait l'intérêt d'envoyer des gens en prison pendant quelques semaines ou quelques mois si l'on n'a aucune programme de supervision à leur offrir à la sortie? Il faut se poser sérieusement et honnêtement la question: en quoi cela serait-il utile à un adolescent? Nous savons bien que les conséquences que les adolescents doivent assumer dépendront de la gravité du crime, de la nature de la communauté et de la famille. Il y a toutes sortes de choses à prendre en considération pour déterminer des conséquences qui pourront être jugées utiles. Or, notre but est d'amener les jeunes à assumer des conséquences utiles de leurs actes.
• 1715
Finalement, si votre objectif est de protéger la société, vous
devez bien convenir que, quelle que soit la gravité du crime, les
jeunes finiront bien par retourner dans leur collectivité à un âge
relativement bas. En conséquence, nous devons déployer beaucoup
d'efforts pour leur donner accès à des stratégies de réadaptation
et de réintégration. C'est comme ça qu'on protégera le public.
On ne peut pas raconter des histoires au public en lui disant qu'il suffit de mettre les gens en prison pendant plus longtemps pour assurer sa sécurité. La détention est adéquate dans certaines circonstances, j'en conviens absolument. Doit-on tenir compte, par exemple, du degré de violence de certains crimes commis par les adolescents? Absolument. Doit-on prendre des mesures efficaces pour faire face à cette réalité? Absolument. Par contre, ce n'est pas en mettant les adolescents en prison pendant plus longtemps qu'on va accroître la sécurité dans nos rues et dans nos communautés. Il faut aller au-delà des messages simplistes et essayer de comprendre pourquoi certains jeunes commettent des actes criminels, afin de leur donner l'appui dont ils ont besoin pour reprendre le droit chemin.
Le président: Merci, madame la ministre.
Monsieur Maloney.
M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): Madame la ministre, vous disiez tout à l'heure que cette initiative fait partie du renouveau de la justice pénale pour les jeunes. Évidemment, la Loi actuelle sur les jeunes contrevenants est une loi que beaucoup aiment décrier. Je pense qu'il est maintenant important de réussir, dans l'intérêt des jeunes qui s'égarent et pour assurer la protection du public. Vous conviendrez sans doute avec moi qu'une loi ne saurait à elle seule résoudre un problème aussi vaste que le système de la justice pénale pour les jeunes. À part cette loi, quelles autres mesures envisagez-vous—vous en avez évoqué certaines en répondant à M. Sorenson—pour assurer une vraie refonte de notre système de justice pénale pour les jeunes?
Mme Anne McLellan: Vous posez une question importante. L'une des conséquences de ce projet de loi est qu'il attire l'attention sur le fait que la société semble penser qu'il suffit d'adopter des lois plus sévères pour assurer la sécurité de nos communautés et avoir un système de justice répondant efficacement aux activités des jeunes qui transgressent la loi et qui causent du tort à autrui. Il me semble qu'il est temps de faire éclater ce mythe et d'admettre que, même si l'on doit avoir une législation efficace—et c'est ce que nous essayons de faire ici—il faut aussi prendre d'autres mesures dans d'autres domaines.
Cela me ramène à la prévention du crime par le développement social. Si nous pouvions faire en sorte que les provinces, les municipalités, les agences de service social, l'appareil judiciaire et toutes les parties concernées agissent dans le même sens, je crois que nous aurions probablement les ressources suffisantes. Si tous les programmes étaient intégrés et si tout le monde agissait dans le même sens pour faire en sorte que plus un seul enfant ne naisse avec le SAF et qu'il n'y ait plus de jeunes à risque dans des familles elles-mêmes à risque à cause des drogues, de la violence familiale ou du manque d'éducation et d'alphabétisation, nous ferions un grand pas en avant. Voilà, à mon avis, ce qu'est la prévention et comment on peut éviter que des jeunes ne transgressent la loi.
Certes, il y aura toujours des jeunes qui connaîtront des difficultés, nous en sommes parfaitement conscients. Nous pouvons cependant faire beaucoup pour eux par des moyens autres que le recours à la justice pénale. Que ce soit la LJC ou une autre loi, monsieur Bellehumeur, elle n'entre en application que lorsqu'un adolescent a commis un crime. C'est-à-dire lorsqu'une nouvelle victime a été créée. Ne serait-il pas bon de pouvoir prendre certaines des ressources que nous consacrons à cette étape, c'est- à-dire après que quelqu'un ait subi un tort et que la police ait été appelée dans une maison, sur un terrain de jeu ou ailleurs, de façon à pouvoir mieux travailler avec, par exemple, les agences d'aide à l'enfance, les agences de santé mentale, les écoles et d'autres pour prévenir l'activité criminelle?
Le président: Merci.
Monsieur Bellehumeur, pour trois minutes. J'ai un autre nom sur ma liste. Je ne pense pas que ce sera possible, Peter.
[Français]
M. Michel Bellehumeur: Madame la ministre, ça se fait déjà ce que vous dites: la collaboration entre les différents organismes, la police et le procureur de la Couronne.
Lorsqu'on applique la Loi sur les jeunes contrevenants, on est capable de le faire. Le problème, c'est qu'il y a des provinces qui n'appliquent pas la Loi sur les jeunes contrevenants.
• 1720
Je lisais les commentaires sur votre projet de loi.
On parle d'un nid de rats en Saskatchewan. Ce n'est
pas trop valorisant pour votre projet de loi. Dans
les Maritimes, on dit qu'il crée un monstre.
Ce n'est pas trop
valorisant pour votre projet de loi, ça non plus.
On parle de courtepointe de régimes divers
parmi les libéraux, de complexité. On dit que ça ne va
pas assez loin.
Quelles sont, madame la ministre, vos garanties que des provinces qui n'appliquent pas, à l'heure actuelle, la Loi sur les jeunes contrevenants vont appliquer une loi qui est plus complexe encore, une loi qui est un nid de rats, une loi qui est une courtepointe de régimes divers, une loi qui crée un monstre? Quelles sont vos garanties que ces provinces vont l'appliquer chez elles, alors qu'aujourd'hui, elles n'appliquent pas la Loi sur les jeunes contrevenants? Aujourd'hui, avec la Loi sur les jeunes contrevenants, il y a des mesures de rechange et elles n'y ont pas recours. Aujourd'hui, avec la Loi sur les jeunes contrevenants, on peut mettre les jeunes contrevenants dans des endroits sécuritaires, à l'écart des adultes. Il y a des provinces où on les met avec les adultes. Quelles sont vos garanties? Vous n'avez pas de garanties que ces provinces appliqueront adéquatement la future loi sur les jeunes contrevenants. On ne s'entendra jamais.
Ma question est la suivante: pourquoi ne permettez-vous pas au Québec, de façon très claire, de continuer d'appliquer la Loi sur les jeunes contrevenants qui est actuellement en vigueur? Il vous suffirait d'ajouter un article du même style que l'article 61 de votre projet de loi et qui se lirait comme suit: par décret du lieutenant-gouverneur d'une province, celle-ci peut se soustraire de l'application du projet de loi C-7 et continuer à appliquer la Loi sur les jeunes contrevenants.
Quel est votre problème, madame la ministre?
[Traduction]
Mme Anne McLellan: Tout d'abord, chacun convient que la LJC actuelle a été appliquée de manière différente, à certains égards, dans différentes provinces. En fait, monsieur Bellehumeur, c'est l'une des choses dont on parle le plus dans votre province, le Québec, c'est-à-dire la flexibilité, la prise en compte des circonstances locales et la possibilité de mener des expériences avec des approches locales, particulières à la province, voire—qui sait?—aux municipalités. Comme nous le savons, dans le nord du Québec, où l'on trouve certaines collectivités autochtones isolées, les problèmes sont différents. Votre province admet des approches différentes.
Je ne suis pas ici pour défendre les autres provinces ou les territoires mais je sais qu'il y a des mesures extrajudiciaires partout, parfois depuis de nombreuses années. On ne les applique peut-être pas partout au même degré ou de la même manière mais toutes les provinces en ont. Il ne faudrait donc pas donner l'impression que certaines provinces ou les territoires n'ont pas de mesures extrajudiciaires, ce ne serait pas vrai.
Je répète qu'il n'y a rien dans cette loi, à mon avis, qui empêche de mettre en oeuvre le genre de programmes qui l'ont été dans le passé au Québec, ou qui prive la province de la souplesse dont elle a déjà bénéficié. Même si je respecte votre savoir juridique, monsieur Bellehumeur, je crois que vous avez raison quand vous dites que vous et moi resterons en désaccord sur ce point.
Le président: Monsieur Owen.
M. Stephen Owen (Vancouver Quadra, Lib.): Merci, madame la ministre.
Je n'ai pas pu profiter de l'expérience exhaustive ou épuisante...
Une voix: Excitante...
M. Stephen Owen: ... ou excitante—d'examiner l'ancien projet de loi mais j'ai eu la possibilité de lire certains des débats à ce sujet. J'ai une préoccupation similaire à celle de M. Bellehumeur mais je vais peut-être l'exprimer avec un peu moins de vigueur.
Simplement parlant, j'apprécie la créativité, la souplesse et la précision du projet de loi C-7 en ce qui concerne les mesures envisagées pour les cas les plus graves ainsi que pour les primo- contrevenants non violents. Pour ce qui est de la complexité du texte, elle ne m'inquiète pas beaucoup. Je crois en fait qu'elle précise utilement certaines choses et que le système pourra s'améliorer à mesure qu'on acquiert de l'expérience.
Ce qui me préoccupe, c'est que la mise en oeuvre de mesures de déjudiciarisation, par la police ou par les procureurs, permet d'économiser des sommes considérables dans l'immédiat. Vous avez parlé des coûts, et aussi des retards ou du caractère inapproprié du système actuel de justice pénale et du système correctionnel en ce qui concerne certaines infractions.
• 1725
Cela dit, en ce qui concerne les procureurs généraux et les
agents correctionnels qui font face à de graves difficultés
budgétaires—je le sais parce que j'ai été confronté à de telles
contraintes—les conseils du Trésor peuvent être sérieusement
tentés de grappiller l'argent là où il se trouve et, par
conséquent, de détourner les gens d'un système qui est dispendieux
mais sans fournir ensuite les crédits dont a besoin la communauté
pour mettre en oeuvre des programmes de justice réparatrice.
Nous avons constaté ce phénomène avec la désintitutionnalisation des malades mentaux, mesure qui avait été prise avec les meilleurs objectifs au monde, et avec un accord de principe général, mais on a constaté ensuite que des gens ont été renvoyés dans la communauté et, dans certains cas, ont abouti tragiquement dans le système de justice pénale.
Ma question est donc celle-ci: en quoi ce projet de loi va-t- il nous aider à appuyer des programmes communautaires, financés correctement, et pas simplement un programme, même bien intentionné, de justice réparatrice?
Mme Anne McLellan: Votre question est très importante. Elle comporte deux volets—d'abord, l'orientation de la loi elle-même et, ensuite, les questions de financement.
Pour ce qui est de la loi, vous constaterez qu'elle offre une définition beaucoup plus claire et beaucoup plus forte, comme vous l'avez dit, en disant: «Cessons de penser à la détention, même de courte durée, ou au processus judiciaire formel, qu'il aboutisse à la détention ou à autre chose, comme étant toujours la première ligne d'attaque. Prenons toutes les options possibles en considération.»
La détention, et même le processus judiciaire formel, sont des choses qu'on ne devrait invoquer que dans les situations les plus graves, de manière générale. Le projet de loi est structuré de manière à envoyer à quiconque ne l'avait pas encore compris le message très clair, à mon avis, que, dans le système de justice pour les jeunes, nous pensons qu'il faut envisager des mesures extrajudiciaires pour éviter la détention qui est la sanction la plus dispendieuse que puisse imposer le système de justice pénale.
Pour revenir à la question des garanties, je suppose qu'il ne peut y en avoir aucune sauf dans la mesure où il est clair pour la police, clair pour les juges, en particulier, clair pour les procureurs et clair pour quiconque oeuvre dans le système que l'intention de ce projet de loi est d'offrir plus de détail et de spécificité que la LJC.
Deuxièmement, la loi est claire en matière de financement. Nos budgets supplémentaires serviront à encourager les provinces à mettre sur pied des programmes efficaces, que ce soit de justice réparatrice, de conférences sentencielles ou autres, y compris communautaires, qui offriront le type d'intervention qui aidera les jeunes, qui fera participer la communauté et qui réduira le risque de récidive.
Vous savez, avec les anciennes ententes de partage des coûts, je pense que nous récompensions en fait les provinces qui plaçaient les jeunes en détention. En effet, c'est nous qui assumions les frais de cette intervention dispendieuse. En conséquence, les provinces qui avaient des enfants en détention pendant plus longtemps recevaient plus d'argent. Eh bien, c'était un peu pervers. Nous allons maintenant corriger cela. Certaines provinces seront nettement bénéficiaires des nouveaux arrangements de partage des coûts.
C'est donc une question de combinaison d'une orientation plus claire et d'une meilleure définition, et d'une utilisation de l'incitation budgétaire pour dire: «Écoutez, nous savons que nous devons tous faire mieux qu'autrefois et nous sommes ici pour vous aider à élaborer des programmes qui, croyons-nous, garantiront à longue échéance que les jeunes ont la chance de reprendre le droit chemin et d'éviter la récidive.»
Le président: Merci beaucoup, madame la ministre, et merci, monsieur Owen.
Nous allons donner à la ministre le temps de partir. Je demande aux cameramen de fermer leurs caméras. Nous avons plusieurs choses à régler et nous allons bientôt entendre la sonnerie.
Merci beaucoup, madame la ministre.
Mme Anne McLellan: Comme toujours, monsieur le président et chers collègues, j'ai été très heureuse de m'adresser à vous. Je ne m'attends pas à ce que nous soyons d'accord sur tout mais je respecte l'opinion des membres du comité. Je respecte votre travail.
• 1730
Comme c'était ma première occasion de comparaître à nouveau
devant vous depuis la dernière élection, vous ne serez pas surpris
d'apprendre que nous avons un programme très chargé, au ministère
de la Justice, et que les Canadiens s'attendent à ce que nous
menions notre travail de manière opportune et efficace afin de
garantir la sécurité et le bien-être de toutes les communautés.
Soyez certains que je suis déterminée à collaborer avec vous dans les semaines et les mois qui viennent. Certes, comme je l'ai dit, je ne suis pas naïve au point de croire que nous serons toujours d'accord mais sachez que je respecterai toujours vos opinions. Merci beaucoup.
Le président: Merci beaucoup. Je suspens les travaux pendant 30 secondes.
Le président: Nous reprenons nos travaux.
Si vous examinez l'ordre du jour de cette journée, nous étions censés discuter de nos activités futures à partir de 17 h 30. La ministre a accepté de comparaître devant le comité au sujet de la Loi sur les juges, ce dont vous avez été informés. Nous aurons donc le plaisir de l'accueillir à nouveau demain, à 11 heures, de l'autre côté du couloir, pour parler du projet de loi C-12, Loi sur les juges.
J'ai reçu deux avis de motion au sujet du projet de loi C-7. Je propose que nous passions d'abord à la Loi sur les juges. Si nous sommes d'accord, je propose que nous entendions mardi après- midi les témoins que nous avions reçu l'instruction de trouver. Immédiatement après, nous passerons directement à l'étude article par article. De ce fait, nous discuterons des travaux futurs relatifs au projet de loi C-7 mercredi après-midi, après quoi nous parlerons des motions de M. Maloney et de M. Bellehumeur—et je sais que vous les avez reçues.
Y a-t-il des objections quelconques à ce plan de travail?
Des voix: Non.
Le président: Dans ce cas, la séance est levée.