JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent de la justice et des droits de la personne
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 7 mai 2002
¿ | 0935 |
Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)) |
M. Allen Martin (Westray Families Group) |
¿ | 0940 |
¿ | 0945 |
Le président |
M. Allen Martin |
Le président |
M. Allen Martin |
Le président |
M. Robert Lanctôt (Châteauguay, BQ) |
¿ | 0950 |
M. Allen Martin |
M. Robert Lanctôt |
M. Allen Martin |
¿ | 0955 |
Le président |
Mme Bev Desjarlais (Churchill, NPD) |
À | 1000 |
Le président |
M. Allen Martin |
Le président |
M. Peter MacKay (Pictou--Antigonish--Guysborough, PC) |
À | 1005 |
M. Allen Martin |
M. Peter MacKay |
M. Allen Martin |
À | 1010 |
M. Peter MacKay |
M. Allen Martin |
Le président |
M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.) |
M. Allen Martin |
À | 1015 |
M. Paul Harold Macklin |
M. Allen Martin |
M. Paul Harold Macklin |
M. Allen Martin |
M. Paul Harold Macklin |
M. Allen Martin |
M. Paul Harold Macklin |
M. Allen Martin |
Le président |
M. Vic Toews |
À | 1020 |
M. Allen Martin |
À | 1025 |
M. Vic Toews |
Le président |
Mme Bev Desjarlais |
M. Allen Martin |
Mme Bev Desjarlais |
M. Allen Martin |
Mme Bev Desjarlais |
Le président |
M. Peter MacKay |
À | 1030 |
M. Allen Martin |
Le président |
M. Allen Martin |
Le président |
Le président |
M. Peter MacKay |
À | 1035 |
À | 1040 |
Le président |
M. Derek Lee (Scarborough--Rouge River, Lib.) |
Le président |
M. Paul Harold Macklin |
À | 1045 |
Le président |
M. Vic Toews |
Le président |
M. Cadman |
À | 1050 |
Le président |
M. Robert Lanctôt |
Le président |
Mme Bev Desjarlais |
Le président |
M. Peter MacKay |
À | 1055 |
Le président |
M. Tonks |
Le président |
M. Peter MacKay |
M. Vic Toews |
Le président |
M. Vic Toews |
M. McKay |
M. Vic Toews |
M. John McKay |
M. Vic Toews |
Le président |
M. Vic Toews |
Le président |
M. Vic Toews |
Le président |
M. John McKay |
M. Vic Toews |
Le président |
M. Peter MacKay |
Le président |
Á | 1100 |
M. Derek Lee |
Le président |
M. Chuck Cadman |
Le président |
M. Derek Lee |
Le président |
M. Peter MacKay |
M. Derek Lee |
Le président |
M. John McKay |
Le président |
M. Vic Toews |
Le président |
M. Peter MacKay |
M. John McKay |
M. Peter MacKay |
M. Derek Lee |
M. Peter MacKay |
M. Derek Lee |
M. Peter MacKay |
M. Derek Lee |
Le président |
Le président |
M. David Miezenger (représentant, Ottawa and District Labour Council) |
Á | 1110 |
Le président |
M. Duff Conacher (président, Corporate Responsibility Coalition) |
Á | 1115 |
Á | 1120 |
Á | 1125 |
Le président |
M. Vic Toews |
M. Duff Conacher |
Á | 1130 |
M. Vic Toews |
M. Duff Conacher |
M. Vic Toews |
M. Duff Conacher |
M. Vic Toews |
M. David Miezenger |
M. Vic Toews |
Le président |
M. Robert Lanctôt |
M. David Miezenger |
Á | 1135 |
M. Robert Lanctôt |
M. David Miezenger |
Le président |
M. Duff Conacher |
Á | 1140 |
Le président |
Mme Bev Desjarlais |
Á | 1145 |
M. David Miezenger |
Mme Bev Desjarlais |
M. David Miezenger |
Le président |
M. Duff Conacher |
Le président |
M. Peter MacKay |
Á | 1150 |
M. Duff Conacher |
M. Peter MacKay |
M. Duff Conacher |
M. Peter MacKay |
M. Duff Conacher |
M. Peter MacKay |
Á | 1155 |
M. Duff Conacher |
Le président |
M. John McKay |
M. Duff Conacher |
 | 1200 |
M. John McKay |
M. Duff Conacher |
M. John McKay |
M. Duff Conacher |
M. John McKay |
M. Duff Conacher |
Le président |
M. Vic Toews |
 | 1205 |
Le président |
M. Duff Conacher |
M. Vic Toews |
M. Duff Conacher |
M. David Miezenger |
 | 1210 |
Le président |
M. Paul Harold Macklin |
M. Duff Conacher |
 | 1215 |
Le président |
M. Robert Lanctôt |
M. Duff Conacher |
 | 1220 |
Le président |
M. Paul Harold Macklin |
M. Duff Conacher |
M. Paul Harold Macklin |
M. Duff Conacher |
 | 1225 |
Le président |
Mme Bev Desjarlais |
M. David Miezenger |
 | 1230 |
Le président |
M. Duff Conacher |
Le président |
CANADA
Comité permanent de la justice et des droits de la personne |
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l |
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 7 mai 2002
[Enregistrement électronique]
¿ (0935)
[Traduction]
Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): Je déclare ouverte la 85e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Conformément à l'ordre de renvoi du 19 février 2002, nous examinons le sujet du projet de loi C-284, loi modifiant le Code criminel (infractions commises par des personnes morales, administrateurs et dirigeants).
Je souhaite la bienvenue à Bev dont nous connaissons le grand intérêt pour cette question.
Ceci me donne l'occasion de vous parler de notre ordre de renvoi, afin d'éviter tout malentendu. On a beaucoup parlé du projet de loi lui-même, et je tiens à rappeler aux députés que par consentement unanime, il a été ordonné que le projet de loi C-284 ne soit pas maintenant lu une deuxième fois mais que l'ordre soit révoqué, le projet de loi retiré et l'objet renvoyé au Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Ceci pourrait en fait nous donner davantage de latitude, puisque nous ne sommes pas limités à l'examen du texte du projet de loi lui-même.
Nous recevons comme témoin, ce matin, Allen Martin, du Westray Families Group. Vous avez la parole, monsieur Martin.
M. Allen Martin (Westray Families Group): Merci.
D'après ce qu'on me dit, ce projet de loi est destiné à protéger la santé et la sécurité des travailleurs du pays. Je ne vois pas de mal à cela. Il est destiné à punir les intentions criminelles et les activités criminelles. Je ne vois pas de mal à cela. Je suis convaincu que le comité dispose de toutes les statistiques sur les traumatismes et les décès au travail. Ces statistiques sont ahurissantes. On me dit que 17 000 personnes de 15 à 18 ans sont blessées chaque année au travail. C'est inacceptable. Westray est un exemple frappant de l'inefficacité lamentable des lois actuelles. Vous avez sans doute le rapport. Nous avons besoin de la volonté politique d'agir, et de faire le travail nécessaire.
Le 9 mai 1992, à 5 h 18 précises, mon frère Glenn et 25 de ses confrères de travail ont été tués par l'explosion à la mine Westray. Cette explosion n'aurait jamais dû se produire, mais on a permis qu'elle se produise. À moins que quelqu'un ici ait vécu une expérience semblable, vous ne pouvez pas vous imaginer comment se sentent ceux qu'ils ont quittés. Je me souviens qu'après le procès à Pictou, ma femme et moi, en revenant en voiture, avons dû nous arrêter sur l'accotement pour nous étreindre, pleurer, faire sortir ces émotions, avant de rentrer chez nous, auprès de nos enfants. Je me souviens de cartes et de lettres qui nous ont été envoyées de partout dans le monde. Je me rappelle d'une, en particulier. Un enfant de sept ans de la Colombie-Britannique, je crois, avait fait un dessin au crayon de cire représentant une explosion, avec des membres épars, avec ce bas de vignette: «Je suis désolé que votre mari ait explosé». À première vue, cela peut sembler horrible, mais en réfléchissant à la sincérité de cet écolier, c'était en fait à déchirer le coeur.
À mesure que les mois passaient, après l'explosion, nous nous attendions à ce que justice soit faite. C'est ce que tout le monde nous promettait. Mais justice n'a pas été faite, et en voici la raison: il n'y avait rien à craindre. Les gestionnaires de la mine Westray agissaient à leur guise, bien au fait des lois, sachant pertinemment qu'ils ne seraient pas poursuivis et qu'ils pouvaient toujours s'en tirer. À un certain moment, surtout après que les accusations eurent été retirées, j'aurais pu moi-même enfreindre des lois. Je l'ai sérieusement envisagé. J'ai pensé à punir ceux qui nous avaient fait cela, à moi et à ma famille. Ce qui m'a arrêté, c'est que je savais qu'on m'en tiendrait responsable, et je ne voulais pas qu'on m'enlève à ma famille, qu'on me prenne tout ce pour quoi j'avais travaillé, tous mes projets d'avenir.
¿ (0940)
Je ne comprends toujours pas pourquoi les entreprises et les sociétés n'ont pas les mêmes craintes. Il vous faut un bâton, un outil. Une amende, ce n'est pas suffisant. Une amende, c'est un allégement fiscal. Il faut prévoir une période d'incarcération. Dans son rapport final, le juge Richard a dit que l'inspecteur avait manqué à son devoir. Il a dit que les directeurs de la mine avaient manqué eux aussi à leur devoir, et que la mine avait explosé. En fait, tout le monde les a laissés tomber. Tout, les mesures de sécurité, les mesures de protection fédérales ou provinciales, tout les a laissés tomber. S'il vous plaît, ne faites pas la même chose.
Mes deux enfants viennent d'arriver sur le marché du travail. L'un d'eux se marie à la fin du mois. Je ne veux pas recevoir un autre coup de fil matinal.
Veuillez m'excuser.
¿ (0945)
Le président: Monsieur Martin, nous savons combien c'est difficile pour vous. Nous admirons votre courage. Prenez votre temps. Vous n'avez pas à nous présenter d'excuses.
M. Allen Martin: Je me souviens de ce matin-là, quand je suis arrivé à la maison. C'est moi qui ai dû aller chez mes parents, leur annoncer que la mine avait explosé. Je me souviens que lorsque mon père l'a dit à ma mère, elle a tout de suite vomi.
Pour les membres du Westray Families Group, la justice, c'est un mythe. On lit des choses à son sujet, on en entend parler. Certains prétendent qu'elle existe, mais nous ne l'avons jamais vue. Il faut une loi qui a du mordant, sans échappatoires. Nous sommes tous responsables, pourquoi pas aussi les entreprises et les sociétés?
C'est tout, je crois.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Martin.
Monsieur Toews, vous avez la parole.
M. Vic Toews (Provencher, Alliance canadienne): Merci beaucoup d'être venu aujourd'hui, monsieur Martin, pour faire profiter le comité de votre expérience. Parfois, en tant que membres du comité, lorsque nous examinons des lois, nous n'avons pas l'expérience ou les connaissances de première main de ceux qui sont touchés par nos lois. Dans le nord de ma circonscription, il y a une mine, mais ce n'est pas une mine du même type et les expériences n'y sont certainement pas les mêmes. Je crois donc utile pour nous tous d'écouter des Canadiens qui ont une connaissance personnelle de ces circonstances.
Je ne crois pas avoir de questions à vous poser. Vous comprenez sans doute que le comité doit respecter certains principes, dans ses travaux. Les membres de votre groupe, j'en suis convaincu, veulent que nous adoptions des lois efficaces et justes, c'est-à-dire justes aussi pour ceux qui sont accusés d'un crime. Dans votre exposé, je ne crois pas vous avoir entendu dire quoi que ce soit à l'effet que vous cherchez à vous venger, sans reconnaître certains principes du système judiciaire canadien. J'estime toutefois important d'écouter les victimes, pour que nous puissions arriver à un équilibre entre les intérêts des victimes et les principes juridiques que nous devons prendre en considération.
Je vous remercie pour votre témoignage. Vous nous avez certainement donné matière à réflexion.
M. Allen Martin: Je comprends ce que vous dites et je sais que je ne suis pas au fait de tous les détails, mais je saurais reconnaître la justice et je ne l'ai pas vue.
Le président: Monsieur Lanctôt, c'est votre tour.
[Français]
M. Robert Lanctôt (Châteauguay, BQ): Monsieur Martin, il est intéressant de commencer par un témoignage comme le vôtre. Je regardais le dossier. Je ne connaissais pas ce qui s'était passé à la mine Westray, sauf ce qu'on en avait dit publiquement. Je vous demanderais de me relater exactement ce que vous avez vécu, et non pas ce que les journaux nous ont transmis. Il est évident que c'est un dossier vraiment complexe.
En tant qu'avocat, je regarde les principes de ce qui est demandé et je vois que c'est énorme. Cela va au-delà de la responsabilité d'entreprises, de dirigeants, d'actionnaires ou d'administrateurs. Cela peut même toucher les syndicats nationaux. Je ne sais pas quelle tangente cette discussion va prendre. C'est vraiment complexe. J'espère qu'on fera une étude très poussée là-dessus.
Je suis moi-même convaincu qu'il faut examiner à fond les dispositions actuelles ou les nouvelles dispositions qui pourraient être mises dans le Code criminel. Également, il faut faire attention de ne pas empiéter sur des lois comme celles qu'on a au Québec, notamment la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Il y a déjà des lois qui sont établies, et il faut faire attention de ne pas faire indirectement ce qu'on ne peut pas faire directement en modifiant des dispositions du Code criminel pour y inclure des aspects qui sont peut-être déjà régis par des lois provinciales et des lois du Québec, entre autres.
Donc, c'est une question très importante et il va falloir faire une étude poussée. Quand on vous entend, on perçoit déjà de bonnes balises. Les familles des victimes doivent témoigner de ce qu'elles vivent, comme on disait tantôt, et les lois s'appliquent à tous les Canadiens et Québécois. Il est important qu'on ait toutes les balises et qu'on commence par ce genre de témoignages.
Malheureusement, je n'étais pas ici la semaine dernière. Je sais qu'on a commencé cette étude. Je participerai à toutes ces délibérations et j'entendrai les témoignages.
Je vous remercie de votre témoignage. Vu que nous en sommes au tout début de cette étude, je vais attendre d'avoir plus de substance avant de poser des questions.
¿ (0950)
Je ne sais pas si d'autres députés le souhaitent aussi, mais j'aimerais qu'en tant que membre d'une famille de victimes, vous me relatiez les faits de Westray. Bien sûr, je ne l'exige pas, mais j'apprécierais obtenir cette information.
[Traduction]
M. Allen Martin: Particulièrement le premier jour, ou tous les faits? Plus précisément, que voulez-vous entendre?
[Français]
M. Robert Lanctôt: On s'imagine un peu ce qui est arrivé étant donné ce qu'on a entendu. Ce sont des choses qui existaient depuis très longtemps. On connaissait le danger de la situation dans les mines. Je n'ai pas assisté au procès et je n'ai pas lu le jugement. Je ne sais donc pas ce qui s'est passé. C'est pour cela que j'aimerais qu'on me donne, non pas tout l'historique de Westray... Au départ, il devait y avoir quelque chose qui s'est aggravé avec le temps. Il y a sûrement des inspecteurs qui sont allés sur les lieux. Qu'est-ce qui s'est passé? Je ne veux pas faire le procès des dirigeants de la mine, mais il existe certainement des faits. J'aimerais qu'on me fasse part des faits, qu'on me dise ce qui s'est passé à partir de ce moment-là.
[Traduction]
M. Allen Martin: La mine Westray était le troisième projet, je crois, autour de 1990. Le ministre de l'Industrie avait fait des pressions, à l'époque, de même que notre député, M. MacKay. On avait garanti aux travailleurs une exploitation ultra moderne. On leur promettait 15 ans de travail. Beaucoup de travailleurs sont venus de partout ailleurs au Canada, bon nombre sont venus de l'Ouest, de Terre-Neuve, en fait d'un peu partout, et même, de Grande-Bretagne. Comme je viens de le dire, on disait qu'il s'agissait de matériel d'exploitation minière ultra moderne.
La mine devait exploiter une couche connue mondialement. À une certaine époque, c'était la couche de charbon la plus importante au monde, mais aussi la plus dangereuse qui soit, à cause du méthane. Les promoteurs le savaient quand ils ont demandé les permis et quand ils ont construit la mine. Ils ont garanti qu'avec la technologie moderne, on surmonterait cette difficulté. On m'a dit que 100 millions de dollars avaient été investis par le gouvernement fédéral et celui de la province dans la mine Westray. Aucune vérification judiciaire n'a été faite pour savoir où est allé cet argent. Ce n'est pas dans la mine.
Le système de ventilation était inadéquat. Il a été acheté en Grande-Bretagne, où il avait été mis aux rebuts. Beaucoup de matériel était usagé. Les machines étaient équipées de reniflards, ou capteurs, qui signalaient aux travailleurs une concentration de méthane trop élevée, afin qu'ils puissent éteindre les machines et sortir. On a ordonné aux mineurs de débrancher ces capteurs et de continuer à travailler. Les éboulements étaient très fréquents.
Même les règles de base n'étaient pas respectées. À l'époque, il était illégal d'avoir des quarts de travail de 12 heures dans une mine de charbon, mais il y en avait. Sur les casques, les piles alimentant la lampe, pour voir dans les souterrains, ne duraient que huit heures, même si les mineurs travaillaient 12 heures. Les lampes s'éteignaient, ils n'y voyaient plus, il y avait des accidents. Il y avait des plaintes. On répondait aux travailleurs que s'ils n'étaient pas contents, ils pouvaient rentrer chez eux, que d'autres prendraient volontiers leur place. Nous parlons de travailleurs qui avaient des hypothèques à payer, des familles à nourrir. Certains d'entre eux s'étaient déracinés, avaient déménagé.
Même le tableau de présence ne fonctionnait pas bien. Les travailleurs étaient censés mettre leur fiche sur le tableau, en entrant dans la mine, afin qu'on sache qui y était. Le matin de l'explosion, il a fallu appeler chacune des familles et demander: votre mari travaillait-il hier soir? C'est ainsi que la plupart des familles ont appris la nouvelle.
Il y avait des inspecteurs à la mine. Je ne sais pas quel était leur horaire, mais ils entraient et sortaient. On a rapporté que la poussière de charbon était si épaisse qu'elle allait au-dessus des bottes. Les travailleurs collaient leurs bas de pantalon aux bottes, afin que la poussière de charbon n'y entre pas. La poussière de charbon et le méthane, c'est dangereux, dans une mine de charbon. Tout le monde sait ça, dans une mine de charbon. Il faut nettoyer la poussière de charbon et utiliser un système de ventilation pour sortir le méthane, si l'on veut travailler. On ne faisait ni l'un ni l'autre. Je crois qu'ils n'avaient même pas de poussière de roche sur les lieux. Je crois qu'on s'y servait de poudre de chaux ou de quelque chose d'autre, pour couvrir la poussière de charbon, afin qu'en cas d'explosion, elle ne lèverait pas pour alimenter l'explosion. C'est une procédure de base, pour toute mine de charbon, mais on ne le faisait pas.
¿ (0955)
Le président: Merci, monsieur Martin.
Je donne maintenant la parole à madame Bev Desjarlais.
Mme Bev Desjarlais (Churchill, NPD): Merci, monsieur le président. Je vous remercie pour ce que vous avez dit en début de séance. Il est clair que cette question est pour moi une passion, pour diverses raisons, mais surtout à cause de la tragédie de la mine Westray.
J'ai vécu presque toute ma vie adulte dans une communauté minière. Avec le temps, j'ai vu les résultats de nombreux accidents. Un accident, c'est un accident et je crois que dans l'ensemble, il faut reconnaître que nous en tirons des leçons et que nous pouvons apporter des changements pour éviter que des accidents se reproduisent. Après avoir entendu parler de l'explosion de Westray, et certainement après avoir lu le rapport du juge Richard, nous comprenons qu'il ne s'agissait pas d'un accident. Pour la gouverne de mon collègue du Bloc, s'il y a une lecture obligatoire pour le comité, c'est celle du rapport sur Westray. Je ne pense pas qu'on puisse comprendre sans cela à quel point tous les éléments de notre système ont laissé tombé les travailleurs.
Mais nous devons traiter de ce dont nous sommes saisis aujourd'hui. Je prends bonne note de ce qu'a dit le président: nous n'examinons pas le projet de loi C-284, mais nous nous penchons sur le fait qu'il n'y a pas au Canada des lois qui tiennent responsables ceux qui doivent l'être. Personnellement, je crois qu'il ne s'agissait même pas de responsabilité indirecte. Les choses allaient si mal à Westray qu'on ne saurait imaginer que les directeurs et les propriétaires n'étaient pas au courant de ce qui se passait.
Avec le temps, dans les cas de harcèlement sexuel, nous en sommes venus à reconnaître que pour régler ce genre de problème, si les lieux de travail en font fi, il incombe aux directeurs, aux propriétaires et aux administrateurs de s'assurer qu'une politique adéquate est mise en oeuvre. Autrement, c'est à eux d'en subir les conséquences. Le gouvernement du Canada, je crois, s'est rendu compte qu'en cas de faillite d'une entreprise, ou quelque chose comme ça, pour obtenir les déductions relatives aux employés, il fallait faire un effort pour que les administrateurs et les propriétaires soient tenus responsables du paiement de ces sommes. Il faut changer les mentalités et les attitudes au sujet de l'application de nos lois, pour que dans ce genre de situation, les directeurs, les propriétaires et les administrateurs soient tenus responsables.
Je fais ces commentaires parce que je ne pense pas pouvoir vous poser beaucoup de questions, aujourd'hui.
Si les entreprises de divers secteurs s'opposent absolument à un projet de loi comme celui-ci, comme je le disais la semaine passée, je crois que ces protestations sont exagérées. Que craignent-elles? Il faut être négligent d'une manière scandaleuse pour tomber dans cette catégorie où l'on ne peut même plus se montrer en public. C'est de cela qu'on parle. Il ne s'agit pas d'entreprises ou de personnes honnêtes et responsables, comme le sont, je crois, la majorité des entreprises et sociétés du pays. Je ne m'attends pas à ce que toutes soient l'objet de poursuites en vertu de cette loi. Mais ceux auxquels elle s'appliquera sont à mon avis des criminels et doivent être tenus responsables. La plupart des Canadiens sont des citoyens honnêtes et respectables qui ne seront jamais accusés d'un crime, et c'est la même chose pour la plupart des entreprises. Mais les autres doivent vraiment payer pour la vie de ceux auxquels elles ont causé des torts.
À (1000)
Monsieur le président, il y a de nombreux incidents qui se sont produits et qui nous font douter de la responsabilité des dirigeants et de la façon dont nous nous en occupons. Il y a eu, en Colombie-Britannique, je crois un problème d'exposition au thallium. J'ai un communiqué de presse selon lequel l'entreprise alléguait qu'il y avait eu une erreur humaine qui avait fait en sorte qu'on n'avait pas prévenu les travailleurs de cette exposition au métal toxique. C'était en août 2001. Un rapport récent a révélé que l'entreprise était au courant depuis le début, qu'elle savait que les concentrations augmentaient, mais qu'elle n'avait rien fait. De nombreux travailleurs ont été exposés à ce produit toxique et leur employeur le savait. Il y a longtemps, ce genre d'attitude n'aurait étonné personne, mais pas en 2002. Ce n'est pas acceptable. Si nous voulons faire quelque chose, comme députés, il faut envisager un processus législatif qui tiendra responsables ces sociétés et leurs dirigeants.
Sans aucun doute, à Westray, de nombreuses fautes ont été commises, mais nous sommes directement responsables de l'une d'elles, en tant que députés, de nous assurer que des lois existent permettant de porter des accusations contre les directeurs, les sociétés et leurs administrateurs, quand ils sont responsables.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci, madame Desjarlais.
Voulez-vous répondre, monsieur Martin?
M. Allen Martin: Je vous remercie d'avoir déposé ce projet de loi. Vous avez raison, tous ceux qui sont dans votre position devraient lire le rapport Westray. Les fautes sont si évidentes qu'elles sont plus que criminelles. Pour quelqu'un comme moi qu'on a élevé dans la croyance que, si vous respectez les lois de Dieu et des hommes, vous n'avez rien à craindre, c'est toute une déception. Vers qui peut-on se tourner? Si vous ne faites rien, à qui pourrons-nous nous adresser?
Le président: Merci, monsieur Martin.
Je cède la parole à monsieur MacKay.
M. Peter MacKay (Pictou--Antigonish--Guysborough, PC): Merci, monsieur le président.
Je vous remercie, monsieur Martin, d'être venu. Je sais que c'est très difficile pour vous. Vous avez été touché personnellement, c'est votre collectivité qui a été touchée. J'habite aussi à cet endroit et je sais quelle incidence directe cet événement a eu sur les familles, mais aussi sur toute la collectivité, et ce, pendant des semaines, des mois et même des années après. Ce qui s'est passé à la mine Westray nous donne des frissons. Les circonstances qui ont mené à l'explosion dans cette mine à Plymouth s'apparentent à un complot, mais ce qui s'est produit par la suite n'a fait qu'ajouter à l'amertume et au trouble qu'ont connus les familles des victimes, surtout en ce qui concerne la poursuite et ceux qui ont été cités à comparaître devant la commission d'enquête et ceux qui ont accepté volontairement de témoigner. On aurait pu en apprendre davantage pendant cette enquête. Malheureusement, notre comité ne pourra entendre le juge Richard, mais nous avons son rapport que tous les membres du comité recevront, j'espère, à votre demande et celle de Mme Desjarlais.
J'aimerais que vous nous parliez de ce que vous avez vécu pendant la poursuite. Nous aimerions tous faire revivre votre frère, les 26 hommes morts dans cette mine, mais cela n'est pas possible; toutefois, nous pouvons nous assurer, comme vous l'avez souligné dans vos remarques liminaires, que les lacunes de la loi ne permettent plus aux personnes physiques ou morales de se soustraire à leurs responsabilités et à la justice. Pourriez-vous nous parler un peu de ce que vous avez vu pendant le procès, de votre point de vue de parent d'une victime, de la façon dont vous avez été traité et de votre participation à la poursuite intentée à Pictou?
À (1005)
M. Allen Martin: Nous avons participé à toutes les étapes de la poursuite. Nous avons été consultés, on a sollicité nos vues. On nous a informés de ce qui allait se produire, de ce qui pouvait se produire, de ce genre de choses.
Quant au procès comme tel, je n'en ai pas cru mes oreilles; on s'attardait aux moindres petits détails sans importance: ce document est-il un original ou une photocopie? Tout cela est peut-être d'une pertinence juridique, c'est probablement le cas, mais pour moi, qui étais une victime d'une certaine façon, cela n'avait aucune incidence sur le résultat.
Lorsque la Couronne a abandonné la poursuite, lorsqu'elle a décidé de ne pas tenir un nouveau procès, on a invoqué les preuves contradictoires quant à l'endroit où l'explosion avait trouvé son origine. Quelle différence cela peut-il bien faire? On a permis que l'explosion se produise. Dès 1990 et probablement avant et jusqu'en 1992, on a mis en place toutes les conditions propices à cette explosion. Les politiciens ont choisi de ne pas suivre les conseils des bureaucrates, des sous-ministres. Ils ont accordé des concessions minières. Ils ont contourné les lois. Ils ont permis les violations de la Coal Mines Regulation Act. Le plan minier que l'entreprise était tenue de présenter n'a jamais été suivi. On a fait fi de tous ces aspects. Et quand est venu le moment de porter des accusations ou non, tout a dépendu de l'endroit où l'explosion avait trouvé son origine. Qu'est-ce que cela a à voir avec la loi?
Y a-t-il autre chose que vous vouliez savoir précisément?
M. Peter MacKay: Non, je voulais seulement que figure au compte rendu votre perception de ce qui s'était produit au procès. D'après mes souvenirs--et je ne témoigne pas--les procureurs de la Couronne ont eu beaucoup de difficulté à prouver l'intention, et c'est probablement à cet égard qu'on a soulevé la question de l'endroit où s'était produit l'explosion, mais on fait face à un autre obstacle de taille, soit le manque de ressources. Au départ, ce dossier avait été confié à deux procureurs qui ont reçu très peu d'aide, qui n'ont pas été en mesure de bien se préparer pour ce qui s'est avéré une affaire considérable et extrêmement complexe.
M. Allen Martin: C'est ce qu'on m'a dit aussi. Je crois aussi savoir que ces procureurs ont abandonné l'affaire parce qu'on ne leur avait pas donné les ressources nécessaires. Toutefois, il me semble que les ressources étaient suffisantes au moment du procès. J'ignore si elles l'étaient véritablement ou non, mais c'est ce qui m'a semblé.
On a souvent dit que cette cause s'était effondrée sous son propre poids. Il y a littéralement des tonnes de documents sur Westray. Certains ont dit que le procès était impossible, parce qu'il aurait été impossible de passer en revue tous ces documents pour ensuite en tirer une conclusion. Mais quelqu'un comme moi ne peut comprendre cela. Il suffit de lire le rapport de la commission d'enquête. Tout le monde sait ce qui s'est produit, tout le monde sait qui était responsable. Il est inimaginable que personne ne soit tenu responsable.
À (1010)
M. Peter MacKay: Monsieur Martin, vous êtes un profane, mais vous avez assisté à tout le procès et à tous les travaux de la commission d'enquête. À votre avis, devrions-nous tenter de simplifier la loi de façon à permettre l'attribution plus directe de la responsabilité aux personnes morales et physiques comme celles qui ont permis qu'existent les circonstances qui ont entraîné le décès de votre frère?
M. Allen Martin: Absolument. J'ignore si c'est ce que font les avocats, mais ils ont tendance à compliquer les choses. On a commencé le procès, on a suspendu les délibérations, puis on a ordonné la reprise du procès. Le procès n'a finalement jamais repris, mais il y a eu l'enquête de la commission Richard. Après quelques mois de témoignages, cette commission a fait la lumière sur tous les faits. Pourquoi cela n'aurait-il pas été possible au procès? L'enquête de la commission a été plus simple. Je sais que son mandat était différent, je sais aussi que la procédure est différente, mais la façon la plus simple de procéder a permis de mettre au jour tous les faits, ce que n'a pas permis de faire la méthode plus compliquée.
Le président: Merci.
Monsieur Macklin.
M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.): Merci.
Merci beaucoup, monsieur Martin. Votre témoignage souligne à quel point la situation était catastrophique. À certains égards, il est difficile pour nous de nous mettre à votre place, car vous avez vécu cette tragédie, vous avez été témoin de ce qui a mené à la tragédie.
On nous demande d'examiner toute cette affaire du point de vue de la responsabilité criminelle des personnes morales. Je veux m'assurer de bien comprendre ce qui s'est passé. Si je ne m'abuse, c'est normalement la province qui est responsable de la santé et de la sécurité dans les mines. Pourriez-vous me dire, si vous le savez, quelles ont été les lacunes du système provincial? A-t-on pris des mesures correctives pour que le régime provincial garantisse des lieux de travail sûrs? Je sais qu'il y a de moins en moins d'exploitation minière, mais la province a-t-elle pris des mesures pour assurer la sécurité dans les mines? Y a-t-il des questions sur lesquelles nous devrions nous pencher qui relèvent peut-être des provinces?
M. Allen Martin: Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il faut aussi agir à ce niveau. Ainsi que je l'ai dit plus tôt, il incombait au ministère des Ressources naturelles de préparer le plan d'exploitation minière, de le présenter à la province, de le faire approuver et de le vérifier périodiquement. Ce plan a été vérifié, mais il n'a pas été mis en oeuvre et cela n'a pas porté à conséquence. Les inspecteurs du ministère provincial du Travail sont allés régulièrement dans la mine. Ils ont rédigé des rapports demandant que soit enlevée la poussière de charbon, exigeant que les machines se trouvant dans la mine soient dotées d'un pare-étincelles, etc. Ces rapports ont été rédigés, mais on n'y a pas donné suite.
Il n'a pas été prouvé pendant l'enquête ou le procès qu'il y avait eu ingérence politique, mais il y en a manifestement eu. Ce qui s'est produit n'aurait pu se produire sans l'intervention des politiciens. Cela aurait été impossible. Il y a des freins et des contrepoids, des lois qui régissent les mines de charbon et la santé et la sécurité au travail. Si les lois en place à l'époque avaient été respectées, il n'y aurait jamais eu d'explosion. Si les employés de la mine avaient été syndiqués, il n'y aurait jamais eu d'explosion, parce que les employés n'auraient pu faire l'objet d'intimidation.
Certains mineurs ont révélé publiquement ce qu'ils savaient sur Westray. Un en particulier, Carl Guptill, a raconté à un inspecteur tout ce qu'il savait. Celui-ci a répondu à Carl que c'était précisément ce qu'il attendait, quelqu'un qui était prêt à parler et qu'on pourrait enfin faire quelque chose. Carl est rentré au travail pour apprendre qu'il était congédié. L'inspecteur de la mine a dit au gestionnaire qu'on l'avait dénoncé et Carl a été congédié. C'est là le genre de choses qui se produisaient à Westray.
À (1015)
M. Paul Harold Macklin: Justement, a-t-on fait quoi que ce soit pour protéger ceux qui voulaient dénoncer les irrégularités, qui voulaient donner les faits tels qu'ils sont?
M. Allen Martin: Je crois savoir que la nouvelle loi provinciale sur la santé et la sécurité au travail accorde une certaine protection aux dénonciateurs, mais, en réalité, elle est facile à contourner. Si vous dénoncez votre employeur cette semaine, vous ne serez pas congédié tout de suite, mais dans six ou huit mois.
M. Paul Harold Macklin: En vous écoutant, et après avoir entendu les autres témoignages, j'ai l'impression qu'il y a beaucoup de mesures législatives qui peuvent être invoquées, qu'une grande protection existe, et que ce ne sont pas les lois comme telles mais plutôt leur application qui fait défaut, n'est-ce pas?
M. Allen Martin: En effet, mais il faut comprendre que ces lois existaient déjà alors et qu'elles n'étaient pas suffisantes. Il en faut davantage au niveau fédéral.
M. Paul Harold Macklin: Nous pourrions adopter toutes les lois que nous voulons, en dernière analyse, à moins que quelqu'un ne soit prêt à faire ce qu'il faut pour les appliquer, cela ne changera rien. Vous avez dit que c'est peut-être en raison de l'ingérence politique que le système juridique n'avait pu protéger les employés. Est-ce ce que vous avez conclu?
M. Allen Martin: C'est mon impression, du moins, en partie, mais comment éviter l'ingérence politique?
M. Paul Harold Macklin: Ça fait partie des questions que nous examinerons dans le cadre de nos travaux, la question de savoir quelles sont les lacunes de notre régime actuel de responsabilité des personnes morales et la façon de l'améliorer. Nous faisons l'impossible, je crois, pour exclure l'aspect politique et en faire un système le plus autonome possible.
M. Allen Martin: Les gestionnaires et administrateurs de Westray s'en sont tirés à bon compte parce qu'ils savaient qu'ils pouvaient s'en tirer à bon compte. Les entreprises et les sociétés savent qu'elles peuvent contourner les lois et les règlements. C'est ça, le problème.
Le président: Merci, monsieur Martin.
Monsieur Toews, vous avez la parole.
M. Vic Toews: Nous venons d'aborder un sujet très important. Certaines des remarques de M. Macklin ont été informatives et très utiles. Pendant votre échange, je me suis dit que nos lois ne sont peut-être pas celles qu'il nous faut pour ce genre de situation. Le système de justice pénale a été conçu à une époque beaucoup plus simple où il n'avait pas à traiter d'enjeux aussi complexes. Notre société s'est complexifiée et cela entraîne des tensions au sein du système de justice et minent notre capacité de porter certaines accusations.
Pensons à l'évolution des tribunaux au Canada et dans le monde occidental en général; pourquoi avons-nous créé les commissions du travail, les commissions de la santé et de la sécurité au travail? Parce que les tribunaux et le système de justice ne répondaient pas à certains besoins. Nous avons donc dû mettre sur pied ces tribunaux administratifs qui traitent plus efficacement de problèmes juridiques et sociaux complexes. Peut-être qu'un autre tribunal devait être chargé de ce genre de causes. C'est une idée que je lance. Comme vous l'avez fait remarquer, une commission d'enquête, c'est bien différent. Elle n'a pas pour mandat de déterminer s'il y a eu intention criminelle ou responsabilité criminelle, alors que le système judiciaire, lui, doit tout de suite se pencher sur l'intention criminelle, question qui soulève toutes sortes d'autres questions liées à la Constitution, à la Charte et à la procédure. Si nous adoptons une procédure différente, toutefois, nous ne pouvons plus imposer de sanctions pénales.
Je vous donne un exemple. Il y a bien des années, lorsque j'étais procureur de la Couronne, je m'occupais aussi de cas d'aide à l'enfance. On confiait à de jeunes procureurs la responsabilité d'enlever des enfants à leurs parents, ce qui était étonnant. Plus on avait de l'expérience, plus on était appelé à s'occuper de dossiers financiers. Les êtres humains, eux, semblaient être moins importants. On confie souvent aux avocats les moins chevronnés le travail social le plus important, alors que les avocats d'expérience se voient confier les dossiers de nature financière et pécuniaire. De plus, j'ai toujours été étonné de constater comment il était facile, du point de vue juridique, d'enlever des enfants à leurs parents. C'est qu'à ces audiences, on exigeait du parent accusé de négligence qu'il explique dans son témoignage ce qu'il avait fait ou n'avait pas fait. Dans certains cas, c'était injuste, s'il s'agissait d'une personne peu instruite, souvent une femme, qui avait des problèmes d'alcool. C'était injuste, mais c'est ainsi que le système fonctionnait. Vous pouvez facilement enlever des enfants à leurs parents, mais vous ne pouvez aussi facilement attribuer des crimes à cette femme en raison de toutes sortes de mesures de protection au criminel.
Dans le cas de Westray, il y a eu enquête par une commission, procédure beaucoup plus simple: les cadres sont cités à comparaître, ils témoignent et n'ont pas le droit d'invoquer la possibilité d'auto-incrimination. Cependant, ces preuves ne peuvent servir à une procédure pénale. Devant un tribunal pénal, vous devez faire la preuve de chacun des éléments complexes du dossier. Où l'incendie a-t-il commencé? Quelle était la cause de l'incendie? Dans quel ordre les événements se sont-ils déroulés? Ce serait beaucoup plus simple si on demandait à ceux qui connaissent les faits de les expliquer au tribunal, mais cela va à l'encontre des règles de notre système de justice pénale.
Si nous créons un régime différent dans notre cadre constitutionnel, nous ne serons pas en mesure d'imposer des sanctions pénales. Voilà le problème. Je crois que nous comprenons tous les difficultés que vous avez connues et nous sympathisons avec vous. Certaines de vos remarques ont été très instructives pour moi. Elle m'ont rappelé certaines de mes expériences et des préoccupations que j'avais eues dans d'autres situations.
Peut-être avez-vous des remarques à faire. Suis-je totalement à côté de la plaque?
À (1020)
M. Allen Martin: Je ne saurais vous dire. Pour ma part, je sais que si j'avais pris une arme à feu pour tirer sur l'un des gestionnaires de la mine, on n'aurait eu aucun mal à m'envoyer en prison.
À (1025)
M. Vic Toews: C'est parce que...
Le président: Monsieur Toews, votre intérêt est louable, mais votre temps est écoulé.
Madame Desjarlais, à vous la parole.
Mme Bev Desjarlais: Pour revenir à l'intention criminelle, d'après vos remarques et celles des autres parents de victimes, il semble que, en l'occurrence, un crime a été commis. Avez-vous travaillé dans la mine vous-même?
M. Allen Martin: Non, mais Glenn était de la quatrième génération de mineurs dans ma famille.
Mme Bev Desjarlais: Est-ce que vous parliez de ce qui se passait à la mine quand les hommes rentraient du travail? Est-ce qu'ils exprimaient des inquiétudes quant à ce qui se passait dans la mine?
M. Allen Martin: Oui, et c'est intéressant. Mon frère n'avait jamais travaillé dans une mine avant de travailler à Westray. Il avait 35 ans. Mon père, lui, n'avait pas travaillé dans une mine depuis 20 ans. Lorsque Glenn a commencé à travailler à Westray, il ne savait pas précisément ce à quoi ça ressemblerait. Bien sûr, il a vite appris. Quand des pierres vous tombent sur la tête et que la poussière de charbon s'accumule sous vos pieds, vous savez que quelque chose ne va pas. Il en a parlé à mon père. Mon père voulait aller voir et en a parlé à un des responsables de la mine. Celui-ci lui a dit qu'il n'y avait pas de problème, mais quand il a appris que mon père était un mineur, il a refusé de le laisser entrer dans la mine. Il ne voulait pas que mon père voit de ses propres yeux ce qui se passait dans la mine.
Mme Bev Desjarlais: Pour revenir aux remarques de M. Toews sur l'intention criminelle, c'est ça qui fait hésiter certains députés. En fait, c'est un peu une échappatoire pour certains députés et certaines entreprises qui veulent éviter la responsabilité criminelle. Ces gens prétendent que s'ils n'ont pas commis tel ou tel geste, ils n'ont pas commis de crime. Voilà pourquoi, je crois, même dans les cas de meurtre ou d'homicide, il y a divers degrés d'intention criminelle. Mais si des accusations sont portées au criminel, la poursuite peut se faire au niveau fédéral, parce qu'il s'agit d'infractions au Code criminel.
Nous avons un système, si compliqué soit-il. Pas plus tard que la semaine dernière, ce système a reconnu la responsabilité criminelle d'une mère qui avait battu et torturé son enfant, en Ontario. On a déterminé qu'elle avait intention criminelle,mais pas suffisamment pour l'accuser de meurtre. On l'a accusée à un autre niveau, elle a été reconnue coupable et emprisonnée. De même, le chef des Hells Angels n'avait pas mis le doigt sur la gâchette, mais il a été reconnu responsable en raison de son intention criminelle.
Il est dans l'intérêt des familles des victimes de Westray et de tous les travailleurs du pays que nous trouvions une façon d'éliminer cette échappatoire et de reconnaître coupables ceux qui le sont véritablement. Nous ne devrions pas permettre que ces criminels s'en tirent à si bon compte.
Merci.
Le président: Merci.
Monsieur MacKay fera la dernière intervention.
M. Peter MacKay: Monsieur Martin, j'espère qu'en partant d'ici, vous aurez au moins l'impression d'avoir fait quelque chose en parlant au nom des familles, au nom de votre frère. Nous prenons très au sérieux la tâche qui nous est confiée. Vous avez reconnu, comme l'ont montré certaines questions, toute la complexité de l'affaire. Vous savez comme moi que dans le comté de Pictou, ce sont les circonstances économiques qui ont poussé beaucoup de gens à aller dans la mine. Avec le plus grand respect, j'oserais dire que si une mine ouvrait demain, les gens feraient la queue jusque de l'autre côté du pont pour y décrocher un emploi. C'est une réalité dont nous devons aussi tenir compte, soit ces forces extérieures qui entrent en jeu et contribuent parfois à ces catastrophes. Mais votre témoignage nous rappelle avec beaucoup de gravité que pour chacune de nos actions ou réactions, pour tout ce que nous faisons ou décidons, nous devons reconnaître notre responsabilité.
En examinant le Code criminel et en revenant sur le procès, on constate qu'il y avait dans bien des cas tant des actes d'omission que de commission. L'explosion a résulté de ce que les gens n'ont pas fait, de ce sur quoi on a fermé les yeux, du fait qu'on ne s'est pas servi de l'information et des connaissances qu'on avait pour l'éviter. Dans un sens strictement juridique, il est parfois très difficile d'en faire le libellé d'une loi. Mais avec les renseignements dont nous disposons, avec le rapport du juge Richard, je pense que la clé, c'est d'essayer de simplifier les choses et de rédiger une loi qui donnera un message clair. Votre témoignage, très émouvant, nous rappelle que la loi doit être là comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête de ceux qui font preuve d'une insouciance délibérée ou qui refusent d'agir quand c'est pourtant leur responsabilité de le faire.
Encore une fois, monsieur Martin, nous apprécions beaucoup votre présence ici. Bon voyage de retour.
À (1030)
M. Allen Martin: Je vous remercie beaucoup pour cette occasion de témoigner. J'espère que cela aura un effet.
Le président: Monsieur Martin, merci pour votre courage et votre détermination. Je crois pouvoir dire au nom de tous les membres du comité que ce témoignage aura un effet sur nos délibérations. Je me souviens encore très bien de la longue conversation que nous avons eue il y a quelques années, à Halifax, sur le même sujet. Il est clair qu'on ne vous oublie pas facilement.
M. Allen Martin: Merci beaucoup.
Le président: Merci.
Nous laissons maintenant partir notre témoin. Nous allons passer à l'examen de la motion de M. MacKay. Je vais suspendre la séance quelques instants, pour laisser au témoin le temps de partir.
À (1032)
À (1034)
Le président: Nous reprenons nos travaux et je vais donner la parole à Peter MacKay.
M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président.
Certains membres du comité se souviendront des raisons de cette motion. Elle se rapporte essentiellement à la victime, un dénommé Jeff Hearn, qui a été battu presque à mort chez lui, par un certain Brian Riches, mis en liberté d'office. Par suite d'une décision prise par le Service correctionnel, ainsi que la Commission des libérations conditionnelles, cet homme était libre. On ne peut pas dire que sa libération n'était pas justifiée, mais ce que je trouve préoccupant, ce sont les faits qui auraient dû faire révoquer sa libération conditionnelle. Il n'a pas présenté de carte d'identité à la police, quand on la lui a demandée, et il était tenu de le faire. Il s'est présenté à la police sous un faux nom. Malgré l'interdiction de consommer des drogues dans la communauté, ses tests ont été positifs. Il a utilisé à mauvais escient un prêt étudiant. Il n'a pas dit à son agent de libération conditionnelle pourquoi il avait quitté l'école, enfreignant ainsi l'une de ses conditions de libération. Il a obtenu des prestations d'aide sociale pendant cette période, en usant de faux renseignements. Il s'est esquivé et il est resté en fuite une assez longue période, malgré les conditions de libération, et ne s'est pas présenté aux rendez-vous avec son agent de libération conditionnelle.
Ce qui me trouble, c'est qu'après tout ça, M. Hearn a été battu à coups de marteau, et qu'il en est presque mort. Il a été frappé des dizaines de fois avec l'extrémité arrache-clous du marteau, a subi une fracture du crâne, de nombreuses lacérations du visage et du cuir chevelu, des lésions au muscle de la mâchoire et a eu un oeil exorbité. En essayant d'arrêter les coups, il s'est fait déchirer et casser les bras, et son annulaire a été réduit en bouillie. Il a aussi subi des lésions internes et a perdu quatre chopines de sang. Pour fermer ses blessures, il a fallu plus d'une centaine d'agrafes. Il souffre toujours de douleurs chroniques aux doigts, aux mains, au dos et à la tête. Il a trois plaques dans l'un de ses bras, trois vis et deux fils pour garder son globe oculaire à sa place. Sa vision est affaiblie pour toujours. Il a des absences et des crises émotionnelles. Lui et sa femme Crystal vivent de l'aide sociale, dans la pauvreté; il a reçu 8 000 $ en indemnisation pour ses blessures.
Chers collègues membres du comité, bon nombre de questions sont restées sans réponse. Pourquoi n'y a -t-il pas eu d'évaluation dans la communauté avant la libération de ce contrevenant? Il ne semble pas y avoir de politique claire en matière d'évaluation et de suivi dans la communauté. Il n'y a eu qu'une rencontre, en octobre, alors qu'il aurait dû y en avoir au moins deux ou trois. Il n'y a jamais eu d'enquête approfondie sur les circonstances de cette affaire, sur les raisons de la libération de Brian Riches, sur les nombreuses violations de conditions qui n'ont pas fait révoquer la libération, non seulement dans l'intérêt de cet individu, mais dans celui du système et de son intégrité.
À (1035)
Nous savons que de nombreux cas de ce genre font actuellement l'objet de poursuites au civil contre le Service correctionnel et la Commission des libérations conditionnelles. Je n'ai pas les chiffres sous la main, mais elles sont nombreuses, et les réclamations se comptent en millions de dollars. Ce n'est pas pour vous choquer ni pour vous présenter l'horreur crûment, mais j'aimerais que les membres du comité jettent un coup d'oeil aux photos des blessures subies par cet homme. Tout ce que je demande aux membres du comité, c'est que nous recevions la commissaire du Service correctionnel, de même que le responsable de la Commission des libérations conditionnelles, pour qu'ils répondent à des questions précises au sujet de cette affaire. Ce qui est plus important encore, c'est de savoir comment on peut obtenir des garanties et nous servir de ce dossier pour resserrer et améliorer les freins et contrepoids qui devraient faire partie de notre régime de libération conditionnelle et de Service correctionnel, pour veiller à ce que ce genre de chose ne se reproduise pas. Une procédure existe pour examiner des circonstances de ce genre, mais on ne s'en est pas servi. Ce dossier n'a pas été examiné. Une étude de dossier a produit un rapport de deux pages dont la victime, M. Hearn, n'a pas été informé et qui ne lui a pas été remise. M. Hearn s'est senti profondément trahi par le système. Il est clair qu'il a droit à des réponses. C'est la raison pour laquelle je propose cette motion, en demandant au comité, même si son temps est précieux, de consacrer une journée à la comparution de la commissaire du Service correctionnel, pour qu'on fasse un examen approfondi de cette situation.
À (1040)
Le président: Merci, monsieur MacKay.
Monsieur Lee.
M. Derek Lee (Scarborough--Rouge River, Lib.): Chers collègues, j'ai environ trois choses à dire. Je ne suis pas de façon générale en faveur de la motion, malgré toute la sympathie que j'ai, comme vous tous, pour les victimes d'actes criminels partout dans notre société, et certainement pour les victimes de contrevenants qui sont passés par le Service correctionnel. Mais je pense que nous avons notre propre travail à faire, ici. M. MacKay a commencé par dire que le contrevenant était libéré d'office. Dans sa motion, je vois qu'il était en libération conditionnelle. Je ne sais plus. Je ne sais pas si c'est l'un ou l'autre. Au bout du compte, ça ne change peut-être pas grand-chose.
Il y a environ cinq ans, le comité a fait une étude extrêmement approfondie de la LSCMC, étude prévue après cinq ans d'une loi vieille de 10 ans. Avant que la nouvelle loi soit déposée, le comité avait fait une étude exhaustive de deux dossiers semblables, deux fugitifs en libérations diverses qui ont commis des meurtres. Au bout du compte, trois ou quatre personnes sont mortes, et il y avait eu deux évasions distinctes. Nous les avons étudiés de près et il nous a fallu environ deux ans pour terminer ce travail.
Si les membres du comité croient qu'il faut qu'on se penche là-dessus, il n'est peut-être pas nécessaire de réinventer la roue. S'il y a un rapport de deux pages, je ne vois pas pourquoi nous et M. MacKay ne pourrions y jeter un coup d'oeil. Ce rapport de deux pages peut peut-être expliquer l'évaluation faite par le Service correctionnel, et nous dire si des erreurs ont été commises. Nous ne pouvons nous porter garants de chaque détenu du Service correctionnel, 24 heures sur 24. Le système n'en est pas à ce degré de perfection. Je n'ai pas d'objection à ce qu'on demande au Service correctionnel de nous présenter ce rapport de deux pages. Si on fait cette demande, nous savons bien qu'il se trouvera dans le rapport deux ou trois types de renseignements qui ne peuvent être rendus publics. Plutôt que d'en discuter, je crois qu'on pourrait faire cette étude à huis clos et insister pour que le Service correctionnel nous présente le rapport dans ces conditions-là, en protégeant l'information comme il convient, sans rien nous cacher.
Je pourrais appuyer cette demande, mais pour l'instant, je ne peux appuyer la motion. Avec tout le respect qu'on doit à cette malheureuse victime et aux circonstances horribles dont M. MacKay a pris grand soin de nous faire part, il s'agit d'un cas, et pas nécessairement d'une tendance. Avant d'aller plus loin, je pense que nous pouvons faire un peu de travail de notre côté, en prenant connaissance du rapport déjà existant.
Le président: Monsieur Macklin, vous avez la parole, et ce sera ensuite à M. Toews.
M. Paul Harold Macklin: Je pense comme M. Lee. Récemment, lorsque la commissaire et le président ont comparu devant le comité au sujet des budgets, bon nombre de questions ont été posées. Je comprends la situation dont on parle et les traumatismes subis par la victime, mais je ne pense pas que le comité serait bien avisé de traiter des questions victime par victime, à moins qu'il ait l'intention de changer de méthode. Si nous croyons par contre qu'il y a un problème systémique, il faut alors prévoir des séances pour étudier la question dans son contexte large.
Mais dans ce cas-ci, malheureusement, il s'agirait d'un précédent pour le comité. Nous ne pouvons pas nous laisser distraire en écoutant le cas particulier de chaque victime, peu importe où elle se trouve dans le système. Je crois qu'on s'écarterait grandement de notre principal objectif, soit de traiter des questions du jour, plutôt que de cas particuliers. Je sais que cela peut sembler froid, mais notre travail a une portée large et ne doit pas traiter de cas particuliers. Si nous voulons davantage de renseignements, je suis enclin à adopter la suggestion de M. Lee, et de demander ces renseignements que nous pourrions étudier à huis clos. À moins qu'on découvre ainsi un problème systémique, je crois qu'il faudra en rester là.
À (1045)
Le président: Monsieur Toews, vous avez la parole.
M. Vic Toews: Merci, monsieur le président.
Bien sûr, chaque cas est un cas d'espèce et se pencher sur un cas particulier a parfois ses inconvénients, mais il faut comprendre qu'avant qu'un comité comme le nôtre ne s'intéresse à une question, il faut habituellement qu'il y ait eu un incident quelconque. Nous venons d'entendre le frère d'une des victimes de l'explosion dans la mine Westray. Nous ne nous sommes pas dit que, parce que c'était un cas particulier, il ne fallait pas en tenir compte ou entendre son témoignage. Chaque cas peut servir de tremplin vers une enquête plus vaste sur des systèmes, des procédures gouvernementales ou autre chose. Cela me semble être le cas en l'occurrence. Peu importe pour le comité de savoir s'il s'agissait d'une libération conditionnelle ou d'office. Qu'est-ce que cela peut bien faire? Ne soyons pas si tatillons; cela ne fait que jeter le discrédit sur notre comité. Cela m'importe peu et je ne crois pas que ce soit particulièrement pertinent. Ces libérations sont régies par des règles précises. Le témoin précédent, M. Martin, n'en croirait pas ses oreilles s'il apprenait que nous fondons notre décision sur ce genre de chose.
Je partage certaines des inquiétudes de M. Lee et M. Macklin, mais je ne crois pas que le rapport de deux pages soit suffisant. Si nous voulons vraiment savoir ce qui s'est passé, nous devrions commencer par examiner le dossier dans son intégralité, et non pas seulement un résumé de deux pages, examen que nous pourrions faire à huis clos. Si toutes les mesures de protection sont en place, nous pouvons passer le dossier en revue et voir alors s'il faudrait inviter à témoigner la commissaire du Service correctionnel. Par conséquent, pour l'instant, je suis d'accord pour que nous reportions à plus tard le témoignage de la commissaire et que nous étudiions d'abord le dossier à huis clos, sous réserve de toutes les restrictions nécessaires. Nous déciderons ensuite de l'étape suivante. Je comprends que la commissaire a un mandat très large, mais si le dossier indique que l'on n'a pas rempli ce mandat, nous devrons envisager de l'inviter à témoigner. Peut-être cette suggestion vous semblera-t-elle acceptable.
Le président: Peter, d'autres députés veulent intervenir. Je leur céderai d'abord la parole, puis, vous aurez le dernier mot.
Monsieur Cadman, à vous la parole.
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.
J'ai une autre inquiétude. M. MacKay a fait allusion à des violations des conditions de libération. Depuis quelques années, par le biais d'initiatives parlementaires notamment, on a tenté de faire des infractions aux conditions de la libération une infraction menant à l'arrestation. Pour diverses raisons, ces tentatives ont été vaines, surtout, si je ne m'abuse, parce qu'il ne s'agit pas d'ordonnance judiciaire. Pour ma part, j'aimerais que la commissaire et les représentants de la CNLC nous disent sur quels critères on se fonde pour ne pas révoquer la liberté conditionnelle.
Lorsque je constate qu'il y a eu des violations graves et que j'entends dire que des délinquants qui sont en liberté sous la condition de ne pas boire d'alcool ont été trouvés ivres dans un bar par la police mais que leur libération conditionnelle n'a pas été révoquée, je suis inquiet. Tout cela va bien au-delà de ce cas particulier, car il y a eu bien d'autres incidents semblables dans le passé. Par conséquent, nous devrions étudier la question. Si nous ne pouvons en faire une infraction menant à l'arrestation, pour quelque raison que ce soit, je veux que la CNLC nous dise si elle doit modifier sa politique sur la révocation de la libération conditionnelle. À mon sens, les infractions aux conditions de la libération équivalent à une gifle pour la société. On accepte de donner une autre chance au délinquant, mais il viole les conditions qui lui sont imposées sans pour autant que sa libération conditionnelle soit révoquée. Cela me préoccupe et c'est de cela dont il s'agit en l'occurrence.
À (1050)
Le président: Monsieur Lanctôt, vous avez la parole.
[Français]
M. Robert Lanctôt: Je vois aussi le problème du particulier dans la motion telle qu'elle est rédigée. Si le but est d'amorcer une discussion et de voir s'il y a des choses à modifier, je pense que ce serait plus acceptable pour le comité que de regarder un cas individuel.
Je comprends très bien pourquoi on présente ce cas: c'est pour initier quelque chose. C'est peut-être juste la façon dont la motion est rédigée qui pose problème. Comme M. Macklin et M. Lee, je trouve que cela devient un peu problématique si on doit chaque fois réviser un cas personnel, mais je comprends bien le fond de votre motion. Je serais d'accord qu'on étudie la situation pour voir si, de façon plus large, il y a des problèmes et comment on peut avoir laissé passer quelque chose de semblable ou une libération comme celle-là. Ils se sont basés sur des critères. Est-ce que ce sont ces critères qu'on doit regarder?
Il est évident qu'on devra examiner des cas comme celui de M. Hearn, mais faut-il commencer par l'étude d'un tel cas? C'est là que j'ai un problème.
[Traduction]
Le président: À vous la parole, Bev.
Mme Bev Desjarlais: Je crois qu'aucun comité ne doit nécessairement se pencher sur un cas particulier, mais cela permet toutefois de constater certains des problèmes inhérents à bon nombre de cas. Je suis d'accord avec M. Toews pour dire qu'il serait peut-être préférable de charger un comité de faire cet examen à huis clos afin de voir s'il s'agit ou non d'un problème systémique.
Je suis également au courant de plusieurs poursuites intentées contre divers ministères fédéraux par des gens qui ont été victimes d'agressions suite à une libération conditionnelle. Par simple prudence économique, il serait donc peut-être souhaitable de se pencher maintenant sur la question au lieu d'attendre que le problème ne s'aggrave.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur MacKay, vous avez reçu une foule de conseils.
M. Peter MacKay: Merci monsieur le président. J'y attache beaucoup d'importance.
Je ne cherche pas à limiter cet examen au seul cas de Brian Riches. C'est là un exemple qui devrait nous inciter à voir ce qui s'est passé exactement et les conclusions générales à en tirer.
Pour répondre à la question de M. Lee quant à savoir s'il s'agissait d'une libération d'office ou conditionnelle, d'après mes renseignements, c'était une libération d'office, mais je crois que ce n'est là qu'un détail. Cet individu n'a pas respecté les conditions de sa libération et aurait pu se faire arrêter si l'on avait mis en place des mécanismes adéquats qui auraient empêché M. Hearn de se faire agresser à coups de marteau dans sa propre maison.
En ce qui concerne les problèmes qui existent peut-être au niveau du système, la directive numéro 41 du commissaire, qui porte sur les rapports d'enquête sur les incidents, précise qu'en cas de décès ou de blessures graves, SCC est tenu de mener enquête. C'est ce qui se produit lorsqu'un incident survient dans une prison. Aucune directive semblable ne s'applique lorsqu'un détenu qui bénéficie d'une libération d'office ou conditionnelle commet une infraction. Par conséquent, il faut faire un rapport d'incident si l'infraction se produit dans une prison et si quelqu'un se fait tuer ou blesser, mais ce n'est pas nécessaire si cela arrive au sein de la collectivité. Cette situation me paraît ridicule.
Apparemment, c'est à la Commission des libérations conditionnelles et au Service correctionnel qu'il revient de décider de faire ou non un rapport complet. Dans ce cas, il y a eu un rapport de deux pages que la victime n'a jamais vu. On peut donc sérieusement se demander pourquoi les victimes ne sont pas protégées et n'ont pas automatiquement le droit de prendre connaissance du rapport. J'irais même plus loin en disant qu'elles devraient pouvoir rencontrer la Commission des libérations conditionnelles pour discuter du rapport lorsqu'il est terminé. Chaque fois qu'il y a un incident grave causant des blessures ou un décès, l'enquête devrait être obligatoire et la victime devrait être informée de ces conclusions, qu'elles soient publiques ou non. Ces rapports ne sont pas tous publiés, ce qui est normal, mais j'estime que la victime devrait au moins pouvoir connaître les conclusions de l'enquête.
Cet homme est l'une des nombreuses victimes qui doivent vivre avec les séquelles physiques et psychologiques d'une agression. Depuis cette horrible attaque en 1998, il ne sait toujours pas comment la justice a traité ce contrevenant à part les poursuites pénales qui ont suivi l'incident. Il n'a pas obtenu de réponse. Je veux seulement faire valoir que cela nous fournit l'occasion non seulement d'examiner ce qui s'est passé dans le cas de Brian Riches et pourquoi, mais encore comment nous pourrions améliorer un système qui, selon moi, ne protège pas les victimes.
À (1055)
Le président: Je vais mettre la motion aux voix. Vous l'avez sous les yeux, elle figure dans l'ordre du jour.
M. Alan Tonks (York-Sud—Weston, Lib.): J'invoque le Règlement, monsieur le président, car je n'ai pas entendu d'amendement.
Le président: Il n'y a pas d'amendement.
M. Peter MacKay: Je crois que M. Toews voulait proposer ce qu'on pourrait appeler un amendement amical.
M. Vic Toews: Je ne sais pas exactement comment je le décrirais, mais je propose de reporter la motion convoquant la commissaire et le président et de demander que le dossier soit examiné à huis clos, en appliquant les restrictions requises.
Le président: Pourriez-vous formuler cela sous la forme d'un amendement, monsieur Toews?
M. Vic Toews: Ce serait de différer la convocation des témoins et de demander la production immédiate du dossier concernant la libération conditionnelle ou d'office de M. Brian Riches.
M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Le dossier ou le rapport?
M. Vic Toews: La totalité du dossier.
M. John McKay: Vous allez plus loin que ce que vous aviez demandé. Vous vouliez obtenir le rapport, qui couvre deux pages. Je suppose que le dossier est beaucoup plus épais.
M. Vic Toews: Le rapport me paraît tout simplement insuffisant. Nous pourrions commencer par le rapport et passer ensuite au dossier, mais...
Le président: Pour compléter l'amendement, je crois qu'il faudrait faire comparaître des témoins. Vous parlez d'une comparution à huis clos. Qui voulez-vous faire témoigner, à huis clos, pour compléter votre amendement?
M. Vic Toews: Je peux comprendre que la majorité du comité ne veut probablement pas faire venir la commissaire. Il suffirait qu'un commis aux dossiers apporte les documents.
Le président: Je ne sais pas trop comment nous allons formuler l'amendement pour convoquer un commis aux dossiers.
M. Vic Toews: Nous demandons simplement la production du dossier afin que nous puissions l'examiner.
Le président: Par conséquent, nous reportons la motion sous sa forme actuelle et nous demandons la production du dossier dans le cadre d'un examen à huis clos.
M. John McKay: Est-ce le dossier de la commission des libérations conditionnelles ou le dossier sur l'incident?
M. Vic Toews: Je suis désavantagé, car je ne sais pas quelle est la grosseur du dossier. En fait, je suis à la recherche du dossier qui se rapporte à la libération conditionnelle ou d'office de M. Brian Riches et qui contient aussi sans doute ce rapport de deux pages, car je sais comment certains de ces dossiers sont constitués. Ils contiennent des documents d'information et un rapport final.
Le président: Très bien. C'est proposé comme un amendement amical. Est-ce suffisamment amical?
M. Peter MacKay: Je le trouverai suffisamment amical s'il nous permet d'examiner le rapport et de décider en toute connaissance de cause si nous devons en profiter pour faire comparaître la commissaire et le président de la commission des libérations conditionnelles. Comme je l'ai dit, cela va plus loin que ce cas-ci. S'il y a eu des manquements, s'il y a des leçons à tirer, telle était la raison d'être de ma motion. Si cet amendement va dans le même sens, c'est très bien.
Le président: Avant d'aller trop loin, je veux être certain que notre greffière a bien saisi le sens de l'amendement amical de M. Toews.
La parole est à monsieur Lee suivi de M. Cadman.
Á (1100)
M. Derek Lee: M. Cadman a une suggestion. Je me demande si cela ne pourrait pas nous aider.
Le président: Monsieur Cadman.
M. Chuck Cadman: J'allais seulement suggérer que nous obtenions tous les documents concernant la libération conditionnelle ou d'office de M. Riches ainsi que tout document que nous pouvons obtenir qui nous renseignerait sur ses infractions aux conditions de sa libération, raisons pour lesquelles on n'en a pas tenu compte et sa libération n'a pas été révoquée. C'est ce qui nous permettrait d'aller au fond des choses.
Le président: Monsieur Lee.
M. Derek Lee: Chers collègues, c'est bien beau de vouloir voir le dossier, mais ces dossiers ont plusieurs pouces d'épaisseur. Le contrevenant a un dossier au Service correctionnel, mais il en a peut-être un autre à la Commission nationale des libérations conditionnelles. Nous n'avons jamais encore demandé qu'on reproduise un dossier pour chacun de nous, simplement parce que ces dossiers sont très volumineux et contiennent des documents dont nous n'avons sans doute pas besoin. Je crois que nous devrions nous intéresser surtout au rapport établi par le Service correctionnel ou la Commission des libérations conditionnelles dont on a parlé tout à l'heure. Savons-nous où se trouve ce rapport? Qui l'a établi?
Le président: Peter.
M. Peter MacKay: Je vais vérifier les documents en ma possession.
M. Derek Lee: Le dossier d'un contrevenant risque d'être assez volumineux.
Nous allons tous décider comment voter sur cette question, mais je préférerais commencer par le rapport dont on a parlé. Un représentant de la Commission des libérations conditionnelles ou du Service correctionnel pourrait venir également ou nous pourrions permettre au président de négocier les conditions dans lesquelles ce dossier sera communiqué au comité pour les fins de notre examen. Si nous avons des questions supplémentaires à poser ensuite, nous pourrons sans doute faire une utilisation plus efficace de notre temps. C'est ma suggestion et j'aimerais qu'on puisse y donner suite.
Le président: Merci, monsieur Lee.
Monsieur McKay.
M. John McKay: J'ai une motion pour modifier l'amendement, monsieur le président, pour dire que le comité demande la production du rapport de l'incident et seulement pour une réunion à huis clos.
Le président: Monsieur Toews.
M. Vic Toews: Je crois pouvoir être d'accord, à la condition que nous reportions toute décision concernant la convocation de la commissaire ou du président.
Le président: Monsieur MacKay.
M. Peter MacKay: Quelle est la question? Nous allons faire déposer un rapport de deux pages et examiner ce rapport? C'est bien cela?
M. John McKay: Oui, mais votre motion est encore bien vivante, elle est seulement reportée.
M. Peter MacKay: Très bien. Nous allons obtenir le rapport de deux pages. Je crois qu'il peut être obtenu en vertu de la Loi sur l'accès à l'information et qu'il se trouve peut-être déjà entre les mains de la victime.
M. Derek Lee: Vous nous avez dit le contraire.
M. Peter MacKay: Excusez-moi?
M. Derek Lee: Vous nous avez dit que la victime n'avait pas pu voir ce rapport.
M. Peter MacKay: Je tiens à bien préciser que je n'ai jamais rencontré la victime. Si vous voulez couper les cheveux en quatre et chercher à créer un petit problème technique pour disqualifier ma motion, pourquoi ne le dites-vous pas franchement?
M. Derek Lee: J'essaie seulement de m'en tenir aux faits, monsieur MacKay.
Le président: Peter, je ne vois pas les choses ainsi. M. Lee mentionnait simplement ce qu'il a entendu et ce que je pense avoir entendu également non pas pour disqualifier quoi que ce soit, mais pour que les choses soient bien claires.
Nous allons sans doute mettre aux voix l'amendement de M. MacKay à l'amendement à la motion. J'ai l'impression qu'il pourrait être adopté. Si c'est le cas, cette motion restera sans doute valide. Je dois, de toute façon, entendre les amendements et je vais donc mettre aux voix la question sur l'amendement demandant la production du rapport à huis clos, ce qui n'enlève rien à la motion principale.
(L'amendement est adopté)
Le président: Les deux autres amendements sont donc inutiles et votre motion est toujours valide, Peter.
Nous allons maintenant passer à l'audition des témoins de la Corporate Responsibility Coalition et du Conseil du travail dl'Ottawa et du district. Je suspends la séance en attendant qu'ils s'installent à la table.
Á (1105)
Á (1108)
Le président: Nous reprenons les travaux de la 85e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Nous reprenons nos délibérations, conformément à l'ordre de renvoi du 19 février 2002, sur le sujet du projet de loi C-284.
Nous avons le plaisir d'accueillir M. David Miezenger. Veuillez nous faire votre exposé. Nous essayons généralement de nous en tenir à 10 minutes afin que les membres du comité aient tout le temps de vous poser des questions.
M. David Miezenger (représentant, Ottawa and District Labour Council): J'aurai sans doute besoin de moins de temps.
Je suis ici au nom du Conseil du travail d'Ottawa et du district, un regroupement de syndicats de la région qui fait partie du CTC. Je suis membre de la section locale 5297 des Métallurgistes unis d'Amérique, qui représente les agents de sécurité de l'est de l'Ontario. Je travaille, personnellement, dans un édifice du gouvernement fédéral.
Le rapport Westray comporte 74 recommandations. Je sais que les trois ou quatre autres fois où le projet de loi C-284 a été présenté à la Chambre, il ne représentait qu'une seule de ces 74 recommandations. Je sais que vous avez demandé à M. Martin et à d'autres combien de ces recommandations avaient été appliquées. Il est difficile de dire combien des recommandations du rapport Westray ont été suivies.
Dans la plupart des cas d'accidents ou de décès au travail, il y a enquête. À Ottawa, nous avons eu la fusillade à OC Transpo qui a donné lieu à une enquête du coroner suivie de recommandations. Nous voudrions que le gouvernement fédéral examine toutes les enquêtes et leurs recommandations pour voir combien d'entre elles ont été appliquées. Le but d'une enquête est d'établir les raisons d'un accident afin qu'il ne se reproduise pas. Une fois que des recommandations sont formulées, il faut vérifier dans quelle mesure elles ont été suivies et pourquoi elles ne l'ont pas été?
Je suis venu ici pour vous dire qu'il y a eu plus de 9 000 décès depuis la tragédie de Westray, ce qui est un chiffre effrayant, en plus de centaines de milliers, sans doute des millions de blessures.
Le projet de loi C-284 prévoit des sanctions contre les administrateurs et les gestionnaires. Si vous faites un excès de vitesse au volant de votre voiture, vous risquez une amende. Si vous voulez assurer la sécurité des milieux de travail, il faudrait que vous puissiez également imposer des sanctions. Si vous êtes coupable, vous devez payer. C'est aussi simple que cela.
Á (1110)
Le président: Merci beaucoup. Encore une fois, je ne cherche pas à vous limiter, mais plutôt à élargir la discussion. Il est bon de pouvoir se reporter au projet de loi, mais je ne veux pas donner l'impression que c'est le projet de loi que nous examinons.
Monsieur Conacher, vous êtes le bienvenu. Comme je l'ai expliqué au premier témoin, nous essayons de nous limiter à une dizaine de minutes, si possible.
M. Duff Conacher (président, Corporate Responsibility Coalition): Je remercie beaucoup le comité pour l'invitation et l'occasion de venir m'entretenir avec vous de cette question très importante qu'est la responsabilité des sociétés.
Je suis ici aujourd'hui à titre de coordonnateur de Démocratie en surveillance, un groupe de parrainage civique indépendant et impartial qui a son siège ici à Ottawa et qui s'intéresse surtout à des questions de réforme démocratique, de responsabilité gouvernementale et de responsabilité des sociétés. Je représente par ailleurs la Corporate Responsibility Coalition qui a été mise sur pied par Démocratie en surveillance. Il s'agit d'une coalition de 31 groupes de jeunes, de femmes, de travailleurs, de développement international, des droits de la personne, de l'environnement, de la réforme démocratique, de responsabilité des sociétés, des consommateurs et antipauvreté; 18 de ces groupes sont à l'échelle nationale tandis que 13 se trouvent dans 5 provinces. Cette coalition regroupe plus de 2 millions de Canadiens. Au cours des deux dernières années, la coalition s'est penchée activement sur la question de la responsabilité des sociétés tandis que Démocratie en surveillance s'occupe du dossier depuis les huit dernières années.
Je vais d'abord aborder la question de la modification de la norme de responsabilité criminelle des sociétés. La coalition a une proposition à cet égard, et j'aimerais tout simplement vous la lire, mais auparavant permettez-moi de dire essentiellement qu'elle correspond à l'approche de culture d'entreprise qui a été adoptée en Australie.
La proposition est la suivante: «les sociétés devraient être responsables de la conduite criminelle de leurs employés lorsque les administrateurs et les dirigeants n'exercent pas un bon contrôle sur leurs subordonnés et que, par conséquent, un de ces derniers commet un délit». Comme vous pouvez le constater, on adopte essentiellement l'approche de la culture d'entreprise. Par ailleurs, «les sociétés devraient être responsables lorsque les administrateurs et les dirigeants savent que leur subordonné s'apprête à commettre ou commet un délit dans le cadre de son travail ou ne tient pas compte sciemment d'informations qui indiquent clairement que l'employé s'apprête à commettre ou commet un tel délit dans le cadre de son travail».
Nous croyons que c'est l'approche qui aura le plus de succès pour changer la façon dont les sociétés fonctionnent afin de s'assurer que la prévention est vraiment l'objectif et qu'on ne met pas tout simplement l'accent sur la punition, la rétribution ou la réhabilitation après coup. Naturellement, on discute très en détail des dispositions exactes qui feraient partie d'une approche de culture d'entreprise en ce qui concerne la responsabilité criminelle des sociétés, comme on le fait en détail dans le document de travail qui a été préparé pour le comité par le ministère de la Justice. À ce moment-ci, nous ne faisons que présenter cette proposition et appuyer cette approche. Nous serions heureux de travailler avec le comité s'il avait des questions plus tard afin de formuler plus en détail une recommandation précise quant à la façon dont les propositions contenues dans le projet pourraient être modifiées avant que le gouvernement ne modifie ce changement à la norme de responsabilité criminelle des sociétés.
Mon message général aujourd'hui, c'est qu'il est très clair qu'un changement est nécessaire. Nous sommes par ailleurs d'avis que d'autres changements sont nécessaires, plus particulièrement en ce qui concerne l'application. Changer tout simplement la norme de responsabilité criminelle des sociétés ne donnera pas grand-chose si on n'augmente pas les ressources consacrées à la surveillance des crimes des sociétés, si les peines ne sont pas augmentées, c'est-à-dire si le risque de se faire prendre n'est pas accru et si la pénalité lorsqu'on se fait prendre n'est pas augmentée. Il existe un groupe de travail interministériel sur la responsabilité des sociétés, et nous croyons que ce changement au Code criminel doit s'accompagner d'autres changements. Nous proposons donc au comité d'examiner également ces autres changements, car le système d'application que vous mettrez également en place aura une incidence sur la règle que vous établirez.
Á (1115)
Par exemple, nous sommes d'avis qu'il faudrait accroître les exigences de divulgation pour les sociétés. Elles devraient être tenues de divulguer de l'information détaillée au sujet de l'observation de toutes les lois, et le gouvernement devrait créer une base de données facilement accessible sur Internet de façon à ce que le public puisse faire une recherche sur une société et consulter le dossier de la société en ce qui concerne l'observation de toute une gamme de lois. Il s'agit essentiellement d'une approche axée sur la persuasion et sur le marché pour assurer la responsabilité des sociétés, faire en sorte qu'il soit beaucoup plus facile pour les consommateurs et les Canadiens en général pour décider s'ils veulent traiter avec une société. À l'heure actuelle, il est très difficile de savoir si une société respecte la loi en général ou viole régulièrement la loi, car souvent ces violations ne sont signalées que dans les cahiers d'affaires des journaux, lorsqu'elles sont signalées.
Par ailleurs, en ce qui concerne l'application, nous croyons qu'il doit y avoir un système complet de protection de dénonciateur pour les employés qui signalent le non-respect d'une loi. Cela ne veut pas tout simplement dire qu'ils ont le droit de le faire, comme c'est le cas aux termes de quelques statuts limités au Canada, mais qu'ils ont un endroit où appeler qui les protégera de toutes représailles lorsqu'ils le font. Il ne suffit pas d'avoir tout simplement le droit de dénoncer, car les représailles peuvent être assez importantes et personne n'est là pour vous protéger. Vous êtes devant les tribunaux, vous avez perdu votre emploi, vous perdez toutes vos économies pour essayer de vous défendre. Il doit y avoir un système complet avec un bureau, de façon à ce que les employés puissent déposer des plaintes et être pleinement protégés, et même récompensés s'il s'avère que leur dénonciation a permis de prévenir des torts importants. En d'autres termes, il devrait y avoir davantage de mesures pour encourager plutôt que de dissuader la dénonciation. À l'heure actuelle, il y a de nombreuses mesures de dissuasion. Par hasard, un documentaire a été présenté récemment au sujet du désastre de Westray, et un des gestionnaires a déclaré lors des audiences que s'il n'avait pas signalé les problèmes, c'est qu'il craignait de perdre son emploi. Si on veut avoir un système qui prévient le crime des sociétés, il faut pleinement protéger les dénonciateurs. Cela fait partie de l'application.
Je proposerais également que le comité invite des témoins de la GRC à comparaître pour savoir quelles ressources la GRC consacre à la surveillance policière des crimes des sociétés. Quels sont à leur avis les risques pour une société de se faire prendre si elle commet un crime? C'est très important, encore une fois, lorsqu'on veut concevoir un système qui puisse fonctionner.
Une autre proposition de la Corporate Responsibility Coalition, c'est que le gouvernement n'accorde pas de contrat ni de subvention à une société qui viole les lois à répétition, ce qui, encore une fois, encouragerait les sociétés à respecter toutes les lois, notamment les lois criminelles, dans le cadre d'un système d'application générale qui encouragerait davantage les sociétés à agir de façon responsable qu'à agir de façon irresponsable. Le président Clinton l'a proposé, mais cela n'a pas été mis en vigueur avant qu'il quitte la présidence. Nous n'avons pas été surpris de constater que l'administration Bush n'a pas donné suite à la mise en place d'un tel système.
Par ailleurs, nous sommes d'avis qu'il faudrait créer des groupes de vigilance de citoyens pour divers secteurs d'entreprises, et nous avons un système très facile qui nous permettrait de créer ces groupes, c'est dire que le gouvernement exige tout simplement que les divers secteurs d'entreprises incluent un encart d'une page dans les envois postaux destinés à leurs clients. Par exemple, tous les mois les banques font parvenir les relevés bancaires et les factures de cartes de crédit à 20 millions de Canadiens. Si un dépliant d'une page était envoyé périodiquement avec ces envois, 20 millions de Canadiens le recevraient. Si le dépliant invitaient les consommateurs financiers canadiens à se joindre à un groupe de surveillance des banques, il est probable que l'on pourrait créer un groupe très important qui serait auto-suffisant, financé par les consommateurs, dirigé par ces derniers et en mesure de tenir les banques responsables. Encore une fois, cela contribuerait considérablement à faire en sorte que les banques respectent la Loi sur les banques et le Code criminel.
Donc, à notre avis, cette modification à la norme de responsabilité criminelle s'inscrit dans le contexte d'une gamme de mesures que nous devons tous mettre en oeuvre afin de créer davantage de mesures pour encourager les sociétés à agir de façon responsable que de mesures pour les encourager à agir de façon irresponsable. À l'heure actuelle, nous sommes d'avis qu'il y a beaucoup plus de mesures qui encouragent les sociétés à agir de façon irresponsable. Même s'il existe plusieurs lois en matière environnementale, en matière de main-d'oeuvre et de droits de la personne, si on examine sérieusement et de façon réaliste les risques de se faire prendre, multipliés par la pénalité, bon nombre de sociétés décident tout simplement de ne pas respecter la loi et de considérer la pénalité comme étant le coût pour faire des affaires. Une pénalité d'un million de dollars et une chance sur 1 000 de se faire prendre et équivaut à une pénalité de 1 000 $ et ce n'est pas très important pour les banques qui ont des recettes annuelles de 15 milliards de dollars.
Á (1120)
Nous vous remettrons la liste des groupes qui sont membres de Corporate Responsibility Coalition, une copie des 10 propositions que nous vous présentons et un rapport d'étude sur la question de la responsabilité des personnes morales qui a été rédigé en 1994 par Démocratie en surveillance. Ce document peut également être consulté sur notre site Web. Nous croyons également que le droit commun et le droit des sociétés devraient exiger des sociétés qu'elles tiennent compte des intérêts des intervenants lorsqu'elles prennent des décisions ou entreprennent des activités. Je vous remettrai d'ailleurs un document que Démocratie en surveillance a rédigé à ce sujet en 1997. Je signale également à votre attention le rapport final de la Commission de la démocratie et de la responsabilité des entreprises du Canada, qui a été publié à la fin de janvier et qui porte sur toute une gamme de propositions visant à responsabiliser les entreprises, ainsi que des modifications au droit pénal et à d'autres lois et régimes d'application des lois.
Merci beaucoup. Je suis prêt à répondre à vos questions.
Á (1125)
Le président: Merci à tous les deux.
Je vais maintenant donner la parole à monsieur Toews, qui dispose de sept minutes.
M. Vic Toews: Je remercie les deux témoins de leurs exposés.
Monsieur Miezenger, je trouve intéressante l'idée d'examiner les recommandations découlant d'enquêtes. Cela pourrait être très utile. Le problème, c'est que la plupart de ces enquêtes sont effectuées en application d'une loi provinciale. On peut donc se demander si nous avons le pouvoir d'imposer cette exigence à une province. C'est une mesure que nous pourrions certes envisager au niveau fédéral et il serait utile peut-être d'envisager ce recours également auprès des autorités provinciales; ainsi, la loi contiendrait une disposition indiquant que lorsqu'un juge ou un coroner fait des recommandations, les gens à qui on a demandé d'apporter certains changements doivent déposer un rapport dans un délai d'un an, par exemple, pour montrer qu'ils ont respecté les recommandations. S'ils ne sont pas en mesure de le faire, il faudra voir. C'est une idée que nous pourrions envisager au niveau fédéral, peut-être sous le régime du Code du travail ou d'autres lois, ainsi que dans le contexte des compétences provinciales.
Permettez-moi de passer rapidement aux propositions de M. Conacher. Il s'agit là aussi de relations provinciales-fédérales complexes et nous ne voulons pas empiéter sur un territoire qui n'est pas le nôtre. Il n'est d'aucune utilité pour les Canadiens que nous adoptions des lois que nous savons inefficaces. Nous examinerons toutefois vos recommandations en détail et je vous remercie de les avoir proposées.
Il est très important à mon avis d'encourager la dénonciation. Un peu plus tôt ce matin, on nous a dit que dans l'affaire Westray, certains avaient exprimé des craintes, qu'ils ne voulaient pas dénoncer les problèmes de crainte de perdre leur emploi. Il faudrait que la protection accordée en vaille la peine et qu'il ne s'agisse pas simplement d'éviter le renvoi des dénonciateurs pour les quelques semaines qui suivent.
Je ne suis pas d'accord avec certaines des observations que j'ai entendues et j'espère que nous obtiendrons des précisions, soit dans vos observations d'aujourd'hui, soit dans vos documents. Commençons par le premier point. Les syndicats participent aux décisions de la direction des entreprises; dans certains domaines, il y a cogestion. Si les syndicats sont au courant de manquements à la loi, devraient-ils être assujettis aux mêmes normes que vous proposez pour les sociétés? Les syndicats sont à bien des égards semblables à des entreprises; ils ont le même genre de problèmes qu'une entreprise peut avoir avec ses employés. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, car nous voulons garantir la sécurité dans nos milieux de travail. Le degré de responsabilité que vous souhaitez imposer aux entreprises devrait-il s'appliquer également à tous ceux qui sont en cause?
M. Duff Conacher: Nous préconisons l'approche de la culture organisationnelle. Si les syndicats participent à la structure de gestion et si on veut appliquer l'approche de la culture organisationnelle, il faut alors qu'il y ait des systèmes internes de formation, il faut voir à ce que tous reçoivent cette formation au lieu de simplement rédiger des brochures qui sont envoyées aux gens, qui ne sont jamais lues et qui finissent sur les tablettes. Si quelqu'un dans l'entreprise participe à ce régime de respect des lois et de prévention et qu'il manque à son devoir de rendre ce système applicable et efficace, alors cette personne devrait être tenue généralement responsable lorsqu'un incident se produit et qu'il y a infraction au Code criminel ou à toute autre loi.
Á (1130)
M. Vic Toews: Cela signifie donc que certaines des recommandations que vous faites au sujet de la responsabilité des personnes morales s'appliqueraient également aux syndicats, en ce qui a trait aux critères d'intention criminelle?
M. Duff Conacher: Oui. Lorsqu'on adopte l'approche de la culture organisationnelle, toute personne qui a pour fonction de prévenir les manquements à la loi doit être tenue responsable, selon qu'elle encourage le respect de la loi ou ferme les yeux sur les manquements.
Vous parlez de la répartition des pouvoirs entre le fédéral et les provinces, mais à mon avis, le meilleur endroit pour mettre en oeuvre bon nombre de ces mesures, c'est la Loi canadienne sur les sociétés par action. Pour les entreprises, c'est l'équivalent d'une loi fédérale sur la citoyenneté. Au lieu de procéder de façon hétéroclite, une mesure dans le Code du travail, une autre ici, une autre là, on pourra regrouper toutes ces mesures qui s'appliquent aux entreprises dans le domaine des rapports, de la communication de renseignements et de la protection des dénonciateurs. De cette façon, vous pourrez rejoindre 155 000 sociétés de régie fédérale.
M. Vic Toews: D'accord, mais il faudrait les reproduire également à l'échelle des provinces.
M. Duff Conacher: Oui, et vous constaterez qu'il y aura peut-être des différences. Par le passé, lorsque le fédéral ou l'Ontario modifiait leurs lois, les autres provinces avaient tendance à en faire autant. Il y a donc une certaine harmonisation et des règles semblables partout au pays.
M. Vic Toews: Merci.
Monsieur Miezenger, j'aimerais connaître votre opinion sur l'idée de M. Conacher, à savoir que les syndicats seraient tenus responsables de la même façon que les sociétés.
M. David Miezenger: C'est déjà le cas dans les comités mixtes de santé et sécurité au travail. Mais bon nombre de comités mixtes fonctionnent mal. Ils existent, mais ils sont inefficaces dans certains milieux de travail. Comment peut-on demander compte aux syndicats? C'est l'employeur qui a le contrôle. À moins que le ministère du Travail s'occupe de l'exécution des lois, comment peut-on appliquer aux membres de tels comités les mêmes normes qu'aux employeurs?
M. Vic Toews: Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Lantôt.
[Français]
M. Robert Lanctôt: C'est la question qui m'intéresse énormément. Je remercie M. Toews de l'avoir posée parce que je voulais aussi la poser. C'est évident qu'il faut regarder la responsabilité criminelle des personnes morales, mais il ne faut pas oublier que les syndicats font partie des personnes morales. Je suis un peu étonné de vous entendre dire qu'on doit appliquer cela à l'un et non pas à l'autre. Je pense qu'il faut faire des lois qui vont s'appliquer à toutes les personnes morales et faire attention à la façon dont on va rédiger ces lois et les mettre en application.
Je reprends les mêmes commentaires. La difficulté est la suivante. Il y a la Loi sur la santé et la sécurité du travail au Québec et des lois semblables dans les provinces. Il y a aussi plusieurs lois sur l'exploitation minière. Cela touche beaucoup le droit du travail, entre autres. Il peut y avoir aussi le Code canadien du travail. Il y a là plusieurs lois qui touchent plusieurs juridictions, plusieurs compétences.
Je ne pense pas qu'on puisse couper cela au couteau, comme M. Miezenger l'a fait dans la réponse qu'il vient de donner. On dit qu'il faut absolument que cela fasse partie de l'organisationnel. Si un syndicat est sur les lieux... Je pense qu'il est dangereux de penser que cela pourrait être coupé au couteau de cette façon et de mettre des dispositions qui pourraient certainement toucher vos syndicats.
J'aimerais entendre vos commentaires sur cela, monsieur Miezenger.
[Traduction]
M. David Miezenger: Le même régime devrait évidemment s'appliquer lorsque la direction et le syndicat sont sur le même pied et que le comité travaille convenablement pour régler les problèmes. Mais très peu de ces comités fonctionnent bien. Il faut informer leurs membres, et c'est un autre élément de l'équation. Il faut leur donner l'information et les pouvoirs dont ils ont besoin pour exercer les droits que leur confère la loi. L'employeur possède encore la balance du pouvoir, à moins que les divers ministères s'occupent de l'application de la loi. Les employés qui sont membres d'un comité essaient de résoudre collectivement un problème, mais lorsque le problème se situe à un échelon supérieur ou qu'ils ne peuvent résoudre le problème collectivement, ils doivent le communiquer à un ministère du Travail. Du point de vue des pouvoirs, les membres des comités ne sont pas tous sur un même pied.
Á (1135)
[Français]
M. Robert Lanctôt: Ça, c'est évident. J'espère que les inspecteurs et, indirectement, les gouvernements appuient ce que vous venez de dire. Supposons que les administrateurs ne respectent pas le syndicat et ne créent pas de comité mixte avec lui. Le syndicat est sur place et voit ces choses qui ne sont pas correctes et perdurent. Vous laissez aller vos membres au lieu de faire une grève ou d'exercer des pressions auprès des gouvernements ou auprès de votre entreprise. C'est ce que je veux dire.
Vous allez toujours avoir cette relation. Supposons que je suis un employé et que je suis sur les lieux. Je suis syndiqué et je demande à mon syndicat d'exercer des pressions. Tout le monde le veut et on exerce des pressions, mais les administrateurs de l'entreprise ne respectent pas ce que vous demandez. Que faites-vous à ce moment-là?
Si je me fais blesser, je vais peut-être avoir le réflexe de dire qu'en vertu des modifications qu'on a faites au sujet des personnes morales, vous êtes autant responsables que l'entreprise. Il faut faire ces dispositions pour que vous soyez conscients que, si vous vous lancez dans une démarche comme celle-là, le juge ne verra peut-être pas la situation de cette façon.
[Traduction]
M. David Miezenger: Je me suis peut-être mal exprimé à ce sujet. Je sais que les syndicats doivent représenter leurs membres de leur mieux. Je sais que diverses lois offrent des recours aux membres; ainsi, si le syndicat échoue, ils ont le droit de présenter une demande à la Commission du travail et de déclarer qu'ils sont mal représentés.
Le président: Monsieur Conacher.
M. Duff Conacher: Si je peux répondre également à cette question, c'est pourquoi je propose aujourd'hui un système plus exhaustif. Il est vrai que l'on a le droit de dénoncer quelqu'un, mais on n'est pas du tout protégé contre d'éventuelles représailles. Or, vous êtes protégés en droit. Si vous avez les moyens de financer des poursuites judiciaires qui traînent pendant des années, vous finirez peut-être par être indemnisés. Mais cela n'est pas pour inciter les gens à dénoncer les infractions: vous avez défendu la bonne cause, mais vous êtes seul et vous en subirez les conséquences pendant plusieurs années, en risquant de ne jamais retrouver un emploi dans ce secteur d'activités car personne ne vous fera confiance. Grâce à un système global, les mesures de prévention au sein d'une société seront plus efficaces.
En second lieu, si l'on oblige les administrateurs et les dirigeants d'entreprises, aux termes de lois comme la Loi canadienne sur les sociétés par actions et les autres lois spéciales visant les grandes sociétés, comme la Loi sur les banques, à tenir compte de tous les intérêts des actionnaires lorsqu'ils prennent des décisions, on leur confère l'obligation de constituer des comités efficaces sur la santé et la sécurité et les autres aspects du fonctionnement de la société.
Il faut donc adopter ce système global, pour éviter, sinon, que l'on ne soit tenté d'agir de façon irresponsable ou de fermer les yeux sur un comportement irresponsable. Modifier la norme relative à la responsabilité criminelle des personnes morales ne représente qu'une seule étape du système global nécessaire pour inciter les sociétés à agir de manière responsable.
Á (1140)
Le président: Merci.
C'est à vous, madame Desjarlais.
Mme Bev Desjarlais: Merci.
En tant que personne qui a travaillé dans un milieu syndiqué—et heureusement, ce n'était pas un lieu de travail industrialisé où il se produit souvent des incidents beaucoup plus tragiques, je pense—s'il s'agit de soutenir les représentants syndicaux qui sont prêts à intervenir et à mettre leur emploi en jeu pour garantir la sécurité du milieu de travail et celle des travailleurs, je serais prête à soutenir n'importe quel syndicat et n'importe quel groupe de travailleurs prêts à défendre la bonne cause et à assurer cette sécurité. Je ne crains pas de le faire au risque que l'un d'entre eux puisse, un jour ou l'autre, ne pas faire le travail. Je n'hésiterai pas à les soutenir plutôt que des gestionnaires qui s'opposent à la reddition de comptes, car ils craignent d'être touchés un jour. Je soutiendrai n'importe quel syndicat. C'est un syndicat qui a soulevé toute l'affaire de Westray, et pas parce que les représentants étaient payés par ces gens-là à la mine. Ces travailleurs n'étaient pas syndiqués et c'est un syndicat qui est intervenu pour les représenter à cause des conditions dangereuses de travail. Je n'hésiterai donc pas un instant à les soutenir.
Après avoir travaillé et siégé à des comités de santé et sécurité au Manitoba—et je pense que c'est la même chose dans toutes les provinces, car je ne crois pas qu'il y ait eu des changements importants—sauf peut-être en Colombie-Britannique—je sais que ces comités de santé et sécurité au travail formulent des recommandations. Il incombe à la direction de veiller à ce que l'on donne suite à ces recommandations en les mettant en oeuvre. En bout de ligne, c'est le patronat qui a la haute main sur le lieu de travail. Ce ne sont pas les syndicats, mais bien les gestionnaires, qui recrutent et licencient. Les deux travaillent ensemble.
Il ne fait aucun doute que l'adoption de mesures de sécurité préventives est la meilleure solution. Si l'on peut trouver dans notre pays une société qui donne aux syndicats le droit et le mandat de faire ces choses-là, je n'hésiterai pas à y apporter mon appui; tout se fera naturellement. Aucun syndicat ne va intervenir en soutenant que quelqu'un devrait prendre des mesures dangereuses et mettre en jeu la vie des travailleurs. C'est impossible. Vu sous cet angle, je ne suis donc pas le moindrement inquiète.
Je conviens qu'il n'y a rien de mal à adopter un système plus global qui tienne compte de toute la responsabilité de l'entreprise. Je signale que l'Australie et le Royaume-Uni ont examiné la question de la responsabilité de la personne morale et des accusations d'homicide involontaire, à la suite du décès de nombreuses personnes. Après l'écrasement de l'avion de ValuJet en Floride , après une enquête de trois ans sur cet accident, des responsables aux États-Unis ont décidé de porter 24 chefs d'accusation contre la société chargée de l'entretien des avions de ValuJet; les responsables souhaitaient porter des accusations d'homicides contre la société en raison du nombre de victimes. En outre, ils envisageaient la possibilité de porter des accusations contre les travailleurs eux-mêmes. J'ai absolument tenu à suivre cette affaire de près, car je voulais voir comment les choses allaient se régler. L'an dernier, je crois, les travailleurs ont obtenu gain de cause quant aux motifs à l'origine de cet accident et de ces décès, car ce n'est pas eux qui étaient responsables. On leur a dit ce qu'ils devaient faire et, pour le prix d'un bouchon à trois cents qui aurait dû fermer un contenant, 110 passagers sont morts, pour un capuchon à trois cents que la société ne voulait pas acheter.
J'ai une question à poser à nos deux témoins. J'ai calculé le nombre de décès survenus au travail ces dernières années et les cas où des accusations ont été portées, il y a eu un cas en Ontario où une amende de 125 000 dollars a été imposée à cause d'un décès survenu au travail. C'est un montant élevé, à mon avis, pour un milieu de travail. Cette amende n'est pas aussi élevée que je le souhaiterais, mais par rapport à ce qui se faisait auparavant, c'est-à-dire rien du tout, c'était une amende importante. Savez-vous que les sociétés qui reçoivent ces amendes, pour avoir causé la mort d'une personne, peuvent les déduire de leurs revenus aux fins d'impôt?
Á (1145)
M. David Miezenger: Oui, je suis au courant. Il en a été question lors de la séance précédente portant sur cette question.
Mme Bev Desjarlais: Lorsqu'on considère un train de mesures globales et la culture qui existent dans l'industrie, n'est-ce pas une chose qu'il faudrait carrément supprimer? Il est impensable qu'une société puisse déduire de son revenu une amende qu'elle a payée si celle-ci lui a été imposée à cause d'une pratique dangereuse, d'un décès ou d'une autre mesure dont elle est responsable.
M. David Miezenger: La société Inco de Sudbury, sauf erreur, s'est vu imposer une amende de 750 000 $ pour décès survenus au travail. C'était il y a deux ans environ. En Ontario, on intente des poursuites. On peut en prendre connaissance en consultant le site Web du ministère du Travail de cette province.
Le président: Monsieur Conacher, souhaitez-vous également répondre à cette question?
M. Duff Conacher: Il arrive rarement, voire jamais, que les forces de l'ordre puissent prouver que les responsables se feront prendre à tout coup. On multiplie ensuite le risque de se faire prendre par le montant de l'amende vraisemblable. On ne peut pas utiliser le maximum, car il est rarement imposé. Je vous demanderais d'inviter des gens comme Michael Trebilcock, l'un des professeurs de droit et de droit économique les plus conservateurs du Canada, il vous dira la même chose. Les sociétés ne s'intéressent qu'à leur chiffre d'affaires. Si le risque de se faire prendre, multiplié par la sanction, n'influe pas sur leur chiffre d'affaires, elles n'hésiteront pas à enfreindre la loi et à déduire le montant de l'amende de leurs revenus, comme elles peuvent le faire, à titre de dépenses d'entreprise. On peut difficilement considérer cela comme une dépense.
Il faut modifier ce système d'incitatifs. Si l'on pense aux particuliers, au risque d'être pris quand on enfreint diverses lois, et aux sanctions correspondantes, cela revient bien souvent à un incitatif. Cette question fait toujours l'objet d'un débat animé, qu'il s'agisse de la Loi sur les jeunes contrevenants ou des autres modifications apportées au Code criminel au cours des huit dernières années, pour savoir si nous adoptons vraiment des mesures qui incitent les gens à agir de manière responsable. Je me demande quand le gouvernement actuel va s'intéresser à cette question des mesures incitatives et dissuasives, et de façon plus générale, à la question de savoir si les personnes morales sont vraiment suffisamment incitées à agir de manière responsable. Il faut en fait tenir compte du risque de se faire prendre multiplié par l'amende possible, ou sinon on ferme les yeux sur la réalité. Comme les sociétés l'ont démontré à maintes reprises, il n'y a que leur chiffre d'affaires qui compte. Si l'amende n'influe pas sur leur chiffre d'affaires, cette mesure sera inefficace.
Le président: Peter MacKay, vous avez sept minutes.
M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président. Je tiens à remercier les deux témoins d'être présents.
Pour revenir au dernier point, monsieur Conacher, vous avez parfaitement raison de dire qu'il faut renforcer les mesures incitatives et dissuasives. Pour ce qui est de ces dernières, je pense que nous comprenons tous très bien de quoi il s'agit: des amendes et d'éventuelles peines de prison en cas de condamnation. Ce sont les mesures incitatives que je trouve un peu moins claires, quant à savoir ce que l'on pourrait ajouter aux lois fédérales ou provinciales. Je voudrais aussi votre avis à tous les deux sur la nécessité d'une norme nationale en la matière. Le Code criminel s'applique évidemment dans toutes les provinces et nous ne sommes pas en mesure de changer les lois provinciales, bien que nous puissions certainement formuler certaines recommandations auxquelles les provinces pourraient donner suite.
À quel genre de mesures incitatives songez-vous, monsieur Conacher, et que répondez-vous à cette question de norme nationale? Comme je viens de la Nouvelle-Écosse, je comprends la dynamique des pressions économiques qui s'exercent en l'occurrence, en particulier dans des villes comme Plymouth, dans le comté de Pictou, où les mineurs de la Westray étaient prêts à fermer les yeux sur les dangers et les lacunes des lieux de travail qui étaient très manifestes. La preuve a montré que les mineurs eux-mêmes, à l'occasion, trafiquaient les machines pour pouvoir finir leur quart de travail, afin d'être payés. Ils ne signalaient pas les dangers au travail, de crainte de perdre leur emploi. La pression s'exerce aussi de l'extérieur, s'il n'y a pas d'autres secteurs d'emploi importants dans la localité et que les travailleurs craignent d'être congédiés, ou bien, si les inspecteurs de sécurité viennent et ferment toute la boîte, cela risque d'entraîner le congédiement de beaucoup de gens. Cela revient à ce que vous avez dit au sujet de la culture. Comment encourager une culture positive amenant les compagnies à se pencher sur des questions d'une portée plus vaste et à prendre les bonnes décisions? La perte de 26 hommes ne valait pas que l'on prenne des risques à cette mine de charbon. Je vous demande de répondre à cela.
Á (1150)
M. Duff Conacher: La perte de 26 hommes ne valait pas que l'on prenne des risques dans l'esprit de certaines personnes, mais ça en valait la peine dans l'esprit d'autres personnes qui perçoivent le monde en termes d'analyse coûts-avantages, et c'est là que réside le problème. On les laisse percevoir le monde de cette manière et mettre sur pied une compagnie et la diriger de cette manière, dans la culture coûts-avantages de l'entreprise.
Nous avons un problème. C'est une transition entre un système qui permet aux entreprises d'agir de façon irresponsable et d'en tirer profit et un système dans lequel ces entreprises pourraient être acculées à la faillite si elles continuent d'agir de cette manière. Nous subissons des pressions économiques mondiales et c'est une question qu'a étudiée la Commission canadienne pour la démocratie et la responsabilité des entreprises. Elle a fait un sondage auprès de plus de 2 000 Canadiens, et 84 p. 100 d'entre eux ont dit que le Canada doit établir de son propre chef des normes de responsabilité des entreprises, même si les autres pays ne le font pas. Les Canadiens sont donc à l'avant-garde mondiale dans ce domaine. Il s'agit maintenant de voir si les gouvernements vont donner suite à ce sentiment.
Les Canadiens prennent-ils en compte la possibilité qu'ils puissent perdre leurs emplois si le Canada décide d'établir unilatéralement, sans travailler avec d'autres pays, une norme élevée et des encouragements en matière de responsabilité des entreprises? Il est bien possible qu'ils n'en tiennent pas compte. Nous devons donc absolument prendre des mesures qui tiennent compte de tous ces intervenants, et nous ne pourrons peut-être pas tout faire tout de suite pour ce qui est d'assainir les industries polluantes, parce que d'autres compagnies qui exportent chez nous produisent d'une manière polluante; nos entreprises font faillite, mais les Canadiens continuent d'acheter tous les produits et services vendus par une compagnie qui agit exactement comme le faisaient les compagnies canadiennes auparavant.
C'est un problème épineux, mais les gouvernements sont de grands acheteurs de produits et de services et peuvent dicter l'orientation de l'économie. D'après ce sondage commandé par la Commission canadienne pour la démocratie et la responsabilité des entreprises, 75 p. 100 du public et 78 p. 100 des actionnaires conviennent que les gouvernements ne devraient pas acheter de biens et services d'entreprises qui ont un mauvais dossier quant à leur responsabilité sociale. En fait, il n'y a pas beaucoup d'entreprises au Canada, à mon avis, qui sont véritablement des entreprises privées, en dépit de ce qu'elles peuvent prétendre. Beaucoup d'entre elles dépendent d'un gouvernement quelconque qui leur achète à prix fort un produit ou un service, et ce client représente un pourcentage important de leur marché. Nous ne devrions pas négliger le pouvoir qu'a le gouvernement, en changeant ses politiques et ses pratiques en matière de marchés publics, de dicter l'orientation de l'économie et d'inciter les entreprises à agir de façon plus responsable. De façon générale, ce pouvoir n'a pas été utilisé par les gouvernements au Canada, à ce jour, et cela devrait être un levier très puissant permettant d'encourager les entreprises à agir de façon plus responsable.
M. Peter MacKay: Est-ce le critère que vous nous suggérez d'adopter pour les relations d'affaires entre le gouvernement et les entreprises?
M. Duff Conacher: Oui, pour un contrat ou une subvention.
M. Peter MacKay: C'est-à-dire que l'entreprise puisse démontrer qu'elle a un lieu de travail sûr et qu'elle a pris les mesures nécessaires pour protéger ses travailleurs.
M. Duff Conacher: Oui, qu'elle respecte l'environnement et les autres intervenants, qu'elle traite bien ses fournisseurs et ne fait pas l'objet de nombreuses plaintes de la part des clients. Il y a tout un éventail de critères et de repères que vous pourriez appliquer dans le cadre du processus contractuel. Ce serait un très puissant incitatif.
M. Peter MacKay: Je pense que c'est une excellente suggestion. Malheureusement, il sera difficile d'établir les critères. Je vais vous donner un exemple. La mine Westray a reçu un prix pour la sécurité des lieux de travail. Ce prix avait été annoncé, mais n'avait pas encore été remis. Ils avaient reçu un prix pour la sécurité des lieux de travail juste avant l'explosion de la mine. Comme toujours, cela dépend tout à fait de la façon de déterminer les critères et de la personne qui prend la décision.
Á (1155)
M. Duff Conacher: Oui. C'est là que la protection des dénonciateurs est utile. Si le régime protège complètement les dénonciateurs, et si un tel prix n'est pas mérité, les employés peuvent donner l'alarme et dire: vous avez jugé cette compagnie, mais vous n'en connaissez pas les rouages, vous ne savez pas ce qui s'y passe; voici la réalité, et je fais cette dénonciation parce que je sais non seulement que je ne perdrai pas mon emploi, mais que je serai protégé si la compagnie me poursuit pour libelle, à supposer que ce que je dis est vrai; je serai protégé contre toutes représailles au travail, et il y a un service auquel je peux téléphoner en tout temps pour me plaindre qu'on vient de me réaffecter à d'autres tâches et que je ne fais plus rien du tout, et que j'estime qu'il s'agit là de représailles. Ce service a le pouvoir d'intervenir et de dire à la direction: cette personne doit retrouver son emploi et doit continuer d'avoir un emploi.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Conacher et monsieur MacKay.
John McKay, vous avez sept minutes.
M. John McKay: Merci, monsieur le président, et merci à vous deux pour votre témoignage ce matin.
Votre thèse essentielle est que nous devrions explorer et adopter la culture et le modèle de l'Australie et abandonner, si vous voulez, notre thèse de la mens rea qui est un peu plus précise: le procureur doit être en mesure de démontrer qu'il y a eu intention, témérité, ou connaissance de ce que les gens faisaient. Si l'on adopte le modèle australien, je suppose que les administrateurs établiraient alors une directive qui ne sera pas nécessairement respectée. Il incomberait ensuite à la direction de peut-être émettre aussi des directives, qui ne seront pas nécessairement suivies non plus. Ensuite, ce serait les cadres subalternes, dont les directives ne seront pas nécessairement suivies non plus, et ensuite les employés, dont les directives ne seront pas nécessairement suivies non plus. Cela fait beaucoup de degrés de séparation entre les directives et les actes concrets. Il s'ensuit un certain niveau de flou et d'imprécision, ce que notre droit criminel ne tolérait pas jusqu'à maintenant, de façon générale.
Je me demande si l'adoption de ce modèle pourrait aussi entraîner des contorsions assez bizarres en termes de responsabilité des entreprises, dans l'éventualité où quelqu'un qui se situe tout au bas de l'échelle commettrait un acte dont les gens situés en haut de la hiérarchie n'auraient pas vraiment connaissance. Si on élargit cela à l'ensemble d'un modèle culturel, je me demande si l'on ne commence pas alors à aller au-delà d'un modèle de culture d'entreprise pour déboucher sur certaines absurdités logiques, comme M. MacKay l'a fait remarquer, c'est-à-dire que Westray s'apprêtait à recevoir un quelconque prix pour la sécurité de la mine. Cela fait intervenir toute la culture politique. Je me demande si le modèle culturel australien de la responsabilité criminelle, tout attrayant qu'il puisse être, n'ouvre pas en fait la porte à un niveau de flou et d'imprécision dans la responsabilité criminelle qui entraînerait des abus.
M. Duff Conacher: Une directive qui est donnée et qui peut être ou ne pas être suivie n'est pas un système très efficace, me semble-t-il. Quelqu'un peut avoir toute la formation voulue et devoir signer un certificat comme quoi il comprend ce qu'il est censé faire. Il ne s'agit pas simplement de donner des directives, de les laisser là où personne ne les lit jamais; le classeur sous plastique arrive et n'est même pas ouvert. Il est simplement laissé sur les tablettes. Les entreprises devront faire un peu plus. Si c'est la norme, je ne vois pas le danger, parce qu'au siège social on a dit que tout le monde doit être formé suffisamment pour comprendre cela.
Vous répondrez peut-être que cela va coûter des sous. C'est très facile à mesurer. Les avantages ne sont pas aussi faciles à mesurer: comment mesurer les avantages de la prévention des accidents? On ne connaît pas le coût des accidents éventuels puisqu'ils ne se sont pas produits. Mais c'est là la nature d'une analyse coûts-avantages en ce qui concerne la responsabilité des sociétés.
 (1200)
M. John McKay: Si vous adoptez le modèle culturel, n'adoptez-vous pas aussi la notion qu'il peut y avoir du sabotage sur tous ces petits maillons? On en arrive au milieu de la chaîne de responsabilités et un cadre intermédiaire déclare que ce que veulent les administrateurs est ridicule et classe le tout. Toutefois, si l'on adopte cette idée culturelle, et si l'on retrouve ces directives sur les tablettes de quelqu'un alors que c'est censé descendre toute la chaîne, c'est laisser une certaine responsabilité à des gens qui avaient peut-être les meilleures intentions du monde.
M. Duff Conacher: Pas si la première séance de formation apprend à tous les employés que s'ils sabotent le système, ils seront personnellement responsables. L'entreprise doit prouver qu'elle a d'abord informé tout le monde quant à la façon dont cela allait fonctionner, qu'elle a bien dit que si les directives n'étaient pas appliquées de telle ou telle façon, les intéressés seraient tenus personnellement responsables puisqu'il y a maintenant un nouveau système. Si l'entreprise peut montrer qu'elle a appris à tout le monde à reconnaître que chacun est responsable s'il sabote le système de directives venant du siège social et devant être suivi jusqu'au dernier des employés, elle a là un élément de défense.
M. John McKay: Vous introduisez là la question de diligence raisonnable.
M. Duff Conacher: C'est exact et il y a aussi la protection du dénonciateur. Les employés voient les classeurs arriver et le directeur déclare que c'est simplement le siège social qui envoie encore des documents. Mais les employés savent qu'ils ont des droits: ces gestionnaires ne leur donnent pas la formation voulue et ils sont donc entièrement protégés s'ils le dénoncent pour ne s'être pas conformés à un devoir légal. Quand je parle de dénoncer, il ne s'agit pas simplement d'enfreindre des lois, mais cela pourrait être mis dans le système même du Code criminel, comme ça l'a été en partie en Australie, ce genre de détails quand à la défense que peut présenter une entreprise. On dit donc en fait que l'entreprise doit fonctionner comme cela.
M. John McKay: Étendriez-vous la responsabilité aux filiales et entreprises indépendantes, par exemple?
M. Duff Conacher: Ce n'est pas quelque chose que nous avons exploré à fond. Parce que les sociétés que nous avons créées—avec les droits dont elles jouissent—sont en fait des monstres. Nous avons créé des monstres aux pouvoirs insoupçonnés. Nous avons assemblé les morceaux, auxquels les sociétés ont ajouté des membres, ce qui a abouti à ces bêtes de foire que sont les holdings. Cela a été une erreur car l'on n'a fait qu'ajouter des écrans et des boucliers qui les protègent contre toute responsabilité. S'il s'agissait de particuliers qui faisaient ce que font les sociétés, ils pourraient être tenus responsables mais ils se dotent d'une structure d'organisation qui les protège. C'est quelque chose de très dangereux surtout lorsque l'on confère à ces monstres les droits que prévoit la Charte en plus de leur puissance économique.
Mais je vais en reparler avec les membres de la Coalition et je vous dirai comment nous élargirions la responsabilité en fonction des diverses structures actuellement autorisées.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Toews, vous avez trois minutes.
M. Vic Toews: C'est très intéressant cette discussion à propos des «monstres», faute d'un meilleur terme. Je ne sais pas si cela a été une erreur, mais il y a aussi d'autres conséquences dont il faut s'occuper. Il faut se pencher sur l'intention. Qu'il s'agisse ou non d'une filiale, à partir de quel degré d'intention le conseil d'administration de la société est-il criminellement responsable?
Il y a une autre chose qui me préoccupe: l'inefficacité des comités de santé et de sécurité au travail. J'ai moi-même rédigé beaucoup d'articles du règlement de la Loi manitobaine sur la sécurité et l'hygiène du travail. Je sais quelles sont les tâches de ces comités. Ils existent même lorsque le personnel n'est pas syndiqué. Ils regroupent les travailleurs et l'employeur et prennent des décisions. Pourquoi le système ne fonctionne-t-il pas? D'après ce que vous avez dit, le système nécessaire pour sensibiliser tous les niveaux de l'entreprise aux questions de sécurité est précisément celui des comités de santé et d'hygiène au travail. Je trouve que nous sommes en train de réinventer la roue et d'alourdir la bureaucratie. Pourquoi ne pas corriger ce qui ne va pas dans les comités de santé et de sécurité au travail; renforçons-les et instaurons les mécanismes voulus. Parlez-nous-en brièvement.
 (1205)
Le président: Monsieur Conacher.
M. Duff Conacher: Cela pose encore une fois la question des compétences, mais il faut que les gouvernements fédéral et provinciaux s'y attaquent globalement. Il n'est pas nécessaire de réinventer la roue. Si vous songez à une disposition du Code criminel applicable à l'échelle du pays, il faudra une disposition générale applicable à tous les systèmes internes, pas seulement la sécurité et l'hygiène.
M. Vic Toews: Écartons la question du Code criminel. C'est une question majeure et il est évident qu'elle nous préoccupe, mais il y a parfois des façons plus efficaces d'assurer la sécurité que d'intenter des poursuites criminelles. C'est ce qui m'intéresse. M. Miezenger a clairement dit que ces comités ne donnent pas de résultats. Pourquoi? C'est ce que je veux savoir.
M. Duff Conacher: Je ne peux pas vous répondre parce que je n'y travaille pas; je vais donc céder la parole à M. Miezenger et à d'autres représentants de travailleurs. Il faudrait aussi poser la question aux cadres.
M. David Miezenger: Dans la plupart des gros milieux de travail industriels syndiqués, ces comités donnent des résultats. Il y a une mesure incitative des employeurs du fait que la diminution du nombre d'accidents entraîne une baisse des primes aux termes de la Commission de l'indemnisation des accidents du travail. Les grands lieux de travail ont sur place des militants à plein temps pour la santé et la sécurité au travail, des gens qui ne s'occupent que de cette question, et tous les travailleurs reçoivent une formation pertinente. Chez Stelco, à Hamilton, dès le premier jour, les employés reçoivent une formation de base de 40 heures sur la santé et la sécurité dans le domaine sidérurgique. Ils sont syndiqués depuis 50 ans, de sorte que tous les travailleurs ont reçu la formation voulue. Dans les petits lieux de travail non syndiqués, quelqu'un se porte volontaire pour siéger au comité, et il s'en va un an plus tard, de sorte qu'il faut former quelqu'un d'autre. Cette personne acquiert certaines compétences, mais elle se trouve quand même confrontée à toutes sortes d'obstacles lorsqu'elle siège au comité, si la loi et les règlements ne sont pas appliqués à l'avantage des travailleurs. Là encore, il faut avoir la formation voulue. Si vous essayez de dire à votre employeur que vous voulez suivre un cours de formation d'une semaine, il vous répondra qu'une semaine est trop et qu'il va vous accorder deux jours. C'est ce qui se passe dans la plupart des milieux de travail non syndiqués. Dans un milieu de travail syndiqué, les travailleurs ont la ressource voulue et le syndicat va les former.
Dans les lieux de travail de l'Ontario, il faut qu'il y ait un travailleur accrédité. L'accréditation peut consister en quatre ou cinq jours de formation théorique intensive, ou alors on peut visionner une vidéo et passer l'examen. Les normes ne sont donc pas respectées. L'employeur va sans doute essayer, s'il le peut, de trouver la façon la plus rentable de former les membres de son comité en dehors du lieu de travail syndiqué, où il existe un tel mécanisme pour faire face à l'employeur. Je sais que dans certaines grandes sociétés dont les travailleurs ne sont pas syndiqués, il existe des comités efficaces également.
Voilà donc une partie des problèmes que j'entrevois.
 (1210)
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Macklin, vous avez trois minutes.
M. Paul Harold Macklin: Monsieur Conacher, j'aimerais revenir aux remarques que vous avez faites au sujet d'une solution possible, c'est-à-dire l'application de la Loi sur les sociétés par actions pour faire respecter les normes. D'après mon expérience, qu'il s'agisse de la Loi sur les sociétés par actions fédérale ou ontarienne, les sociétés ont tendance à aller là où la loi leur permet de fonctionner de façon plus simple. Si nous commencions à leur donner d'autres obligations plus fastidieuses que celles en vigueur dans une autre province, il est certain que nous ne ferions que les inciter à se constituer en société au niveau provincial et à utiliser les permis provinciaux supplémentaires ou toutes sortes d'autres moyens pour mener à bien leurs activités commerciales.
Si l'on prend l'exemple de Westray, nous étions en pleine dépression économique, si je peux utiliser cette expression, tant pour les travailleurs que pour la société proprement dite. En d'autres termes, tout le monde avait le couteau sous la gorge pour essayer d'obtenir un rendement maximum. Si le seul outil était l'imposition d'un mandat aux termes de la Loi sur les sociétés par actions, ce système se révélerait tout à fait inefficace car qui voudrait remettre en cause tout son avenir économique, qu'il s'agisse de la direction ou des employés, en dénonçant d'éventuelles infractions, même si nous leur accordions ce genre de protection?
J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Duff Conacher: La transition n'est pas facile lorsqu'on se trouve dans une situation où un secteur d'activité, ou simplement une entreprise de ce secteur risque de faire faillite s'il ou elle agit vraiment de façon responsable. La Coalition ne s'est pas penchée précisément sur ce cas précis, pour voir comment le gouvernement pourrait intervenir et subventionner cette transition. Comment la transition est-elle subventionnée à l'heure actuelle? En partie, je suppose, par le biais des organismes de développement économique régional, mais en général, les coûts se répercutent sur l'environnement ou les employés, comme dans le cas de Westray. Il est certain que ce n'est pas un bon modèle, car la société a été démantelée.
Là encore, c'est pourquoi nous devons nous pencher sur un cadre de responsabilité globale des personnes morales, dont la responsabilité criminelle n'est qu'un seul élément. La politique des marchés de l'État est un autre élément. Si les gouvernements achetaient certains produits auprès des sociétés minières, par exemple, ces dernières sauraient qu'elles ont plus de chance d'obtenir les contrats si elles agissent de manière responsable. D'autres sociétés qui n'agissent pas de manière responsable seraient automatiquement exclues des marchés.
Certes, ce n'est pas une tâche facile, mais nous espérons vraiment que le gouvernement, après des années, va enfin essayer de relever la norme et y consacrer les ressources voulues. Lorsque le gouvernement a examiné la Loi sur les sociétés par actions, il a fait fi des intérêts des parties prenantes et n'a formulé aucune recommandation en vue d'apporter des changements plus exhaustifs. Il a apporté certaines modifications dans le domaine des propositions relatives aux actionnaires, notamment la possibilité pour ces derniers d'inciter les sociétés à agir de manière responsable, mais il a carrément rejeté, en induisant même la population en erreur à ce sujet, toute possibilité d'apporter d'autres modifications en ce qui a trait aux droits des parties prenantes et à la responsabilité des personnes morales.
 (1215)
Le président: Monsieur Macklin, je vais donner la parole à M. Lanctôt parce que je suis convaincu que les autres députés libéraux vous laisseront poser une autre question.
Monsieur Lanctôt.
[Français]
M. Robert Lanctôt: Merci.
Je vous écoute et vous me dites que ce n'est pas réinventer la roue ou recommencer quelque chose. Je trouve que les suggestions que vous nous avez faites jusqu'ici équivalent à réinventer un peu la roue. Les lois existent et on peut les améliorer. Il existe des loi provinciales, et on peut adopter des sanctions et des critères encore plus sévères. Les lois sont déjà en place.
En répondant à la question de M. Toews, vous disiez qu'il ne s'agissait pas de réinventer la roue, mais c'est un peu ce que vous faites dans vos suggestions. Si on affecte plus de ressources et plus d'argent à l'application des lois existantes, on peut les améliorer, mais s'il s'agit de lois provinciales, que peut-on faire?
Vous parlez d'instaurer des normes nationales en utilisant le Code criminel. Souvent, on veut faire en sorte que ces lois fédérales s'appliquent partout. Je comprends bien qu'on doive mettre des dispositions dans le Code criminel pour certaines infractions qui peuvent être larges, mais cela peut même nuire aux syndicats. Vous me dites que ce n'est pas le cas, mais je suis persuadé qu'on doit utiliser les lois qui doivent s'appliquer, comme la Loi sur la santé et la sécurité du travail, au lieu d'utiliser le Code criminel.
Le Code criminel établit toujours des normes très larges. Moi aussi, j'espère que les syndicats seront protégés par cela, mais si on met cela dans le Code criminel, ce sera tellement large que les syndicats vont peut-être se tirer dans le pied. On devrait utiliser les lois provinciales existantes ou améliorer ces lois au lieu d'utiliser une arme. Vous demandez que cela fasse partie du Code criminel. C'est toute une arme! Je trouve cela très dangereux, mais je vous répète que j'espère aussi que les syndicats seront protégés.
Je ne dis pas que les syndicats devraient être responsables. S'ils sont sur les lieux et travaillent au même titre que les employeurs, les propriétaires ou les administrateurs, cela s'appliquera, comme vous l'avez vous-même dit, monsieur Conacher. Les syndicats sont des personnes morales. C'est un peu contraire à ce qu'a dit M. Miezenger, mais M. Conacher a dit directement que c'était le cas. Donc, je pense qu'il faut protéger les gens et aussi les structures. Il ne faut pas toujours adopter des normes nationales avec lesquelles on pourrait se tirer dans le pied. C'est très complexe.
[Traduction]
M. Duff Conacher: La question est fort complexe; nous ne demandons pas uniquement au gouvernement fédéral d'intervenir. Lorsque vous parlez de réinventer la roue, je dois signaler qu'aucune des lois constitutives du Canada n'exige des administrateurs et des cadres d'entreprises qu'ils tiennent compte de tous les intervenants lorsqu'ils prennent diverses mesures. Il existe des lois dans le domaine du travail et de l'environnement qui forcent en quelque sorte les décisionnaires des entreprises à tenir compte des intérêts des intervenants, mais c'est assez limité. Il n'y a pas par exemple d'exigence de divulgation détaillée qui permettrait au public, aux consommateurs, aux fournisseurs et au gouvernement de savoir facilement quelles sont les entreprises qui respectent la loi et quelles sont celles qui ne le font pas. Il y a actuellement divulgation sur les rejets de toxines, il existe une base de données nationale que vous pouvez consulter pour vous renseigner sur le rejet de toxines, mais il n'existe aucun mécanisme qui assure la participation des syndicats, des groupes de défense des droits de la personne, etc.
Seul le Nouveau-Brunswick a une loi sur la protection des dénonciateurs; il s'agit d'une mesure qui permet à l'employé de présenter un rapport sur toute infraction à la loi, mais encore une fois, ces employés ne sont pas vraiment protégés lorsqu'ils font rapport d'une violation. Aucun gouvernement du Canada n'a assorti ses contrats et ses subventions de conditions précisant qu'il faut être une société responsable pour être admissible. Il n'y a pas non plus pour les secteurs au Canada de groupes de protection de l'intérêt public. Les gouvernements fédéral et provinciaux ont rejeté toutes ces propositions.
Il s'agit donc d'un problème fort complexe, mais certaines des propositions que nous mettons de l'avant ne visent pas à réinventer la roue, il s'agit simplement là d'éléments qui à notre avis doivent être présents si nous voulons régler le problème et créer un système global de responsabilité des entreprises. Et nous espérons, enfin, que non seulement le gouvernement fédéral mais également les gouvernements provinciaux commenceront à adopter certaines de ces mesures et relèveront les normes de conscience sociale des entreprises au Canada pour qu'elles atteignent un niveau que doit respecter la majorité des citoyens dans leur vie de tous les jours. C'est là le problème: la constitution d'une société vous permet d'agir de façon plus irresponsable que vous ne pourriez le faire comme simple citoyen. Tout cela doit changer. Se constituer en personne morale ne peut plus être un bouclier. Une entreprise ne peut pas vous mettre à l'abri d'un comportement irresponsable.
 (1220)
Le président: Merci, monsieur Conacher.
M. Macklin, puis, nous reviendrons pour la dernière question à Mme Desjarlais.
M. Paul Harold Macklin: J'aimerais revenir à la question que j'ai posée un peu plus tôt sur la Loi canadienne sur les sociétés par actions et les provinces. Croyez-vous que c'est là que le problème se trouve? Pour être honnête, hausser nos normes sans qu'il y ait une volonté collective dans le pays tout entier à l'égard de la Loi canadienne sur les sociétés par actions ne fera que changer la façon dont les entreprises exercent leur activité. Elles modifieront leurs structures pour s'adapter au nouveau système. J'aimerais savoir comment vous pouvez justifier votre proposition, soit que nous devrions intégrer nombre de ces questions dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions.
M. Duff Conacher: Depuis les débuts du Canada, on a toujours dit qu'un palier ne pouvait prendre ces mesures parce que les autres ne suivraient peut-être pas; c'est comme ça qu'on a justifié l'inaction. Il n'y a pas eu beaucoup de ce qu'on appelle la recherche de la juridiction la plus avantageuse au Canada. Cela se fait surtout aux États-Unis, parce que dans ce pays le gouvernement fédéral n'accorde pas de charte de constitution en société; les corporations recherchent l'endroit le plus intéressant pour s'y établir et les États font tout ce qu'ils peuvent pour convaincre ces entreprises d'établir leur siège social chez eux. Le Delaware est un exemple parfait de cette situation; cela peut créer une situation dangereuse. C'est un problème sur lequel nous devons nous pencher. Dans l'ensemble, si la LCSA ou la Loi sur les sociétés par actions de l'Ontario avait été modifiée, les autres provinces suivraient. Mais encore une fois, nous ne croyons pas qu'elles adopteront, à notre avis, des normes élevées de responsabilité des entreprises.
C'est une chose que le gouvernement fédéral devrait faire de concert avec les gouvernements provinciaux. Comme ce sondage l'indique, les Canadiens ont dit qu'il ne fallait pas s'inquiéter des autres pays, mais plutôt agir. Nous voulons simplement que l'on aille l'avant, plutôt de se contenter de dire, il y a mondialisation de l'économie, nous ne pouvons pas faire cela; les provinces ne nous emboîteront peut-être pas le pas et nous ne pouvons pas faire cavalier seul. Il existe certainement une façon de hausser cette norme à l'égard de la responsabilité des entreprises, et nous espérons que tous les gouvernements provinciaux, comme ils l'ont fait par le passé, harmoniseront leurs lois à la hausse, plutôt que d'essayer de se livrer concurrence, parce que cette recherche de l'endroit où les normes sont les moins élevées n'est pas dans l'intérêt public, comme on peut le voir aux États-Unis. C'est rechercher simplement le plus petit dénominateur commun.
M. Paul Harold Macklin: Il y a toutefois certaines entreprises qui se sont mises à la recherche d'un milieu plus accommodant à la suite de modifications apportées à l'échelle fédérale ou provinciale, et cela s'explique par le fait que la réglementation prévue par la nouvelle Loi sur les entreprises était plus souple ou qu'il leur était plus facile d'exercer leurs activités aux termes de cette nouvelle loi; c'est ce qui en faisait l'attrait pour elles. Mais quand on va dans le sens contraire, je soupçonne qu'il n'y a pas d'incitatifs.
M. Duff Conacher: C'est possible, et l'on aurait alors plus de renseignements qu'on en avait par le passé sur les motifs qui animent vraiment l'entreprise en question; on saurait que ce qu'elles recherchent ce n'est pas une norme de responsabilité plus élevée, mais bien une norme moins rigoureuse qui lui permettrait de continuer à exercer leurs activités. En modifiant la loi pour obliger les entreprises à tenir compte de l'intérêt, non pas seulement de leurs actionnaires, mais de toutes les parties, on pourrait, du moins c'est ce qu'on espère, parvenir à changer cette mentalité. Les entreprises rechercheraient davantage l'intérêt public, l'intérêt à long terme de la société plutôt que de se concentrer uniquement sur l'intérêt à court terme que représente le rendement que retirent les actionnaires.
C'est un problème qu'il n'est pas facile de résoudre. Nous espérons simplement que le gouvernement va s'y attaquer au lieu de l'ignorer ou de le cacher comme l'a fait Industrie Canada par exemple: le ministère avait caché les résultats d'une consultation qu'il avait menée en 1998 sur la mesure dans laquelle les entreprises tenaient compte de l'intérêt des actionnaires. Nous avons demandé à voir les résultats de cette consultation aux termes de la Loi sur l'accès à l'information, et il a fallu presqu'un an pour que nous les recevions. Ces résultats montraient que plusieurs sociétés étaient disposés à ce que le gouvernement modifie la loi afin de leur permettre de tenir compte de l'intérêt des actionnaires; la majorité des répondants étaient d'ailleurs de cet avis. La consultation n'était pas vraiment utile, mais c'est tout ce que le gouvernement fédéral a fait jusqu'à maintenant pour essayer de s'attaquer à ce problème. Il lui faudrait s'engager dans un processus beaucoup plus valable qui serait axé sur la prise de décisions politiques en vue de rehausser les normes en matière de responsabilité et de civisme de la part des entreprises. Jusqu'à maintenant, le gouvernement fédéral fait l'autruche et, à vrai dire, cherche simplement à fermer les yeux sur les problèmes.
 (1225)
Le président: Merci, monsieur Conacher et monsieur Macklin.
Madame Desjarlais.
Mme Bev Desjarlais: Je suis un peu consternée d'entendre dire autour de cette table qu'en cherchant à améliorer le système afin que les sociétés, les administrateurs et les gestionnaires, puissent être tenus responsables s'il est déterminé qu'ils n'ont fait aucun cas de la vie ou du bien-être de leurs employés ou d'autres personnes, nous faisons en fait l'inverse. Ayant entendu mon collègue du Bloc expliquer ses réserves relativement à la compétence provinciale et comprenant qu'il ait voulu en discuter, je ne vois pas de problème de ce côté-là, mais si nous avions une loi pénale fédérale, cela n'empêcherait pas pour autant le Québec de mettre en place une loi identique. J'estime que la vie d'un travailleur québécois dont on fait fi est aussi important que la vie de n'importe quel autre Canadien. Je crois que, dans l'ensemble, les Canadiens souhaitent que le degré de responsabilité soit le même partout.
On invoque depuis toujours cet argument économique selon lequel les entreprises et les industries ne peuvent pas survivre si elles doivent se conformer à de nouvelles mesures qui, d'après beaucoup d'entre nous, sont des changements positifs, comme la réduction du nombre d'heures de travail, l'adoption de normes de sécurité et de normes d'équité en matière d'emploi ainsi que que certaines pratiques sécuritaires dans les lieux de travail. Les entreprises se récrient toujours contre ces mesures qu'elles considèrent inévitablement comme un fardeau excessif, mais la plupart des entreprises et des industries se tirent très bien d'affaires malgré ces règles, et elles n'ont pas besoin d'en faire fi. La direction de la mine Westray n'avait pas besoin non plus de faire fi de ces règles. À vrai dire, j'estime qu'on a donné aux dirigeants un avantage injuste qui a eu pour conséquence d'entraîner la mort d'un certain nombre de travailleurs, et ce, au détriment des autres membres du même secteur qui suivaient les règles et qui ont pu survivre. Nommez-moi une seule entreprise minière canadienne dont les résultats sont extrêmement mauvais malgré tout ce qui est arrivé. Il se peut que certaines entreprises décident de déménager d'une région à une autre, de réduire leurs activités d'exploration, etc., mais elles continuent à faire pas mal de profits. J'ai du mal à accepter que Curragh Resources et son propriétaire soient allés s'installer dans un autre pays sans avoir eu à changer leur façon de faire et que cela ne pose pas de problème puisqu'ils ne sont plus au Canada. Je trouve cela difficile à digérer.
Je vous accorde un dernier commentaire sur le sujet d'aujourd'hui, car je crois que nous allons devoir mettre fin à la séance.
M. David Miezenger: La clé réside dans la sensibilisation des travailleurs et de la direction à l'importance de l'hygiène et de la sécurité au travail, afin que tous s'entendent pour dire qu'un accident, c'est un accident de trop. Il faut faire plus de sensibilisation et à tous les niveaux jusqu'à la haute direction: la direction doit comprendre qu'il lui faut respecter les normes et protéger les travailleurs. Il n'y a pas à sortir de là. C'est pour cette raison que je suis ici aujourd'hui et que j'ai décidé de m'intéresser à l'hygiène et à la sécurité au travail, afin de protéger les travailleurs à mon lieu de travail. La tâche n'est pas facile.
 (1230)
Le président: Monsieur Conacher.
M. Duff Conacher: Dans tous ces cas de responsabilité criminelle ou civile, il est très difficile pour un particulier qui a agi de façon irresponsable de dire que ce n'est pas de sa faute. Dès qu'on passe d'un particulier à une personne morale, il devient tout d'un coup très facile de dire: ce n'est pas de ma faute, et de s'en sortir de cette façon. Il faut changer le système, tout comme les éléments qui ont un effet d'incitation ou de dissuasion. Nous sommes intervenus dans le cas des organisations criminelles pour tenter d'empêcher que chacun puisse dire: ce n'était pas moi, alors pourquoi ne faisons nous pas de même pour les autres organisations? C'est ce que propose le projet de loi dont le comité est saisi. Il ne faut toutefois pas en rester à l'étape de l'examen, il faut agir au bout du compte. Il faudrait un système global qui améliore l'application et qui prévoit un ensemble d'incitatifs afin d'insister, non seulement sur le châtiment après coup, mais sur la prévention.
Nous espérons que votre comité pourra s'attaquer à certaines de ces grandes questions. Je sais que vous vous concentrez sur la responsabilité criminelle des entreprises, mais je vous incite fortement à explorer aussi la façon dont la norme pourra en fait être appliquée afin de changer les choses de manière générale.`
Merci encore d'avoir bien voulu nous entendre.
Le président: Merci beaucoup à nos témoins. Le sujet est complexe, comme on l'a fait remarquer à maintes reprises, et le témoignage que vous nous avez apporté aujourd'hui nous permet de mieux le comprendre. Merci.
La séance est levée.