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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le lundi 18 novembre 2002




¹ 1535
V         Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.))
V         Mme Peggy Mason (témoignage à titre personnel)

¹ 1540

¹ 1545

¹ 1550
V         Le président
V         Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.)
V         Le président
V         Mme Aileen Carroll
V         Le président
V         M. Ernie Regehr (directeur général, Project Ploughshares)

¹ 1555

º 1600

º 1605
V         Le président
V         M. Houchang Hassan-Yari (professeur de sciences politiques, Collège militaire royal du Canada)

º 1610

º 1615
V         Le président
V         M. Houchang Hassan-Yari
V         Le président
V         M. Sami Aoun (professeur de sciences politiques, Université de Sherbrooke)

º 1620

º 1625

º 1630
V         Le président
V         M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne)

º 1635
V         Le président
V         M. John Harvard (Charleswood —St. James—Assiniboia, Lib.)
V         M. Stockwell Day
V         Le président
V         M. Stockwell Day
V         Le président
V         Mme Peggy Mason

º 1640
V         Le président
V         M. Houchang Hassan-Yari
V         Le président
V         M. Ernie Regehr
V         Le président
V         M. Sami Aoun
V         Le président
V         Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ)

º 1645
V         Le président
V         M. Houchang Hassan-Yari
V         Le président
V         M. Ernie Regehr
V         Le président
V         Mme Peggy Mason

º 1650
V         Le président
V         M. Sami Aoun
V         Le président
V         M. John Harvard
V         Le président
V         Mme Peggy Mason

º 1655
V         Le président
V         M. Ernie Regehr
V         Le président
V         M. John Harvard
V         Le président
V         M. Sami Aoun
V         Le président
V         M. Houchang Hassan-Yari
V         Le président
V         Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD)

» 1700
V         Le président
V         M. Ernie Regehr

» 1705
V         Le président
V         Mme Peggy Mason
V         Le président
V         Mme Peggy Mason
V         Le président
V         M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.)
V         Le président
V         M. Sami Aoun

» 1710
V         Le président
V         M. Bill Casey (Cumberland—Colchester, PC)
V         M. Ernie Regehr
V         M. Bill Casey
V         M. Ernie Regehr

» 1715
V         Le président
V         M. Houchang Hassan-Yari
V         Le président
V         Mme Peggy Mason

» 1720
V         Le président
V         Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.)
V         Le président
V         M. Sami Aoun
V         Le président
V         Mme Peggy Mason
V         Le président
V         Mme Marlene Jennings
V         Le président
V         Mme Marlene Jennings
V         M. Sami Aoun
V         Le président
V         M. Stockwell Day

» 1725
V         M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ)
V         Le président
V         M. Sami Aoun
V         Le président
V         Mme Peggy Mason

» 1730
V         Le président
V         M. Ernie Regehr
V         Le président
V         M. Houchang Hassan-Yari
V         Le président










CANADA

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


NUMÉRO 009 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 18 novembre 2002

[Enregistrement électronique]

¹  +(1535)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Chers collègues, je vous remercie beaucoup de votre présence aujourd'hui.

    Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous examinons aujourd'hui la situation de l'Irak.

    Nous allons entendre Mme Peggy Mason, ex-ambassadrice au désarmement, qui témoigne à titre personnel, et M. Ernie Regehr, directeur exécutif du projet Ploughshares.

[Français]

    Nous accueillons aussi le professeur de sciences politiques, M. Houchang Hassan-Yari, du Collège militaire royal du Canada ainsi que M. Sami Aoun, de l'Université de Sherbrooke, également professeur de sciences politiques. Bienvenue au Comité des affaires étrangères et du commerce international.

[Traduction]

    Les règles sont fort simples. Chaque témoin dispose de dix minutes pour faire son exposé, après quoi nous passerons aux questions.

    Nous allons commencer par entendre le témoignage de Mme Mason.

+-

    Mme Peggy Mason (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup. C'est un grand plaisir pour moi de prendre la parole devant le comité sur cette importante question.

    La résolution 1441 a été adoptée à l'unanimité le 8 novembre dernier. Dans cette résolution, les 15 membres du Conseil de sécurité des Nations Unies n'ont pas approuvé aveuglément l'appel aux armes des États-Unis. Au lieu de cela, ils ont approuvé une résolution ferme demandant que l'Irak donne aux inspecteurs en armement de l'ONU un accès immédiat, sans obstacle, inconditionnel et sans aucune restriction, énonçant leur intention de se réunir immédiatement si l'Irak était en défaut de ses obligations en matière de désarmement et avertissait que de telles violations entraîneraient de graves conséquences.

    Cette résolution n'a pas autorisé le recours à la force, ce qui a été clairement reconnu par tous les membres du Conseil de sécurité, y compris les États-Unis, dans leur déclaration faite dans l'enceinte du Conseil de sécurité immédiatement après le vote. Dans mon mémoire écrit, qui sera transmis électroniquement au greffier, j'ai joint le communiqué de presse de l'ONU dans lequel on cite les déclarations des membres du Conseil, lesquels ont tous reconnu, comme je l'ai dit, que cette résolution n'autorise pas le recours à la force. Cette absence de déclencheur, camouflé ou autre, du recours à la force signifie que cette résolution respecte les souhaits de la grande majorité des États membres de l'ONU et de leurs citoyens, qui sont massivement contre une guerre extraordinairement imprudente qui est non provoquée, injuste et totalement inutile.

    L'ambassadeur des États-Unis, M. Negroponte, a ajouté dans sa déclaration faite après le vote, et je répète que cette déclaration est jointe à mon mémoire, qu'il importait peu en fait que la résolution de l'ONU n'autorise pas le recours à la force, parce que les États-Unis pourraient envahir l'Irak pour se défendre. De plus, il a affirmé que tout État membre peut agir «pour appliquer... les résolutions de l'ONU et protéger la paix et la sécurité mondiales». Ni l'une ni l'autre de ces affirmations ne peuvent résister le moindrement à un examen superficiel.

    La Charte de l'ONU reconnaît à l'article 51 le droit à la légitime défense en cas d'agression armée. Comme le ministre Graham l'a fait observer récemment, puisque la Charte de l'ONU n'est pas censée être un pacte de suicide, ce texte a été interprété de manière à y inclure un pays qui prendrait des mesures pour empêcher une attaque imminente. Dans le cas qui nous occupe, cependant, les États-Unis reconnaissent qu'aucune attaque n'est imminente et ils n'ont produit aucune preuve probante de l'intention de l'Irak d'attaquer l'Amérique à un moment ou l'autre. Accepter que l'on invoque la légitime défense dans ces circonstances, ce serait faire fi de l'interdiction du recours à la force qui est inscrit au paragraphe 2(4) de la Charte de l'ONU. De même, accepter l'argument voulant que tout État membre puisse attaquer l'Irak pour faire appliquer les résolutions de l'ONU et protéger la paix et la sécurité mondiales, cela revient à soutenir que l'on peut utiliser la force pour faire appliquer une résolution qui n'autorise pas le recours à la force.

    Comme la Charte de l'ONU l'indique si clairement aux articles 39, 41 et 42, toute mesure d'exécution pour amener l'Irak à se conformer aux résolutions du Conseil peut seulement être autorisée par le Conseil de sécurité lui-même après qu'il eut déterminé que la violation en question constitue une menace ou une violation de la paix et de la sécurité internationales et que la menace elle-même ne peut pas être écartée efficacement par un autre moyen que la force.

    Il est utile de se rappeler le libellé qui a été utilisé quand la force a été autorisée le 29 novembre 1990 contre l'Irak après l'invasion du Koweit. Voici ce libellé: «Autorise les États membres à coopérer avec le gouvernement du Koweit, à moins que l'Irak, le ou avant le 15 janvier 1991, ne se conforme intégralement... aux résolutions ci-dessus pour utiliser tous les moyens nécessaires pour faire exécuter la résolution 660 du Conseil de sécurité», laquelle exigeait que l'Irak se retire immédiatement du Koweit. Ce libellé non seulement autorise expressément le recours à la force par l'expression «tous les moyens nécessaires», mais aussi, en conformité de l'article 48, précise que les États membres sont effectivement autorisés à le faire.

    J'invoque ensuite un autre argument en donnant des exemples précis de la façon dont le recours à la force peut être autorisé.

¹  +-(1540)  

    Ayant examiné le libellé de la résolution qui a lancé la première guerre du golfe Persique, il est maintenant utile de jeter un bref coup d'oeil aux circonstances entourant cette action et de les comparer à celles qui existent aujourd'hui. Je vais le faire très rapidement.

    La justification de la guerre en Irak à la fin novembre 1990 était que l'Irak avait violé la Charte de non-agression de l'ONU en envahissant le Koweit. Le Conseil de sécurité avait déterminé qu'il y avait eu violation de la paix et de la sécurité internationales en raison de cette invasion et avait exigé que l'Irak retire ses troupes du Koweit. On a d'abord essayé des mesures aux termes de l'article 41 n'incluant pas le recours à la force, à commencer par un embargo économique complet établi par la résolution 661. Ces mesures s'étant révélées inopérantes, le Conseil de sécurité a autorisé une intervention de la coalition dans l'éventualité où l'Irak ne se conformerait pas avant une date précise. Une vaste coalition d'États membres de l'ONU, incluant de nombreux États arabes, a appuyé l'intervention de la coalition et y a participé. Bien qu'il y ait eu des inquiétudes quant aux répercussions d'une invasion dirigée par les États-Unis sur la stabilité de l'Irak et du Moyen-Orient en général, on espérait que la présence d'États arabes clés à l'appui de l'intervention atténuerait ces répercussions. Le changement de régime n'a pas été autorisé par le Conseil de sécurité de l'ONU, n'était pas appuyé par la plupart des membres de la coalition et, en fin de compte, les États-Unis n'ont pas tenté de le faire, au moins en partie à cause des craintes des Américains quant aux conséquences sur la stabilité de l'Irak et la cohésion de la coalition.

    À la lumière de ces facteurs, à titre d'ambassadrice au désarmement à l'époque, j'ai appuyé fermement l'autorisation donnée par le Conseil de sécurité de l'ONU en 1990 de recourir à la force contre l'Irak car c'était le seul moyen réaliste d'obtenir que l'Irak se retire du Koweit. Le recours à la force était un dernier recours, et c'était nécessaire pour empêcher le précédent d'une agression armée flagrante et sans opposition dans des circonstances où il était possible de faire quelque chose.

    Telle était donc la situation en 1990, et elle ne saurait être plus différente de la situation qui règne en novembre 2002. La question aujourd'hui n'est pas l'agression de l'Irak, ni même une menace d'agression ou une violation de la paix, mais plutôt le fait que ce pays refuse de façon persistante de se conformer pleinement aux dispositions sur le désarmement de la résolution 687 établissant le cessez-le-feu. L'article 39 de la Charte exige que le Conseil de sécurité détermine l'existence d'une menace à la paix ou d'une violation de la paix ou d'un acte d'agression. C'est seulement sur cette base qu'il peut autoriser des mesures pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. Ainsi, il n'y a pas de corrélation automatique entre une violation substantielle d'une résolution et une menace à la paix et à la sécurité internationales, et bien sûr c'est pourquoi la résolution 1441 stipule que le Conseil de sécurité devra être saisi de toute violation éventuelle pour pouvoir en évaluer la gravité et décider s'il s'agit oui ou non d'une menace à la paix et à la sécurité internationales. Voilà la première différence.

    Une deuxième différence est que l'Irak est sous le coup d'un embargo économique total depuis août 1990. Son armée, créée dans les années 80 grâce à l'aide des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU qui lui ont transféré massivement des armes conventionnelles, a été dévastée durant l'opération Desert Storm. Au cours des sept années qui se sont écoulées entre 1991 et 1998, alors que l'ambassadeur Ekeus était le président de la Commission spéciale de l'ONU, avant que Richard Butler n'occupe ce poste, l'Irak a subi un désarmement considérable pour ce qui est de ses armes de destruction massive. En fait, les inspecteurs de l'ONU ont détruit plus d'armes irakiennes que les forces militaires dirigées par les États-Unis durant l'opération Desert Storm. Il est inconcevable que cette armée puisse être autre chose que l'ombre de ce qu'elle était en 1990.

    Contrairement à la vaste coalition et à l'appui massif qui existaient alors, il y a aujourd'hui de très profondes divisions au sein de la communauté internationale sur la question de savoir si l'Irak constitue une menace à la paix et à la sécurité internationales suffisante pour justifier une attaque, la grande majorité des États dans la région et dans le monde entier étant contre une telle action, tandis que les États-Unis et le Royaume-Uni semblent osciller entre l'appui au désarmement d'une part et à certains jours, et les inspections comme simple prétexte d'une invasion et d'un changement de régime, d'autre part et d'autres jours.

    Toutes les mesures autres que l'autorisation ou l'utilisation de la force n'ont pas été épuisées. Par la résolution 1441, les membres du Conseil de sécurité, à l'unanimité, ont donné le mandat de mettre en place un nouveau régime d'inspection rigoureux, régime auquel il faut accorder l'appui le plus ferme possible, et c'est ce que j'invite le Canada à faire. La résolution elle-même, au paragraphe 11, demande aux États membres d'appuyer catégoriquement les inspecteurs. Au lieu de cela, les États-Unis ont déjà commencé à saper publiquement les efforts de Hans Blix, chef de la mission UNMOVIC, qui est très respecté et extrêmement compétent, et les États-Unis insistent pour dire que même des erreurs non intentionnelles commises par l'Irak devraient constituer une violation substantielle et justifier la guerre.

¹  +-(1545)  

    Étant donné que l'Irak ne pose pas une menace à la paix et à la sécurité internationales suffisante pour motiver une invasion, il n'y a pas de coalition générale favorisant une attaque contre l'Irak. Au contraire, les principaux pays du Moyen-Orient, l'Arabie saoudite par exemple, ont refusé de prendre la moindre part à une telle opération militaire. Même la base des forces aériennes américaines dans la région ne peut pas être utilisée pour cela. Ces pays croient que le conflit israélo-palestinien doit passer en premier, et ils sont très préoccupés par les effets sur la sécurité régionale qu'aurait une invasion américaine de l'Irak dont les buts avoués sont le renversement de son dirigeant et l'occupation subséquente du pays. Enfin, bien sûr, les principaux nouveaux facteurs sont la guerre que mènent les États-Unis contre le terrorisme et la possibilité qu'al-Qaïda se serve de l'invasion de l'Iraq pour lancer de nouvelles attaques contre des cibles occidentales et fomenter une instabilité régionale qui serait grave.

    J'ai donc dressé la liste des différences flagrantes qu'il y a entre la guerre justifiée de 1990 et la guerre non justifiée d'aujourd'hui. Je n'entrerai pas dans les détails, mais j'ai longuement fait état dans mon mémoire de la nature de la menace que pose l'Irak et j'explique pourquoi celle-ci ne justifie pas une invasion.

    En terminant, j'aimerais parler de la doctrine du président Bush concernant la guerre par anticipation, dont l'Irak doit être le premier terrain d'essai, et j'attire votre attention sur une déclaration d'un ancien ambassadeur canadien au contrôle des armements qui a parlé des dangers que pose une guerre par anticipation unilatérale qui serait menée au nom de l'intérêt national. J'ajoute à cela que ce qui est en jeu ici, c'est l'avenir d'un monde qui, au lieu d'être mené par la raison du plus fort, serait régi par un seul système de règles qui nous permettrait de distinguer les bons des méchants. Au coeur de ces règles, il y a la Charte des Nations Unies et la famille d'institutions à laquelle elle a donné naissance, soit un système né des cendres des deux guerres mondiales et acquis au renoncement par tous les pays à l'usage de la force comme principe directeur de tout gouvernement national. Renverser ce système, c'est retourner à l'anarchie.

    En conclusion, je dis à la fin de mon mémoire quelles solutions de rechange il y a à la guerre, le Conseil de sécurité étant unanimement favorable à des sanctions intelligentes, non pas des sanctions cruelles contre le peuple de l'Irak, mais des sanctions ciblées, des contrôles futurs, système qui a déjà été mis à l'épreuve, et accompagné d'un régime d'inspection rigoureux visant le désarmement.

    Je note que la condition que le Canada avait posée à toute participation à une attaque américaine contre l'Irak n'a pas été respectée. Le Conseil de sécurité n'a nullement autorisé le recours à la force. J'invite le Canada à soutenir de son mieux l'UNMOVIC et l'Agence internationale d'énergie atomique dans la tâche qui leur a été confiée par le Conseil de sécurité et, à cette fin, à rappeler le paragraphe 10 de la résolution qui invite tous les États membres à donner leur soutien entier à l'UNMOVIC et à l'AIEA, ce qui comprend la communication de toute information pertinente—à savoir, s'il y a quoi que ce soit dans ces fameux dossiers, qu'on les remette aux Nations Unies.

    Merci beaucoup.

¹  +-(1550)  

+-

    Le président: Merci beaucoup, madame Mason.

    Madame Carroll.

+-

    Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): C'est pour obtenir une information ou une clarification. Je croyais m'être préparée relativement bien, comme mes collègues, mais je n'ai pas le texte de la déclaration de Mme Mason auquel elle a fait allusion dans son témoignage.

+-

    Le président: C'est parce que ce n'est pas un texte officiel...

+-

    Mme Aileen Carroll: J'aurais trouvé très utile d'avoir ce texte devant moi.

+-

    Le président: Merci.

    Nous allons maintenant entendre notre deuxième témoin, M. Ernie Regehr, directeur exécutif de Projet Ploughshares.

+-

    M. Ernie Regehr (directeur général, Project Ploughshares): Merci beaucoup, monsieur le président.

    Je remercie vivement le comité d'avoir accepté de m'écouter. J'ai un texte, que je vais citer en partie et que je vais remettre au comité.

    La résolution 1441, celle qui permet aujourd'hui aux inspecteurs d'entrer en Irak, donne un caractère officiel à au moins trois objectifs complémentaires. Le premier consiste à désarmer l'Irak et à s'assurer que ce pays renonce à recourir aux armements de destruction massive, comme le veut la résolution 687, que Peggy a mentionnée, et non à provoquer un changement de régime. Le deuxième vise à assurer le désarmement de l'Irak dans un contexte multilatéral parrainé par les Nations Unies. Le troisième, c'est prévenir la guerre et non la légaliser.

    Les interprétations contradictoires qu'on donne de la résolution 1441 révèlent que l'approche multilatérale demeure contestée par certains milieux importants aux États-Unis, même si l'interprétation générale qu'on en donne à l'extérieur des États-Unis, surtout dans le monde arabe, veut que les États-Unis adhèrent sans ambiguïté au multilatéralisme. Mais il sera difficile d'imposer cette dernière interprétation, et voilà pourquoi il est très important que le Canada continue de rappeler ce consensus fondamental, soit un désarmement dans un contexte multilatéral qui évite toute guerre.

    Le Canada doit faire diverses choses s'il veut que ces trois objectifs soient atteints. J'en mentionne quelques-unes: faire savoir publiquement et dans le monde entier que ce sont les Nations Unies qui sont les maîtres d'oeuvre de toute action légitime visant l'Irak: réclamer la mise en place d'un processus d'inspection réaliste et crédible; mettre en lumière les dimensions régionales du désarmement de l'Irak; expliquer les coûts probables d'une guerre; et mettre en place des conditions bien comprises qui mèneront à une paix durable. Je ne peux pas expliquer toutes ces suggestions, mais je m'en tiendrai à deux, soit la mise en lumière des dimensions régionales du désarmement de l'Irak et certains des coûts probables d'une guerre.

    La résolution 1441 s'inspire précisément de la résolution 687 de 1991 qui, comme vous savez, interdit à l'Irak de posséder ou d'acquérir des missiles balistiques d'un rayon de plus de 150 kilomètres, ainsi que des armes chimiques, biologiques ou nucléaires ou tout matériel ou toute installation qui permettent d'en fabriquer. La résolution 1441 cite précisément les paragraphes 8 à 13 de la résolution 687.

    Chose très intéressante, le paragraphe 14 qui suit tout de suite après précise le contexte et l'objectif général de la résolution. Dans ce paragraphe, le Conseil de sécurité dit que les mesures que doit prendre l'Irak dans le respect des paragraphes 8 à 13 «s'inscrivent dans une démarche dont les objectifs sont de créer au Moyen-Orient une zone exempte d'armes de destruction massive et de missiles vecteurs ainsi que de parvenir à une interdiction générale des armes chimiques».

    La résolution 687, dans son préambule, dit aussi qu'il est important pour tous les États d'adhérer à l'interdiction des armes chimiques et biologiques. En outre, la résolution rappelle aux États qu'ils doivent prendre tous les moyens à leur disposition pour créer une zone exempte d'armes nucléaires dans la région du Moyen-Orient. Lorsque la Ligue arabe s'est réunie il y a à peine quelques semaines de cela pour discuter de la résolution 1441, elle a réitéré le lien qu'il y a avec le désarmement régional. Dans la résolution 687, le Conseil de sécurité affirmait que les exigences adressées à l'Iraq s'inscrivaient dans l'objectif visant à instaurer un contrôle équilibré et complet des armements dans la région.

    La résolution fait également état du dialogue entre les États dans la région visant à réaliser ce désarmement. Autrement dit, le Conseil de sécurité aussi bien que la Ligue arabe reconnaissent que si l'on veut bel et bien mettre fin aux violations irakiennes des normes internationales concernant les armements de destruction de masse, il faudra ultimement que l'interdiction des armements de destruction de masse s'applique à toute la région et qu'elle s'accompagne d'accords généraux sur la réduction des armes conventionnelles et sur des contrôles dans toute la région.

¹  +-(1555)  

    Il n'est fait aucune mention du fait que l'Irak doit respecter les obligations que lui font le Conseil de sécurité et le traité de non-prolifération concernant le désarmement régional, mais la résolution 687 dit clairement qu'une approche globale du problème de l'Iraq nécessite aussi un examen urgent des autres violations des normes internationales dans la région. Le monde arabe ne s'engagera à prendre part à une résolution constructive de la crise iraquienne que si la communauté internationale est disposée à agir contre tous les États de la région qui acquièrent des armes nucléaires en violation des normes mondiales et des résolutions du Conseil de sécurité.

    Personne ne peut ignorer qu'Israël possède un arsenal nucléaire. La présence d'armes nucléaires en Israël n'autorise nullement l'Irak à acquérir des armes nucléaires, mais cela veut dire que l'arsenal nucléaire d'Israël doit devenir la cible d'une opération de pressions diplomatiques dont l'objet serait le désarmement accéléré de ce pays. Tout particulièrement, rien n'a été fait pour faciliter ce dialogue entre les États de la région, chose que mentionnait pourtant expressément la résolution.

    Question moins pertinente mais tout de même importante, il convient de noter que le respect des obligations du traité de non-prolifération par les États-Unis n'est pas non plus exempt de reproches à deux titres. Il y a d'abord l'aspect général plus politique de ses obligations de désarmement en vertu de l'article 6. À la Conférence d'étude du TNP de 2000, les États-Unis et les autres États nucléarisés ont été vertement critiqués du fait qu'ils ne respectent pas leurs obligations minimales. Question plus pertinente, en second cas, en janvier dernier, des extraits du Nuclear Posture Review américain obtenus subrepticement par la presse révélait que le Pentagone avait identifié l'Irak expressément parmi ces pays pour lesquels il fallait établir des plans d'urgence prévoyant «des frappes nucléaires».

    Ce que cela veut dire, c'est que le Nuclear Posture Review était favorable à la mise au point de plan d'urgence et de moyen pour l'utilisation d'armes nucléaires contre l'Irak, entre autres pays. Cela veut dire aussi que c'est là une violation de la résolution 984 du Conseil de sécurité de 1995 invitant les États nucléarisés à redonner l'assurance qu'ils n'utiliseraient pas d'armes nucléaires ou ne menaceraient pas d'en utiliser contre les pays signataires du TNP qui n'ont pas d'armes nucléaires. Cela contrevient aussi aux résolutions des conférences subséquentes du TNP invitant les États nucléarisés à donner l'assurance ferme qu'ils n'attaqueraient pas les États dépourvus d'armes nucléaires.

    Encore là, le problème, ce n'est pas que la posture nucléaire dangereuse des États-Unis, telle qu'elle a été articulée par le Pentagone, autorise l'Iraq à posséder ou à acquérir des armements de destruction de masse. Le problème, c'est que l'obligation qu'on fait à l'Irak d'engager ses engagements serait plus crédible si les États qui font cette exigence respectaient eux-mêmes rigoureusement leurs obligations internationales fondamentales, sans jouer ce double jeu qui crève les yeux. Si la communauté internationale veut forcer l'Irak à renoncer à tout armement de destruction massive, tous les États doivent s'engager fermement à respecter leurs obligations en vertu du TNP et à prendre des mesures complètes de désarmement dans toute la région, notamment, comme le veut la résolution 687, pour faire de la région du Moyen-Orient une «zone exempte d'armements de destruction de masse».

    Monsieur le président, je vais maintenant dire quelques mots au sujet des coûts d'une guerre contre l'Irak. Il est facile de prédire les erreurs tragiques qui peuvent se traduire au cours d'une guerre, qu'il s'agisse de soldats d'une même armée qui s'entretuent involontairement ou de ses bombes qui tombent sur une noce et bien d'autres. Malheurs inévitables lorsque des opérations militaires complexes sont engagées. Il n'est pas aussi facile de prédire le coût humain total d'une telle entreprise guerrière, mais certains avertissements s'imposent tout de même.

º  +-(1600)  

    D'après un rapport récent de l'Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire, organisation qui a remporté le prix Nobel de la paix, vous le savez sans doute, les pertes, qui sont surtout au civil, se situent entre 50 000 et 250 000. Une étude plus prudente produite par le Oxford Research Group mentionne les coûts de la guerre urbaine dans des villes comme Beirut, et l'on y dit que le nombre de morts civils dans de tels cas est d'au moins 10 000. Mentionnons aussi les ressources que l'on gaspille au cours d'une guerre—tant les ressources externes que les dommages à l'infrastructure iraquienne—les risques d'une instabilité politique généralisée, notamment le risque de terrorisme accru, l'approfondissement de la haine, la revitalisation de l'extrémiste et tout le reste.

    Il convient aussi tout particulièrement de dire que les Américains ne traitent pas de la même façon les États qui n'ont pas d'armes nucléaires mais qui cherchent à en acquérir—l'Irak en particulier—et les États qui reconnaissent en avoir mais qui contreviennent aux normes internationales: Israël, l'Inde, le Pakistan et la Corée du Nord. On refuse de punir ces États-là et on privilégie le dialogue diplomatique, mais on en appelle à la guerre contre les autres, ce qui amènerait tous les États à conclure que la meilleure façon d'éviter toute menace d'opérations militaires, c'est de se procurer le plus vite possible des armes nucléaires.

    Permettez-moi de dire une dernière chose au sujet des solutions de rechange. Recherchez une solution de rechange à la guerre n'est pas simplement une option qui s'offre à tous les États; c'est une obligation que la Charte des Nations Unies impose à tous ses États membres. L'article 33 de la Charte dit: «Les parties à tout différend [...] doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d'enquête, de médiation, de conciliation, d'arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d'autres moyens pacifiques [...]».

La Charte exige que le recours à la force soit le dernier recours une fois que toutes ces mesures auront été prises, il serait donc utile que le Conseil de sécurité produise des rapports détaillés montrant quels moyens ont été pris dans le respect de l'article 33.

    En conclusion, monsieur le président, les conditions préalables à toute opération militaire contre l'Irak—et Peggy Mason l'a dit aussi—sont absentes. Un manquement tangible à la résolution 1441—et personne n'a encore prouvé qu'il y en ait eu—, ce n'est pas la même chose qu'une menace imminente à la paix et la sécurité internationales. La communauté internationale doit maintenant procéder à des inspections complètes et pratiquer la diplomatie du désarmement. Toute l'action canadienne doit être vouée à cela également.

    Merci.

º  +-(1605)  

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Regehr.

[Français]

    Nous passons maintenant à M. Houchang Hassan-Yari, qui est professeur de sciences politiques au Collège militaire royal du Canada.

    Monsieur le professeur, s'il vous plaît.

+-

    M. Houchang Hassan-Yari (professeur de sciences politiques, Collège militaire royal du Canada): Merci bien, monsieur le président, pour l'invitation. C'est un plaisir pour moi d'être de retour.

    Le document que j'ai fait circuler donne les grandes lignes de ce que je vais tenter de présenter dans cette période limitée de dix à douze minutes qui m'est allouée. Si j'ai insisté dans ce document sur l'historique de la participation du Canada dans les affaires du Moyen-Orient et si j'ai, en particulier, lié la crise irakienne à la question palestinienne, c'est que j'essaie de présenter le point de vue de la région au lieu de répéter ce que mes illustres collègues ici présents viennent de présenter avec beaucoup d'éloquence.

    D'abord, j'insiste sur le fait que le Canada a toujours joué un rôle positif au Moyen-Orient. Je veux, en premier lieu, parler du rôle que le Canada a joué dans la création de l'État d'Israël et du rôle particulièrement important et décisif du duo Pearson-Rand dans la partition de la Palestine, en 1947, et la création d'Israël l'année suivante. Je veux également mentionner le rôle décisif du Canada dans la crise de Suez, en 1956, qui a conduit à la création d'une force de maintien de la paix au sein de l'Organisation des Nations Unies et permis à M. Pearson de recevoir le prix Nobel de la paix. C'était ce que j'appelle « l'âge d'or de la diplomatie canadienne ». Puis, il y a aussi le rôle que le Canada a joué ou qu'il était en train de subir, en quelque sorte, après la guerre d'octobre 1973, dans le contexte de l'embargo pétrolier. Heureusement pour le Canada, on peut dire qu'il a été épargné de justesse. Ensuite, il y a le rôle que le Canada a joué lors de la guerre du Koweït de 1991. Le Canada a eu un rôle important, mais certains au Moyen-Orient y ont vu une sorte de contradiction par rapport à la politique traditionnelle du Canada, c'est-à-dire une politique axée sur la participation aux missions de maintien de la paix plutôt qu'à la guerre. Toutefois, comme on vient de le souligner, l'objectif étant louable, c'est-à-dire mettre fin à l'agression, cette participation canadienne n'a pas fait, en réalité, trop de tort aux intérêts canadiens dans la région. Cette guerre du Koweït a conduit à un processus de paix lancé à Madrid et qui s'est poursuivi à Oslo, processus qui est aujourd'hui bloqué et dans une situation absolument lamentable.

    Finalement, ce repli continental du Canada depuis 1993, avec l'arrivée au pouvoir des libéraux, fait qu'on s'intéresse davantage aux questions économiques. En quelque sorte, on assiste à un certain recul de la politique que je qualifierais d'«agressive»--dans le bon sens du terme--et traditionnelle du Canada, c'est-à-dire jouer le rôle d'intervenant dans le désarmement, dans le maintien de la paix, etc.

    Le deuxième point dans le document insiste sur la question palestinienne qui est à l'origine, à mon avis, de la plupart des problèmes au Moyen-Orient, y compris ceux qui nous préoccupent aujourd'hui. Dans le contexte de cette question palestinienne, je peux dire que la sécurité d'Israël n'est pas protégée par ce qui se passe dans les territoires occupés. Autrement dit, l'occupation des territoires arabes et palestiniens, et arabes en général, ne donne nullement la sécurité aux Israéliens. On assiste donc à un nombre important de contradictions et d'incompatibilités dans cette politique israélienne et, par extension, américaine.

    La continuation de la question du problème palestinien renforce--et ici, j'insiste sur le mot renforce--la position des extrémistes et affaiblit celle des modérés et des démocrates dans la région. Par conséquent, au cours des années et avec la continuation de cette question palestinienne, ce sont tout simplement les extrémistes qui vont profiter de la situation, comme on l'a vu d'ailleurs le 11 septembre.

º  +-(1610)  

    Je parlerai maintenant un petit peu de la crise irakienne et de la réponse canadienne. Je pense que le Canada a un rôle à jouer dans cette mésaventure qui est en train de se préparer. C'est une guerre à éviter absolument. Il ne faut pas donner raison aux extrémistes dans la région du Moyen-Orient qui parlent d'un conflit entre l'islam et le monde occidental. C'est comme ça que se pose la question dans la région du Moyen-Orient. Autrement dit, ce qui manque au Moyen-Orient, ce n'est pas la guerre mais la paix, effectivement.

    Donc, si les Américains font une autre guerre, ce qu'ils feront à mon avis, cela va tout simplement ajouter d'autres problèmes aux problèmes déjà lourds dans la région du Moyen-Orient. C'est pourquoi, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, toute guerre affaiblira le mouvement lent vers l'ouverture, vers la démocratisation qu'on voit dans un certain nombre de pays, comme le Bahreïn, l'Iran, la Jordanie et le Liban. Par conséquent, une autre guerre ne peut qu'affaiblir les mouvements démocratiques et renforcer la position de ben Laden. C'est pourquoi je parle ici de la naissance du nouveau ben Laden advenant une autre guerre ou la non-résolution du conflit israélo-palestinien ou israélo-arabe en général.

    Je pense que le Canada est dans une position particulièrement intéressante pour jouer le rôle qu'il a joué traditionnellement comme intermédiaire à cause de sa proximité et de ses bonnes relations avec les États-Unis. Il est temps que le Canada recule de la position prise par M. Chrétien et M. Graham pour effectivement remettre en question cette bonne diplomatie compatible et qui s'installe à la Maison-Blanche. Donc, le Canada peut effectivement jouer un rôle et rappeler aux Américains leurs obligations internationales et, par conséquent, éviter une autre guerre.

    Le Canada a également une responsabilité morale et internationale en ce qui concerne ce conflit israélo-palestinien, ce conflit israélo-arabe qui empoisonne l'ensemble des relations du monde arabe ou musulman avec l'Occident en général, probablement aussi avec le Canada. Par conséquent, le Canada, qui a participé très activement à la création de l'État d'Israël, peut cette fois-ci jouer un rôle dans l'exécution ou pour donner suite à l'autre moitié de la résolution 181 qui a donné naissance à Israël, pour créer un État palestinien qui, ultimement, ne peut que servir les intérêts israéliens et--j'insiste--les intérêts palestiniens et la paix dans le monde.

    Ensuite, je m'interroge sur le lendemain, sur ce qui arriverait si, par exemple, l'Irak était attaqué et qu'une guerre était déclenchée. D'abord, il faut insister sur les questions relatives à l'exécution d'une guerre contre l'Irak. Vous avez sans doute entendu le nombre de soldats américains impliqués, de 200 000 à 250 000, qui envahiraient le sud de l'Irak dans l'espoir que les Kurdes viendraient du nord, etc. Donc, est-ce qu'il s'agit d'une force massive ou tout simplement de bombardements? Les bombardements seuls ne feront pas le travail, ce qui signifie qu'il faudra une invasion terrestre.

    Ensuite, quelle sera la durée de cette guerre? Les plus optimistes parlent de quelques semaines; les plus pessimistes parlent de quelques mois. Je ne pense pas qu'une telle guerre va être exécutée dans l'espace de quelques semaines, mais ça sera une guerre assez longue.

    Ensuite, de quelle manière les chiites, c'est-à-dire la majorité de la population irakienne, et une minorité quand même importante, les Kurdes, sans oublier les autres groupes irakiens, vont agir lors de cette guerre? Si jamais la guerre aboutit à la disparition du régime irakien, quelle sera la nature du nouveau régime? Est-ce qu'il s'agira d'une administration d'un régime géré par les Américains?

º  +-(1615)  

    Vous avez sans doute entendu parler du scénario selon lequel le général Franks serait le maître de Bagdad pendant un certain temps. À cet égard, il faut simplement rappeler certains faits historiques. Les Anglais ont fait la même chose au début du 20e siècle et ça n'a pas fonctionné longtemps. Or, cela indique que les Américains ne devraient pas adopter cette solution.

    En outre, s'agit-il d'un régime indigène provenant de l'Irak? Si c'est le cas, où en est-on avec la question de la démocratisation de l'Irak? Ces jours-ci, on insiste énormément sur la nature agressive, belliqueuse et dictatoriale du régime irakien. Est-ce que le nouveau régime sera, comme certains le disent à Washington, géré par un autre général? Cela signifierait un autre recul de plusieurs années.

    Si, par contre, le système devait se démocratiser, quelle serait la place de différentes communautés irakiennes? Par exemple, est-ce que, du fait qu'ils constituent la majorité de la population, les chiites obtiendraient le pouvoir politique? Si c'était le cas, est-ce que les Américains seraient contents de voir un autre régime chiite dans le voisinage immédiat de l'Iran, avec tous les problèmes que ça pourrait causer, du moins selon la perception des Américains? C'est une autre question à laquelle, pour le moment, il n'y a pas de réponse.

    Il y a aussi la question de l'intégrité territoriale de l'Irak. Est-ce qu'il s'agira d'un Irak déchiré, le nord se séparant puis le sud et le centre devenant en quelque sorte une annexe à tel ou tel État. Selon une autre idée qui circule présentement, il s'agirait de créer une sorte de fédération suffisamment flexible pour donner assez d'espace aussi bien aux Kurdes qu'aux chiites et à d'autres afin qu'ils restent au sein de la fédération. On pourrait ouvrir ici une parenthèse et préciser que la désintégration du territoire irakien n'est nullement souhaitable, ni pour l'Irak ni pour les pays qui l'entourent, pour la simple raison qu'elle engendrerait la dislocation d'autres territoires parmi lesquels la Turquie, membre de l'OTAN et pays important à la fois pour les intérêts occidentaux et la stabilité du Moyen-Orient.

+-

    Le président: Professeur, pourriez-vous conclure, s'il vous plaît?

+-

    M. Houchang Hassan-Yari: D'accord.

    L'impact de la guerre sur la région n'est pas absolument évident. Disons, pour conclure, qu'il est nécessaire que la résolution 1441 soit appliquée à la lettre et que durant cette période, les Américains se contrôlent. Autrement dit, Il faut donner une chance à la communauté internationale et surtout, il ne faut pas permettre aux Américains d'exécuter ceux qui tentent d'effectuer un changement de régime en Irak. Un tel développement créerait d'autres problèmes au Moyen-Orient et serait par conséquent néfaste pour les intérêts de l'ensemble de la communauté internationale, y compris le Canada.

    Merci.

+-

    Le président: Merci beaucoup, professeur.

    Nous allons maintenant passer à M. Sami Aoun, qui est professeur de sciences politiques à l'Université de Sherbrooke. Monsieur le professeur, la parole est à vous.

+-

    M. Sami Aoun (professeur de sciences politiques, Université de Sherbrooke): Monsieur le président, je suis ravi et honoré d'aborder devant cette assemblée cette question assez épineuse, qui risque d'ouvrir une boîte de Pandore dans la région du Moyen-Orient.

º  +-(1620)  

    Si vous me le permettez, je vais articuler mon intervention autour de quatre questions. Premièrement, quelle serait la lecture la plus objective que pourrait faire la diplomatie canadienne des stratégies américaines? Deuxièmement, quelle serait la lecture la plus appropriée que pourrait faire la diplomatie canadienne du régime irakien lui-même, du président Saddam Hussein, de sa survie et de ses manoeuvres? Troisièmement, comment pourrions-nous être utiles aux mouvements d'opposition irakiens et, surtout, comment pourrions-nous ne pas tomber dans l'éloge du despotisme irakien et prêter peut-être une oreille plus attentive aux malheurs du peuple irakien lui-même? Quatrièmement, quels sont les scénarios d'avenir dans cette région, et quelle est la probabilité d'une guerre par opposition à un renversement de régime que je verrais définitif, qui est peut-être une façon de redessiner la carte du Moyen-Orient, puisque ce Moyen-Orient n'a jamais joui d'un changement politique à cause des dynamiques internes, mais le plus souvent à cause de facteurs externes?

    Pour ce qui est de la diplomatie canadienne et des changements à la stratégie américaine sur la question irakienne, il est bien évident que sous l'administration de M. George W. Bush, cette stratégie est davantage dictée et conditionnée par une nouvelle orientation néo-conservatrice qui vise essentiellement et premièrement à remettre l'Irak dans la zone d'influence occidentale en général et américaine en particulier. En ce sens, je crois que l'administration américaine est bien déterminée à en finir avec l'endiguement de l'Irak pour faire de ce pays un client docile, un État qui est dans la sphère d'influence américaine. Les Américains peuvent atteindre cet objectif avec les stratégies des néo-conservateurs et de M. George W. Bush. On a vu la valse très réussie de M. Bush au Conseil de sécurité. Il a bien joué les faucons et les colombes de son administration pour atteindre cet objectif qui, à mon sens, est stratégique.

    Je crois qu'une fois que l'Irak sera un État client, les Américains voudront continuer d'exercer de la pression sur au moins deux régimes: l'Iran, d'un côté, pour accentuer le mouvement de réforme du président Khatami et affaiblir le mouvement conservateur qui est peut-être un obstacle à la maturité de l'Iran et à son changement de la logique de la révolution à la logique étatique; la Syrie, de l'autre côté, à qui on demanderait d'être un peu plus docile aux stratégies américaines, même si la Syrie est l'un des pays qui ont le plus collaboré avec les Américains après le 11 septembre au niveau de la sécurité.

    Il y a un troisième pays qu'on peut ajouter, auquel les Américains veulent donner une leçon: l'Arabie Saoudite. Ils veulent donner une double leçon à ce pays: tout d'abord, le déclasser comme pourvoyeur d'argent du mouvement wahhabite, qui a donné naissance à Oussama ben Laden et, deuxièmement, le déclasser comme l'un des fournisseurs essentiels de pétrole aux États-Unis et, donc, comme un joueur essentiel dans la prise de décisions politiques des Américains.

    Cela étant dit, sur ce point, les Américains ont un autre objectif qu'ils veulent atteindre au moyen de la guerre en Irak: c'est de consolider leur alliance avec la Russie au niveau du pétrole. Les Américains veulent recréer un Irak capable de fournir du pétrole au marché international afin de réduire la dépendance américaine à l'égard de l'Arabie Saoudite, mais aussi inviter la Russie à entrer dans le club des producteurs pétroliers et peut-être--on est ici au niveau des extrapolations--faire en sorte que s'effondre l'OPEP, l'Organisation des pays exportateurs de pétrole.

º  +-(1625)  

    Un autre objectif possible de la stratégie américaine que la diplomatie canadienne devrait peut-être prendre en considération, c'est le lien entre un État paria et les connexions avec des groupes terroristes et des groupuscules. L'Irak est un État paria et, même s'il prétend être «séculaire»--il ne l'est presque plus--, il est capable de faire des connexions, des guerres en procuration à des groupes terroristes. En ce sens, ce ne sont pas nécessairement les armes de destruction massive qui intéressent les Américains, mais plutôt la nature du régime lui-même qui, pour survivre, pourrait devenir menaçant plus tard, si ce n'est tout de suite.

    Un autre objectif essentiel de la diplomatie américaine, c'est celui de faire sortir Israël de sa crise existentielle. Israël vit une crise existentielle avec le conflit palestinien. Les Israéliens n'arrivent pas à trouver une solution consensuelle pour libérer les territoires occupés et donner naissance à un État palestinien. Donc, les Américains veulent peut-être rendre possible une ouverture de ce dossier en déchargeant Israël d'un certain fardeau démographique palestinien.

    Maintenant, au niveau du régime irakien lui-même, selon ma lecture plutôt personnelle de la situation, le régime a épuisé toutes ses manoeuvres pour sa survie politique. Il ne s'ouvre pas; il est incapable de s'autoréformer; il mise simplement sur le temps et sur des tournures de surprise dans la région. Pratiquement, même si Oudaï, le fils du président Saddam Hussein, a donné un message quand il a prié le parlement irakien de voter en faveur de la résolution, c'était simplement un message pour dire que le régime était capable de changer dans la continuité. Ce changement dans la continuité n'est pas crédible pour l'instant. Je crois que le régime irakien vit plutôt une crise existentielle à laquelle il lui sera très difficile de survivre, sauf s'il y a des maillons faibles dans le triangle Washington-Paris-Moscou. Dans une telle situation, il trouvera peut-être un maillon pour prolonger un peu sa survie.

    Pour ce qui est de la question des mouvements de l'opposition, la diplomatie canadienne devrait aussi prendre en considération le changement vers un monde post-westphalien: c'est-à-dire que l'État n'est plus souverain. D'ailleurs, si la résolution du Conseil de sécurité a fait quelque chose, c'est de dénuder l'Irak de sa souveraineté. L'Irak est maintenant sous tutelle presque totale, et M. Blix pourrait certainement être le seul qui déciderait de la guerre et de la paix en Irak. Je dirais presque que les mouvements d'opposition irakiens ont besoin d'être écoutés par des diplomaties comme la diplomatie canadienne. C'est vrai que les mouvements d'opposition irakiens ont des problèmes internes. Ils n'ont pas atteint un consensus au sujet d'un Irak post-Saddam Hussein. Il y a toujours ces clivages d'ordre ethnique, d'ordre régional et d'ordre confessionnel, mais il semble qu'au cours des derniers jours ou même des dernières heures, des médiateurs américains ont fini par préparer une plateforme pour rallier ces mouvements d'opposition, en insistant pour qu'il y ait simplement 300 délégués irakiens. Les chances de M. Ahmed Chalabi sont maintenant plus sérieuses qu'auparavant. On essaie de calmer le centre arabo-sunnite qui a toujours gouverné l'Irak et qui est à la veille de perdre ce pouvoir central en faveur de la majorité chiite. Les chiites eux-mêmes ont lancé des messages assez intéressants, qu'il faut décoder très vite, selon lesquels l'Iran est dans une position neutre, dans une neutralité assez positive, quant à un renversement du régime irakien. Personne en Iran ne veut verser des larmes sur celui qui a enclenché une guerre contre ce pays. Deuxièmement, les figures chiites les plus proéminentes ont déjà signifié que le seul tableau qu'ils n'acceptent pas est celui de l'invasion et de l'occupation complète de l'Irak, et de l'imposition d'un leader américain à la japonaise, comme MacArthur, qui deviendrait un nouveau shogun en Irak. Il n'y a pas de shogun en Irak. Malheureusement, il y a simplement des dictateurs qui font alterner le pouvoir.

º  +-(1630)  

    En conclusion et pour les scénarios d'avenir, je crois qu'il y a une constante et que la diplomatie canadienne, sans tomber dans un pacifisme béant et sans être belliqueux, ce qui n'est pas approprié au Canada, doit considérer que cette région, l'Irak en particulier, n'a jamais connu un changement politique interne valable sans intervention externe, et cela dans son histoire récente depuis 1916, en particulier depuis l'accord Sykes-Picot.

    Alors, ce qui est devant nous, c'est ce défi. Les Américains, veux, veux pas, portent un projet de changement. Qu'il soit révolutionnaire ou réactionnaire, la question n'est pas là. La question est que nous sommes à la veille d'une offensive pour changer le régime irakien et insuffler de nouvelles valeurs dans la région. Je crois que cette guerre serait moyennement probable jusqu'à mars 2003. Il faut bien comprendre, même si le discours ne le montre pas, que les Américains cherchent certainement n'importe quelle provocation pour renverser le régime. Le régime, c'est ce qui fait peur aux Américains, et non pas les armes de destruction massive. Alors, c'est comme ça si on lit bien le discours américain et ses stratégies. Donc, mars 2003, je crois, est la date fatidique pour des conditions climatiques et militaires.

    Quel est le nouveau régime possible? Je crois que les Américains, surtout les néo-conservateurs--et il y a un intérêt dans la région pour ce régime--, feront d'abord une rupture totale avec le wahabisme, c'est-à-dire l'idéologie de l'Arabie-Saoudite qui a été son cheval de Troie depuis l'après-Deuxième Guerre mondiale. Je crois que les Américains misent aujourd'hui sur un islam libéral, sur un islam concilié avec quelques valeurs de la démocratie. Preuve en est le message qui a été envoyé par l'administration américaine lors de la victoire des islamistes turcs. Les Américains ont menacé l'armée turque de ne pas bouger, et laissez ces islamistes prendre le pouvoir. C'est la première chose.

    Deuxièmement, on voit cette laïcité turque qui a besoin d'un ingrédient islamique. On voit, de l'autre côté, l'Iran qui, avec le président Khatami, met aussi une petite dose de laïcité dans son régime. Donc voilà, c'est ce qu'on cherche: une solution mitoyenne sans intégrisme ni panarabisme dictatorial qui a déjà fait un fiasco avec le parti Baas.

    Si cette réforme échoue, ce qui est souhaitable car elle est utopique en quelque sorte, à ce moment-là, la boîte de Pandore va s'ouvrir et les Américains auront davantage intérêt à dépecer l'Irak en vue de changer les puissances régionales dans le monde et peut-être de brasser les cartes d'une autre façon pour que leur domination, leur pax americana soit plus possible.

    Merci beaucoup.

+-

    Le président: Merci beaucoup, professeur Aoun.

[Traduction]

    Nous allons maintenant passer aux questions, et je tiens seulement à rappeler aux collègues qu'ils ont cinq minutes pour poser leurs questions et entendre les réponses aujourd'hui.

    Monsieur Day, s'il vous plaît.

+-

    M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne): Je vais poser quelques questions dans le respect du temps qui m'est imparti.

    Ma première question s'adresse à Mme Mason. Elle dit qu'il n'y a pas de rapport entre un manquement tangible de l'Iraq et une menace à la paix et à la sécurité. Mais nous parlons d'un homme qui a fait gazer des milliers de ses compatriotes, a envahi d'autres pays et lancé des missiles sur ses voisins. S'il n'y a pas de rapport entre un manquement tangible et une menace à la paix et à la sécurité, pourquoi les Nations Unies se donne-t-elle autant de mal? Pourquoi s'inquiéter? C'est ma première question.

    De même, en 1991, lorsque M. Blix a été humilié—ce sont ses mots—lorsque le régime iraquien lui a menti au sujet du potentiel de mise au point d'un programme d'armes nucléaires... Comme vous savez, par après, des transfuges ont révélé que c'était un mensonge. Il ne s'est jamais remis de cette humiliation. Quel type de mesure de protection supplémentaire a-t-on mis en place, croyez-vous, pour épargner de nouvelles humiliations à M. Blix dans son travail si nécessaire?

    Quelles mesures a-t-on prises à votre avis pour s'assurer que, contrairement à ce qui s'est passé la dernière fois...? Au cours des 10 dernières années, près de 280 inspections ont eu lieu mais seulement six ont été faites sans préavis, il s'agissait de visites surprises à certains sites. Croyez-vous que cela va changer?

[Français]

    Monsieur Hassan-Yari, on a dit que le gouvernement du Canada devait repenser sa position envers l'Iran. Est-ce que vous avez dit que ce n'est pas une bonne chose que d'avoir donné notre appui aux résolutions?

[Traduction]

    Ma question s'adresse au représentant de Ploughshares. Vous avez dit qu'il n'avait pas été établi qu'il y avait eu violation patente. Or, l'article 1 de la résolution affirme que l'Irak a été et demeure en violation patente de ses obligations. N'êtes-vous pas d'accord avec moi pour dire que cela a été établi par les Nations Unies?

    Monsieur Aoun, vous avez parlé d'ouvrir une boîte de Pandore au Proche-Orient. Il me semble que la boîte de Pandore des groupes terroristes est déjà ouverte et que ces groupes se trouvent maintenant un peu partout dans le monde. Les habitants de Bali peuvent malheureusement en témoigner. Ne croyez-vous pas que la boîte de Pandore du Proche-Orient a déjà été ouverte?

    Vous avez dit que nous devons écouter l'opposition en Iraq. Je suis très sensible à cette remarque, faisant moi-même partie de l'opposition ici. Moi et mes collègues savons ce que c'est que ne pas être écouté. Mais ne croyez-vous pas que les États-Unis mais aussi la coalition ont reconnu l'importance de l'opposition et écouté ses préoccupations? Nous savons même que ceux qui seraient disposés à former un régime démocratique quelconque, si je peux employer le mot régime, ont déjà été choisis. Compte tenu de ce fait, ne croyez-vous pas qu'il y a lieu d'être optimistes?

    Vous avez fait mention des Sunnites et des Shiites, et on en a déjà parlé. Par exemple, on continue de s'inquiéter de l'influence qu'exerce la Syrie sur le gouvernement du Liban. On a trouvé une façon d'équilibrer le pouvoir par le biais des postes de président et de président de l'assemblée. Ne croyez-vous pas que cela pourrait marcher?

    Merci de bien vouloir répondre à mes questions.

º  +-(1635)  

+-

    Le président: Allez-y, monsieur Harvard.

+-

    M. John Harvard (Charleswood —St. James—Assiniboia, Lib.): J'invoque le Règlement. Monsieur le président, juste avant que M. Day ne prenne la parole, vous avez signalé qu'il disposait de cinq minutes pour poser sa question et permettre au témoin de répondre. Il vient de poser quatre longues questions à quatre témoins distincts. Il est impossible pour ces quatre témoins de nous donner une réponse raisonnable en cinq minutes. Il les a placés dans une situation impossible.

    Il me semble que vous devriez respecter la limite de temps. À la fin des cinq minutes, vous devriez céder la parole au prochain intervenant même si seulement un témoin a eu le temps de répondre. M. Day a été très injuste à l'égard des témoins compte tenu du fait qu'il ne dispose que de cinq minutes.

+-

    M. Stockwell Day: Puis-je répondre?

+-

    Le président: Non, ce n'est pas nécessaire.

+-

    M. Stockwell Day: Sauf votre respect, monsieur, je tiens à répondre.

    Chaque fois que je prends la parole, ce monsieur s'agite. Nous avons accordé à ces excellents témoins plus que les 10 minutes prévues. S'il leur faut à chacun plus de 60 secondes pour répondre aux questions—contrairement à ce que je pense... je sais que je presse les témoins, mais c'est tout notre comité qui est pressé par le temps. Vous avez eu la gentillesse de leur accorder à chacun plus de 10 minutes. Je demande qu'on ait encore la gentillesse de leur donner un peu plus d'une minute pour répondre à mes questions. M. Harvard devrait plutôt écouter; il apprendrait peut-être quelque chose.

+-

    Le président: Merci à vous deux de vos observations. Nous vous en savons gré.

    À titre d'information, je vous signale que M. Day a utilisé 3 minutes 15 secondes de son temps.

    Nous commençons par madame Mason, le plus brièvement possible, je vous prie. Merci.

+-

    Mme Peggy Mason: Merci beaucoup. Je ferai de mon mieux.

    Vous trouverez plus de détails à ce sujet dans notre mémoire, mais il ne fait aucun doute qu'une violation patente des obligations prévues par une résolution—ce qui peut être, par exemple, comme dans le cas de la résolution 1441, remplir des formulaires avant une date précise—ne constitue pas en soi une menace pour la paix et la sécurité internationales. C'est le conseil qui doit déterminer cela d'abord. L'Irak a-t-il violé de façon patente ses obligations aux termes de la résolution? Cette violation constitue-t-elle une menace pour la paix et la sécurité internationales suffisante pour justifier le recours à la force? Il faut d'abord que se tienne ce processus. Dans certains cas, il se peut fort bien que la violation en question ne constitue pas une menace pour la paix internationale. Hans Blix a déclaré que, à son avis, une crevaison en route vers un lieu devant être inspecté ne constitue pas une menace pour la paix et la sécurité internationales suffisante pour justifier une déclaration de guerre. C'est là ma réponse à votre première question.

    Pour répondre à votre deuxième question, je suis heureuse que vous ayez parlé de Blix. En fait, il n'a pas du tout été humilié. Ce dont vous avez parlé, c'est des inspections qui ont été menées en vertu du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, à l'époque où les États membres ne permettaient pas à l'Agence internationale de l'énergie atomique de mener des inspections ailleurs qu'aux endroits désignés. Il agissait donc alors sous l'égide... Déjà à l'époque, certains pays dont le Canada réclamaient que l'on fasse plutôt des inspections spéciales. Les États-Unis étaient l'un des pays contre cette idée. Heureusement, ça a changé.

    Quoi qu'il en soit, Blix ne travaille plus dans ce cadre; dorénavant, et cela m'amène à la troisième question, il peut mener des inspections n'importe quand, n'importe où, là où il le veut et sans préavis. Vous avez raison d'insister là-dessus, car c'est fondamental. Il l'a dit clairement; il ne jouera pas au chat et à la souris. Il a aussi déclaré que, à son avis, il sera extrêmement important de savoir où se trouvent les différents sites afin qu'il puisse y aller sans préavis.

º  +-(1640)  

+-

    Le président: Merci, madame Mason.

    Monsieur Hassan-Yari, vous avez la parole.

+-

    M. Houchang Hassan-Yari: Je serai bref, car je ne veux surtout pas suscité la bisbille entre les membres du comité. Je tiens à dire qu'il est tout à fait juste que le Canada appuie cette résolution, car cela fait partie de ce pourquoi le Canada était connu auparavant, le multilatéralisme. Encore une fois, nous sommes extrêmement heureux que les États-Unis appuient aussi la résolution.

+-

    Le président: À vous la parole, monsieur Regehr.

+-

    M. Ernie Regehr: Peggy Mason a déjà répondu à votre question sur la violation patente. La mise en oeuvre de la résolution 1441 ne fait que commencer. Il n'a pas encore établi qu'il y ait eu violation patente de cette résolution, cela reste à déterminer. Il est certain que l'Irak a violé ses obligations prévues par le traité sur la non-prolifération et n'a pas encore prouvé qu'il respectait entièrement ses obligations aux termes de la résolution 687. Mais en ce qui a trait à la résolution 1441, il n'a pas encore été établi qu'il y avait violation patente.

+-

    Le président: Monsieur Aoun.

+-

    M. Sami Aoun: Vous avez raison de dire que le terrorisme n'est pas un phénomène nouveau au Proche-Orient. On trouve un héritage de violence politique dans les sociétés et cultures de cette région. Lorsque j'ai parlé d'une boîte de pandore, je ne parlais pas d'une nouvelle forme de terrorisme; je parlais plutôt d'une nouvelle ère d'instabilité dans cette région.

    En ce qui concerne la démocratie, il existe une forme de démocratie française,

[Français]

la démocratie consociative, que l'on pourrait vraiment implanter en Irak. C'était le cas en Irak avant 1958. Il y a, dans l'héritage islamique, une possibilité pour une démocratie avec une forme libérale consociative, une alternance de pouvoir. Il y a une possibilité, et la démocratie est quand même acceptée par de larges factions de la société irakienne.

+-

    Le président: Merci, monsieur Aoun.

    Madame Lalonde, s'il vous plaît.

+-

    Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Je vous remercie de vos présentations extrêmement substantielles. J'en ai entendu plusieurs.

    Le Boston Globe nous apprend ce matin que ce qui semble embêter Washington, c'est que Saddam Hussein veut collaborer, dit-on. Souhaitons cela, et souhaitons aussi qu'il soit désarmé et qu'il ne soit pas le dernier dans la région à l'être. Comme parlementaires, nous avons à nous préparer. Nous sommes de l'opposition et nous sommes inquiets, pour toutes les raisons que vous avez tous énoncées, des répercussions d'un éventuel conflit, mais soyons plus précis. Nous souhaitons donc qu'il soit désarmé, mais s'il arrivait une situation où les États-Unis seuls décidaient qu'il y a effectivement un manquement grave ou que tout le Conseil de sécurité décidait qu'il y a effectivement un manquement grave et donnait donc le feu vert à une action, quelle devrait être la position du Canada? Nous serons consultés et nous aurons à nous prononcer. Nos concitoyens sont inquiets. Au Québec, il y a beaucoup d'inquiétude, et je suis certaine qu'il y en a aussi dans le reste du Canada.

    Donc, quelle doit être notre position au regard du droit international, mais aussi au regard du rôle que le Canada a joué dans l'histoire de la région, dont vous avez parlé, et du rôle qu'il peut jouer? Comme parlementaires, nous n'avons pas le moyen d'empêcher les États-Unis d'y aller, mais si les États-Unis font quelque chose unilatéralement, ou si tout le Conseil de sécurité dit qu'on peut y aller, les Canadiens et les parlementaires, y compris ceux du Bloc québécois, vont se demander s'il ne vaudrait pas mieux que le Canada se réserve pour la reconstruction, compte tenu du rôle qu'il a joué et, également, de sa capacité militaire—ce qui sera un argument secondaire. J'aimerais vous entendre tous là-dessus. J'aimerais que vous évoquiez les conséquences internes et externes dans la région d'une frappe unilatérale ou d'une action du Conseil de sécurité.

º  +-(1645)  

+-

    Le président: Merci. Nous allons commencer par M. Hassan-Yari, s'il vous plaît.

+-

    M. Houchang Hassan-Yari: J'ai parlé un peu des Forces armées canadiennes à la fin de ma courte présentation. Je pense que nous ne sommes pas matériellement en mesure de jouer un rôle très important là-bas. Nous pourrions envoyer encore quelques avions, comme nous l'avons fait dans le passé, mais cela ne réglerait pas le problème. D'autre part, nous sommes persuadés que, si la guerre devait éclater, les Américains auraient amplement les moyens de la faire.

    Une des questions que vous avez soulevées est, à mon avis, fondamentale: c'est la question de la reconstruction de l'après-guerre. Il faut qu'il y ait là une division du travail. Certains pays sont capables de travailler sur le plan militaire et d'autres peuvent faire autre chose, notamment la reconstruction physique mais également la reconstruction sur le plan démocratique, sur le plan de la santé, sur le plan de l'éducation, etc. Autrement dit, il ne faut pas répéter l'échec qui est en train de se produire en Afghanistan.

[Traduction]

+-

    Le président: Avez-vous des remarques à faire, monsieur Regehr?

+-

    M. Ernie Regehr: Très brièvement, ce ne sont pas les États-Unis qui détermineront si la guerre est légale. Pour ce qui est de savoir si les États-Unis décideront de déclarer la guerre ou non, c'est une autre question. Il y a un fondement juridique, on l'a déjà expliqué: la violation d'une résolution ne signifie pas une violation de la paix et de la sécurité internationales suffisante pour justifier une attaque militaire.

    Je tiens à signaler que nous vivons un moment extraordinaire, car nous avons atteint un niveau extraordinaire de consensus au sein de la communauté internationale. C'est un consensus très vaste qui regroupe l'Union européenne—à l'exception du Royaume-Uni—et la Ligue arabe, un consensus qui appuie les demandes strictes faites à l'Irak de désarmer et d'éviter les actes de guerre. C'est là le fondement du consensus sur cette résolution et du vote de la Syrie. C'est ce sur quoi nous devons tabler si nous voulons que la démarche continue de porter des fruits. Ce n'est qu'avec ce consensus que nous pourrons continuer d'exercer des pressions sur Saddam.

[Français]

+-

    Le président: Madame Mason.

+-

    Mme Peggy Mason: Merci infiniment.

    Si vous me le permettez, je vais répondre à vos questions en anglais.

[Traduction]

    Ce sont là de très bonnes questions. La situation est si grave que... Permettez-moi de citer l'ancien secrétaire de la Marine James Webb qui a prononcé un discours récemment à la Monterey Naval Postgraduate School sur sa préoccupation quant à l'absence de menaces provenant de l'Irak suffisantes pour provoquer la guerre et aux conséquences d'une telle guerre. Il a dit: «L'Irak nous détourne de ce qui devrait être notre objectif, le réseau d'Al-Qaïda, qui représente la véritable menace».

    Déjà à l'époque, certains ont dit ouvertement craindre qu'en envahissant et en occupant l'Irak et en s'en servant pour refaire cette région, les États-Unis risquaient de faciliter l'odieux travail d'Oussama ben Laden, d'encourager de nouvelles conversions à l'islamisme radical et de menacer les régimes modérés. Bien sûr, d'autres craignent, comme le craignait George Bush père, l'effondrement de l'Irak. L'intérêt des États-Unis pour l'Afghanistan semble déjà bien diminuer moins d'un an après leur engagement dans ce pays et on craint les problèmes que provoquerait une présence trop brève des Américains en Irak.

    J'ai suivi cette question dès le départ parce que les conséquences de cette guerre sont si grandes que je ne crois qu'il y ait une grande différence qu'elle se fasse de façon unilatérale ou multilatérale. Si les États-Unis décident d'agir seuls, indépendamment du Conseil de sécurité, une guerre unilatérale rendrait la tâche plus facile pour le Canada. Il serait inacceptable pour nous de même envisager de joindre nos efforts à ceux des Américains.

    Pour répondre à la deuxième question, il est difficile de faire des déclarations hors contexte. Le Conseil doit d'abord établir qu'il y a eu une violation patente de l'obligation de désarmer. Puis, il lui faudra évaluer la situation et déterminer si cela signifie que nous devrions déclarer la guerre. Comme je l'ai dit à la fin de mon exposé, si le Conseil est uni... les pressions continueront de s'exercer sur l'Irak même s'il refuse de collaborer. Les procédures se poursuivront et la pression ne sera pas moins grande.

    L'Irak tentera peut-être de créer la désunion au sein du Conseil, comme il a déjà tenté de le faire dans le passé même si c'est une tactique très peu sage. Voilà pourquoi j'ai dit tout à l'heure qu'il était très nuisible pour les États-Unis de miner le travail de Hans Blix alors que tout le monde devrait plutôt faire front commun devant Saddam Hussein pour lui prouver qu'il ne peut diviser les membres du Conseil.

    Merci.

º  +-(1650)  

+-

    Le président: Merci.

    Je cède la parole à monsieur Aoun.

[Français]

+-

    M. Sami Aoun: Tout d'abord, en ce qui concerne la question de l'unilatéralisme américain, je crois que c'est un paradoxe et que c'est impossible. Il n'y a pas de politique unilatérale américaine. Les Américains, et surtout l'administration Bush, ont peut-être une rhétorique agressive, une rhétorique de surenchère assez dure, mais dans les faits, leur politique est plus pragmatique qu'elle ne le paraît.

    Deuxièmement, les Américains finiront par avoir une certaine coalition. Est-ce que la diplomatie canadienne veut être en retard, dans le dernier wagon? Quand faut-il sauter? Je crois que la diplomatie canadienne aurait intérêt à travailler avec les Américains à une répartition des rôles. Le rôle le plus approprié pour les Canadiens est peut-être de faire du nation building. Les Américains sont peut-être récalcitrants sur ce point. Les Européens sont souvent plus enthousiastes à cet égard. Il faut aussi comprendre que les Irakiens et les Américains font tous deux une offensive de charme pour gagner l'opinion publique internationale. Aucun des deux ne veut sembler transgresser substantiellement la résolution.

    Je termine en vous disant qu'il faut bien décoder ce qu'on appelle la rue arabe, la culture politique arabe. Il faut distinguer entre le discours des régimes et le discours des mouvements populaires, des mouvements les plus représentatifs. Généralement, il y a un dit et un non-dit dans le discours arabe. Le Canada va commettre une grave erreur s'il bâtit une diplomatie avant de bien comprendre ce qui arrive et ce que sont les tendances principales de l'opinion publique arabe.

+-

    Le président: Merci, monsieur Aoun.

    Monsieur Harvard.

[Traduction]

+-

    M. John Harvard: Merci, monsieur le président.

    Madame Mason, je suis d'accord avec vous pour dire que, même si on établit que l'Irak a violé de façon patente une résolution de l'ONU, cela ne constitue pas nécessairement une menace grave. Mais j'aimerais vous poser une question un peu délicate sur la crédibilité des Nations Unies.

    Si l'ONU établit que Saddam Hussein possède des armes de destruction massive et autorise une intervention militaire dans ce pays, j'en conclurais qu'on ne peut faire confiance à l'Irak sachant qu'il dispose de telles armes. Mais n'est-ce pas là une pente dangereuse? Est-ce que d'autres États membres des Nations Unies ne pourraient pas faire valoir les mêmes arguments sur un autre pays qui est aussi en possession d'armes de destruction massive? Prenons l'exemple de la Russie. Je ne suis pas certain que les Tchétchènes font confiance aux Russes sachant que ceux-ci ont des armes de destruction massive.

    Que pouvons-nous penser de l'ONU lorsqu'elle dit à un pays qu'on ne peut lui faire confiance sachant qu'il possède des armes de destruction massive et reste muette sachant que d'autres pays sont dans la même situation?

+-

    Le président: Merci.

    À vous la parole, madame Mason.

+-

    Mme Peggy Mason: Merci beaucoup.

    La toile de fond de toute cette discussion, c'est bien sûr les divers exemples de doubles mesures qui depuis un certain temps ont vraiment nui à la crédibilité du Conseil de sécurité des Nations Unies. Il faut toutefois dire que l'Irak a suscité ce genre d'attention sur l'invasion du Koweit. Il est certain que sans cette invasion, les événements auraient été bien différents. L'Irak s'est mis dans cette position en envahissant le Koweit, ce qui a entraîné des conséquences, et en acceptant la résolution de cessez-le-feu.

    Toutefois, il est extrêmement dangereux d'associer automatiquement la possession d'armes de destruction de masse à une violation de la paix et de la sécurité internationales. Il y a eu d'ailleurs de nombreuses observations à ce sujet. C'est pourquoi nous insistons pour qu'on fasse la distinction et c'est pourquoi il ne faut pas perdre de vue que l'objectif général de l'usage de la force est de maintenir ou de rétablir la paix et la sécurité internationales.

    J'ajouterai également que le Conseil de sécurité a lui-même de nombreux problèmes de crédibilité. L'un de ces problèmes, c'est le manque de représentation de la communauté internationale. Les cinq membres permanents ne représentent même pas les pays occidentaux. Le Canada n'est représenté que par des États nantis d'armes nucléaires. Il y a donc des problèmes plus généraux qui nuisent à tout ce processus.

º  +-(1655)  

+-

    Le président: Monsieur Regehr.

+-

    M. Ernie Regehr: Compte tenu de l'argument que vous faites valoir, le Conseil de sécurité a fait preuve de sagesse en établissant expressément un lien, dans sa résolution 687, entre ses exigences envers l'Irak et la situation dans la région. Le Conseil de sécurité a reconnu qu'il ne pourrait obtenir de résultats à long terme si la question des armes de destruction de masse dans les autres pays de la région n'était pas également réglée. Ces deux choses ne sont pas la condition l'une de l'autre, mais elles sont étroitement reliées, et c'est l'un des sujets auxquels nous devons accorder davantage d'attention.

+-

    Le président: Monsieur Harvard.

+-

    M. John Harvard: Mais le fait qu'un pays comme la Syrie appuie la résolution est-il significatif? Certains s'inquiètent de ce qu'une intervention pourrait causer une déstabilisation massive de la région. À l'opposé, d'autres croient que les pays arabes pourraient fermer plus ou moins les yeux et qu'ils seraient en fait bien contents de se débarrasser de Saddam Hussein.

+-

    Le président: Monsieur Aoun.

[Français]

+-

    M. Sami Aoun: Je crois que la position de la Syrie a pris le monde par surprise. L'argumentaire des Syriens est valide en ce sens qu'ils disent que s'ils n'avaient pas appuyé cette résolution, la guerre serait imminente, alors que cette fois-ci, ils se sont donné la possibilité d'arriver à un règlement pacifique. Cependant, l'argumentaire syrien ne signifie certainement pas qu'il n'y a pas de tractations en coulisses avec les Américains. Ils ont peut-être eu la main plus libre au Liban et promis de voir à endiguer ou à limiter les mouvements du Hezbollah. Il y a certainement eu des tractations. Mais vous avez bien raison de dire que la position de la Syrie est un grand indicateur du fait qu'il y a du dit et du non-dit dans le monde arabe, premièrement.

    Deuxièmement, on constate l'impuissance de la diplomatie arabe en général à faire face à l'hyperpuissance américaine. C'est clair.

+-

    Le président: Monsieur Hassan-Yari, s'il vous plaît.

+-

    M. Houchang Hassan-Yari: Cette question de double standard, c'est une question fondamentale dans la région du Moyen-Orient qui a été soulevée d'ailleurs, par force, par Saddam Hussein lui-même, au moment de la crise de 1990 et de la guerre de 1991. C'est une source de frustration constante dans la région et qui va continuer tant et aussi longtemps que, par exemple, le contenu de 687, c'est-à-dire le désarmement des autres, ne sera pas fait, et ici, dans cette région en particulier, on parle bien entendu de la position d'Israël.

    Pour ce qui est de l'appui de la Syrie, il paraît qu'il y a un autre élément, à savoir que l'Iran a apparemment poussé la Syrie à accepter la résolution 1441 dans le contexte de ce rapprochement irano-américain, mais surtout avec les concessions que les Américains ont données, c'est-à-dire qu'au lieu de prendre la voie française de deux résolutions, il y a une résolution qui englobe les deux. Donc, autrement dit, cette résolution répond également à la préoccupation arabe, qui est une condition préalable qui signifie que oui, il faut désarmer Saddam Hussein, mais qu'il ne faut pas déclencher la guerre, en raison des conséquences que cela pourrait avoir dans la région.

+-

    Le président: Merci, monsieur Hassan-Yari.

[Traduction]

    Madame McDonough, s'il vous plaît.

[Français]

+-

    Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD): Merci, monsieur le président. Je veux exprimer sincèrement mon appréciation pour votre témoignage cet après-midi.

[Traduction]

    Voilà à peu près deux mois jour pour jour que notre comité s'est réuni avec un objectif inhabituellement commun et, à mon avis, une unité plus grande que dans nos réunions habituelles, afin de voir ce que nous pouvons faire pour consolider le mandat du Canada et redresser l'échine du gouvernement afin qu'il soit plus dynamique et plus efficace dans son rôle d'intermédiaire au plan diplomatique en vue d'éviter la guerre.

    J'ai l'impression que les Irakiens respirent un peu mieux aujourd'hui du fait de l'adoption de la résolution 1441 du Conseil de sécurité. Une part du mérite en revient au Canada, mais des organisations comme les vôtres ont fait un travail extraordinaire. Votre travail de théoriciens et de critiques éclairés a permis d'exercer et de maintenir la pression. Il nous a également été très utile aujourd'hui que vous nous expliquiez clairement ce que la résolution 1441 permet et ne permet pas.

    Il est extrêmement décourageant pour bon nombre d'entre nous d'entendre dire qu'il y a deux Canada à l'oeuvre sur la scène internationale de nos jours. La première réaction du Canada est parfois relativement éclairée, et correspond davantage au rôle que le Canada jouait par le passé sur la scène internationale relativement au problème de l'Irak, à la crise israélo-palestinienne, à la Cour pénale internationale et à l'article 98, ainsi qu'à la façon dont tout cela nuit à l'objectif de la CPI. Mais l'autre Canada n'est jamais loin derrière. C'est un Canada généralement plus belliqueux, plus téméraire, qui se porte presque à la défense de la politique étrangère américaine.

    J'ai une question générale et une question plus précise à poser, car je n'ai pas beaucoup de temps. Ma question générale est la suivante: que pouvons-nous faire—et quand je dis «nous», je parle de tous les parlementaires et de tous les Canadiens qui cherchent la paix—pour renforcer la position du Canada par rapport aux États-Unis? À l'heure actuelle, il semble que la deuxième réaction soit toujours d'aller se cacher dans un coin et de craindre les représailles économiques des États-Unis au lieu d'insister sur les valeurs profondément enracinées des Canadiens, c'est-à-dire la diplomatie, les bonnes relations internationales, le multilatéralisme et le rétablissement de la paix.

    Ma deuxième question, la plus précise, s'adresse à vous, madame Mason, bien que les autres peuvent aussi y répondre. Je crois savoir que vous avez écrit récemment au ministre des Affaires étrangères, il y a six semaines, pour exhorter le Canada à ne pas répéter l'erreur grave commise par l'Union européenne en signant cette entente, l'article 98, une erreur qui a eu pour effet de saper l'autorité de la Cour pénale internationale. Pourriez-vous nous dire si vous avez reçu une réponse officielle? Et pourriez-vous nous dire ce que nous devrions faire pour que le Canada ne répète pas cette même erreur? Parce que ce qui se passe à la CPI est en fait un écho de ce qui se produit, et de ce qui s'est déjà produit, au sujet de la crise israélo-palestinienne et, dans une grande mesure, du problème de l'Irak.

    Merci beaucoup.

»  +-(1700)  

+-

    Le président: Nous allons entendre la réponse à la première question. Qui veut y répondre?

    Monsieur Regehr.

+-

    M. Ernie Regehr: Je vais essayer.

    À mon avis, je résume, il faut que le Canada se fixe trois priorités. Premièrement, il lui faut soutenir le régime d'inspection de sorte à en faire un processus crédible et veiller à ce qu'il ne tourne pas à l'exercice truqué où la moindre complication, le moindre problème est transformé en excuse pour déclencher une action unilatérale.

    Le Canada compte des experts renommés qui sont membres du conseil de l'UNMOVIC et des inspecteurs disponibles qui comprennent toutes les nuances et tous les détails de ce genre de travail. Ils devront veiller pour nous à ce que les inspections soient menées correctement, de manière impartiale et libres de toute influence.

    Deuxièmement, comme je le disais tout à l'heure, le consensus international est indispensable. Les observateurs ne cessent de répéter que si nous voulons que l'Irak se conforme aux résolutions des Nations Unies, l'unanimité et le ferme soutien du monde arabe, de la Ligue arabe, à la résolution 1441 est indispensable. C'est le cas actuellement. Cette unanimité pourrait disparaître d'un instant à l'autre si la communauté internationale ne prête pas le respect dû aux besoins de ces pays en fait de désarmement dans la région.

    Troisièmement, je crois qu'il nous faut sérieusement réfléchir aux conséquences possibles d'une telle guerre et le Canada doit nous aider à les mieux comprendre. Certaines des personnes assises à côté de moi ont parlé de l'incertitude énorme qui entoure l'éventualité d'une telle guerre. Il est irresponsable de poursuivre dans ce genre de voie quand on n'a pas la moindre idée ni des conséquences ni des complications qu'elle entraînerait.

»  +-(1705)  

+-

    Le président: Merci.

    Nous demanderons à Mme Mason de répondre à la deuxième question. Deuxième question.

+-

    Mme Peggy Mason: Merci beaucoup.

    En fait, je suis heureuse que vous m'ayez posé cette question. J'ai quelques bonnes nouvelles à propos des accords dits de l'article 98 en vertu desquels les États-Unis essaient de bénéficier d'une immunité spéciale en concluant ces traités d'immunité avec certains États. Il se trouve que les juristes de la Commission européenne ont clairement, dans leur jargon, défini les obligations juridiques car les pays de l'Union européenne sont signataires du traité et par conséquent liés par le traité et ont signalé un certain nombre d'obligations, de conditions avant qu'un membre de l'Union européenne puisse conclure une telle entente avec les États-Unis, et les États-Unis ont considéré ces conditions comme étant inacceptables. Donc, à première vue, ce genre d'accord semble avoir beaucoup moins de force que prévu et comme aucun accord de ce genre n'a encore été conclu, qui sait?

    Je me hâte d'ajouter que même donner l'apparence d'accorder une immunité à certains pays contredirait tous les efforts du Canada en faveur de la création de la Cour pénale internationale.

    J'aimerais revenir sur la question précédente et ajouter...

+-

    Le président: Soyez très brève car nous manquons de temps.

+-

    Mme Peggy Mason: Dans ce cas, je m'abstiendrai. Merci beaucoup.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Assadourian, je vous prie.

+-

    M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Merci beaucoup.

    J'aimerais également féliciter nos témoins.

    Madame Mason, vous avez dit que l'Irak était singularisé parce qu'il a envahi le Koweit. Permettez-moi de vous rappeler que l'Irak n'est pas le seul pays à en avoir envahi d'autres dans cette région du monde. La Turquie, en 1974, a envahi Chypre, et il n'y a pas eu de représailles, évidemment parce qu'il n'y a pas de pétrole à Chypre.

    Monsieur Aoun a fait allusion à cette question dans son exposé. Vendredi dernier j'étais à une réunion où nous avons discuté de cette question. Le consensus est que quoi qu'il arrive, les Américains envahiront l'Irak. Ils y trouveront des armes. Ils trouveront des terroristes. Rien ne changera parce qu'ils ont décidé d'envahir l'Irak, pas parce qu'il y a des armes de destruction massive ou parce qu'il y a un lien avec le terrorisme ou avec l'Afghanistan ou que sais-je encore, mais simplement parce qu'il y a du pétrole.

    Le fait est que l'Arabie saoudite est contrôlée par les Américains et que le Koweit est contrôlé par les Américains. S'ils s'emparent du pétrole irakien, cela mettra un gros pourcentage du pétrole de la région entre les mains des Américains, ce qui pourrait entraîner une augmentation du prix du pétrole pour l'Union européenne et probablement pour le monde entier. Cela leur donnera également une voie d'accès à partir de l'Asie centrale pour l'Afghanistan, peut-être, si bien que l'Afghanistan, l'Iran, le Koweit et toute la région du golfe seront contrôlés par des intérêts américains. Cela pourrait aboutir à une inflation pour toute l'économie de la région, voire pour tout le monde libre, et l'Union européenne pourrait peut-être aussi dire adieu à sa puissance économique.

    Que pensez-vous de cette théorie? C'est celle que j'ai entendue vendredi dernier.

[Français]

+-

    Le président: Merci, monsieur Assadourian.

    Monsieur Aoun.

+-

    M. Sami Aoun: Oui, je crois que c'est très probable. Il y a une pax americana qui se fait, qui se forme, qui s'articule et les Américains ont tout intérêt à faire tout le corridor de l'Asie centrale, de la mer Caspienne, qui est la seconde région du golfe, comme vous le savez. Les Américains sont certainement une hyperpuissance. Parfois ils sont réticents, ils ne s'avancent pas de leur propre gré, mais une fois qu'ils sont antagonisés, ils répondent, et c'est là le raccourci d'Oussama ben Laden et la logique un peu limitée des terroristes. Quand ils antagonisent les Américains, on voit que ces derniers font une expansion au détriment souvent de ce monde-là. Ce qui est intéressant, c'est de voir qu'il y a des solliciteurs de l'aide américaine, qu'il y a des solliciteurs de l'intervention américaine. Les ex-républiques soviétiques demandent de l'aide aux États-Unis d'Amérique. Le visage odieux là-bas n'est pas celui des Américains; c'est plutôt celui des Russes.

    Dans la région arabe aussi, je crois, il y a un anti-américanisme très fort mais, il faut bien le comprendre, c'est un anti-américanisme peut-être parfois pour bien négocier avec les Américains sur le front palestinien ou encore c'est un anti-américanisme des régimes arabes pour faire un peu dérailler l'opinion publique locale. Il faut bien comprendre cet anti-américanisme. Il n'est pas inconditionnel, ce n'est pas un rejet du modèle américain non plus qu'un rejet de l'intervention américaine. Il est certainement un peu astucieux, dirais-je, et voilà, oui, il y a maintenant des accords entre la Russie et les États-Unis.

    Dernièrement, on a eu une nouvelle: la Russie veut alimenter Israël avec un pipeline de pétrole. Donc, la Russie est très ambitieuse dans son désir de remplacer le monde arabe ou la région du golfe. La guerre, à vrai dire, si je veux être franc, est en principe contre l'Arabie Saoudite; elle n'est pas contre l'Irak. En principe, elle est contre le pays d'Oussama ben Laden, contre un régime qui n'a pas fait son devoir de protéger les Américains, et c'est pratiquement une guerre entre ex-partenaires, entre une idéologie qui a servi les intérêts américains, l'idéologie wahhabite, les moujahidins, l'islamisme djihadiste et, de l'autre côté, les Américains, qui ont maintenant changé de donne après le 11 septembre. C'est pourquoi le monde musulman en général, le monde arabe, est presque perplexe.

    Mais sur la question d'Israël, j'aimerais bien aussi peut-être éclairer ce point rapidement. Les Américains ont joué un très grand rôle à faire du projet du grand Israël un projet caduc, un projet impossible. Nous sommes aujourd'hui dans un petit Israël, et ce petit Israël est en crise et c'est dû aux Américains. Les Américains sont ceux qui endiguent la puissance israélienne dans la région. Si jamais il y a une balkanisation dans la région, c'est plutôt qu'on redonne, qu'on réactive un scénario plutôt de la droite israélienne et non pas de la politique américaine. La politique américaine est plutôt une politique stabilisatrice dans la région. Je sais qu'il y en a beaucoup qui n'aiment pas ce que je dis, mais pratiquement, les Américains n'ont jamais voulu chambarder les régimes. Ils ne voulaient pas les démanteler; ils voulaient simplement les stabiliser, tandis qu'Israël avait toujours intérêt dans une balkanisation et dans la fondation d'États minoritaires, d'États pluriconfessionnels dans la région.

»  +-(1710)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Aoun.

[Traduction]

    Nous passons maintenant à M. Casey.

+-

    M. Bill Casey (Cumberland—Colchester, PC): Merci beaucoup. Je n'ai qu'une ou deux petites questions à poser.

    Monsieur Regehr, vous avez dit qu'il existait un large consensus et c'est certes ce qui nous semble. Mais il y a quelque chose que je ne comprends pas. Il semble que même si la résolution 1441 a été ratifiée, il y a deux interprétations différentes à la suite des événements. Selon les États-Unis, un simple accroc à la résolution leur donnerait, ainsi qu'aux pays qui pensent comme eux, la justification automatique de se lancer à l'attaque. Par contre, je ne pense pas que cela soit l'interprétation des autres signataires. Est-ce que je me trompe, ou non? Qu'est-ce qui se passe?

+-

    M. Ernie Regehr: Vous avez absolument raison. Il y a un large consensus dans l'autre camp. L'interprétation américaine, élaborée après l'adoption de la résolution et à l'extérieur du Conseil de sécurité, se réserve ce droit, mais ce n'est pas l'interprétation internationale prévalente. L'objectif est de s'assurer que c'est cette interprétation qui finira par prévaloir.

+-

    M. Bill Casey: Que se passerait-il en cas d'accroc mais que les autres signataires de la résolution n'appuient pas un passage à l'action alors que les États-Unis sont déterminés à passer à l'action?

+-

    M. Ernie Regehr: C'est la grosse question. Les États-Unis s'arrogent la prérogative de passer à l'action. Je crois—et mes collègues voudront peut-être ajouter quelque chose à ce sujet—que cette prérogative perçue des Américains est assujettie à de nombreuses restrictions dans la mesure où ils ne sont pas suivis par une large coalition. Il y a des résistances majeures. Le danger c'est que le réel soutien actuel pour la résolution visant le désarmement de l'Irak au Moyen-Orient soit sapé. Ils devraient normalement réfléchir longuement avant de passer à un tel acte, mais sait-on jamais?

»  +-(1715)  

+-

    Le président: Monsieur Casey, M. Hassan-Yari aimerait également répondre à cette question.

+-

    M. Houchang Hassan-Yari: Je crois que les Américains acceptent la résolution 1441. Ils ont eu du mal à l'accepter au début, mais ils ont bien été obligés de l'accepter car ils n'avaient plus le choix. Il y a deux façons d'interpréter la résolution. La première interprétation est celle des Américains. Ils affirment que le fait que les Irakiens ont démontré leur résistance dans les deux zones d'interdiction de vol, dans le nord du pays plus particulièrement, en tirant sur les avions américains et britanniques constitue une violation déterminante de la résolution, ce qui est faux.

    Je crois que les Américains ont agi ainsi par pure tactique, si vous voulez, étant donné que la résolution 1441 ne correspond pas vraiment à ce qu'ils attendaient puisqu'elle ne constitue pas véritablement une stratégie. Voilà pourquoi nous voulons nous assurer qu'ils feront cavalier seul. Ils feront tout en leur pouvoir pour rendre la vie impossible aux Irakiens et pour qu'ils ne puissent se conformer à la résolution, puis ils diront comme vous.

    Comment feront-ils? Ils devront agir seuls, et nous nous en assurerons. Ils ne sont pas nécessairement inquiets de ce que diront les 14 autres membres du Conseil, pour la simple raison que cette quinzaine de membres n'est pas en mesure de résister à la pression américaine, malheureusement pour la communauté internationale. Les Américains ont acheté chèrement le vote de certains pays, et je crois qu'en dernière analyse, lorsqu'ils ont décidé de s'en prendre aux Irakiens pour changer le régime, ils ont décidé de faire cavalier seul et d'obliger les autres à leur emboîter le pas. Or, c'est ce qui arrivera s'ils ne rencontrent aucune résistance réelle non seulement des 14 autres pays, mais aussi de la communauté internationale, ce qui inclut le Canada.

    Voilà pourquoi j'ai insisté pour dire que les Canadiens devraient devenir la conscience des États-Unis en leur disant qu'ils ne doivent pas dépasser certaines limites. Rappelons-nous que nous nous sommes dotés d'une charte depuis 1945 et que depuis, les bouleversements à des fins d'impérialisme sur la scène mondiale sont limités et devraient être assujettis à la charte. Tout a bien changé depuis l'empire romain, à l'époque où les Romains avaient les coudées complètement franches. Aujourd'hui, cela n'est plus possible. Mais si la communauté internationale n'agit pas de façon musclée, les Américains feront comme bon leur semble.

+-

    Le président: Madame Mason, soyez brève.

+-

    Mme Peggy Mason: Il faut se rappeler, en dernière analyse, que même si le Canada peut ne pas réussir à empêcher les Américains d'agir de façon unilatérale, malgré les efforts qu'ils pourraient déployer en ce sens, cela ne signifie pas pour autant qu'il doive se faire le complice de ces agissements qui pourraient causer des préjudices à l'échelle internationale. Il faut que le Canada souscrive sans réserve à l'opinion selon laquelle—pour l'instant, c'est ce que l'on entend plus ou moins—la force n'est pas autorisée et que le Conseil doit en premier lieu évaluer toute violation avant de décider comment agir. Nous ne devons pas nous convaincre que les Américains vont de toute façon agir unilatéralement et que nous n'aurons pas besoin de donner aux sanctions la chance d'agir. Nous devons établir très clairement ce que représente la Charte des Nations Unies.

»  +-(1720)  

+-

    Le président: Madame Jennings.

[Français]

+-

    Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Merci beaucoup pour vos présentations.

    J'ai essentiellement une question. Compte tenu de la teneur des paragraphes 4, 11 et 12 de la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, les équipes qui vont faire les inspections auraient un poids très important et significatif dans la détermination de ce qui constitue un manquement. Alors, je pense que le jeu est vraiment entre leurs mains parce que si un document n'est pas signé ou déposé en temps et lieu et qu'ils décident que ce n'est pas une ingérence ou un manquement, ils ne feront pas un rapport.

    Est-ce que vous avez confiance au jugement de M. Blix. Croyez-vous que son équipe et l'autre équipe vont réellement évaluer le poids nécessaire à donner aux manquements? On peut s'attendre à ce qu'il y ait des manquements: on a affaire à des êtres humains.

+-

    Le président: Monsieur Aoun.

+-

    M. Sami Aoun: Je crois que M. Blix a bien démontré qu'il est à équidistance entre les Américains et les Irakiens. Je ne crois pas que son objectivité est mise en cause pour l'instant. Il joue le jeu du langage diplomatique mais il est très ferme. Il fallait le voir oeuvrer durant la crise avec la Corée du Nord: il s'est montré capable d'être un diplomate de niveau vraiment international.

    Maintenant, est-ce qu'il est un arbitre, ou est-il le représentant des Nations Unies en ce sens qu'il est une partie contre l'Irak? C'est toute la question. Est-ce qu'il est simplement un arbitre qui veut arbitrer un conflit entre les États-Unis et les Irakiens, ou veut-il plutôt renforcer la position des Nations Unies? Je crois qu'il va opter, en fin de compte, pour renforcer le mandat des Nations Unies et, en ce sens, à mon avis, la diplomatie canadienne aurait pleinement le droit de lui faire confiance et de le regarder marcher, de lui fournir eu peu ce dont il a besoin. Il ne faut pas se leurrer, M. Blix ne peut pas agir sans le concours des services secrets canadiens, américains et d'ailleurs dans le monde. N'oublions pas que l'Irak a acheté de 500 compagnies dans 40 pays du monde ce qu'il a comme matières. Alors, pratiquement, il est capable de le faire si on lui donne l'appui suffisant.

+-

    Le président: Merci.

[Traduction]

    D'autres commentaires? Madame Mason.

+-

    Mme Peggy Mason: Je souscris sans réserve à ce qui vient d'être dit.

    Je veux revenir à Hans Blix. Lors de la conférence de presse qu'il a donnée avant son départ pour l'Irak, il a expliqué que sa tâche à lui et celle de son équipe, c'était de rendre compte des faits que devait ensuite évaluer le Conseil. Autrement dit, il a insisté pour expliquer que le Conseil ne s'en lavait pas les mains et qu'il y avait certaines étapes à suivre pour déterminer si le Conseil a reçu les assurances requises. Il mise très fort sur le Conseil, puisque c'est ce dernier qui lui donne ses ordres et non un État en particulier, et que c'est au Conseil qu'il rendra des comptes. Cela ne signifie pas que son équipe ne se penchera pas sur les rapports pour les scruter à la loupe, mais il considère sa tâche comme l'obligation de rendre compte des faits au Conseil pour que celui-ci les évalue.

+-

    Le président: Merci.

+-

    Mme Marlene Jennings: Voilà ce qui est problématique à mon avis—je suppose qu'il me reste encore du temps, étant donné ce que j'ai vu se passer de l'autre côté?

+-

    Le président: Oui, il vous reste du temps. Allez-y.

+-

    Mme Marlene Jennings: La résolution prévoit que M. Blix doit signaler immédiatement tout manquement, même si ces manquements s'appliquent à des déclarations ou à des rapports qui doivent être préparés, par exemple. Si je vous comprends bien, si un document demandé par M. Blix pour le 1er décembre 2002 n'arrive, par exemple, que le 2 décembre... Voici ce que j'aimerais savoir: avez-vous confiance en son jugement, et pensez-vous qu'il n'interprétera pas la résolution de façon aussi littérale que le souhaiteraient les Américains, à la lumière de son libellé?

    M. Blix aura beaucoup de poids car si le dépôt d'un document ne respecte pas l'échéance et n'arrive ne serait-ce qu'une demi-heure plus tard, il pourrait fort bien interpréter la résolution de façon littérale, ce qui l'obligera à déposer immédiatement un rapport de non-conformité au Conseil de sécurité.

[Français]

+-

    M. Sami Aoun: Monsieur le président, la résolution a très bien signifié que l'Irak a une responsabilité de déclarer ce qu'il a. Alors, M. Blix a quelque chose entre les mains. Est-ce que cette déclaration est conforme aux réalités, oui ou non? Oui, il est juge. Si vous parlez de confiance, j'ai lu un peu sa biographie, j'ai vu comment il a progressé dans sa carrière et je lui fais pleinement confiance.

+-

    Le président: Merci.

[Traduction]

    M. Day et M. Bergeron aimeraient poser une question. Je vous serais reconnaissant à tous deux de ne pas la faire précéder d'un long préambule.

    Monsieur Day.

+-

    M. Stockwell Day: Je poserai ma question directement, mais comme M. Bergeron n'a pas encore eu l'occasion d'interroger le témoin, je lui cède la parole.

    Le président: Bien.

    Monsieur Bergeron.

»  +-(1725)  

[Français]

+-

    M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ): J'apprécie cette très grande sollicitude de la part de M. Day. Merci beaucoup. Je remercie les témoins d'avoir accepté notre invitation. Je pense qu'ils ont donné une interprétation très complète de la situation et qu'ils nous ont certainement éclairés sur la situation. Alors, à la demande du président, je vais poser mes questions sans préambule.

    Dans la foulée des questions posées par mes collègues, M. Casey et Mme Jennings, j'aimerais demander simplement ceci: selon vous, selon votre interprétation, croyez-vous que la résolution 1441 permet une interprétation et éventuellement une intervention unilatérale des États-Unis? Si oui, quels sont les risques que les États-Unis décident d'agir unilatéralement dans le conflit qui se dessine prochainement?

    Ma deuxième question s'inscrit dans la foulée de celle de Mme Jennings. Pourrons-nous jamais être parfaitement convaincus que la liste complète des armes de destruction massive qu'il dit posséder et que l'Irak doit remettre le 8 décembre prochain sera véritablement complète et que, après que les inspections auront été complétées, l'Irak ne représentera définitivement plus un danger pour la paix et la stabilité dans cette région et dans le monde? N'est-ce pas là la faiblesse du processus dans lequel nous sommes engagés?

+-

    Le président: Merci, monsieur Bergeron.

    Monsieur Aoun.

+-

    M. Sami Aoun: Quant à savoir s'il y a risque d'une intervention unilatérale des Américains, je ne le crois pas. Je ne crois pas qu'ils ont cet aspect téméraire dans leur politique. Comme je le disais dans mon intervention, je crois, à bien juger sans beaucoup de préjugés, que M. Bush essaie de bien équilibrer la rhétorique agressive, le bâton et la carotte. Il joue bien entre les colombes et les faucons de son administration, il ne se laisse pas aller dans une aventure. Si vous me le permettez, je vous dirai que dans ses relations avec son père, avec James Baker, avec les conseillers et la vieille garde du Parti républicain, il essaie bien d'être sûr que M. Rumsfeld, le Pentagone, les néo-conservateurs ne le mènent pas dans une aventure. C'est pourquoi je crois qu'une intervention unilatérale est impossible, même théoriquement, si je comprends bien les positions républicaines.

    Quant à la deuxième question, la liste ne sera jamais convaincante. Le jugement sur la performance du régime irakien et son respect de la résolution ne seront pas convaincants pour celui qui ne va pas être convaincu. Je crois que les dés sont jetés. Le régime vit sa survie parce qu'il a déjà épuisé tous les crédits qu'il avait.

    Dans la population arabe, on est plus enclin à être aveuglé par l'anti-américanisme qu'à faire un changement politique qui a du sens, qui répond aux attentes des populations arabes. Et le cas de l'Irak n'est pas une exception. Il y a, dans la population irakienne, des attentes légitimes pour un meilleur régime de démocratie consociative, de fédéralisme équilibré, de libéralisme que l'Irak a déjà vécu. Malheureusement, il l'a vécu sous le mandat britannique et non pas dans l'ère de l'indépendance, ce qui est malheureux pour ces peuples. Et c'est un cas qui se répète ailleurs. Alors, en ce sens, je crois que oui, le processus de pacification est faible, qu'il a des maillons faibles et que la provocation de la guerre est toujours probable et parfois moyennement probable d'ici mars.

+-

    Le président: Merci, monsieur Aoun.

[Traduction]

    Madame Mason.

+-

    Mme Peggy Mason: Je répondrai à la première question. J'en ai parlé assez longuement dans mes commentaires préliminaires.

    Je suis fermement convaincue que non seulement la résolution 1441 n'autorise pas une intervention unilatérale de la part des États-Unis ou de la part de qui que ce soit d'autre--elle n'autorise aucune attaque militaire--mais aussi que les États-Unis l'ont reconnu publiquement. Toutefois, ils prétendent qu'ils peuvent toujours intervenir car rien ne les en empêche, puisqu'ils invoquent le droit de légitime défense qui n'implique pas même une menace imminente.

    L'argument reste dangereux, mais le secrétaire d'État M. Powell a reconnu lui-même que les opinions peuvent différer là-dessus. Il vaut vraiment la peine, à mon avis... Les élections sont terminées aux États-Unis, et les sondages démontrent très clairement que la population américaine est très inquiète devant l'éventualité d'une action multilatérale de la part des États-Unis. Les Américains ne veulent pas que leur gouvernement choisisse cette solution et, par conséquent, nous ne devrions pas non plus leur paver la voie vers cette solution-là.

»  -(1730)  

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Regehr.

+-

    M. Ernie Regehr: Je répète simplement que si les États-Unis agissaient unilatéralement, ils ne pourraient invoquer la résolution 1441 qui ne leur accorde pas ce pouvoir.

    Quant à savoir si la liste... Si j'ai bien compris votre question, vous vous demandez quand tout cela se terminera, autrement dit, quand pourra-t-on donner à l'Irak son certificat de bonne conduite. La mission d'inspection et de vérification des Nations Unies a le pouvoir et le mandat d'effectuer une vérification et une surveillance continues et le fera tant que le Conseil de sécurité ne changera pas son mandat et tant qu'il ne déclarera pas le cas de l'Irak clos.

    Comme le disait aussi mon collègue, je crois qu'un pays tel que l'Irak n'abandonnera sa quête d'armes de destruction massive que lorsqu'il sera dirigé par une société civile et lorsque la population sera celle qui fixera les priorités pour l'ensemble du pays. D'ici là, l'Irak continuera à être un problème dans la région.

[Français]

+-

    Le président: Monsieur Hassan-Yari.

+-

    M. Houchang Hassan-Yari: Sans vouloir répéter ce qui a été dit, je pense que la résolution 1441 ne donne pas lieu à une telle interprétation, c'est-à-dire d'utiliser les zones d'exclusion aériennes, même si les Américains ont déjà commencé à le faire. Je réitère ce que je viens de dire: ils vont épuiser toute cette procédure fondée sur 1441, mais à la fin de cette procédure, la question restera entière, c'est-à-dire que le régime irakien va sortir de cette preuve. Si jamais tout est parfait, intact, cela ne règle pas le problème de M. Bush, qui a fait de la question de Saddam Hussein une question tout à fait personnelle, n'est-ce pas? À mon avis, il va finir le travail que le père a commencé mais qu'il n'a pas fini. Maintenant, je pense que, ultimement, au-delà de cette question de 1441, on s'achemine vers une confrontation.

    Pour ce qui est de l'interprétation des Américains de la situation dans la région, je pense que si vous demandez à tous les pays de la région, y compris le Koweït, qui a été attaqué par les Américains, ils vous diront qu'ils ne sont pas favorables à une guerre contre l'Irak. Sauf que ce n'est pas le Koweït qui décide ni l'Arabie Saoudite; ce sont les Américains, pour des raisons tout à fait évidentes.

-

    Le président: Merci à tous nos témoins.

[Traduction]

    Merci beaucoup à tous nos témoins de leurs exposés et d'avoir répondu à nos questions. Votre contribution nous aidera à y voir un peu plus clair dans la situation de l'Irak. Merci encore.

    La séance est levée.