FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 25 mars 2003
¿ | 0905 |
Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)) |
L'hon. Bill Graham (ministre des Affaires étrangères) |
¿ | 0910 |
¿ | 0915 |
Le président |
M. Bill Graham |
Le président |
M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne) |
The Chair |
M. Bill Graham |
The Chair |
M. Bill Graham |
¿ | 0920 |
M. Stockwell Day |
M. Bill Graham |
The Chair |
M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne) |
M. Bill Graham |
¿ | 0925 |
Le président |
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ) |
¿ | 0930 |
M. Bill Graham |
Mme Francine Lalonde |
M. Bill Graham |
Mme Francine Lalonde |
M. Bill Graham |
Mme Francine Lalonde |
M. Bill Graham |
Mme Francine Lalonde |
M. Bill Graham |
Mme Francine Lalonde |
M. Bill Graham |
Le président |
M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ) |
M. Bill Graham |
¿ | 0935 |
Le président |
M. Art Eggleton (York-Centre, Lib.) |
M. Bill Graham |
¿ | 0940 |
The Chair |
M. Art Eggleton |
The Chair |
M. Bill Graham |
M. Art Eggleton |
M. Bill Graham |
Le président |
Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.) |
M. Bill Graham |
¿ | 0945 |
Le président |
Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD) |
M. Bill Graham |
¿ | 0950 |
Mme Alexa McDonough |
M. Bill Graham |
The Chair |
M. Bill Graham |
¿ | 0955 |
The Chair |
M. Bill Casey (Cumberland—Colchester, PC) |
M. Bill Graham |
M. Bill Casey |
M. Bill Graham |
M. Bill Casey |
M. Bill Graham |
M. Bill Casey |
M. Bill Graham |
M. Bill Casey |
Le président |
M. Bill Graham |
À | 1005 |
The Chair |
À | 1010 |
M. Peter Stoett (professeur de science politique, université Concordia) |
À | 1015 |
À | 1020 |
The Chair |
À | 1025 |
M. Andrew Cohen (professeur, École de journalisme et de communication, université Carleton) |
À | 1030 |
À | 1035 |
À | 1040 |
The Chair |
M. Stockwell Day |
The Chair |
M. Andrew Cohen |
À | 1045 |
M. Stockwell Day |
M. Andrew Cohen |
The Chair |
Mme Francine Lalonde |
M. Peter Stoett |
The Chair |
M. Peter Stoett |
À | 1050 |
The Chair |
M. Andrew Cohen |
The Chair |
M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.) |
À | 1055 |
The Chair |
M. Peter Stoett |
Le président |
M. Andrew Cohen |
M. Murray Calder |
M. Andrew Cohen |
The Chair |
M. Keith Martin |
Á | 1100 |
M. Andrew Cohen |
Á | 1105 |
The Chair |
Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.) |
Le président |
M. Peter Stoett |
Á | 1110 |
The Chair |
Mme Alexa McDonough |
M. Andrew Cohen |
Á | 1115 |
The Chair |
M. Peter Stoett |
M. Andrew Cohen |
The Chair |
M. André Harvey (Chicoutimi—Le Fjord, Lib.) |
M. Andrew Cohen |
M. André Harvey |
Le président |
M. Andrew Cohen |
M. Peter Stoett |
Á | 1120 |
Le président |
M. Art Eggleton |
Le président |
M. Peter Stoett |
Á | 1125 |
Le président |
M. Andrew Cohen |
The Chair |
M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.) |
M. Andrew Cohen |
Á | 1130 |
Le président |
M. Peter Stoett |
The Chair |
Mme Karen Redman |
The Chair |
M. Andrew Cohen |
The Chair |
M. Peter Stoett |
Á | 1135 |
The Chair |
Mme Karen Redman |
The Chair |
M. Jason Kenney (Calgary-Sud-Est, Alliance canadienne) |
The Chair |
M. Peter Stoett |
Á | 1140 |
The Chair |
Mme Alexa McDonough |
The Chair |
M. Peter Stoett |
The Chair |
Mme Francine Lalonde |
Le président |
Á | 1145 |
Mme Francine Lalonde |
Le président |
CANADA
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mardi 25 mars 2003
[Enregistrement électronique]
¿ (0905)
[Traduction]
Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous procédons à l'étude du dialogue sur la politique étrangère du ministre des Affaires étrangères.
Nous avons le plaisir de recevoir ce matin...
[Français]
l'honorable Bill Graham, ministre des Affaires étrangères.
Monsieur le ministre, bienvenue à votre comité. Nous sommes impatients d'entendre vos commentaires d'introduction ce matin. Les membres du comité ont hâte de vous poser des questions et d'avoir de bonnes réponses, s'il vous plaît.
[Traduction]
Monsieur le ministre, vous avez la parole. Veuillez commencer.
Nous aurons ensuite dix minutes pour les questions et réponses. Nous serons très stricts sur le temps de parole parce que le ministre doit assister à la réunion du Conseil des ministres à 10 heures.
Monsieur le ministre.
[Français]
L'hon. Bill Graham (ministre des Affaires étrangères): Merci, monsieur le président. J'espère que mes réponses seront bonnes, mais cela dépend de l'esprit de celui qui les pose et de celui qui les entend, n'est-ce pas?
[Traduction]
Je suis très heureux de me trouver avec vous ici, monsieur le président et chers collègues, à un moment qui est évidemment très important pour l'avenir de nos relations internationales. La guerre en Irak est probablement au premier rang de vos préoccupations, comme elle l'est pour moi. Nous espérons qu'elle prendra fin rapidement, avec un minimum de pertes de vies humaines. Lorsqu'elle sera terminée, le Canada se joindra à la communauté internationale, sous les auspices des Nations Unies, pour participer à la reconstruction de ce pays et pour améliorer les conditions de vie du peuple iraquien.
Il y a bien sûr d'autres questions importantes dont nous devons aussi nous occuper. L'une d'entre elles, qui fait partie de mon portefeuille actuel, est le dialogue sur la politique étrangère, dont je suis heureux de m'entretenir avec vous aujourd'hui. Comme vous le savez, j'ai lancé en janvier ces consultations publiques nationales sur la politique étrangère, qui se poursuivront jusqu'en mai.
Il pourrait vous sembler, comme cela a été le cas pour moi ces derniers mois, que la période actuelle est plutôt mouvementée pour lancer des consultations publiques sur les orientations à long terme de la politique étrangère. Il va sans dire qu'au moment de planifier ces consultations, nous n'avions pas prévu qu'elles interviendraient dans le contexte de la crise iraquienne qui sévit aujourd'hui. Mais cette crise contribue justement à mettre au premier plan les grandes questions qu'il faut aborder dans une perspective à long terme. En voici quelques-unes, notre engagement envers les institutions et les processus multilatéraux, nos relations avec les États-Unis, la taille et la raison d'être de nos forces militaires, les éléments qui déterminent la sécurité mondiale et l'application des valeurs canadiennes dans un contexte mondial. Comme je le dis d'un bout à l'autre du pays depuis déjà deux mois, nous pouvons, et nous devons, continuer de répondre aux préoccupations générales à long terme de la population canadienne, tout en portant notre attention sur les problèmes urgents qui surgissent dans nos relations internationales.
En demandant aux Canadiens de nous aider à réfléchir aux choix et aux priorités pour l'avenir, je leur rappelle aussi que le gouvernement travaille à sa propre manière à renforcer les capacités du Canada en matière de politique étrangère, en améliorant la planification et la coordination entre les nombreux ministères dont les activités touchent aux affaires internationales. La mise au point d'un nouveau cadre pour la politique internationale montrera aux citoyens qu'à Ottawa, nous sommes déterminés à faire en sorte que tous les organes du gouvernement coopèrent afin de promouvoir les valeurs et les intérêts des Canadiens, tant ici qu'à l'étranger.
[Français]
Les consultations dans le cadre du dialogue sont menées sur plusieurs fronts, notamment sur les voies traditionnelles que sont les assemblées publiques, les tables rondes d'experts et les contributions faites par écrit.
Nous avons également innové en utilisant un site web permettant aux gens de prendre connaissance du document de réflexion, du dialogue, de répondre aux questions qu'il pose, de consulter des sources de renseignements et de prendre part à un débat avec d'autres Canadiens sur des sujets de leur choix. J'ai demandé à recevoir toutes les contributions pour le 1er mai et j'en rendrai compte aux Canadiens en juin.
En tant que parlementaires, vous avez tous un rôle essentiel à jouer dans le processus du dialogue. J'espère que vous répondrez à l'invitation que je vous ai lancée de tenir des assemblées publiques sur la politique étrangère dans votre propre circonscription et que vous ferez part des opinions exprimées par vos commettants.
En tant que membres de ce comité, vous avez déjà apporté une importante contribution à ce processus par l'entremise du rapport que vous avez présenté en décembre dernier sur nos relations nord-américaines. Le fait, si j'ose vous le dire, monsieur le président, que vous ayez choisi de le faire traduire en espagnol témoigne de façon éloquente, à mon avis, de la nouvelle réalité de l'Amérique du Nord, et je félicite chaleureusement le comité pour cette décision. Je crois que c'est un signe important que nous sommes, le Parlement, engagés dans ce processus de l'Amérique du Nord.
Le gouvernement déposera, bien sûr, sa réponse à ce rapport, mais celui-ci est aussi un élément important du processus du dialogue. Vos constatations et recommandations sur des sujets tels que la souveraineté, le commerce, la sécurité et les relations diplomatiques seront fortifiées.
Je crois savoir que votre prochain rapport portera sur un sujet qui se trouve aussi au coeur du dialogue, à savoir la relation qu'entretient le Canada avec le monde musulman. L'un des thèmes sur lesquels je demande aux Canadiens de se pencher est la question de savoir comment nous pourrions rechercher des occasions de favoriser le dialogue et la compréhension entre les religions dans le monde.
Dans le processus du dialogue, j'ai aussi fait appel aux communautés ethnoculturelles canadiennes pour favoriser un débat sur la façon d'assurer des relations intercommunautaires harmonieuses ici, au Canada.
J'ai la ferme conviction, collègues, que ce comité, qui reflète largement l'opinion publique canadienne, peut apporter une contribution considérable à notre compréhension de cette question qui revêt une grande importance à l'échelle mondiale et aux contributions canadiennes possibles à cet égard.
Je souhaite maintenant m'entretenir avec vous pendant quelques instants de ce qui est ressorti du processus de dialogue jusqu'à présent.
Pour commencer, par le biais de notre site web consacré au dialogue, nous avons reçu plusieurs contributions intéressantes et variées. Comme on pouvait s'y attendre, un grand nombre de personnes abordent des sujets liés à la sécurité, et elles sont encore plus nombreuses à répondre à la question générale de savoir comment la politique étrangère du Canada peut mieux refléter les intérêts et les valeurs de nos citoyens.
Comme j'ai pu le constater, tant sur le site web du dialogue qu'à l'occasion des assemblées publiques que j'ai tenues, la crise irakienne est, bien évidemment, une source de vives préoccupations. Dans le contexte du dialogue, cela a été, dans une certaine mesure, une bonne chose. Les inquiétudes face aux événements actuels font oublier à certains les questions les plus générales à long terme. Mais à de nombreuses occasions, j'ai été frappé par le fait que cette crise a amené les Canadiens à s'interroger sur des questions à long terme relatives à l'orientation de notre pays dans les affaires mondiales et qu'elle a suscité des observations remarquablement éclairées sur les liens entre la sécurité, la prospérité et les valeurs que défend le Canada.
¿ (0910)
[Traduction]
J'ai assisté à un bon nombre d'assemblées publiques jusqu'ici, à Winnipeg, à Montréal et dans chacune des provinces de l'Atlantique. Partout, la crise iraquienne a suscité des commentaires généraux sur nos relations avec les États-Unis: dans quelle mesure pouvons-nous et devons-nous établir une politique étrangère qui soit véritablement canadienne et dans quelle mesure notre bien-être économique nous force-t-il à appuyer les États-Unis dans les affaires mondiales?
Jusqu'à présent, à chaque assemblée publique, on a vigoureusement appelé le Canada à adopter une approche générale à long terme de la sécurité pour nous et les autres, en consacrant plus d'argent au développement des pays du tiers monde et à l'élimination de la pauvreté, et en multipliant les efforts pour rendre plus équitable le système économique international.
Le bilan du Canada dans le domaine du maintien de la paix et ses activités en faveur du respect des droits fondamentaux sont des thèmes souvent évoqués par ceux qui se penchent sur le rôle distinctif qu'il devrait jouer pour promouvoir la sécurité et la prospérité mondiales.
Nous n'avons pas seulement parlé de sécurité et de prospérité; il a beaucoup été question aussi du troisième pilier de notre politique étrangère. Comme je l'ai mentionné, les Canadiens souhaitent vivement discuter de ce que représente le Canada et des grandes valeurs qui déterminent nos intérêts. Dans les provinces de l'Atlantique surtout, j'ai été frappé d'entendre des étudiants étrangers dire combien ils étaient heureux d'étudier au Canada, combien ils avaient appris au sujet de notre société et de nos institutions, et combien ils espéraient pouvoir rentrer dans leur pays et oeuvrer pour faire en sorte qu'il ressemble un peu plus au Canada. Leurs observations, et les commentaires exprimés par les Canadiens de souche, montrent qu'il importe que les programmes d'éducation et les échanges soient intégrés dans nos démarches visant le troisième pilier. Et enfin, toujours dans le contexte de ce troisième pilier, je viens tout juste d'avoir des entretiens avec les représentants de nos principales organisations artistiques au Sommet canadien des arts. Ils ont eux aussi évoqué avec éloquence les bienfaits que pourraient engendrer des efforts plus poussés en vue de faire rayonner nos arts et notre culture à l'étranger.
Ce sont là autant de thèmes que je compte étudier attentivement au cours des mois à venir. À cette fin, je compte bien tirer parti de vos observations et de votre expérience, et je vous exprime de nouveau ma gratitude pour la contribution que le rapport du CPAECI a déjà apportée au dialogue. Ce comité passe beaucoup de temps à solliciter l'opinion de la population et je ne doute pas que vous conviendrez qu'il s'agit là d'un aspect essentiel de la démocratie et de notre rôle de députés. Il constitue de ce fait un élément important dans la mise au point des priorités et des orientations à long terme de la politique étrangère du Canada.
Je vous remercie.
¿ (0915)
[Français]
Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre.
[Traduction]
Pour le compte rendu, pourriez-vous présenter les gens qui vous accompagnent, en commençant par M. Costello?
M. Bill Graham: Oui, je suis accompagné par M. Dan Costello et par Mme Natalie Brender, qui ont travaillé avec moi à la préparation du dialogue et qui s'occupent du processus de consultation en cours. M. Costello est bien sûr mon adjoint exécutif.
[Français]
Le président: Merci.
[Traduction]
Nous allons passer aux questions et réponses. Il n'y aura qu'une ronde de dix minutes. Si un parti veut partager son temps de parole, je serais d'accord pour le faire.
Monsieur Day, je vous en prie.
M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.
J'aimerais remercier le ministre et ses collaborateurs d'être ici aujourd'hui malgré les urgences et leurs occupations.
Nous n'avons que dix minutes et l'un des défis qui se posent au comité est que tous les membres ont de bonnes questions à poser et qu'il est difficile de les poser toutes. Je vais donc demander au ministre de répondre à cinq questions très précises. Sur ces dix minutes, je vais lui donner environ deux minutes par question, si cette formule lui convient, ce qui lui donne plus de temps qu'il n'en a au cours de la période des questions.
Monsieur le président, j'invite le ministre à nous fournir une première réponse brève, quitte à fournir par la suite et par écrit, tous les renseignements et les commentaires plus généraux qu'il estime appropriés. Ses réponses vont influencer le plan de l'opposition officielle à l'égard du gouvernement, que ce soit un plan d'attaque ou de collaboration. Nous espérons bien sûr que ce sera la collaboration qui l'emportera, parce que c'est l'attitude qui est la plus proche de nos sentiments.
Voici les questions, je les ai préparées et je vais les transmettre au ministre.
(1) Existe-t-il des circonstances qui amèneraient les libéraux fédéraux à modifier leur position et à engager officiellement le Canada à participer à l'action militaire de nos alliés en Irak?
(2) Le ministre va-t-il demander à un tribunal de guerre précis de porter des accusations contre Saddam Hussein pour crimes contre l'humanité?
(3) Le ministre va-t-il publiquement demander que le gouvernement s'aligne immédiatement sur la décision de ses alliés d'interdire les groupes terroristes Jemaah Islamiah, les poseurs de bombes de Bali, la Brigade Al Aqsa et le Font national de libération basé en Irak?
(4) Le ministre va-t-il appuyer la demande présentée par Taiwan pour obtenir le statut d'observateur à la réunion du mois de mai de l'Organisation mondiale de la santé?
(5) Quel est le montant approximatif de l'aide humanitaire que le Canada propose au peuple iraquien?
Merci, monsieur le ministre.
The Chair: Ces questions sont très brèves et il n'y a guère eu de préambule. Nous attendons vos réponses.
M. Bill Graham: Très bien. J'ai combien de temps pour répondre?
The Chair: Il vous reste exactement huit minutes.
M. Bill Graham: M. Day avait mentionné que j'avais dix minutes, mais il a pris un peu de temps pour poser les questions, alors nous allons partager tout cela équitablement.
Je vais commencer par la fin, monsieur Day. Pour ce qui est du montant de l'aide humanitaire, cela relève évidemment du ministère de Mme Whelan. Nous nous sommes engagés à l'heure actuelle à verser 1,7 million de dollars aux Nations Unies pour l'aide humanitaire, somme à laquelle a été ajouté un autre montant de, je crois, 3,5 millions de dollars. Je ne garantis pas l'exactitude de ces chiffres, mais nous avons envoyé jusqu'ici environ 6 millions de dollars à la demande de l'ONU. Je sais également que le secrétaire général va demander une autre contribution et il est évident que la question de l'aide humanitaire sera abordée au Conseil des ministres. Je pense que ce chiffre va sans doute augmenter, si je peux m'avancer sur ce point, mais je ne peux pas vous donner un chiffre précis.
Pour ce qui est du statut d'observateur de Taiwan à la réunion de mai de l'Organisation mondiale de la santé, j'aimerais vous fournir une réponse écrite à cette question. Je vois que le représentant de Taiwan est ici. Ce n'est pas que nous ne voulons pas que l'Organisation mondiale de la santé et Taiwan puissent jouer leur rôle pendant cette réunion, mais il y a des aspects complexes que j'aimerais vérifier avant de vous fournir une réponse complète et je vais vous écrire très prochainement, la réponse ne tardera pas. Je suis sûr que je peux vous répondre très rapidement.
Pour ce qui est des groupes terroristes, je dirais que cette question relève davantage du solliciteur général, dont le rôle consiste justement à déterminer quels sont les organisations qu'il convient d'interdire. Je pense que les groupes que vous avez mentionnés, je ne sais très bien ce qu'il en est exactement du Front national de libération basé en Irak, mais les deux autres sont déjà sur la liste terroriste de l'ONU préparée par le Canada. Le solliciteur général est en train de réviser le statut de toutes ces organisations, et c'est une décision qui est prise par un comité spécial du Conseil des ministres. Lorsque cette décision sera prise, elle sera annoncée; je ferai part au solliciteur général du fait que le comité souhaite vivement que la situation de ces trois organisations soit examinée.
Pour ce qui est d'un tribunal de guerre spécial, j'ai parlé à votre collègue il y a quelques jours à la Chambre. Là encore, je sais que cela a un certain rapport avec la motion que votre collègue M. Kenney a présentée à la Chambre. Nous sommes tout à fait favorables à l'idée d'un tribunal de guerre.
La raison pour laquelle la proposition de l'Alliance canadienne a suscité une discussion est que, si j'ai bien compris, si nous voulons avoir un tribunal chargé de juger les crimes de guerre, inspiré du tribunal des crimes de guerre pour l'ex-Yougoslavie, il faut savoir que ces tribunaux sont mis sur pied par le Conseil de sécurité et autorisés par lui. Nous serions certainement en faveur d'une telle mesure. Nous serions certainement en faveur d'un tribunal de ce genre qui serait chargé d'examiner la situation en Irak.
Si d'autres parties proposent d'autres genres de tribunal, et il y a toutes sortes de tribunaux, après la Seconde Guerre mondiale, il y a eu divers types de tribunaux, certains ont été créés par les Alliés, d'autres en vertu de conventions internationales, etc., il faudrait examiner la proposition, qu'elle se présente sous la forme d'une entente internationale plutôt que d'une résolution du Conseil de sécurité ou d'un autre mécanisme. Mais nous sommes tout à fait en faveur de l'idée de créer un tribunal de guerre, inspiré, si je peux dire, du modèle de l'ex-Yougoslavie, créé par le Conseil de sécurité.
J'ai déjà répondu bien sûr à la question portant sur notre participation militaire à l'action de nos alliés en Irak. Il est impossible de prévoir toutes les circonstances dans lesquelles le gouvernement pourrait être appelé à prendre ce genre de décision et nous ne pouvons donc pas faire de commentaires sur la nature de ces circonstances, parce qu'il est impossible de prévoir toutes les formes qu'elles pourraient prendre
¿ (0920)
Je tiens toutefois à assurer le comité que le gouvernement suit de très très près la situation, et que nous entendons toujours agir en vue de protéger les intérêts du Canada et ceux de nos alliés, quel que soit le genre de situation qui se présente.
M. Stockwell Day: Une précision au sujet de cette dernière question, le gouvernement n'a pas écarté la possibilité de se joindre éventuellement à l'action militaire de nos alliés dans le cadre du conflit en Irak. Cela n'a pas été écarté complètement et la porte est fermée. Est-ce bien exact?
M. Bill Graham: Le gouvernement ne voit pas pour le moment de motif qui pourrait l'amener à participer à une intervention militaire.
The Chair: Monsieur Martin, une question.
M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne): Merci.
Monsieur Graham, en fin de compte, la politique étrangère doit s'appuyer sur une bonne politique en matière de défense. Ces politiques ne peuvent opérer de façon isolée, elles doivent être élaborées ensemble. Seriez-vous en faveur d'une révision conjointe de la politique étrangère et de la politique en matière de défense?
M. Bill Graham: Cela dépend, là encore, de ce que vous entendez par révision conjointe. La dernière fois que nous avons procédé à une révision de la politique étrangère, cette tâche a été confiée à un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes, qui a pris deux ans pour présenter son rapport et il a fallu ensuite que le gouvernement fasse également un rapport. Si l'on proposait une révision conjointe de la politique étrangère et de la politique en matière de défense du genre qui consiste à réunir les comités de la défense et des affaires étrangères avec un comité sénatorial, je sais, par expérience, compte tenu des structures de la Chambre, que, si ce n'est pas une tâche impossible, elle est du moins très difficile à gérer. M. Bergeron, qui a participé à la première révision, je pense, serait sans doute d'accord avec moi. C'est un processus très compliqué. J'aimerais avoir quelque chose plus rapidement. Le discours du Trône demandait que la révision de la politique étrangère et celle de la défense aient pour objectif de fixer des orientations à long terme, ce qui doit s'effectuer plus rapidement que si nous essayions de procéder à une révision conjointe.
Néanmoins, je tiens à vous assurer... M. McCallum dit souvent que la défense doit suivre les affaires étrangères. Nous acceptons ce principe et je crois que la plupart des députés l'acceptent aussi. Par contre, nous acceptons également ce que je lui dis, à savoir que les affaires étrangères dépendent dans une certaine mesure de la défense, parce qu'en l'absence d'une défense solide, nos options sont réduites ou multipliées, en fonction de notre situation. Nous reconnaissons que ces politiques sont liées, mais je n'envisage pas pour le moment d'effectuer une révision conjointe. Nous effectuons notre révision, en tenant compte des liens existants, mais nous n'avons pas concrètement fusionné ces deux opérations. Je crois que cela dépend principalement des contraintes de temps et de la complexité de la tâche.
¿ (0925)
[Français]
Le président: Merci, monsieur le ministre. Nous allons maintenant passer à Mme Lalonde, qui va partager son temps avec M. Bergeron.
Madame Lalonde.
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Bienvenue, monsieur le ministre.
Monsieur le ministre, j'apprécie la dernière réponse que vous avez donnée. Je voudrais dire, quant à moi, qu'il me semble que la revue que nous faisons maintenant doit être une sorte de revue intérimaire, parce que compte tenu des événements que nous vivons, nous assistons à une transformation de la situation mondiale. Cette transformation touche au plus haut point le Canada parce que les États-Unis, dépendant de la façon dont ils vont agir dans le reste de cette crise et de cette guerre irakienne, peuvent transformer de façon durable le rôle du multilatéralisme, pour ainsi dire.
Mais j'ai une question précise ce matin qui me trouble. En regardant le Globe and Mail, j'ai constaté que vous aviez fait une déclaration qui changeait la position du Canada. Le premier ministre, quand il a décidé de ne pas participer à cette guerre qu'il trouve injustifiée, a beaucoup insisté sur le fait que les États-Unis voulaient changer le régime. Il s'est exprimé à plusieurs égards et à plusieurs reprises sur le danger que représentait une telle politique. Or, ce matin, vous semblez dire ou vous dites, d'après ce que j'ai vu, que vous êtes maintenant d'accord sur le fait que les États-Unis recherchent un changement de régime en Irak.
Alors, ma question est double. Est-ce que vous vous distinguez du premier ministre, ou est-ce que vous annoncez un changement de politique du gouvernement, qui s'appuyait beaucoup sur ce fait dont M. Chrétien disait qu'il était dangereux pour l'ordre international. « À qui le tour? » demandait-il.
¿ (0930)
M. Bill Graham: Non, je ne me distingue pas du premier ministre, madame Lalonde. Le Canada a toujours cherché une résolution faisable pour le désarmement de Saddam Hussein.
Mme Francine Lalonde: Oui.
M. Bill Graham: Nous avons totalement travaillé là-dessus. Le premier ministre a été clair là-dessus. C'est la raison pour laquelle nous ne nous engageons pas dans les efforts des Américains et des Britanniques. C'est parce que nous croyons au système multilatéral et à l'importance du rôle du Conseil de sécurité pour la sauvegarde de la sécurité mondiale. Donc, rien n'est changé en cela.
Mais il y a une certaine chose qui a changé énormément, et c'est le fait que malgré tous nos efforts, la guerre a été déclenchée. Donc, nous avons un conflit actuellement.
Dans l'intérêt à long terme du monde, dans celui du Canada et même des États-Unis, il vaudrait mieux que cette guerre se termine aussi rapidement que possible, avec le minimum de victimes possible. Je crois que vous serez d'accord avec moi qu'il faudra absolument que cela se termine aussi rapidement que possible.
Donc, ce que je dirais, c'est que bien que nous ayons eu une position différente sur ce qu'il fallait faire dans les circonstances, maintenant que la guerre a été déclenchée, nous, à titre de Canadiens, ne pouvons pas être indifférents aux résultats de cette guerre. Donc, c'est pour cela que j'ai peut-être employé les termes que j'ai employés lors de l'entrevue dont vous faites mention.
Mme Francine Lalonde: Je veux juste souligner, monsieur le ministre, que cette réponse m'apparaît quand même étrange, parce que ce qui semblait être une position de principe s'évanouit, alors que le premier ministre avait été très clair sur cette position de principe.
Je laisse maintenant mon temps à...
M. Bill Graham: Pour illustrer un peu ma pensée, je pourrais vous poser une question. Est-ce que vous êtes d'avis que les Américains devraient perdre ce conflit?
Mme Francine Lalonde: Bien sûr que non.
M. Bill Graham: Donc, c'est cela, il me semble. C'est commencé, donc il faut ajouter, si vous voulez, et les Canadiens ont un rapport très étroit avec les États-Unis. Nous sommes des alliés et nous sommes engagés avec les États-Unis dans la guerre contre le terrorisme. Nous sommes engagés à côté de nos amis américains dans la défense du continent nord-américain. Donc, nous sommes intimement liés dans beaucoup de choses.
Mme Francine Lalonde: Mais ce sont deux choses, monsieur.
M. Bill Graham: Évidemment, ça n'a pas été le cas pour les moyens recherchés dans cette affaire, mais maintenant que la guerre est commencée, nous disons à nos amis américains que nous espérons qu'elle se terminera aussi vite que possible.
Mme Francine Lalonde: Mais ce sont deux choses que de dire que nous espérons que ça se terminera le plus rapidement possible, avec le moins de morts possibles, et avoir l'air de changer ou changer de position de principe. C'est ce que je veux souligner, monsieur le ministre.
M. Bill Graham: D'accord, mais je vous assure que je n'ai pas voulu donner à penser que j'avais changé de principe. Non, je n'ai jamais changé de principe, mais évidemment, nous vivons des circonstances très différentes aujourd'hui.
Le président: Monsieur Bergeron.
M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ): Merci, monsieur le président.
Dans la foulée de la question qui a été posée par M. Martin et de celle qui a été posée ultérieurement par Mme Lalonde, j'ai tendance à penser, monsieur le ministre--et vous le confirmerez, le cas échéant--, que la révision ou du moins le dialogue que vous avez entamé n'a pas pour objectif de procéder à une révision en profondeur de la politique étrangère du Canada, mais peut-être de procéder à une espèce de mise à jour.
Ne croyez-vous pas que la mise à jour, compte tenu des échéanciers que vous avez fixés, sera pour le moins prématurée, dans la mesure où ce qui se vit actuellement risque de provoquer des bouleversements en profondeur de l'ordre international existant et que conséquemment, ce qui va ressortir de ce que j'appellerai ce bouleversement, c'est--on l'a employé à plusieurs reprises, et Mme Lalonde en a parlé--une définition de ce que sera la marge de manoeuvre du Canada à l'égard de cette hyperpuissance qui émerge, à savoir les États-Unis?
M. Bill Graham: On peut dire qu'il y a beaucoup de commentaires selon lesquels il y a des plaques tectoniques qui changent. Évidemment, on voit ça au sein de l'OTAN, dans les relations au nord de l'Arctique, avec nos alliés européens. Il y a beaucoup de choses qui sont remises en question et dont on doit discuter à cause du conflit actuel.
Cela dit, monsieur Bergeron, je vous assure que l'idée d'avoir ce dialogue à ce moment-ci est très utile aux Canadiens. Les personnes qui participent veulent vraiment exprimer leurs idées; elles veulent être consultées, elles veulent dire ce qu'elles envisagent comme rapports avec les États-Unis, ce qu'elles attendent de Revenu Canada dans le futur. C'est surtout en ce qui a trait au troisième pilier, dont nous avons beaucoup discuté, vous et moi, lors de la première revue que nous avons faite, soit l'idée que ce sont les valeurs canadiennes qui doivent dicter là où nous en sommes quant à la prospérité et quant aux deux autres piliers, à la sécurité.
Je crois que le moment est très opportun malgré les problèmes de la guerre. Je ne dis pas que c'est une forme de processus intérimaire, parce qu'il y a une certaine conclusion à tirer de cela.
Cela dit, évidemment, il y a des changements profonds. Nous allons nous ajuster. Nous allons prendre en considération, par exemple, notre rôle avec le monde musulman, que vous allez examiner dans ce comité qui est tellement important dans le contexte actuel dont nous parlons.
Donc, il y a des choses comme ça qui ne pouvaient pas être reportées à long terme, je crois. Faisons notre travail. Faites le dialogue. Permettez-moi de déposer un rapport sur la politique étrangère du Canada dans ce contexte, pour la fin de cette année. Après cela, nous verrons comment nous pouvons reconnaître le fait que nous vivons dans une période, à mon avis, turbulente, assez mouvementée.
Je suis donc un peu d'accord avec vous que nous ne pouvons pas nécessairement dire que nous allons déterminer ce que seront les choses pour les 20 années à venir; ce serait un peu trop ardu. Mais je crois quand même que c'est un travail qui est à la fois valable et important en ce moment.
¿ (0935)
Le président: Merci, monsieur le ministre.
Monsieur Eggleton.
[Traduction]
M. Art Eggleton (York-Centre, Lib.): Monsieur le ministre, je sais que vous êtes ici pour parler de la question plus vaste du dialogue sur la politique étrangère, mais évidemment, tout le monde pense à l'Irak et j'aurais quelques questions à vous poser à ce sujet. Si nous avons suffisamment de temps, j'aimerais également vous poser une question au sujet de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies.
Permettez-moi de commencer par l'Irak. Je suis très satisfait de la position qu'a adoptée le gouvernement. Je pense que c'est la bonne. Nous ne devrions pas être en Irak. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont pris, d'après moi, une mauvaise décision, inutile de surcroît, lorsqu'ils ont décidé de lancer une opération militaire alors qu'il y avait encore la possibilité de désarmer ce pays par des voies pacifiques. Il est regrettable que les objectifs de M. Bush visent davantage un changement de régime que le désarmement.
Regardons plus loin alors. La guerre est commencée. Nous espérons tous qu'elle sera brève et jusqu'ici, les opérations se sont déroulées assez rapidement, mais nous ne connaissons pas le genre de résistance qui risque de susciter leur avance sur Bagdad.
Permettez-moi de vous demander ce qui va se passer ensuite et quel sera également le rôle des Nations Unies. Pour le moment, les Nations Unies ont été mises de côté par la coalition. Comment redonner un rôle aux Nations Unies? Comment sauver le Conseil de sécurité? Comment envisager de régler l'avenir immédiat? Comment circonscrire le conflit? Pour circonscrire ce conflit, comment empêcher que l'instabilité s'étende dans la région et éviter d'aggraver la fracture qui existe déjà entre le monde musulman et l'Occident?
Pour ce qui est des mesures qu'il faudra prendre en Irak, après la fin des opérations militaires, il me semble qu'il sera peut-être plus facile de gagner la guerre que de gagner la paix. Que se passera-t-il à ce moment-là? Que pensez-vous qu'il va se passer au sujet de la gouvernance de l'Irak? Les États-Unis vont sans doute mettre en place un pouvoir militaire. Quel est, d'après vous, le rôle des Nations Unies dans ce domaine? Quel devrait être le rôle du Canada pour reconstruire la société civile et, espérons-le, une société démocratique dans la région?
M. Bill Graham: Bien évidemment, ce sont là des questions importantes au sujet de l'Irak mais ce sont également des questions importantes par rapport à toute l'idée d'un dialogue sur la politique étrangère et de ce que nous essayons d'élaborer, savoir une politique étrangère à long terme. Je crois que cette intervention a fait ressortir la plupart des questions que nous devons examiner.
Nous allons certainement être obligés de réévaluer, je ne sais pas si c'est le bon terme, les institutions internationales qui sont, d'après nous, si importantes, et premièrement, le Conseil de sécurité. Il y a bien sûr le fait que les Nations Unies ne se résument pas au seul Conseil de sécurité. Elles comportent de nombreux aspects, comme le Haut-Commissariat aux réfugiés, qui va inévitablement intervenir dans la question de l'Irak. Il y a des agences de l'ONU et d'autres qui y participent déjà. Kofi Annan nous a déjà demandé de fournir une aide humanitaire.
Je pense que les Nations Unies ont un rôle important à jouer pour ce qui est de fournir une aide humanitaire au peuple iraquien et à la région, et dans la reconstruction de la région. Je pense que le Royaume-Uni partage pleinement cet avis. Je crois que l'administration des É.-U. est divisée sur la nature exacte de ce rôle. Il y a des gens dans l'administration des États-Unis qui sont tout à fait convaincus que cette action doit être principalement celle des États-Unis, et il y en a d'autres qui pensent qu'il faut rechercher l'appui des Nations Unies et des autres pays.
Lorsque j'ai parlé au secrétaire Powell la semaine dernière, j'ai abordé cette question. J'ai parlé de la façon dont le président Bush avait fait référence aux Nations Unies dans son discours des Açores. Il a affirmé qu'il pensait que c'était là un des aspects les plus importants de la déclaration des Açores, à savoir la reconnaissance du rôle que devaient jouer les institutions multilatérales après la fin du conflit. J'ai parlé à plusieurs de mes homologues européens qui partagent pleinement ce point de vue. Il y a donc beaucoup de personnes qui estiment que les institutions multilatérales, et en particulier, les Nations Unies, ont un rôle important à jouer dans la reconstruction.
Nous avons assisté à quelques réunions à Washington au niveau des diplomates consacrées à cette question. Je ne dirais pas qu'il y avait un consensus général à ce sujet, mais je dirais que le Canada, le Royaume-Uni et plusieurs autres pays étaient d'avis que nous devrions essayer de donner aux Nations Unies un rôle multilatéral clé. Comme vous le dites, il est peut-être plus facile de gagner la guerre que de gagner la paix. Seule une action multilatérale très rassembleuse permettra de régler l'après-conflit dans une région aussi volatile que le Proche-Orient, que vous connaissez très bien.
¿ (0940)
The Chair: Merci.
M. Art Eggleton: Est-ce qu'il me reste du temps?
The Chair: Non.
Tout le monde veut poser des questions.
Nous allons demander à Mme Redman de poser une question et nous donnerons ensuite la parole à Mme McDonough.
M. Bill Graham: Au sujet de la commission, alliez-vous me demander...
M. Art Eggleton: Je vous ai envoyé une lettre à ce sujet.
M. Bill Graham: Très bien.
Le président: Madame Redman.
Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur le ministre, d'être venu.
Des représentants des ONG et des universitaires nous ont présenté des témoignages très éclairants au sujet de la situation actuelle en Irak. C'est M. Sigler de Carleton qui a dit qu'une bonne partie de la réputation qu'avait le Canada sur le plan international reposait essentiellement sur les activités de nos organismes non gouvernementaux et que c'était un de vos prédécesseurs, Lloyd Axworthy, qui avait modifié le genre de rapport existant entre les agences non gouvernementales et le Canada. Je me demande si vous examinez ce point dans le cadre de ce dialogue sur la politique étrangère.
En tant que députés, nous parlons à des groupes communautaires et aux enfants dans nos circonscriptions. Je suis toujours frappé par le fait que les jeunes préfèrent se joindre au mouvement des organisations non gouvernementales plutôt qu'au gouvernement lorsqu'ils veulent que leur action ait un effet réel et positif, non seulement sur les questions internes, mais également sur les questions internationales.
J'aimerais entendre vos commentaires sur les rapports que nous entretenons avec les organismes non gouvernementaux et sur la façon dont ce sujet est intégré à la discussion sur la politique étrangère.
M. Bill Graham: Je suis tout à fait d'accord avec vous au sujet des rapports avec les ONG. Il est évident qu'elles apportent une contribution importante au processus du dialogue. Elles sont mieux organisées que la population générale pour ce qui est de présenter des mémoires. De sorte qu'en plus des réunions publiques, de l'Internet et de tous ces autres moyens, nous recevons des exposés de position.
Par exemple, comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, j'étais à Banff samedi pour donner un discours au Conseil pour le monde des affaires et des arts du Canada au sujet du rôle de la politique étrangère dans la culture et ils m'avaient déjà présenté un mémoire.
J'ai assisté à une réunion avec le Forum des politiques publiques ici à Ottawa au cours de laquelle nous avons parlé du rôle des ONG par rapport à celui du gouvernement. Nous avons parlé un peu des tensions qui existent parfois entre les députés, qui représentent la société civile, et d'autres groupes de la société civile, et de la façon dont nous devons gérer cette relation très importante dans une démocratie moderne.
Je pense personnellement que la nature de ces rapports est très importante. Je suis d'accord avec M. Sigler. Je pense que nous faisons davantage dans ce domaine que nous ne le faisions auparavant. Personnellement, je suis tout à fait en faveur de poursuivre nos efforts dans cette direction.
Il existe, par exemple, dans le ministère, certains programmes comme la diplomatie ouverte ou le programme relatif à la sécurité de la personne, qui entretiennent des liens très étroits avec les organismes de la société civile et qui tiennent compte des conseils que leur fournissent ces organisations sur la façon d'offrir ces programmes. Nous avons une bonne relation de travail. Elle est parfois tendue, parce qu'il nous arrive de choisir des orientations que certains groupes n'aiment pas, mais c'est dans la nature des choses. L'important est d'avoir un dialogue dynamique et respectueux avec ces groupes.
¿ (0945)
[Français]
Le président: Merci, monsieur le ministre.
[Traduction]
Madame McDonough.
Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD): Merci.
Monsieur le ministre, j'ai eu la possibilité d'assister à la séance relative au dialogue sur la politique étrangère qui s'est tenue à Halifax. Vous reconnaîtrez, je crois, qu'il y avait pratiquement unanimité au cours de cette assemblée au sujet de l'importance pour le Canada, dans le contexte de la guerre en Irak, d'agir conformément à ses principes dans le domaine du multilatéralisme, de la paix, et du rôle humanitaire que les Canadiens veulent que leur gouvernement se donne.
Dans le même sens, et je félicite le gouvernement à ce sujet, le premier ministre a adopté exactement cette position lorsqu'il a décidé de ne pas participer à la guerre en Irak. Le Parlement a voté pour appuyer cette décision.
J'aimerais avoir de brefs commentaires au sujet de ce qui semble être des louvoiements, des hésitations dans l'attitude du gouvernement si l'on se fie à ce que l'on entend depuis quelques jours, des déclarations selon lesquelles nous respectons la décision du gouvernement américain de changer le régime en Irak, nous lui souhaitons de gagner la guerre rapidement, autant de déclarations qui ont beaucoup déçu, je pense, un grand nombre de Canadiens.
La deuxième chose, qui découle directement de cet aspect, et qui va dans le sens de vos commentaires, auxquels je souscris, concerne la grande importance des rapports existant entre le gouvernement et les agences humanitaires, en particulier dans le contexte de la tragédie immense qui se déroule en Irak de nos jours, vous savez que notre comité a adopté une motion, qui a été présentée à la Chambre, qui vous demandait en tant que ministre des Affaires étrangères et ministre responsable de l'ACDI et du développement international, d'accélérer et de renforcer les efforts déployés pour lutter contre la crise humanitaire qui se dessine en Irak.
J'aimerais vous poser deux questions. Pourriez-vous préciser au comité quelles sont les mesures que vous avez prises pour accélérer notre action? Je trouve inquiétant que la ministre Whelan déclare publiquement que nous attendons de savoir certaines choses et que nous espérons... Je crois que vous avez parlé de 6 millions de dollars, ce qui est une somme dérisoire si l'on pense à ce que le Canada devrait faire.
Deuxièmement, à ce sujet toujours, et conformément à la reconnaissance de l'importance des agences humanitaires, les ONG, accepteriez-vous de convoquer très rapidement un forum, un sommet, une réunion avec les ONG canadiennes pour parler de la façon dont le Canada pourrait agir le plus efficacement possible à l'égard de cette tragédie?
D'ici une semaine, il faudra nourrir 16 millions d'Irakuiens et personne ne sait comment le faire. Certains éléments indiquent déjà qu'à Bassora, et c'est certainement ce qui va se passer à Bagdad, la situation est grave pour ce qui est de la nourriture, de l'eau, des infrastructures, des services sanitaires, des pannes de courant, et le reste. C'est une tragédie humaine dont le gouvernement canadien n'a, je crois, pas encore saisi l'ampleur, et bien sûr, il n'a pas pris de mesures à ce sujet, et ces événements se déroulent au moment où nous nous parlons.
Je vous demande donc précisément si vous êtes prêt à prendre l'initiative, comme les Canadiens voudraient que le gouvernement le fasse, de réunir les ONG canadiennes pour qu'elles élaborent une stratégie efficace et active, susceptible d'être appuyée par les Canadiens et que ces derniers voudraient voir le gouvernement adopter?
M. Bill Graham: Je vais peut-être commencer par répondre à votre dernière question. Je souscris évidemment à l'essentiel de votre analyse, madame McDonough. Je pense néanmoins que je dois préciser que c'est la responsabilité de ma collègue, Mme Whalen, d'organiser une telle réunion, et je l'appuie sur ce point. Nous travaillons en étroite collaboration dans ce domaine pour veiller à ce que les principes politiques soient respectés mais, finalement, c'est elle... Je lui transmettrai vos recommandations au sujet de l'intérêt d'organiser une réunion avec certains groupes. Vous pensez à des spécialistes comme Oxfam Canada...
¿ (0950)
Mme Alexa McDonough: Les ONG ont présenté d'excellents témoignages au comité. Ce sont elles qui sont à l'origine de la motion qu'a présentée notre comité.
M. Bill Graham: ... le CCCI et d'autres groupes. Je pense que ces groupes seraient... Je vais recommander que cette proposition soit examinée; c'est une suggestion très utile.
Pour ce qui est des montants réels, comme vous le dites, le Canada va certainement fournir plus de 6 millions de dollars. Mais, comme vous le savez, la demande initiale présentée par les Nations Unies était d'environ 35 millions de dollars pour tous les pays, et nous avons versé 1,7 million de dollars, qui était le montant approprié dans ce genre de situation. M. Kofi Annan a ensuite demandé un supplément et nous en sommes arrivés au montant de 6 millions de dollars, ou 5,5 millions de dollars, le montant approximatif de notre contribution. Nous savons déjà que le secrétaire général va présenter une autre demande et j'en ai déjà parlé à Mme Whalen et nous examinons déjà comment nous allons y réagir.
Je ne m'oppose pas à ce que vous dites; les besoins vont être énormes et le Canada va répondre, généreusement, à ces demandes. Je crois qu'il faut tout de même examiner soigneusement la nature des demandes qui nous sont présentées, en vue de déterminer la meilleure façon d'y répondre, plutôt que de proposer directement un montant donné, qui peut-être ne correspondra pas exactement à ce que les Nations Unies essaient de faire.
Nous voulons travailler avec elles, et c'est ce que nous faisons. Je sais que Mme Whalen consulte les Nations-Unies et je suis sûr que cette question sera abordée à la réunion du Conseil des ministres de ce matin et que nous pourrons alors décider des mesures à prendre.
Nous sommes très conscients de tous ces aspects. Nous avons répondu jusqu'ici à la demande qui nous a été faite avec la générosité qu'attendent les Canadiens, et je sais que Mme Whalen est décidée à agir de façon généreuse et dynamique dans le domaine humanitaire et dans celui de la reconstruction.
Pour revenir à votre première question, je ne suis pas vraiment d'accord avec vous lorsque vous parlez de louvoiements et d'hésitations. Nous avons déployé beaucoup d'efforts pour empêcher la guerre et je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que l'assemblée qui s'est tenue à Halifax a clairement montré que les Canadiens étaient très motivés par cette question et qu'ils voulaient vraiment que nous agissions de cette façon. Et j'ai été heureux de constater que, dès le début, c'est la politique que s'est fixée le gouvernement. C'est ce que le premier ministre a essayé de faire lorsqu'il est allé voir M. Bush bien avant que nous en arrivions à la situation qui est la nôtre aujourd'hui.
Nous avons beaucoup travaillé pour mettre sur pied un compromis pacifique qui aurait permis, d'après nous, de solidariser le Conseil de sécurité, et nous avons été très déçus... J'ai lu avec beaucoup d'intérêt un article d'un commentateur érudit, Joseph Nye, l'auteur du livre The Paradox of American Power, qui a été publié en fin de semaine dans le Globe and Mail, et dans lequel il disait que la proposition canadienne avait le potentiel, si on lui avait donné plus de temps et plus de crédit, de solidariser les membres du Conseil.
Nous avons toujours été en faveur de désarmer l'Irak par des voies pacifiques. C'est pourquoi nous avons adopté comme politique de ne pas participer à ce processus. Je dois cependant vous signaler que, maintenant que la guerre a commencé, il faut se demander si, sur le plan des considérations humanitaires touchant les Irakuiens, nous voulons vraiment qu'elle se prolonge. Voulons-nous une guerre avec de nombreuses victimes? Voulons-nous un siège de Bagdad et que cette ville ressemble à Stalingrad? Est-ce bien ce que nous voulons? Non, ce n'est pas ce que nous voulons.
Les Canadiens veulent que cette guerre se termine le plus rapidement possible, avec aussi peu de victimes, de morts, tant civils que militaires, que possible. Nous devons accepter le fait que c'étaient les politiques adoptées par Saddam Hussein sur les armes de destructive massive qui ont créé cette situation. Nous aurions préféré utiliser d'autres moyens, mais nous sommes convaincus que maintenant que la guerre est commencée, nous ne pouvons pas faire preuve d'indifférence quant à son issue. Nous ne pouvons pas faire preuve d'indifférence quant à son issue parce que nous sommes un allié des États-Unis dans la guerre contre le terrorisme, pour assurer la sécurité de l'Amérique du Nord, et de nombreuses autres façons. Nous ne pouvons pas non plus faire preuve d'indifférence quant à son issue parce que nous pensons que les besoins humanitaires des Irakuiens ne pourront être comblés que si ce terrible conflit prend fin rapidement, de façon à ce qu'ils puissent reprendre leur vie quotidienne avec le moins de destruction possible.
The Chair: Merci, monsieur le ministre.
Nous allons maintenant donner la parole à M. Casey.
M. Bill Graham: Je vais répondre à cette question, et je vais ensuite être obligé de partir.
¿ (0955)
The Chair: Alors, une brève question, monsieur Casey.
M. Bill Casey (Cumberland—Colchester, PC): Une brève question. J'ai beaucoup de questions.
Il est évident que notre principale relation est celle que nous avons les États-Unis. Cette relation a été assez tendue ces derniers temps.
Au cours de la fin de semaine, j'ai vu sur CNN que le Canada avait refusé d'expulser les diplomates iraquiens. J'ai été fort surpris d'apprendre cela. On ne disait pas qui nous avait demandé de les expulser, mais j'ai trouvé étrange que quelqu'un nous demande d'expulser les diplomates iraquiens. Je me demande donc si quelqu'un a fait cette demande, qui était-ce, à quel moment, et pourquoi mentionne-t-on publiquement les pays à qui cette demande a été faite, et qui ont ensuite refusé d'y donner suite?
M. Bill Graham: D'après ce que je sais, les États-Unis ont déclaré publiquement qu'ils aimeraient que les autres pays expulsent les diplomates iraquiens, et cette demande a été diffusée. Elle ne m'a pas été soumise personnellement et il ne s'agissait pas d'une demande faite directement au gouvernement du Canada. C'est une déclaration qui a été faite à Washington selon laquelle il serait souhaitable que les autres pays expulsent les diplomates iraquiens. L'ambassade américaine à Ottawa ne nous a pas demandé expressément d'expulser le seul diplomate iraquien qui se trouvait dans notre pays.
Nous avions déjà décidé en décembre dernier de demander à l'Irak de retirer une personne qui se comportait, d'après nous, de façon incompatible avec ses fonctions diplomatiques. Nous surveillons de près la situation pour savoir si le représentant actuel de l'ambassade, qui est plutôt de deuxième niveau, se comporte conformément aux responsabilités et aux principes applicables dans ce domaine, et nous prendrons les mesures nécessaires, le cas échéant. Voilà quelle est notre position.
M. Bill Casey: CNN...
M. Bill Graham: Je pense que la nouvelle diffusée par CNN est regrettable, parce qu'elle donne l'impression que nous avons refusé de faire quelque chose. De nombreux pays ont examiné cette demande et ont déclaré qu'ils allaient faire quelque chose, mais ils ont fait ce qu'ils pensaient devoir faire. Je pense que c'est tout ce que les États-Unis voulaient que nous fassions. Ils ne s'attendaient pas à ce que nous décidions tout à coup d'expulser toutes ces personnes. Ils voulaient simplement que nous fassions preuve de vigilance et je peux vous dire que c'est ce que nous faisons et que nous allons continuer à faire.
M. Bill Casey: Cette demande ne nous a pas été faite et nous ne l'avons pas rejetée.
M. Bill Graham: Nous n'avons certainement pas refusé quoi que ce soit, parce que, comme je l'ai dit, je sais que nos fonctionnaires connaissaient la déclaration qui avait été faite à Washington, mais ce n'était pas comme si il y avait eu une démarche et qu'on nous avait demandé de faire quelque chose. C'était l'annonce d'une politique américaine, et une fois que nous en avons été informés... Nous avons évidemment examiné la situation. Nous sommes capables d'examiner ce genre de question du point de vue du Canada et de décider, comme je l'ai dit, du comportement à adopter à ce sujet et s'il était dans notre intérêt d'agir de la sorte.
Nous avons clairement indiqué quelle était notre attitude à ce sujet en décembre dernier, lorsque nous avons insisté pour qu'un diplomate iraquien soit retiré parce qu'il n'exerçait pas ses fonctions de façon compatible avec son statut diplomatique.
M. Bill Casey: J'aurais un dernier petit commentaire.
J'ai pensé que, d'après la façon dont ils l'ont fait—et je ne sais pas comment ils l'ont fait, mais c'était sur CNN, et je pense que CNN a obtenu cette information quelque part—, il m'a semblé que ce poste essayait d'indiquer quelque chose au sujet du Canada. Cela reflète les tensions qui existent dans cette relation et cela fait ressortir l'importance d'essayer de réparer et de renforcer cette relation. J'ai pensé que quelqu'un avait essayé de faire savoir quelque chose aux Américains au sujet du Canada. Cette relation est tellement importante pour nous que nous devrions faire quelque chose.
J'ai une dernière question.
M. Bill Graham: Je reconnais bien sûr que c'est notre relation la plus importante, mais j'espère que ni vous, ni moi n'allons nous fier à CNN pour savoir quelle est la nature de notre relation, ou alors nous serions dans une situation très dangereuse dans de nombreux domaines.
M. Bill Casey: Quelqu'un en a parlé à CNN.
[Français]
Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre, d'être venu ici ce matin .
[Traduction]
Je sais que vous devez maintenant vous rendre au Conseil des ministres. Merci encore.
Nous allons suspendre la séance pendant cinq minutes.
M. Bill Graham: Excusez-moi d'avoir à vous quitter si rapidement, monsieur le président.
Merci beaucoup.
À (1005)
The Chair: Chers collègues, nous allons reprendre nos travaux.
Nous allons continuer d'examiner le dialogue sur la politique étrangère du ministère des Affaires étrangères.
Nous allons entendre ce matin comme témoins M. Peter Stoett, professeur de sciences politiques à l'université Concordia. M. Stoett a écrit un ouvrage sur la sécurité individuelle et mondiale, dans lequel il explore ces notions.
Nous avons également M. Andrew Cohen, professeur de l'École de journalisme et de communication et qui a participé à une étude nord-américaine.
Bienvenue à vous.
Nous allons commencer par entendre vos observations, monsieur Stoett.
Monsieur Stoett, vous avez la parole.
À (1010)
M. Peter Stoett (professeur de science politique, université Concordia): Merci.
Avant de commencer, je tiens à remercier le comité permanent de m'avoir invité à exprimer mon point de vue sur les questions auxquelles il est actuellement confronté.
Nous traversons effectivement une période où il est extrêmement difficile d'évaluer la politique étrangère du Canada, vu l'ampleur et la nature généralisée des événements qui font l'actualité. L'aspect immédiat de la crise de l'Irak passera, mais le Canada devra toujours donner une orientation générale à sa politique étrangère. Je vous entretiendrais avec plaisir de l'état de guerre actuel, une guerre à laquelle je suis fermement opposé, et, incidemment, je félicite le premier ministre et son gouvernement d'avoir décidé de s'abstenir de toute participation militaire active, mais j'ai choisi de vous parler plutôt des enjeux à long terme, qui sont évidemment connexes.
La portée de cette discussion est suffisamment large pour que je risque de dépasser le temps qui m'est imparti; je me limiterai donc à quelques thèmes.
La politique étrangère d'un pays tient compte à la fois des contraintes et des possibilités internes et externes, et la ligne de démarcation entre ces deux éléments est de plus en plus floue à mesure que la mondialisation se poursuit, une mondialisation souvent source d'interruptions. Les possibilités qu'offre la mondialisation sont certes attirantes et réalisables, mais elle s'accompagne plus que jamais d'une question brûlante d'actualité dans le paysage politique, celle des inégalités qu'elle crée.
Je ne répéterai pas ici les nombreuses manifestations de ces inégalités, car le premier ministre Chrétien en a déjà parlé dans des entrevues télévisées. Il est très tentant de simplement faire abstraction du fossé qui se creuse de plus en plus entre les riches et les pauvres, mais cela nuirait à la fois à la sécurité nationale et, à mon avis, à nos priorités en matière d'éthique.
C'est pourquoi j'exhorte le Canada à ne pas se laisser tenter par l'abandon du multilatéralisme, et à maintenir son engagement à l'égard de la sécurité des personnes. Il doit toutefois le faire en articulant bien les forces et les contraintes qui caractérisent le Canada.
Au sujet de nos trois piliers, à savoir la sécurité, la prospérité, et les valeurs et la culture, j'estime que c'est le troisième qui pose le plus de problèmes, qui est le plus sacrifiable et qui est, en bout de ligne, le plus remplaçable. En fait, ce troisième pilier, lorsqu'il s'applique au contexte de la politique étrangère, ne désigne pas autre chose que les efforts déployés pour promouvoir les valeurs canadiennes.
Il serait contraire à la diversité canadienne de soutenir qu'il existe un ensemble uniforme de valeurs, à plus forte raison un ensemble uniforme de valeurs qui déterminent la politique étrangère. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que nous devrions aussi encourager l'acceptation de la diversité à l'étranger, ce qui revient, ni plus ni moins, à maintenir une politique traditionnelle en matière de droits de la personne et de promouvoir la démocratisation et la tolérance. Il est très embarrassant d'avoir besoin d'un système de piliers, si je peux utiliser ce terme, pour nous le dire.
Par ailleurs, l'accent mis sur la valeur canadienne que représentent les efforts humanitaires est quelque peu trompeur. Cette valeur n'est pas exclusive au Canada, elle est relativement universelle. Placer la sécurité des personnes sous le parapluie de la culture et des valeurs canadiennes ressemble à ce multilatéralisme évangélique qui irrite à la fois les soi-disant réalistes de la droite et les relativistes culturels de la gauche.
Certes, il est admirable de promouvoir les droits de la personne et les conséquences multiculturelles de la liberté de parole, et j'ajouterais, de l'égalité sociale, mais nous n'avons pas besoin d'en faire l'étendard du Canada. Les gestes sont plus éloquents que les paroles dans ce domaine. D'autre part, si nous ne voulons pas tomber dans un anti-américanisme primaire, et je sais que c'est un sujet d'actualité à Ottawa, mais plutôt faire une critique éclairée de la politique intérieure et étrangère des États-Unis, ce que je préconise, nous devrions nous garder d'enseigner péremptoirement à nos enfants à confondre la diffusion de la culture canadienne avec les préoccupations humanitaires.
Je propose d'éliminer complètement ce pilier, et de continuer à promouvoir le multiculturalisme à l'étranger et à participer à des échanges culturels qui facilitent les expériences éducatives mutuelles.
D'une façon générale, il est irréaliste de susciter de grandes attentes en ce qui concerne le rôle du Canada dans le monde. Pour dire les choses simplement, nous ne sommes pas faits pour exercer un leadership tous azimuts. Très souvent, nous sommes tellement tentés de compenser notre statut de puissance moyenne étroitement liée à une superpuissance que nous pensons que le Canada peut tout corriger. L'héritage de l'ancien premier ministre Pearson et les autres mythes poussent encore plus loin les attentes dans ce sens. Mais aller dans ce sens compromet notre crédibilité, abstraction faite de nos récents succès.
Cela ne signifie pas toutefois que nous devrions nous résigner et nous préoccuper de viles questions de diplomatie de créneau. Il nous faut un thème englobant, un thème qui réunisse les aspects humanitaires, écologiques et liés aux droits de la personne au sein du programme de sécurité des personnes, mais qui nous permette aussi de miser sur nos forces évidentes en matière de ressources humaines et physiques.
Il est facile d'oublier les craintes suscitées par une crises écologique mondiale qui ont teinté une grande partie du débat international il y a quelques années. Ces craintes font nul doute partie du dilemme futur en matière de politique, à mesure que la rareté des ressources se fait sentir et que la pollution appauvrit des millions de personnes.
En fait, j'estime que le développement durable, plutôt que de fournir des possibilités de créneau à court terme, devrait constituer à lui seul un troisième pilier, qui à la fois tempérerait et renforcerait les deux autres.
Nombreux sont ceux, bien sûr, qui réfuteront ce point de vue, de peur peut-être qu'il s'oppose au thème de la sécurité et de la prospérité. Pourtant, il est temps que le Canada renforce son engagement à l'égard de son programme de sécurité des personnes, dont l'élaboration lui a coûté tant d'efforts. Il doit pour ce faire prendre des mesures concrètes, bien entendu des mesures prudentes sur le plan financier.
À (1015)
Cela ne va pas à l'encontre des intérêts du Canada. Car nous pouvons assurer un leadership limité dans une foule de domaines connexes et il y a en fait un chevauchement important avec les autres piliers.
Par exemple, nous devrions avoir parmi nos priorités nationales l'exploitation de sources d'énergie renouvelable, non seulement parce que nous appuyons le Protocole de Kyoto, mais aussi parce qu'il n'est pas nécessaire que nous dépendions de ressources énergétiques étrangères. On soutient en effet... et j'ai avec moi une publication récente dont je suis assez fier. J'aimerais vous en remettre des copies, si vous le souhaitez. Nous soutenons dans ce ouvrage que la décentralisation des sources d'énergie renouvelable accroît la sécurité, contrairement au mythe populaire selon lequel seule l'utilisation de l'énergie fossile peut renforcer la sécurité.
C'est également l'un des meilleurs créneaux commerciaux. Si n'intensifions pas nos efforts dans ce domaine, nous risquons de tirer de l'arrière par rapport à l'Europe et aux États-Unis. C'est une question de politique étrangère, car le Canada continue, par l'intermédiaire de l'ACDI, de la SEE et d'autres organisations, de promouvoir le développement d'infrastructures énergétiques hautement centralisées dans l'hémisphère sud.
Le dernier Livre blanc sur la politique étrangère, intitulé Le Canada et le monde, parle à plusieurs reprises de développement durable. Il énonce notamment l'engagement suivant: «nous veillerons à ce que la politique étrangère canadienne favorise le développement durable à l'échelle internationale en pesant soigneusement les considérations relatives au commerce, au développement et à l'environnement». Mais la nécessité et les avantages d'élever le développement durable au «statut de pilier», si je peux me permettre ce terme un peu maladroit, sont évidents pour beaucoup aujourd'hui.
Bien sûr, l'emploi d'un terme aussi imprécis que le développement durable dans le contexte de l'orientation politique pose problème, mais à mon sens, il n'est pas moins précis que les notions de sécurité, de prospérité ou les valeurs canadiennes, notamment. Cette expression nous oblige à examiner les conséquences de nos activités et à nous pencher sur les répercussions écologiques et sociales de la mondialisation comme de certaines activités gouvernementales. Cela entraîne une certaine responsabilité, et la nécessité de donner aux enfants de nos enfants une chance de vivre dans la paix et la prospérité.
Il est faux de croire que le Canada pourra échapper aux problèmes causés par les dommages environnementaux et les inégalités sociales qui se produisent ailleurs. Un code d'éthique explicite en matière de développement durable pourrait nous aider à jouer le rôle important qui consiste à convaincre les Canadiens d'aujourd'hui de se préoccuper des Canadiens de demain.
Quand la poussière sera retombée en Irak, et espérons que cela se produise bientôt, et une fois que nous aurons apporté notre mince mais importante contribution à la crise humanitaire, nous serons toujours confrontés au sérieux problème du déclin de l'environnement, tant chez nous qu'à l'étranger. Nous nous rendrons compte une fois de plus qu'il faut de toute urgence coordonner les activités des divers ordres de gouvernement qui luttent dans un même but.
La gouvernance environnementale mondiale, cependant, est une expression fautive. Cette chose n'existe pas. C'est une expression universitaire à la mode. Il existe par contre diverses ententes destinées à éviter la destruction de l'environnement, dont certaines émanent d'organismes ayant leur siège au Canada. Toutes ces ententes font appel à une certaine participation du Canada.
Notre engagement à l'égard des ententes multilatérales environnementales et nos actions dans le cadre de ces ententes ont certes eu des résultats mitigés. Mais c'est un secteur où l'expertise canadienne prend de l'expansion, où de nouveaux programmes éducatifs enthousiasment les jeunes Canadiens, où de nouveaux marchés sont créés dans le monde entier pour nos produits. En même temps, un tel pilier ne saurait exclure des aspects plus fondamentaux des intérêts canadiens. Nous ne pouvons, par exemple, nous occuper de façon adéquate de développement durable si nous n'avons pas de programme actif pour nous protéger contre la surexploitation de nos ressources, notamment le poisson, les forêts et l'eau. Il ne s'agit pas là simplement de questions de politique intérieure dans un contexte de mondialisation.
Du point de vue de nos engagements multilatéraux, voilà encore une autre occasion de regarder au-delà de la domination des États-Unis et d'insister sur l'importance des Canadiens ordinaires, des peuples autochtones, de l'Arctique et de la biodiversité mondiale. Bien des enjeux humanitaires, comme les secours d'urgence, les droits de l'enfant, les mines terrestres et la protection des réfugiés ont été classés de force dans la rubrique sécurité, mais eux aussi contribuent au cadre d'ensemble du développement durable.
Ce pilier reposerait sur la volonté du Canada de faire certains sacrifices, lesquels sont toutefois souvent exagérés. Il s'agirait de promouvoir activement les aspects environnementaux et sociaux de notre participation à des accords commerciaux et de mettre l'accent sur le rôle que pourrait jouer la Commission de la coopération environnementale de l'ALENA.
Je crois, contrairement aux rumeurs, que les Nations Unies, signalons-le au passage, sont bien vivantes et que le programme des Nations Unies pour l'environnement peut être une occasion de coopération multilatérale.
Ce programme comprend bien sûr d'autres éléments consistant notamment à donner aux États du Sud un accès équitable au marché canadien. La responsabilisation de l'entreprise, notamment par l'adoption de codes de conduite intégrant les priorités sociales et environnementales, peut être encouragée davantage dans le secteur privé. C'est un secteur qui a soulevé certains problèmes dans le passé, mais j'estime qu'il mérite qu'on s'y intéresse.
Ce pilier suppose également que les organismes non gouvernementaux jouent un rôle important. Je m'oppose à ce que de tels groupes jouissent d'une protection globale sous le couvert de l'expression trompeuse, «société civile».
À (1020)
Toutefois, la montée de l'opposition publique, non seulement à l'aventurisme militaire, mais aussi aux répercussions différenciées et complexes de la mondialisation, envoie un message clair à tous les États: les gouvernements ne forment qu'une partie de l'équation politique. Sans une participation active des ONG et une consultation du public comme celle-ci, nous serons confrontés à un problème de légitimité. Cela ne veut pas dire qu'il faille céder à la facilité et s'adjoindre des voix marginalisées mais qu'il faut plutôt encourager un véritable effort visant à poursuivre le début du dialogue entrepris entre politiques et non-politiques à plusieurs niveaux d'interaction.
Le sentiment grandissant selon lequel les gouvernements sont impuissants face à la mondialisation ou à la domination américaine ne saurait se résorber à cause d'un paragraphe ou deux exprimant les souhaits d'acteurs désenchantés, mais uniquement grâce à une démonstration probante de l'importance de leurs préoccupations. Je le répète, le talent canadien abonde dans le secteur des ONG et, dans les limites du raisonnable, il faudrait que toute planification à long terme en tienne compte.
J'aimerais faire quelques observations sur d'autres facteurs et dire notamment un mot sur les Forces armées canadiennes. Il est triste dans la situation actuelle qu'un marchand de paix comme moi puisse se plaindre du manque d'attention accordée à nos forces armées. Je ne crois pas qu'il faille que nos militaires soient dotés d'une capacité offensive, mais je crois que la contribution du Canada au maintien de la paix a été utile et j'admets aussi qu'il faut que la patrie soit bien défendue, sans qu'il faille pour le faire multiplier les mesures de sécurité, mais grâce à des forces bien équipées.
Le dernier budget accorde plus de place à la défense et à l'aide étrangère, ce qui est un pas dans la bonne direction, mais les fonds alloués sont insuffisants pour un État qui entend mener une politique étrangère dynamique et s'acquitter de nombreuses missions partout dans le monde. Il faut dépenser davantage pour du matériel militaire décent, mais non pas extravagant, et surtout, pour les hommes et les femmes qui font carrière dans les Forces canadiennes, et je parle de salaires honnêtes et, le cas échéant, du traitement du stress post-traumatique.
Concernant l'aide internationale, l'initiative africaine est en effet un début prometteur, mais elle est trop modeste par rapport à ce que la contribution du Canada devrait être pour atténuer la pandémie du sida qui, plus que la malnutrition chronique, constitue pour la santé et la sécurité mondiale la plus grande menace de notre temps. Je le répète, il y a des limites à ce que nous pouvons accomplir, et il conviendrait de faire une étude de faisabilité sur cette question. Mais nous avons une obligation d'ordre éthique, comme Stephen Lewis nous le rappelle, celle d'aider ceux qui souffrent et que nous sommes en mesure d'aider.
De la même façon, il est compréhensible que l'on parle beaucoup de l'Irak, mais il ne faudrait pas oublier les grandes crises humanitaires que nous connaissons actuellement, comme en Afghanistan, en Érythrée, au Burundi, au Libéria et en Guinée, et la liste est encore longue. Sur le plan structurel, il faut, selon de nombreux analystes du développement, réduire la dette du tiers monde. Je pense également que le pourcentage de l'aide canadienne lié à l'achat de produits et services canadiens demeure encore un problème.
Il y a évidemment beaucoup d'autres choses à faire. Il est naturel que les relations continentales obsèdent plus ou moins les analystes de la politique étrangère, les étudiants et les politiciens. Il serait utopique de prétendre que le Canada a les coudées franches pour freiner l'interopérabilité en matière de défense continentale, mais cela n'exige pas une intégration complète. En effet, il est important selon moi d'éviter celle-ci sur tous les plans, militaire, économique et politique, si nous voulons maintenir une politique étrangère et une politique canadienne distinctes.
Il n'y a aucune raison de ne pas y parvenir, sauf peut-être la crainte que notre étoile soit si étroitement captive de l'orbite de l'étoile américaine qu'une identité distincte soit désormais inimaginable. Je prétends que ce n'est pas le cas et que la peur de subir des sanctions américaines en cas de manque de coopération de notre part, que ce soit actuellement ou à l'avenir, n'est pas dans l'ensemble fondée. Malgré les derniers ratés diplomatiques et les légers emportements dans les discours des deux côtés de la frontière, notre situation ne changera pas. Nous sommes un État septentrional qui borde un géant économique et politique, nous entretenons des liens multilatéraux et transnationaux étroits, et nous aurons toujours un grave problème d'identité. Malgré ce problème d'identité, il n'est pas nécessaire d'abandonner la réputation, quelque peu entachée par endroit d'hypocrisie, que nous avons bâtie en tant qu'État sensible aux appels humanitaires, ouvert à l'esprit cosmopolite.
Dans le contexte mondial actuel, le développement durable demeure le plus grand défi auquel nous sommes confrontés et le Canada est en mesure d'apporter une contribution limitée, mais inspirée et responsable.
Merci.
The Chair: Merci beaucoup, monsieur Stoett.
Puisque vous l'avez mentionné, monsieur Stoett, je tiens à rappeler à mes collègues que nous allons entendre Stephen Lewis la semaine prochaine.
Monsieur Andrew Cohen, je vous en prie.
À (1025)
M. Andrew Cohen (professeur, École de journalisme et de communication, université Carleton): Merci.
Je tiens à vous remercier de m'avoir invité à comparaître devant votre comité. C'est la deuxième fois que cela m'arrive.
En automne 2001, j'ai été invité à parler avec vous de l'avenir du Canada et de l'Amérique du Nord après les attentats terroristes du 11 septembre. J'avais dit à l'époque que le Canada avait laissé se détériorer les trois principales composantes de sa politique étrangère savoir, ses forces militaires, son aide à l'étranger et sa diplomatie. J'avais affirmé que le rôle du Canada dans le monde n'était plus aussi important ou visible qu'il l'était il y a 30 ans. Comme John Manley, l'ancien ministre des Affaires étrangères, l'a déclaré à l'époque, nous nous sommes fiés à notre réputation et avons refusé d'assumer le coût qu'entraîne le fait d'être l'acteur international que nous imaginions.
J'avais affirmé que notre armée était mal équipée, manquait de personnel, que notre aide internationale était trop dispersée et insuffisante, que notre diplomatie était moins efficace et moins influente. Nous sommes aujourd'hui membres de conseils internationaux à cause de notre puissance économique, qui est d'ailleurs remise en question par rapport à celle d'autres pays, et à cause de notre passé. Notre politique étrangère n'est plus à la hauteur de notre histoire, de notre géographie ou de notre diversité. En un mot, l'image du Canada est compromise, notre pays connaît un déclin léger mais constant. Et le Canada a dû en subir les conséquences, il a perdu sa place dans le monde. C'est encore mon opinion.
Aujourd'hui, je pensais parler du dialogue du gouvernement sur la politique étrangère. Je félicite le comité de s'intéresser à cette question et j'espère pouvoir contribuer à ses travaux. Vous avez le droit de participer à ce processus, même si, d'après ce que je comprends, ce n'est pas une participation officielle, comme le ministre l'a mentionné dans son document.
Je vais parler aujourd'hui à la fois du processus, ou du moins de la façon dont le gouvernement aborde cette opération, et aussi de ce que nous pourrions faire concrètement pour retrouver notre place dans le monde.
Premièrement, je dois vous dire franchement que je ne sais pas très bien ce que veut dire ce dialogue sur la politique étrangère. Dans son discours du Trône, le gouvernement a fait la promesse suivante:
Face à l'incertitude et à un rythme de changement accéléré, le gouvernement doit établir un dialogue avec les Canadiens au sujet du rôle que notre pays est appelé à jouer dans le monde. D'ici la fin du présent mandat, le gouvernement établira les principes directeurs à long terme de notre politique en matière d'affaires étrangères et de défense, principes qui seront le reflet de nos valeurs et de nos intérêts, et qui permettront aux militaires canadiens de disposer des outils nécessaires pour remplir le rôle qui leur est confié. |
Comme vous le savez également, cela fait quelque temps que le gouvernement a promis d'effectuer cette révision. Mais après cette annonce, j'ai été surpris d'entendre le ministre minimiser l'importance de cette opération. Il a déclaré à la CBC immédiatement après le discours du Trône qu'en fait cela ne concernait pas la révision tant attendue. En fait, rien n'a transpiré à ce sujet avant le mois de janvier, et c'est alors que nous avons appris que la révision n'était pas une révision parce que nous avions déjà révisé la politique étrangère en 1995 et 1994, et que les principes dégagés à ce moment-là étaient toujours valides. J'ai un peu de mal à comprendre tout cela. J'ai toutefois été heureux d'entendre le ministre déclarer qu'il invitait les Canadiens à faire connaître leurs commentaires et qu'il présenterait plus tard ses conclusions.
Il y a donc en ce moment toutes ces consultations publiques au Canada et il y a beaucoup de conversations à ce sujet sur l'Internet. C'est encourageant. Je crois savoir que les Canadiens se rendent aux assemblées publiques auxquelles assiste le ministre et le gouvernement est informé de ce qui intéresse les gens, ce qui semble principalement être aujourd'hui l'Irak. Cela est donc très bien. Les consultations se termineront au mois de mai. Le ministre présentera un rapport en septembre et tout cela a l'air excellent, et pertinent, mais les apparences sont parfois trompeuses.
Le ministre s'intéresse énormément aux domaines qui relèvent de son ministère et il lui apporte une grande expertise, comme le comité le sait mieux que quiconque, mais je pense que le gouvernement a commis une erreur. Il pose trop peu de questions dans son dialogue. J'avais espéré qu'il choisirait un mécanisme qui aurait encouragé et incité les Canadiens à débattre de la façon d'établir nos priorités et de faire des choix importants en politique étrangère. Il semble qu'il ait choisi une démarche beaucoup plus limitée. Le principal problème que pose ce dialogue est qu'il s'agit en fait d'une «révision minceur», qui n'a pas la profondeur, la force d'analyse et de réflexion qu'une véritable révision exigerait.
Sous le gouvernement de Pierre Trudeau, cette opération avait pris près de deux ans, de 1968 à 1970. En 1994 et en 1995, avec Jean Chrétien, cela a pris près d'un an, ou peut-être un peu plus d'un an. On dirait que le gouvernement a lancé ce dialogue parce qu'il avait promis de le faire, mais que le coeur n'y est pas. On dirait qu'il veut se débarrasser rapidement de ce pensum. C'est pourquoi les questions ne sont pas aussi larges qu'elles pourraient l'être et que les hypothèses ne sont pas aussi pointues, ce qui veut dire que cette révision est moins créatrice, moins ambitieuse et finalement, moins utile.
Pour ce qui est du cadre de la révision, il faut savoir que la révision porte sur la politique étrangère, pas vraiment sur la politique en matière de défense, et pas du tout sur la politique en matière d'aide. C'est une faiblesse fondamentale. Si nous voulons vraiment repenser notre politique étrangère, comment pouvons-nous le faire sans examiner également la politique en matière de défense et d'aide internationale? La défense et l'aide internationale ne sont pas des appendices de la politique étrangère; elles en constituent des composantes essentielles. Il me semble que nous nous occupons seulement des aspects accessoires.
À (1030)
Il est vrai qu'on nous a dit que le ministre de la Défense entendait revoir les priorités de son ministère, même si la nature exacte de l'opération demeure assez vague. Cette révision semble en fait devoir être portée disparue. Il est également vrai que l'Agence canadienne de développement international a réévalué, dans deux rapports publiés récemment, sa façon de distribuer l'aide. Le problème vient du fait que cette révision porte sur les façons et non pas sur les moyens, et par «moyens», il faut entendre les fonds. Sans argent, il est très difficile d'avoir de nos jours une politique en matière d'aide qui soit efficace.
Il est également vrai que, dans les deux cas, le ministre des Finances a récemment augmenté leurs budgets, c'est-à-dire, celui de l'aide internationale et de la défense, ce qui a fait taire certains critiques mais ces fonds demeurent tout à fait insuffisants. Même si nous avions des fonds à volonté, nous ne saurions toujours pas comment les dépenser, parce que nous n'avons pas réfléchi à cette question, et c'est pour cette raison que cette révision doit être plus large et plus approfondie.
Idéalement, nous devrions examiner conjointement tous les éléments de notre politique étrangère. Autrement dit, il faudrait procéder à une révision globale des diverses composantes de notre action internationale. Pour pouvoir décider du rôle que notre pays entend jouer dans le monde, il nous faut comprendre que ces éléments sont la diplomatie, qui concerne principalement les clubs dont nous devenons membres et les diplomates que nous envoyons à l'étranger, notre armée et notre aide et comment ces éléments se combinent. Lorsque nous aurons cette vue d'ensemble, il nous faudra trouver les moyens d'utiliser toutes nos ressources pour la mettre en oeuvre.
Par exemple, si notre vision du rôle que devrait jouer le Canada dans le monde est, pour les fins de la discussion, celui d'un défenseur de la bonne gouvernance, d'un pays soucieux de construire et de préserver la paix, ce qui veut dire stabiliser les conflits, envoyer des agents de maintien de la paix, vérifier l'application des cessez-le-feu, reconstruire les sociétés déchirées par la guerre, établir des institutions juridiques, rédiger des constitutions et des codes, concevoir des fédérations et nous inspirer de nos diverses langues et ethnies. Ne serions-nous pas obligés dans un tel cas d'aller au-delà de la politique étrangère?
Après avoir pris une telle décision, ne serions-nous pas obligés de concevoir une armée telle que nous la voulons, une armée qui n'aurait pas trois composantes, une armée avec moins de blindés, moins d'avions, moins de navires, mais une armée qui aurait peut-être une force d'intervention rapide, une capacité d'emport instantanée et renforcée, ce que nous n'avons pratiquement pas aujourd'hui, et qui serait spécialisée dans les communications? Nous serions également obligés de revoir nos priorités en matière d'aide internationale, ne pas nous contenter nécessairement de construire des barrages, de creuser des puits, et de fournir du microcrédit dans plus de 100 pays, non que ces choses soient mauvaises, parce qu'elles reflètent de nobles idéaux, mais peut-être en enseignant le droit ou en surveillant les élections dans quelques pays, plutôt que d'essayer de réduire la pauvreté dans un grand nombre de pays.
Pour ce qui est du processus, je pense que nous n'abordons qu'une partie des problèmes qui se posent à nous. Nous ne pouvons nous contenter de demander aux Canadiens s'ils acceptent les trois piliers que constituent la sécurité, la prospérité et les valeurs culturelles, même si ces aspects sont importants. Je signale en passant qu'en 1970, nous nous étions donné de nombreuses priorités, notamment l'identité nationale et la souveraineté nationale. Il me semble que notre temple de l'internationalisme a de nombreux piliers, ou devrait en avoir plusieurs.
Nous devrions nous demander, sur un plan plus philosophique et à la fois plus précis, quel est le genre de nation que nous voulons être. Il faut nous demander, comme Winston Churchill l'a dit, quel genre de peuple nous sommes. Nous devons nous interroger, comme Charles de Gaulle avait une certaine idée de la France, si nous avons une certaine idée du Canada. Nous devrions nous demander quelle est notre mission à l'étranger. Avons-nous un projet de société? Après nous être posé ces questions existentielles et peut-être en leur ayant apporté une réponse, il nous faudra ensuite décider comment nous allons faire correspondre nos principes et nos ressources, ou nous demander ce que nous pouvons faire avec ce que nous avons. Nous n'avons pas besoin d'un dialogue, nous avons besoin d'une révision, qui est en fait un mot qui veut dire réévaluation, réexamen, repenser de façon approfondie. Cela doit s'accompagner d'un débat national sur les moyens et sur les fins.
Sur le plan pratique, le gouvernement devrait non seulement examiner la politique étrangère et les ressources dont nous disposons pour nos diplomates et notre diplomatie mais aussi notre politique en matière de défense et d'aide. Parallèlement, nous devrions également examiner les autres composantes de notre politique étrangère, comme la répartition de nos échanges commerciaux ainsi que notre balance commerciale, qui sont principalement concentrées sur les États-Unis, l'impact de l'immigration et la façon dont elle va changer nos priorités à mesure que la diversité de notre population augmente, ainsi que la collecte de renseignements concernant l'étranger, aspect que nous n'avons pratiquement pas développé; nous sommes la seule nation membre du G7 qui n'ait pas d'agence indépendante capable d'espionner les autres pays.
Pour y parvenir, je pense que le gouvernement devrait mettre sur pied une commission très médiatisée, composée d'un ou plusieurs éminents Canadiens, un peu comme ce qu'a fait Keith Spicer pour l'unité nationale au début des années 90, ou ce que vient de faire récemment Roy Romanow pour la santé, c'est-à-dire se rendre dans les différentes régions, tenir des assemblées, entendre le point de vue des gens. Il ne s'agirait pas seulement de consulter la population, même si cela est obligatoire, mais de susciter un débat, qui aurait dû être tenu il y a longtemps, sur les rôles que le Canada peut jouer à l'étranger et comment renforcer notre identité dans le sillage d'un monde en évolution. Il nous faut essentiellement nous demander quelle doit être la taille idéale de notre armée, le montant idéal de notre aide internationale, et la place que nous devons attribuer à notre diplomatie.
À (1035)
Ce n'est qu'après un tel examen que nous pourrons vraiment connaître la place que nous voulons occuper dans ce monde et l'image que nous voulons projeter. Franchement, je n'en sais rien. Nous avons déjà été tant de choses, des guerriers, des gardiens de la paix, des bienfaiteurs, des constructeurs, des intermédiaires, des réparateurs, des travailleurs sociaux. Nous avons été toutes ces choses pour différents pays. Nous nous considérons toujours comme l'ami de tous, un peuple sans ennemi, généreux et bon. Comme l'a dit Anthony DePalma dans le New York Times, le Canada est le Danny Kaye des nations, pour tous ceux qui se souviennent de cet acteur comique bien élevé, et entre parenthèses, aucun de mes étudiants ne s'en souviennent.
Évidemment, comme je l'ai déjà dit ici, tout cela est un peu illusoire. Nous avons pratiqué une diplomatie à rabais, comme l'a dit un spécialiste, et avons une politique étrangère à petit prix. Nous avons cessé de faire toutes ces choses parce que nous n'avons plus l'argent pour le faire. Nous pensons que nous avons de l'influence, mais c'est une illusion de grandeur de notre part. C'est une façade, ce que j'appelle un Canada Potemkin.
Ce point de vue n'est plus original. En fait, c'est le point de vue sur lequel s'accordent un grand nombre de spécialistes. En tant qu'armée, nous n'avons pas les moyens de nous battre plus que quelques semaines, comme nous l'avons vu en Afghanistan l'année dernière. En tant que gardiens de la paix, nous nous plaçons au 31e rang des pays pour ce qui est de notre contribution aux missions de l'ONU. En tant que donateurs, nous ne sommes plus aussi généreux ou efficaces que nous l'avons été. Pas plus tard qu'en décembre, l'OCDE a rapporté que notre aide, exprimée en pourcentage de notre produit intérieur brut, était tombée à 0,2 p. 100 pour 2001, ce qui nous situe à la 19e place des 22 pays donateurs de l'OCDE. C'est le pourcentage le plus faible que nous ayons eu en 37 ans. Si Lester Pearson était ici aujourd'hui, il reconnaîtrait le niveau auquel notre aide est tombée, parce que c'est à ce moment-là qu'il a commencé à l'augmenter.
Je signale en passant que l'OCDE mentionne que ce financement insuffisant est un «paradoxe qui se situe au coeur de l'internationalisme du Canada». Parallèlement, l'OCDE constate que le Canada est le pays qui ratisse le plus large, puisqu'il est présent dans 100 pays, ce que Jeffrey Simpson, un chroniqueur du Globe and Mail, appelle un programme qui a des prétentions de Cadillac pour un budget correspondant plutôt à une Pontiac.
Quant à notre diplomatie, rares sont ceux qui parlent des fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères comme étant les meilleurs et les plus doués. L'été dernier, l'Association professionnelle des agents du service extérieur, un groupe très conservateur, s'est pratiquement mis en grève, une première dans son histoire, et il n'est pas difficile de comprendre pourquoi. Les membres de cette association sont les fonctionnaires les moins payés. Il n'est donc pas surprenant qu'ils quittent le ministère. Un rapport interne commandé par le ministère a qualifié les années 1990 de «décennie catastrophique». Le ministère perd les membres de la haute direction; il a du mal à faire du recrutement. La plupart de ses agents sont des étrangers embauchés à l'extérieur ou des employés contractuels embauchés au Canada, qui ne répondent pas aux conditions rigoureuses d'admission du ministère, ni à ses exigences en matière de formation. Un des meilleurs corps diplomatiques au monde au cours des années 1950 et 1960, que l'on qualifiait à l'époque d'aristocratie de la bureaucratie, est devenu tout simplement médiocre. C'est la Norvège et non pas le Canada qui se consacre le plus aux efforts de paix et qui est le médiateur le plus actif au monde, qu'il s'agisse du Proche-Orient ou du Sri Lanka.
Je ne suis pas en mesure de vous dire aujourd'hui, avec certitude, le rôle que devrait jouer le Canada dans le monde. Je sais par contre que nous ne sommes que l'ombre de ce que nous avons été parce que nous avons cessé d'investir là où il le fallait. Je sais que nous devons examiner cette question en suscitant un débat national, ce que peut faire votre comité et ainsi aider à rétablir notre présence dans le monde. Le moment est favorable. Nous sommes en 2003, pas en 1993. Nous avons de l'argent aujourd'hui, notre budget est excédentaire. Par contre, avons-nous la volonté de le faire?
Si l'on veut donner un objectif à cette mission, il faut que ce processus ait pour effet de remotiver les Canadiens, ceux qui vivent au Canada comme ceux qui vivent à l'étranger. Dans cette grande entreprise, nous ne commençons pas à zéro. Nous n'aurons pas à réinventer le monde, mais plutôt à nous le réapproprier. Il faudra commencer par tenir compte de l'avantage comparatif qui est le nôtre, sur le plan des langues, de la culture, des communications et de l'expérience.
En fin de compte, nous pouvons nous donner la meilleure petite armée au monde, avoir un programme d'aide qui soit efficace et généreux et un corps diplomatique dynamique. Nous pouvons rejeter la médiocrité que la culture du déclin nous a imposée. Nous pouvons décider d'assumer un rôle important, dont les composantes vous ont déjà été décrites par des intervenants, dans le domaine de la médiation, de la construction et du maintien de la paix, de la réforme des Nations Unies, dans la conclusion d'alliances avec les pays nordiques ayant les mêmes attitudes sur les questions environnementales régionales, pour apporter des idées et de l'innovation aux institutions financières internationales, comme nous l'avons déjà fait. Ensuite, lorsque nous saurons ce que nous voulons, nous pourrons nous donner les moyens de nos objectifs. Nous pouvons faire des choix, surtout celui de rechercher l'excellence, d'agir selon nos principes et d'assumer notre rôle.
Ce que nous faisons à l'étranger nous enrichira chez nous. Pour un peuple qui se demande sans cesse s'il a un avenir, et qui parfois même en doute, le nouvel internationalisme du Canada pourrait favoriser une unité pancanadienne, créer un Canada post-linguistique, en combinant tous les éléments d'une société véritablement diversifiée, notre diplomatie, notre aide internationale et notre armée. Avec le temps, avec du courage et la volonté, le monde peut redevenir notre mission et nous pourrons de nouveau nous sentir fiers et motivés par notre action.
Merci.
À (1040)
The Chair: Merci beaucoup, monsieur Cohen.
Nous allons maintenant passer aux questions et réponses. Nous allons commencer par M. Day, pour cinq minutes.
M. Stockwell Day: Merci, monsieur le président.
Je suis sûr que les deux témoins savent que les membres des comités posent des questions. Nous camouflons souvent nos positions sous forme de questions, bien entendu, en espérant que vous allez découvrir la cible recherchée, l'atteindre, montrer que nos questions sont intelligentes et comme une fusée éclairante dans la nuit, vous allez mettre en valeur nos positions et nous faire paraître intelligents en leur donnant votre caution.
Cela dit, j'aimerais poser quelques questions graves qui vont également refléter des positions très peu camouflées. L'un ou l'autre d'entre vous pouvez répondre à ces questions.
La notion de la Westphalie du respect entre les nations et de la non-intervention était sans doute appropriée en 1648 et pendant les quelque 350 années qui ont suivi, mais elle n'est plus praticable dans notre société mondialisée d'aujourd'hui, la situation de l'Irak l'a démontré.
Avez-vous envisagé des critères permettant à une nouvelle sorte d'alliance d'agir dans le but d'empêcher un génocide ou dans les cas de violation particulièrement extrême des droits de la personne, en l'absence d'appui de la part du Conseil de sécurité? Allons-nous entrer dans une ère où un organisme ou un groupe de pays pourra définir les critères permettant d'envahir un autre pays en toute légitimité? C'est la première question.
Monsieur Cohen, il se trouve que je suis d'accord avec vous, je ne le dissimulerai pas, pour ce qui est de la perception générale de l'influence du Canada. Les seules personnes qui attribuent une importance démesurée à cette influence sont, je dois le dire, les membres du gouvernement actuel. Cela découle très clairement du fait que nous n'avons pas été invités à participer au groupe des pays qui travaillent depuis quelques mois à reconstruire l'Irak et à renforcer les éléments de la société civile. Que pouvons-nous faire pour offrir ce que le Canada est en mesure de donner? Nous sommes en mesure de faire de bonnes choses.
Monsieur Stoett, à votre avis, vous parlez de génocide, d'écocide et de déplacement de réfugiés. Certains de ces phénomènes se font sentir à long terme, par exemple, les effets de la montée du niveau de la mer et des populations déplacées en conséquence. J'aimerais savoir comment la communauté internationale devrait réagir à la situation des réfugiés palestiniens. Israël est un pays de quelque 5 millions d'habitants, mais son taux d'absorption des réfugiés est incroyable, 900 000 ont été expulsés d'Irak depuis quelques années. C'est un sujet controversé, mais il semble que les pays arabes, dont la population est 60 fois supérieure à celle d'Israël, ont pour principe de ne pas accepter de réfugiés ou de ne pas les laisser s'intégrer. Je ne pense pas que vous ayez parlé de cet aspect directement dans votre ouvrage. Pourriez-vous faire des commentaires à ce sujet?
The Chair: Monsieur Cohen.
M. Andrew Cohen: La première question que M. Day a posée portait sur la Westphalie et la disparition du monde tel qu'il était structuré auparavant. Je reconnais que nous entrons dans une nouvelle ère où la notion d'intervention pour des raisons humanitaires a pris une grande importance, ce qui limite d'autant la notion de souveraineté nationale.
Le Canada a quelque chose à dire à ce sujet. En 1999, l'ancien ministre des Affaires étrangères, Lloyd Axworthy, a chargé un groupe de personnes éminentes, notamment le Canadien Michael Ignatieff et l'ancien ministre des Affaires étrangères de l'Australie, de préparer un rapport dans lequel nous avons examiné la notion de souveraineté nationale et celle d'intervention pour des raisons humanitaires. Nous avons remis ce rapport aux Nations Unies. Malheureusement, il y a eu les attentats du 11 septembre, et tout a été retardé.
Le nom du rapport m'échappe, mais il existe. C'est un rapport très stimulant. Je crois que nous voulions davantage privilégier la notion d'intervention motivée par des raisons humanitaires que le rapport l'a fait finalement, mais c'est quand même un modèle. Il n'est pas surprenant qu'il ait été mis sur les tablettes aux Nations Unies, cela était peut-être prévisible. En effet, il y a un certain nombre de pays membres de l'ONU qui ne sont pas prêts à adopter une position aussi audacieuse, mais nous avons tout de même une influence à exercer sur ce point.
Les États-Unis se trouvent en Irak aujourd'hui pour un certain nombre de raisons, principalement en raison du fait qu'ils considèrent que ce pays a des liens avec le terrorisme international et parce qu'ils craignent qu'il possède des armes de destruction massive. Je me demande toutefois souvent ce qui se serait passé si les Nations Unis avaient motivé l'intervention en Irak sur une base humanitaire, argument qui n'a été présenté que de façon secondaire, et si nous avions eu des lignes directrices de l'ONU inspirées du rapport que nous avons déposé au sujet de ce qui constitue une intervention légitime.
Faut-il que la situation soit comme celle du Rwanda où il y a une menace actuelle et imminente de génocide ou un génocide antérieur? Il y a des gens comme la baronne Emma Nicholson qui défend les Arabes Marsh, et qui a déclaré que cela faisait longtemps que l'Irak commettait un génocide. Il ne se pratique peut-être pas sur une échelle comparable à ce qui s'est passé au Rwanda, mais il se pratique quand même.
Il s'agit donc là d'un domaine où, si nous pouvions concrétiser notre réflexion, nous pourrions fournir non seulement une base théorique, mais également les moyens, le genre d'armée appropriée qui pourrait faire ce genre de travail, et le genre de programme d'aide qui permettrait de reconstruire ce genre de société. Je crois que nous aurions quelque chose à dire à ce sujet.
La deuxième question portait sur la reconstruction...?
À (1045)
M. Stockwell Day: Que pouvons-nous faire pour retrouver l'influence que nous avons perdue? Nous n'avons pas été invités à participer à cette opération, et cela reflète simplement le fait que nous n'avons pas d'influence dans ce domaine.
M. Andrew Cohen: Les ONG disent que nous avons effectivement perdu notre pouvoir d'influencer les choses. Cela vient du fait que le montant des fonds consacrés à l'aide ont diminué, aspect que nous connaissons tous, mais également de la façon dont nous avons conduit notre programme d'aide internationale.
Il y en a qui contestent le chiffre, mais nous sommes présents dans près de 100 pays. Nous concentrons notre action sur un plus petit nombre de pays, mais les Danois, par exemple, qui consacrent régulièrement à l'aide internationale un pourcentage plus élevé de leur produit intérieur brut, ont décidé de ramener de 30 à 15 le nombre des pays bénéficiaires de leur aide. Ils ont adopté des critères très stricts en matière d'attribution d'aide. Que ce soit pour des raisons politiques ou simplement à cause du poids de la tradition, notre aide est beaucoup plus diversifiée, mais je crois que cela comporte un coût.
Je pense que nous aurons une autre occasion de faire quelque chose en Irak. Comme quelqu'un l'a dit il y a un instant, rien ne nous empêche de préparer un plan détaillé de reconstruction de l'Irak qui intégrerait les divers éléments de notre expertise. Il faudra bien sûr commencer par fournir une aide d'urgence mais, après cela, je pense que nous aurons la possibilité d'agir.
The Chair: Merci.
Nous allons maintenant passer à Mme Lalonde.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Bonjour à vous deux. Je vous remercie pour ces interventions bien appuyées. Je prendrai seulement cinq minutes, monsieur le président. Nous reviendrons par la suite, je l'espère.
Monsieur Stoett, à la fin de votre mémoire, vous dites:
Il n'y a aucune raison pour que cela ne soit pas possible, sauf peut-être la crainte que notre étoile soit si étroitement captive dans l'orbite de l'étoile américaine qu'une identité distincte soit désormais inimaginable. |
J'aimerais que vous développiez ce sujet, qui m'apparaît un élément extrêmement important du malaise.
Monsieur Cohen, vous dites que nous avons besoin de savoir quelle sorte de peuple nous sommes--je traduis ici « people » par « peuple »--et que nous avons besoin d'avoir un projet de société.
Comment croyez-vous qu'on puisse y parvenir et comment, selon vous, le Québec s'inscrit-il dans cela?
[Traduction]
M. Peter Stoett: Très bien. Dois-je également répondre aux questions de M. Day? A-t-il quitté la salle?
The Chair: Je vous invite à répondre à la question de Mme Lalonde, si vous n'avez pas d'objection.
M. Peter Stoett: Pour ce qui est de l'identité canadienne, on dit toujours que les Canadiens se définissent en disant qu'ils ne sont pas des Américains. À mesure que le temps passe et que nos sociétés s'imbriquent de plus en plus étroitement, il est de plus en plus difficile de faire de cette affirmation un point permettant aux Canadiens de se reconnaître.
Il existe chez les Canadiens des opinions très diverses et très tranchées sur l'idée que le sort du Canada est irrévocablement lié à celui des États-Unis. Il serait bien sûr stupide de nier l'évidence. Nous entretenons avec eux des liens économiques très étroits. C'est même là un euphémisme. Nous sommes dans une certaine mesure à la périphérie de l'économie des États-Unis et c'est une réalité à laquelle nous devons faire face. Historiquement, c'est nous qui avons fourni les matières premières aux États-Unis, et de plus en plus, nous sommes pour eux un marché intéressant et dynamique. Il ne faudrait pas l'oublier.
Je n'irais pas jusqu'à dire que les Américains ont autant besoin de nous que nous avons besoin d'eux. Ce serait manquer de sincérité. Il existe néanmoins entre nous une communauté de besoins et une vulnérabilité commune.
Je dirais que les craintes éprouvées actuellement au sujet de la frontière et des autres questions qui sont liées à notre refus d'appuyer officiellement la politique américaine sont pour la plupart non fondées. Les États-Unis vont resserrer les contrôles aux frontières chaque fois que leur code d'alerte passe à l'orange. C'est une réalité, et nous devons nous en accommoder. Cela ne reflète pas nécessairement un manque d'égards pour les politiques actuelles adoptées par le Canada.
Pour ce qui est de l'Irak et de la reconstruction, j'ai entendu un autre son de cloche, d'après lequel les Canadiens vont y participer, mais je ne peux pas vous donner d'exemple concret. J'ai simplement entendu dire que les entreprises canadiennes pourraient y participer, par exemple, en fournissant à l'Irak de l'eau et en remettant en état son système d'approvisionnement en eau.
Le Canada possède une grande expertise dans ces domaines et ailleurs. Il serait stupide que les États-Unis n'en profitent pas, et l'on pourrait dire la même chose des Nations Unies.
À (1050)
The Chair: Monsieur Cohen.
M. Andrew Cohen: Pour répondre à la question de Mme Lalonde, lorsque je parle de projet de société, j'espère que vous tenez compte de la situation actuelle et de celle que nous voudrions avoir. J'ai simplement lancé cette idée. Ce n'est pas la mienne. Michael Ignatieff en a parlé, et il a parlé d'un pays défenseur de la bonne gouvernance, d'un pays qui peut enseigner aux autres pays des choses au sujet du pluralisme, au sujet du traitement des minorités, du maintien de la paix, de la construction de la paix, de la façon de rédiger des constitutions, des codes; nous faisons déjà ce travail en partie et nous avons eu une influence très concrète en Afrique du Sud, et il y a aussi l'aide internationale.
Il est intéressant que nous parlions du Québec. À l'ACDI, par exemple, pendant des années, et c'est peut-être encore le cas, la plupart des fonctionnaires étaient francophones. Les francophones aimaient beaucoup travailler pour l'ACDI.
L'intérêt de la politique étrangère est, d'après moi, qu'elle nous aide à dépasser les limites de notre monde national. Elle nous permet d'être en contact avec des idéaux plus élevés et peut-être de laisser nos litiges derrière nous et d'offrir aux autres pays une vision plus généreuse du Canada.
Je pense que les Québécois, tout autant que les autres Canadiens, accepteraient de rédiger des codes, comprendraient l'intérêt du fédéralisme, ou du moins une partie d'entre eux le feraient, je suppose, ainsi que la nécessité de respecter les langues; ce sont là des problèmes que certaines sociétés doivent également régler.
C'est pourquoi je pense qu'une des choses que le Canada pourrait faire est de se présenter comme un pays défenseur de la bonne gouvernance. Je pense que cela plairait à tous les secteurs du Canada, et que nous pourrions peut-être trouver dans ce que nous entreprenons à l'étranger un début d'identité nationale.
The Chair: Merci, monsieur Cohen.
Nous allons maintenant donner la parole à M. Calder.
M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
En ce qui me concerne, je dirais que la force de notre pays a toujours résidé dans le multilatéralisme et je crois qu'en dehors de cela, il n'y a rien d'autre.
Lorsque j'observe ce qui se passe aux États-Unis, je m'inquiète de voir que les cercles néo-conservateurs ont acquis une grande influence au sein de l'administration des États-Unis actuelle. Le projet du nouveau siècle américain fait appel, par exemple, à une coalition de pays partageant les mêmes objectifs, sous l'égide des États-Unis, et qui seraient chargés de policer les conflits régionaux, ce qui me semble vouloir contourner les Nations Unies, un organisme dont je suis un fervent partisan.
J'ai trois questions.
Que peuvent faire le Canada et les autres pays pour renforcer les Nations Unies?
Que devraient faire les Nations Unies pour aider les pays en développement, en plus de ce qu'elles font déjà?
Et, Peter, comment les Nations Unies peuvent-elles promouvoir les énergies renouvelables sur le plan international?
À (1055)
The Chair: Ce sont d'excellentes questions brèves.
Monsieur Stoett.
M. Peter Stoett: Dans ce cas-ci, le Protocole de Kyoto prévoit certains mécanismes, notamment un mécanisme favorisant le développement sans pollution et une mise en oeuvre conjointe internationale, qui consisterait à donner aux États de l'hémisphère nord des crédits en émissions de carbone pourvu qu'ils contribuent à la technologie des pays du Sud et favorisent les énergies renouvelables.
Lorsque j'ai commencé à examiner cette question, j'ai pensé que cela se ferait et effectivement, cela commence lentement à se faire. Je pense que nous en sommes encore au niveau de l'ACDI, et j'ai des éléments à vous communiquer, si vous le souhaitez; l'ACDI fait encore la promotion de la consommation des combustibles fossiles à l'étranger, et construit des infrastructures énergétiques fondées sur le pétrole, le nucléaire, l'exploitation de l'uranium, notamment. Mais les mécanismes sont en place. Il suffirait d'affecter des crédits en fonction de nos principes et d'accorder davantage d'importance à ces questions.
Je commenterai très brièvement le sujet des néo-conservateurs, parce qu'Andrew a sans doute quelque chose à dire à ce sujet, mais je dirais qu'il est vrai que cela revient à contourner les Nations Unies avec ce projet, mais cela n'est pas nouveau, il y a Jesse Helms et d'autres qui disent cela depuis des années. Il y a évidemment le fait qu'aujourd'hui, le président est une personne qui est favorable à cette position. Cela pourrait changer dans deux ans, ou peut-être pas.
Pour ce qui est de renforcer les Nations Unies, je travaille avec des membres de la United Nation Association of the United States of America et ils se trouvent bien évidemment dans une situation très difficile à l'heure actuelle. Mais lorsque la situation actuelle aura évolué et que les Nations Unies seront appelées à participer aux efforts de reconstruction, de façon à légitimer ce qui a été fait, il sera peut-être alors possible d'amener les Américains à considérer de nouveau que les Nations Unies sont leur amie, et non pas une sorte d'ennemi aux ordres de la France.
Il existe donc une possibilité que les Nations Unies se renouvellent et je refuse encore de faire une croix sur cette institution.
Andrew.
Le président: Monsieur Cohen.
M. Andrew Cohen: Comment renforcer les Nations Unies? Comme nous le savons, les Nations Unies sont la clé de voûte de notre internationalisme depuis des années. Nous nous voyons à travers le multilatéralisme. Cela fait longtemps que nous sommes des défenseurs des Nations Unies. Le rapport dont je vous parlais a été fait pour les Nations Unies et payé par nous. Malheureusement, les Nations Unies ne lui ont pas donné suite. Cela fait quelque temps que nous parlons d'une force d'intervention rapide aux Nations Unies. Cela n'a pas encore donné grand-chose.
Cela va peut-être vous paraître hérétique, mais je me demande si dans le cadre de notre examen et de notre réflexion, il ne faudrait pas repenser l'institution des Nations Unies et son efficacité, ce qui ne veut pas dire y renoncer. Je pense qu'il existe de bonnes raisons d'être déçu des Nations Unies. Il n'y a pas que l'Irak. Il y a le Rwanda et la Bosnie. Ce sont des échecs des Nations Unies. J'espère que dans le cadre de cet examen, nous n'allons pas renoncer à notre engagement envers les Nations Unies mais que nous allons plutôt examiner de quelle autre façon nous pourrions renforcer cette institution.
Je ne suis pas sûr quel pourrait être ce rôle. Nous nous sommes toujours vus comme un pays qui tentait de modérer le comportement des Américains. Je pense qu'une des raisons pour lesquelles les États-Unies ont été aussi loin qu'ils l'ont fait aux Nations Unies est qu'ils avaient la Grande-Bretagne à leurs côtés. Je pense que Tony Blair accorde une importance énorme aux Nations Unies et au multilatéralisme. Nous partageons ce point de vue. Si nous avions plus d'influence sur Washington, ce qui n'est plus le cas, nous aurions pu inciter les États-Unis à faire davantage confiance aux Nations Unies. C'est peut-être une chose que nous pouvons faire.
Quelle était la seconde question?
M. Murray Calder: Que devraient faire les Nations Unies pour aider les pays en développement, en plus de ce qui se fait déjà?
M. Andrew Cohen: Sans doute davantage.
The Chair: Merci.
Monsieur Martin.
M. Keith Martin: Merci beaucoup.
Monsieur Cohen, je dirais que vous nous avez donné un des plus beaux témoignages que nous ayons jamais entendus. J'aimerais que vos paroles soient reprises sous la forme d'un traité. Cela constituerait un ouvrage fondamental que le comité pourrait examiner. Votre exposé était précis, pointu, et il traitait des énormes défis qui se posent à notre pays.
Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que nous ne sommes plus que l'ombre de nous-mêmes, et en fait, de ce que nous pourrions être, comme pays. Vous nous avez donné des motifs d'espérer et vous nous avez montré qu'il y avait des choses que nous pouvions et devions faire.
Les commissions royales ne servent que s'il existe une volonté de les utiliser. Depuis Romanow, jusqu'à la Commission sur les affaires autochtones, et tant d'autres, il faut reconnaître que leurs rapports se retrouvent finalement dans un entrepôt et qu'ils se recouvrent de poussière. Comment notre comité pourrait-il démontrer au gouvernement et au peuple canadien qu'il est absolument urgent d'examiner ces aspects et qu'il faut mettre en oeuvre les recommandations présentées par cette commission, ce qui est une excellente suggestion?
Ma deuxième question traite de notre relation avec les États-Unis. Avec l'expérience que vous avez eue comme correspondant du Globe and Mail à Washington, vous pourriez peut-être nous dire ce que nous pourrions faire pour renforcer notre influence sur les États-Unis, en tant que pays, compte tenu de la détérioration de nos rapports avec les États-Unis et les autres pays.
Enfin, si le montant de l'aide internationale est important, d'après moi, il est peut-être encore plus important de savoir comment nous dépensons cet argent. M. Cohen, vous pourriez peut-être nous dire si, d'après vous, nous devrions nous intéresser à un plus petit nombre de pays et si l'ACDI devrait faire l'objet d'une vérification de façon à préciser comment sont dépensés ses fonds. Je ne pense pas que son processus de vérification interne lui permette vraiment de déterminer comment cet organisme dépense son argent.
Á (1100)
M. Andrew Cohen: Je vais commencer par la dernière question, celle qui porte sur l'aide internationale, et je pense effectivement que nous nous occupons d'un trop grand nombre de pays. Nous sommes amis avec tous les pays. Nous nous sommes donné un grand nombre d'objectifs, depuis la réduction de la pauvreté jusqu'au renforcement des droits des femmes, en passant par le développement industriel, le microcrédit, etc. Nous faisons beaucoup trop de choses.
Ce n'est pas une simple question de dépenser davantage, comme vous l'avez fait remarquer, M. Martin. Il faut savoir comment nous dépensons cet argent. J'ai parlé du Danemark qui a un des meilleurs programmes d'aide au monde. Les Norvégiens sont également très bien. Ils ont pris cette décision. Bien sûr, leur société est plus homogène que la nôtre, leur population n'est pas aussi diversifiée. C'est peut-être la grande diversité que l'on retrouve au Canada qui nous amène à travailler dans des pays qui reflètent notre composition démographique. Je pense que c'est sans doute une erreur.
Je crois qu'il faudrait choisir un objectif, comme la réduction de la pauvreté. Nous devrions choisir 15 pays et appliquer des critères à ces pays. Nous voulons être sûrs qu'ils sont en faveur de la bonne gouvernance; si ce n'est pas le cas, l'aide fournie ne sert à rien. C'est une aide inefficace.
Ce n'est donc pas une simple question de dépenser davantage. La première chose à faire est de rendre notre aide plus efficace et la deuxième est d'augmenter le montant de cette aide. Si nous avions un programme plus efficace, les fonds supplémentaires... Le gouvernement augmente le pourcentage tous les ans, mais il faudra tout de même encore 10 ans pour arriver à 0,35 p. 100, ce qui représente la moitié de 0,7 p. 100, l'objectif qu'avait donné au pays Lester Pearson il y a 32 ans.
Pour ce qui est des relations avec les États-Unis, j'ai le sentiment, après avoir passé quatre ans à Washington, que nous avons de moins en moins d'influence à Washington. Cela s'explique en grande partie par la diminution de nos capacités. Nous avons parlé de cet aspect. Je ne pense pas que les États-Unis s'intéressent beaucoup à notre aide internationale, mais je crois qu'ils s'intéressent de très près à notre armée. Celle-ci a fait l'objet d'une douzaine de rapports depuis deux ans. Tout cela existe. Nous savons tous dans quelle état elle est.
Nous sommes également sous-représentés aux États-Unis. À la suite des restrictions budgétaires du ministère, nous avons fermé des consulats, nous avons fermé des bureaux aux États-Unis. Nous étions beaucoup plus actifs dans ce pays au cours des années 1980. Je dirais qu'il faudrait... le mot que l'on utilise souvent dans ce contexte est «rétablir la marque» du Canada, adopter une position plus visible aux États-Unis. Un des moyens d'y parvenir est d'avoir des représentants plus actifs et plus dynamiques.
Nous avons eu, au cours des années 1980, un ambassadeur qui avait beaucoup d'influence, Allan Gotlieb. Je ne pense que nous ayons eu depuis un ambassadeur aussi influent. Je crois qu'il faut choisir avec beaucoup de soin les personnes que nous envoyons aux États-Unis. La nomination de Pamela Wallin à New York est une excellente nomination. À New York, il faut avoir un certain cachet, un certain panache. Elle possède ces qualités. À Washington, il faut attirer l'attention des États-Unis, mais il faut également avoir quelque chose à dire. Il me paraît important de réfléchir à ce que nous voulons dire et de ce que nous pensons de nos relations avec les États-Unis, ce qui constitue un des aspects sur lesquels portera l'examen de la politique étrangère.
Votre première question portait sur les commissions royales. Je reconnais que certains rapports de commission royale ne font que prendre de la poussière, mais ce n'est pas le cas de tous. Donald Macdonald a présidé une commission sur l'économie au milieu des années 1908, je crois, et le gouvernement a écouté ce qu'il avait à dire à l'époque. Je ne pense pas que le gouvernement ne tienne aucun compte des rapports des commissions royales. C'est une façon de susciter de l'intérêt pour ce qui est, d'après moi, un processus éducatif portant sur notre identité nationale.
Il faudrait recommencer à enseigner l'histoire. Il faudrait commencer par offrir davantage de cours sur la politique étrangère. Je crois que nous avons besoin du genre de groupes de réflexion qui sont financés par le gouvernement aux États-Unis et qui étudient la démocratie et les droits de la personne. Nous en avons quelques-uns mais il en faudrait, je crois, davantage.
La Gouverneure générale et son époux nous ont montré comment une visite officielle pouvait être utilisée stratégiquement pour promouvoir le Canada à l'étranger. Voilà le genre de chose que nous pouvons faire pour amener les Canadiens à débattre de leur identité, et pour aller de l'avant.
Á (1105)
The Chair: Merci, monsieur Cohen.
Nous allons maintenant passer à Mme Kraft-Sloan.
Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Ma première question s'adresse principalement à M. Stoett, mais M. Cohen peut fort bien intervenir.
J'ai compris de votre exposé que le cadre retenu pour structurer notre objectif en matière de politique étrangère par le biais de trois piliers distincts vous faisait problème. Je me demande si vous pourriez nous indiquer comment l'on pourrait repenser ce cadre particulier.
L'autre impression que j'ai retenue des deux témoins est qu'il est peut-être trop tôt pour pouvoir élaborer un cadre.
Mon autre question s'adresse à M. Stoett. Dans votre exposé, vous avez parlé d'avoir un pilier distinct, qui serait le développement durable. Je me demande s'il ne serait pas préférable d'intégrer le développement durable aux deux autres piliers. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet. Le risque est de voir ce genre d'objectif marginalisé, lorsqu'il est détaché des autres.
L'autre question est un commentaire en guise de conclusion. Je pense qu'il est excellent que le ministre conduise un dialogue. Il est toujours bon que les ministres parlent aux Canadiens et s'informent de leurs préoccupations. Je pense que cette consultation va passer par le filtre de la situation actuelle en Irak; cela est inévitable.
Je crains que les Américains ne poursuivent leur travail à l'égard des pays figurant sur leur liste de «l'axe du mal». Est-ce que d'autres pays comme le Canada et les Nations Unies vont devoir se charger de mettre fin à tous les désordres que cela va entraîner? Le mot désordre n'est pas le mot approprié lorsque l'on parle de vies dévastées.
Je me demande si les deux témoins pourraient commenter ce que je viens de dire.
Merci.
Le président: Monsieur Stoett.
M. Peter Stoett: C'est une préoccupation très réelle. Je ne pense pas toutefois que les Canadiens devraient se faire des illusions; nous ne sommes pas en mesure d'empêcher les Américains de faire quoi que ce soit. Nous pourrions peut-être les amener à respecter le plus possible l'aspect humanitaire, auquel nous pourrions contribuer, lorsqu'ils lancent des opérations militaires, mais il faudrait savoir si cela ne risque pas de nous faire complices de leurs agissements. Là encore, nous aurons des opinions très divergentes sur le caractère légitime de leur action. Si on accepte le principe que cette opération est légitime, alors ce n'est pas un grave problème; par contre, si l'on n'accepte pas ce principe, alors oui, cela en est un.
En fin de compte, nous pouvons conserver une certaine indépendance en favorisant la solution humanitaire de ces conflits. Malheureusement, nous devons être réalistes au sujet de ce que le Canada peut faire dans ce genre de situation. Dans le grand projet qui englobe l'Irak, l'Iran, la Corée du Nord et la Chine, personne ne peut prévoir ce qui va se passer. Ce n'est pas la première fois que des Américains mettent au point des projets de politique étrangère grandioses, mais ils ne les exécutent pas toujours.
Pour ce qui est de l'autre question portant sur l'opportunité de créer un troisième pilier pour le développement durable et sur le risque de marginaliser ces notions, je ne pense pas que c'est ce qui se passerait. Je connais l'argument selon lequel le développement durable devrait en fin de compte être pleinement intégré aux aspects économiques et sécuritaires et j'y suis sensible, mais cela ne fonctionne pas de cette façon. Nous avons essayé pendant des années de défendre cet argument, tout comme l'ont fait les représentants du mouvement écologique. On vous promet que cet aspect sera pris en compte, mais ce n'est pas le cas.
Je pense que, si nous voulons utiliser ces piliers, il serait alors avantageux de capitaliser sur les forces évidentes du Canada dans ce domaine, sur tout ce qu'il peut offrir au monde et également pour montrer symboliquement à tous les pays que le développement durable est une de nos grandes priorités. Nous n'y parviendrons pas si nous nous contentons d'ajouter quelques paragraphes dans la section traitant de l'économie ou de la prospérité en disant: «Et oui, en passant, il faut aussi s'occuper de l'environnement». Cela n'est pas le genre de message que j'aimerais que le Canada donne aux autres pays, dans le cadre du processus de définition de notre identité.
Á (1110)
The Chair: Nous allons passer à Mme McDonough.
Mme Alexa McDonough: Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vous demande d'excuser ma longue absence. Je ne sais pas si quelqu'un vous a expliqué qu'il y avait des représentants de plusieurs partis qui ont dû attendre la fin du discours de George Bush avant de participer au panel de Newsworld qui avait été prévu.
Je tiens à remercier les deux intervenants qui nous ont présenté des exposés vraiment superbes. J'ai manqué une bonne partie du second, mais on m'en a résumé l'essentiel. Je suis très, très impressionnée par les arguments convaincants qui ont été apportés pour faire du développement durable un de ces piliers.
J'aimerais explorer davantage l'idée d'un quatrième pilier, que l'on retrouve sous des formes différentes dans vos deux exposés. Je ne sais pas quel est le bon mot pour décrire cela, mais l'expression qui me vient est l'idée de réduire la fracture. Je pense, monsieur Cohen, que vous avez clairement mentionné la suppression de la pauvreté. Je me demande si cela aiderait à harmoniser ces piliers pour bien montrer le genre de politique étrangère et de politique en matière de développement international que nous voulons avoir.
Ma deuxième question porte sur la question de l'insuffisance criante des sommes consacrées à l'aide par le Canada qui a été incapable d'atteindre le but de 0,7 p. 100 du PIB qui est accepté internationalement et qui a été fixé au départ par Pearson. On a calculé qu'il faudra attendre l'année 2040 avant d'atteindre cet objectif, si le taux de croissance actuel de l'aide au développement ne change pas.
En plus de cette insuffisance, on entend maintenant dire souvent que les politiques de l'ACDI sont de plus en plus axées sur les aspects commerciaux. Le ministre a déclaré au comité plus tôt cette semaine que l'on envisageait d'accorder une aide déliée, mais en même temps, il semble qu'un bon nombre de nos programmes sont de plus en plus axés sur les aspects commerciaux, puisque 20 p. 100 des fonds destinés à l'Afrique, par exemple, sont clairement destinés à des entreprises. Cela ne peut que servir à accroître la richesse du Canada et à améliorer la situation du secteur privé, mais cela n'a pas grand-chose à voir avec l'aide au développement à l'étranger.
Je me demande si vous avez des commentaires à faire à ce sujet.
M. Andrew Cohen: Je ne sais pas très bien combien de piliers notre politique étrangère devrait avoir. Le temple de notre internationalisme peut avoir de nombreux piliers, et si cela pouvait mieux faire ressortir l'importance de l'aide internationale que d'en faire un pilier, je dirais que ce serait une excellente chose.
Je pense que nous n'avons pas beaucoup parlé d'aide internationale parce que nous ne voulons pas la financer. Pour défendre l'ACDI, je dirais qu'il se fait du travail très intéressant dans cette institution, et que l'on parle de rendre notre aide plus efficace. Je ne pense pas que cela aille suffisamment loin, mais c'est un début.
Comme vous l'avez dit, nous avons pratiquement renoncé à atteindre l'objectif de 0,7 p. 100. Cette question revient à toutes les élections comme un rappel lancinant, mais elle revient toujours. Nous respectons cet objectif, nous l'insérons dans le programme électoral des partis, mais nous ne faisons rien pour l'atteindre. Je crois que nous avons maintenant la possibilité de faire quelque chose. Il y a un certain nombre de critiques qui ont durement reproché au Canada de laisser l'aide internationale tomber au niveau actuel.
Pour répondre à votre deuxième question, je pense que nous pourrions trouver des façons de rendre notre programme plus efficace et plus ciblé. Nous pourrions agir dans un plus petit nombre de pays; nous ne sommes pas obligés d'offrir de l'aide à 100 pays, nous pourrions en offrir à une quinzaine. Nous pourrions également cerner les choses que nous faisons bien, comme la suppression de la pauvreté. Nous faisons beaucoup de choses en ce moment. Nous pourrions également décider de délier toute notre aide. Le Royaume-Uni a pris des mesures en ce sens et d'autres pays ont dit: «Nous allons cesser de lier notre aide, parce que cela déforme le marché et que cela vise plus à nous avantager qu'à avantager les autres. Il n'est pas normal d'obliger les autres pays à acheter nos produits, alors qu'ils pourraient les obtenir ailleurs à meilleur prix».
Nous pouvons donc faire certaines choses. Nous pouvons faire beaucoup de choses, si nous voulons.
Á (1115)
The Chair: Monsieur Stoett, avez-vous des commentaires?
M. Peter Stoett: Je souscris tout à fait à cette dernière affirmation.
Pour ce qui est de l'aide liée, la justification de cette politique est qu'il est profitable à l'économie canadienne de lier notre aide à l'étranger. C'est peut-être vrai à court terme mais, bien souvent, on constate qu'à la longue l'aide liée apporte de moins en moins de bénéfices. Il devient de plus en plus difficile de soutenir que cela profite vraiment aux entreprises canadiennes, même s'il y a quelques exceptions. Massey Ferguson est un exemple d'entreprise qui a essayé d'aller dans cette direction, mais cela n'a rien donné.
Pour ce qui est du nombre des piliers, je dirais également que nous courons le risque d'avoir trop de piliers et de ne plus reconnaître le temple. Il faudrait introduire une limite dans ce domaine. Je ne sais pas pourquoi on a retenu le nombre de trois la dernière fois. Il pourrait fort bien en avoir quatre, cinq ou même plus, même si trois paraît logique.
M. Andrew Cohen: Il y en avait plus en 1970.
The Chair: Merci.
Nous allons maintenant donner la parole à M. Harvey.
[Français]
M. André Harvey (Chicoutimi—Le Fjord, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président. Je veux remercier nos deux témoins qui, un peu comme nous, essaient de concevoir ce qu'on pourrait appeler les piliers d'une future politique étrangère.
J'aimerais donner l'occasion à nos témoins d'éclaircir les deux points qui suivent.
Tous les pays parlent de la nécessité qu'il y ait cohérence entre nos différents ministères. Or, j'aimerais que vous nous donniez quelques exemples qui nous permettraient de mieux comprendre ce que vous voulez dire, particulièrement dans le domaine agroalimentaire, où se situe notre principal défi: nourrir les gens de la planète.
Qu'est-ce qu'impliquerait pour nous faire preuve de cohérence?
Ensuite, j'aimerais que M. Stoett nous fasse un bilan des réalisations de la Commission de coopération environnementale et ce, dans le cadre de la l'ALENA. Je trouverais intéressant de savoir ce qui s'est fait à ce jour, tout en gardant à l'esprit, monsieur le président, le refus des États-Unis de signer le Protocole de Kyoto. Il s'agit là d'un joueur important.
Merci.
[Traduction]
M. Andrew Cohen: Je ne sais pas si j'ai bien compris la question sur la cohérence et l'agroalimentaire. Je ne vois pas le...
[Français]
M. André Harvey: Si, dans le cadre de notre politique étrangère, nous continuons d'appliquer des politiques d'aide aux producteurs agricoles, particulièrement comme celles de l'Europe et des États-Unis--aux États-Unis, on dit que chaque agriculteur, avant de commencer l'année, reçoit une subvention de 47 000 $--, il sera difficile pour les pays bénéficiaires de l'aide internationale de devenir concurrentiels et de nous vendre leurs produits. Or, il y a certainement d'autres exemples qui peuvent être utilisés pour illustrer la nécessité de la cohérence entre les affaires étrangères, l'aide internationale, la défense et le commerce international. C'est dans cet esprit que j'aimerais qu'on soit en mesure d'écrire des choses relativement concrètes pour nos concitoyens, monsieur le président.
[Traduction]
Le président: Monsieur Cohen.
M. Andrew Cohen: Pour ce qui est d'aider le tiers monde, nous avons, par exemple, effacé la dette des pays d'Afrique, ce que nous avons fait en juin dernier, après Kananaskis. Nous avons également suspendu les contingentements et les tarifs sur certains produits. Nous avons pris des mesures, peut-être insuffisantes, pour libéraliser les échanges.
Nombreux sont ceux qui estiment qu'Oxfam a effectué une excellente étude sur l'intérêt de libéraliser les échanges avec le tiers monde au lieu de simplement fournir de l'aide à ces pays. Si nous voulons faire quelque chose pour réaliser les objectifs de notre politique étrangère ou pour les valider, nous pourrions libéraliser le commerce, et ne pas seulement essayer d'augmenter l'aide ou de voir si elle est efficace; on pourrait donner à ces pays la chance d'atteindre la prospérité grâce au commerce.
M. Peter Stoett: Je pense que votre question fait référence à la commission environnementale de l'ALENA. On dit de cette institution multilatérale qu'elle peut donner des coups de gueule mais qu'elle est incapable de mordre. Autrement dit, elle n'a pas vraiment les moyens de prendre des mesures punitives sévères à l'égard des États qui ne respectent pas les accords contenus dans l'ALENA, à savoir qu'aucun des trois États ne peut en fait diluer ses normes environnementales.
Ni l'ALENA, ni le mandat de la commission ne contient, je le signale en passant, de disposition concernant un programme permettant d'améliorer les conditions ou les politiques environnementales. On parle seulement de promettre de ne pas diluer ces normes.
Lorsque cela s'est produit, ou lorsque des ONG ou d'autres groupes ont affirmé que c'était le cas, la commission n'a pas montré vraiment qu'elle voulait réellement exécuter sa mission. Parallèlement, cet organisme a publié d'excellentes études, qui nous intéressent beaucoup, parce qu'elles donnent une bonne image des problèmes environnementaux à l'échelle du continent.
Pour ce qui est du refus des États-Unis de signer le Protocole de Kyoto, cela n'est pas vraiment relié à l'action de l'ALENA ou à celle de la commission. Je pense souvent que les questions qui se posent au sujet du Protocole de Kyoto et des États-Unis ont été maintenant absorbées par une préoccupation plus large qui porte sur l'unilatéralisme de l'administration actuelle. Cela est compréhensible, mais je ne pense pas qu'il faille conclure que le multiculturalisme mondial en matière d'environnement ne veut plus rien dire parce que les États-Unis n'ont pas encore signé le protocole. Il y a de nombreux États américains, par exemple, qui ont fait beaucoup d'efforts pour favoriser les énergies renouvelables, et qui ont en fait dépassé le Canada, dans certains domaines.
Dans l'ensemble, je crois que les grandes entreprises américaines savent que le Protocole de Kyoto sera éventuellement ratifié, et que ce n'est qu'une question de temps. C'est pourquoi ce refus ne m'inquiète pas tant, par exemple, que l'unilatéralisme des États-Unis sur le front militaire. Mais je vais laisser cet aspect de côté.
Á (1120)
Le président: Merci.
Monsieur Eggleton.
M. Art Eggleton: Merci.
Messieurs, j'aimerais préciser un certain nombre d'observations que vous avez faites.
Monsieur Stoett, au sujet des trois piliers, vous proposez d'abandonner le troisième, qui est celui des valeurs et de la culture. Je peux comprendre qu'il ne faut pas imposer notre façon de vivre à tout le monde, mais il me paraît que des aspects comme les droits de la personne, la suprématie du droit et la démocratie représentent des valeurs que nous devons défendre. J'aimerais donc que vous précisiez cet aspect.
Monsieur Cohen, vous avez au départ critiqué assez longuement le fait qu'il ne s'agit pas d'un véritable réexamen, tant sur le plan des affaires étrangères que de la défense. Mais on parle de dialogue et, en matière de défense, on parle souvent de mise à jour. Étant donné que le gouvernement a déjà procédé à des examens complets et qu'il a déterminé quels étaient les principes fondamentaux qu'il fallait adopter en ce domaine, il l'a fait en 1994, pourquoi estimez-vous qu'il y aurait lieu de procéder aujourd'hui à un nouvel examen? Il est vrai qu'il y a eu des changements depuis 1994, mais ne peut-on pas soutenir que les principes fondamentaux sont toujours applicables et qu'il suffit de procéder à une mise à jour qui tienne compte de la façon dont ces principes s'insèrent dans la nouvelle donne mondiale?
En outre, la plupart des choses qui vous paraissent mauvaises concernent le financement, et non la politique elle-même; l'existence de fonds permettant de mettre en oeuvre la politique. En fait, il est très possible qu'il y ait une séparation entre la politique et le suivi administratif, devrait-on placer neuf pays dans cette catégorie ou devrait-on adopter un point de vue plus large ou plus étroit sur cette question? Cela soulève la question de savoir jusqu'où la politique doit aller sur le plan administratif. Cette politique doit-elle être très détaillée pour ce qui est de ces aspects?
J'aimerais avoir vos commentaires sur ces points.
Le président: Monsieur Stoett.
M. Peter Stoett: Absolument. Les droits de la personne, les échanges culturels, tous ces aspects pourraient, je pense, être englobés sous la rubrique du développement durable. Cette expression ne désigne pas seulement la protection de l'environnement. Elle comprend, dans un sens fondamental, la participation de la société civile. De sorte que oui, la démocratie et les droits de la personne feraient partie de cette notion, tout comme elles font également partie des valeurs canadiennes.
Je pense que ce terme soulève certains problèmes et cela vient, dans une certaine mesure, d'une conférence qu'a donnée à Concordia un de mes éminents collègues, Denis Stairs. Il était contre tout ce que j'ai dit, entre parenthèses, mais sur cet aspect, il reconnaîtrait probablement qu'il est un peu faux de dire qu'il existe des valeurs canadiennes uniformes que nous pouvons transposer sur le plan international.
Á (1125)
Le président: Monsieur Cohen.
M. Andrew Cohen: L'ancien ministre de la Défense le sait bien mieux que moi, il y a effectivement eu un examen en 1994 et certains changements sont intervenus depuis. On pourrait soutenir que ces changements ne sont peut-être pas suffisamment importants. La guerre froide était terminée à cette époque. Mais le financement n'a pas suivi, comme vous l'avez signalé, et nous sommes restés avec les trois armées, ce que j'appelle l'armée à tout faire, ce qui n'est pas un manque de respect envers ceux qui en font partie.
Mais je pense que nous pourrions, en l'absence de ressources qui, je crois, ne viendront pas... Le gouvernement est peut-être aujourd'hui disposé à financer notre armée à des niveaux qui se rapprochent de la moyenne des pays de l'OTAN, mais je n'ai pas encore vu de résultats. Je sais que le budget de cette année a augmenté, mais l'usure de l'armée, comme vous le savez mieux que moi, est tel que, pour la stabiliser, il faudra pas mal d'argent, et pour l'améliorer, il en faudra beaucoup plus.
Si l'on ne s'engage pas dans cette voie, nous serons obligés, je crois, de repenser ce que nous voulons faire avec notre armée. Voulons-nous, comme je l'ai dit, trois armées complètes? Voulons-nous des sous-marins? Quel genre d'hélicoptère voulons-nous? Nous n'avons pratiquement à l'heure actuelle aucune capacité d'emport. Mais pour aller dans des pays comme l'Afghanistan, nous avons besoin d'avoir des uniformes adaptés, ce que nous n'avions pas, et des moyens de transport adaptés, ce que nous n'avions pas. Nous attendions que les Américains nous amènent là-bas.
Nous avons pourtant déjà eu ce genre de capacité. Lorsque Lyndon Johnson a appelé Lester Pearson et lui a dit: «Nous avons besoin de gens à Chypre, voulez-vous en envoyer?», Pearson a réussi à faire monter des agents de maintien de la paix dans un avion avant que le Parlement ait même débattu de cette question. Nous avions la capacité d'emport pour le faire. Le Parlement a approuvé ensuite cette action.
C'est pourquoi j'estime que, dans le cadre de cette réévaluation de notre identité, à moins que nous soyons prêts à consacrer de l'argent à l'armée, nous devrions repenser le rôle de notre armée. Elle pourrait jouer de nombreux rôles. J'ai simplement mentionné en passant le rôle de défenseur de la bonne gouvernance et peut-être le maintien de la paix, ce genre de choses. Mais nous devrions également nous demander le genre de rôle que nous aimerions jouer, si nous avions décidé de le faire et avions pu le faire, en Irak. Nous avons décidé de ne pas bouger mais, même si nous avions décidé le contraire, nous n'aurions pas eu les moyens de le faire, ou du moins des moyens très limités.
Nous devons réfléchir au type d'armée et au type d'action que nous voulons et faire des choix en conséquence.
The Chair: Merci.
Monsieur Cotler.
M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.): Cette question s'adresse à Andrew Cohen, et M. Stoett est également invité à y répondre.
Le Canada aurait-il un rôle à jouer dans le renouvellement, voire la reconstruction, d'un système de justice internationale, un genre de projet de société, comme vous l'avez dit, de société internationale, qui ferait appel à notre expertise et à notre expérience particulières dans ce domaine?
Permettez-moi de vous donner très rapidement quelques exemples. Le premier est l'intervention pour des motifs humanitaires que vous avez mentionnée, mais le rapport de cette commission parlait également d'un devoir en matière de prévention, non seulement du devoir d'intervenir et de reconstruire, de sorte que l'on pourrait même établir un rapport entre ce qui a été mentionné tout à l'heure au sujet du rôle que nous pourrions avoir en matière de prévention.
Le deuxième est de traduire les criminels de guerre devant les tribunaux. Nous avons déjà joué un rôle devant la Cour pénale internationale, mais nous devrions peut-être faire preuve de plus d'imagination dans ce domaine aussi.
Le troisième serait de repenser les principes du droit international, là encore en se basant sur l'expérience de l'Irak, sur les notions de légitime défense après les événements du 11 septembre, sur le rôle du Conseil de sécurité de l'ONU et, enfin, sur la lutte contre les discours officiels motivés par la haine, qui sont à l'origine de plusieurs grands conflits, depuis le génocide nazi jusqu'au génocide rwandais.
M. Andrew Cohen: M. Cotler l'a exprimé mieux que j'aurais pu le faire, puisque c'est un ancien professeur de droit de McGill. Nous pourrions effectivement faire toutes ces choses.
Il y a un aspect intéressant aujourd'hui, lorsque nous parlons de l'Irak, et que nous avons décidé de ne pas aller en Irak, nous ne croyons pas nécessairement à l'argument des Américains selon lequel ce pays possède des armes de destruction massive, ou est relié au terrorisme international. Mais je vous demande pourquoi, étant donné que nous sommes une nation morale, pourquoi nous n'avons pas fait de déclaration au sujet de la situation tragique du peuple iraquien. Pourquoi n'avons-nous rien dit à ce sujet? L'Alliance canadienne avait proposé de créer un nouveau tribunal international qui serait chargé d'obliger les dirigeants iraquiens à rendre des comptes devant les tribunaux, par la suite.
On a également parlé ici tout à l'heure de l'expulsion des diplomates iraquiens. Je pense qu'après avoir décidé de rester sur la touche dans ce conflit, nous pourrions exprimer notre solidarité avec le peuple iraquien et nous pourrions prendre des mesures comme celles dont vous avez parlé. C'est là le genre de choses que nous pouvons faire. Ce sont des choses que nous faisons bien. Nous devrions utiliser notre avantage comparatif. Il faut faire davantage dans les domaines où nous avons de l'expertise. C'est ainsi que notre action peut être très efficace. C'est pourquoi j'espère que votre comité et cet examen étudiera toutes ces choses.
Á (1130)
Le président: Monsieur Stoett.
M. Peter Stoett: Je suis heureux d'entendre parler de tribunaux qui seraient chargés de juger les crimes de guerre et c'est évidemment une mesure que préconisent, d'après moi, tous ceux qui travaillent dans le domaine des droits de la personne. C'est aussi une question fort complexe. S'agit-il d'un tribunal qui va juger les survivants du parti Baath pour les crimes qu'ils ont commis pendant la guerre ou pendant ce que l'on appelait la paix en Irak? Ce sont deux choses fondamentalement différentes. Si nous voulons créer un tribunal international chargé de juger les personnes pour les crimes qu'elles ont commis contre leurs propres citoyens, en dehors d'un contexte de guerre, nous nous engageons dans une voie délicate. C'est une chose qui pourrait être confiée à la Cour pénale internationale, mais pas nécessairement à un tribunal ad hoc à qui serait confiée cette mission particulière. Même dans le cas du Rwanda, on pouvait dire qu'il y avait une guerre, parce que les Tutsis revenaient du Burundi pour se joindre au Front patriotique rwandais.
En outre, si l'on parle de la période de guerre, alors il est évident que la communauté internationale va demander, en particulier si le Conseil de sécurité approuve une telle demande, que l'on juge également les Américains qui pourraient alors être poursuivis dans les cas où ils ont utilisés une force militaire excessive. Nous savons tous que les Américains refuseront toute demande en ce sens. Il sera donc très intéressant de suivre, si l'on décide en fait de constituer des tribunaux pour juger les crimes de guerre, comment cela va se passer dans ce cas particulier.
The Chair: Merci.
Mme Redman et ensuite, M. Kenney.
Mme Karen Redman: Merci, monsieur le président.
J'aimerais avoir quelques précisions. Je vous remercie pour vos interventions. Je les ai trouvées très éclairantes.
Monsieur Cohen, je dois vous dire que même si la question des droits de la personne en Irak est très importante, ce n'est toutefois pas la principale raison pour laquelle l'on se bat en Irak en ce moment. Je crois qu'il faut donc être prudents lorsque nous qualifions ces deux choses pour ne pas les mélanger. Il est évident que la mesure qui a été prise initialement aux Nations Unies, la résolution 1441, concernait les armes de destruction massive. Je pense qu'il faut être très clair à ce sujet.
Monsieur Stoett, pour ce qui est de la mondialisation, pouvons-nous l'arrêter? Si nous ne pouvons pas l'arrêter, pouvons-nous la circonscrire? Si nous pouvons la circonscrire, comment le faire? Pensez-vous que c'est une question sur laquelle la communauté internationale devrait se pencher?
The Chair: M. Cohen, d'abord.
M. Andrew Cohen: Je sais que cela a été présenté sous la forme d'un commentaire, mais pourrais-je répondre à la question qui porte sur les droits de la personne?
Vous avez raison, les États-Unis et la Grande-Bretagne ne sont pas en Irak principalement à cause des droits de la personne. Je dis simplement qu'un certain nombre de personnes ont exposé d'excellents arguments pour justifier des interventions motivées par les aspects humanitaires. Je sais que nous n'en sommes pas encore là et que ce n'est pas la raison pour laquelle nous sommes intervenus. Je dis simplement qu'étant donné que notre pays a préparé un rapport pour les Nations Unies, qui parlait d'un devoir d'intervenir fondé sur des motifs humanitaires, je me demandais si nous aurions pu explorer la question de savoir si l'on pouvait intervenir en Irak pour des motifs humanitaires. Nous n'en sommes pas encore là, et je sais que ce n'est pas la raison, même si Tony Blair a présenté des arguments très convaincants, et je reconnais avec vous que ce sont des arguments secondaires, au sujet des raisons morales susceptibles de justifier une intervention. Je pense que notre gouvernement a peut-être manqué de sensibilité dans ce domaine et qu'il n'a pas suivi d'assez près ce qui se passait dans ce pays.
The Chair: Monsieur Stoett.
M. Peter Stoett: La mondialisation est une de ces choses qui peut être définie de très nombreuses façons. En fin de compte ses manifestations physiques, comme l'augmentation des échanges, l'augmentation des capitaux, les investissements étrangers, oui, il et possible d'arrêter ces choses avec un protectionnisme d'État, mais ce n'est pas nécessairement souhaitable.
Il faut, je crois, veiller à ce que les répercussions des échanges commerciaux soient atténuées par les cultures locales, pour que l'Occident n'impose pas ses valeurs par la force, ce qui ne réussit pas habituellement. La définition de la mondialisation reconnue par les théoriciens de la culture et d'autres fait appel à un processus de socialisation inhérent et c'est ce qui suscite une vive résistance de la part des peuples non occidentaux et des religions, des peuples indigènes et d'autres groupes. Et oui, ils peuvent jouer un rôle important pour préserver leur propre identité et je ne vois pas pourquoi le Canada ne pourrait pas non plus le faire, soit dit en passant.
Je ne fais pas l'équation mondialisation égale américanisation, cela serait trop simpliste. Néanmoins, il faut reconnaître que les principaux médias, les principales entreprises qui ont participé à ce processus sont américains, à certaines exceptions près. C'est pour moi une raison pour laquelle il est important que le Canada préserve une structure politique indépendante.
Pour dire que l'on peut arrêter la mondialisation, il faudrait savoir ce que c'est, et nous ne le savons pas. Mais il y a déjà des poches de résistance à l'expansion de la culture occidentale et nous le constatons tous les jours dans les journaux.
Á (1135)
The Chair: Merci.
Soyez très brève, s'il vous plaît, madame Redman.
Mme Karen Redman: J'ai été très intéressée de constater que vous avez insisté sur l'environnement. J'ai été jusqu'en décembre la secrétaire parlementaire auprès du ministre de l'Environnement et j'ai eu l'occasion de participer en son nom à la Commission de coopération environnementale. J'ai trouvé intéressant de vous entendre dire qu'elle n'avait pas de moyens, mais pour ce qui est du multilatéralisme, nous travaillons principalement, sur le plan international, à trouver des domaines sur lesquels nous avons des intérêts communs de façon à pouvoir progresser. J'espère que tous ceux qui voient ceci ne pensent pas que cette commission est inutile, parce que je pense qu'elle est très utile pour nos trois pays.
The Chair: Merci.
Nous allons donner la parole à M. Kenney qui posera une question, et ensuite à Mme McDonough pour la dernière question.
Monsieur Kenney, vous avez la parole.
M. Jason Kenney (Calgary-Sud-Est, Alliance canadienne): Je vais faire un bref commentaire et je poserai ensuite ma question.
M. Cohen a déclaré que les États-Unis et le Royaume-Uni ne sont pas principalement en Irak pour des motifs d'ordre humanitaire. Je pense néanmoins que l'on pourrait soutenir que le Royaume-Uni ne serait pas là s'il n'y avait pas ces motifs humanitaires. Leur principal objectif avoué est le désarmement, mais la majorité des députés travaillistes ont été très sensibles à l'argument humanitaire et ils s'intéressent à cette question depuis très longtemps.
Ann Clwyd, une députée travailliste, a présidé le comité international chargé d'accuser Saddam Hussein et il y a un groupe important de députés travaillistes qui sont très actifs sur le plan des questions humanitaires dans ce pays depuis très longtemps, c'est pourquoi je pense que cet aspect a joué un rôle essentiel dans leur décision.
Ma question, qui s'adresse principalement à M. Stoett, est que je n'ai pas très bien saisi pourquoi vous étiez sceptiques à l'idée d'utiliser un tribunal spécial pour poursuivre les fonctionnaires du régime Baath après le conflit. Vous n'avez parlé que des crimes de guerre, alors qu'en fait, un tribunal spécial pourrait poursuivre les crimes contre l'humanité en général, notamment le génocide, les crimes de guerre et d'autres.
Il me semble qu'il y a trois possibilités pour traduire ces personnes devant les tribunaux: nous pouvons laisser les Irakuiens traiter comme ils l'entendent ces personnes, après la libération, un peu comme cela a été fait pour Ceausescu, rendre une justice rapide et brutale, nous pouvons autoriser les puissances occupantes à utiliser le précédent de Nuremberg et elles pourraient alors créer en Irak leur propre juridiction, ou enfin les Nations Unies, par l'intermédiaire du Conseil de sécurité, pourrait adopter une résolution semblable à celle qui concernait le Rwanda et la Yougoslavie et créer un tribunal pénal international spécial.
Il me semble que, du point de vue du Canada, cette dernière solution serait préférable. Ne devrions-nous pas la proposer?
The Chair: Monsieur Stoett.
M. Peter Stoett: Je suis d'accord avec vous. En fait, je ne suis pas sûr d'être complètement d'accord avec vous. J'aurais par exemple aimé voir Milosevic jugé en Bosnie avant qu'il ne soit envoyé devant le tribunal des Nations Unies. Cette solution semble indiquer aux Irakuiens ou aux Bosniaques que la communauté internationale est mieux placée qu'eux pour juger ces personnes, et je ne suis pas convaincu que cela soit toujours le cas.
Cela dit, s'il faut choisir entre un tribunal spécial et un tribunal du genre Nuremberg, je choisirais très certainement un tribunal spécial. Le modèle de Nuremberg permet d'accuser les vainqueurs d'imposer leur justice, chose que nous voulons éviter ici. Je soutiendrais toutefois que, s'il s'agit d'un tribunal spécial qui pourra entendre les actes commis pendant la guerre, pendant les années au cours desquelles les États-Unis et ses partenaires ont été en guerre contre l'Irak sur le territoire iraquien, alors il faudra également leur demander d'y participer, de façon à obtenir une légitimité internationale. Dans le cas contraire, les gens pourraient utiliser le même argument que celui qu'ils ont utilisé à l'égard du tribunal pour le Rwanda, à savoir que les Hutus ont été jugés, même s'il est tout à fait évident que le Front patriotique rwandais a commis des atrocités lorsqu'il est entré dans ce pays. Ces actes étaient peut-être justifiables, compte tenu du génocide en cours. Néanmoins, ils se sont produits et jusqu'ici, le front patriotique rwandais, qui dirige actuellement le pays, n'a jamais fait l'objet de poursuites.
Cela soulève donc la question de la légitimité. Vous pouvez certainement comprendre la gymnastique politique qu'il faudrait faire pour amener les Américains à accepter que leurs ressortissants soient jugés. Cela ne se produira jamais. C'est pourquoi je pense que l'idée de traduire ces personnes devant les tribunaux, comme vous l'avez signalé à juste titre, et la façon de le faire, soulèvera un énorme débat.
Á (1140)
The Chair: Merci beaucoup, monsieur Stoett.
Nous allons maintenant passer à la dernière question, qui sera celle de Mme McDonough, sans préambule, si vous voulez bien.
Mme Alexa McDonough: Merci, monsieur le président.
Je poserai une brève question à M. Stoett. Vous avez déclaré que la pandémie du VIH/SIDA était la principale menace pour la santé de la population mondiale et que la réponse du Canada avait été jusqu'ici très insuffisante. Je me demande si vous pouvez nous dire quels seraient, d'après vous, les paramètres ou les indices qui devraient influencer l'action du Canada.
La deuxième n'est pas vraiment une question qui s'adresse à vous, mais plutôt en fait au comité. Nous avons entendu de nombreuses références au génocide rwandais et de la réaction qui s'en est suivie, et je me demande s'il ne serait pas très souhaitable, pour diverses raisons, de décider de convoquer des témoins qui nous parleraient du génocide au Rwanda et des mesures qui l'ont suivi, parce que ce genre de situation semble se reproduire souvent sous des formes différentes.
The Chair: Merci.
Monsieur Stoett.
M. Peter Stoett: Je me ferai un plaisir de vous recommander certaines personnes si vous le souhaitez, à ce sujet.
Pour ce qui est de la question sur le sida, j'ai effectivement mentionné qu'après la malnutrition chronique, c'est le plus grave danger pour la santé. Le problème numéro un pour la plupart des Africains est toujours l'accès à l'eau potable, par exemple.
Cela dit, il y a beaucoup de personnel médical qui s'occupe de cela, les ONG qui sont en Afrique, les gens qui luttent contre la prostitution, les gens qui s'occupent des enfants atteints du sida. Il y a des gens sur place. Il n'y a toutefois pas d'infrastructure au sens où nous l'entendons. Ce n'est pas comme cela que font les Africains. Les choses se font très souvent à un niveau très éloigné du gouvernement. Il y a beaucoup de potentiel là, on pourrait utiliser les structures qui existent sur le terrain, mais elles ont besoin d'être financées. Elles ont besoin d'argent. C'est l'aspect essentiel.
Je n'ai pas d'attentes démesurées à l'endroit du Canada, comme je l'ai déjà dit. Nous ne sommes pas en mesure de consacrer 30 milliards de dollars ou quelque chose du genre à ce problème, ce qui représente la somme nécessaire. Ils ont besoin d'une somme de cet ordre. La communauté internationale peut par contre, et peut-être que nous pouvons aussi y participer, continuer à exhorter les autres administrations et les autres agences multilatérales, comme l'ONUSIDA, à demander ce genre de financement et à utiliser ces fonds là où ils devraient l'être. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de faire autre chose que d'apporter une aide médicale. Ce n'est pas un travail pour les sociétés pharmaceutiques. Ce travail doit être fait par les gens qui sont sur le terrain et qui traitent les victimes atteintes de cette maladie grave.
Dans ce cas-ci, Stephen Lewis a tout à fait raison de dire que nous avons l'obligation morale d'agir dans ce domaine. George Bush a déclaré que les débuts de cette guerre coûteraient autour de 75 milliards de dollars. Nous pourrions dépenser ce montant et faire quelque chose pour une maladie qui va tuer plus de 20 millions de personnes.
The Chair: Merci beaucoup.
Je remercie les deux intervenants, M. Cohen et M. Stoett, d'être venus ici ce matin. Tout cela a été très intéressant et vraiment utile pour les travaux de notre comité. Je vous remercie encore une fois.
Je voudrais maintenant faire un commentaire qui ne vous concerne pas, mais qui concerne le comité, au sujet des relations entre le Canada et le monde musulman. Il y a un petit problème au sujet du budget qui a été accepté par le sous-comité. Un des chefs des cinq partis n'a pas accepté ce budget, parce que nous ne visitons aucun pays musulman. J'en ai parlé à quelques membres du comité et, si vous êtes tous d'accord, nous pourrions renoncer à aller à Bruxelles, la troisième ville d'Europe. Nous visiterons Londres, Paris, et, au lieu d'aller à Bruxelles, nous pourrions nous rendre à Casablanca au Maroc, si vous êtes tous d'accord et si vous me donnez l'autorisation de revenir devant le sous-comité, si cela est nécessaire, pour effectuer ce changement.
[Français]
Madame Lalonde, rapidement.
Mme Francine Lalonde: Est-ce que cela veut dire que ça tient lieu de deuxième...?
Le président: Non.
Á (1145)
Mme Francine Lalonde: Alors, ça me va.
[Traduction]
Le président: C'est uniquement pour la première étape.
[Français]
C'est la première partie.
[Traduction]
Êtes-vous tous d'accord? Très bien, tout le monde est d'accord.
[Français]
Merci. Je veux tout simplement vous dire, à la demande du greffier, que
[Traduction]
nous allons voir si cela a d'autres répercussions sur le budget, et je vous en reparlerai si cela est nécessaire.
Thank you very much. La séance est levée.