Passer au contenu

JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain

37e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le jeudi 2 mai 2002




¿ 0935
V         Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.))
V         M. Dave Whellams (conseiller, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice)
V         Le président
V         M. Dave Whellams

¿ 0940

¿ 0945

¿ 0950

¿ 0955
V         Le président
V         M. Dave Whellams
V         Le président
V         M. Dave Whellams
V         Le président
V          M. Greg Yost (conseiller juridique, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice)

À 1000

À 1005
V         Le président
V         M. Dave Whellams
V         Le président
V         M. Michel Bellehumeur (Berthier--Montcalm, BQ)
V         Le président
V         M. Bill Blaikie (Winnipeg--Transcona, NPD)

À 1010
V         M. Dave Whellams
V         M. Bill Blaikie
V         M. Dave Whellams
V         M. Greg Yost

À 1015
V         M. Bill Blaikie
V         M. Dave Whellams
V         Le président
V         M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.)
V         M. Dave Whellams

À 1020
V         M. Greg Yost
V         Le président
V         M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.)

À 1025
V         M. Greg Yost
V         M. Dave Whellams
V         M. John McKay
V         M. Dave Whellams

À 1030
V         M. John McKay
V         M. Dave Whellams
V         Le président
V         M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.)
V         M. Greg Yost
V         M. Ivan Grose
V         M. Greg Yost
V         M. Ivan Grose
V         Le président
V         M. Bill Blaikie
V         M. Dave Whellams
V         Le président
V         M. Bill Blaikie

À 1035
V         M. Dave Whellams
V         Le président
V         M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.)
V         M. Dave Whellams
V         M. John Maloney
V         M. Dave Whellams
V         M. John Maloney
V         Le président
V         M. Peter MacKay (Pictou--Antigonish--Guysborough, PC)

À 1040
V         M. Dave Whellams

À 1045
V         M. Peter MacKay
V         M. Dave Whellams
V         Le président
V         M. Greg Yost

À 1050
V         Le président
V         M. John McKay
V         M. Dave Whellams
V         M. Greg Yost

À 1055
V         Le président
V         M. John McKay
V         M. Dave Whellams
V         Le président
V         M. Peter MacKay
V         M. Dave Whellams
V         Le président
V         M. Peter MacKay

Á 1100
V         M. Dave Whellams
V         Le président
V         Le président
V         Mme Dominique Vaillancourt (vice-présidente, directrice du rayonnement et des communications, Canadian Council for the Rights of Injured Workers)

Á 1110
V         
V         Le président
V         Mme Maria York (présidente, Canadian Council for the Rights of Injured Workers)

Á 1115
V         Le président
V         Mme Maria York

Á 1120
V         Le président
V         M. Doug Perrault ( président, Ottawa and District Injured Workers Group)

Á 1125
V         Le président
V         M. Vern Theriault (témoigne à titre personnel)

Á 1130
V         Le président

Á 1135
V         M. Hill (Prince George—Peace River)
V         M. Doug Perrault
V         M. Jay Hill
V         M. Doug Perrault
V         M. Jay Hill

Á 1140
V         M. Doug Perrault
V         M. Jay Hill
V         Le président
V         M. Jay Hill
V         M. Doug Perrault
V         Le président
V         M. Michel Bellehumeur
V         M. Doug Perrault
V         M. Michel Bellehumeur
V         Mme Dominique Vaillancourt
V         M. Michel Bellehumeur

Á 1145
V         M. Doug Perrault
V         Le président
V         M. Vern Theriault

Á 1150
V         Le président
V         M. Bill Blaikie
V         M. Doug Perrault

Á 1155
V         Le président
V         M. Peter MacKay
V         Le président
V         Mme Maria York

 1200
V         Le président
V         Mme Maria York
V         Le président
V         M. Peter MacKay
V         M. Vern Theriault

 1205
V         M. Peter MacKay
V         M. Vern Theriault

 1210
V         M. Peter MacKay
V         M. Vern Theriault
V         M. Bill Blaikie
V         M. Vern Theriault
V         Le président
V         M. Paul Harold Macklin

 1215
V         Mme Maria York
V         Mme Dominique Vaillancourt
V         Mme Maria York

 1220
V         Le président
V         M. Doug Perrault
V         Le président
V         M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne)
V         M. Vern Theriault
V         M. Kevin Sorenson

 1225
V         M. Vern Theriault
V         M. Kevin Sorenson
V         M. Vern Theriault
V         M. Kevin Sorenson
V         M. Vern Theriault
V         M. Kevin Sorenson
V         M. Vern Theriault
V         M. Kevin Sorenson
V         M. Vern Theriault
V         Le président
V         M. Doug Perrault
V         Le président
V         Mme Maria York

 1230
V         Le président
V         M. Ivan Grose
V         M. Vern Theriault
V         M. Ivan Grose
V         Le président
V         M. Peter MacKay
V         Le président
V         M. Doug Perrault
V         Le président
V         M. Paul Harold Macklin

 1235
V         Le président
V         Mme Maria York
V         M. Paul Harold Macklin
V         Mme Maria York
V         M. Vern Theriault
V         M. Macklin
V         M. Vern Theriault
V         M. Doug Perrault
V         Le président

 1240
V         M. Peter MacKay
V         Le président
V         M. Peter MacKay
V         Le président
V         M. Peter MacKay
V         Le président










CANADA

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 084 
l
1re SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 2 mai 2002

[Enregistrement électronique]

¿  +(0935)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): Je déclare ouverte cette 84e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Aujourd'hui, conformément à l'ordre de renvoi du 19 février 2002, nous examinons le sujet du projet de loi C-284, Loi modifiant le Code criminel (infractions commises par des personnes morales, administrateurs et dirigeants).

    Pour nous aider dans nos délibérations, nous accueillons aujourd'hui, du ministère de la Justice, Greg Yost, conseiller juridique, Section de la politique en matière de droit pénal, et Dave Whellams, conseiller juridique, de la même section.

    Je crois savoir que vous prendrez la parole à tour de rôle. Vous avez 15 minutes. Est-ce suffisant?

+-

    M. Dave Whellams (conseiller, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice): Ce sera peut-être un peu plus long, mais nous procéderons en deux parties, monsieur le président. Nous pourrions faire une pause après la première. Je prendrai la parole d'abord et ce sera ensuite au tour de mon collègue, M. Yost. Voyons voir comment cela se passera.

+-

    Le président: Sur ce, monsieur Whellams, vous avez la parole.

+-

    M. Dave Whellams: D'accord. Merci beaucoup, monsieur le président.

    Tout d'abord, au nom du ministère, je tiens à vous remercier de nous avoir invités à témoigner au tout début de vos délibérations sur ce domaine très important et, je crois, très complexe du droit pénal.

    Nous vous avons envoyé par courrier électronique un document de travail, et nous en avons des exemplaires supplémentaires ici. Je présume que tous les membres du comité l'ont reçu. Nous espérons qu'il vous sera utile.

    Nous avons tenté d'y traiter de la plupart des questions fondamentales liées à l'élaboration de lois dans le domaine de la responsabilité criminelle des personnes morales. Je crois savoir que vous entreprenez une étude exhaustive des lois dans ce domaine, et nous croyons avoir ciblé les aspects les plus importants. Ce matin, M. Yost et moi tenterons de décrire les points les plus importants de ce document de travail et de recenser certaines des tendances du droit au Canada et à l'étranger depuis quelques années.

    Je le répète, c'est un domaine difficile et complexe, en partie parce que, comme l'indique l'expérience d'autres pays, il existe différentes façons de codifier en droit la responsabilité criminelle des personnes morales. Voici ce qu'a dit à ce sujet feu le juge Estey dans la principale décision d'un tribunal canadien à ce chapitre, l'arrêt Canadian Dredge and Dock. Il a dit et je cite: «Voilà maintenant des siècles que tribunaux et législateurs se penchent sur la situation de la personne morale en droit criminel. Les questions qui se posent à ce sujet sont nombreuses et complexes.» J'abonde dans le même sens.

    Je vous décris brièvement l'évolution du droit dans ce domaine au Canada. Si nous avons le temps, M. Yost vous dira quelques mots sur les tendances qui prévalent à l'étranger.

    Revenons brièvement à la tragédie de Westray. Il est certain que vous la garderez à l'esprit pendant vos délibérations sur ce sujet. Je ne passerai pas en revue les faits, mais je mentionnerai brièvement certains aspects juridiques qui ont été soulevés afin de décrire un peu le contexte.

    La commission d'enquête sur la tragédie de Westray a débouché sur de nombreuses recommandations sur toutes sortes de questions, mais, presque parallèlement, des accusations d'homicide involontaire coupable et de négligence criminelle ont été portées contre deux administrateurs de l'entreprise et contre l'entreprise même, Curragh Incorporated. La poursuite a été très controversée.

    Le juge de première instance a ordonné le retrait des accusations d'homicide involontaire coupable contre l'accusé au motif que la Couronne avait omis de divulguer ou communiqué trop tard certaines informations pertinentes. Déjà, Curragh Incorporated était sous séquestre et n'était pas représentée au procès, ce qui a certainement influé sur l'efficacité de la poursuite.

    La suspension de la procédure a été annulée par la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse qui a ordonné la tenue d'un nouveau procès. En dernière analyse, c'est la Cour suprême qui a tranché. En dépit de ses doutes sur la conduite de la Couronne, elle a confirmé l'ordonnance de tenue d'un nouveau procès. Toutefois, avant que ce procès ne s'amorce, le service des poursuites publiques de la Nouvelle-Écosse a mis fin à la procédure.

    Comme vous le savez, cette décision a soulevé de nombreuses préoccupations chez le public; on a donc demandé à l'honorable Fred Kaufman de se pencher sur la conduite des services de la poursuite dans cette affaire. À son tour, il a demandé à Duncan Beveridge et à Patrick Duncan d'examiner le dossier. Dans leurs rapports, ils ont indiqué que jusqu'au 9 février 1998, les procureurs étaient d'avis qu'il y avait une probabilité raisonnable de condamnation pour les deux chefs d'accusation de négligence criminelle et d'homicide involontaire coupable s'il y avait procès.

    Un des principaux obstacles de la poursuite a été le comportement de trois témoins experts. L'un de ces témoins a modifié son témoignage sur la cause de l'explosion, et c'est ce qui a soulevé un doute raisonnable et mené les procureurs à recommander le retrait des accusations.

    Lorsque le juge Richard est arrivé à cet aspect de l'affaire, il a conclu qu'on ne pouvait invoquer une raison en particulier pour justifier l'échec de la poursuite. Il a recensé huit facteurs importants, dont je ne ferai pas la liste maintenant, dont aucun n'était relié à une lacune du Code criminel ou de la common law en matière de responsabilité criminelle des administrateurs ou des personnes morales.

¿  +-(0940)  

    Je le signale parce que, même si le juge Richard a fait des observations importantes sur l'état du droit dans le domaine de la responsabilité criminelle des personnes morales, la poursuite en soi n'a pas permis de mettre véritablement à l'épreuve les mesures législatives à cet égard.

    J'aimerais maintenant passer rapidement à une des recommandations du juge Richard. Vous savez déjà que, dans la recommandation 73, il demande un examen complet du droit s'appliquant à la responsabilité criminelle des personnes morales. Mais, à la fin du rapport, il ajoute que «la quasi-disparition de Curragh Inc. et le procès au criminel de Phillips et Parry»--les deux administrateurs--«qui a été abandonné ont fait resurgir les préoccupations sur la responsabilité des personnes morales et de leurs cadres.».

    De plus, il a déclaré, et je cite:

«Ces préoccupations s'expriment de façon succincte dans un mémoire additionnel présenté à la présente commission d'enquête par les Métallurgistes unis d'Amérique, qui est partie à l'enquête. Le syndicat m'exhorte à faire trois recommandations audacieuses:



La création d'une nouvelle infraction criminelle qui imposerait la responsabilité criminelle aux administrateurs et autres dirigeants de la personne morale qui auraient omis de s'assurer que l'entreprise respectait les normes de santé et de sécurité au travail;



La création d'une infraction d'homicide par personne morale;



L'ajout de dispositions à la Loi sur la santé et la sécurité au travail qui élargiraient la responsabilité des administrateurs et des dirigeants aux termes de la loi afin d'empêcher ces personnes de se cacher derrière la structure organisationnelle lorsque l'entreprise viole les lois sur la santé et la sécurité au travail.»

    Le juge Richard a donc établi des balises pour vous et le ministère de la Justice. Il ne fait aucun doute que deux de ces recommandations relèvent de votre mandat touchant le droit pénal. Vous aborderez fort probablement aussi la question de la responsabilité en matière de santé et de sécurité au travail, car ce qu'on peut appeler le contrôle des infractions réglementaires aux termes des lois du travail et de la santé et de la sécurité au travail est lié à certains aspects du droit pénal.

    J'aimerais maintenant, brièvement, vous décrire l'évolution du droit au Canada et dans les pays du Commonwealth en général. Le droit criminel a toujours eu du mal à faire en sorte que les personnes morales et autres associations de personnes physiques, telles que les partenariats, les organismes à but non lucratif et même les syndicats relèvent de sa compétence. Cela s'explique en partie par les traditions de la common law. Le droit pénal nécessite normalement la commission de l'acte interdit ou le défaut de poser le geste requis--autrement dit, l'actus reus. Il nécessite aussi, comme deuxième élément, l'intention de commettre cet acte, la mens rea, ou l'intention coupable.

    Nous savons tous qu'une personne morale n'est pas une personne physique même si elle contrôle des actifs, etc. On ne peut comparer la personne morale à la personne physique dans tous ses aspects. Cela a d'ailleurs mené à des difficultés qui remontent à plusieurs siècles pour ce qui est de caractériser la responsabilité des personnes morales. En effet, des parties importantes du Code criminel actuel ne peuvent s'appliquer en toute logique aux entreprises. Ainsi, une personne morale ne peut donner d'échantillon d'ADN. De plus, certaines infractions de nature morale--l'agression sexuelle, par exemple--ne s'appliquent pas aux sociétés. On a donc toujours eu du mal à trouver un mécanisme législatif qui détermine l'envergure de la responsabilité des personnes morales et même la nature de cette responsabilité.

    Eu égard à l'intention, votre comité étudie en ce moment les dispositions du Code criminel sur les troubles mentaux. Il serait très difficile de concevoir qu'une personne morale soit jugée inapte à subir son procès ou non responsable au criminel pour cause de troubles mentaux. Ce ne sont là que quelques concepts qui devront être analysés.

    En revanche, on sait très bien en droit comment faire le lien entre la responsabilité d'une personne morale et les gestes posés par ses employés, ses administrateurs, ses gestionnaires et ses dirigeants. En effet, ce sont là des concepts du droit pénal qui pourraient nous aider à établir les règles de responsabilité criminelle des personnes morales.

    Il faut aussi se rappeler que le droit pénal se distingue d'autres domaines du droit en ce sens qu'il prévoit généralement des sanctions plus graves. Parmi les questions importantes sur lesquelles vous devrez vous pencher figurent la nature de la peine et les mesures remédiatrices. Vous constaterez qu'à l'étranger, les tribunaux disposent de toutes sortes de pouvoirs dans le domaine de la détermination de la peine et de l'imposition de mesures remédiatrices aux entreprises sous le coup d'une accusation.

¿  +-(0945)  

    D'ailleurs, en raison de ces difficultés, la common law prévoyait au départ qu'il était impossible pour des personnes morales d'être accusées d'un crime. Certains l'affirment encore. Jeudi dernier, il y avait dans le Financial Post un éditorial intitulé «Les entreprises ne peuvent être des criminels»; cette idée a donc encore des défenseurs.

    À ses débuts, la tradition britannique et la common law exigeaient une forme ou une autre de mens rea; par conséquent, dans les causes ordinaires, les personnes morales ne pouvaient être reconnues coupables d'une infraction criminelle. Vers 1909, le droit a commencé à évoluer vers l'imposition d'une responsabilité criminelle aux personnes morales, mais seulement dans des domaines particuliers: nuisance publique, responsabilité criminelle, outrage au tribunal et certaines infractions de responsabilité absolue pour lesquelles la mens rea n'a pas à être prouvée. Il y a donc eu une lente évolution vers la responsabilité criminelle des entreprises.

    En 1915, la Chambre des Lords a jugé coupable une société au motif que les personnes physiques qui avaient commis l'infraction constituaient l'âme dirigeante de l'entreprise. Autrement dit, un gestionnaire ou un employé chevronné de la société a été reconnu responsable d'une infraction criminelle et on a attribué sa responsabilité à la personne morale, car cette personne physique en était l'âme dirigeante. Dans sa décision, la Chambre des Lords a parlé de l'âme dirigeante de l'entreprise, de son incarnation, de son alter ego et du coeur même de l'entreprise.

    Ce concept, qui découle d'une décision rendue par la Chambre des Lords en 1915, a exercé une influence considérable sur l'évolution du droit canadien.

    Soit dit en passant, les États-Unis ont attribué la responsabilité criminelle aux personnes morales avant les pays de tradition britannique et, à la fin du XIXe siècle, plusieurs cours suprêmes d'États américains avaient confirmé des condamnations au criminel de personnes morales pour des infractions nécessitant la mens rea. Je vous en décris une, car c'est un bon point de référence.

    En 1909, la Cour suprême des États-Unis, dans une affaire où une compagnie de chemin de fer avait été reconnue coupable d'avoir violé les lois du commerce entre États, a déclaré, et je cite:

Il est vrai que certains crimes, par leur nature, ne peuvent être commis par des personnes morales. Mais il y a une grande catégorie d'infractions (...) qui consistent à faire délibérément ce qu'interdit une loi. Dans cette catégorie d'infractions, rien ne devrait nous empêcher de tenir responsables les personnes morales qui agissent, sciemment et délibérément, par l'entremise de leurs dirigeants auxquels elles ont conféré des pouvoirs, et de porter des accusations contre elles.

    Cela résume assez bien l'un des principaux concepts de l'attribution de la responsabilité à la personne morale comme telle.

    Je cite un autre extrait de cette décision, car elle est assez éloquente:

Il est tout à fait justifié du point de vue de la politique publique, et nullement contre-indiqué en droit, de faire en sorte que les sociétés, qui profitent des transactions et qui ne peuvent agir que par l'entremise de leurs mandataires et dirigeants, soient punissables d'une amende pour la connaissance et l'intention de leurs dirigeants (...)

La loi ne peut faire abstraction du fait que la grande majorité des opérations commerciales de notre époque moderne se font par l'entremise de ces entités. Les soustraire à toute forme de châtiment en raison de la vieille doctrine périmée qui veut qu'une personne morale ne puisse commettre un crime signifierait que nous n'aurions aucune façon de remédier à leurs abus.
Brièvement, je mentionnerai que les pays européens--je n'entrerai pas dans les détails--hésitent généralement à appliquer le droit pénal aux personnes morales. Je peux vous renvoyer à des articles sur ces pays qui suivent la tradition européenne

    Mais certains pays d'Europe--ils vous intéresseront peut-être--prévoient dorénavant une responsabilité criminelle pour les personnes morales. C'est le cas des Pays-Bas pour les délits économiques depuis 1976, de la Norvège qui attribue la responsabilité criminelle à certaines entreprises depuis les années 80, de la France qui, en 1994, a inclus des peines particulières pour les entreprises dans son nouveau code pénal, et de la Finlande et du Danemark qui imposent la responsabilité criminelle aux sociétés depuis 95 et 96 respectivement.

    En résumé, et certaines de mes remarques sont dans le document de travail que nous vous avons remis, le Code criminel sous sa forme actuelle comprend très peu d'allusions à la responsabilité criminelle des personnes morales. Il importe toutefois de souligner la définition des termes «quiconque», «individu», «personne» et «propriétaire» à l'article 2 du Code, que je cite:

Sont notamment visés par ces expressions et autres expressions semblables Sa Majesté et les corps publics, les personnes morales, sociétés, compagnies (...) à l'égard des actes et choses qu'ils sont capables d'accomplir et de posséder respectivement.

    C'est une définition très vaste de ce qu'est une personne morale ou une compagnie, mais pas une définition très claire.

¿  +-(0950)  

    Je crois qu'il faut d'abord faire une analyse, puis décider à qui doivent s'appliquer les lois sur la responsabilité criminelle des sociétés morales, par exemple, aux associations à but non lucratif non constituées en société, aux partenariats, etc. Si on se tourne vers les autres administrations, on constate que pour chacune, il a été difficile d'arriver à une définition du concept et de sa portée.

    J'aimerais ajouter que le code ne prévoit aucune règle pour déterminer de quelles actions sont capables ces entreprises. Ce sont les tribunaux qui ont dû en décider.

    Je passe quelques paragraphes. Le droit a évolué lentement, et comme je le disais plus tôt, la principale affaire dans la jurisprudence canadienne remonte à 1985, il s'agit de l'affaire Canadian Dredge and Dock. Elle ne portait pas essentiellement sur le Code criminel, mais sur l'évolution de la common law. Les faits entourant cette affaire sont certainement complexes, mais en bref, elle se rapportait à la fixation de prix pour des contrats de dragage. On accusait l'entreprise de complot de fraude, pour ces contrats.

    La Cour suprême du Canada a alors eu l'occasion d'examiner l'état du droit au Canada, au Royaume-Uni, en Australie, en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis, et a fini par tenir cette société criminellement responsable. Elle confirmait ainsi la théorie selon laquelle la conduite des principaux dirigeants de la société était en fait celle de l'entreprise. C'est une application de la théorie de l'identification ou de l'attribution, qui a été adoptée au Canada, pour la common law.

    L'employé qui a posé un geste, qui a physiquement commis l'infraction dans ce cas-là était, et je cite l'arrêt: «l'incarnation de la compagnie», son organe vital et en réalité, son âme dirigeante. On voit dans un nombre limité de décisions de la jurisprudence canadienne ce concept «d'âme dirigeante». Il a été précisé davantage dans d'autres arrêts, dont nous parlons dans le document de travail. Essentiellement, dans un sens étroit, on l'a défini comme étant les éléments de la gestion ou de l'administration de l'entreprise qui fixent les politiques et en ont la responsabilité. C'est sur ces personnes que se pencheront les tribunaux, d'après la doctrine de l'identification appliquée dans l'arrêt Dredge and Dock.

    Permettez-moi d'expliquer un peu ce qu'exige cette doctrine. Pour arriver à condamner une entreprise, le procureur doit démontrer qu'un geste posé par son âme dirigeante, tout d'abord, entrait dans le domaine d'attribution de ses fonctions et n'était pas complètement frauduleux envers la compagnie. Par conséquent, s'il y a un employé malhonnête, un administrateur véreux, quelle que soit la façon de l'appeler, qui agit en dehors de ses attributions, de son contrat d'employé, des règles de son entreprise ou des objectifs de l'entreprise, cette dernière peut l'invoquer comme excuse ou défense.

    Il faut aussi prouver que les actes commis avaient en partie pour but ou pour conséquence de procurer un avantage à la compagnie. On a critiqué cette doctrine de l'identification parce qu'elle est trop étroite, puisque seuls les actes posés par les hauts dirigeants de l'entreprise peuvent faire en sorte qu'elle soit tenue responsable. Dans les faits, il peut être difficile de prouver les circonstances dont je viens de parler. Est-ce que cette personne agissait selon ses attributions? Quelle était la nature de la prise de décision?

    Il peut donc être trop difficile d'apporter des preuves et cette démarche peut être jugée trop étroite, pour ce qui est des circonstances qui permettent d'imposer une responsabilité à une personne morale. Je sais que vous recevrez des témoins comme le professeur Healy, et j'espère, la professeure Boisvert, qui pourront probablement aussi vous expliquer en détail la doctrine de l'identification.

    Cette doctrine a aussi été critiquée parce qu'elle n'était pas suffisamment étroite, attribuant automatiquement à la société les actes commis par ses principaux dirigeants, sans tenir suffisamment compte des efforts déployés par l'entreprise pour éviter la commission d'actes illégaux.

    Si nous en avons le temps, M. Yost vous parlera de la situation américaine. Il s'agit d'un régime plus sévère et plus restrictif. On attribue la responsabilité à l'entreprise, mais par ailleurs, les tribunaux ont un système pour en savoir davantage sur les efforts que l'entreprise a consacrés avant la commission de l'infraction, au moment où les accusations ont été portées et on prévoit même que des mesures seront prises, après.

    Vous êtes peut-être au courant de la réforme du droit canadien, puisque le comité permanent y a participé. En bref, la Commission de réforme du droit du Canada a publié un rapport en 1986 sur la recodification du droit pénal. Le rapport a été révisé en 1988 et des propositions ont été faites sur 30 éléments du droit pénal, y compris certains aspects de la responsabilité criminelle des sociétés morales. Faute de temps, je ne vous en dirai pas davantage à ce sujet.

¿  +-(0955)  

+-

    Le président: Pourriez-vous nous donner une idée du temps qu'il vous faut encore? Il est important pour nous de comprendre le contexte, mais j'essaie de planifier notre discussion. Un certain temps nous est imparti et je sais que les membres du comité voudront vous poser des questions. Donnez-moi une idée du temps qu'il vous faut encore.

+-

    M. Dave Whellams: Ma partie se termine dans une minute environ, et M. Yost prendra encore une quinzaine de minutes. Il veut vous présenter certains aspects internationaux de la question.

+-

    Le président: Bon, poursuivez.

+-

    M. Dave Whellams: Je vais vous présenter les faits saillants de l'historique.

    Un groupe de travail composé de fonctionnaires s'est penché sur le rapport de la Commission de réforme du droit. Certaines options ont été proposées, que nous présentons dans le document de travail.

    Un sous-comité de votre comité permanent a été créé et a tenu des audiences en 1992. Je crois que vous disposez déjà de ces documents. Nous pouvons certainement les fournir, au besoin. Le sous-comité a présenté son rapport en février 1993. Il recommandait que les personnes morales soient tenues responsables des actes des personnes investies de pouvoirs, qu'une personne puisse en être tenue personnellement responsable ou non. C'est certainement une application plus large que la doctrine traditionnelle de l'identification.

    En réponse, le gouvernement du Canada a déposé un avant-projet de loi qui tiendrait les personnes morales responsables des infractions dont la définition exige la poursuite d'un dessein ou la témérité, si une personne qu'elle a investi de pouvoirs avait l'état d'esprit nécessaire. On y parlait aussi des infractions de négligence. Il y a donc d'autres références, si vous voulez connaître les diverses options proposées.

    Pour revenir rapidement au projet de loi C-284, le projet de loi dont vous êtes saisis ou dont vous devez étudier la teneur, c'est un modèle bien différent. Il se rapproche du modèle australien. Je ne vais en présenter que les faits saillants. Il applique le concept de la culture organisationnelle. S'il en a le temps, M. Yost vous en parlera. C'est une orientation. Comme nous avons peu de temps, je ne m'attarderai pas à ces détails. Nous pourrons y revenir, au fur et à mesure des questions.

    Je veux simplement dire que le projet de loi C-284 a une application plus large que le Livre blanc du début des années 90, parce qu'il adopte le modèle de la culture organisationnelle, notamment.

    Je m'arrête ici. Je pense qu'il est important de parler des autres modèles, en Australie, au Royaume-Uni et aux États-Unis, qui peuvent vous servir de points de comparaison.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Monsieur Yost.

+-

     M. Greg Yost (conseiller juridique, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice): Merci.

    Je vais essayer d'abréger, du mieux que je pourrai.

    On a déjà dit que ce n'est que récemment que nombre de pays de l'Union européenne ont commencé à changer leur droit, de manière à tenir responsables criminellement les personnes morales. Au Royaume-Uni, et pour les États d'Australie, la loi actuelle est assez proche de la jurisprudence établie par l'arrêt Canadian Dredge and Dock Co.

    Aux États-Unis, par contre, on a adopté un modèle bien différent. Au niveau fédéral, une personne morale peut être tenue responsable des actes de ses dirigeants qui sont posés dans le cadre de leurs attributions ou de leur emploi, peu importe leur poste au sein de ladite personne morale. Je signale, toutefois, que bien des États ont adopté des dispositions du Code pénal modèle. Il faut que la commission de l'infraction ait été autorisée, demandée, commandée, exécutée ou tolérée avec insouciance par le conseil d'administration ou un des hauts dirigeants de l'entreprise.

    Une réflexion intéressante a été menée aux États-Unis par la United States Sentencing Commission, qui rédige les lignes directrices en matière de détermination de la peine. C'est un régime extrêmement complexe. Essentiellement, une cote de 1 à 43 est attribuée pour chaque infraction, et des amendes sont ensuite déterminées. Les premières lignes directrices ne traitaient pas adéquatement des personnes morales, puisqu'elles se rapportaient plutôt à la durée d'incarcération des personnes physiques. Ce n'est qu'en 1991 que la commission a rédigé un chapitre qui porte précisément sur les personnes morales. Le comité permanent voudra sans doute lire ce chapitre.

    On y trouve les principes généraux suivants. La cour doit, si possible, ordonner à l'entreprise de réparer les dommages causés. L'échelle des amendes repose sur la gravité de l'infraction et sur la culpabilité de l'entreprise. La probation est une peine tout indiquée pour les organisations défenderesses, lorsqu'il s'agit de veiller à ce qu'une autre sanction soit vraiment mise en oeuvre.

    Les lignes directrices de la commission fixent les amendes minimales à 5 000 $, jusqu'à un maximum de 72,5 millions de dollars, pour les infractions les plus graves. Ces amendes sont multipliées par le degré de culpabilité de l'entreprise, déterminé à partir de facteurs comme la participation de personnel de haut niveau ou sa tolérance vis-à-vis de l'infraction. Le degré de culpabilité est important puisque si l'infraction s'est produite malgré un programme de prévention efficace et une surveillance des violations de la loi, et si l'entreprise a rapidement dénoncé l'infraction quand elle a été détectée, si, par conséquent, le degré de culpabilité de l'entreprise est de zéro, parce qu'elle a fait tout ce qu'elle pouvait, l'amende prescrite peut être multipliée par 0,05. En revanche, si l'entreprise a été très négligente, l'amende peut être multipliée par quatre, au maximum. En pratique, l'amende maximale équivaut donc à 80 fois l'amende minimale, pour la même infraction. Les entreprises sont donc incitées à avoir un programme efficace pour prévenir et déceler toute infraction aux lois.

    La commission fixe les éléments de ce programme, notamment que l'organisation ait établi des normes et des procédures de conformité que doivent suivre ses employés, que ses hauts dirigeants aient reçu la responsabilité de la surveillance globale de la conformité à ces normes et procédures et qu'elle ait pris des mesures pour communiquer ces normes et procédures efficacement à tous ses employés et dirigeants et que ces normes soient appliquées de manière uniforme, au moyen de mécanismes disciplinaires appropriés.

    Comme je le disais, l'Australie et le Royaume-Uni ont actuellement des lois qui se rapprochent beaucoup de celles du Canada. Toutefois, depuis 10 ans, ces deux instances se sont penchées sur la responsabilité criminelle des personnes morales et ont proposé des réformes, dont nous traitons en détail dans le document de travail.

    En Australie, les propositions de réforme ont découlé d'un projet de code criminel modèle (Model Criminal Code), proposé par un comité composé de procureurs généraux. Au niveau fédéral, on a en Australie peu de compétences judiciaires, puisqu'elles ne touchent que des questions comme la trahison, l'espionnage et les infractions commises en haute mer. Le reste du droit pénal est entre les mains des États.

    Le Commonwealth a adopté un nouveau code criminel fondé sur le code criminel modèle de 1995. Pour les infractions exigeant la mens rea (l'intention, la connaissance ou la témérité), une entreprise peut être tenue responsable s'il est prouvé que: le conseil d'administration a expressément ou tacitement autorisé la perpétration de l'infraction; un cadre dirigeant de la personne morale a accompli l'acte reproché ou l'a autorisé; une culture d'entreprise encourageait ou tolérait l'inobservation; et la personne morale n'a pas préservé une culture d'entreprise exigeant l'observation de la disposition pertinente.

    La culture d'entreprise est définie comme: «une mentalité, une politique, une règle, une ligne d'action ou une pratique qui a cours au sein de la personne morale généralement, ou du secteur de la personne morale où les activités pertinentes sont exercées».

À  +-(1000)  

    Un cadre dirigeant est «tout employé, mandataire ou dirigeant de la personne morale ayant des responsabilités telles qu'on est justifié de présumer que ses actes sont conformes aux politiques de celle-ci.»

    Le nouveau Code criminel du Commonwealth n'est en vigueur que depuis quelques années. C'est peut-être en raison de la portée étroite du droit criminel fédéral australien, mais nous n'avons pu trouver de cas où une entreprise aurait été accusée d'une infraction criminelle et où les tribunaux australiens auraient interprété les nouvelles dispositions. Cependant, les tribunaux australiens l'ont fait dans le contexte des infractions environnementales et de la Loi sur la protection du consommateur--dans des causes de ce genre.

    Au Royaume-Uni, l'élan de réforme a découlé d'une série de désastres, notamment le naufrage du Herald of Free Enterprise, où 187 personnes ont perdu la vie. Le droit criminel n'a pu régler le problème du comportement fautif de l'entreprise.

    Dans son document sur l'homicide involontaire, le Home Office a résumé la loi britannique actuelle. Avant qu'une entreprise puisse être trouvée coupable d'homicide involontaire, une personne qui peut être identifiée comme représentant l'entreprise elle-même doit d'abord avoir été trouvée coupable d'homicide involontaire. Il peut parfois être très difficile de trouver une personne qui représente l'entreprise et qui est coupable.

    La British Law Commission a recommandé de remplacer l'homicide involontaire par une nouvelle infraction de «meurtre par une personne morale». Le gouvernement britannique a accepté les recommandations en principe mais poursuit d'autres consultations, et aucun projet de loi n'a encore été déposé au Parlement du Royaume-Uni.

    L'infraction de meurtre par une personne morale qui est proposée se fonde sur une conduite de la personne morale nettement inférieure aux normes raisonnables prévues. La mort pourrait être considérée comme étant la conséquence de la conduite de la personne morale dans le cas où la manière dont ses activités sont gérées ou organisées ne garantit pas la santé et la sécurité des employés ou des personnes affectées par ses activités.

    Le modèle de meurtre par une personne morale semble avoir gagné une certaine popularité en Australie. En novembre dernier, le gouvernement de l'État de Victoria a déposé un projet de loi intitulé «Crimes (Décès et blessures graves en milieu de travail)» qui, contrairement à la proposition britannique, ne porte que sur le décès ou les blessures des travailleurs. Les sociétés sont responsables lorsque leur conduite est nettement inférieure aux normes raisonnables prévues dans les circonstances. L'amende maximale pour une conduite ayant causé la mort est de 5 millions de dollars tandis qu'elle est de 2 millions de dollars pour une blessure. La conduite de l'entreprise en général doit être prise en compte, et on peut tenir compte de la conduite des employés, mandataires ou dirigeants de l'entreprise.

    Il peut y avoir négligence si l'entreprise n'a pas réussi à gérer ou surveiller ses employés de façon adéquate, à engager une personne qui est raisonnablement capable de fournir les services prévus dans le contrat, à fournir les systèmes adéquats pour transmettre l'information pertinente ou à prendre des mesures raisonnables pour remédier à une situation dangereuse dont un haut dirigeant est au courant.

    Le projet de loi qui a été déposé dans l'État de Victoria renverse la loi actuelle qui exige que l'on trouve une personne coupable de négligence et qu'on attribue ensuite l'état d'esprit de cette personne à la personne morale. Le projet de loi propose que lorsqu'une personne morale a commis l'infraction, un cadre supérieur qui était responsable de la conduite du point de vue organisationnel, qui a contribué matériellement à la commission de l'infraction, et qui savait qu'il y avait un risque important de blessure ou de mort est coupable d'une infraction. Le cadre supérieur risque une peine d'emprisonnement de cinq ans et une amende de 180 000 $ en cas de décès et une peine d'emprisonnement de deux ans et une amende de 120 000 $ en cas de blessure. Cette disposition est peut-être semblable à la disposition du projet de loi C-284 prévoyant la responsabilité des administrateurs et des cadres en ce qui a trait aux conditions de travail dangereuses.

    Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions, monsieur le président.

À  +-(1005)  

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Par le passé, le ministère nous fournissait habituellement un tableau avec divers éléments, divers gouvernements, et une grille. Ce serait peut-être utile aux membres du comité si vous pouviez nous fournir quelque chose de semblable.

+-

    M. Dave Whellams: Ce serait utile pour nous aussi, et nous nous engageons à le faire. Vous avez raison, il y a bien des options et bien des variations de chaque modèle.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    M. Sorenson devra partir sous peu. Je cède donc tout de suite la parole à M. Bellehumeur, pour sept minutes.

[Français]

+-

    M. Michel Bellehumeur (Berthier--Montcalm, BQ): Je n'ai pas de questions. C'était clair.

[Traduction]

+-

    Le président: Je parie que M. Blaikie a une question à poser.

+-

    M. Bill Blaikie (Winnipeg--Transcona, NPD): Eh bien, vous auriez pu gager votre maison. Je n'ai pas beaucoup de questions, mais j'aurais peut-être une observation qui pourrait mener à une question.

    Il est intéressant qu'en théorie, les personnes morales ne puissent être traitées comme des personnes aux fins de la responsabilité criminelle, et pourtant elles sont souvent traitées comme des personnes, il me semble, sur le plan économique... Il me semble y avoir là un manque d'uniformité dans la loi, alors qu'elles ont toute la liberté dont jouissent les personnes sur le plan économique tandis qu'elles n'ont aucune des responsabilités des personnes lorsqu'il s'agit de subir les conséquences de leurs actes.

    Quoi qu'il en soit, cette question ne fait pas partie de notre étude aujourd'hui, mais je trouve intéressant qu'une bonne partie de notre théorie économique se fonde sur l'équivalence entre les personnes morales et les personnes lorsqu'il est question de liberté, mais lorsqu'on parle de responsabilité, tout à coup, il y a une grande différence et elles ne peuvent être tenues responsables de la même façon.

    Pour poursuivre dans la même veine, je crois que vous parliez, quoique de façon assez énigmatique, du fait que nous avons étudié les troubles mentaux, et qu'il s'agissait là d'une question distincte. Est-ce vraiment le cas? Dans le cas de trouble mental, on se demande vraiment si la personne est moralement responsable. Il se pourrait qu'il y ait une sorte de trouble mental ou moral dans la culture d'entreprise qui l'empêche de songer aux choses auxquelles elle devrait songer.

    Ce que je voulais demander--et vous y avez fait allusion vers la fin, car j'y songeais--c'est, quels seraient les avantages à votre avis...? Cette enquête a été entreprise à la suite de la tragédie de la mine Westray, et c'est une forme de meurtre des employés par une personne morale, si vous voulez, par négligence. Quels seraient les avantages, à votre avis, ou quels avantages avez-vous observés dans d'autres pays, si, plutôt que...? J'ai lu le document de travail, et dans bien des cas de responsabilité des personnes morales dont vous parlez, il s'agit de responsabilité pour tout, notamment les dommages causés à l'environnement et les produits de consommation. Même l'affaire Dredge and Dock concerne la fraude. Quels seraient à votre avis les avantages d'avoir un amendement plus limité au Code criminel qui ne parle que de...? Est-ce que ce serait tout simplement moins complexe et par conséquent davantage faisable si nous n'examinions que des amendements au Code criminel qui créeraient une responsabilité criminelle pour la mort ou les blessures causées aux employés d'une personne morale à la suite de négligence?

À  +-(1010)  

+-

    M. Dave Whellams: Greg voudra peut-être faire des observations. Je crois que vous avez soulevé un certain nombre de points, mais le premier est de toute évidence l'homicide involontaire par la personne morale. Le meurtre par une personne morale serait plus étroit que si on appliquait une théorie de responsabilité générale.

    Par ailleurs, je crois qu'on finirait par se débattre avec les mêmes concepts juridiques. Pour qu'il y ait meurtre par une personne morale, il faut qu'il y ait eu «carence de la gestion», je crois que c'est le terme utilisé. Eh bien, une carence de la gestion est essentiellement une conduite inférieure à une norme. Il faut donc définir la norme. De la même façon, il faut définir une norme par rapport à la théorie plus générale selon laquelle il faut décider si c'est une question d'identification ou de culture d'entreprise. On se retrouve avec le même problème sur le plan juridique qui consiste à définir la norme de conduite.

    Vous êtes aussi engagés dans un processus, et c'est une question que je n'ai pas vraiment abordée. Que l'on parle d'une théorie d'identification qui s'applique à une série de faits ou d'une culture d'entreprise, on invite les tribunaux à faire une enquête en bonne et due forme sur la conduite de l'entreprise.

    Donc, je pense qu'on aurait bon nombre des mêmes problèmes juridiques si on adoptait l'approche étroite d'une seule infraction de meurtre par une personne morale ou d'homicide involontaire par une personne morale.

+-

    M. Bill Blaikie: Serait-ce plus facile?

+-

    M. Dave Whellams: Je ne sais pas si ce serait plus facile. Ce serait peut-être plus facile à certains égards, car nous parlons d'une infraction très distincte, où il serait peut-être plus facile de saisir le concept du lien entre la conduite de l'entreprise et quelque chose d'aussi terrible que la tragédie la mine Westray. De façon générale cependant, je dirais qu'on se retrouve avec certains des mêmes concepts.

+-

    M. Greg Yost: Si on regarde la loi, l'idée de regrouper un certain nombre d'erreurs commises au sein d'une entreprise--dont aucune n'exposerait un particulier à, disons, une accusation de négligence criminelle causant la mort, car il ne s'agissait pas d'une erreur si grave--et de dire: «Si on regarde la situation générale, l'entreprise n'a pas bien agi», dans une situation comme Westray, j'aurais pensé que cela aurait été utile à la poursuite, quoique pas contre l'entreprise puisqu'elle était en faillite.

    Y aurait-il eu un résultat pratique? Je ne le sais pas.

    Ce que l'on peut reprocher à la formule américaine, si le mandataire est coupable, c'est que l'on peut attribuer cette responsabilité criminelle à l'employeur, nonobstant le fait que l'on peut se retrouver avec une non-culpabilité. L'entreprise a fait tout ce qu'elle devait faire, et un employé a commis une erreur. Pourtant, l'entreprise est trouvée criminellement responsable et passible d'une amende. Elle tente tout simplement de plaider afin de ne pas être passible d'une amende trop élevée.

    Il est donc difficile de dire quelles sont les conséquences en ce qui a trait à la sécurité en milieu de travail. Vous avez mentionné une trace écrite de la circulation de l'information. Cela encourage certainement les entreprises à être prêtes à dire pour se défendre qu'elles ont fait tout ce qu'elles étaient censées faire si, malheureusement, quelqu'un se fait tuer ou si une autre infraction criminelle est commise.

À  +-(1015)  

+-

    M. Bill Blaikie: Il y a toutes sortes de situations que je connais, dans le secteur ferroviaire et ailleurs, où il existe toutes sortes de règles que tout le monde est censé respecter, mais la direction s'attend à ce qu'on ne suive pas ces règles si on veut faire partir un train ou si on veut respecter un échéancier. On risque d'avoir des problèmes si on respecte la règle. Si on ne respecte pas la règle et que tout va bien, alors tout va bien. Si on ne respecte pas la règle et que quelque chose se produit, alors c'est la faute de l'employé plutôt que de l'entreprise, alors qu'en fait la culture de l'entreprise fait en sorte que l'on s'attend à ce que la règle ne soit respectée que lorsque cela fait l'affaire de l'entreprise, pour ainsi dire.

    À mon avis, ce serait quelque chose de très difficile à prouver si on avait la trace écrite de la circulation de l'information et que c'était la seule chose dont on tenait compte. Ce serait peut-être différent si on tenait compte de la culture d'entreprise.

+-

    M. Dave Whellams: Je crois que vous allez entendre d'autres témoins, notamment Mme Boisvert qui a écrit un article il y a quelques années pour la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada. Je ne sais pas si on vous a fourni cet article, mais je vais m'en assurer.

    Elle exprime un parti pris pour la culture d'entreprise. Permettez-moi de citer cet article aux fins du compte rendu. Elle dit: «la culture d'entreprise fait surtout référence à la chaîne de commandement, à la structure de prise de décisions et à l'atmosphère générale» au sein d'une société.

    Ce serait bien d'avoir davantage de résultats de l'expérience australienne et de la loi australienne, mais comme M. Yost l'a dit, il n'y a pas eu de nombreuses véritables poursuites là-bas. Vous savez cependant que le tribunal, afin de faire en sorte que la culture d'entreprise respecte cette norme, entreprendra une enquête très intensive sur des questions comme la chaîne de commandement, en quoi consistaient les règles, et si ces dernières ont été ou non respectées.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Monsieur Macklin, vous avez sept minutes.

+-

    M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.): Merci.

    Ce que nous allons examiner ici, et vous n'êtes peut-être pas en mesure de nous aider à cet égard, c'est le rapport de cause à effet entre ce que nous tentons de faire au cours de ces audiences, c'est-à-dire tenter de trouver ce que je crois serait la meilleure façon de dissuader; ou, au contraire, d'encourager l'observation au sein des entreprises.

    Les recherches ou les études que vous avez faites indiquent-elles qu'il pourrait y avoir un changement dans la culture d'entreprise en raison de la façon dont les lois sont exprimées, par exemple, aux États-Unis? Y a-t-il quoi que ce soit qui indique que depuis qu'ils ont introduit leur système là-bas, il y a eu un changement au niveau de la culture d'entreprise, de la façon de penser, qui fait en sorte que ces dernières visent davantage à assurer un milieu de travail sans danger? Car c'est en réalité ce que nous tentons de faire ici. C'est là l'objectif. Nous ne voulons pas seulement créer une loi; nous voulons avoir un système qui fonctionnera de façon appropriée afin de préserver et de protéger ceux qui travaillent dans ces entreprises.

+-

    M. Dave Whellams: Je serais certainement entièrement d'accord. Nous parlons de droit criminel, de sorte qu'il n'y a aucune raison pour que nous ne mettions pas l'accent sur tous les éléments classiques de la détermination de la peine, telle qu'on la retrouve dans le code et telle qu'elle s'applique dans de telles situations. Nous parlons de mesures de dissuasion. Nous parlons de la capacité de prendre des mesures correctives et par-dessus tout, nous parlons ici de prévention, je pense.

    Vous avez tout à fait raison; les États-Unis font souvent les choses en grand, et dans les cas où des entreprises ont fait l'objet de poursuites là-bas, nous parlons d'un impact assez important tant pour la société que pour les victimes individuelles et pour l'entreprise elle-même. Comme M. Yost l'a mentionné, la structure fédérale de détermination de la peine qu'ils utilisent est une grille élaborée qui permet d'établir les pénalités et d'imposer des amendes allant jusqu'à 72 millions de dollars.

    Nous devons nous demander en quoi consiste notre objectif ici. Le premier objectif, manifestement, est l'objectif classique de dissuasion et de prévention du droit criminel, soit envoyer un message disant qu'il faut mettre en place des mesures de prévention et adopter de bonnes lignes directrices et de bonnes pratiques d'entreprise. On verra alors les entreprises mettre en place des programmes d'observation afin de prévenir les problèmes. C'est parce que ce sont des entreprises énormes, de grande envergure et que leurs opérations peuvent poser énormément de risques disons pour l'environnement, etc. Je ne crois pas que cela dépasse la portée de l'étude que vous avez entreprise.

    De la même façon, il y a des régimes correctifs, quelque chose qui n'est pas vraiment évident dans certains modèles comme le projet de loi C-284, que l'on devrait vraiment examiner à mon avis. C'est un domaine très complexe, mais si on examine d'autres régimes comme les régimes britannique, australien et plus particulièrement américain, on s'aperçoit qu'il y a effectivement possibilité d'ordonner une mesure corrective.

    Il y a un modèle, qui n'est pas entièrement le modèle américain, sans lequel on suspend d'une certaine façon la déclaration de culpabilité--c'est plus compliqué que cela, mais c'est le résultat--si l'entreprise prend des mesures correctives. C'est parce que l'entreprise risque gros si elle est trouvée coupable.

    Vous disiez, monsieur Macklin, que la loi devient un point de référence pour les entreprises qui prennent des mesures même avant qu'elles puissent être poursuivies. De la même façon, à l'autre extrémité, il y a toute la question des mesures correctives. Les Britanniques ont une approche différente, mais c'est ce qu'ils ont également. Toute la question des mesures correctives est extrêmement importante.

    Le modèle britannique est intéressant en raison du lien--vous l'avez soulevé, monsieur Blaikie--entre les mesures qui relèvent de la réglementation et qui peuvent d'une certaine façon remplacer les questions de sécurité qui peuvent être abordées dans d'autres lois. Le modèle britannique propose une approche selon laquelle même si les tribunaux ordonnent que des mesures correctives soient prises à la suite d'une déclaration de culpabilité, ce sont des agents de santé et de sécurité qui mettent ces mesures en oeuvre, non pas des agents du système de justice criminelle.

    C'est peut-être une très longue réponse à votre question, mais je pense que ce sont là deux aspects très importants si on veut atteindre les objectifs de la loi en un sens.

    Greg, aviez-vous quelque chose à ajouter?

À  +-(1020)  

+-

    M. Greg Yost: Je mentionnerai seulement l'une des critiques qui a été faite du modèle de probation aux États-Unis. C'est que les tribunaux finissent par remplacer les spécialistes des questions professionnelles et de la santé ainsi que les autorités fédérales. Les cours mettent elles-mêmes sur pied des programmes sans avoir du tout les compétences de l'administration habituellement responsable de ces entreprises.

    Je signalerai d'autre part que les Américains—nous avons parlé d'une fourchette d'amendes—ont été critiqués parce qu'ils poussent pratiquement les entreprises à la faillite. Les gens se retrouvent sans travail et on peut se demander quel est l'intérêt? La majorité des travailleurs blessés sont couverts par l'indemnisation pour accidents du travail et ne peuvent rien tirer d'autre.

    C'est la raison pour laquelle il y a environ cinq ans, les lignes directrices sur la détermination de la peine aux États-Unis ont été modifiées et stipulent maintenant que, sauf si la raison d'être de la société est criminelle, si son but est de frauder, les amendes devraient tenir compte de la viabilité de la société, de sa capacité à rester en activité si elle paie l'amende. Sinon, ils ont prévu des ordonnances de services communautaires par lesquelles les sociétés envoient leurs employés faire ce qu'exige l'ordonnance en question si la société ne peut payer les amendes.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Monsieur Hill? Monsieur Bellehumeur?

    Monsieur John McKay.

+-

    M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Ce projet de loi repose sur un genre de modèle de culture d'entreprise. Je suppose que les rédacteurs avaient tout un éventail de modèles. À vous entendre, je ne sais pas trop si celui-ci reprend le modèle australien ou si c'est un modèle unique en son genre. C'est la première question.

    La seconde, quelles autres options avaient les rédacteurs et en quoi le projet de loi pourrait-il être différent? Il me semble que le style et la langue utilisés sortent directement du code quand je lis «direction d'une personne morale» ou «était ou aurait dû être au courant» et d'autres concepts semblables.

    Je ne comprends pas très bien en quoi les modèles auxquels vous avez fait allusion, américain, anglais, australien, nous donneraient un libellé différent.

À  +-(1025)  

+-

    M. Greg Yost: Il existe tout simplement des conventions de rédaction différentes dans les divers pays où différents mots sont utilisés pour exprimer essentiellement les mêmes idées.

    Le projet de loi C-284 semble s'être inspiré du Code criminel australien qui a été adopté au niveau du Commonwealth fédéral. La différence est que la loi australienne comporte une définition de culture organisationnelle. Plutôt que de laisser les tribunaux interpréter les choses comme ils l'entendent, elle indique les éléments qui constituent une règle, une politique, ce genre de chose.

    La deuxième partie du projet de loi C-284, évidemment, est celle qui traite de la responsabilité des dirigeants d'une personne morale. Il y a une grosse différence entre ce que contient le projet de loi C-284 qui déclare l'individu criminellement responsable s'il n'a pas pris toutes les mesures raisonnables et les modèles australien et britannique qui exigent qu'il y ait eu un écart sensible par rapport aux normes d'une personne morale raisonnable. C'est tout à fait différent.

+-

    M. Dave Whellams: Vous pouvez certes comparer les concepts de culture organisationnelle, il y en a plusieurs. Celui-ci se rapproche du modèle australien en effet sauf pour ce qui est des différences indiquées par M. Yost dans la définition de la culture organisationnelle. Des termes tels que «contraint», «encouragé», «toléré» sont des variations sur le thème dans le projet de loi C-284.

    Ce projet de loi présente certains problèmes de libellé. Il est question de responsabilité pour toute infraction, mais l'on ne sait pas trop ce qu'est une infraction même si un autre modèle a été récemment soumis par les Métallurgistes qui résout en partie ce problème en disant: «une infraction est une infraction aux termes du Code criminel». Néanmoins, le modèle des Métallurgistes, le projet de loi C-284 et le modèle australien présentent certaines similitudes en ce qui concerne la codification du concept de culture organisationnelle, comme l'a dit M. Yost.

+-

    M. John McKay: Si le comité s'intéressait à cette notion de grille pour les peines ou les amendes et si le concept de grille était introduit dans le Code criminel pour quelque chose du genre, cela aurait-il des implications pour d'autres types de crimes?

+-

    M. Dave Whellams: Ce serait certainement une innovation en ce qui concerne la détermination de la peine dans le Code criminel. Cela élargirait grandement le régime non seulement de détermination de la peine mais cela obligerait également à relier la structure—au moins si l'on suivait le modèle américain—à une évaluation du degré de culpabilité de la personne morale. Il s'agirait de quelque chose de tout à fait novateur en ce qui concerne la détermination de la peine dans le Code criminel. Ce serait à vous de décider si c'est la voie à suivre, mais ce serait certainement une structure complexe.

    Assurons-nous de ne pas tout mélanger. Les États-Unis n'utilisent pas de modèle de culture organisationnelle. Le projet de loi utilise ce modèle.

À  +-(1030)  

+-

    M. John McKay: Non, je sais.

+-

    M. Dave Whellams: D'autres pays ne semblent pas avoir un système de grille aussi complexe mais ils ont des moyens de se renseigner en matière de restitution—ordonnances correctives—également dans le système britannique et australien.

+-

    Le président: Merci, John.

    Monsieur Grose.

+-

    M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Il y a longtemps, je travaillais pour une société qui avait une devise sur le tableau de bord de chaque véhicule, trousse à outils et mur de bâtiment: «Aucun service n'est si urgent, aucun travail n'est si difficile»—j'oublie un peu, cela fait longtemps—«que l'on n'ait pas le temps de faire le travail en toute sécurité». Cela s'appliquait aux ouvriers et à la direction. En fait, cela s'appliquait à tout ce qui appartenait à cette entreprise.

    Est-ce que cela suffirait pour que la société ne soit pas tenue responsable, d'après ce que vous avez examiné et en vertu du projet de loi C-284, si quelqu'un désobéissait à ces règles et provoquait une grosse catastrophe?

+-

    M. Greg Yost: Pas en soi, non. Dans le système américain, ce serait certainement un élément de preuve qui tendrait à montrer les efforts déployés par la personne morale pour pousser ses employés à respecter les règles de sécurité. Toutefois, le procureur pourrait toujours prétendre que ces devises étaient bien au mur, mais que personne ne le respectait.

    Donc, en soi, ce ne serait certainement pas satisfaisant. Ce serait seulement l'un des facteurs dans le procès.

+-

    M. Ivan Grose: Dans ce cas particulier, la personne morale était sérieuse. Si on se faisait prendre à ne pas respecter une des règles de sécurité, on était renvoyé et on n'avait plus qu'à aller chercher du travail ailleurs

    Donc, évidemment, ce serait certainement présenté comme une preuve que la personne morale avait fait de son mieux.

+-

    M. Greg Yost: Le quatrième élément que j'ai mentionné dans les règles américaines était qu'il fallait qu'il y ait eu des sanctions efficaces contre les employés qui avaient omis de respecter la loi ou, dans ce cas, des règles de sécurité.

    Donc, en effet, ce serait certainement un élément de preuve important quant à la façon don la personne morale considérait la sécurité tout comme le fait que l'on n'ait jamais sanctionné depuis des années des gens qui ne respectaient pas les règles de sécurité serait une preuve très lourde contre cette personne morale.

+-

    M. Ivan Grose: Mais il y aurait tout de même suffisamment de preuves pour au moins tenter de se défendre ainsi. Ce que je veux dire, c'est que si cela suffisait, tout le monde mettrait ce genre de pancarte aux murs. Cela irait à l'encontre de ce que nous essayons de faire.

    Mais vous avez répondu à ma question. Je vous remercie.

    Merci, monsieur le président.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Monsieur Blaikie.

+-

    M. Bill Blaikie: À ce sujet, je pense que la question est assez juste. Mais il ne s'agit pas simplement d'essayer de déterminer si les employés ont enfreint certaines règles. Il faut également savoir quelles sont les règles et quels ont été les ordres.

    À Westray, par exemple, ce n'est pas que les employés faisaient quelque chose qu'on leur avait ordonné de ne pas faire. C'est que—si j'ai bien compris—ils réoutillaient la chaudière d'une façon totalement différente, en l'arrosant au jet plutôt que de la laisser refroidir doucement par brumisation. L'entreprise essayait d'accélérer les choses.

    Donc, si l'on est employé et qu'on vous ordonne de faire une chose d'une certaine façon, c'est l'entreprise qui décide de faire quelque chose dangereusement, parce qu'elle est pressée, et ce n'est pas les employés qui enfreignent certaines pratiques bien établies.

+-

    M. Dave Whellams: Je crois que l'on a déjà dit que la culture organisationnelle dicte que l'on effectue une enquête complète à la fois sur les règles officielles et sur ce qui s'est effectivement produit, ce qu'a fait la société, ect. Cela répond en partie à la question de M. Grose à savoir que, non, ce n'est pas parce qu'il y a un petit avertissement que l'on est disculpé. Il faut faire une enquête complète.

    C'est presque dans le libellé. Je cite la cause des Métallurgistes. Ils parlent d'une culture organisationnelle qui existait dans cette société qui encourageait, tolérait ou poussait les employés, etc., à croire que la conduite qui constituait l'infraction serait tolérée, encouragée, etc. C'est ce sur quoi repose le concept d'une enquête complète sur la culture organisationnelle.

    Je m'arrêterai là.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Vouliez-vous poser une autre question?

+-

    M. Bill Blaikie: Je voulais simplement pousser cela un peu plus loin. Une chose qui se produit souvent...et, là encore, je pense qu'il s'agit de culture organisationnelle ou d'ordres donnés. On constate souvent dans de nombreux cas où les employés ont un accident mortel, qu'il s'agit de jeunes, de nouveaux, de gens qui ne savent pas... Si on demande à quelqu'un qui est là depuis cinq ans d'aller faire quelque chose de dangereux, il risque de vous envoyer promener. Mais si on demande à un jeune qui vient d'arriver et qui essaie de faire ses preuves, il ne veut pas avoir l'air craintif et dit «d'accord, j'y vais». Puis on apprend qu'il est mort.

    Dans ce cas, il me semble que la culture organisationnelle profite de l'ardeur des employés jeunes ou nouveaux.

    Je pense à un cas là où je travaillait, il s'agissait de quelqu'un de tout à fait nouveau. Si l'on déplace des trains ou du matériel roulant à Symington et que l'on est agent de train et aiguilleur, on doit suivre toute une formation, des règles, et tout le reste. Mais si l'on est à l'atelier et qu'on vient de commencer, quand quelqu'un demande qu'on aille chercher un wagon de rail au parc à rail, si l'on répond qu'on ne l'a jamais fait, on se fait dire qu'il n'y a pas de problème et c'est comme ça qu'on se retrouve mort coincé entre deux wagons-tombereaux.

    Dans ce genre de cas, il s'agit d'une responsabilité criminelle de la part de la société qui n'a pas convenablement formé ses employés ou qui leur demande de faire des choses pour lesquelles ils ne sont pas formés.

À  +-(1035)  

+-

    M. Dave Whellams: Certes, vous avez présenté une situation assez évidente. Il y a des lois sur la santé et la sécurité dans les lieux de travail et il y a des lois fédérales et provinciales qui portent sur les normes des lieux de travail et ce genre de choses. C'est un vaste champ d'enquête que cette relation entre la réglementation et le droit criminel.

    Dans un sens, et de façon très générale, il n'y a aucune raison qu'ils ne puissent coexister mais il faudra probablement parvenir à une certaine rationalisation à cet égard. Et, évidemment, pour le droit criminel, on applique toujours les normes de culpabilité du droit criminel.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Monsieur Maloney.

+-

    M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): Si ce projet de loi émanait du gouvernement, le ministre de la Justice et le Procureur général du Canada devraient en garantir la constitutionnalité. Ce projet de loi est-il constitutionnel? S'il comporte des points faibles, pourriez-vous nous recommander des corrections? Pourrait-il y avoir un problème au niveau de la compétence des provinces?

+-

    M. Dave Whellams: Pour répondre à la première question, au sujet du respect des droits, de la Charte, etc., nous n'avons pas fait une analyse approfondie de cette question. Un certain nombre de choses ont été écrites à ce sujet. Dans les articles qu'il a écrits, le professeur Healy parle des défenses sous le régime de la Charte dont pourrait se prévaloir une personne morale, ce qui représente une approche et une perspective différentes de ce dont pourrait se prévaloir un particulier. Il pourrait y avoir des conflits entre la Charte et certaines normes du droit pénal, j'entends par là la capacité d'exprimer une intention précise.

    On peut supposer que dans une contestation de modèle de culture organisationnelle, il faut en fait décider s'il est à-propos d'attribuer la culpabilité à une société à titre de personne. Cela dépend en partie d'une accumulation de facteurs. L'article que je viens de citer établit une norme qui vise à encourager une certaine conduite, etc. Il pourrait donc y avoir des questions de mens rea, et on pourrait contester sous le régime de la Charte l'intention réelle et la culpabilité de la société. Mais je dois avouer que nous n'avons pas fait une analyse approfondie de cette question.

    Pour ce qui est des compétences, c'est un autre domaine, mais les lois pénales, d'application générale, peuvent certes s'appliquer. C'est une courte réponse à cette question.

    À vrai dire, je ne crois pas que le modèle de culture organisationnelle--et cela ne signifie pas nécessairement que je le préconise--peut constituer une ingérence dans les compétences provinciales, car ce modèle sera structuré en fonction des pouvoirs du Parlement en matière de droit pénal.

+-

    M. John Maloney: Ferez-vous une analyse du projet de loi dans le contexte des droits inscrits dans la Charte?

+-

    M. Dave Whellams: Oui. Dans ce cas-ci, je crois que c'est indiqué.

+-

    M. John Maloney: Nous informerez-vous des résultats de cette analyse, le moment venu?

    M. Dave Whellams: Bien sûr.

    M. John Maloney: Merci.

+-

    Le président: Merci, monsieur Maloney.

    Monsieur Peter MacKay.

+-

    M. Peter MacKay (Pictou--Antigonish--Guysborough, PC): Merci, monsieur le président.

    Je vous remercie tous les deux de votre analyse intelligente et très détaillée de cette mesure législative et de cette question qui revient constamment sur le tapis depuis quelque temps.

    Quand on veut aller «derrière le voile corporatif», pour reprendre une vieille expression juridique, la responsabilité est à la fois d'ordre pénal et d'ordre civil. Et pourtant, dans ce projet de loi, il est un élément qui pourrait être jugé inconstitutionnel dans l'analyse dont a parlé mon collègue, M. Maloney. Il s'agit de cette idée de l'inversion du fardeau de la preuve, c'est-à-dire qu'à toutes fins utiles, une personne ou une société doit prouver qu'elle a agi avec toute la diligence nécessaire pour garantir la sécurité et le respect de certaines normes.

    Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez et nous dire également si, dans cette mesure législative, il serait possible de mettre en place une hiérarchie dans les niveaux de responsabilité? Quand on parle de société, il ne s'agit pas d'un objet tangible ou d'une personne. Il s'agit d'actifs et, dans les sanctions pénales, on parle d'amendes.

    Dans le cas des administrateurs, des gestionnaires, des personnes qui ont le pouvoir de participer à l'entreprise ou de prendre des décisions, les sanctions pourraient être des peines d'emprisonnement, entre autres.

    Serait-il possible de créer des niveaux de reddition de comptes, des niveaux de responsabilité criminelle, dans un amendement comme celui-ci au Code criminel?

À  +-(1040)  

+-

    M. Dave Whellams: Il n'est pas facile de répondre à votre deuxième question.

    Pour répondre à la première, l'inversion du fardeau de la preuve risque toujours de poser des problèmes, comme vous le savez. Cette inversion peut être mal indiquée; c'est du moins ce qui peut sembler à première vue.

    Dans ce cas-ci, l'inversion du fardeau de la preuve est intéressante, car s'il s'agit d'infractions de responsabilité stricte, ou en tout cas de responsabilité absolue, le fardeau de la preuve doit à peu près déjà au départ être assumé par l'accusé. Il y a responsabilité stricte et absolue, comme on dit, dans les cas d'actes criminels primaires. La responsabilité directe s'appliquerait, par exemple, à la société.

    On peut donc se demander si en appliquant ce concept général de l'attribution de toute la responsabilité aux sociétés en fonction de la culture organisationnelle, on n'inclut pas toutes sortes de délits. C'est effectivement le cas, puisqu'on ne fait aucune distinction entre les infractions réglementaires, les infractions exigeant la mens rea et les crimes véritables, comme on dit, en responsabilité stricte et absolue. C'est quelque chose qu'il faudrait examiner. Je n'ai pas d'opinion tranchée à ce sujet.

    Dans ces domaines, il pourrait être indiqué d'inverser le fardeau de la preuve, car cela pourrait être facile de toute façon. La responsabilité est à peu près automatique, pour reprendre un terme qui a été utilisé, dans les cas de responsabilité stricte et absolue. Dans un cas de responsabilité absolue, on ne peut pas de toute façon invoquer la prudence raisonnable comme motif de défense--c'est peut-être une erreur. À l'échelon suivant, celui de la responsabilité stricte, ce motif de la prudence raisonnable est fréquemment invoqué. Il serait donc probablement acceptable d'inverser le fardeau de la preuve dans un tel cas.

    Comme je l'ai dit, nous n'avons pas examiné de façon détaillée les dispositions sur l'inversion du fardeau de la preuve, tant dans le contexte des normes du droit pénal que de la Charte, mais il faudra en faire une analyse approfondie.

    Si le gouvernement choisit l'orientation de la culture organisationnelle, quel sera l'effet de l'inversion du fardeau de la preuve sur la preuve? Il n'est pas strictement exact de dire qu'on prouvera une accumulation de facteurs, car c'est plus que cela. C'est plus général; y a-t-il eu des encouragements? Quel était le climat? Quels ont été les ordres officiels et non officiels donnés aux employés, etc.?

    Alors que signifie l'inversion du fardeau de la preuve ou la défense dans ce contexte? Je n'en suis pas certain. Cela répond partiellement à votre question.

    Il n'est pas facile de répondre à votre deuxième question, sur les niveaux de responsabilité. Il faudrait faire preuve d'un peu d'innovation à ce sujet. Comme je l'ai mentionné, dans le régime américain, il existe un barème de peines en fonction de l'évaluation de la culpabilité. On y reconnaît donc des degrés différents de culpabilité--si j'ai bien compris--et cela exige par conséquent une enquête très approfondie à l'étape de la condamnation et de la détermination de la peine.

    Oui, on pourrait peut-être envisager différents niveaux de culpabilité. Ces niveaux de culpabilité pourraient correspondre non pas nécessairement à un barème des peines mais à des degrés de punition en fonction de la culpabilité.

    C'est un sujet épineux, cependant. M. Blaikie a mentionné un ou deux cas. On pourrait en ajouter des douzaines: dégâts environnementaux, accidents mortels au travail, fraudes de consommateurs, etc. En fait, il y a eu des poursuites judiciaires relatives à ces infractions dans divers pays. Les sanctions qui sont fixées sont donc importantes. S'agit-il de tenir compte de différents niveaux de culpabilité ou plutôt de combiner des sanctions punitives à des dommages-intérêts?

    Il n'est pas facile d'établir les sanctions, mais je ne crois pas nécessairement que nous devons adopter le régime américain. Ce dernier régime est certes très utile, mais le barème porte principalement sur les amendes et leurs effets.

    Vous avez également mentionné un autre sujet d'examen, c'est-à-dire la responsabilité des administrateurs et des gestionnaires, les différents modèles. Il y a déjà des dispositions à ce sujet dans tous les modèles, tout comme dans le droit pénal, à l'heure actuelle, au sujet des particuliers. Pour établir les niveaux de culpabilité, il faut également voir comment on peut punir un gestionnaire qui a mal agi. À mon avis, c'est très complexe.

À  +-(1045)  

+-

    M. Peter MacKay: C'est un domaine très complexe du droit.

    J'aimerais avoir une réponse claire à ma prochaine question. Vous êtes un expert du domaine et vous avez étudié la question. À votre avis, les dispositions actuelles du Code criminel sont-elles suffisantes, c'est-à-dire les dispositions relatives à la négligence criminelle, à l'homicide involontaire--ce genre d'accusations que l'on peut actuellement porter sous le régime du Code criminel et qui, en fait, ont été portées dans l'affaire Westray...

    L'affaire Westray n'est peut-être pas le meilleur exemple. Les procureurs de la Couronne se sont complètement éparpillés. On a usé de tactiques dilatoires. L'affaire a été classée pour des raisons techniques plutôt que d'être jugée. C'est une interprétation de la chose, mais c'est ce que j'en ai conclu après avoir travaillé au bureau qui a traité ce dossier.

    Quant à l'affaire elle-même, par contre--et le droit criminel a pour but de protéger la population, plus particulièrement les travailleurs. On peut donc se demander si les dispositions actuelles du Code criminel seraient suffisantes pour permettre à la Couronne et aux services policiers d'agir--il me semble que cette mesure législative, dans sa version brute, augmente les possibilités d'aller au-delà de ce qui est prévu dans ces types d'accusations puisque cet élément de l'intention, l'élément de la responsabilité, ne semble pas figurer actuellement dans notre code criminel.

    Le président: Merci, monsieur MacKay.

    Nous allons d'abord entendre M. Whellams, puis je laisserai John McKay faire la dernière intervention.

+-

    M. Dave Whellams: Vous voulez peut-être dire quelque chose à ce sujet, Greg.

    C'est un domaine complexe, je le répète. Tout d'abord, il ne faut pas perdre la capacité d'intenter des poursuites contre des personnes lorsqu'il est clair et prouvable qu'il existe une responsabilité à l'égard d'actes--la négligence criminelle ou toute une gamme d'autres infractions prévues au code. Ces infractions conserveront leur validité, si je puis utiliser ce terme, puisqu'on a précisé au fil des ans ce qu'est la négligence criminelle, l'homicide involontaire, etc. On conservera donc probablement cette capacité. Elle ne sera pas éliminée par une loi sur la responsabilité criminelle des entreprises.

    Quant à la nature de l'intention, je ne crois pas que je puisse dire que je l'ai bien comprise. Dans le contexte que vous avez mentionné, les actes des administrateurs et des gestionnaires, des dirigeants correspondent-ils à la nature de l'intention? Si vous intentez des poursuites contre ces personnes, je suis sûr que vous obtiendrez diverses définitions de l'intention. Je ne connais pas aussi bien la jurisprudence américaine que Greg à ce sujet. Je doute qu'on y ait modifié les normes de mens rea, en tout cas pour les infractions exigeant la mens rea.

    Il en va autrement des délits de négligence, qui relèvent des infractions réglementaires. Ce sont des actes criminels graves commis par des personnes. Je ne crois pas qu'on ait modifié la nature de l'intention. Le fait d'avoir une norme sur la responsabilité criminelle des sociétés, qui permet d'examiner les actes commis par l'entreprise parallèlement aux actes des dirigeants de cette entreprise, rend peut-être pertinentes toute une panoplie de preuves et de considérations relatives à la preuve afin de démontrer la nature de l'intention.

    Vous avez peut-être une idée du genre d'intentions particulière ou spéciales dont il pourrait être question. Je ne crois pas que nous ayons vu de contexte particulier pour prouver les infractions exigeant la mens rea aux États-Unis.

+-

    Le président: Monsieur Yost.

+-

    M. Greg Yost: Aux États-Unis, on n'a pas éliminé la mens rea dans le cas des sociétés, bien que cet élément soit un peu atténué du fait de l'existence de ces barèmes de culpabilité.

    Un des problèmes qui se posent aux États-Unis, et je suppose que nous aurions le même ici, c'est que les dirigeants ont le droit de se taire, entre autres, car ils pourraient être impliqués personnellement dans des actes dont ils seraient tenus criminellement responsables. Il existe une certaine quantité de jurisprudence américaine à ce sujet. Je soupçonne que cet élément se trouvera également dans l'affaire Enron, qui porte sur ce sujet.

    Cela s'est déjà produit en droit canadien, dans une affaire où une société a été jugée distincte de ses dirigeants afin que les dirigeants, par exemple, le président de la société, puissent témoigner. Ce témoignage aurait normalement pu être utilisé contre lui, sauf qu'il était présenté sous serment, etc.

    Ces problèmes se posent également aux États-Unis. On exige encore que les personnes aient commis elles-mêmes une faute suffisante pour qu'il y ait responsabilité criminelle, tout en cumulant un certain nombre d'actes qui, individuellement, n'étaient pas suffisants pour cela.

À  +-(1050)  

+-

    Le président: John McKay, brièvement.

+-

    M. John McKay: J'ai quelques questions à poser.

    On peut lire au paragraphe 467.3(2) proposé «la personne morale dont il est prouvé qu'un acte ou une omission a été commise en son nom, directement ou indirectement par l'acte posé ou en application d'un autre ordre d'un ou de plusieurs de ses dirigeants, employés ou entrepreneurs indépendants».

    Voici ma première question: Existe-t-il une raison principale pour laquelle les administrateurs n'ont pas été mentionnés dans le paragraphe 467.3(2) proposé? Je ne sais pas s'il s'agit d'une omission ou s'il y a une bonne raison pour cela.

    Ma deuxième question porte sur les entrepreneurs indépendants. Existe-t-il d'autres précédents de l'inclusion des entrepreneurs indépendants dans ce qui serait, je suppose, d'une certaine façon, une autre responsabilité de la société?

    Ma troisième question porte sur l'alinéa 467.3(2)c) proposé. Dans un témoignage antérieur, vous avez dit que nous n'avons pas de définition du développement d'une culture, contrairement à l'Australie. Dans l'alinéa, on dit «qui se développe une culture ou une mentalité commune», et je ne sais donc pas s'il s'agit de deux concepts différents et s'il faut les définir de façon à ce que l'accusé puisse au moins savoir ce que l'on entend par «attitude commune».

    Ma deuxième question porte en partie sur le sujet abordé par M. MacKay, c'est-à-dire l'inversion du fardeau de la preuve, le fait que c'est à la société qu'il incombe de démontrer son innocence. Vous avez dit que cela entraînerait le recours à la défense de la prudence nécessaire; lorsqu'on inverse le fardeau de la preuve, la défense invoque la prudence raisonnable. Quelles sont les autres conséquences du renversement du fardeau de la preuve?

    Le président: Monsieur Whellams.

+-

    M. Dave Whellams: L'utilisation du mot «administrateur» dépend du choix que l'on fait pour définir la direction de l'entreprise.

    Pour prendre un exemple où cela n'est pas codifié dans la loi--et c'est la notion d'âme dirigeante de Dredge et Dock--on pourrait dire que l'âme dirigeante incluait automatiquement un administrateur, mais les tribunaux ont déclaré qu'il faut aller plus loin dans l'enquête. L'âme dirigeante, c'est ceux qui sont chargés d'établir les normes ou qui ont les pouvoirs de le faire, et cela inclut probablement les administrateurs.

    Mais dans ce domaine, qui est un peu différent puisque vous essayez de définir plus particulièrement... eh bien, vous essayez de définir deux choses, c'est-à-dire la responsabilité et les obligations des administrateurs à titre de membres d'une société. Les administrateurs seront probablement inclus dans le groupe des gestionnaires, par exemple. C'est donc peut-être un choix, ou cela peut aussi être une mission. Si vous voulez identifier les membres d'une société, vous parlerez probablement d'administrateurs, entre autres.

    Au sujet des entrepreneurs indépendants--vous répondrez à celle-là, Greg--dans l'évolution de la common law au Canada, la théorie de l'âme dirigeante ne comprend probablement pas les mandataires ou les entrepreneurs indépendants puisqu'ils ne sont pas, de fait, l'âme dirigeante de l'entreprise. Ils ne sont pas chargés de diriger l'entreprise et ne sont pas en mesure de le faire. Leurs responsabilités ne relèvent probablement pas de la société.

    Greg, voulez-vous ajouter quelque chose?

    Le président: Monsieur Yost.

+-

    M. Greg Yost: J'ai peut-être omis de parler de cet élément pour gagner du temps. Dans les directives américaines de détermination de la peine qui sont utilisées pour établir le degré de culpabilité de la société, on tient compte entre autres des mesures que la société a prises pour veiller à ce que ses mandataires, ses entrepreneurs indépendants, etc., à qui elle délègue une fonction quelconque, disposent eux aussi d'un bon programme visant à ce que les lois soient respectées, entre autres. C'est de cette façon qu'on procède aux États-Unis. Évidemment, la responsabilité qu'on attribue aux entrepreneurs indépendants est également attribuée à la société principale. La société doit expliquer ensuite si elle a vérifié que l'entrepreneur à qui elle confiait une partie de ses affaires était fiable.

À  +-(1055)  

+-

    Le président: Merci beaucoup.

+-

    M. John McKay: Excusez-moi, monsieur le président, mais l'autre question, au sujet des définitions...?

+-

    M. Dave Whellams: Je ne sais pas très bien d'où vient cette expression «attitude commune». Dans la loi australienne, je ne crois pas qu'on utilise cette expression. Je peux me tromper, mais on y dit seulement qu'il existe une culture corporative.

    D'ailleurs, si vous me permettez un commentaire sur le libellé du projet de loi C-284, le segment «une culture ou une mentalité commune parmi ses dirigeants et ses employés les encouragerait à croire». Si nous voulons aller dans ce sens, je préférerais qu'on parle de l'existence d'une culture organisationnelle qui a été encouragée dans la société, par exemple. Mais je ne comprends pas très bien pourquoi on a juxtaposé ici l'attitude commune et la culture organisationnelle.

+-

    Le président: Merci, John.

    Peter MacKay.

+-

    M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président.

    J'ai de nouveau une petite question qui porte précisément sur le procès dans l'affaire Westray et sur ce qui s'est produit dans ce procès qui a entraîné tant de retard et certaines manoeuvres douteuses. Il est important de savoir comment on peut éviter les possibilités de double inculpation, lorsqu'il existe des règlements provinciaux en vigueur, des éléments relatifs à la santé et à la sécurité au travail, ainsi que des accusations portées sous le régime de lois provinciales.

    On a décidé dans ce cas de surseoir aux accusations. Elles ont été retirées. Avez-vous des observations ou des idées sur la façon dont une telle situation devrait être traitée?

    Je suppose que cela se produira immédiatement dans bien des cas où il est question de sécurité au travail. On portera des accusations en application des normes provinciales ou même fédérales en matière de sécurité conjointement à des accusations d'actes criminels sous le régime du Code criminel. On invoquera immédiatement le risque antérieur. Comme dans l'affaire Westray, on pourra invoquer le risque antérieur en défense et comme tactique dilatoire. Dans l'affaire Westray, cela a porté un coup fatal au poursuivant.

+-

    M. Dave Whellams: Oui, on invoquera souvent le risque antérieur, surtout si on s'oriente sur la culture organisationnelle. Il reste encore de nombreuses analyses à faire. C'est une question légaliste mais importante.

    Par exemple, dans le cas de la culture organisationnelle, il faut aller au-delà des questions traditionnelles de mens rea, d'actus rea, etc. Dans l'un de ses excellents articles sur le sujet, le professeur Healy décrit en détail les points communs et les différences entre ce qu'il appelle les infractions réglementaires et les infractions exigeant la mens rea.

    Le problème, et je ne le résoudrai pas, c'est qu'avec le concept de culture organisationelle, il faut trouver le moyen d'éviter les problèmes de l'analyse traditionnelle de la mens rea et de l' actus rea. Il ne s'agit pas de démontrer l'intention précise au sens traditionnel du droit pénal. L'intention de la culture organisationelle est démontrée par toute une accumulation de preuves au sujet de la conduite, des normes, des règles, des ordres, etc.

    Il est difficile de préciser la nature du délit. Ne se préoccupe-t-on pas tout simplement de la diffrence entre l'infraction réglementaire et l'infraction exigeant la mens rea?

    Je ne connais pas vraiment la réponse, monsieur MacKay. La question se posera, si vous adoptez ce modèle, tout d'abord par manque de critères dans la jurisprudence des cultures organisationnelles. Quant à ses effets sur les délits qui n'exigent pas la mens rea et sur ceux qui l'exigent, on invoquera précisément le risque antérieur comme motif de défense.

    Je n'ai pas de solution à proposer. Je reconnais toutefois que c'est un sujet important.

+-

    Le président: Vous pouvez poser une très brève question, Peter.

+-

    M. Peter MacKay: Je serai bref, monsieur le président.

    J'aimerais connaître votre avis. Si une mesure législative comme celle-ci est incluse dans le Code criminel, je soupçonne que dans bien des cas, il faudra une meilleure coordination entre les bureaux des organismes de réglementation fédéraux et provinciaux et le poursuivant.

    La création d'un délit dans le Code criminel ne serait pas accompagnée d'une solution magique. Il faudra faire des efforts. Cela entraînera également des délais. Si le projet de loi est adopté, il faudra faire des efforts de ce genre dans les règlements provinciaux.

Á  +-(1100)  

+-

    M. Dave Whellams: Je répondrai brièvement, monsieur Scott, en disant qu'il faut faire encore davantage. Simplement dit, il ne faut pas perdre la capacité d'élaborer des lois sur le travail et des lois sur la sécurité au travail qui soient efficaces et applicables. Si l'analyse du risque antérieur nous permet de déterminer comment traiter les infractions réglementaires, eh bien, dans ce cas, le Code du travail contient des dispositions sur les délits de nature criminelle et sur les sanctions correspondantes.

    La question du conflit ou du chevauchement entre les deux relève de la rédaction législative et des efforts de coordination. Il ne faut pas perdre les régimes réglementaires et l'influence nécessaire à leur bon fonctionnement.

    J'aurais aimé avoir une réponse plus précise à vous donner, mais c'est un sujet qui reste encore à examiner.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Merci à nos témoins d'avoir commencé ce travail. Je suis sûr que nous en discuterons à nouveau. Les témoins peuvent se retirer.

    Avant de passer à notre prochain groupe de témoins, permettez-moi de mentionner quelque chose au sujet des dispositions du Code criminel relativement aux troubles mentaux. Comme le savent les membres du comité, nous avons adopté le 23 avril une motion afin de visiter, à Toronto, le tribunal mentionné par le juge Ormston. Cette motion a fait son chemin; elle nous est maintenant renvoyée accompagnée d'une proposition de modification. J'aimerais que le comité approuve une modification à la décision que nous avons prise le 23 avril. Cette modification porte sur la composition de la délégation.

    Je vais vous lire la motion:

    

Nonobstant la décision du comité du 23 avril 2002 relativement à son examen prévu dans la loi des dispositions du Code criminel sur les troubles mentaux, un groupe composé de cinq (5) membres du gouvernement, deux (2) membres de l'Alliance canadienne, et d'un membre chacun du Bloc québécois et du Parti progressiste-conservateur du Comité permanent de la justice et des droits de la personne soient autorisés à se rendre à Toronto le 21 mai et que le personnel nécessaire accompagne le comité.

    Quelqu'un accepte-t-il de présenter la motion?

    M. McKay propose la motion. J'informe le comité que M. Blaikie a très généreusement offert sa place à l'Alliance canadienne.

    (Motion adoptée)

    Le président: Je vais maintenant suspendre la séance pour permettre à notre prochain groupe de témoins de prendre place.

Á  +-(1104)  


Á  +-(1108)  

+-

    Le président: Nous reprenons notre 84e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Aujourd'hui, nous examinons le projet de loi C-284.

    Notre deuxième groupe de témoins est composé des représentants du Canadian Council for the Rights of Injured Workers, du Ottawa and District Injured Workers Group et, à titre personnel, de Vern Theriault, qui est arrivé, me dit-on, mais qui n'est pas présent dans la salle.

    Pour respecter notre ordre du jour, nous entendrons d'abord les représentants du Canadian Council for the Rights of Injured Workers. J'espère qu'on vous a expliqué notre façon de procéder. Nous essayons de limiter les déclarations préliminaires à 10 minutes, si possible.

    Je laisse donc la parole à Maria York, et à Dominique Vaillancourt, du Canadian Council. Bienvenue.

+-

    Mme Dominique Vaillancourt (vice-présidente, directrice du rayonnement et des communications, Canadian Council for the Rights of Injured Workers): Bonjour. Aujourd'hui, nous vous adressons la parole pour le compte du Canadian Council for the Rights of Injured Workers. Nous sommes un nouvel organisme national, à but non lucratif, créé pour défendre le droit des travailleurs à un milieu de travail sain et sécuritaire et pour protéger les droits constitutionnels des travailleurs blessés.

[Français]

    Nous collaborons avec d'autres organismes afin de tenter d'éliminer toutes les morts, maladies et blessures susceptibles d'être évitées et causées par des gestes irresponsables et inacceptables posés par les employeurs qui, trop souvent, placent la maximisation de leurs profits avant la sécurité des travailleurs et au-dessus de l'incommensurable valeur d'une vie humaine.

Á  +-(1110)  

[Traduction]

    L'explosion survenue à la mine de charbon Westray s'est produite pour reprendre le rapport publié suite à l'enquête publique de 1996 parce que les dirigeants de la mine n'avaient tenu aucun compte des exigences les plus fondamentales en matière de sécurité. À cause des limites et des lacunes du Code criminel du Canada, le procureur de la Couronne de la Nouvelle-Écosse n'a pu intenter de poursuites criminelles contre les administrateurs qui avaient commis des actes illégaux qui ont entraîné la perte inutile et inexcusable d'un si grand nombre de vies.

[Français]

+-

     Selon le CCDTB, une telle conduite mérite des sanctions criminelles pour négligence et homicide similaires, et non moindres, à celles qui s'appliquent actuellement lors d'infractions aux normes obligatoires en matière de sécurité quand il y a conduite en état d'ébriété.

[Traduction]

    Des milliers de travailleurs sont tués ou blessés gravement à tous les ans. Dans de nombreux cas, on pourrait prévenir ces décès et ces blessures si les lois de notre pays permettaient d'intenter des poursuites et d'imposer des sanctions sévères suite aux crimes des sociétés liés à la santé et à la sécurité en milieu de travail.

[Français]

    Il est grand temps que le gouvernement agisse sur la décision unanime du Comité de la justice de la Chambre des communes et donne au ministre de la Justice l'instruction d'introduire une loi afin que les cadres supérieurs et les directeurs des grandes sociétés soient tenus responsables de la sécurité au travail.

[Traduction]

    Les travailleurs canadiens ont le droit à un milieu de travail sécuritaire et ne devraient pas inutilement y laisser la vie ni devenir invalides de façon permanente.

    Merci beaucoup. Thank you.

+-

    Le président: Madame York.

+-

    Mme Maria York (présidente, Canadian Council for the Rights of Injured Workers): Je tiens à vous remercier de nous permettre de comparaître devant vous aujourd'hui.

    Je travaille comme bénévole au Ottawa and District Injured Workers Group et je suis également fondatrice du Canadian Council for the Rights of Injured Workers.

    Il y a trois ans, comme la plupart des citoyens de ce pays, j'en savais très peu sur les accidents en milieu de travail et rien sur la question des accidentés du travail. Je me considère bien renseignée. Je lis les journaux et je suis les affaires nationales et internationales dans les médias.

    Toutefois, les accidents du travail et les très graves problèmes et injustices auxquels sont confrontés les accidentés du travail et leur famille au Canada semblent un secret bien gardé ou du moins quelque chose dont on n'aime pas parler dans les médias. Peut-être que des articles sur des travailleurs blessés, malades ou morts ne vendent pas de journaux.

    L'an dernier, un citoyen travailleur a été tué dans cette ville dans un accident du travail qu'on aurait pu prévenir. Cet événement tragique n'a pas été jugé suffisamment important pour faire la manchette du Ottawa Citizen ni du Ottawa Sun. Encore plus inquiétant, c'est que le même jour, le Ottawa Citizen a choisi de placer en première page un article intitulé «Freeze-dried pets»--une option pour les propriétaires qui ne veulent pas laisser partir leurs animaux domestiques morts.

    Le 26 avril est la journée nationale de deuil en l'honneur des milliers de citoyens canadiens tués au travail. Nos journaux locaux et nationaux n'ont même pas daigné faire mention en première page du fait que comme pays, nous honorions--ou du moins c'est ce que nous aurions dû faire--tous ces travailleurs.

    J'ai un autre mémoire, présenté par écrit, intitulé «Beyond the Limits of the Law» et je vais le lire, si nous disposons du temps nécessaire et si vous me le permettez.

Á  +-(1115)  

+-

    Le président: Avez-vous une idée du temps qu'il vous faudra?

+-

    Mme Maria York: Il me faudra environ trois ou quatre minutes.

    Le président: Parfait.

    Mme Maria York: Je ne suis pas avocate, je suis économiste, et donc il ne s'agit pas d'un argument juridique mais bien d'un argument fondé sur mes recherches et mes études.

    Les arguments de notre conseil, présentés dans nos documents de campagne nationale, dans ce mémoire, et sur notre site Web, sont inspirés et appuyés par les arguments de nos professeurs de droit et de sciences politiques au Canada. J'aimerais commencer en citant le professeur John McMullan:

Il est difficile de revendiquer l'égalité devant la loi et la protection de la sécurité si l'État traite avec clémence les sociétés délinquantes et ne fait pas grand-chose pour protéger ses citoyens des entreprises prédatrices.

    Nous sommes une société civile très évoluée. Nous avons la Charte canadienne des droits et libertés et des lois exemplaires en matière de travail, de santé, de sécurité et d'emploi. Nos enfants apprennent à l'école qu'au Canada, «personne n'échappe à la loi».

    Pourtant «à ma façon ou la porte» est une menace que de nombreux travailleurs entendent à tous les jours. En effet, la relation d'emploi entre un travailleur et son employeur du secteur privé ressemble beaucoup à la relation entre le serviteur et son maître.

    Il poursuit:

Dans de nombreuses entreprises où travaillent de nombreux travailleurs, on a tendance à voir les employés comme des unités impersonnelles plutôt que des personnes. Du point de vue de la gestion, les employés deviennent soit des machines, soit des extensions de celles-ci...



L'argent nécessaire pour assurer la sécurité des employés réduit les fonds disponibles pour l'investissement et l'expansion de l'entreprise... Il coûte donc moins cher (aux sociétés) de remplacer les travailleurs invalides, accidentés, malades... par de nouvelles recrues...



Fondé sur ce raisonnement, il est difficile d'assurer la santé et la sécurité des employés.

    Les lois fédérales, provinciales et territoriales sur la santé et la sécurité en milieu de travail donnent aux travailleurs le droit de refuser de travailler dans des conditions dangereuses. Toutefois, en réalité, il est impossible d'appliquer ce droit important à cause du harcèlement et de l'intimidation en milieu de travail qui empêchent, à toutes fins utiles, les travailleurs d'exiger leurs droits.

Dans la plupart des cas, la gestion considère le refus de travailler comme une grave atteinte à son «droit de gérer». Malheureusement, de nombreux arbitres partagent cet avis, considérant que le refus de travailler constitue de l'insubordination et un motif immédiat qui justifie des mesures disciplinaires ou le congédiement.

    Les mineurs qui ont été tués à la mine Westray avaient deux choix: accepter les pratiques négligentes et dangereuses de l'employeur en milieu de travail ou perdre leur emploi. Ils ont choisi leur emploi--la sécurité financière pour eux-mêmes et leur famille.

    Un nombre beaucoup trop grand de travailleurs canadiens, handicapés aujourd'hui, et décédés ont été obligés, par leurs employeurs, de faire des choix semblables entre leur emploi et leur vie et santé, parce que les employeurs canadiens ne craignent pas de se voir imposer des sanctions pour leurs crimes en milieu de travail.

    À tous les jours, des travailleurs risquent leur santé, leur vie, dans le transport de marchandises, les mines, les hôpitaux, les écoles, les stations génératrices d'électricité, sur les grandes routes et dans l'exécution d'autres fonctions qui soutiennent notre gouvernement et profitent au pays et à ses citoyens. En retour de leur contribution à notre pays, ils méritent que le gouvernement fasse des efforts pour protéger leurs droits. Puisque ce sont les sociétés qui déterminent les règles en milieu de travail, les droits des travailleurs ne peuvent être protégés que par des lois qui sont applicables et que les employeurs du pays vont respecter ou craindre.

    Voilà pourquoi nous demandons à ce comité de recommander tous les amendements nécessaires au Code criminel pour forcer les sociétés et leurs dirigeants et administrateurs à respecter les lois du pays et les droits des travailleurs.

    Mon dernier argument vient d'Aristote: «Une vie d'action est supérieure à une vie de contemplation». Après tant d'années de contemplation, le moment est venu pour le gouvernement d'agir, de modifier le Code criminel et d'empêcher les sociétés canadiennes de jouer avec les lois du pays et la vie de ses travailleurs.

    Merci.

Á  +-(1120)  

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Nous allons maintenant passer au représentant du Ottawa and District Injured Workers Group, M. Perrault.

+-

    M. Doug Perrault ( président, Ottawa and District Injured Workers Group): Bonjour.

    Tout d'abord, je vous remercie de nous avoir donné la possibilité de vous adresser la parole pour le compte du Ottawa and District Injured Workers Group.

    Nous demandons que l'honorable Martin Cauchon, ministre de la Justice et Procureur général du Canada, ministre responsable, sur le plan politique, du Québec, dépose un projet de loi qui reprenne trois projets de loi précédents: les projets de loi C-284, C-259 et C-242. Ces projets de loi sont communément appelés les projets de loi Westray en l'honneur des 26 mineurs tués dans la mine Westray, en Nouvelle-Écosse, le 9 mai 1992.

    Je suis président du Ottawa and District Injured Workers Group depuis son incorporation en 1995. Le groupe fait partie du Réseau ontarien des groupes de travailleurs accidentés et de l'Alliance canadienne des victimes d'accidents et de maladies de travail. Nous sommes un groupe d'appui, à but non lucratif, sans frais qui offre aide et ressources aux travailleurs accidentés et à leurs défenseurs dans des litiges et d'autres aspects des demandes présentées à la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents de travail de l'Ontario. Notre groupe est soutenu uniquement par des bénévoles et des dons.

    Au cours des 20 dernières années, j'ai travaillé dans le domaine de la sécurité et des assurances. J'ai travaillé comme représentant de la sécurité en milieu de travail dans les secteurs de la construction, de l'industrie, des télécommunications et des transports. Depuis 1994, je suis également instructeur dans un centre de santé et de sécurité des travailleurs et travailleuses.

    J'aimerais attirer votre attention, monsieur le président, mesdames et messieurs du comité, sur le fait que le gouvernement de l'Australie, dans l'État de Victoria, a présenté un nouveau projet de loi sévère qui ajoute plusieurs nouvelles infractions sur la plan de la santé et de la sécurité en milieu de travail à son Code criminel. C'est plus ou moins l'équivalent de notre Code criminel fédéral. Ces mesures incluent la responsabilité des sociétés en matière de négligence entraînant des blessures graves ou la mort, accompagnée d'amendes allant jusqu'à 5 millions de dollars australiens dans le cas de décès et de 2 millions de dollars pour blessure grave. Les administrateurs et dirigeants peuvent faire face à des accusations semblables, assorties d'une peine d'emprisonnement de cinq ans et d'amendes pouvant atteindre 180 000 $ dans les cas de décès et jusqu'à deux ans d'emprisonnement et des amendes pouvant atteindre 120 000 $ dans le cas de blessure grave.

    Pourquoi faut-il que le non-respect des dispositions de sécurité soit considéré un acte criminel et non une infraction en application des lois provinciales? J'ai personnellement été témoin d'une affaire qui se trouve ici dans ce document, où aux termes de la partie II du Code canadien du travail, une société a été reconnue coupable par le tribunal et s'est vue imposer une amende de 20 000 $, une somme minime comparée à la perte et au chagrin qu'entraîne la mort inutile d'un travailleur. On voit bien qu'il y a une incidence non seulement sur la personne, mais sur les autres Canadiens, les survivants et les collègues. Le gouvernement doit considérer que tout geste délibéré de non-respect de la Loi sur la santé et la sécurité constitue une infraction qui touche tous les citoyens canadiens.

    Ce sont des gestes posés délibérément qui montrent le mépris des lois qui existent aux niveaux fédéral, provincial et territorial.

    Les sanctions de non-respect comprennent l'emprisonnement et des amendes. Les Codes du travail de l'Ontario et du Canada le prévoient. Toutefois, ce n'est pas assez sévère. Il n'y a pas de casier judiciaire, ce qui sous-entend que le non-respect de cette loi n'est pas suffisamment grave pour entraîner le même châtiment qu'une accusation portée aux termes du Code criminel.

    L'avocat directeur du Workers Health and Safety Legal Clinic of Ontario, Daniel Ublansky, a dit dans une lettre qu'il m'adressait:

Presque toutes les accusations liées à des blessures ou à des décès sont portées aux termes de la Loi sur la santé et la sécurité au travail. Cela n'empêche en rien que des accusations soient portées contre des personnes aux termes du Code criminel. Toutefois, il faut dans ce cas qu'il y ait des éléments d'infraction en vertu du Code criminel. Il n'y a pas de règles ou d'infractions spéciales portant strictement sur les accidents industriels. Cela signifie qu'afin d'obtenir une condamnation, la Couronne doit démontrer qu'il y avait intention de blesser ou de commettre une négligence criminelle. Comme il est difficile d'en faire la preuve, il est rare que l'on porte de telles accusations dans le cas d'accidents du travail.

    Si c'était prévu dans le Code criminel, les personnes chargées d'en appliquer les dispositions, les inspecteurs gouvernementaux, auraient les pouvoirs nécessaires et le respect qui s'impose.

Á  +-(1125)  

    En ajoutant ces dispositions au Code criminel, on ferait participer directement les administrateurs et les dirigeants des sociétés à la sécurité, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il faut des incitatifs. Les décisions en matière de sécurité sont laissées à la gestion sur place, ou dans les plus grandes sociétés, à un service qui doit compétitionner, à l'interne, pour obtenir de l'appui et des ressources. Bien que certains présidents de sociétés autorisent eux-mêmes les politiques et les programmes en matière de sécurité, le décès et les accidents des travailleurs ne font malheureusement pas partie des décisions prises au conseil d'administration. En incluant des dispositions à cet effet dans le Code criminel, on s'assurait que les administrateurs et les dirigeants s'intéressent personnellement à la sécurité.

    L'autre résultat positif de mesures législatives qui transforment en infractions criminelles les gestes posés à dessein, c'est la sensibilisation du public. Les condamnations entraîneraient l'attention dans tous les médias. Ce serait l'occasion d'examiner tous les faits qui ressortent au procès, tels que les antécédents en matière de sécurité de l'entreprise et la nature de l'accident qui a entraîné les accusations. Les travailleurs partout au pays pourraient utiliser l'information découlant des condamnations pour faire des comparaisons avec leurs propres milieux de travail, afin d'identifier et d'agir lorsque les conditions sont dangereuses—rendant ainsi le milieu de travail canadien plus sécuritaire.

    Nous vous demandons de tenir compte de nos propos dans vos délibérations et de travailler afin de vous assurer qu'un projet de loi est déposé dans des délais raisonnables afin d'inclure dans le Code criminel la responsabilité des entreprises.

    Je vous remercie de votre temps et de votre intérêt.

+-

    Le président: Merci, monsieur Perrault.

    Monsieur Theriault.

+-

    M. Vern Theriault (témoigne à titre personnel): Bonjour, mesdames et messieurs. Je m'appelle Vernon Theriault. Je travaillais à la mine Westray. Ce matin je suis là pour faire état de choses dangereuses que j'ai vues et vécues pendant que je travaillais dans cette mine.

    Dans cette mine, la direction était beaucoup à blâmer. Je peux vous raconter ce qui s'est passé un matin alors que moi-même et un autre mineur qui est mort dans la mine le 9 mai travaillions sur la camion de ravitaillement. Nous étions censés transporter des fournitures dans la section sud-ouest de la mine. Nous ne pouvions nous y rendre en fait parce qu'il y avait un pied de poussière de charbon sur cette route. Impossible d'y aller avec nos véhicules.

    Ce matin-là, Roger Parry nous a dit de nous faire pousser par le bulldozer. Nous avons donc transporté des fournitures toute la matinée avec le bulldozer qui nous poussait. Pendant que nous étions dans cette section, il y avait un tracteur qui montait.

    Il y avait ce que l'on appelle «des volets». Vous ne pouvez pas passer à travers, d'après ce que j'ai appris à l'enquête. Mais pour revenir à ce que je disais, nous poussions donc les fournitures.

    Roger est venu et il avait quelqu'un à bord du tracteur avec lui, l'inspecteur. Roger nous a crié: «Qu'est-ce que vous faites là avec le bulldozer?». On l'a regardé, parce que c'est lui qui nous avait dit de faire pousser les fournitures et d'utiliser le bulldozer, parce qu'autrement c'était impossible. Ensuite il a dit: «Vous feriez bien de sortir de là». Le conducteur du bulldozer a donc ramené son véhicule en haut et nous sommes descendus prendre un café dans la mine.

    Roger et l'inspecteur ont fait leur dernier tour de la mine et lorsque l'inspecteur a été parti, Roger est revenu et nous a ordonné encore une fois de remonter les fournitures avec l'aide du bulldozer.

    Voilà, le directeur lui-même qui nous dit d'y aller alors que devant l'inspecteur, il nous disait de ne pas le faire. Nous avons continué ce jour-là.

    Il y a eu d'autres fois, dans la mine... C'est difficile.

    Ce qui me faisait peur sous la terre parfois aussi, c'était les arcs. Nous mettions des arcs pour empêcher la voûte de s'effondrer. Lorsque vous installez les arcs, il y a entre trois et dix pieds entre l'arc et la voûte. Ensuite il faut mettre des pièces de bois entre l'arc et la voûte et pour ce faire, il vous faut monter en haut de l'arc. Il n'y a rien entre la voûte et vous pour vous protéger si tout s'effondre. Nous nous mettions donc essentiellement entre deux pièces de roche.

Á  +-(1130)  

    Après mon arrivée à la mine, au bout de mon premier mois, cela a commencé à me faire très peur. «Ce n'est pas ma place, me suis-je dit, et j'ai tenté de reprendre mon ancien emploi.» C'était impossible. L'emploi n'était plus disponible. J'ai trois enfants et une épouse à faire vivre et donc j'ai continué à travailler en me disant: «Ça deviendra peut-être plus facile». Et j'ai continué.

    Il y a un type qui a lâché et lorsqu'il est allé à l'assurance-emploi, ils ne voulaient rien lui donner parce qu'il avait quitté son emploi. C'est ressorti aussi à l'enquête, mais je me souviens de ce qui se passait lorsque je travaillais. On lui a refusé l'assurance-emploi et donc il a fini par partir dans l'Ouest chercher du travail.

    Donc moi je me disais: «Zut, si je quitte mon emploi, je ne pourrai pas en trouver un autre. Je vais devoir continuer ici, en espérant que les choses s'améliorent». En fait, après être descendu dans les autres coins de la mine, je n'avais pas l'impression que les choses s'amélioraient, mais j'ai continué. Il faut s'occuper de sa famille, la faire vivre.

    Aujourd'hui, si c'était à refaire, je verrais ça différemment. Vingt-six personnes ont perdu la vie et il n'y avait vraiment pas de raisons. C'est simplement...

+-

    Le président: Prenez votre temps. Il nous reste du temps.

    Voulez-vous que nous passions plutôt aux questions des députés?

    M. Vern Theriault: Oui.

    Le président: Au nom de nous tous, j'aimerais dire que nous vous sommes reconnaissants de l'effort et de la détermination dont vous faites preuve et de l'aide que nous apporte votre témoignage puisque cela nous aide à comprendre cette question très compliquée. Merci beaucoup.

    Jay, vous avez sept minutes.

Á  +-(1135)  

+-

    M. Jay Hill (Prince George—Peace River, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.

    Monsieur Theriault, nous comprenons à quel point il est difficile pour quelqu'un qui a vécu ce que vous avez vécu de nous en parler. Je pense que nous le comprenons tous.

    Tout d'abord, j'aimerais dire que lorsque vous regardez cette salle où nous sommes nombreux, ne pensez pas à nous seulement comme des politiciens. Je pense que nous avons tous eu des vies dans ce que j'appellerais le monde extérieur avant de venir à Ottawa comme politiciens. À un moment ou un autre, nombre d'entre nous ont travaillé dans des milieux de travail où nous nous sommes préoccupés de notre sécurité et de celle de nos collègues. Nous avons certaines connaissances, mais cela nous aide d'entendre des expériences telles que la vôtre puisque nous ne sommes plus dans ces milieux de travail.

    Monsieur Perrault, vous avez dit avoir travaillé comme agent de sécurité pendant longtemps, mais je ne me souviens plus combien de temps vous avez passé dans ce genre de poste dans divers milieux de travail.

+-

    M. Doug Perrault: Cela fait environ 20 ans que je...

+-

    M. Jay Hill: Vous avez été agent de sécurité pendant 20 ans.

    Je pense qu'il n'y a aucun doute que nous tous, et je pense pouvoir dire, la majorité des Canadiens, qu'il s'agisse d'employeurs ou d'employés dans un secteur particulier, nous voulons voir au Canada un milieu de travail aussi sécuritaire que possible. Nous comprenons que même en tentant de rendre le milieu de travail le plus sécuritaire possible, il y aura quelques accidents malheureux. Mais ce sont les accidents qui ne sont pas malheureux que ce comité tente d'examiner, ce sont les accidents, délibérés, à dessein, ou intentionnels de la part des sociétés et de la direction qui entraînent la mort ou des blessures.

    Je n'ai jamais vu de statistiques concernant le Canada qui appuient votre argument qu'il faut des pénalités plus sévères, si j'ai bien compris la teneur de votre exposé. Avez-vous des données qui comparent le Canada à d'autres pays quant au nombre de travailleurs blessés ou tués?

+-

    M. Doug Perrault: Je ne les ai pas avec moi en ce moment. Toutefois, je peux vous dire que les données disponibles révèlent que le taux des accidents, faute d'une autre expression, en Ontario, a augmenté même si nous sommes en 2002. Le taux des accidents augmente, mais en même temps, le public a l'impression que c'est beaucoup plus sécuritaire. Il se fait beaucoup plus d'éducation. À certains endroits, nous avons des programmes de sensibilisation des jeunes travailleurs dans les écoles et très souvent, cela fait partie des programmes coopératifs, mais la réalité, c'est que lorsque ces jeunes se retrouvent dans ce que nous appelons le vrai monde, très souvent, il n'y a pas de culture de sécurité.

    Comme je l'ai dit, les données statistiques sont disponibles et feront partie soit de notre mémoire, soit de celui de la Commission canadienne

    Je peux vous donner un autre exemple des fausses impressions. Nous avons assisté à un exposé par la Safe Communities Foundation à Ottawa—on tente de lancer l'organisme ici—et le représentant du ministère du Travail a montré un tableau qui indique que le temps perdu au travail en Ontario a diminué au cours des dernières années. Malheureusement, si les données sont à la baisse, ce n'est pas parce que le taux des accidents est à la baisse, mais parce que les gens voient leurs demandes de prestations refusées par la commission. Le nombre de demandeurs a diminué c'est vrai, mais le taux des accidents a augmenté. C'est documenté.

    En fait, il y a un tableau ici de la Commission de la sécurité professionnelle qui présente les données réelles et on peut voir que les taux augmentent mais que les demandes acceptées pour temps perdu diminuent.

+-

    M. Jay Hill: À votre avis donc, à la lumière de votre expérience de 20 ans comme agent de sécurité dans des entreprises, est-ce que de façon générale celles-ci agissent d'une manière plus dangereuse que par le passé?

Á  +-(1140)  

+-

    M. Doug Perrault: Non. Je dirais que les sociétés canadiennes n'ont pas changé beaucoup au cours de cette période. J'ai travaillé pour plusieurs entreprises américaines et leur culture est tout à fait différente de la nôtre; leur culture est fondée sur la crainte d'être poursuivies par l'OSHA. Tous leurs efforts visent à ne pas être mis à l'amende par l'OSHA. Ce n'est pas pour le bien des travailleurs, c'est par crainte des amendes. Cette culture commence à s'implanter au Canada suite à l'installation ici d'entreprises américaines. Quant aux entreprises canadiennes, je n'ai pas vraiment pas vu de différence marquée.

+-

    M. Jay Hill: Combien me reste-t-il de temps?

+-

    Le président: Vous avez une minute.

+-

    M. Jay Hill: Pour ce tour-ci donc une dernière question.

    Évidemment, vous avez dû composer avec la réglementation sur l'indemnisation des travailleurs, etc. D'après mon expérience de presque 50 ans de vie, la réglementation en matière d'indemnisation des travailleurs, certainement dans ma province d'origine, la Colombie-Britannique, devient de plus en plus stricte pour les employeurs. Par exemple, si on voit quelque chose, tout de suite on cite un règlement.

    Si je vous ai bien compris, à votre avis, à la lumière de votre expérience de 20 ans, vous dites que c'est insuffisant, que trop souvent, ce genre de règlement n'est pas respecté. C'est bien cela?

+-

    M. Doug Perrault: Le gouvernement actuel de l'Ontario est un bon exemple. Le gouvernement a adopté plusieurs nouveaux règlements, a modifié certaines lois sur la santé et la sécurité au travail en Ontario et les a «resserrées», faute d'un autre terme.

    La difficulté, c'est qu'il n'y a pas d'application. C'est comme fixer la limite de vitesse sur l'autoroute. S'il n'y a pas d'agents de police pour appliquer la loi, on ne va pas respecter la limite. Voilà la difficulté avec la province.

    Le revers, c'est que même lorsqu'il y a application et loi appropriées, les pénalités ne sont pas suffisamment sévères et donc certains sont prêts à enfreindre la loi parce qu'ils peuvent payer.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Monsieur Bellehumeur.

[Français]

+-

    M. Michel Bellehumeur: En premier lieu, je voudrais vous remercier du temps que vous nous donnez pour examiner cet important dossier. Je vous remercie également de vos témoignages, qui sont fort utiles dans l'appréciation du projet de loi.

    Si on tient pour acquis que nous devons modifier le Code criminel dans le but d'améliorer tout ce volet-là, est-ce que le projet de loi qu'on a devant nous, le C-284, répond à vos attentes?

[Traduction]

+-

    M. Doug Perrault: Je dirais que le projet de loi C-284 est un très bon point de départ. Il donne des armes à ceux qui doivent appliquer la loi, qui pourront non seulement imposer une amende, mais aussi porter des accusations au pénal qui resteront indéfiniment au passif du contrevenant. C'est un bon point de départ, mais évidemment, il faudra considérer les autres mesures législatives qui vont l'accompagner et veiller à les améliorer.

[Français]

+-

    M. Michel Bellehumeur: Si on adoptait le projet de loi C-284, peut-être après y avoir apporté des amendements pour lui donner plus de mordant, cela aurait-il un effet positif ou négatif sur les lois provinciales de santé et sécurité au travail?

+-

    Mme Dominique Vaillancourt: Vous voulez parler des répercussions sur les lois? Je pense que le projet de loi fédéral vise à améliorer les choses en matière de protection des travailleurs. Grâce à un projet de ce genre, les travailleurs n'auront pas peur de dénoncer un lieu de travail non sécuritaire. Donc, si la loi est mise en vigueur et que la compagnie enfreint la loi, elle fera face à des pénalités assez sévères. Ça peut avoir un effet assez positif sur les lois provinciales. Selon moi, les provinces vont être obligées de donner une suite à ça, parce que les travailleurs vont appliquer à ce même niveau. Je pense que tout le monde va en bénéficier en bout de ligne.

+-

    M. Michel Bellehumeur: Monsieur Perrault, vous avez beaucoup d'expérience au niveau de la sécurité au travail. Croyez-vous également que ça va avoir un effet positif?

Á  +-(1145)  

[Traduction]

+-

    M. Doug Perrault: Oui, tout à fait. Je dois vous dire qu'un député provincial a déposé, l'année dernière ou l'année précédente, un projet de loi à ce sujet à l'Assemblée législative ontarienne. Je ne parviens pas, dans l'immédiat, à m'en rappeler les détails, mais il était semblable à celui-ci. Il visait à imposer des sanctions capables de contraindre les entreprises à faire ceci. Je suis persuadé que c'est là une tendance qui devrait se répandre très rapidement dans l'ensemble du pays.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Vern, allez-y.

+-

    M. Vern Theriault: Un mois avant l'explosion, je travaillais avec un compagnon sur un camion à flèche. Il y a des accidents qui se produisent dans les mines, même en l'absence de consignes dangereuses de la part de la direction. Celui qui travaillait avec moi ce jour-là a été blessé dans un accident. Il y aura toujours des accidents dans les mines. Mais il arrive aussi que la direction impose des activités qui vont faire des morts.

    Ce travailleur s'est blessé en faisant reculer l'engin. Il s'était penché et il a heurté une pièce d'acier. Il s'est blessé assez gravement pour se retrouver en arrêt de travail pendant un bout de temps.

    À compter de ce jour-là et jusqu'à l'explosion, je travaillais seul sous terre. Normalement, on n'est jamais censé travailler seul dans la mine, mais la direction n'a pas remplacé ce travailleur blessé. D'après ce que je sais maintenant du travail de mineur, un mineur ne doit jamais travailler seul. On ne me l'avait jamais dit auparavant, mais j'ai appris au cours de l'enquête qu'il faut toujours travailler à deux.

    J'ai donc travaillé seul pendant un bon mois; je descendais avec le camion d'approvisionnement et je déchargeais du matériel à différents endroits. C'est parfois très effrayant de se retrouver tout seul au fond. On n'a qu'une petite lampe, et les phares du camion, mais il faut décharger seul des pièces d'acier, et s'ils vous tombent dessus, qui donc va le savoir? Quelqu'un va peut-être passer par là 12 heures plus tard, mais il sera trop tard. Voilà donc le genre d'expérience que j'ai pu vivre.

    J'ai demandé si on pouvait m'envoyer un compagnon de travail. Si quelqu'un avait voulu faire des heures supplémentaires, j'aurais pu obtenir satisfaction, mais personne ne voulait en faire et personne n'a donc été affecté avec moi.

    J'étais en congé les 5, 6 et 7 mai. Le vendredi 8 mai, juste avant l'explosion, j'ai appris que j'étais affecté à une équipe de jour. On m'a dit qu'il y aurait deux autres mineurs avec moi pour guider ce camion à flèche. Mais j'avais travaillé seul pendant près d'un mois. C'est sur quoi je veux insister: je travaillais seul, et la direction trouvait cela normal.

    Le 9 mai, je suis descendu avec un autre mineur. J'ai fait des heures supplémentaires. Les superviseurs nous ont donné comme consigne de dégager un secteur des galeries principales, de charger tout ce qui se trouvait à un endroit pour le transporter ailleurs avec un racleur. Les racleurs sont réglés pour que leurs moteurs s'arrêtent lorsque l'air contient trop de méthane. J'utilisais donc un racleur dans le secteur où nous étions, et son moteur s'éteignait tout le temps. Nous avons continué à travailler dans ces conditions pendant une heure ou deux. Ensuite, j'ai pu contacter un des superviseurs et je lui ai dit que le moteur du racleur s'arrêtait tout le temps. Il m'en donné un autre, sur lequel le dispositif de détection du méthane ne fonctionnait pas du tout. Nous sommes donc retournés dans ce secteur pour terminer le nettoyage.

    Pendant que nous nous trouvions dans ce secteur à travailler avec le racleur en question, mon compagnon a perdu connaissance. Il est tombé par terre. Je l'ai traîné pour le mettre en sécurité, et il repris connaissance, mais je suppose que c'est le méthane...

Á  +-(1150)  

    En fait, j'ai appris les règles de sécurité pendant l'enquête. La mine a explosé en 1992, et j'ai découvert les règles de sécurité en 1995 et pendant les deux années suivantes, pendant l'enquête. Dommage que les 26 victimes n'aient pas pu en profiter.

    Mais c'est bien ce qui s'est produit ce jour-là. Je l'ai traîné et il a repris connaissance. Ensuite, nous avons continué à travailler en nous surveillant mutuellement jusqu'à la fin de la journée.

    Mais ce fameux vendredi 8 mai, nous sommes remontés en retard. Je suis rentré chez moi pour me reposer, car je faisais partie du premier poste de travail du lendemain matin. À 5 h 30 du matin, ma belle-soeur a téléphoné. Elle a dit: «Ah, tu es donc chez toi?». J'ai dit: «Oui, je suis chez moi. Pourquoi?». Elle a dit: «J'entends la sirène de la mine».

    Évidemment, comme j'y travaille tous les jours, je savais que c'était pour un effondrement. Je lui ai dit que c'était sans doute un simple effondrement et que j'allais me renseigner pour savoir s'il y avait des blessés. Mais lorsque je suis arrivé au travail, je ne m'attendais pas à apprendre—en fait, je l'ai appris non pas le matin même, mais plus tard—que personne n'avait survécu. C'est une expérience épouvantable.

    Je suis prêt à répondre à vos questions.

+-

    Le président: Monsieur Blaikie.

+-

    M. Bill Blaikie: J'aimerais revenir sur un sujet abordé tout à l'heure, que j'ai trouvé intéressant.

    Vous avez parlé de l'état d'esprit des dirigeants d'entreprises aux États-Unis, qui ne se préoccupent pas des employés mais qui craignent l'OSHA, et vous dites que cette mentalité est en train de se répandre au Canada. Ce commentaire est intéressant car j'imagine qu'il se répand au Canada à cause des sociétés canadiennes qui appartiennent à des intérêts américains. C'est effectivement ce qui se passe au CN, par exemple. Depuis la fusion avec Illinois Central, il y a de plus en plus de gestionnaires américains dans les établissements canadiens de Winnipeg et de l'ensemble du pays.

    On peut se demander ce qui se passe lorsque les gestionnaires américains découvrent qu'ici, ils n'ont pas à craindre l'OSHA qu'ils redoutent tant dans le contexte américain. Si leur seul souci est d'éviter les sanctions et qu'ils n'ont rien à craindre à ce chapitre dans le contexte canadien, le niveau de sécurité qui existe actuellement risque fort de se détériorer. Cela permettrait même peut-être d'expliquer une éventuelle augmentation de la fréquence des accidents.

    Je ne sais pas, je n'affirme rien, je trouve simplement intéressant de réfléchir à ce qui risque d'arriver du fait de l'augmentation du nombre des cadres américains dans nos entreprises, alors que nous n'avons pas l'équivalent des mesures de dissuasion qui s'appliquent aux États-Unis.

    Raison de plus, selon moi, pour mettre en oeuvre les mesures dont nous parlons ici et pour appliquer de façon plus stricte la réglementation sur la santé et la sécurité en milieu de travail.

    Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez?

    Le président: Monsieur Perrault.

+-

    M. Doug Perrault: Je peux vous parler de mon expérience personnelle. J'ai travaillé pour la société Kinetics, qui pose des canalisations dans le secteur de la haute technologie, pour acheminer du gaz et des produits chimiques.

    Lorsque cette société est arrivée ici, l'une des premières questions posées par le directeur de la sécurité pour qui je travaillais a été la suivante: «Quelle est la fréquence des visites de l'OSHA?». Ils ignoraient que cet organisme n'existait pas ici.

    Mais les Américains ont apporté quelque chose avec eux. Après des années de rapports avec l'OSHA, ils ont élaboré des politiques et des programmes sur presque tout. Ils ont des directives sur la façon d'ouvrir un tiroir ou de se servir d'une agrafeuse.

    C'est vrai, ils apportent aussi cette culture de la crainte de l'OSHA, mais ils apportent aussi une information précieuse. Je crois qu'ils ont eu de la chance de me trouver là, car je me suis servi de leur attitude pour veiller à ce que la société se conforme toujours à la législation, même si nous n'avons pas à nous soucier de l'OSHA.

    En définitive, c'est au responsable de la sécurité sur le terrain de veiller à ce que les règles de sécurité soient respectées.

Á  +-(1155)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Blaikie.

    Peter MacKay, vous avez sept minutes.

+-

    M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président.

    Je voudrais remercier tous les témoins d'être venus ici nous faire part de leurs opinions personnelles et professionnelles.

    J'ai trouvé très intéressant d'entendre Mme York et M. Perrault évoquer la nécessité d'éduquer le public par l'intermédiaire des médias ou d'autres façons. Dans une situation tragique comme celle de Westray, cette forme d'éducation arrive toujours après coup.

    Monsieur Perrault, vous avez dit à juste titre que l'effet dissuasif d'une condamnation pour l'exemple existe déjà grâce aux sanctions criminelles. Un cadre se sent plus en danger lorsqu'il s'expose à une peine d'emprisonnement, et non à une simple amende qui, pour une grosse société, est considérée comme faisant partie des frais occasionnés par l'activité normale.

    Mme Maria York: Les amendes sont déductibles du revenu imposable.

    M. Peter MacKay: En effet.

    Une voix: C'est comme les contraventions de stationnement pour la pègre.

+-

    Le président: Madame York.

+-

    Mme Maria York: Je voudrais répondre à votre question concernant les statistiques, car j'ai travaillé sur ce sujet. L'image du Canada n'est pas mauvaise par rapport aux pays du G-8. Nous ne sommes ni pires, ni meilleurs.

    Pour les statistiques ontariennes, n'oublions pas que l'Ontario représente 40 p. cent de la main-d'oeuvre canadienne. Les chiffres pour l'Ontario sont révélateurs de ce qui se passe dans l'ensemble du pays. Nous additionnons les totaux et nous les utilisons pour faire une moyenne.

    Nos résultats ne sont pas mauvais par rapport aux résultats étrangers. Ils sont très mauvais par rapport à ceux du Royaume-Uni, où l'on trouve la plus faible proportion d'accidents par rapport à la main-d'oeuvre active. Je viens de commencer l'étude de ce sujet intéressant, car il semble qu'en plus de l'assurance-indemnisation des travailleurs et de la législation sur la sécurité en milieu de travail, comme nous les connaissons au Canada, les travailleurs britanniques ont la possibilité d'intenter des poursuites contre leurs employeurs en cas de négligence sur le lieu de travail. Ils sont protégés par une assurance indemnisation, et ils peuvent intenter des poursuites.

    Ces poursuites peuvent se solder par de très lourdes amendes pour l'employeur. C'est peut-être ce qui explique la fréquence exceptionnellement faible des accidents. On en compte un tiers ou un quart de moins que dans les autres pays. C'est le taux le plus faible parmi les pays développées d'Europe.

    J'ai découvert un autre élément intéressant en faisant une étude comparative des statistiques canadiennes. Le tableau est annexé à l'exposé.

    Le conseil considère que la meilleure façon d'évaluer la sécurité en milieu de travail consiste à considérer le nombre d'accidents mortels et le nombre de blessures graves. Tout le reste, comme les doigts coupés ou écrasés, peut être exclus de la catégorie des accidents, car ces blessures ne sont pas toujours déclarées. Mais lorsqu'un travailleur présente une invalidité définitive à cause d'un accident, c'est sérieux.

    Nous avons écarté tous les chiffres utilisés par le gouvernement de l'Ontario pour aboutir aux résultats incroyables qu'il annonce, à savoir que l'Ontario a un dossier de sécurité exceptionnel, grâce à une diminution de 30 p. 100 du nombre des accidents. Nous avons écarté tous ces chiffres. Nous retenons uniquement les accidents mortels et les blessures graves. Ainsi, nous constatons que le nombre des blessures a augmenté sensiblement depuis 1996.

    De surcroît, le gouvernement de l'Ontario utilise les statistiques qu'il publie pour faire baisser les primes d'assurance. On a d'un côté le Code criminel du Canada, qui ne permet pas d'intenter des poursuites en cas de crimes, et de l'autre côté, l'assurance sans égard à la faute. L'employeur n'est pas protégé à 100 p. 100 contre les poursuites, car il est assuré—c'est normal, c'est bon pour les affaires—et en fait, cela fait augmenter le nombre des accidents.

    Le gouvernement de l'Ontario nous dit que ses conditions de travail sont les plus sûres au monde, mais ce n'est pas le cas.

    En fait, par rapport aux statistiques du Québec, le milieu de travail en Ontario est beaucoup moins sûr. C'est très intéressant; si vous regardez le taux, on a au Québec 6 p. 100 de blessures graves. En Ontario, où on revendique une diminution de 30 p. 100, on trouve 6,6 p. 100 pour 1993. En 1997, c'est 5 p. 100 au Québec, contre 5,6 p. 100 en Ontario, malgré la prétendue diminution de 30 p. 100.

    En procédant ainsi, on induit en erreur les travailleurs et l'ensemble de la population. On donne une impression de sécurité alors qu'en fait, on provoque des accidents. Il faut veiller à ne pas permettre aux gouvernements de nous induire en erreur en jouant avec les chiffres; les chiffres doivent être présentés pour ce qu'ils sont.

  +-(1200)  

+-

    Le président: Pourriez-vous identifier le graphique, car le personnel du service de transcription ne pourra pas...

+-

    Mme Maria York: Le graphique est joint à notre texte intitulé: «The Canadian Council for the Rights of Injured Workers: Analysis of Work-Related Deaths and Serious Disabilities in Ontario».

    Il s'agit du tableau 3, intitulé: «Analysis of WSIB Statistics». Tous les renseignements contenus dans ce graphique sont fondés sur des statistiques de la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail (CSPAAT), mais nous donnons notre propre interprétation.

    Je vous remercie.

+-

    Le président: Vous avez un peu de temps, Peter.

+-

    M. Peter MacKay: Je veux revenir à ce qu'a dit M. Theriault, quand il a décrit son expérience à la mine. Il a fait un commentaire très révélateur quand il a dit qu'il en a appris davantage sur la sécurité lors de l'enquête, c'est-à-dire après le fait, que pendant qu'il travaillait à la mine.

    Lorsque nous envisageons la possibilité d'inclure des peines dans le Code criminel, c'est après le fait. C'est en réaction à une tragédie, au fait que quelqu'un a été blessé, et l'on veut attribuer le blâme.

    Une grande partie de votre travail, monsieur Theriault, ainsi que de celui d'autres personnes, consiste certainement à essayer d'empêcher un accident, en identifiant la source d'un problème, avant qu'une catastrophe comme celle de Westray ne se produise.

    À votre avis, existe-t-il quelque chose que nous pourrions inclure dans cet ensemble de réformes, en ce qui concerne l'intimidation au travail? Vous avez tous mentionné, d'une façon ou d'une autre, que si un employeur met la vie d'une personne en danger, il y a une menace réelle ou sous-entendue, c'est-à-dire que l'employé doit mettre sa vie en danger, sinon il risque de se retrouver sans emploi. Il semble que c'est à peu près ce qu'on vous disait, monsieur Theriault, quand vous décriviez la façon dont vous deviez pousser un camion d'approvisionnement avec un bulldozer.

    Pour les fins du compte rendu, monsieur Theriault, je tiens à mentionner que vous êtes retourné dans la mine après l'explosion. On vous a remis une médaille et une mention élogieuse à cause de cela, n'est-ce pas?

+-

    M. Vern Theriault: En effet. C'est le 9 mai, comme je l'ai dit, que je suis allé là-bas et qu'on m'a dit que la mine avait explosé.

    Ce jour-là—et je continue mon histoire—le policier nous a dit d'aller nous asseoir près du garage jusqu'à ce que l'on découvre ce qui allait se passer. Par la suite, dans l'heure qui a suivi, on nous a dit d'aller à la caserne de pompiers. Tous les travailleurs et les membres des familles sont aussi allés à la caserne de pompiers ce matin-là.

    Plus tard le même matin, on est venu voir si quelqu'un allait se porter volontaire pour participer aux activités de sauvetage. Et dans ces cas-là, on lève tout simplement la main. J'ai même eu l'impression que quelqu'un d'autre avait levé ma main, car je ne voulais vraiment pas participer à quelque chose de ce genre. Je veux dire par là, quand on entend des explosions...mais ma main s'est levée. J'ignore qui l'a levée, mais quelqu'un l'a fait.

    Le président: Ça ressemble à l'un de nos votes.

    M. Vern Theriault: Je suis allé sur les lieux de la mine et j'ai commencé le sauvetage en tant que mineur sans masque. Je n'étais pas un sauveteur portant un masque à gaz. Ces sauveteurs-là avaient beaucoup d'expérience.

    Je suis donc retourné à l'intérieur de la mine. Nous y avons deux tunnels, et tout avait sauté. Il y avait ces énormes portes d'acier. Elles font probablement de 14 à 16 pieds de hauteur et environ six à huit pieds de largeur. Il y a aussi une petite porte par où l'on peut pénétrer, mais on peut ouvrir les grandes pour y faire passer de la machinerie.

    Eh bien, des niveaux un à dix, chacune de ces portes avait sauté. Il y en avait une de chaque côté, de sorte que deux portes dans chaque tunnel avaient sauté. Il ne restait plus rien.

    Les sauveteurs portant un masque à gaz sont descendus en premier et ils ont installé du plastique maintenu avec des madriers pour assurer la circulation de l'air, et lorsqu'ils sont arrivés au troisième travers-banc, nous avons commencé au premier en fixant les planches au plastique. Il n'y avait pas vraiment de garantie, et nous avons donc installé le contreplaqué. Pendant que nous faisions cela, nous descendions plus profondément dans la mine. Et au fur et à mesure que nous descendions dans la mine, nous avons vu tout un spectacle, de l'acier et toutes sortes d'équipements qui avaient explosé et qui étaient en miettes un peu partout. Ce n'est pas vraiment un spectacle, c'est seulement...

    Nous avions un tracteur au dixième. Il était flambant neuf, il servait seulement à y amener les hommes, et il avait été rôti. On pouvait voir que le métal avait brûlé. C'était effrayant de voir cela.

  +-(1205)  

+-

    M. Peter MacKay: Vous êtes-vous senti intimidé à n'importe quel moment au travail, si vous ne faisiez pas ce qu'on vous disait?

    Vous avez mentionné la question de la sécurité. Pensiez-vous qu'on vous avait donné suffisamment de formation en matière de sécurité pour faire ce que vous faisiez à cette mine?

+-

    M. Vern Theriault: Non. Je vais revenir à la première partie de votre question.

    Lorsque la mine a ouvert, je travaillais dans un atelier de pneumatiques. Je m'étais rendu là régulièrement depuis le premier jour où l'on avait commencé à creuser, et je m'occupais de tous les besoins de la mine en matière de pneus. Après qu'on eut commencé à exploiter la mine, pendant trois ans, j'ai fait tout le travail qu'il y avait à faire en matière de pneus.

    Un jour, j'ai dû descendre un peu dans la mine. L'engin n'était pas encore descendu très loin, on venait de commencer à creuser les trous. Un jour, je suis descendu pour aller changer un pneu sur l'engin. J'étais là en train de changer le pneu et je me suis dit: «Zut alors, je ne sais pas si je veux faire cela. Il y a de l'eau qui s'infiltre ici. Je ne sais pas si je peux endurer cela».

    Mais le temps a passé. Je suppose qu'après être descendu une fois dans la mine...

    J'ai même essayé d'obtenir un emploi de soudeur et je n'ai pas réussi. Je suis allé passer des tests, et le gars m'a dit: «Eh bien, tu pourras revenir plus tard parler au patron». Le lendemain, j'ai découvert que M. Phillips avait embauché un de ses bons amis. Le gars m'a dit que la direction avait engagé quelqu'un d'autre et qu'on ne pouvait donc pas me donner l'emploi, mais on a demandé si j'aimerais travailler dans la mine. J'ai répondu que je n'étais pas trop certain. Il a dit savoir que j'aimais gagner de l'argent... Je faisais des heures supplémentaires pour gagner plus d'argent—et le type a dit: «Tu n'auras pas à faire trop d'heures supplémentaires si tu obtiens un emploi ici. Tu seras assuré d'avoir du travail pendant 20 ans et ton salaire montera probablement à 60 000 $ par année, une fois que tout fonctionnera à plein rendement».

    La perspective de tout cet argent m'a vraiment plu. Je me suis dit que je pourrais m'occuper de ma femme et de mes enfants, mais j'ignorais dans quelle situation je me retrouverais plus tard.

    Pour en revenir à la partie de...

    M. Peter MacKay: La partie concernant la formation.

    M. Vern Theriault: Je suppose que je n'ai pas fini de répondre à cette question. J'essayais de vous dire que je connaissais les membres de la direction parce que je m'occupais des pneus des véhicules de la mine. Je les ai vu réprimander d'autres gars et même les engueuler parce qu'ils ne faisaient pas quelque chose. J'ai vu beaucoup de patrons s'en prendre à des employés. Dans le monde du travail, on veut que les dirigeants s'entendent avec leurs employés. Tout va bien mieux de cette façon. Si l'on rabaisse le plus possible un gars, ça ne sert à rien.

    Après l'explosion à la mine, nous nous occupions du sauvetage et un jour j'ai amené les secouristes portant un masque à gaz au niveau 10. On avait décidé que l'équipe de sauveteurs portant un masque à gaz serait déposée au niveau 10. À un moment donné, Roger Parry a dit: «Oh, nous allons nettoyer ce fouillis, sortir tout cela, et ensuite nous reprendrons le travail». Il riait en disant cela. Un gestionnaire ne fait pas ce genre de chose. On ne rit pas et on ne dit pas qu'une fois que tout sera nettoyé, les choses reviendront à la normale. Enfin, il faut faire preuve d'un peu de sensibilité envers les gars qui ont été tués dans la mine. On n'agit pas ainsi. C'est cela que je veux dire.

    L'autre question, Peter...?

  +-(1210)  

+-

    M. Peter MacKay: Pensiez-vous, Vern, qu'on vous avait suffisamment appris en matière de sécurité? Vous avez mentionné que vous en aviez appris davantage plus tard.

+-

    M. Vern Theriault: Le jour où j'y suis allé pour une entrevue en vue d'obtenir un emploi à la mine, ils nous ont montré un vidéo sur une mine à ciel ouvert. Devais-je travailler dans une mine à ciel ouvert ou plutôt dans une mine souterraine? Pourquoi me montrent-ils cela? Ils m'ont montré une de leurs autres mines. J'oublie laquelle, mais c'était une mine à ciel ouvert appartenant à la même entreprise.

+-

    M. Bill Blaikie: C'était le seul enregistrement vidéo qu'ils avaient.

+-

    M. Vern Theriault: Je suppose que c'était le seul.

    Et Roger Parry est venu nous montrer cette petite trousse qu'on doit porter sur nous et qui contient quelque chose qu'on peut se mettre sur le visage. Il est entré, nous l'a montrée, et nous a demandé si nous savions ce que c'était. Je ne suis pas certain du nom qu'on lui donne, de sorte que je ne peux pas vous donner ce nom ici. Tout le monde en avait; c'était simplement une petite trousse. Il a sorti l'appareil et a dit: «Lorsque les émanations de gaz deviennent très élevées, vous mettez cela sur votre visage, vous respirez dedans et vous quittez le secteur». Et voilà. C'est toute la formation que j'ai reçue en matière de sécurité, et le lendemain je descendais dans la mine.

    De fait, le deuxième jour où j'ai travaillé là, il y a eu un effondrement. Comme je l'ai dit, c'était un événement effrayant, tout comme le 9 mai et ensuite les activités de sauvetage. Cela continuera de me hanter jusqu'à la fin de mes jours. Je n'oublierai jamais cet événement.

+-

    Le président: Peter a eu raison de souligner votre héroïsme et le fait qu'on l'a reconnu, et au nom des membres du comité, je tiens à faire de même.

    Monsieur Macklin, vous avez droit à sept minutes.

+-

    M. Paul Harold Macklin: Merci.

    Il y a plusieurs questions qui me sont venues à l'esprit en vous écoutant tous aujourd'hui parler de l'intérêt que vous avez pour la protection des travailleurs.

    En ce qui concerne les patrons et les personnes morales—je pose la question à n'importe lequel d'entre vous qui aimerait y répondre—que faudrait-il faire, selon vous, pour les amener à se préoccuper de la sécurité de leurs travailleurs? Faut-il les menacer de sanctions pénales—autrement dit d'une peine d'emprisonnement, ou faut-il plutôt des sanctions pécuniaires—à savoir, des frais et dépenses? Est-ce par manque d'éducation, qu'ils ne sont pas très sensibles aux conditions de travail de leurs employés et à la nécessité de protéger les travailleurs? Je n'arrive pas à comprendre.

    En ce qui concerne la mondialisation, monsieur Perrrault en particulier, pensez-vous que nous devons examiner la possibilité d'harmoniser—en Amérique du Nord, par exemple—une sorte de processus en matière de pénalités, afin que des peines uniformes soient imposées aux États-Unis et au Canada en cas de responsabilité des personnes morales—je suppose que je devrais parler de responsabilité criminelle—en ce qui concerne leurs rapports avec les travailleurs? J'aimerais entendre des commentaires de n'importe lequel d'entre vous, ou peut-être de vous tous, si vous le désirez.

  +-(1215)  

+-

    Mme Maria York: J'aimerais répondre à cette question, du moins en partie. Je pense qu'au Canada, les travailleurs ont très peu de pouvoir. Les ouvriers, particulièrement dans certains domaines comme le bâtiment, les ouvriers sans qualification, ont très peu de pouvoir. Ils sont protégés par la loi, mais ils n'ont pas les moyens de faire respecter leurs droits.

    Supposons qu'un patron mette fin à la relation de travail, l'ouvrier se trouve alors sans emploi, tout simplement parce qu'il s'est plaint. Beaucoup d'ouvriers ne savent même pas qu'ils peuvent engager des actions contre l'employeur. Ils n'en ont pas les moyens financiers, et ça s'arrête là. Pour l'essentiel, lorsque vous avez un emploi, vous vous y accrochez, quelles que soient les conditions. Je parle surtout pour l'Ontario, car j'ai déjà habité en Alberta, et en Colombie-Britannique. Mon mari et moi-même avons constaté qu'il y avait de grandes différences entre ces provinces et l'Ontario, pour ce qui est de la condition du monde du travail.

    Si les ouvriers n'ont aucun pouvoir, aucune autorité, les patrons s'y habituent. Ils les traitent en conséquence, et comme je l'ai dit dans ma présentation, comme du matériel rechangeable. De plus, en Ontario, on a toute une nouvelle législation qui permet à la direction d'exercer un contrôle plus étroit sur les employés. Soixante heures par semaine avant d'avoir le droit à des heures supplémentaires. On dit alors à l'ouvrier: «C'est à toi de décider. Si tu ne veux pas travailler, cela ne tient qu'à toi.» Un ouvrier qui est contraint de travailler 60 heures par semaine en arrive à mettre sa vie en danger, car il est fatigué, il est épuisé, et ne peut pas prêter aux détails l'attention voulue. Cela devient très dangereux. Et peut-il refuser de travailler 60 heures, de façon réaliste? Pas du tout. S'il veut avoir son chèque de paie le jeudi, il est obligé de suivre et de se tenir à la règle imposée.

    Voilà pourquoi sans le dispositif législatif approprié, sans inspirer une certaine crainte aux dirigeants d'entreprise, autre que l'action en justice pour harcèlement ou renvoi injustifié, c'est-à-dire une poursuite en justice, quelle que soit l'instance, cela peut être la Commission des droits de la personne, sans cela les choses continueront comme par le passé. Il faut donc que le chef d'entreprise craigne quelques représailles, et pas simplement financières... S'il s'agit simplement d'une amende imposée à la direction, la compagnie couvrira. C'est-à-dire que ce ne seront pas les directeurs qui paieront. Il faut donc que ceux-ci est à craindre quelque chose de plus significatif, qui les touche personnellement, car s'il s'agit d'une condamnation pour négligence dont la direction a parfaitement conscience parce que cela fait partie de sa politique, tout à fait délibéré, pour des raisons d'économie, à quoi peut-on s'attendre? Au cas où effectivement le couperet de la justice tombe, ce sera une amende, qui sera déduite de l'impôt, et on pourra peut-être même comptabiliser une perte dans certains cas...

    Donc il faut bien plus qu'une amende, à mon avis.

+-

    Mme Dominique Vaillancourt: J'aimerais ajouter quelque chose rapidement là-dessus. Dans un monde idéal, je suppose, nous n'aurions pas à nous poser des question sur l'honnêteté des sociétés, celles-ci prenant soin comme il convient de leurs employés, et non pas par crainte du gendarme. Je suis d'accord avec Maria. Le droit de refuser est effectivement inscrit dans la loi et dans le Code du travail, mais beaucoup d'ouvriers ne connaissent pas leurs droits, ça commence par là. Et s'ils abandonnent leur travail, s'ils ont quelques difficultés, comme le disait M. Theriault, ils n'ont même pas l'assurance-emploi, alors qu'ils devraient l'avoir. Ils peuvent faire appel, si on leur refuse la prestation d'AE, mais beaucoup de gens ne sont pas au courant de leurs droits. Il faut donc commencer par une éducation des employés et travailleurs, et des sociétés, sur la façon dont elles doivent les traiter.

    Vous avez également touché du doigt quelque chose au moment où vous avez parlé de mondialisation, car effectivement des normes imposées à toute l'Amérique du Nord permettraient d'éviter que l'on craigne en permanence de voir les sociétés prendre leurs cliques et leurs claques et aller s'installer ailleurs, là où la loi est moins dure qu'au Canada, si vous voulez. Il y a donc un facteur économique important qui joue pour les sociétés, si vous voulez.

    Je dis donc qu'effectivement c'est un objectif vers lequel il faut tendre.

+-

    Mme Maria York: Je pourrais peut-être ajouter quelque chose. Au Canada, d'après mes recherches, nous faisons aux grandes sociétés des conditions idéales, pour ce qui est de leurs bénéfices. Si donc nous les poussons un petit peu plus, elles ne vont certainement pas quitter le pays, et s'installer ailleurs. Je ne le pense pas. Ce sera toujours un paradis pour elles ici. Si nous les punissons pour leurs crimes, et si nous leur demandons des cotisations un petit peu plus élevées pour l'indemnisation des accidents de travail, puisque sinon les travailleurs en question deviennent tôt ou tard un fardeau pour la collectivité, ces sociétés n'en resteront pas moins ici et continueront à traiter avec nous.

    Une des choses que l'on oublie souvent, c'est qu'une société qui est obligée d'en faire un peu plus pour augmenter son bénéfice, et à laquelle on n'accorde pas systématiquement toutes ces exonérations et allégements d'impôt, fera effectivement l'effort supplémentaire, et recrutera du monde. C'est une espèce de logique inversée qui s'applique ici, la société s'étant fixé un objectif qu'elle veut atteindre coûte que coûte. Et c'est en travaillant un peu plus, en recrutant plus, et en produisant plus, c'est au total bon pour le pays et bon pour la population des travailleurs.

  +-(1220)  

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    M. Sorenson, sept minutes.

    Excusez-moi, monsieur Perrault, vous voulez ajouter quelque chose?

+-

    M. Doug Perrault: Rapidement.

    Vous avez parlé de l'éducation en quelque sorte des administrateurs et directeurs des sociétés. Je crois que cette éducation se ferait rapidement une fois qu'on aurait compris le principe de la responsabilité de la société, la responsabilité des décisions qu'elle prend. Des séminaires verraient le jour et se multiplieraient dans le pays pour expliquer ce que la société allait maintenant encourir, etc. Et je crois que tout s'arrangerait très rapidement.

    J'ai dit dans mon exposé que ce n'est pas tant l'amende, ou le montant de l'amende, qui compte mais le fait que tel dirigeant a maintenant un casier judiciaire. C'est-à-dire qu'il est maintenant repéré comme personne qui a porté un préjudice à un tiers, et cela délibérément. Voilà je crois l'essentiel de l'aspect coercitif du projet de loi. Ce n'est pas tant la question de l'amende ou de la prison, mais plutôt de la façon dont quelqu'un se trouve marqué par la suite.

+-

    Le président: Merci.

    M. Sorenson, sept minutes.

+-

    M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne): Je ne serai pas très long.

    Je n'étais pas ici pour entendre vos exposés, je vous prie de m'en excuser.

    Je crois qu'il faut être quand même réaliste. Nous devons être prudents dans ce que nous décidons. Il y a eu effectivement cet accident atroce, horrible, qui vous a touché directement. Cela remonte à loin. Nous ne pouvons pas cependant réagir à chaud et de façon précipitée. Bien au contraire, nous devons nous doter de moyens législatifs, adopter des lois qui tiennent compte d'un ensemble d'éléments évidents, de besoins, etc.

    Soyez prudents, et n'imaginez pas trop vite que les grandes sociétés vont rester implantées au Canada si l'on est trop répressif. Je ne dis pas non plus que c'est ce que vous proposez. Je peux aussi vous dire qu'il y a beaucoup de sociétés en ce moment qui comparent notre fiscalité avec celle d'autres pays, et qui sont prêtes à plier bagage. De toute évidence ce sont souvent pour le moment les ressources naturelles du pays qui les retiennent ici.

    Je vais revenir à un des arguments de M. Theriault. Vous nous avez dit tout à l'heure que vous étiez au fond de la mine la veille de l'accident, et vous avez parlé d'une pelle qui avait sans arrêt des pannes.

    Dans notre secteur, nous travaillons avec du matériel lourd. Et nous avons ce que nous appelons des interrupteurs Murphy, qui arrêtent le moteur si la pression de l'huile est trop basse, ou celle de l'eau, ou même en fonction d'autres variables.

    Je crois que c'est ce dont vous voulez parler, la pelle est aussi équipée d'un interrupteur Murphy, et au cas où le niveau de méthane est trop élevé, le moteur s'arrête. N'est-ce pas cela?

+-

    M. Vern Theriault: Oui, exactement.

+-

    M. Kevin Sorenson: Très bien. Et lorsque le moteur s'est arrêté, on en a apporté un autre.

  +-(1225)  

+-

    M. Vern Theriault: Non, je suis allé chercher une autre pelle dans le coin. Celle-ci avait aussi un interrupteur Murphy, mais il était débranché.

    Il avait été débranché pour qu'on puisse travailler dans ce genre de secteur, ce secteur où je me trouvais, et où quelqu'un avait déjà perdu connaissance. Ce qui se passait c'est que le méthane arrêtait la pelle.

    Nous savions que l'autre pelle avait un interrupteur débranché, puisqu'elle avait déjà été utilisée dans d'autres secteurs de la mine où ce n'aurait pas dû être le cas.

+-

    M. Kevin Sorenson: Saviez-vous qu'il avait été débranché?

+-

    M. Vern Theriault: Oui.

    On a vu des tas de choses se passer dans la mine. On a vu des ventilations bloquées. Je ne sais pas pourquoi, mais nous avons vu au fond de la mine des ventilations arrêtées... je parle de l'alimentation en air frais.

+-

    M. Kevin Sorenson: Et vous avez vu aussi votre collègue perdre connaissance.

+-

    M. Vern Theriault: À cet endroit même, à l'alimentation d'air frais, où en réalité il n'y avait plus d'air frais du tout.

    Mais on nous a quand même donné l'ordre de travailler, au cas où vous refusiez c'était la porte, ou à peu près.

+-

    M. Kevin Sorenson: Ce qui m'inquiète c'est ceci. Le projet de loi ici parle des administrateurs, de tous ceux qui sont concernés. On parle de la direction, du conseil d'administration de la compagnie, et petit à petit jusqu'en bas de la hiérarchie. Que se passerait-il si soudain, on devait vous inclure?

+-

    M. Vern Theriault: C'est-à-dire me faire porter une part de responsabilité?

    M. Kevin Sorenson: Oui, puisque...

    M. Vern Theriault: Effectivement la direction a essayé de se retourner contre les mineurs. Moi aussi on a cherché à m'accuser, d'une certaine façon, et si effectivement cela va jusqu'en bas de la hiérarchie, je serais inclus.

+-

    M. Kevin Sorenson: Mais était-ce la direction qui avait débranché cette sécurité Murphy, ou est-ce que ça aurait pu être un mineur, qui excédé de voir la pelle s'arrêter, aurait débranché...

+-

    M. Vern Theriault: En fait, la machine avait été envoyée à l'entretien, et cela je le sais. Elle nous revenait donc directement du service de l'entretien qui l'avait eu en main quelque temps et qui l'avait réparée. Si elle n'était pas en état d'être redescendue dans la mine, il n'aurait pas fallu le faire. Mais on nous a dit de la descendre; que vouliez-vous que nous fassions? Nous avons obéi, n'est-ce pas?

    Pour revenir à la question posée sur les intimidations de la part de la direction, je voudrais dire une chose publiquement. Après l'explosion de la mine, quand on a arrêté les secours, j'ai eu peur d'en parler jusqu'en 1997-1998, environ, même après la commission d'enquête. Ce que je viens de vous dire à vous aujourd'hui, je ne l'avais dit à personne d'autre avant. J'avais peur de mentionner quoi que ce soit, et cela vous montre à quel point j'étais intimidé. Lors de la commission d'enquête, j'ai fait des déclarations, mais j'avais encore peur, et j'avais trop peur pour tout révéler.

    Le président: Et après?

    M. Vern Theriault: Après l'enquête, je me suis demandé pourquoi je gardais tout à l'intérieur de moi. Comme cela me grugeait de plus en plus, j'ai décidé de parler. De plus, il y a trop de gens qui meurent chaque année, et je ne peux plus accepter de ne rien dire. Au fond, je veux essayer de sauver des vies.

+-

    Le président: Il est presque midi trente, ce qui signale la fin de la séance.

    Monsieur Perrault, soyez bref.

+-

    M. Doug Perrault: J'aimerais faire un commentaire. Mais je n'ai pas saisi votre nom.

    Le président: C'est M. Sorenson.

    M. Doug Perrault: Nous ne vous demandons pas ici d'imposer des amendes ou des sanctions aux entreprises qui enfreignent la loi en matière de santé et de sécurité. Ce que nous disons, c'est que lorsque ces entreprises enfreignent délibérément la loi et que, ce faisant, elles risquent la vie de leurs employés, cela fait toute la différence du monde. Le projet de loi devrait mettre l'accent sur la nature délibérée des infractions.

+-

    Le président: Mme York.

+-

    Mme Maria York: Je voudrais vous citer brièvement un paragraphe qui se trouve sur notre site Web.

Les pratiques illégales et contraires à la déontologie chez les subordonnés sont probables lorsque les membres des coalitions dominantes font savoir qu'ils tolèrent ou excusent les travailleurs qui s'engagent dans des activités illégitimes en vue d'atteindre les objectifs de l'organisation ou même qu'ils s'attendent à ce qu'ils le fassent.

    Il faut donc se demander s'il faut inclure les travailleurs à ceux qui devraient être pénalisés. On ne devrait pas les inclure, puisque le simple travailleur—et même le chef de service—est un employé et que s'il ordonne à d'autres d'effectuer quelque chose d'illégal ou de contraire aux règles de sécurité, c'est qu'il reçoit ses ordres de ses patrons à lui. Or, pour pouvoir garder son emploi—il s'agit habituellement de postes mieux rémunérés—, il doit obéir aux ordres de la compagnie.

    Je connais des travailleurs de la construction à qui les employeurs ont demandé d'effectuer des manoeuvres illégales et qui ont été obligés d'obtempérer, à défaut de quoi ils perdaient leur emploi. C'est un marché très serré, et les entreprises de construction travaillent main dans la main; ce sont comme des clubs privés. Si un employé est considéré par une entreprise comme étant un fauteur de troubles, il ne pourra jamais obtenir de promotion.

  +-(1230)  

+-

    Le président: M. Grose.

+-

    M. Ivan Grose: Merci.

    J'aimerais poser rapidement une question à M. Theriault qui pourrait répondre par oui ou non.

    Lorsque vous vous occupiez des pneus dans la mine, est-ce que vous mettiez une chaîne autour du pneu et de sa jante avant de le gonfler?

    M. Vern Theriault: Pardon?

    M. Ivan Grose: Vous avez répondu à ma question, car vous ne savez même pas ce dont je parle, et c'est tant mieux. Avant de gonfler un pneu, vous n'avez jamais entouré ni le pneu ni la jante d'une chaîne.

+-

    M. Vern Theriault: Oh, oui. Nous avions des chaînes pour mettre autour des pneus...

    M. Ivan Grose: Vous en aviez?

    M. Vern Theriault: Oui, pour que la bague de serrage ne se défasse pas.

+-

    M. Ivan Grose: Je suis content de l'entendre.

    Soit dit en passant, je peux expliquer cette histoire de l'OSHA, si vous le voulez. Je connais ce dossier à cause de mon occupation antérieure. J'ai siégé au conseil d'administration d'une organisation de commerce international pendant six ou sept ans, et aux États-Unis, on entend constamment les gens dire: «L'OSHA est une vraie plaie; ils me rendent fou, ils sont en train de me mettre sur la paille.»

    La raison en est qu'aux États-Unis, dans la plupart des États, l'indemnisation relève du secteur privé. On l'achète comme on achète de l'assurance-maladie ou de l'assurance-vie. On l'achète d'une compagnie. Cette compagnie veut garder ses tarifs au plus bas, et elle emploie donc des inspecteurs qui vont faire des vérifications chez les assurés. Et si l'assuré ne fait pas bien son travail, ils disent qu'ils vont refuser de l'assurer, ou bien ils augmentent leur tarif en flèche. Il y a aussi le fait que ces spécialistes privés de l'indemnisation exercent des pressions sur l'OSHA, laquelle est en conséquence beaucoup plus efficace.

    Maintenant, dans notre pays, du moins en Ontario, province que je connais, la Commission de l'indemnisation des accidents du travail est un office gouvernemental. Ils se fichent que des travailleurs se fassent tuer ou de ce qui peut leur arriver au travail. Ils versent une indemnisation seulement aux travailleurs blessés, parfois le plus petit montant possible. Mais ils ne s'intéressent pas à la sécurité au travail.

    Nous avions l'équivalent de l'OSHA en Ontario. Je voyais un inspecteur tous les deux ou trois ans. Je dirigeais mon propre atelier, je réparais mes propres camions, je mélangeais mes propres produits chimiques. En 30 ans dans le secteur de la construction, je ne pense pas avoir vu plus de deux ou trois chantiers fermés pour violation flagrante des règles de santé et sécurité au travail.

    Voilà donc la différence entre les deux pays. Nous avons l'équivalent ici; c'est simplement que nous ne faisons pas le travail.

+-

    Le président: M. MacKay.

+-

    M. Peter MacKay: Cela m'amène à une question très intéressante que M. Grose vient de soulever.

    Je veux d'abord dire une dernière chose à M. Theriault. Je pense que vous venez de démontrer aujourd'hui la véracité de la déclaration du juge K. Peter Richard au sujet de l'enquête publique dans l'affaire Westray, à savoir que la catastrophe était prévisible et qu'elle aurait pu être évitée. Vous nous avez donné amplement de raisons de croire en la véracité de cette déclaration.

    L'idée qu'un office de la sécurité de réglementation provinciale puisse avoir une responsabilité égale pour ce qui est de fermer un lieu de travail qui n'est pas sûr soulève la question de savoir s'il devrait y avoir une responsabilité criminelle en pareille circonstance. C'est inacceptable si un inspecteur des mines descend dans la mine et constate les conditions de travail non sécuritaires que M. Theriault a décrites et si, pour une raison ou une autre, il décide de ne pas fermer cette mine.

    On pourrait soutenir que cette personne, en fermant les yeux et en abdiquant complètement la seule et unique responsabilité qu'elle assume dans son poste, doit aussi assumer une certaine responsabilité criminelle. Je dirais que, logiquement, les gestionnaires et les exploitants de la mine ferment les yeux pour des raisons commerciales, pour faire du profit, pour que la mine reste ouverte et tout le reste. Un inspecteur des mines ou un inspecteur des lieux de travail occupe à certains égards un poste de fiduciaire et il a une obligation plus lourde d'agir.

    Je vous invite à commenter cette suggestion.

+-

    Le président: Monsieur Perrault, allez-y.

+-

    M. Doug Perrault: Je pense qu'il va sans dire que cela fait partie de leurs obligations...dans le cadre de leur travail, ils ont l'obligation de faire exactement ce que vous avez dit, et s'ils ne le font pas, ils ne devraient pas travailler, premièrement, et ils devraient être passibles de sanctions criminelles, également.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Je vais donner la parole à M. Macklin. Nous avons dépassé le temps, et je vais donc permettre une dernière question.

+-

    M. Paul Harold Macklin: Ce qui me préoccupe, surtout quand j'écoute M. Theriault, c'est de savoir si le problème ici n'est pas vraiment de nature économique. Je me demande si le fait d'avoir une compagnie en difficulté dans une région de chômage élevé ne devient pas le terreau de cette situation. Ne résulte-t-elle pas d'un climat économique malsain où chacun ne cherche qu'à survivre? Dans un tel cas, tout le monde consent, en un sens, à abandonner certains droits. Le résultat, dans ce cas, c'était la mort de 26 personnes.

    Voilà le commentaire que je voulais faire. Je ne sais pas si vous voulez y répondre, mais je trouve inquiétant l'élément économique de l'affaire Westray. Mais je ne sais pas s'il faut empêcher les compagnies de mener à bien ces projets à cause des risques qu'ils présentent.

  +-(1235)  

+-

    Le président: Mme York.

+-

    Mme Maria York: À mon avis, le problème est beaucoup moins grave pour les sociétés que pour les travailleurs, donc il n'y a pas d'équilibre. Les sociétés s'en tirent très bien dans ce pays, et je pense qu'elles ne cherchent qu'à maximiser les bénéfices. Leur survie n'est pas en jeu; je pense qu'elles veulent tout simplement maximiser les bénéfices. S'il existe une possibilité de faire des bénéfices au Canada, elle sera exploitée.

    Un des problèmes principaux c'est qu'une fois qu'il y a plusieurs grandes sociétés qui se comportent de cette façon, les petites entreprises indépendantes doivent soit fermer soit recourir, elles aussi, à des pratiques corrompues ou illégales afin de réduire au minimum les coûts. Non seulement il y a un groupe de sociétés qui n'hésitent pas à adopter des pratiques illégales afin de faire des économies, de maximiser les bénéfices, et non pas simplement pour survivre—je suis désolée, mais leur survie n'est pas en jeu—, mais également on oblige les petites sociétés soit à fermer soit à emboîter le pas.

    Je pense que c'est exactement ce qui se passe en Ontario en ce moment. D'après mes études, le niveau de corruption des sociétés est très élevé, et le gouvernement ferme les yeux sur le problème. C'est un climat qui ne cesse de s'aggraver et ce sont les travailleurs qui en paient le prix, pas les sociétés.

+-

    M. Paul Harold Macklin: Après avoir entendu M. Theriault au sujet de Westray, je pense que cette situation ne ressemblait pas forcément à celles qui font l'objet de vos études.

+-

    Mme Maria York: Vous avez peut-être raison, car les emplois étaient un facteur important dans ce cas-là.

    Le président: Je pense que M. Theriault veut intervenir.

+-

    M. Vern Theriault: Je voulais dire que nous ne cherchons pas à obliger les sociétés à fermer leurs portes. Je pense que c'est ce que vous voulez dire.

+-

    M. Paul Harold Macklin: C'est une question qui se pose. Faut-il intervenir si une compagnie démontre qu'elle n'est pas viable et que ses travailleurs sont peut-être en danger?

+-

    M. Vern Theriault: Nous ne cherchons pas à obliger les sociétés à fermer leurs portes. Il faut surtout que les sociétés recommencent à donner des cours de sécurité au travail. Chaque fois qu'on a une entrevue pour un emploi, l'employeur insiste que la sécurité c'est la priorité. Mais si tout le monde—les cadres et les travailleurs—ne savent pas que la sécurité prime sur la production, la compagnie ne sera pas bien gérée avec eux, et il y aura des problèmes.

    C'est une des raisons pour lesquelles je suis ici sur la Colline pendant deux semaines avec des représentants des métallos. Nous insistons pour dire que nous ne cherchons pas à obliger les sociétés à fermer leurs portes. Nous voulons tout simplement nous assurer que les cadres et les travailleurs sachent que la priorité c'est la sécurité. Ce sera moins cher pour tous s'il n'y a pas de blessure.

    Le président: M. Perrault.

+-

    M. Doug Perrault: Je voudrais faire une remarque. Comme j'ai dit tout à l'heure, j'ai déjà travaillé pour la compagnie Kinetics, et une autre, Ledcor, que certains d'entre vous connaissent peut-être.

    Ces deux sociétés ont obtenu des contrats à cause de leur bon bilan en matière de sécurité et leur bon programme de sécurité. Je pense qu'une fois que les administrateurs des sociétés comprennent qu'ils vont obtenir des contrats parce qu'ils sont excellents en tout, pas seulement en certaines choses, il n'y aura plus de problème. À mon avis, les sociétés ne risqueront pas de perdre des affaires. Le risque sera de ne pas obtenir des contrats parce qu'on ne respecte pas les normes.

+-

    Le président: Je tiens à remercier nos témoins de leur présence.

    Je pense, monsieur Theriault, qu'on va vous voir souvent pendant les semaines à venir, et personnellement, j'ai hâte de vous revoir.

    Peter.

  -(1240)  

+-

    M. Peter MacKay: Monsieur le président, avant de lever la séance, et je ne veux pas prendre le temps des témoins, mais pouvez-vous me dire quand on pourra réexaminer la motion que j'ai déposée la semaine passée concernant la comparution du commissaire aux Services correctionnels?

+-

    Le président: Nous pourrons étudier la motion mardi prochain et prévoir une réunion à ce moment-là.

    M. Peter MacKay: C'est très bien.

    Le président: Le problème, bien sûr, c'est que puisque nous entendrons des témoins, le quorum sera de quatre. Donc, en général, il y a environ quatre députés qui sont présents, mais si vous ou quelqu'un d'autre ne peut pas...

+-

    M. Peter MacKay: Est-ce que le président accepte mon intervention comme un préavis?

+-

    Le président: Oui, nous allons examiner la motion mardi prochain, et nous allons prévoir un nouvel horaire.

+-

    M. Peter MacKay: Merci.

-

    Le président: Je tiens à remercier les membres du comité.

    Il y a quelque chose qu'il faut dire, et je pense que M. MacKay en est particulièrement conscient. Une bonne partie de cette question concerne les rapports de force inégaux qui existent entre employeurs et employés.

    Un élément de cette inégalité c'est le manque d'autres possibilités d'emploi. Si on habite une région du Canada où il y a peu de débouchés, les rapports de force sont encore plus déséquilibrés. Le résultat c'est qu'il est plus sécuritaire de travailler dans certaines régions du pays que d'autres, et ça c'est une situation sur laquelle le comité doit se pencher.

    Je fais cette remarque en pensant à vous, monsieur Theriault.

    La séance est levée.