JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS
COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 24 octobre 2001
Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): Bon après-midi à tous. Je déclare ouverte la 33e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
Cet après-midi, nous examinons le projet de loi C-36, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur les secrets officiels, la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et d'autres lois, et édictant des mesures à l'égard de l'enregistrement des organismes de bienfaisance, en vue de combattre le terrorisme.
Nous accueillons cet après-midi quatre distingués témoins: De la Norman Paterson School of International Affairs, M. Martin Rudner; de Osgoode Hall, M. Patrick Monahan, de l'Université de Toronto, M. Wesley Wark et de l'Association canadienne des libertés civiles, M. Alan Borovoy.
Merci beaucoup de nous consacrer de votre temps, messieurs. Je crois comprendre que certains d'entre vous, du moins, ont eu l'occasion de discuter du projet de loi au Comité du Sénat et nous vous remercions de venir nous aider aussi.
Vous avez tous déjà comparu devant le comité auparavant et vous connaissez donc notre façon de procéder: vous nous présentez des commentaires liminaires en vous efforçant de ne pas dépasser 10 minutes puis nous passons aux questions des membres du comité. Nous sommes censés être ici jusqu'à 17 h 30.
Je vais suivre l'ordre de l'avis de convocation. Vous êtes donc le premier, monsieur Rudner.
M. Martin Rudner (directeur, Centre for Security and Defence Studies, Norman Paterson School of International Affairs): Merci beaucoup. C'est vraiment un honneur et un privilège pour moi d'être ici aujourd'hui.
J'ai l'intention de faire ce qu'on m'a demandé et de vous parler en particulier du renseignement sur les transmissions, on emploie l'acronyme SIGINT, de ses incidences dans le cadre du projet de loi dont nous sommes saisis et des efforts du Canada dans la campagne contre le terrorisme international.
Le renseignement sur les communications a un rôle particulièrement important à jouer dans la lutte contre le terrorisme. Tout d'abord, comme nous le savons, les réseaux et les groupes terroristes doivent communiquer et le font en bonne partie par voie électronique. Deuxièmement, les terroristes recueillent des fonds et font des transferts financiers qui sont souvent des mouvements d'argent électroniques. Le renseignement sur les communications et le renseignement sur les transmissions sont les méthodes par lesquelles le gouvernement et les forces de l'ordre peuvent contrôler et suivre ces mouvements d'information au sujet des projets, des activités et des fonds.
• 1535
Comme nous le savons, au Canada, le renseignement sur les
transmissions relève du Centre de sécurité des télécommunications
ou CST. Le CST a diverses fonctions pertinentes dans le cadre de ce
projet de loi. Il a pour fonction d'intercepter les communications,
mais aussi la cryptanalyse, soit le déchiffrement des codes
utilisés pour la plupart des communications, et aussi la fonction
de protéger la sécurité des communications au Canada, les réseaux
et l'infrastructure des communications gouvernementales
canadiennes.
Le cadre politique du CST est inhabituel pour le gouvernement du Canada. Il n'y a pas de fondement législatif pour le CST. Il a été créé par décret en conseil. Il a pour mandat de recueillir des renseignements extérieurs. Son mandat initial exclut d'ailleurs, en vertu de la Loi sur la défense nationale, l'interception des communications des Canadiens, tant les citoyens et organismes canadiens que les sociétés établies ici.
Le CST a une structure double, d'une part pour l'administration et d'autre part pour la responsabilisation. Il relève du ministère et du ministre de la Défense nationale pour les questions administratives et du coordonnateur du renseignement du Bureau du conseil privé pour les questions de nature politique. Il est assujetti à un examen administratif effectué par son commissaire, l'honorable Claude Bisson, qui examine les activités du CST pour s'assurer qu'elles sont conformes aux lois et qui traite les plaintes au sujet des activités du CST.
Le projet de loi C-36 présente bon nombre d'innovations aux fonctions de renseignements électromagnétiques du Centre de sécurité des télécommunications. Elles sont de trois types: d'abord, les nouvelles règles faciliteront pour le CST la surveillance électronique et l'interception des communications des groupes terroristes; deuxièmement, elles modifient la Loi sur la défense nationale pour élargir le mandat du CST qui pourra intercepter des renseignements extérieurs, y compris les communications avec des Canadiens si le ministre de la Défense nationale l'y autorise; et troisièmement, il améliore la capacité du CST d'être plus dynamique dans son évaluation de menaces contre les infrastructures de communications gouvernementales.
Je profite de l'occasion pour parler des défis dans le domaine du renseignement sur les communications ou du renseignement sur les transmissions au Canada. Ils sont de divers types, de nature technique ou opérationnelle mais ils sont pertinents dans le cadre de l'examen de ce projet de loi.
Parmi les défis techniques, d'abord, le CST doit maintenant intercepter les communications par fibre optique, qui sont pour le centre techniquement beaucoup plus difficiles à intercepter; il faut donc intensifier les efforts du CST pour obtenir le genre de renseignement nécessaire à la réalisation de son mandat.
Deuxièmement, il y a les immenses capacités de chiffrement désormais disponibles pour les civils, y compris les terroristes, qui ne l'étaient pas autrefois. À une certaine époque, le gouvernement était chef de file en matière de chiffrement. De nos jours, le secteur privé est à l'avant-garde, pour la plupart des domaines de chiffrement et la capacité du CST de déchiffrer des messages codés doit être augmentée.
Troisièmement, il y a ce qu'on appelle la stéganographie, soit la capacité de cacher électroniquement des messages en les camouflant dans des transmissions graphiques ou musicales sur Internet, ce qui exige donc de la part des responsables de l'interception une immense capacité pour trouver les messages ainsi dissimulés de gros fichiers de transmission de musique, d'éléments graphiques, de photographies, etc.
Dans les circonstances, les organismes comme le CST doivent relever des défis opérationnels considérables. D'abord, pour intercepter les communications, la tâche est absolument colossale. Il y a des millions, sinon des milliards de communications qui ont lieu tous les jours, voire toutes les heures, et qui doivent être triées selon leur pertinence, qu'il s'agisse de menaces terroristes ou autres contre la sécurité nationale du Canada et tout le reste qui, bien franchement, n'est pas pertinent et qui ne vaut pas la peine qu'on y consacre les ressources du CST.
• 1540
Ensuite, après l'interception et le déchiffrement, il reste
encore le défi de la traduction. Les messages transmis par les
réseaux de communications ne sont pas tous en français ou en
anglais et les langues moins connues représentent tout un défi pour
le renseignement sur les communications.
Le troisième défi est la production massive de résultats. D'après le commissaire du CST, le CST produit actuellement plus de 100 000 rapports—des produits du renseignement—et la capacité de traiter, diffuser et utiliser ces produits représente un effort colossal de la part des services de renseignement.
Il n'y a à mon avis aucun doute quant à la nécessité pour le CST d'augmenter sa capacité d'intercepter les communications financières et opérationnelles des groupes terroristes, dont certains ont des activités ou des bases ici même, au Canada. Mais il est aussi vital de veiller à ce que le droit des Canadiens à la vie privée, ainsi que les autres droits conférés par la Charte, soient respectés, et si vous me permettez une digression sur un sujet qui ne se rapporte pas au projet de loi mais qui relève du mandat du Parlement, il faut trouver de nouvelles façons d'arriver à un équilibre entre la nécessité d'assurer la sécurité publique, par l'obtention de renseignements, et la protection des droits, y compris le droit à la vie privé des Canadiens. Pour répondre à cette exigence, il faudrait notamment améliorer la capacité du Parlement du Canada d'exercer une surveillance sur le renseignement sur les communications et d'autres formes de renseignement.
Actuellement, nous avons deux formes de surveillance au Canada. Il y a la surveillance par l'exécutif, effectuée par le commissaire du CST dans le cas du Centre de sécurité des télécommunications et par le comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, dans le cas du SCRS; il y a aussi la surveillance parlementaire, effectuée habituellement au Canada par les comités parlementaires à l'endroit des ministères dont ils sont chargés. Pour le CST, il s'agit du Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants.
On pourrait prétendre que c'est une surveillance parlementaire trop étroite. La surveillance parlementaire au Canada, de bien des façons, traîne de la patte derrière celle de nos homologues du Royaume-Uni, des États-Unis, pour ce qui est de ses capacités et de sa fonction. On pourrait envisager d'augmenter la capacité de surveillance parlementaire au Canada pour s'assurer que la protection de notre sécurité concorde avec la protection des droits de la personne et de nos libertés individuelles.
J'ai trois types de propositions. D'abord, envisager une démarche globale, soit la création d'un comité sur le renseignement et la sécurité, qui réunirait les fonctions de renseignement de tous les ministères relevant des comités, et qui ferait un examen des fonctions de renseignement et de sécurité du Canada et de leur surveillance. Deuxièmement, il faudrait améliorer la capacité et les ressources, notamment des ressources humaines, des comités parlementaires qui exercent une surveillance et en améliorer les capacités de recherche. Troisièmement, augmenter les connaissances des parlementaires et de leur personnel en matière de renseignement, particulièrement sur les questions de sécurité se rapportant aux transmissions et autres formes de cueillette de renseignements.
Je suis aussi président de l'Association canadienne pour l'étude de la sécurité et du renseignement, une association nationale d'universitaires et d'autres personnes qui étudient le renseignement. À ce titre, je suggère qu'on envisage la tenue d'un forum politique, rassemblant des universitaires, des parlementaires et leur personnel, afin de renseigner et d'augmenter les connaissances des parlementaires, de manière que la surveillance parlementaire soit vraiment une façon d'atteindre l'équilibre entre la protection de la sécurité du pays et la protection des droits des Canadiens.
Merci beaucoup.
Le président: Merci beaucoup. Nous n'avons jamais été aussi proches des 10 minutes.
Monsieur Monahan.
M. Patrick Monahan (directeur, Centre for Public Law and Public Policy, Osgoode Hall Law School, université York): Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis vraiment ravi d'être ici.
J'ai préparé un résumé écrit de mon exposé et j'en ai donné des copies à la greffière. Ce texte n'est disponible qu'en anglais, mais si les membres du comité veulent le consulter, j'en ai quelques copies supplémentaires. Je vous proposerai une modification de la définition de l'expression «activité terroriste».
• 1545
Monsieur le président, je vais parler de certains pouvoirs et
procédures d'enquête prévus au projet de loi C-36, afin d'évaluer
s'ils sont conformes à la Charte canadienne des droits et libertés.
Je veux particulièrement me pencher sur la définition de «activité
terroriste» et «groupe terroriste» qui sont au coeur même du projet
de loi. Je veux aussi parler des procédures de l'investigation et
de l'arrestation préventive sans mandat, dont je sais que le comité
a déjà discuté.
Les membres du comité savent bien sûr que les droits conférés par la Charte ne sont pas des absolus. Il faut tenir compte des besoins de la société libre et démocratique. Les activités terroristes s'attaquent à la liberté et à la démocratie, en essayant de substituer la loi du plus fort à la primauté du droit. C'est certainement incompatible avec une société libre et ouverte et, par conséquent, il est essentiel qu'une telle société prenne des mesures pour enquêter sur l'activité terroriste et pour l'éliminer.
Il est difficile d'évaluer à l'avance la nature précise de la menace terroriste à laquelle nous sommes confrontés. Mais on peut raisonnablement présumer que la menace est très concrète et substantielle et il est par conséquent aussi raisonnable de présumer qu'il faut prendre des mesures supplémentaires pour mener des enquêtes et appliquer nos lois. Si on regarde le projet de loi C-36 dans son ensemble, monsieur le président, à mon avis, on y trouve un juste équilibre entre la nécessité de protéger la liberté et les efforts à faire pour contrer l'activité terroriste.
J'ai quelques préoccupations au sujet de la définition de l'expression «activité terroriste» et je vous en parlerai dans un instant. Mais en général, je crois que le projet de loi est équilibré. Mais comme nous ne savons pas pour l'instant quelle est la nature précise des menaces qui pèsent sur nous, j'estime qu'il convient d'intégrer au projet de loi une clause de temporarisation. J'en parlerai dans quelques instants.
Parlons d'abord de la définition d'activité terroriste. Votre comité s'est fait dire qu'elle était semblable à celles qu'on a énoncées au Royaume-Uni et aux États-Unis, dans des projets de loi ou des lois. Je pense que la définition doit exiger qu'on prouve l'intention de causer des torts graves et conformément au droit coutumier et au droit international, elle doit exclure les actes ou les omissions commis par des personnes qui luttent contre des régimes racistes ou dictatoriaux à l'étranger. Ils ne sont pas englobés par la définition des terroristes ou des groupes terroristes. En général, par conséquent, je crois que la définition est la bonne.
Ma seule préoccupation, toutefois, monsieur le président, se rapporte à la division b)(ii)(E) de la définition du terme «activité terroriste»—c'est la disposition où l'on parle de perturber gravement ou de paralyser des services, installations ou systèmes essentiels, publics ou privés. Il y a aussi des exceptions à cette disposition:
-
sauf dans le cadre d'activités licites de revendication, de
protestation ou de manifestation d'un désaccord, ou d'un arrêt de
travail licite, qui ne sont pas exercées dans le but de provoquer
l'une des situations mentionnées aux divisions (A) à (C).-
Essentiellement, monsieur le président, dans ce contexte, je crois que l'emploi du mot «licite» pour décrire pareille activité sème la confusion. Pour commencer, nous n'avons pas de définition de «licite»—par exemple, de ce que serait un arrêt de travail licite. S'agit-il d'un arrêt de travail qui enfreint le contrat de travail, ou une loi fédérale ou provinciale? Encore plus difficile à préciser seraient les gestes posés à l'extérieur du pays. Les évaluerait-on en fonction des lois canadiennes ou des lois du pays où ils se sont produits?
À mon avis, le comité doit recommander à la Chambre de supprimer de cette disposition le mot «licite». Je ne crois pas qu'il soit nécessaire. D'après les témoignages que j'ai entendus, et les discussions avec la ministre, je ne crois pas qu'on ait l'intention ici de faire porter la loi sur les arrêts de travail ou les manifestations. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de limiter cela aux activités licites ni d'essayer de définir les activités licites.
Je suis aussi préoccupé par les derniers mots de cet article: «qui ne sont pas exercées dans le but de provoquer l'une des situations mentionnées aux divisions (A) à (C)». Dans ce cas-ci, il y a un risque si les personnes se livrant à une activité ont bien cette intention, et d'autres non; ces dernières ne devraient pas être mises dans le même sac et être réputées se livrer à des activités terroristes.
• 1550
À l'article 8 de mon mémoire, je propose une version révisée
de cette disposition. Je dois dire que la version française du
projet de loi ne comporte pas le même problème. Je pense que la
version française est bien libellée et ne soulève pas cette
deuxième crainte.
À part ces changements relativement mineurs, il me semble que la définition de l'expression «activité terroriste» est convenable.
J'ai aussi examiné la procédure d'inscription des groupes terroristes sur une liste. Il est important de remarquer que le groupe doit avoir mené une activité terroriste ou essayé de le faire. Il est aussi prévu qu'un examen judiciaire portera sur cette procédure, ce qui me semble par conséquent approprié.
Les investigations ne sont pas sans précédent—d'autres dispositions et d'autres lois prévoient des mesures semblables. Mais c'est certainement quelque chose de nouveau. Là aussi, des garanties sont données, y compris le fait que la preuve, ou d'autres preuves découlant de la preuve ne peuvent être retenues contre le témoin. Étant donné le risque énorme associé à l'activité terroriste, je crois que là aussi, il s'agit d'une procédure raisonnable.
Enfin, au sujet de l'arrestation préventive, je dois dire que je trouve l'article 83.03 assez troublant. Je ne veux pas m'y attarder trop longtemps, mais il me semble fondé sur l'idée qu'un acte terroriste se produira et semble aussi présumer non pas qu'une personne va nécessairement commettre un acte terroriste, mais qu'en prenant une ordonnance à son endroit, on empêchera que se produise cet acte. Il est un peu difficile pour moi de comprendre l'objectif fixé, mais là encore, on prévoit une procédure d'examen judiciaire et la libération de la personne avant 72 heures.
La procédure consiste à prendre à l'endroit d'une personne une ordonnance de faire ou de ne pas faire certaines choses—des dispositions semblables existent déjà dans le Code criminel, aux articles 810 et 810.1. En présumant qu'on obtienne ainsi des résultats—et je crois que c'est possible, autrement on n'aurait pas proposé cet article—il semble qu'il y ait des garanties suffisantes.
En conclusion, monsieur le président, j'estime qu'il conviendrait d'intégrer au projet de loi une clause de temporarisation, pour s'assurer que les deux Chambres soient saisies de la question de nouveau et que l'inaction du gouvernement ne suffira pas à laisser exister cette loi. Je ne sais pas s'il convient de fixer la limite à trois ans, il faudrait peut-être songer à cinq ans.
Mais dans trois ou cinq ans, je crois que nous saurons comment ces dispositions ont vraiment fonctionné, en pratique. Je crois aussi qu'une clause de temporarisation signifierait que les tribunaux percevraient leur rôle avec beaucoup de modestie. Si un examen découlant d'une clause de temporarisation est prévu dans trois ou cinq ans, les tribunaux jugeront probablement qu'il faut tenir compte de cette procédure.
Monsieur le président, voilà ce que j'avais à dire au sujet du projet de loi C-36.
Le président: Je vous remercie beaucoup.
La parole maintenant est à Wesley Wark.
M. Wesley Wark (Programme de relations internationales, Université de Toronto): Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, merci de m'avoir invité aujourd'hui.
Mon champ d'expertise en ce qui a trait au projet de loi C-36 porte en fait sur les renseignements de sécurité et la sécurité internationale. Je sois avouer toutefois que depuis le 11 septembre, les médias m'ont persuadé que j'étais expert en tout. Je vais donc essayer de faire une sorte de tour d'horizon relativement à ce projet de loi, et j'aborderai dix points en dix minutes.
Avant de vous parler longuement du projet de loi C-36, permettez-moi de commencer par une observation générale sur la nature même de ce projet de loi dans un contexte plus général, celui des capacités, des renseignements de sécurité et de la sécurité du Canada. En réagissant à des menaces terroristes et autres, nous devons garder à l'esprit une liste d'ingrédients indispensables au fonctionnement efficace et démocratique d'un milieu de la sécurité du renseignement au Canada. En quoi consisterait une telle liste? Elle consisterait, en partie, d'une bonne législation.
• 1555
Je pense qu'il est important de garder à l'esprit les six
principaux ingrédients garantissant le bon fonctionnement du milieu
de la sécurité du renseignement au Canada. Un des ingrédients est
une bonne législation. Un deuxième ingrédient est la mise en place
d'une organisation cohérente pour orienter les politiques, traiter
les renseignements de sécurité et les diffuser. Troisièmement:
ressources suffisantes. Le quatrième ingrédient est le talent et le
professionnalisme au sein de la communauté de la sécurité et du
renseignement. Le cinquième ingrédient est notre valeur en tant
qu'allié, et le sixième, et non le moindre, c'est la légitimité
publique.
Je crois savoir que votre comité s'intéresse particulièrement aux conséquences juridiques du projet de loi C-36. Cela dit, je crois qu'il serait utile de réfléchir aux dimensions juridiques dans un contexte plus large. Dans ce projet de loi, certaines dimensions ayant trait à la sécurité et au renseignement se recoupent avec des dispositions juridiques.
En tant que chercheur qui étudie la sécurité et le renseignement au niveau international depuis une vingtaine d'années, je voudrais faire quelques très brèves observations sur certains éléments du projet de loi qui ont attiré mon attention.
Tout d'abord, la définition du terrorisme. Comme l'a signalé M. Monahan, définir le terrorisme n'est pas chose facile. Il est évident qu'une définition s'impose, et une définition idéale ne serait ni trop large ni trop restreinte. Comment formuler une définition qui nous permette de fonctionner efficacement dans ce contexte?
Au-delà des considérations purement juridiques, il faut que nous nous demandions si notre définition du terrorisme cadre avec la nature de la menace? C'est ce que M. Monahan a dit plus tôt.
Je vous soumettrai que la définition inscrite dans ce projet de loi reflète en réalité notre compréhension générale des problèmes que pose le terrorisme notamment en tant que menace pour la sécurité, le renseignement et, donc, les moyens d'action.
La réalité est que le terrorisme opère dans la clandestinité. Les organisations terroristes professionnelles et compétentes utilisent des méthodes semblables à celles des services de renseignements et de sécurité des États, c'est-à-dire qu'elles opèrent dans le secret, qu'elles sont cloisonnées et qu'elles souscrivent au principe du besoin de savoir.
Ma réflexion s'inscrit dans le cadre de l'un des éléments les plus troublants de ce projet de loi: la notion de facilitation des activités terroristes. A priori, le projet de loi dispose que l'on peut collaborer à une action ou une activité terroriste sans en connaître l'envergure exacte, ni savoir directement quelle en est la nature.
Cela peut nous sembler comme étant une mesure draconienne. Or, la réalité est que bien des organisations terroristes, de par leur nature même—compte tenu de la clandestinité et du secret qui les entourent et de la manière dont elles s'organisent—, impliqueront parfois des personnes qui les aideront sans connaissance parfaite ou détaillée de la mission, ni de la cible visée. C'est pourquoi l'élément facilitation nous semble être draconien, mais peut-être est-il nécessaire compte tenu de cette menace particulière.
Le deuxième élément que je trouve inquiétant, c'est celui de la liste d'entités terroristes. À ce sujet, je dirai simplement que je crois qu'il est important sinon nécessaire que le gouvernement dresse une liste des organisations terroristes illégales et la rende publique.
Les objectifs d'un tel exercice sont nombreux. On peut notamment avertir les individus impliqués dans de telles organisations, histoire de les dissuader, sensibiliser le public et, par voie de conséquence, s'assurer la légitimité publique et maintenir la valeur du Canada en tant qu'allié. Pendant de nombreuses années, nos principaux alliés ont eu leurs propres listes d'organisations terroristes jugées illégales.
Troisième élément du projet de loi, c'est la question de la divulgation d'informations par la contrainte. À mon sens, cela se rapporte directement à l'urgence dans laquelle nous nous trouvons, et c'est l'un des éléments les plus troublants du projet de loi. À bien des égards, cette mesure semble répugnante.
Permettez-moi de vous faire part de quelques contre- observations. Nous devons nous dire que la divulgation par la contrainte pourrait éventuellement empêcher les forces policières et les responsables du renseignement d'avoir envie de recourir à des moyens illégaux pour recueillir des informations.
De plus, la divulgation par la contrainte, telle que définie dans le projet de loi, pourrait avoir un effet utile, celui de mettre les enquêtes sur la piste de menaces réelles et, par conséquent, de réduire la paranoïa entourant la sécurité et les risques de poursuite de fausses pistes. Ainsi, on éviterait de créer une sorte de brouillard, de guerre et de mystère entourant certaines menaces terroristes auxquelles nous pourrions faire face directement nous, ou l'un de nos alliés dans le cadre d'une coalition.
• 1600
Si nous remontons en 1946, à l'époque de la Commission royale
sur l'espionnage, à la suite des révélations de Gouzenko, l'on
pourrait dire, peut-être de façon légèrement hérétique, qu'une
disposition relative à la divulgation par la contrainte aurait pu
nous éviter à l'époque de poursuivre de nombreuses fausses pistes,
aurait épargné au service du renseignement de la GRC des décennies
de chasse mal avisée à ce que l'on qualifie d'organisations-
vitrines communistes.
S'agissant de la détention préventive, et c'est là manifestement une autre mesure d'urgence, mais une mesure qui pourrait aider les responsables de la sécurité du renseignement, dans la mesure où ceux-ci ont la capacité professionnelle de déterminer les cas où il serait sage d'y recourir.
La cinquième question qui me préoccupe porte sur la Loi sur les secrets officiels, qu'on appelle désormais la Loi sur la sécurité de l'information. Il est important de constater que le gouvernement a finalement décidé, après avoir examiné cette loi pendant des décennies, de proposer quelque chose qui jouit d'un certain pouvoir et d'une certaine capacité d'application.
La Loi sur les secrets officiels actuelle est largement considérée comme étant lettre morte et non applicable, notamment après l'adoption de la Charte. Nous avons besoin d'un tel texte législatif, parce que le Canada a des secrets, des secrets nationaux et des secrets confiés par nos alliés.
Cependant, certains aspects des dispositions du projet de loi relatives à la sécurité de l'information méritent, à mon avis, d'être reconsidérées. L'un de ces aspects est l'obligation pour ceux qui ont déjà eu accès à des informations classifiées de faire un serment de secret permanent. Or, la notion du secret permanent est une notion dépassée, parce que non pertinente à l'ère du renseignement de sécurité et des communications. Ce n'est pas un tel serment qu'il nous faut, mais un serment de secret qui engendre une période chronologique distincte. Ce qui m'amène à la réforme éventuelle de la Loi sur l'accès à l'information.
L'autre aspect controversé qui a attiré mon attention et qui se rapporte à la Loi sur la sécurité de l'information a trait à des dispositions assez restreintes qui sont permises dans la défense des intérêts publics, ou ce que l'on pourrait appeler de façon plus générale, la dénonciation des fuites. La Loi sur la sécurité de l'information ne semble pas tellement tenir compte du principe de la défense de l'intérêt public, et il serait sage de revoir cet aspect. Peut-être devrait-on envisager la chose dans le cadre institutionnel.
À ce chapitre, nous pourrions nous inspirer d'une initiative britannique visant la création du poste d'ombudsman interne au sein des Services de sécurité et du renseignement, soit quelqu'un auprès de qui on pourrait déposer des plaintes, notamment si l'on estime que le gouvernement agit illégalement dans ce domaine. Voilà donc deux mesures qui méritent d'être revues dans le projet de loi C-36.
Pour ce qui concerne le financement des terroristes, les responsables de la surveillance des activités terroristes au Canada réclament une telle mesure depuis des années déjà. Il était temps qu'on la propose. Cela dit, j'aurais une réserve concernant la surveillance et l'interdiction du financement terroriste. C'est que dans sa forme actuelle, le projet de loi risque de créer un chevauchement de compétences ou de domaines d'intervention entre le centre chargé de surveiller les transactions financières, créé pour enrayer le problème du blanchiment d'argent, mais qui doit désormais assumer une fonction supplémentaire se rapportant au financement terroriste, laquelle fonction s'inscrit dans le cadre du mandat du Service canadien du renseignement de sécurité, pour se consacrer au financement terroriste au Canada.
Dans ce secteur, le chevauchement des compétences entre la sécurité et le renseignement est une véritable plaie. Il faut être prudent quand on crée des circonstances permettant ce chevauchement. Je me demande s'il ne faudrait pas se pencher de nouveau là-dessus.
M. Rudner a soulevé des questions se rapportant aux dispositions du projet de loi sur le CST. J'ai deux choses à dire à ce sujet. D'abord, il faut bien se rendre compte qu'à l'avenir, on pourrait considérer que l'élargissement du mandat accordé maintenant au CST sera considéré plus tard comme une demi-mesure. Si le projet de loi est adopté, le CST pourra intercepter les communications des Canadiens au Canada, à la condition que ces communications comportent un élément de renseignement étranger et qu'elles fassent partie d'un réseau de communications dont font partie des Canadiens et des entités étrangères à l'extérieur du pays.
• 1605
On peut alors se poser des questions au sujet de
communications faisant partie d'échanges non plus entre deux
points—entre trois points, ou comportant une part importante de
communications sur le terrorisme entre des Canadiens. Actuellement,
le CST n'a pas le mandat juridique nécessaire pour intercepter ce
genre de communications. Il ne peut capter de communications que
s'il y a un lien entre un Canadien et un étranger. Voulons-nous dès
maintenant penser aux circonstances dans lesquelles il
conviendrait, peut-être pour des raisons technologiques, de
permettre au CST, dans des situations bien définies, de capter des
communications entre deux points au Canada?
L'autre point qui me frappe au sujet du CST comporte deux volets. Il semble planer une sorte d'opacité autour des nouveaux pouvoirs accordés au CST pour capter les communications se rapportant à la sécurité des réseaux d'information du gouvernement.
On ne sait pas très bien ce que peut comporter cette fonction de contrôle et dans quelle mesure il s'agira d'intercepter les communications de citoyens canadiens, qui pourraient être considérés comme des menaces aux infrastructures essentielles à nos communications.
Le président: Monsieur Wark, vous parlez depuis déjà 13 minutes.
M. Wesley Wark: Bien, désolé.
Je vais sauter quelques paragraphes et venir tout de suite à ma conclusion. Merci pour le temps supplémentaire.
Au sujet de la Loi sur les secrets officiels et la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui a soulevé beaucoup de controverses—et au sujet desquelles j'ai préparé un document pour le groupe de travail du Conseil du Trésor—les dispositions permettent au procureur général d'émettre un certificat d'exemption pour certains renseignements auxquels ne s'appliqueraient plus la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels; c'est inutile et inopportun.
Le gouvernement a déjà tous les pouvoirs nécessaires pour protéger l'information qui doit être protégée dans le cadre des secrets ministériels et des exemptions prévues à la Loi sur l'accès à l'information. C'est inutile et inopportun, puisque le simple gros bon sens fait comprendre que si on a des renseignements cruciaux, la dernière chose à faire, c'est de les étiqueter comme tels, ce qui ne ferait qu'encourager des gens à se lancer dans des enquêtes insistantes au sujet de ces renseignements, et peut-être même encourager les responsables de fuites et les dénonciateurs.
Enfin, au sujet de la clause de temporarisation, je ne sais pas ce qu'il faut préférer, en toute sincérité. Je n'ai pas de recommandations claires pour préférer une clause de temporarisation à un examen parlementaire. Ce qu'il faut se demander, c'est lequel des deux sensibilisera davantage le public et stimulera le plus un débat public? C'est au Parlement d'en décider. Est-ce qu'un examen susciterait davantage de discussions et renseignerait davantage le public, à la fin de la période fixée, ou cela se produirait-il plus si une clause de temporarisation exigeait que les mesures législatives soient déposées à nouveau?
Je crois qu'il s'agit là du critère à appliquer. Bien entendu, nos alliés semblent avoir choisi la clause de temporarisation et le Canada voudra peut-être leur emboîter le pas pour assurer une certaine uniformité dans nos démarches.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Borovoy.
M. A. Alan Borovoy (Conseiller, Association canadienne des libertés civiles): Merci, monsieur le président. En fait, je dois vous remercier tout spécialement. J'ai comparu devant un comité du Sénat ce matin, et vous me permettez donc de comparaître devant l'ensemble du Parlement en une journée, et je vous en suis très reconnaissant.
Aucune personne raisonnable ne peut s'opposer à l'objectif de ce projet de loi. En fait, dans toute l'histoire, peu d'événements ont causé un tel bouleversement de la conscience des gens civilisés que les tragédies du 11 septembre. Mais toute fin souhaitable ne justifie pas nécessairement les moyens employés.
En résumé, l'Association canadienne des libertés civiles trouve trop grande la portée de ce projet de loi. Il peut viser divers comportements qui ne ressemblent en rien à ce que la plupart d'entre nous associent au terrorisme.
La clé se trouve dans la définition de l'expression «activité terroriste». En effet, tout le projet de loi découle de cette définition. Les nouvelles infractions comme les nouveaux pouvoirs se rapportent à cette définition.
• 1610
J'aimerais diviser mon exposé en deux parties, la première
portant sur l'appui des Canadiens aux activités à l'extérieur du
pays et l'autre, sur ce qui se fait au Canada.
Pour ce qui est de la première partie, le projet de loi précise qu'il faut un objectif de nature politique, religieuse ou idéologique, et l'intention de causer la mort, des blessures graves ou mettre en danger la vie d'une personne, ou de compromettre gravement la santé ou la sécurité. Il s'agit dans tous les cas de coercition.
Le projet de loi ne semble pas faire de différence entre les activités menées contre des démocraties et celles visant à contrer des dictatures. Il ne semble pas distinguer entre les comportements visant délibérément les instruments de l'État, comme les policiers, la police secrète ou les forces armées et les comportements ciblant délibérément des civils ou des non-combattants innocents.
J'ai entendu les propos de M. Monahan, selon qui le droit international peut faire cette distinction et par conséquent combler l'exemption prévue au projet de loi. Je ne suis pas d'accord avec lui là-dessus. Mais il n'est pas nécessaire d'essayer de déterminer aujourd'hui ce que dit le droit international. Qu'il suffise de tous s'entendre pour dire que nous voulons nous assurer que les Canadiens sont libres d'appuyer des insurrections, même violentes, pour renverser ou démanteler des régimes dictatoriaux et que même là, l'appui des Canadiens ne devra pas s'exercer d'une manière violente et délibérée contre des civils innocents. Je pense que c'est ce sur quoi nous devons tous nous entendre. Il faut alors se demander dans quelle mesure le libellé du projet de loi va dans le sens de cet objectif? C'est du moins ce sur quoi je crois que nous devons nous entendre.
Je passe ensuite au domaine national et, comme M. Monahan, je me penche sur la division 83.01(1)b)(i)(E) de la définition. Le libellé qui me préoccupe, c'est ce qui fait référence à une activité illicite destinée à perturber gravement ou à paralyser des services, installations ou systèmes essentiels. Tout dépend de l'interprétation de ce libellé.
Sans savoir ce qu'un tribunal pourrait décider, je pose la question: est-ce que la grève des enseignants en Ontario, dont on pourrait dire qu'elle est illicite, correspond à cette définition? Il s'agit d'une perturbation d'un service sans doute essentiel, l'enseignement, et le gouvernement a jugé que c'était suffisamment grave pour y mettre fin. La définition est-elle suffisamment large pour inclure aussi le barrage délibéré des routes et de certaines autoroutes névralgiques, comme les camionneurs ont menacé de le faire et comme les Autochtones l'ont fait à quelques reprises?
Je ne prétends aucunement que l'activité dont j'ai parlé doive jouir d'une immunité en droit. Tout ce que je dis, c'est qu'on ne pourrait aucunement parler en ce cas-là de terrorisme, dans l'application des dispositions du projet de loi.
• 1615
Je constate que lors de sa comparution, dont j'ai lu le compte
rendu mais ne me demandez pas tous ce que je sais, la ministre de
la Justice a rassuré le comité en disant que ce genre d'activité ne
serait pas assujetti au projet de loi. Elle a dit que ce n'était
pas là l'intention du législateur.
Bien entendu, je ne peux pas parler de ses intentions, je ne suis pas clairvoyant. On peut au moins dire qu'il y a toute une distinction entre l'intention et l'effet. Il faut se demander si le libellé, peu importe l'intention, a une portée suffisamment large pour englober cette activité. Je ne sais pas si on voudra appliquer le projet de loi ainsi, mais on peut raisonnablement prétendre, au vu de ce libellé, que c'est possible. Le cas échéant, ne devrions-nous pas clarifier la disposition, afin de s'assurer que... il ne faut pas laisser planer cette ambiguïté. Clarifions les choses, afin d'éviter ce problème.
Dans la mesure où on resserre la définition, certaines des objections de mon organisme à d'autres aspects du projet de loi seraient moins véhémentes. Mais pas d'autres, par exemple celles se rapportant à la disposition qui peut obliger un membre de la collectivité à dévoiler contre son gré de l'information, après avoir été arrêté et amené à une investigation où il est tenu de fournir l'information.
C'est un pouvoir bien moins ciblé que celui prévu dans la procédure criminelle, qui peut vous obliger à témoigner à un procès quand on enquête sur un sujet bien plus précis. L'investigation prévue au projet de loi est nécessairement de portée beaucoup plus large, permettant donc une intrusion plus grande dans l'intimité d'une personne que ce que permet normalement notre droit criminel. D'ailleurs, notre tradition s'y oppose. Si je me souviens bien, il y a quelques années la Cour suprême du Canada a dit explicitement que les enquêtes publiques ne peuvent servir pour recueillir des preuves.
Cela étant dit, à notre avis, cette disposition doit être supprimée, sauf pour une exception. Nous pensons qu'il faut faire une distinction entre l'obtention de renseignements pour des fins d'enquête et pour des fins de prévention. Autrement dit, il y a une différence entre poser des questions pour résoudre un crime déjà commis et poser des questions pour éviter une catastrophe qui ne s'est pas encore produite et qu'on veut prévenir. Depuis longtemps, nous estimons que dans l'éminence d'un péril les garanties normales peuvent être assouplies. Nous proposons donc que cette distinction soit appliquée au pouvoir de contraindre quelqu'un à témoigner.
Il y a une chose à dire au sujet du CST: nous constatons que le ministre de la Défense nationale aura le pouvoir d'accorder des mandats pour l'interception de communications privées de Canadiens. À notre avis, un ministre ne devrait pas disposer d'un tel pouvoir sans révision. Ces décisions devraient être prises au cas par cas par des tribunaux indépendants et non par des ministres.
• 1620
En effet, comme les ministres ont à coeur non seulement la
sécurité nationale mais aussi des intérêts politiques, il faut
structurer nos lois de manière à réduire au minimum le risque que
ces décisions puissent être soupçonnées ou données l'apparence
d'être influencées par des motifs politiques.
Comme d'autres, nous demandons une disposition de temporarisation. Je tiens à dire à mon collègue M. Wark qu'il y a toute une distinction entre un examen parlementaire et une clause de temporarisation. La clause de temporarisation force tout le monde à revenir à la table et à se pencher de nouveau sur la question. L'examen dépend du contrôle du gouvernement du jour et ne peut donc susciter autant la confiance du public qu'une clause de temporarisation.
Et enfin...
Le président: En toute justice, je dois vous signaler que vous parlez depuis déjà 13 minutes.
M. Alan Borovoy: Je n'arrive pas à y croire.
Le président: Faites-moi confiance.
M. Alan Borovoy: Puisque c'est le cas, je m'arrête ici. J'invite les membres du comité à me poser des questions sur ce que je n'ai pas dit encore.
Merci beaucoup et, comme toujours, je vous présente tout cela respectueusement.
Le président: Merci beaucoup. Merci à tous les témoins.
Nous commençons avec M. Fitzpatrick, qui a sept minutes pour ses questions.
M. Brian Fitzpatrick (Prince Albert, Alliance canadienne): Merci, monsieur Borovoy.
Historiquement, dans les pays où sévit un régime répressif, et ils sont nombreux, des combattants de la liberté et des guerres civiles servent à les renverser et à mettre en place de meilleurs régimes. Est-ce que vous nous dites que ceux qui appuient ce genre de soulèvement populaire, dans un régime répressif, pourraient être considérés comme participant à des activités terroristes?
M. Alan Borovoy: Je crains que la définition ne le dise pas clairement, puisqu'on y mentionne le recours à la force et l'intention de causer des dommages mais sans faire de distinction, à moins que vous considériez que le droit international ait déjà fait cette distinction. Mais je parle d'activité dans le cadre d'insurrection et non de guerre conventionnelle entre des pays. Je crois que cette distinction n'est pas suffisamment claire, à mon avis, il n'y en a même pas, entre la violence ciblant les instruments de l'État et celle qui vise des non-combattants innocents.
M. Brian Fitzpatrick: Je suis d'accord avec vous dans une certaine mesure au sujet des activités qui pourraient être involontairement englobées dans la définition.
Nous avons connu une grève illégale dans le secteur de la santé en Saskatchewan, il y a environ trois ans. Je suis sûr que beaucoup de nos patients estimaient que la grève posait un risque grave pour eux. Ils devaient être transportés à l'extérieur du territoire de la province. À première vue, il est raisonnable de penser que les trois critères compris dans la définition pourraient faire en sorte qu'elle s'appliquerait aux activités du syndicat qui était à l'origine de cette grève. Je sais que ce n'est pas là l'intention, mais j'examine la définition telle qu'elle est libellée.
Je m'inquiète aussi de certaines des dispositions relatives aux certificats ministériels, etc. L'intérêt politique pourrait intervenir et il n'existe pas de mécanismes d'examen. Nous savons tous que dans notre société, on a tendance à étirer l'interprétation de ce qui est permis. En l'absence d'un mécanisme d'examen ou de reddition de comptes, on pourrait fort bien abuser de ces dispositions. C'est quelque chose qui me préoccupe, moi aussi.
J'ai des questions à poser à certains autres témoins. Je vous demande de bien vouloir m'éclairer. Les dispositions concernant l'investigation, aux termes desquelles une personne peut être tenue de répondre aux questions, sans toutefois que ses réponses ne puissent être utilisées contre elle dans une poursuite ultérieure au criminel, et sans non plus que les autres éléments de preuve qui pourraient ainsi être obtenus puissent être utilisés contre elle—j'essaie de comprendre la logique de tout cela. Si l'on tenait un suspect à qui on faisait subir une investigation, il me semble que l'avocat de la défense pourrait simplement dire à son client: «Dites tout ce que vous savez, faites une confession pleine et entière». Nous pourrions ainsi nous retrouver avec un terroriste qui serait remis en liberté parce qu'on ne pourrait rien contre lui après.
Quelqu'un comprend-il la raison d'être de cette disposition qui s'apparente aux règles de Miranda? Pourquoi a-t-on inclus pareille disposition dans ce projet de loi antiterroriste? Quelle est la logique qu'on a suivie?
Le président: Monsieur Monahan.
M. Patrick Monahan: Je peux répondre à la question.
Cette disposition se compare à celle qui permet à la personne convoquée devant un jury d'accusation aux États-Unis d'invoquer le cinquième amendement, qui dispose qu'elle ne peut être tenue de s'incriminer, si bien que le procureur a la possibilité d'accorder l'immunité à la personne, ce qui équivaut à dire qu'elle ne peut être poursuivie.
L'immunité ainsi accordée est plus générale que celle qui est prévue ici. C'est que la personne ne peut pas être poursuivie relativement aux questions en cause, en échange de quoi elle est tenue de témoigner. Ici, la personne pourrait être poursuivie, mais pas à partir des éléments de preuve qu'elle aurait donnés au moment de l'investigation ni à partir d'éléments de preuve qui en découleraient. La disposition affirme essentiellement que le besoin d'obtenir le témoignage est tel qu'on est disposés à garantir à la personne qu'elle ne sera pas poursuivie à cause de son témoignage; c'est que nous voulons à tout prix—à cause bien sûr de la nature du risque—obtenir ces renseignements.
Il existe des dispositions semblables aux États-Unis et il en existe aussi dans d'autres lois canadiennes.
M. Brian Fitzpatrick: Je suis préoccupé, moi aussi, par la définition.
On en a déjà parlé ici, mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez. Les membres du comité se demandent s'il est vraiment nécessaire d'inclure la motivation politique, religieuse et idéologique. Je serais bien plus rassuré si quelqu'un pouvait m'expliquer en des termes très pratiques, plutôt que théoriques, pourquoi il est nécessaire dans la lutte au terrorisme d'inclure cette motivation dans le chef d'accusation, si l'on veut, pour faire échec aux terroristes. Ceux qui s'y connaissent en matière de poursuite y voient non pas un avantage, mais un autre obstacle à leurs efforts pour traduire les terroristes en justice.
Le président: Vous voulez bien répondre, monsieur Wark.
M. Wesley Wark: Puis-je tenter de répondre à la question, non pas en tant que juriste, mais plutôt en tenant compte de la nature de la menace et du type de personne qui pourraient être visés.
Je suppose qu'on a ajouté les termes «religieuse» et «idéologique» à l'ancienne définition de «menace politique» parce qu'on s'est dit que les organisations terroristes pourraient ne pas avoir d'objectif politique dans le sens où on l'entend généralement, qu'elles pourraient avoir des objectifs religieux ou idéologiques, mais pas nécessairement des objectifs politiques qui les amèneraient à vouloir renverser le gouvernement ou à changer le régime. Nous avions besoin d'une définition plus large qui inclurait la motivation «religieuse» et «idéologique». Ce n'est pas moi qui ai fait cela.
M. Brian Fitzpatrick: J'ai du mal à accepter cela, car quand une personne est accusée de meurtre, le motif qui l'a poussée à agir n'entre pas en ligne de compte. Il suffit de prouver qu'elle a commis l'acte, qu'elle avait une intention criminelle, pour qu'elle soit trouvée coupable. Il n'est pas nécessaire d'entrer dans les motifs. Or, nous cherchons ici à déterminer quels sont les motifs qui ont poussé les terroristes à agir et, si nous n'arrivons pas à prouver qu'ils étaient motivés par telle ou telle chose ou à susciter un doute raisonnable, etc., nous aurons des difficultés. Je me demande pourquoi nous faisons cela.
Le président: Monsieur Wark.
M. Wesley Wark: Permettez-moi de répondre à votre première question, si vous le permettez. Je n'ai pas vraiment de réponse à vous donner à la deuxième, mais je suppose qu'on a voulu élargir la définition de ce qui constitue une menace pour la sécurité du Canada.
Pour comprendre pourquoi il est nécessaire de pouvoir obliger la personne à témoigner, il faut se rendre compte que les présumés terroristes sont peu susceptibles de fournir des renseignements de leur plein gré, peu susceptibles de trahir les leurs, peu susceptibles de devenir agents doubles—tous ces modèles classiques auxquels les services du renseignement avaient recours autrefois pour obtenir des renseignements de quelqu'un qui faisait partie d'une organisation fermée qui présentait une menace. Comme mesure de prévention, le besoin d'obliger la personne visée à témoigner afin d'éviter une catastrophe quelconque me paraît refléter des considérations pratiques.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Fitzpatrick et monsieur Wark.
[Français]
Madame Venne.
Mme Pierrette Venne (Saint-Bruno—Saint-Hubert, BQ): Monsieur le président, avant de poser ma question aux témoins, j'aimerais faire appel au Règlement et je ne voudrais pas que ce soit compté dans les minutes qui me sont attribuées pour les questions.
M. Monahan n'est certainement pas au courant du règlement que nous avons à ce comité, voulant qu'on ne distribue pas un document lorsqu'il est écrit seulement dans une langue officielle. Je pense bien que ce n'est pas un subterfuge de la part du professeur pour faire en sorte que tout le monde n'y ait pas accès, mais j'apprécierais qu'à l'avenir on ne nous donne pas ces documents dans la langue de Shakespeare seulement. Merci.
Le président: Vous avez bien raison, et les membres du comité devraient se rendre compte que les événements des dernières semaines...
Nous entendrons des témoins à qui nous n'aurons donné qu'un court préavis. Ils viendront nous rencontrer, ils apporteront des exemplaires de leurs documents en toute bonne foi, ils les déposeront sur une table au fond de la salle. En tant que comité, il est important que nous nous rappelions—sans que ce soit au détriment de M. Monahan—que cela se produit de plus en plus souvent, si bien que c'est de plus en plus courant, et cette façon de faire va à l'encontre de l'esprit dans lequel nous voulons travailler, et je vous remercie de l'avoir porté à notre attention.
[Français]
Madame Venne.
Mme Pierrette Venne: Je vais donc commencer mes questions.
Le professeur Wark nous dit qu'on doit faire la différence entre une révision statutaire et une situation où on aurait une clause d'extinction. Il y a certainement une très grande différence puisqu'ici, il y a même deux des collègues de l'Alliance qui ont mentionné que, même s'il est écrit dans la loi qu'on doit la réviser au bout d'un an, il y a bien des cas, et on pourrait vous les mentionner, où la loi n'a pas encore été révisée au bout de cinq ou même six ans. Donc, c'est loin d'être statutaire, et il arrive dans beaucoup de cas que cela ne se fasse pas du tout comme c'est écrit dans la loi elle-même. C'était un commentaire.
Ma première question porte sur le Centre de la sécurité des télécommunications. Dans le projet de loi C-36, on prévoit qu'en court-circuitant le système, le ministre de la Défense va pouvoir émettre une autorisation au centre afin que ce dernier procède à l'interception de communications privées sur le territoire canadien, somme toute.
De toute évidence, pour nous, au Bloc, il s'agit d'un cas de violation du droit à la vie privée, tel que le prévoit l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Cependant, cette situation ne semble pas inquiéter le premier ministre, puisqu'il a dit récemment que le projet de loi C-36 était inattaquable et passait le test de l'article 1 de la Charte.
Pour vous, le projet de loi C-36 est-il aussi solide que le prétend le premier ministre, et est-ce que les dispositions qui font l'objet des réserves que le Bloc a exprimées, c'est-à-dire celles qui portent sur la détention préventive, l'écoute électronique et l'accès à l'information, respectent les critères de l'article 1?
[Traduction]
Le président: Monsieur Rudner.
M. Martin Rudner: Permettez-moi de répondre à la première partie de votre question, qui concernait le CST et l'autorisation donnée par le ministre de la Défense nationale d'intercepter les communications venant de Canadiens.
D'après la lecture que je fais du projet de loi, cette autorisation ne vaut que pour les communications entre Canadiens et non-Canadiens ou étrangers à l'extérieur du Canada en ce qui a trait à l'obtention de renseignements étrangers. Le projet de loi C-36 le dit clairement, et il n'autorise aucunement ni le ministre ni le CST avec l'autorisation du ministre à intercepter les communications privées entre Canadiens, ce qui, d'après mon collègue le professeur Wark pourrait entraver ou limiter l'efficacité des efforts du CST pour lutter contre le terrorisme.
Le président: Monsieur Monahan.
M. Patrick Monahan: Je n'ai pas examiné toutes les dispositions du projet de loi C-36, mais celles sur lesquelles je me suis concentré—et dont j'ai discuté avec le comité—prévoient des mesures de protection suffisantes pour les raisons que j'ai expliquées. Ainsi, les dispositions concernant les investigations prévoient notamment une certaine protection en ce sens que le recours à l'arrestation ou à la détention préventive est soumis à l'examen judiciaire. De manière générale, en supposant que la définition de ce qui constitue une activité terroriste soit bien faite—et j'ai proposé un amendement assez mineur qui viserait simplement à resserrer la définition—, les dispositions dont j'ai parlé sont compatibles avec l'article 1 de la Charte des droits.
Le président: Y a-t-il quelqu'un d'autre?
Monsieur Borovoy.
M. Alan Borovoy: Je ne suis pas en mesure de vous dire d'ores et déjà ce qui sera jugé conforme ou non conforme à la Charte. On a pu le voir à maintes reprises, tout dépend de la nature de la cause, du moment où elle est jugée et des juges qui sont appelés à se prononcer. Il semble toutefois qu'il y ait lieu de se poser la question suivante—et j'estime qu'il faut la poser tant pour satisfaire à la Charte que pour déterminer l'orientation gouvernementale, à tout le moins: vous a-t-on convaincu que les pouvoirs existants seraient insuffisants, si la loi restait telle quelle, pour faire face à la crise devant laquelle nous nous trouvons?
Pour ma part, je n'en suis pas encore convaincu. Je l'affirme en sachant bien quelle est l'ampleur des pouvoirs qui existent déjà. Si l'objectif est la prévention, la surveillance acquiert une importance capitale. Il me semble qu'étant donné les pouvoirs dont dispose déjà le SCRS, sans aucune modification législative, pour surveiller les activités qui, aux termes de la Loi sur le SCRS, visent à favoriser des actes de «violence grave... dans le but d'atteindre un objectif politique» ici ou ailleurs—à cette fin, le SCRS peut faire de l'écoute électronique, effectuer des fouilles clandestines, ouvrir du courrier, consulter subrepticement des dossiers confidentiels, envoyer des informateurs anonymes pour cibler certaines personnes—je dirais que ces pouvoirs dépassent déjà ce qu'il faut pour faire face à la menace terroriste telle que nous la connaissons.
Il ne faut pas conclure pour autant qu'il ne serait pas utile de prévoir de nouveaux pouvoirs. La question est de savoir si ces nouveaux pouvoirs accroîtraient suffisamment le niveau de sécurité par rapport aux pouvoirs existants pour justifier ces empiétements sur les libertés civiles? Ils ne m'apparaissent pas aussi justifiables qu'à d'autres.
Le président: Une petite question, madame Venne.
[Français]
Mme Pierrette Venne: J'aimerais terminer en disant qu'à l'article 273.65 proposé, il est bien inscrit:
-
273.65 (1) Le ministre peut, dans le seul but d'obtenir des
renseignements étrangers, autoriser par écrit
le Centre de la sécurité des télécommunications
à intercepter des communications
privées...
Les communications privées sont définies comme celles qui sont mentionnées à l'article 183 du Code criminel, et à l'article 183 du Code criminel, on parle de communications privées entre Canadiens. Apparemment, cet article s'appliquerait exceptionnellement, mais ce sont quand même des communications entre Canadiens.
Ma dernière question a trait à l'autorisation judiciaire, dont le ministre de la Défense nous a parlé hier. Il disait qu'aux fins de l'écoute électronique, l'autorisation judiciaire ne pouvait être requise, puisque l'écoute en question visera des entités étrangères et que, par conséquent, les tribunaux canadiens n'ont pas compétence pour émettre une telle autorisation.
S'il est vrai que les communications interceptées devront viser des entités étrangères, les communications interceptées, elles, pourront être émises ou reçues sur le territoire canadien.
J'aimerais savoir si vous êtes d'accord avec le ministre de la Défense national quant à l'absence de compétence des tribunaux canadiens sur cette question.
[Traduction]
Le président: Merci, madame Venne.
Monsieur Borovoy.
M. Alan Borovoy: Il n'y a pas de problème à mon sens. Je ne suis toutefois pas du tout d'accord avec ce qu'a dit le ministre. Le projet de loi permettrait de viser les activités de Canadiens à l'étranger. Pourquoi donc ne pourrait-il pas viser les activités de Canadiens qui communiqueraient avec des personnes à l'étranger à partir du Canada? Je ne comprends pas la distinction que fait le ministre.
Le président: Quelqu'un d'autre? Monsieur Wark.
M. Wesley Wark: Puis-je simplement vous faire remarquer qu'à l'article 102, où il modifie la Loi sur la Défense nationale en y incluant le nouvel article 273.65, le projet de loi dispose que «le ministre peut, dans le seul but d'obtenir des renseignements étrangers,» donner une autorisation en ce sens.
• 1640
Permettez-moi toutefois d'aborder la question sous l'angle de
l'efficacité, qui doit toujours faire partie de l'équation. Avant
le 11 septembre, la situation en matière de lutte au terrorisme et
de surveillance de communications susceptibles de fournir des
renseignements sur des activités terroristes étaient qu'il existait
deux secteurs de compétences.
Le Service canadien du renseignement de sécurité avait le mandat, en raison de certaines dispositions juridiques, de surveiller les télécommunications au Canada entre Canadiens. Le Centre de la sécurité des communications, avant le 11 septembre et avant le projet de loi à l'étude, n'avait pour mandat que de surveiller les communications à l'étranger.
Du point de vue de l'efficacité, cette distinction—cette séparation géographique qu'on a voulu appliquer aux communications entre organisations terroristes, n'a vraiment aucun sens. Il est peut-être rassurant de prévoir une telle distinction, pour être sûr de bien respecter la loi, mais du point de vue de l'efficacité de la collecte de renseignements et des enquêtes de sécurité, c'est une distinction qui à mon avis n'a aucun sens.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Blaikie, vous avez sept minutes.
M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD): Merci, monsieur le président.
Il y a beaucoup de points sur lesquels j'aimerais revenir. Je veux tout d'abord revenir à certains des problèmes que pose la définition au dire du professeur Monahan et de M. Borovoy. J'ai donc une question à poser au professeur Monahan au sujet du terme «licite» qui semble avoir été inclus pour nous rassurer quelque peu—même s'il a plutôt l'effet contraire pour certains d'entre nous—quant à ce qui pourrait être englobé par la définition d'activité terroriste.
Je m'interroge aussi au sujet de l'inquiétude de M. Borovoy qui disait craindre que le soutien d'activités insurrectionnistes ou autres à l'étranger dirigées contre des régimes racistes ou dictatoriaux pourrait être englobé. Vous ne semblez pas vous entendre sur la possibilité que le droit international puisse répondre à cette préoccupation.
Cela me rappelle que Nelson Mandela doit très bientôt venir ici pour être reçu comme citoyen honoraire. Si je ne m'abuse, une des dernières fois où j'ai longuement conversé avec M. Borovoy, c'est quand nous étions à la même table au dîner d'état qui avait été offert en l'honneur de Nelson Mandela à Toronto, en 1989 environ. Je crois que l'on s'inquiète notamment que le fait d'appuyer, par exemple, la lutte contre l'apartheid ou l'ANC ou d'autres groupes pourrait être englobé par la définition que nous avons ici. Tout ce que vous pourriez nous dire pour nous aider à mieux savoir comment surmonter ce problème ou pour nous rassurer que ce type d'activité ne serait pas visé serait utile.
On hésite même à parler de dispositions interprétatives étant donné l'expérience que nous avons des dispositions interprétatives de la Constitution qu'on a proposées, mais un journaliste a fait valoir qu'une disposition interprétative serait peut-être utile au début de ce projet de loi. J'ignore si l'un d'entre vous y a réfléchi. Si oui, très bien. Si vous n'y avez pas réfléchi mais que vous avez des réflexions spontanées à nous faire part sur cette question, ce serait très bien aussi.
Deuxième chose—et je crois que c'est relié—c'est la critique que l'on fait parfois de la loi britannique, qui est semblable à celle-ci, et selon laquelle on se retrouve en fait devant une justice à deux vitesses. Certains actes sont ainsi pénalisés avec plus de sévérité parce qu'ils répondent à des motivations religieuses, idéologiques ou politiques, alors que s'ils avaient été commis pour des raisons criminelles ordinaires, la pénalité ou la sanction ne serait pas la même.
Je me demande si vous avez réfléchi à l'une ou l'autre de ces critiques.
M. Patrick Monahan: Ce sont là des questions très utiles. En fait, c'est en réfléchissant à ce projet de loi qu'il m'a été donné de prendre connaissance des transcriptions de certaines séances antérieures—et particulièrement, monsieur Blaikie, de certaines questions que vous avez posées au sujet de la définition de la «revendication licite». J'ai également eu la chance d'en parler avec M. Borovoy plus tôt cette semaine.
M. Alan Borovoy: Je suis heureux de vous entendre dire que c'était une chance.
M. Patrick Monahan: Il est toujours intéressant de causer avec mon ami Alan. Nous en avons discuté. Je crois que ce que l'on entend ici par «revendication licite» ou arrêt de travail licite n'est pas tout à fait clair. Alan a mentionné par exemple la possibilité d'une grève des enseignants en Ontario.
• 1645
Je me contenterais de signaler le cas où l'on demanderait une
injonction contre cette grève, injonction que le tribunal
refuserait d'accorder. Je ne crois pas qu'on dirait là qu'il s'agit
d'un arrêt de travail illicite, mais je suis d'accord avec lui pour
dire que le mot «licite» porte à confusion et risque de poser un
problème. À mon avis, on réglera le problème si l'on retranche le
mot «licite» et j'ai remarqué qu'Alan ne s'était pas prononcé
là-dessus.
Il me semble que si l'on retranche ce mot, la loi dirait alors que tout type d'arrêt de travail, ou tout type de protestation ou de dissidence, à la condition que l'on ne recherche pas des effets haineux, est autorisé. Je crois que ce serait une bonne chose parce que la loi dirait alors qu'au Canada, la dissidence ne sera pas considérée comme une activité terroriste. Je pense que ce serait acceptable. Cela réglerait le problème de M. Borovoy. Il pourrait peut-être lui-même se prononcer là-dessus.
Pour ce qui est de la question de ces combattants de la liberté qui luttent contre l'apartheid ou un régime raciste, relisez le renvoi sur la sécession et le jugement de la Cour suprême du Canada—et j'ai plaidé ce dossier—la Cour a entendu un argumentaire complet sur cette opinion émergente en droit international, selon laquelle la rébellion et la lutte contre un régime raciste, opprimant et antidémocratique sont admissibles. La Cour suprême du Canada s'est prononcée sur cette question dans le renvoi sur la sécession.
Je crois que les tribunaux vont interpréter cette expression dans le sens que je propose. Autrement dit, ils n'appliqueront pas cette définition de l'activité terroriste à des circonstances où l'attaque visait les instruments d'un État opprimant—non pas dans les cas où l'on essaie de tuer des civils innocents mai où l'on veut résister à un État opprimant. Mais si l'on trouvait une manière de définir cela plus clairement, je crois qu'il serait utile de l'insérer dans la définition elle-même au lieu d'avoir quelques dispositions interprétatives générales qu'on essayerait ensuite d'appliquer.
Si l'on croit que cette définition est insuffisante—et je vous préviens, je ne suis pas sûr que l'on puisse clarifier davantage les choses parce que je ne crois pas que ce genre de situations se prêtent à une définition précise—mais si l'on croit qu'il faut apporter une clarification, je crois qu'il serait bon de le faire dans la définition elle-même. Mais comme je l'ai dit, je ne crois pas que la définition en soi pose ce problème-là.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Blaikie et monsieur Monahan.
Monsieur Borovoy.
M. Alan Borovoy: J'aimerais répondre étant donné que le professeur Monahan m'y invite.
Pour ce qui est de sa suggestion concernant la définition—à savoir, le retrait du mot «licite»—j'ai un peu de mal à admettre que cela vaudrait mieux que de laisser le texte tel quel. Ce dont je suis moins convaincu—étant donné qu'il ne l'a pas mentionné lorsque nous avons parlé avant la séance... Je n'ai pas eu assez de temps pour y songer? J'aimerais y réfléchir un peu.
J'étais tenté de proposer le retrait complet de la division b)(i)(E) de la définition de l'«activité terroriste» à l'article 83.01 proposé. Je ne crois pas que cela nous avance beaucoup étant donné que les parties précédentes de la disposition sont déjà suffisantes.
Lorsqu'il a mentionné le droit international, il a dit qu'il s'agissait du droit international «émergent». Cela signifie pour moi que le droit international n'est peut-être pas aussi bien défini qu'il devrait l'être dans ce contexte.
Ce qui pose un autre problème aussi. Je me demande—et je ne prétends pas être un expert du droit international, mais je demeure un peu inquiet—si, dans le cas où l'activité insurrectionnelle se produirait dans un pays avec lequel le Canada a des liens diplomatiques, ces commentaires au sujet du droit international demeureraient pertinents. Je crains un peu que non.
Imaginez, par exemple, qu'il se produise une insurrection à Cuba visant à chasser le régime dictatorial de Castro. Il n'est pas clair dans mon esprit si un soutien canadien à cette initiative serait conforme au projet de loi sous sa forme actuelle.
Le président: Je vois les témoins réfléchir, et pendant qu'ils réfléchissent, je vais passer à M. MacKay, qui a sept minutes.
M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC/RD): Merci, monsieur le président, et merci à nos témoins. Vos opinions sur ce projet de loi sont fascinantes, projet de loi qui est évidemment très compliqué et fait intervenir un certain nombre d'autres textes de loi.
Ma curiosité a été vivement piquée par la proposition de M. Wark, à savoir l'adjonction d'une disposition de temporarisation pour certains articles, mais non pour le projet de loi en entier—je ne crois pas que qui que ce soit ait proposé qu'une telle disposition s'applique au projet de loi en entier—et il dit que cela susciterait un débat public plus vaste, ce qui est important à mon avis.
Il est très difficile, tout comme il l'était avant le 11 septembre, d'imaginer ce qui va se passer d'ici quatre ou cinq ans, mais certaines de ces intrusions, comme M. Borovoy l'a mentionné aussi, sont importantes, particulièrement, comme on l'a dit hier, pour ce qui est de la capacité qu'a le gouvernement de retenir des informations au sujet des citoyens canadiens, informations que les citoyens ont le droit de connaître, disons, dans des circonstances normales.
La question que j'ai pour vous, et je ne suis pas sûr si vous êtes en mesure d'y répondre, est de savoir si l'on se préoccupe à l'étranger de la manière dont nous traitons nos informations, informations que nous pourrions recevoir de nos alliés. Avez-vous exprimé des inquiétudes à cet égard?
Le commissaire à l'information ainsi que le commissaire à la protection de la vie privée semblaient dire que cela ne les préoccupait pas beaucoup. De même, d'autres pays n'ont pas imposé des mesures aussi restrictives, en donnant à la ministre, du fait de ce certificat, la capacité de dire non—pour des raisons très générales, qui font intervenir entre autres la sécurité nationale, la défense nationale—de dire qu'on ne cédera pas un pouce, qu'on ne donnera pas une seule particule d'informations. Le gouvernement ne rendra aucun compte. Il ne justifiera même pas pourquoi il ne divulguera pas ces informations.
Nous pouvons aussi imaginer le genre d'informations que le gouvernement voudrait protéger, et je crois que l'un des témoins a déjà signalé qu'il existe des dispositions facilitant la protection de l'information, dont la confidentialité des délibérations du cabinet et tout renseignement qui risquerait de compromettre une enquête, qui mettrait en péril la vie de quelqu'un.
Ce que je retiens de tout cela, c'est que ce texte de loi dit, premièrement, que nous n'avons pas confiance dans les contrôles parlementaires, et que nous croyons les parlementaires incapables d'exercer le discernement voulu. Ce qui est même peut-être un peu plus troublant, c'est que nous ne croyons pas non plus les juges aptes à prendre les décisions voulues pour ce qui est de savoir quels renseignements doivent être divulgués ou non. Je crois que c'est un peu paranoïaque—et le mot n'est pas trop fort—de la part du gouvernement de penser que ces personnes compétentes n'exerceraient pas le discernement voulu.
Vous êtes tous invités à répondre à cette question.
M. Patrick Monahan: Je ne crois pas que c'est parce que le gouvernement n'a pas confiance. Si j'ai bien compris—et je ne me suis pas arrêté particulièrement à ces dispositions—ce n'est pas que le gouvernement n'a pas confiance en ces juges et qu'il les croit incapables de prendre les bonnes décisions, c'est plutôt parce qu'une disposition prévoyant un examen judiciaire pourrait avoir pour effet d'interdire à la personne de divulguer ces renseignements, cette personne n'étant pas sûre de ce qui adviendrait par la suite.
Je peux comprendre que ce soit une crainte motivée. Même si nous disons que nos juges sont excellents et qu'ils sont susceptibles de prendre les bonnes décisions, il y a toujours un risque—comme M. Borovoy l'a dit—qu'un juge dans un cas particulier rende une décision quelque peu différente. À mon avis, c'est cela qui motive ces dispositions. Mais je m'empresse de vous rappeler que ces dispositions n'ont pas retenu particulièrement mon attention.
Monsieur Wark, j'ai vous interrompu.
M. Wesley Wark: La question est intéressante, et je crois qu'elle va au coeur de deux problèmes, dont l'un qui a trait aux pouvoirs que prévoient actuellement la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je me contenterais de répéter mes observations du début, à savoir qu'à mon avis, le gouvernement dispose de pouvoirs suffisants pour protéger toutes les informations qu'il doit protéger en vertu des lois existantes, et que je considère ces changements potentiels à la loi très peu sages et inutiles.
Pour ce qui est de l'autre question, celle du contexte, si vous voulez, la confiance des alliés est une considération importante pour le gouvernement canadien. C'est une considération importante parce qu'il faut comprendre la position du Canada face au milieu du renseignement et à l'alliance à laquelle il appartient. Cette position est telle qu'il profite grandement des informations que lui communiquent nos alliés, et nous obtenons beaucoup plus d'informations que nous en donnons dans le contexte de cette alliance.
• 1655
Le Canada a toujours pensé que notre place au sein de cette
alliance est tributaire du fait que nous sommes, et que nous avons
l'air d'être aussi, un pays très conscient de sa sécurité, un pays
capable de protéger les secrets que nous transmettent nos alliés.
Je crois que cela a donné naissance à une certaine mentalité au
sein du gouvernement et au sein du milieu du renseignement de
sécurité qui est parfois paranoïaque lorsqu'il s'agit de protéger
le secret, mais c'est peut-être compréhensible.
Cela dit, je ne crois pas que le Canada ait subi de pression de la part de l'un de ses principaux alliés dans le milieu du renseignement pour modifier les dispositions relatives à la protection des renseignements. Je crois donc que cette mesure est l'oeuvre d'une réflexion interne, et non de pressions externes, et qu'elle est inutile.
Le président: Monsieur Rudner.
M. Martin Rudner: Il est difficile, monsieur le président, de connaître les intentions des auteurs de cette disposition du projet de loi, mais j'aimerais aborder un problème qui se pose aux services du renseignement, à savoir la protection des sources.
Les services du renseignement doivent protéger leurs sources et leurs méthodes. Pour ce qui est de la lutte contre le terrorisme en particulier, la seule façon de recueillir des renseignements sur les réseaux et les groupements de terroristes consiste à pénétrer ces organisations, soit en y plantant une taupe ou en y infiltrant divers agents, et le fait même de laisser entendre, en publiant des informations les plus anodines ou les plus officielles, au sujet de la nature de la source, de la présence de la source, ou de la méthode employée, revient à signer l'arrêt de mort de cette personne.
Pour ce qui est de la protection des renseignements, les services du renseignement chargés de la lutte contre le terrorisme ont tendance à mon avis à être obsédés par les fuites, et cela se comprend. D'ailleurs, dans l'histoire du renseignement, il y a eu des cas où des députés—et je songe au Parlement britannique—ont parlé d'une activité qui avait trait à la guerre de Malouines, ce qui a eu pour effet de révéler aux Argentins les moyens que les Britanniques comptaient prendre—et ces députés ne pensaient certainement pas mal faire.
Je crois donc que la protection obsessive des renseignements peut-être justifiable dans ces situations particulières, même si, comme je l'ai dit, je ne connais pas l'intention précise du législateur. Je crois que nous devons considérer cela dans le contexte de la campagne contre le terrorisme. C'est le problème des sources.
Le président: Merci beaucoup.
Merci, Peter.
John McKay, vous avez sept minutes.
M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Vos commentaires nous éclairent, et je vous en remercie.
Ma première question s'adresse au professeur Monahan et au professeur Borovoy au sujet de la définition. J'ai du mal—et M. Fitzpatrick a abordé cela—à comprendre pourquoi la division 83.01(1)b)(i)(A) figure dans le texte. Qui se soucie des motivations? Quelle est la pertinence de tout cela? Pourquoi le procureur de la Couronne doit-il prouver qu'il y a un motif d'ordre politique, religieux ou idéologique? Dans mon esprit, les motivations ne sont jamais mentionnées dans une aucune autre partie du Code criminel, alors pourquoi devraient-elles figurer ici?
Je vais vous donner un exemple: Timothy McVeigh. Qui se soucie de savoir qu'il avait des motivations d'ordre idéologique, religieux ou politique? Ce n'est pas pertinent.
Je vais vous demander à tous les deux de me dire pourquoi on a ajouté cet élément, cet élément constitutif, que le procureur de la Couronne sera obligé de prouver.
Ma deuxième question s'adresse à M. Wark, et elle a trait au paragraphe 83.01(2), qui mentionne la facilitation:
-
Pour l'application de la présente partie, il n'est pas nécessaire
pour faciliter une activité terroriste
-
que l'intéressé sache qu'il se trouve à faciliter une telle
activité.
Disons que l'Organisation internationale de perspective mondiale recueille des fonds pour les activités palestiniennes. On imagine que les activités palestiniennes ne se produisent pas en Palestine à l'insu de l'OLP, du Hamas ou d'une autre organisation. On imagine fort aisément que l'Organisation internationale de perspective mondiale, totalement à son insu, indirectement, par un moyen ou un autre, facilite les activités de l'OLP, du Hamas, ou d'une autre organisation terroriste interdite.
• 1700
J'aimerais qu'on me dise si je suis paranoïaque ou si c'est
une préoccupation réaliste.
La troisième question s'adresse au professeur Borovoy... Je vous donne du professeur pour la deuxième fois.
M. Alan Borovoy: Si vous voulez.
M. John McKay: Il ne vous reste plus qu'à obtenir un poste.
Ma question porte sur la distinction que vous tracez entre le soutien aux activités terroristes qui auraient pour effet, si vous voulez, de renverser une dictature par opposition aux démocraties. À mon humble avis, il y a une distinction mais pas de différence. De ce côté-ci de l'Atlantique, il se peut que nous croyons connaître les différences dans les autres situations, alors qu'en fait, il est parfois très difficile de départager les bons des méchants.
Vous pouvez répondre à ces questions dans l'ordre qu'il vous plaît.
Le président: Nous allons commencer dans l'ordre inverse, donc monsieur le professeur Borovoy...
M. John McKay: C'est la troisième fois, vous avez de la chance.
Le président: À la quatrième fois, vous toucherez le traitement d'un professeur.
M. Alan Borovoy: Je vous répondrai qu'il ne s'agit pas d'une distinction sans différence. Je reconnais parfaitement qu'il peut y avoir des situations où il est difficile de savoir qui sont les bons et les méchants, et il se peut que vous ayez des décisions très difficiles à prendre. Mais il existe des démocraties semblables à la nôtre dans ce monde, et nombreux sont les pays qui n'ont pas d'institutions semblables aux nôtres. Je pense que ce serait une erreur que d'appliquer les mêmes règles fondamentales dans les deux cas. Nous devons faire de notre mieux pour tracer la distinction voulue entre ces situations, parce que nous connaissons la différence qu'il y a entre, par exemple, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, d'une part, et d'autre part, disons, Cuba et l'Iraq de Saddam Hussein. On n'aurait aucun mal à tracer cette distinction, et je pense qu'il nous appartient de le faire.
Je vais hasarder une explication pour laquelle on mentionne les motifs à la partie A. C'est peut-être parce qu'on a voulu placer un facteur limitatif, qui n'élargit pas la portée de la disposition mais plutôt qui la limite, parce que ce projet de loi crée des pouvoirs très spéciaux qui n'existent pas dans les autres lois visant à contrer le crime ordinaire. Pour permettre aux autorités d'exercer ces pouvoirs spéciaux, les auteurs du projet de loi voulaient s'assurer qu'il se limite à un certain phénomène, et ces pouvoirs ne visent pas à contrer le crime de manière générale. C'est une explication possible.
Le président: Quelqu'un d'autre voulait répondre. Était-ce M. Monahan?
M. Patrick Monahan: J'allais répondre à deux des questions qui ont été soulevées.
Tout d'abord, en ce qui concerne cette définition et la motivation idéologique, religieuse ou politique d'un crime, je ne crois pas que cela soit en fait essentiel dans la définition. Voyez les diverses conventions qui traitent de terrorisme, vous allez voir que cet élément ne fait pas partie de la définition. La définition, dans le cadre de ces conventions internationales, porte sur des activités qui visent à causer des dommages graves, la mort, etc.
À mon avis, on a voulu introduire ici un principe limitatif qui précise la définition. Non seulement il faut avoir l'intention de causer des dommages, il faut que l'intention corresponde à ces motivations. Je crois qu'on s'est inspiré ici de la loi du Royaume- Uni, qui comprend cet élément, mais je ne crois pas que cela soit essentiel dans la définition du terrorisme.
Je suis moi-même plus à l'aise de voir que cet élément figure ici parce que cela reflète la nécessité d'instaurer un équilibre et la volonté de la part du gouvernement, dans la facture de ce projet de loi, d'instaurer un équilibre et de ne pas aller trop loin. Je suis plus à l'aise de voir que cet élément figure ici.
Parlons maintenant de l'autre question qui concernait Cuba et les autres dictatures, soit la question de savoir si nous devons permettre à des personnes de se livrer à des attentats à l'explosif et de prendre part à d'autres activités du même genre parce que Cuba est une dictature. Ce n'est pas ce que je considère comme étant le créneau de ce projet de loi. Ce créneau est très étroit. En droit international, cette mesure ne s'appliquerait qu'à un régime comme celui de l'Afrique du Sud autrefois, un régime qui est raciste ou qui opprime systématiquement un certain secteur ou groupe de la société.
• 1705
Je ne crois pas que nous devrions dire, très bien, nous allons
permettre à ces gens de se livrer à des attentats à l'explosif et
de tuer du monde parce qu'au Pakistan, ou ailleurs, il n'y a pas
d'élections libres. Je ne crois pas que ce soit justifié, et je ne
crois pas que c'est ce que ce projet de loi dit.
Je ne suis pas d'accord avec M. Borovoy lorsqu'il semble dire que s'il s'agit d'une dictature, on peut recourir à l'attentat à l'explosif tant qu'on veut. Je ne crois pas que le projet de loi dise cela. Le texte de loi s'applique seulement à une catégorie très étroite, limitée, de régimes comme celui qui existait en Afrique du Sud avant la fin de l'apartheid. Je crois que c'est cela que le projet de loi vise, et c'est ce que la Cour suprême du Canada a dit dans le jugement qu'elle a rendu à l'issue du renvoi sur la sécession.
Le président: Merci beaucoup.
Il y avait une question intermédiaire qui s'adressait à M. Wark. Je ne me rappelle pas la question, mais je suis sûr qu'il s'en souvient.
M. Wesley Wark: Je crois que la question avait trait à l'article portant sur la facilitation. C'est une question très intéressante, et je me contenterai de répondre qu'il faut s'en tenir au contexte et à la connaissance des opérations terroristes et non à l'interprétation juridique.
Je dirai que l'utilisation sage de la disposition concernant la facilitation—par exemple, lorsqu'on fait la distinction entre une contribution de l'Organisation internationale de perspective mondiale à une cause au Moyen-Orient et la facilitation d'une opération terroriste—dépendra en dernière analyse de la compétence et de la conscience professionnelle de nos services du renseignement. Toute la question est là, me semble-t-il.
Si nous ne pouvons pas tracer cette distinction, ce n'est pas parce que la loi n'est pas assez claire pour nous. C'est parce que nos services du renseignement n'ont pas le professionnalisme voulu. Nous devons réfléchir à cela parce que je ne crois pas que nous puissions proposer une définition meilleure—ou pire—de la facilitation.
M. John McKay: Donc ça va aller seulement si on a de bons flics.
M. Wesley Wark: Pas de bons flics; ça va aller si l'analyse du renseignement est bien faite.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Fitzpatrick, vous avez trois minutes.
M. Brian Fitzpatrick: Nous avons entendu plus tôt ce matin un certain professeur Wilkinson de Grande-Bretagne. J'ai trouvé son témoignage très éclairant lorsqu'il a décrit l'organisation de ben Laden. Il a dit, je crois, que c'était l'une des organisations transnationales les plus puissantes au monde. Il a dit qu'elle avait une longue avance sur le monde dans lequel nous vivons étant donné qu'elle est présente sur tous les fronts, cette organisation peut se déplacer rapidement partout dans le monde, et ainsi de suite.
En ce qui concerne nos dispositions relatives à l'établissement de la liste—et ma question s'adresse à M. Wark—j'aimerais penser qu'une fois que cette loi entrera en vigueur, si le Royaume-Uni identifie une organisation et l'inscrit sur sa liste, hop, 10 minutes plus tard, cette organisation se retrouve sur notre liste aussi. Ou, dans le même sens, si la même chose se produit aux États-Unis, hop, ce nom apparaît aussitôt sur notre liste. Ces gens-là se déplacent rapidement, et ils sont actifs à l'échelle internationale, et n'ont aucun scrupule. Je lis cette disposition et je ne suis pas...
Je suis également préoccupé par les considérations politiques qui interviennent. À mon avis, les considérations politiques ne sauraient intervenir dans la lutte contre ces terroristes. Le terrorisme, c'est le terrorisme. Qu'on les mette tous sur la liste. Que l'on pourchasse ces gens. S'ils figurent sur la liste du Royaume-Uni et sur la liste américaine, je crois que c'est une raison suffisante pour les mettre automatiquement sur notre liste à nous. Nous avons de bons mécanismes de révision qui nous permettront de rayer certaines personnes de la liste s'il y a erreur sur l'identité ou d'autres facteurs. J'aimerais seulement savoir ce que vous pensez de l'inclusion automatique des personnes qui figurent sur les listes de nos alliés dans cette guerre contre le terrorisme.
M. Wesley Wark: Monsieur le président, très brièvement, j'imagine qu'en pratique, la liste canadienne serait très semblable à celles de nos alliés. Il en serait forcément ainsi parce que nos alliés, les Britanniques et les Américains en particulier, disposent de moyens beaucoup plus grands et auront toujours des moyens beaucoup plus grands pour ce qui est du renseignement de sécurité dans ce domaine.
Cela dit, je crois que nous voulons aussi nous en remettre à notre propre jugement dans les cas où il y a incertitude, et là aussi, nous devons avoir les capacités de renseignement voulues pour juger nous-mêmes dans les cas où il y a incertitude.
Ce qu'il faut dire aussi au sujet des entités figurant sur la liste, c'est qu'il faut comprendre l'effet qu'a l'établissement d'une liste des organisations terroristes. Cela peut avoir un effet dissuasif ainsi qu'une sorte d'effet éducatif sur le public, mais cela va aussi inévitablement amener le véritable ennemi à entrer dans la clandestinité, s'il n'y est pas déjà.
• 1710
D'une certaine façon, donc, l'établissement d'une liste des
organisations terroristes est nécessaire et pratique mais aussi
symbolique. Mais il ne faut pas y voir la panacée qui empêchera les
organisations terroristes de recueillir des fonds, de faire du
recrutement, ou d'être présentes dans notre pays. La liste aura
simplement pour effet de les repousser dans la clandestinité, et
dans une certaine mesure, cela va compliquer le travail des
services de sécurité et du renseignement. Mais je pense que nous
sommes tout simplement obligés de l'accepter.
Le président: Merci beaucoup.
M. DeVillers.
M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Ce que dit le professeur Monahan m'intéresse, dans la mesure où il croit qu'il est raisonnable de penser que la menace du terrorisme est réelle et substantielle. J'aimerais qu'il nous dise pourquoi il croit cela, et j'aimerais aussi entendre les avis des autres témoins à ce sujet.
M. Patrick Monahan: Tout d'abord, étant donné qu'il semblait impossible d'obtenir des informations exactes avec les événements du 11 septembre, il est également évident, avec les événements qui se sont produits depuis, avec cette panique de l'anthrax, que l'approche que nous avons face à ces enjeux doit changer. À mon avis, la liberté est menacée. La liberté cesse d'exister si l'on omet de prendre les mesures voulues, parce qu'une société ne demeure libre et ouverte que si ses citoyens sont en mesure de vivre leur vie dans la tranquillité, sans être soumis à l'intimidation et à la coercition.
Je crois que c'est cela qui a changé. Je suis d'accord avec les propos qu'a tenus la ministre de la Justice devant votre comité et ailleurs. Depuis le 11 septembre, l'idée que nous nous faisons de l'équilibre entre les droits garantis par la Charte, d'une part, et les nécessités de la sécurité nationale, d'autre part, n'est plus la même. Il convient que le gouvernement prenne de nouvelles mesures. Après un certain temps, nous serons à même de voir si ces mesures sont suffisantes ou non. Il se peut que nous soyons même obligés de prendre des mesures encore plus draconiennes.
Par exemple, ce projet de loi n'interdit pas l'adhésion en tant que tel à une organisation terroriste; on ne vise ici que des activités qui deviennent des infractions, contrairement à la loi britannique. Il se peut donc que nous soyons obligés d'aller encore plus loin que ce projet de loi-ci. Je ne préjuge de rien; je dis simplement qu'un examen parlementaire, après trois ou cinq ans, nous permettra de porter un jugement qui s'appuiera sur l'expérience.
Le président: D'autres observations? Il a invité tous les témoins à répondre.
Monsieur Rudner.
M. Martin Rudner: Du point de vue du terrorisme et de la lutte contre le terrorisme, monsieur le président, nous avons un problème double au Canada. Premièrement, le Canada a déjà été la cible d'activités terroristes. L'écrasement de l'avion d'Air India était justement l'oeuvre d'un acte terroriste, et il y en a eu d'autres, entre autres l'assassinat de diplomates dans notre capitale nationale.
Deuxièmement, et je crois que ce projet de loi vise à remédier à cela, il y a des activités terroristes au Canada qui ne provoquent pas nécessairement de violence dans notre pays. Il y a des activités qui ont trait à la cueillette de fonds, à la mobilisation de ressources, à l'achat d'armes et à la planification opérationnelle contre d'autres pays ailleurs dans le monde où des activités terroristes ont lieu. Je crois que la loi que nous avons devant nous aujourd'hui vise à permettre aux services du renseignement et de police de notre pays, de concert avec nos alliés, à contrer le problème complexe que posent les organisations et les réseaux clandestins qui mènent des activités dans notre pays et se livrent à la violence ailleurs—c'est un défi très particulier pour les services du renseignement et de police.
Le président: Monsieur Borovoy.
M. Alan Borovoy: Monsieur le président, je suis d'accord avec ce qu'a dit M. Monahan au début au sujet de l'importance de la lutte contre le terrorisme et de son effet sur une société libre et démocratique. Il ne fait aucun doute qu'il a raison. Mais on ne peut en conclure toutefois que toutes les mesures que l'on propose sont nécessaires, simplement parce que les dimensions du problème semblent avoir changé. Il n'y a pas nécessairement de corrélation entre les deux.
• 1715
À mon avis, il demeure important, et le gouvernement a encore
le devoir de démontrer pourquoi les pouvoirs existants, qui sont
déjà considérables, ne nous permettent pas de contrer cette
nouvelle forme de terrorisme.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Blaikie, vous avez trois minutes.
M. Bill Blaikie: Faisant suite à ce que M. Borovoy a dit, l'autre jour, j'ai demandé au commissaire de la GRC, M. Zaccardelli, m'imaginant qu'il avait été consulté dans l'élaboration du projet de loi, quel genre d'événement on aurait pu prévenir par le passé mais qu'on n'avait pas prévenu parce que la police ne disposait pas des pouvoirs d'arrestation préventive ou des autres pouvoirs qui sont maintenant prévus dans ce projet de loi. Il n'a pu que répondre, eh bien, tout a changé le 11 septembre.
Il me semble donc que ce projet de loi est moins motivé par l'expérience que par l'anticipation. Donc personne ne sait vraiment de quels pouvoirs on a besoin. Il n'a pas pu mentionner d'activités terroristes qui se sont produites par le passé parce que ces pouvoirs n'existaient pas par le passé.
J'ai posé une question plus tôt à propos d'un système à deux vitesses. Cela rejoint la question que M. McKay a posée, au sujet de la définition des activités qui ont une motivation religieuse, idéologique ou politique.
Vous avez répondu, monsieur Monahan, qu'on essaie ici de limiter ces activités d'une certaine manière. Même si cela est vrai, n'est-il également pas vrai—je n'en suis pas sûr moi-même- -que l'on crée une infraction d'un ordre supérieur? Un incident, dont l'origine est religieuse, idéologique ou politique, n'est pas traité de la même façon qu'un autre incident où la motivation est simplement malfaisante ou autre. Cela vous préoccupe-t-il?
M. Patrick Monahan: Cela ne me préoccupe pas parce que je considère que les actes qui ont été commis le 11 septembre et les autres actes du même genre sont du type le plus haineux qui soit. On s'est attaqué non seulement à des personnes, on s'est aussi attaqué à l'essence même de la liberté d'une société libre et démocratique. Les auteurs de ces actes méritent le châtiment le plus extrême qu'un État peut imposer.
Je n'hésite donc nullement à dire qu'il s'agit en effet d'un concept limitatif, mais l'on dit bien que de tels actes méritent des sanctions très particulières s'ils répondent à ces motifs.
Un mot au sujet de votre première observation concernant les pouvoirs existants. Les pouvoirs qui existent dans le Code criminel, par exemple pour l'arrestation d'une personne sans mandat, exigent que la police doit croire que l'individu visé est sur le point de commettre un crime. Ce que nous semblons avoir maintenant, c'est une situation où il peut exister des renseignements révélant qu'un incident est sur le point de se produire. Nous ne savons pas exactement de quoi il s'agit. On ne peut pas dire que l'individu en question va nécessairement commettre un crime, mais nous avons une bonne idée de ce qui va se passer. L'actuelle disposition du Code criminel, l'article 495, qui vous permet d'arrêter quelqu'un, ne s'appliquerait pas dans ce type de situation.
La mesure que l'on propose maintenant me semble indiquée au vu de ce que nous savons maintenant des événements du 11 septembre, où semble-t-il, nous savions d'après les rapports de presse que quelque chose allait se passer, mais nous ne disposions pas des preuves voulues pour dire exactement ce qui allait se passer. Il me semble donc que c'est là une illustration de la nécessité d'avoir des pouvoirs accrus, comme mon collègue, M. Borovoy, l'a dit.
M. Wesley Wark: On a parfaitement raison de dire qu'il est question ici d'un scénario futur, dont nous ne pouvons même pas imaginer les détails.
Pour ce qui est des capacités de renseignement, permettez-moi quelques réflexions sur le cas d'Ahmed Ressam. Ahmed Ressam est ce terroriste qui se dirigeait vers Los Angeles pour y perpétrer un attentat à l'explosif, et qui a été arrêté plus ou moins par accident à la frontière.
Si l'on n'a pas pu suivre dans le moindre détail ses activités au Canada, c'est parce qu'à un moment donné, Ahmed Ressam a quitté Montréal pour l'Afghanistan, où il a été formé dans un camp de ben Laden. Nous n'avions pas les capacités de renseignement voulue pour suivre tous les déplacements de cet individu, en partie à cause de la distinction que nous tracions entre la surveillance intérieure et la surveillance extérieure.
• 1720
Lorsqu'il est parti pour l'Afghanistan, nous avons perdu sa
trace. Lorsqu'il est rentré à Montréal, c'était sous une identité
différente, sous le nom de Benni Norris, et avec des contacts
différents. Le SCRS ne savait pas que Benni Norris était en fait
Ahmed Ressam; il cherchait toujours Ahmed Ressam. C'est la raison
pour laquelle nous avons peut-être besoin, dans ces circonstances
nouvelles, de capacités accrues et d'une marge de manoeuvre élargie
pour la cueillette de renseignements, sans que l'on se préoccupe
autant des frontières comme nous le faisions par le passé, me
semble-t-il.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Owen.
M. Stephen Owen (Vancouver Quadra, Lib.): Merci. Merci à vous tous d'être ici aujourd'hui, et merci pour le témoignage très éclairant. Je pensais aborder brièvement deux questions qui ont été soulevées.
Tout d'abord, monsieur Monahan, dans votre recommandation relative aux dispositions de temporarisation, celles—ci se limitent-elles dans votre esprit à l'investigation et aux dispositions relatives à l'arrestation préventive que vous avez également commentées?
M. Patrick Monahan: Oui. Je n'avais à l'esprit que ces dispositions particulières.
M. Stephen Owen: Merci. Je veux maintenant poser une question plus générale, peut-être à M. Borovoy d'abord, au sujet de l'investigation.
À votre avis, ces dispositions sont-elles plus étendues ou importunes que les pouvoirs d'enquête que prévoit la Loi sur les enquêtes, par exemple. En particulier, je crois que vous avez tracé une distinction entre les enquêtes prospectives et rétrospectives. Bien sûr, les enquêtes publiques, qui sont différentes des commissions royales, ont tendance à être rétrospectives, et non prospectives, et il y a une jurisprudence abondante à la Cour suprême du Canada concernant le rapport entre les enquêtes publiques et rétrospectives et les procès au criminel qui peuvent s'ensuivre. Je me demande, dans le contexte de toutes ces pratiques au Canada et de la jurisprudence que nous avons à ce sujet, si vous croyez davantage que cette disposition, même si elle vise les menaces tout à fait extraordinaires et nouvelles dont nous sommes conscients, pourrait créer une approche unique pour ce qui est de nos enquêtes de manière générale sur les affaires d'importance pour la politique gouvernementale au Canada.
M. Alan Borovoy: Je crois qu'au vu du—et j'emploierai ici les termes de M. Monahan—droit émergent dans le domaine des enquêtes publiques, on essaie maintenant de limiter la capacité qu'ont les enquêtes publiques de recueillir des preuves à des fins criminelles. Cette investigation, au contraire, vise à recueillir des preuves à des fins criminelles; c'est une de ses finalités essentielles. Donc, dans ce sens, je ne suis pas rassuré, mais je vous rappelle encore une fois que si l'on veut ici réunir des preuves afin de prévenir un désastre que l'on estime relativement imminent, je répondrai alors qu'il faut oublier tout cela et aller de l'avant.
M. Stephen Owen: J'aimerais clarifier cela. Si je me souviens bien, et il se peut que mes souvenirs soient embrouillés, la Cour suprême du Canada dans l'affaire Westray n'a pas dit que l'enquête publique ne pouvait pas aller de l'avant, mais qu'elle devait aller de l'avant en sachant qu'elle pourrait compromettre l'admissibilité de la preuve dans un procès futur au criminel.
M. Alan Borovoy: Pardonnez-moi, mes souvenirs sont également quelque peu embrouillés, mais qu'en est-il de l'affaire Pattie Star; est-ce qu'il n'était pas question d'une affaire plus semblable?
M. Stephen Owen: C'était avant l'affaire Westray.
M. Patrick Monahan: Si l'on me permet une clarification, il était question d'une chose différente, étant donné qu'il s'agissait d'une loi provinciale et parce que le droit criminel est de compétence fédérale, et il y avait empiétement sur le droit criminel. C'est sur ce point que le mandat de l'enquête Houlden dans cette affaire...
M. Stephen Owen: C'est l'affaire Starr.
M. Patrick Monahan: C'est l'affaire Starr, oui. On a statué qu'il s'agissait de droit criminel. Il ne s'agissait pas de savoir si l'on avait empiété sur les droits d'une personne. C'était donc une question entièrement différente.
Je suis d'accord avec M. Owen lorsqu'il dit que la jurisprudence confirme essentiellement que des enquêtes publiques ne sont permises qu'à la condition expresse qu'elles ne servent pas à poursuivre plus tard les personnes qui ont été contraintes à témoigner. Dans ce cas-ci, il est bel et bien dit que l'on ne se servira pas de ces preuves contre ces personnes en particulier.
Le président: Merci beaucoup.
M. Alan Borovoy: En toute justice...
Le président: Monsieur Borovoy.
M. Alan Borovoy: Pardonnez-moi.
Le président: Il nous reste moins de cinq minutes, et il y a encore deux autres personnes qui veulent poser des questions, et il y a des témoins qui nous attendent en bas. Donc, monsieur Cadman, pourriez-vous être aussi bref que possible? Nous passerons ensuite à M. Cotler.
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président. J'ai deux questions.
M. Rudner a mentionné plus tôt la masse énorme de données, la masse énorme d'information, que le CST doit traiter et analyser, et l'on peut imaginer que le SCRS a lui aussi une quantité incroyable d'information à traiter. Nos témoins croient-ils que ces organismes ont les ressources voulues pour faire leur travail, même avec les fonds supplémentaires que le gouvernement leur a promis? Ont-ils les ressources pour faire le genre d'analyse qui est nécessaire pour contrer le terrorisme?
Deuxièmement, en ce qui concerne Internet, vous avez mentionné une chose à laquelle je n'avais jamais pensé, à savoir le passage au crible des signaux dans Internet. Les FSI, soit les fournisseurs de services Internet, ont-ils lieu de se demander où tout cela va les mener? Nous venons de discuter de tout cela à propos de la pornographie juvénile sur Internet.
Le président: Monsieur Rudner.
M. Martin Rudner: J'aimerais d'abord répondre à la deuxième partie de votre question. Le Parlement britannique a voté une loi obligeant les fournisseurs de services Internet à ouvrir une fenêtre d'opportunité, si l'on peut dire, afin de permettre à l'équivalent britannique du CST de contrôler les communications au sein d'Internet. Un tel droit, une telle exigence ou une telle autorisation n'existent pas ici au Canada.
En ce qui concerne la première question, il est très difficile de savoir si un organisme comme le CST dispose des ressources suffisantes. Cet organisme recueille les renseignements de sécurité les plus secrets qui soient. Si l'on en juge d'après le discours des services de renseignements, surtout ceux des États-Unis, des organisations comme celles-là manquent toujours de moyens pour gérer l'avalanche de renseignements qui passent dans le système, trier ce qui est pertinent, traduire ensuite ces informations en renseignements, puis les communiquer d'une manière utile à leurs clients au sein du gouvernement, et j'imagine pour ma part que le CST se retrouve probablement avec les mêmes contraintes au niveau des ressources que la NSA aux États-Unis ou le GCHQ au Royaume-Uni.
Le président: Quelqu'un d'autre? Monsieur Wark.
M. Wesley Wark: Je crois que les services du renseignement canadiens manquent de ressources et que c'est le cas depuis des années. L'une des difficultés tient au fait que les services de sécurité et du renseignement canadiens ne sont pas en mesure de demander davantage ou de plaider leur cause étant donné la manière dont ils sont isolés des opérations normales du gouvernement, ou du moins l'étaient avant le 11 septembre.
À mon avis, l'élément qui révèle le mieux à quel point le CST en particulier manquait de ressources est cette somme énorme d'argent que lui a consenti récemment le gouvernement, soit 37 millions de dollars, ce qui représente une augmentation de près d'un tiers, une augmentation de 33 p. 100 de son budget annuel d'opération. On se retrouve ici engagé dans une opération de rattrapage et de colmatage au niveau des ressources. On a déjà consenti des crédits supplémentaires au SCRS, et je crois qu'il en recevra d'autres. Si on ne lui en a pas donné davantage au départ, c'est parce que d'autres décisions devront être prises, particulièrement pour ce qui est de savoir si le SCRS recevra un véritable mandat pour mener des opérations de cueillette de renseignements à l'étranger.
Je ne crois donc pas que nous ayons les capacités voulues pour contrer les menaces futures.
Le président: Merci beaucoup.
M. Cotler, vous avez les trois dernières minutes.
M. Irwin Cotler (Mont Royal, Lib.): Je tâcherai de poser mes questions très rapidement. La première s'adresse à Martin Rudner au sujet du CST. Devrait-on imposer un examen judiciaire de l'autorisation ministérielle en ce qui concerne sa pertinence ou son bien-fondé d'un point de vue technique et opérationnel, et compte tenu du fait que le commissaire exerce déjà une surveillance?
Deuxièmement, et vous voudrez peut-être répondre à cette question aussi, existe-t-il ici un problème de compétence? Des témoins nous ont dit que cela ne peut pas être fait. C'est ma première question.
Ma deuxième question s'adresse à Patrick, quoique Alan peut y répondre aussi. Les dispositions relatives à l'investigation protègent les réponses d'un témoin, mais il n'y a aucune protection si le témoin refuse de répondre. Autrement dit, le droit à la protection contre l'auto-incrimination est protégé en vertu de l'article 13 de la Charte, mais en fait, le droit au silence n'existe pas. Je veux savoir si cela vous dérange, à savoir le fait qu'une personne puisse être emprisonnée pour avoir refusé de répondre à une question. Les événements du 11 septembre ont-ils modifié cet équilibre? Dans le contexte de la notion d'imminence dont Alan faisait état, devrions-nous resserrer le libellé du texte de loi à ce sujet?
• 1730
Enfin, on définit l'activité terroriste comme étant un acte
commis «notamment, au nom d'un but, d'un objectif ou d'une cause de
nature politique, religieuse ou idéologique». Je veux savoir si
vous voulez en faire une exigence dans les éléments de l'infraction
ou s'il ne vaudrait pas mieux renverser cela et dire qu'on ne peut
pas défendre un tel acte en invoquant des motifs d'ordre religieux,
politique ou idéologique? Autrement dit, plutôt que d'en faire un
élément obligatoire de l'infraction, cet élément serait exclu de la
défense.
Le président: Monsieur Rudner.
M. Martin Rudner: À propos de l'autorisation ministérielle, je crois comprendre que ce texte de loi comporte des critères particuliers pour les autorisations ministérielles relatives aux interceptions de communications du CST. Sans être avocat, mais considérant la chose du point de vue de la politique gouvernementale, rien n'interdit au commissaire du CST d'examiner la pertinence des autorisations dans le contexte de la loi habilitante sans nécessairement se prononcer sur la question plus générale de la discrétion ministérielle. Chose certaine, j'aurais pensé que le commissaire du CST aurait pu se prononcer sur la pertinence de l'autorisation que la loi prévoit.
Le président: Merci. Est-ce que quelqu'un d'autre veut intervenir? Monsieur Monahan.
M. Patrick Monahan: J'aimerais dire quelques mots au sujet de cette question importante que pose M. Cotler sur l'investigation. Il est vrai que la personne n'a pas le droit de refuser de répondre, mais en vertu de la loi, il faut avoir des motifs raisonnables de croire a) qu'un acte terroriste sera commis et b) que cette personne dispose d'informations concrètes relatives à l'acte terroriste qui pourrait être commis. C'est un juge qui prend cette décision, et non un agent de police. Si un juge—dans ce cas-ci, un juge de la Cour provinciale ou de la Cour supérieure—constate que ces éléments sont présents, alors je dirais que oui, cette personne doit fournir ces informations. Je suis à l'aise avec ça.
Pour ce qui est de savoir si l'on peut renverser l'élément d'intention—soit le motif politique, religieux ou idéologique—et en faire un élément de la défense, cela signifierait que vous n'auriez pas à prouver l'existence de cette intention qui deviendrait alors un élément de l'infraction, si je vous ai bien compris. Encore là, comme je l'ai dit, les conventions internationales sur le terrorisme n'en font pas un élément de la définition du terrorisme, je ne crois donc pas que ce soit essentiel. Je préfère que cela demeure un élément de l'infraction au lieu d'en faire simplement un élément qu'on ne peut pas invoquer pour exonérer l'individu.
Le président: Monsieur Wark.
M. Wesley Wark: Quelques mots au sujet du CST; le ministre de la Défense nationale a déclaré qu'il va élargir le mandat du commissaire responsable du Centre de la sécurité des télécommunications afin d'englober toutes les autorisations ministérielles concernant l'interception de communications privées au Canada. La difficulté qui attend le CST, et c'est un problème qu'il va falloir régler, c'est que le CST ne veut pas passer par un système de mandat judiciaire pour effectuer ces interceptions. Pourquoi en est-il ainsi? C'est en partie à cause de la tradition, mais aussi à cause de la nature des opérations internationales dans lesquelles il s'est engagé afin d'avoir accès aux renseignements des services alliés. Pour ce qui est de la procédure relative au mandat judiciaire, je crois donc que le CST y voit un obstacle énorme. Je ne peux pas croire qu'il voudra se prêter à cela parce qu'à mon avis, cela menacerait son existence même en ce qui concerne ces capacités et son accès aux renseignements des services alliés.
Le président: Voulez-vous intervenir, monsieur Borovoy?
M. Alan Borovoy: Non.
Le président: Monsieur Cotler.
M. Irwin Cotler: J'ai une toute petite question, mais il faudra plus de temps pour la poser que pour y répondre. Le texte de loi ne vise pas les actes commis au cours d'un conflit armé qui, au moment et au lieu où ils ont été commis, par exemple, étaient conformes au droit international coutumier et aux instruments conventionnels. Ce libellé a été emprunté presque intégralement à la Loi sur les crimes contre l'humanité et à la Loi sur les crimes de guerre. Mais le droit antiterroriste, comme l'a démontré récemment une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, gravite autour du principe général selon lequel le terrorisme, d'où qu'il provienne, quelle que soit sa motivation, est illégitime. Autrement dit, c'est la tolérance zéro pour le terrorisme.
Ce qui me ramène à votre observation, Patrick, à savoir que pour une catégorie très limitée de régimes, par exemple, l'apartheid, nous pourrions tolérer certains actes. Je peux comprendre qu'on pourrait commettre un acte terroriste contre une installation appartenant à l'État sans avoir l'intention de commettre un meurtre ou qui serait dénué du critère d'intention criminelle. Même dans cette catégorie limitée de régimes et contre un régime d'apartheid, engloberiez-vous des actes qui sont non seulement violents et criminels mais qui comportent aussi l'intention criminelle de tuer, mutiler et le reste?
• 1735
Soit dit en passant, ce que j'ai retenu du renvoi sur la
sécession, c'est que le droit à la sécession existe lorsqu'un
régime est oppressif. Je ne me rappelle pas que la Cour suprême ait
voulu légitimer le moindre acte de violence dans le cadre de ce
droit à la sécession.
Le président: Pardon, je vous serais reconnaissant si vous pouviez répondre en moins d'une minute parce que nous avons tout un groupe de témoins qui nous attend impatiemment en bas.
M. Patrick Monahan: Je vais tâcher de donner un sens aux termes qui figurent dans la disposition restrictive. À mon avis, si on veut leur donner un sens dans le contexte où nous sommes, il faut s'en tenir à la définition que l'on retrouve ici. C'est-à-dire qu'il faut que certaines catégories d'actes qui seraient normalement visées par cette définition demeurent protégées d'une manière ou d'une autre. Il me semble qu'il faut essayer de donner un sens à ces termes, et il n'est pas sûr que le sens que je leur donne soit exact.
Le président: Nous allons laisser le dernier mot à M. Borovoy.
M. Alan Borovoy: En ce qui concerne le ciblage délibéré des non-combattants innocents, nous disons alors que cela ne doit pas être permis, et il ne faut pas permettre aux Canadiens de soutenir cela, peu importe où cela se produit.
Mais en ce qui concerne les autres types de violence, par exemple la violence révolutionnaire, l'idée de tracer une distinction entre certaines dictatures et d'autres me trouble. Par exemple, on pourrait recourir à la violence contre les instruments de l'État dans une dictature raciste d'Afrique du Sud, mais peut-être pas contre une dictature communiste ailleurs. J'hésiterais énormément à tracer une distinction de ce genre.
Le président: Je tiens à remercier tous nos témoins. J'ai la conviction que notre réflexion a beaucoup mûri grâce à votre contribution aujourd'hui, et je vous en sais vivement gré.
Je rappelle aux membres du comité que nous sommes tous invités à passer à la salle 112-N pour la poursuite de notre séance. Nous allons y discuter du projet de loi C-15B. Je le mentionne maintenant parce qu'étant donné que nous allons traiter d'un projet de loi différent, les représentants des parties peuvent changer. Après la séance de demain matin, qui portera sur le projet de loi C-36, nous allons finaliser notre plan de travail. Il était prévu que nous allions lever la séance à 13 heures. Nous allons probablement siéger jusqu'à 13 h 30, selon la tournure que prendra cette discussion. Nous verrons demain matin.
Sur cette note, merci beaucoup.
La séance est levée.