NDVA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 27 mai 2003
¿ | 0920 |
Le président (M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.)) |
M. James Fergusson (directeur adjoint, Centre d'études sur la défense et la sécurité, Université du Manitoba) |
¿ | 0925 |
¿ | 0930 |
Le président |
M. Rob Anders (Calgary-Ouest, Alliance canadienne) |
Le président |
M. Rob Anders |
M. James Fergusson |
¿ | 0935 |
M. Rob Anders |
Le président |
M. James Fergusson |
M. Rob Anders |
M. James Fergusson |
¿ | 0940 |
Le président |
Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.) |
M. James Fergusson |
¿ | 0945 |
Mme Anita Neville |
Le président |
Mme Elsie Wayne (Saint John, PC) |
M. James Fergusson |
¿ | 0950 |
Mme Elsie Wayne |
Le président |
M. James Fergusson |
¿ | 0955 |
Le président |
M. Robert Bertrand (Pontiac—Gatineau—Labelle, Lib.) |
Le président |
M. James Fergusson |
À | 1000 |
À | 1005 |
Le président |
M. Rob Anders |
À | 1010 |
M. James Fergusson |
À | 1015 |
À | 1020 |
Le président |
M. Robert Bertrand |
M. James Fergusson |
Le président |
À | 1025 |
M. Rob Anders |
Le président |
M. Rob Anders |
M. James Fergusson |
M. Rob Anders |
M. James Fergusson |
M. Rob Anders |
M. James Fergusson |
À | 1030 |
Le président |
M. James Fergusson |
À | 1035 |
À | 1040 |
Le président |
M. Rob Anders |
À | 1045 |
M. James Fergusson |
Le président |
M. Rob Anders |
M. James Fergusson |
Le président |
M. Rob Anders |
Le président |
À | 1050 |
M. James Fergusson |
À | 1055 |
Á | 1100 |
Le président |
CANADA
Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mardi 27 mai 2003
[Enregistrement électronique]
¿ (0920)
[Traduction]
Le président (M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.)): La séance du Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants est ouverte.
Tout d'abord, je présente mes excuses à notre témoin, M. Jim Ferguson, pour notre retard. Comme je l'ai expliqué tout à l'heure à notre témoin, un certain nombre de nos collègues font partie d'une délégation qui assiste à la session du printemps de l'association parlementaire de l'OTAN à Prague, ce qui explique le petit nombre de membres de comités qui sont ici.
Cela dit, au nom de mes collègues qui sont présents, monsieur Ferguson, je vous souhaite la plus cordiale des bienvenues. Nous vous connaissons bien en raison du travail que vous avez effectué ces dernières années. Évidemment, votre rôle en tant que directeur adjoint du Centre d'études en défense et sécurité vous a mis à l'avant-scène dans un certain nombre de dossiers qui font l'objet de discussion aujourd'hui au pays, le moindre n'étant pas celui du système national de défense antimissile.
Sans plus tarder, nous allons passer à votre exposé. Nous sommes impatients d'entendre vos réflexions. Peut-être pourrons-nous par la suite vous poser quelques questions.
M. James Fergusson (directeur adjoint, Centre d'études sur la défense et la sécurité, Université du Manitoba): Merci beaucoup, et bonjour.
C'est un plaisir et un privilège que d'être ici aujourd'hui pour aborder toutes les questions que pourraient avoir les membres du comité au sujet des relations canado-américaines dans le domaine de la défense en général et la question de l'espace et de la défense contre les missiles balistiques en particulier. La décision du comité d'examiner la relation qui présente le plus d'importance pour le Canada sur le plan de la défense et de la politique extérieure en général est à la fois opportune et urgente, surtout en raison du portrait fort émotif, polémique et parfois carrément hystérique que l'on a fait de ces relations des deux côtés de la frontière à la suite de la décision du gouvernement canadien de ne pas participer à la coalition diriger par les Américains contre le régime de Saddam Hussein en Iraq. Le moment est aussi bien choisi puisqu'encore une fois, ces relations sont sous la loupe puisque le Canada doit décider s'il participera à l'effort de défense antimissile des États-Unis pour l'Amérique du Nord.
Cette dernière question est particulièrement importante étant donné que le Canada doit prendre une décision d'ici quelques mois, sinon quelques semaines, sur le système de défense antimissile. Indépendamment du résultat, il est essentiel que cette décision — ou non-décision, qui reviendrait à dire «non» aux États-Unis — soit dépourvue de rhétorique, d'insinuation et de désinformation. Elle doit être éclairée et fondée sur l'intérêt national du Canada. À cet égard, les problèmes du discours actuel sont évidents, notamment le rapport que l'on fait, à tort, entre la défense antimissile et l'armement de l'espace.
Comme le comité le sait, les relations entre le Canada et les États-Unis sur le plan de la défense bilatérale reposent sur de nombreux traités, protocoles d'entente et tribunes, de même que sur un nombre considérable de réunions et de contacts personnels ponctuels qui ont lieu tous les jours, toutes les semaines et tous les mois. Dans sans doute 95 à 98 p. 100 des cas, cette relation est hors du champ des connaissances et de l'attention des milieux politiques et du public. Elle a évolué sur la base de deux simples engagements verbaux: premièrement, le président Roosevelt a garanti la sécurité du Canada et deuxièmement, en réponse, le premier ministre King a promis que le Canada ne deviendrait pas une menace à la sécurité. Chose intéressante, ces engagements ont donné le ton à l'évolution de la relation au fil des ans — une décision ou une action américaine suivie par une réaction canadienne. Soit dit en passant, il serait utile que le comité réfléchisse aux raisons pour lesquelles ce pattern a résisté à tous les changements survenus depuis une soixantaine d'années.
Quoi qu'il en soit, depuis qu'elle existe, cette relation a gagné en profondeur et en portée pour des raisons comme la géographie, l'environnement stratégique de la guerre froide, le partage des valeurs et des intérêts et les technologies émergentes. Aux deux institutions fondamentales mises sur pied pour gérer cette relation, la Commission permanente mixte de défense Canada-États-Unis et le Comité canado-américain de coopération militaire, se sont joints de nouveaux accords, arrangements et institutions conçus pour répondre aux exigences fonctionnelles de la coopération en matière de défense, à mesure qu'elles se présentaient. Graduellement, la complexité croissante de la relation s'est traduite par sa fragmentation et par l'incapacité croissante des institutions fondamentales, plus particulièrement la Commission permanente mixte de défense Canada-États-Unis, de gérer voire en fait d'appréhender pleinement toute l'ampleur de la relation.
Le résultat net a été un niveau d'intégration et d'interdépendance jamais vu sur le plan de la défense entre deux États souverains. En outre, tous les participants, directs ou indirects, à la relation de défense anticipaient que l'on répondrait de façon coopérative à chaque nouvelle demande fonctionnelle mais aussi que la relation demeurerait relativement à l'abri des hauts et des bas caractéristiques des relations politiques officielles de haut niveau. Cela ne veut pas dire que chaque initiative de défense américaine a été avalisée par le Canada. Au contraire, le Canada et les États-Unis ont été en désaccord à maintes occasions sur des questions de défense à l'intérieur et à l'extérieur de l'Amérique du Nord, mais on s'est toujours attendu — et cela demeure le cas — à ce que les deux parties trouvent un moyen d'être obligeantes l'une envers l'autre sans porter atteinte sensiblement à leur relation mutuellement avantageuse.
À cet égard, deux questions importantes qui, à mon avis, sont au coeur des délibérations de votre comité, font surface. La première est la suivante: doit-on changer ou moderniser la façon dont la relation est structurée. La structure ou les structures actuelles ont été élaborées pour répondre aux exigences de la guerre froide. Même avant la fin de la guerre froide, une transformation importante de la structure de défense américaine avait débuté avec la création du U.S. Space Command, par exemple et l'adoption de la Goldwater-Nichols Act, qui a débouché sur la création d'un système de commandement régional aux États-Unis, entre autres. En outre, d'autres exemples englobent la nomination récente par les États-Unis d'un fonctionnaire ayant rang d'ambassadeur auprès de NORAD et, bien sûr, la création du Northern Command et du Département de la sécurité intérieure.
Pourtant, à ma connaissance, aucune nouvelle structure officielle n'a émergé dans la relation bilatérale en réponse à ces changements — à l'exception, évidemment, du groupe de planification binationale constituée en décembre dernier. Il n'y a pas eu non plus de modifications sensibles à la structure de défense/du volet militaire/de sécurité du Canada depuis les années 70. Si la mise sur pied d'un comité ministériel de la sécurité dans la foulée du 11 septembre a été un ajout important, et si l'idée d'avoir un comité ministériel présidé par le premier ministre consacré uniquement à la relation canado-américaine vaut la peine d'être envisagée, ni l'une ni l'autre représente un réaménagement structural substantiel de la relation de défense ou de la façon dont le Canada organise ses propres institutions de défense et de sécurité pour répondre aux exigences de l'ère nouvelle dans laquelle nous vivons et aux changements structuraux survenus aux États-Unis.
¿ (0925)
Évidemment, il n'est pas nécessaire de réformer ou de moderniser la totalité ou une partie de nos structures, institutions ou instruments bilatéraux ou nationaux. Cela dit, ce qui est problématique, c'est qu'il n'y a pas eu d'examen public d'envergure des structures sur lesquelles repose cette relation bilatérale. Certes, une étude approfondie comme celle-ci représenterait une tâche d'envergure qui pèserait lourd dans le programme des délibérations du comité, vu le grand nombre de questions pressantes à l'étude. C'est pourquoi on peut faire valoir qu'il serait préférable qu'une telle étude s'inscrive dans le contexte d'un examen de la politique future du Canada dans le domaine des affaires étrangères, de la défense ou de la sécurité.
Néanmoins, il est essentiel que votre comité ouvre la porte à cette question, l'une des raisons, et non la moindre, étant l'expérience entourant la création en décembre dernier d'un groupe de planification binationale en vue de coordonner les efforts de défense contre de nouvelles menaces à la sécurité de l'Amérique du Nord. Il est à la fois choquant et déconcertant qu'il a fallu plus d'un an pour créer ce nouveau groupe de planification, et près d'un an pour que le gouvernement accepte de négocier sa création et d'aller au-delà des échanges d'information officieux.
On se serait attendu à ce que le Canada, après le 11 septembre, réagisse rapidement pour planifier une réponse coordonnée en matière de sécurité et de défense avec les États-Unis, particulièrement à la lumière des mesures prises sans délai avec succès par NORAD et d'autres organismes pertinents des deux côtés de la frontière pour évacuer l'espace aérien américain immédiatement après les attaques. Malheureusement, les choses n'ont pas semblé se passer ainsi, ce qui soulève plusieurs questions sur l'état de la réflexion dans notre pays au sujet de la relation bilatérale, particulièrement au sein des organismes de défense et de politique étrangère. Et par-dessus tout, cette lenteur à agir contraste avec les attentes habituelles concernant la relation qui s'ensuit si l'on considère son évolution depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Ce constat donne naissance à une seconde question névralgique qui mérite examen: dans quelle mesure les décisions prises au fil des ans ont-elles altéré ou commencé à altérer les attentes au sujet de la relation, particulièrement au sud de la frontière. À cet égard, le dossier de l'Iraq ne saurait être pris isolément, d'une façon ou de l'autre; il s'inscrit dans une série de décisions qui remontent à plusieurs années. En fait, on peut peut-être même revenir aux années 60 et à la crise des missiles de Cuba, au débat sur les armes nucléaires Bomarc et à la guerre du Vietnam.
Cette question comporte plusieurs dimensions et le temps ne me permet pas de les aborder en détail dans ma déclaration liminaire. Permettez-moi plutôt de conclure en clarifiant la relation entre la participation du Canada à un système de défense antimissile et l'armement de l'espace pour ce qui est de savoir si les attentes américaines correspondent aux paramètres de la politique canadienne.
Surtout, les décideurs américains ne s'attendent pas à ce que le Canada s'engage dans la militarisation de l'espace et ils savent pertinemment que la participation canadienne au système de défense antimissile doit être distincte de l'évolution du dossier de l'armement de l'espace et des décisions afférentes. Ils sont conscients de la politique canadienne établie au début des années 60 et renforcée par les gouvernements successifs, ainsi que par des décisions et des débats de politique--ou par leur absence — dans le domaine de la défense antimissile.
Je ne peux affirmer avec certitude que la décision des États-Unis de restructurer son système de commandement en séparant le commandement de l'espace de NORAD et en le fusionnant avec le commandement stratégique a été prise uniquement pour arranger le Canada. Je ne peux pas affirmer non plus que la restructuration de leur programme de défense antimissile avait pour but de prévoir un espace distinct qui aurait permis la participation du Canada à un seul segment — la composante interception de la phase intermédiaire en territoire nord-américain dans un système d'interception à plusieurs niveaux. Cependant, je peux vous dire qu'en prenant ces deux initiatives, les États-Unis ont effectivement placé le Canada hors de l'équation de la militarisation. Par conséquent, pour autant que le Canada et la participation canadienne soient concernés, la question de la militarisation d'un lien spatial de défense antimissile n'est pas pertinente. Les États-Unis s'attendent à ce que le Canada veuille participer au commandement et au contrôle du volet intercepteur terrestre nord-américain seulement, sans plus.
Dans ce cas, pour le Canada, la dimension spatiale implique une participation permanente uniquement dans le volet d'alerte rapide des missiles antibalistique, ce qui ouvre légèrement la porte pour une participation du Canada au réseau de surveillance spatiale américain. En l'occurrence, il est manifestement dans l'intérêt national du Canada de savoir ce qui se passe dans son espace aérien. Même si l'armement de l'espace mettra au moins dix ans à se concrétiser en raison des coûts technologiques et de l'équation de la demande stratégique qu'elle implique, cette porte est fermée et demeurera fermée à moins que le Canada n'aille au-delà de la politique qu'il a fait sienne à une époque différente et dans un monde différent.
Même si je suis convaincu que le Canada se doit de scruter sa politique actuelle, sa stratégie d'investissement et son approche globale relativement à l'espace dans la perspective de la sécurité, du commerce des intérêts et des valeurs scientifiques qui sont les siennes, il s'agit là de questions indépendantes de la participation canadienne à un système terrestre de défense antimissile balistique. Au mieux, on pourrait faire valoir qu'en acceptant d'y participer on garde un peu plus ouverte la porte sur le volet spatial, ce qui permet au Canada de se garder des options pour l'avenir. En disant non, on ferme entièrement la porte, simplement parce que le Canada aura ainsi transmis, par cette décision, le message qu'il ne veut pas savoir comment évolue la sécurité de l'espace ou que cela n'est pas nécessaire. Il aura ainsi renforcé les attentes actuelles des États-Unis à cet égard et ce choix, je le souligne, appartient uniquement au Canada.
¿ (0930)
Naturellement, de nombreuses autres questions entrent en jeu lorsqu'il s'agit d'évaluer le pour et le contre de la participation du Canada. L'une de celles que la plupart des Canadiens sont réticents à envisager est la contribution territoriale nécessaire pour rendre plus efficace un système terrestre de défense de l'Amérique du Nord et du Canada. Bien sûr, aux yeux des Américains, toute attente à cet égard a disparu en 1967 dans la foulée de la décision concernant les ABM.
Néanmoins, je suis tout à fait prêt à préciser ma pensée, dont je viens de vous exposer les grandes lignes, et à répondre aux questions que vous pourriez avoir.
Merci beaucoup.
Le président: Merci, monsieur Fergusson. Après avoir entendu vos observations, je suis d'autant plus convaincu que le comité a fait preuve de sagesse en vous invitant à comparaître devant lui. Vous nous avez fourni de précieuses informations.
Nous allons commencer la période de questions avec M. Anders.
M. Rob Anders (Calgary-Ouest, Alliance canadienne): Merci beaucoup, monsieur Pratt.
J'ai eu l'occasion de bavarder brièvement avec vous avant le début de la séance, monsieur Fergusson. Je suppose que je vais me lancer dans diverses directions.
Vous avez mentionné l'entente qui a été conclue entre le Canada et les États-Unis. Vous avez même fait allusion à la déclaration de Franklin Delano Roosevelt, qui a dit que le Canada serait protégé, et au revers de la médaille d'une autre entente ultérieure, à savoir que nous ne serions pas un passif sur le plan de la sécurité. Voici ma première question — je vais probablement vous poser une série de questions, parce que je ne sais pas de combien de temps je dispose...
Le président: Je suis certain que vous aurez tout le temps voulu aujourd'hui.
M. Rob Anders: Très bien. Je vais foncer et vous poser plusieurs questions. Je pourrai les répéter, mais si vous les prenez en note, ce serait mieux.
La première est de savoir si, oui ou non, nous avons tenu notre part du contrat pour ce qui est d'être un élément du passif en matière de sécurité. Je voudrais que vous nous fassiez part de vos réflexions sur la question de savoir si nous tenons notre part du contrat et, dans la négative, sur ce que nous devrions faire différemment.
Deuxièmement, je reconnais que vous avez beaucoup travaillé sur la question de la prolifération des missiles. Je me rends compte que vous n'avez pas abordé directement cette question dans votre exposé aujourd'hui, mais je me demande si vous pourriez nous dire ce que le Canada pourrait et devrait faire différemment pour empêcher la prolifération des missiles, par exemple en direction des terroristes arabes dans la foulée des attentats du 11 septembre. Ensuite, si vous le voulez bien, vous pourriez aborder d'autres éléments qui, à votre avis, pourraient être problématiques à cet égard.
Je vais m'en tenir à ces deux questions pour l'instant, et je reviendrai à la charge plus tard.
M. James Fergusson: Merci.
La première question est très difficile, parce que bien des gens diraient que, compte tenu l'absence d'investissement de la part du Canada depuis une décennie, sinon même davantage, nous avons confié une part de plus en plus grande de nos responsabilités en matière de défense à notre voisin du sud. Ce faisant, nous sommes devenus à certains égards un passif pour les États-Unis.
Sans vouloir préjuger de l'issue du débat ou avancer des arguments historiques dans un sens ou dans l'autre — car je crois que l'on pourrait argumenter dans un sens ou dans l'autre — , je vous dirai que si l'on examine la situation actuelle et si l'on fait des projections dans l'avenir, pour essayer de discerner quelles seront les menaces probables à la sécurité de l'Amérique du Nord, en réfléchissant à la place du Canada face à ces menaces, compte tenu de l'émergence de technologies américaines, en particulier de nouvelles technologies, pour assurer la sécurité de l'Amérique du Nord, je pense que la question du passif devient de moins en moins pertinente, parce que les États-Unis ont la capacité de veiller à ce que nous ne devenions jamais une faille dans leur sécurité, que cela nous plaise ou non. J'incline donc à inverser la proposition et à demander dans quelle mesure le Canada veut continuer d'assumer la responsabilité et d'approfondir ses connaissances de sa propre défense et de sa sécurité dans le contexte de l'Amérique du Nord. En ce sens, je dirais que nous sommes devenus un passif sur le plan de la sécurité pour nous-mêmes plutôt que pour les États-Unis.
Ce n'est pas simplement une fonction de l'investissement. On a toujours tendance à s'attarder au fait que si nous avions seulement investi plus d'argent, ou si nous investissions aujourd'hui plus d'argent dans la défense et la sécurité, cela résoudrait tous nos problèmes. Cela ne résoudra pas tous nos problèmes; cela ne résoudra jamais nos problèmes. Je pense qu'il faut faire attention de ne pas faire peser trop lourdement la balance du côté du montant d'argent. L'argent a son importance, bien sûr. Le problème tient aussi à la tendance qui s'est manifestée au fil des années et par laquelle le Canada, sur le plan de sa propre sécurité nationale, c'est-à-dire à la lumière du fait que nous sommes situés en Amérique du Nord, a essentiellement transféré de l'argent, si vous voulez, ou des investissements et des responsabilités aux États-Unis. Ainsi, nous avons transféré la responsabilité aux États-Unis, mais nous avons transféré l'argent à l'étranger. C'est notre relation de défense avec les États-Unis qui nous a permis d'investir ou de consacrer le gros de notre argent à faire l'acquisition d'équipement, d'une capacité, de formation, et ensuite de déployer nos troupes outre-mer sur le plan opérationnel, que ce soit pour le déploiement avancé de nos forces en Europe, les opérations de maintien de la paix pendant la guerre froide ou, par la suite, le grand nombre d'engagements que nous avons pris durant l'ère postérieure à la guerre froide.
Nous avons dirigé l'investissement de nos ressources parce que nous avons simplement commencé à dépendre de plus en plus des États-Unis pour s'occuper de l'Amérique du Nord à notre place. Je ne suis pas certain que ce soit le reflet d'une décision délibérée de la part des décideurs politiques au fil de nombreuses décennies, mais c'est ainsi que les choses se sont passées et nous nous sommes engagés dans cette voie.
Si je fais maintenant le lien avec la question qui se pose actuellement de l'avenir de nos relations au sein de l'Amérique du Nord et de leur évolution, je pense que l'une des attentes des États-Unis est qu'ils deviendront de plus en plus responsables de la sécurité canadienne. À moins que le gouvernement réexamine très sérieusement la question de notre contribution réelle à notre sécurité dans le contexte de nos relations coopératives avec les États-Unis, ce qui ne veut pas nécessairement dire plus d'argent, mais une réaffectation de nos ressources pour alléger nos engagements extrêmement lourds et accablants à l'étranger et réinvestir au Canada, et transformer les forces militaires canadiennes en une force conçue et équipée pour affronter les contingences précises de la sécurité nationale du Canada comme tâche primordiale — à ce moment-là, je pense que nos relations pourront se maintenir.
Donc, pour répondre à la question, nous sommes un élément de passif, mais je pense que nous sommes plutôt un passif pour nous-mêmes que pour les États-Unis.
¿ (0935)
M. Rob Anders: Je voudrais vous interrompre, si vous n'y voyez pas d'objection.
Vous avez dit qu'il y a eu absence d'investissement. Je pense qu'il y a probablement plusieurs membres du comité qui souhaiteraient que l'on consacre plus d'argent à la défense nationale au Canada, je n'en dirai pas plus.
Pour ce qui est de nous causer des problèmes à nous-mêmes par manque d'investissement dans nos forces armées, je voudrais revenir là-dessus. Je sais que quelqu'un, je ne me rappelle plus qui exactement, a fait une déclaration auparavant, et vous me pardonnerez si la métaphore est quelque peu boiteuse, mais on a dit essentiellement que le Canada, à certains égards, sert de porte-avion pour les terroristes au large des côtes des États-Unis. Je me rends compte que c'est une métaphore très dure, mais Montréal, par exemple, a servi de base de départ aux Mujahedin-e-Khalq pour mener certaines de leurs activités le long du littoral oriental des États-Unis.
Je pense que les déclarations que j'ai entendues de la part de certains Américains ont une certaine validité. Cela m'inquiète, car non seulement nous sommes une menace pour nous-mêmes parce que nous ne consacrons pas assez d'argent à nos forces armées, mais en plus, nous sommes une menace pour notre voisin et principal allié. Vous pourriez me faire part de vos réflexions là-dessus, et ensuite peut-être pourriez-vous répondre à la deuxième question.
Le président: Vous avez déjà dépassé votre temps, monsieur Anders. Je suis certain que chacun aura amplement l'occasion de poser des questions, étant donné le petit nombre de membres que nous avons au comité aujourd'hui, mais en toute justice pour les autres députés qui attendent leur tour, je vous inviterais à répondre rapidement à cela, monsieur Fergusson, après quoi nous pourrons passer à l'intervenant suivant.
M. James Fergusson: Voulez-vous une réponse à la question supplémentaire ou bien à la question sur la prolifération?
M. Rob Anders: À vous de choisir.
M. James Fergusson: Eh bien, je vais répondre brièvement aux deux, en fonction de la manière dont vous les avez formulées.
Sur la question des terroristes, je pense qu'il faut faire la distinction entre le discours politique et la réalité que vivent les hauts fonctionnaires qui sont les rouages de cette relation et de cette collaboration, surtout entre la GRC et le FBI et entre les autres organismes de sécurité. Je pense qu'ils savent très bien qu'il y a effectivement des problèmes au Canada, mais qu'il y a aussi des problèmes aux États-Unis. Nous devons les résoudre dans un esprit de collaboration. Je pense que nous ne sommes pas plus une faille aux yeux des Américains que ce que les Américains eux-mêmes perçoivent comme faille dans leurs propres structures et systèmes internes. Mais nous devons collaborer davantage et je pense que c'était le message qu'on voulait transmettre.
Je passe maintenant à la question sur la prolifération des missiles. Vous avez demandé ce que le Canada pourrait faire pour l'empêcher. Fondamentalement, nous ne pouvons rien faire pour l'empêcher. Nous avons des contrôles assez rigoureux à l'exportation pour s'assurer que les technologies que nous possédons et qui pourraient faciliter la prolifération des missiles ne tombent pas entre de mauvaises mains. Notre insistance sur un régime multilatéral négocié pour enrayer la prolifération des missiles a généralement toujours été exagérée dans notre pays, compte tenu de la réalité de ce qui dicte les forces politiques internationales de non-prolifération — sans vouloir dénigrer certains éléments positifs de notre appui à ce régime. Par contre, je pense que la réponse fondamentale est que la seule chose que nous puissions faire est de reconnaître, comme nous l'avons toujours fait à certains endroits, que la prolifération des missiles exige une réponse multidimensionnelle. L'accord international n'est qu'un seul élément de cette réponse et, bien souvent, ce n'est pas un élément qui a énormément de succès pour ce qui est d'empêcher la prolifération.
¿ (0940)
Le président: Merci, monsieur Ferguson.
Merci, monsieur Anders.
Madame Neville.
Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.): Merci.
Merci d'être venu aujourd'hui.
J'ai été frappée par vos commentaires sur les Américains qui n'attendraient rien du Canada pour ce qui est de la participation à l'armement de l'espace. Vous avez évoqué les changements structurels ou les structures de comité qui ont été mis en place, mais je me demande si vous pourriez nous en dire plus long sur ce que vous savez des attentes des Américains, ou de l'absence de telles attentes, à l'égard du Canada et du système de défense antimissile, parce que c'est une source de vive préoccupation pour bien des gens.
M. James Fergusson: Premièrement, il est important de reconnaître que la question de l'armement de l'espace ou du contrôle actif de l'espace, pour utiliser le terme exact, par opposition au contrôle passif de l'espace, est une question sur laquelle aucune décision n'a encore été prise aux États-Unis.
Les États-Unis cherchent clairement à maintenir ouvertes leurs options à mesure que l'espace est mis en exploitation pour deux raisons fondamentales. D'ailleurs, ces deux raisons fondamentales sont un autre élément pour lequel il faut envisager séparément la question de la défense antimissile et l'armement de l,espace, bien qu'elles soient liées, naturellement, parce que les menaces venant de l'espace sont essentiellement constituées par des missiles, c'est-à-dire les mêmes menaces que la défense antimissile est censée contrer, mais pas entièrement. On prend conscience aux États-Unis que les militaires américains sont fondamentalement dépendants des ressources dont ils disposent dans l'espace, comme on vient d'en avoir l'exemple durant la guerre en Iraq. Les États-Unis reconnaissent donc qu'ils sont extrêmement vulnérables à des tentatives visant à intercepter ou perturber sa capacité d'utiliser la force militaire, que ce soit comme dissuasion ou pour le recours réel à la force, de la part d'États hostiles qui pourraient mettre au point des missiles balistiques à longue portée, des États qui acquièrent une capacité de lancement dans l'espace et qui pourraient donc menacer leurs intérêts vitaux. Cela pourrait paralyser les militaires américains. Je peux vous en donner beaucoup d'exemples.
Le deuxième élément, bien sûr, c'est le fait que les États-Unis reconnaissent que l'espace devient de plus en plus un intérêt commercial vital pour l'Amérique du Nord, pour les sociétés industrielles occidentales, pour la mondialisation. Je vous dirais même qu'on ne saurait avoir de mondialisation sans recourir à l'espace. C'est d'une telle importance, et ce n'est pas visible.
Si l'on examine les chiffres, les centaines de milliards de dollars investis dans l'espace, si l'on examine les simples aspects par lesquels l'espace nous touche dans nos vies quotidiennes, que nous ne voyons pas et que nous ne comprenons pas... Un bon exemple que j'aime à donner est celui des guichets bancaires. Nous ne comprenons pas que les guichets bancaires fonctionnent grâce aux ressources déployées dans l'espace. Imaginez ce qui se passerait si tout cela tombait en panne. Le public ne serait pas très heureux.
Il y a donc aux États-Unis des intérêts qui poussent à garder les options ouvertes. À cet égard, les États-Unis, quand il s'agit de la dimension spatiale, progressent lentement mais sûrement vers le développement des technologies, ils font de la recherche, ils cherchent à savoir exactement ce qui peut se faire et ce qui est infaisable, et ce qui devrait ou ne devrait pas se faire en ce qui a trait à l'espace.
Il est important par ailleurs de ne pas perdre de vue que les États-Unis ne sont pas nécessairement intéressés à l'armement de l'espace. À cause de leur propre dépendance, ils sont préoccupés par ce qui se passerait si l'espace extérieur était militarisé. Ils n'ont donc pas encore arrêté leur position définitive là-dessus.
Quant à la politique canadienne, nous devons être réalistes, compte tenu du peu d'influence que quiconque peut exercer sur les États-Unis dans n'importe quel domaine. Il y a une limite à l'influence qu'un État ou une société peut exercer sur un autre État ou société. Nous le savons, ne serait-ce qu'en raison de notre politique intérieure.
Si le Canada veut chercher sérieusement à exercer une influence, nous ne pouvons pas le faire à partir de l'extérieur. Mais c'est exactement ce que nous avons fait, parce que nous avons fermé la porte à toute discussion rationnelle ou évaluation de la dimension spatiale.
Ce qui amène à poser la question suivante : qu'attendent donc de nous les États-Unis? À cet égard, je pense qu'il est très clair que les hauts fonctionnaires des diverses agences impliquées aux États-Unis ont reconnu que les décideurs politiques canadiens, le public canadien, si l'on peut utiliser ce terme, demeure profondément attaché à la politique de non-militarisation.
Si tel est le cas, alors on peut s'attendre à ce que, dans leur désir d'établir une coopération de défense nord-américaine dans le dossier de la défense antimissile, compte tenu de notre intérêt mutuel de le faire ensemble, ils ne vont pas mettre en place des obstacles à la participation canadienne qui nous entraîneraient dans la militarisation.
¿ (0945)
Nous pouvons facilement tracer une ligne, et ils l'ont d'ailleurs fait, comme je l'ai dit quand j'ai parlé des changements structurels. Ce n'est pas la considération la plus importante. Oui, peut-être que nous n'aimons pas l'armement de l'espace; nous souhaitons peut-être la combattre. Je ne pense pas qu'on ait encore établi dans notre pays une position raisonnée et logique dans tout ce débat, mais n'allons pas confondre cette question et l'idée que de dire oui à la défense antimissile nous entraîne inévitablement à faire cause commune avec les États-Unis. Il n'y a aucun doute dans mon esprit: si nous disons oui et amorçons des négociations sur les limites d'une éventuelle participation du Canada, et si le Canada demandait qu'on ajoute une clause explicite selon laquelle un éventuel accord n'entraînerait pas la participation canadienne à l'armement de l'espace, je suis sûr et certain que les États-Unis donneraient immédiatement leur accord.
C'est étrange, mais nous sommes presque libres de dicter nos conditions, tout dépendant évidemment de la somme que nous sommes disposés à investir, ce qui est une autre histoire.
Mme Anita Neville: Merci.
Le président: Merci madame Neville.
Madame Wayne.
Mme Elsie Wayne (Saint John, PC): Merci.
Monsieur Fergusson, je pense que notre comité de la défense devrait aller aux États-Unis pour rencontrer les représentants de leur comité de la défense. Je pense que nous pouvons établir des relations plus solides. Je m'inquiète de ce qu'il adviendra de notre participation au NORAD si nous ne participons pas à la défense contre les missiles balistiques que les États-Unis proposent.
Je sais que notre président aurait aimé aller aux États-Unis rencontrer nos homologues américains, mais nous n'avons pas pu y aller. Je pense que nous envisagerons d'y aller à l'automne, mais je trouve qu'il est important que nous y allions plus d'une fois. Il est important de continuer de se déplacer, de discuter, de dialoguer, pour qu'ils sachent que nous les considérons comme nos partenaires. Oui, nous serions un petit partenaire; néanmoins, nous sommes voisins et nous sommes partenaires.
Je me demande ce que vous pensez de tout cela, du rôle que nous pourrions jouer, en tant que comité de la défense.
M. James Fergusson: Je suis plutôt d'accord. J'en reviens à ce que je disais au sujet des attentes. Je pense que l'une des questions clés peut se résumer en une question très simple que beaucoup de Canadiens se posent sur le dossier de la défense antimissile.
Les États-Unis peuvent le faire sans nous. Les États-Unis n'ont pas besoin de nous. Oui, si le Canada apportait une contribution quelconque — son territoire — , cela rendrait le système plus efficace, et il est certain que certains aspects de la défense du Canada se présenteraient d'une manière différente si nous nous contentions de céder le tout aux États-Unis.
On en revient toujours à la question: pourquoi les États-Unis veulent-ils de nous? Je pense que la réponse à cela, c'est que depuis des décennies, ils voient simplement la défense de l'Amérique du Nord comme un arrangement de coopération. Quand ils pensent Amérique du Nord, ils englobent le Canada dans leur réflexion. Bien souvent, ils ne pensent pas en terme des États-Unis, mais en terme de l'Amérique du Nord, ce qui est distinct de la manière dont ils envisagent nos relations au-delà de l'Amérique du Nord. Je pense que les États-Unis compartimentalisent très bien ces deux aspects. L'une des questions qui s'est posée ces dernières années, c'est qu'ils commencent à se demander si nous pensons encore en fonction de l'Amérique du Nord, parce qu'ils ne comprennent plus exactement notre façon de penser.
Je suis donc d'accord avec vous. Je pense qu'il est important que le comité fasse un effort pour établir de meilleures relations, créer des liens avec les comités des forces armées de la Chambre et du Sénat, en particulier ces deux comités.
Les membres du comité savent pertinemment que le rôle de ces comités est très différent aux États-Unis, en comparaison du rôle que les comités jouent au Canada, pour diverses raisons historiques, sociales et politiques.
Nous avons tendance à concentrer nos efforts — quand nous faisons des efforts — un peu trop du côté de l'exécutif, et nous ne sommes pas assez conscients de l'importance du Sénat et de la Chambre aux États-Unis et de la structure de leurs comités, qui sont très puissants, surtout les comités des forces armées, ces deux comités étant extrêmement puissants. Ils occupent probablement le deuxième ou troisième rang dans l'échelle d'influence des comités aux États-Unis.
Je suis donc entièrement d'accord avec vous pour dire qu'il est très important d'établir des contacts plus étroits et plus nombreux afin de renforcer le rôle de votre comité dans notre pays, le rôle que votre comité peut et doit jouer. Cela s'accompagne aussi d'un besoin de ressources plus abondantes pour ces comités.
¿ (0950)
Mme Elsie Wayne: Je dis cela en toute déférence, mais juste avant que vous preniez les commandes, quand Pat O'Brien était à votre place, nous sommes allés — j'ignore si vous étiez avec nous à ce moment-là, Robert — et nous avons rencontré des représentants là-bas. Ils nous avaient demandé, à Pat et à moi-même, de siéger à un comité conjoint des États-Unis et du Canada sur la défense. Nous avions donné notre accord, mais ensuite, Pat est parti et nous ne sommes jamais retournés. Nous aurions dû y aller, monsieur le président, parce que je pense, docteur Fergusson, que lorsque nous nous sommes rencontrés autour d'une table pour discuter de notre rôle en tant que membres du comité de la défense et de tout le reste, ils nous considéraient comme des frères et des soeurs. C'est exactement comme cela qu'ils nous voyaient: pas comme des voisins, mais bien comme des frères et soeurs.
Ils voulaient que cette relation soit renforcée et devienne vraiment solide. Je trouve que c'est tellement important, parce que je dois vous dire, ayant une centrale nucléaire dans ma circonscription, ayant aussi la plus grande raffinerie de pétrole de propriété privée au Canada, et étant situé juste à côté des États-Unis, j'ai de vives préoccupations au sujet de la sécurité de notre peuple. Si jamais un missile s'abat et ne se rend pas tout à fait aux États-Unis, mais tombe au Canada, c'est probablement là qu'il va tomber. Soyez assurés qu'ils savent exactement où se trouvent les centrales nucléaires dans notre pays.
Le président: Avez-vous des commentaires sur les commentaires de Mme Wayne, monsieur Fergusson?
M. James Fergusson: Je voudrais revenir sur l'une de vos premières observations. Vous avez mentionné le NORAD et son avenir qui vous paraît préoccupant. Je pense que c'est effectivement préoccupant, mais qu'il faut faire attention de bien comprendre comment les États-Unis perçoivent cette relation, du moins à mon avis. En gros, en dépit des grands discours et des pressions que les États-Unis exercent sur nous, la réalité est exactement l'inverse.
Les États-Unis, à cause de leur attitude et de la façon dont ils nous perçoivent et à cause de la mentalité nord-américaine aux États-Unis, sont très sensibles aux préoccupations canadiennes. À cet égard, ils sont également très ouverts, au point de quasiment nous présenter un buffet à même lequel le Canada pourrait choisir les éléments de sa participation. Dans l'ensemble, les États-Unis sont très ouverts et disposés à accepter notre participation, quelle qu'elle soit. Si nous ne voulons pas participer du tout, les États-Unis diront très bien.
Prenez la défense contre les missiles et l'avenir du NORAD. Si le Canada dit non à la défense antimissile, le NORAD ne va pas disparaître. Le NORAD devra changer. Les États-Unis continueront d'être intéressés, comme nous le sommes, à collaborer dans le dossier de l'espace aérien, pas de l'aérospatial. Ils diront que nous devons collaborer sur l'espace aérien. Il y a bien des raisons de continuer d'avoir une collaboration étroite. Et le NORAD est un véhicule important. Il fonctionne en concertation... comme nous l'avons vu dans la foulée du 11 septembre. Le NORAD va continuer. Mais, bien sûr, le NORAD sera moins important globalement pour les Américains parce qu'il aura simplement un rôle moindre à jouer.
Bien sûr, certains rôles que le NORAD joue dans le domaine de l'espace — cette porte importante que j'ai mentionnée va se refermer sur nous. Si nous voulons qu'elle se referme, c'est bien. Nous pouvons prendre cette décision et dire que nous ne voulons plus nous mêler de cela, ou bien que nous voulons nous en charger nous-mêmes. Mais il faut reconnaître que cette porte va se refermer. Ou bien que nous aurons un rôle moindre. Nous allons continuer de collaborer dans le domaine de l'espace aérien. Nous allons continuer de collaborer pour certains aspects maritimes et terrestres. Tout cela se poursuivra tant que nous voudrons collaborer et que les États-Unis trouveront que c'est valable — et ils ont toujours tendance à trouver que c'est valable.
Comme je l'ai dit, d'importants changements seront apportés dans la prochaine entente sur le NORAD. Je pense que la question que doivent se poser le comité et le gouvernement est celle-ci: quel prix le Canada est-il disposé à payer, alors que les États-Unis disent essentiellement que la porte est grande ouverte et que c'est au Canada de décider dans un sens ou dans l'autre, au lieu de continuer à argumenter — et je pense que le débat est terminé depuis longtemps sur la défense antimissile et beaucoup de ces équations — en invoquant des arguments ésotériques et théoriques. Enfin, je veux dire, tout cela est bien beau, et j'adore discuter de stabilité stratégique et de théories de la course aux armements et de tout le reste — le système fonctionnera-t-il, ne fonctionnera-t-il pas? — et toutes ces merveilleuses contradictions. C'est un peu à côté de la question, en ce qui concerne le Canada.
Pour le Canada, la question est très simple. Voulons-nous y aller, oui ou non? La porte est ouverte. Si nous y allons, qu'est-ce que le Canada va obtenir? Si nous n'y allons pas, qu'est-ce que le Canada obtient et qu'est-ce que le Canada perd? Également, qu'est-ce qu'on perd en participant. À mon avis, c'est là-dessus que doit porter le débat.
Ce n'est pas que le NORAD va disparaître. Je ne pense pas que le NORAD va disparaître. Si nous n'y allons pas, le NORAD va diminuer d'ampleur. Il deviendra moins pertinent. Il deviendra un arrangement exclusivement centré sur l'espace aérien. Si nous sommes prêts à l'accepter, très bien. Je ne pense pas que ce soit une bonne décision, mais...
¿ (0955)
Le président: Merci, madame Wayne.
Merci monsieur Fergusson.
Monsieur Bertrand, avez-vous des questions à poser?
M. Robert Bertrand (Pontiac—Gatineau—Labelle, Lib.): Non, monsieur le président.
Le président: Très bien. Dans ce cas, je pourrais peut-être profiter de l'occasion pour poser moi-même quelques questions.
En vous écoutant, monsieur Fergusson, j'ai l'impression — je ne veux pas vous faire dire ce que vous n'avez pas dit — qu'au sujet de la position actuelle du Canada sur le non-armement de l'espace, vous estimez que l'approche ou la position que nous avons adoptée a été élaborée dans un environnement stratégique très différent, que nous avons dépassé cet ancien environnement stratégique de la guerre froide et que nous sommes maintenant dans une situation nouvelle où nous avons beaucoup d'actifs déployés dans l'espace et que, sans l'armement de l'espace, nous n'avons aucun moyen de protéger des actifs qui sont vitaux pour le fonctionnement de l'économie mondiale.
Est-ce qu'il serait juste de faire cette observation à partir des commentaires que vous avez faits jusqu'à maintenant? Et pourriez-vous dire au comité dans quelle mesure vous connaissez le traité sur l'espace et quelle était la raison d'être de ce traité quand il a été signé et ratifié vers 1967, et quelle orientation devrions-nous prendre à votre avis sur toute cette question de la protection de nos actifs dans l'espace?
M. James Fergusson: Vous avez certainement bien résumé ma pensée. Je crois fermement, comme je crois l'avoir dit dans ma déclaration d'ouverture, que le débat sur la défense antimissile doit être séparé du débat portant sur toute la question de l'armement et de l'armement de l'espace, et ce dernier débat sera nécessaire — est déjà nécessaire, avant d'aller plus loin dans cette voie, peu importe quelle voie on empruntera, parce que le mouvement va commencer à s'accélérer aux États-Unis à mesure que la technologie sera mise au point.
Pour ce qui est des origines, je suis entièrement d'accord sur le fait que le traité sur l'espace, qui a été ratifié et est entré en vigueur en 1967, est la base des rares instruments de droit international régissant l'utilisation de l'espace. Essentiellement, il assujettit l'espace au droit de la mer. C'est-à-dire qu'il traite l'espace sur le même plan conceptuel, quoique ce droit de l'espace n'a pas été étoffé davantage, comme l'a été le droit de la mer, par exemple en ce qui a trait aux droits des belligérants.
Le traité sur l'espace interdit seulement, comme vous le savez, le déploiement d'armes de destruction massive dans l'espace et est seulement appuyé par le traité interdisant les essais d'armes nucléaires — le traité de 1963 sur l'interdiction partielle des essais — aux termes duquel les États-Unis et l'Union soviétique ont convenu de ne pas faire l'essai d'armes nucléaires à l'extérieur de l'atmosphère, entre autres choses, et bien sûr, dépendant des interprétations, par le statut international du Traité sur l'interdiction totale des essais. C'est tout ce qui est interdit. Quiconque laisse entendre que toute autre activité menée dans l'espace viole le droit international est tout simplement dans l'erreur.
Le traité lui-même a été dicté par les contingences de la guerre froide. Vous avez absolument raison de dire que dans cet environnement stratégique, dicté en particulier par le désir des États-Unis d'assurer leur sécurité malgré la résistance initiale de l'Union soviétique, après quoi elle s'est rangée, il s'agissait essentiellement de reconnaître l'importance, dans une relation entre puissances nucléaires, de s'assurer que certains actifs déployés dans l'espace à l'époque demeureraient relativement invulnérables. Je vais utiliser le mot «sanctuaire» — non, je ne veux pas utiliser ce mot, parce que ce n'est pas un sanctuaire.
En particulier, comme les deux parties ont reconnu la valeur de cette position surélevée permettant d'observer l'accumulation des arsenaux de part et d'autre, et dans un environnement où le seul moyen à l'époque de s'en prendre à des cibles placées dans l'espace était des bombes atomiques, et reconnaissant, à mesure que des faits importants commençaient graduellement... N'oubliez pas qu'au début et au milieu des années 60, l'espace servait presque exclusivement à des fins militaires. Il y avait des éléments commerciaux. Nous étions présents avec Anik et d'autres commençaient à se positionner là-haut commercialement, mais l'investissement était d'abord et avant tout militaire — pour la surveillance, la reconnaissance, l'alerte avancée, tout cela étant devenu vital pour promouvoir la stabilité stratégique dans cet environnement particulier.
Le traité sur l'espace était essentiellement un accord bilatéral entre les États-Unis et l'Union soviétique et tous les autres États, comme dans le cas de bien d'autres accords de l'époque, pouvaient facilement y adhérer. Cet accord correspondait à nos intérêts particuliers également, puisque nous préférions le désarmement et le contrôle des armements, et les États-Unis ont également utilisé le même discours à l'époque.
Si l'on compare avec la situation d'aujourd'hui, nous vivons bien sûr dans un monde différent. L'espace, comme je l'ai dit, est devenu beaucoup plus important pour l'Amérique du Nord et pour l'économie occidentale et mondiale. C'est devenu un actif militaire essentiel pour les forces américaines. C'est bien sûr très important pour le Canada, à la fois pour les applications militaires, que nous n'utilisons pas bien, mais nous nous en servons quand même un peu, mais aussi pour nos applications civiles, nos applications scientifiques, nos études sur la formation des glaces, etc. Par conséquent, nous avons une dépendance de plus en plus grande, mais à notre insu.
Qu'en est-il maintenant de l'armement de l'espace, qu'il faut distinguer de la militarisation? L'espace est déjà militarisé; nous l'utilisons déjà des fins militaires. Quelle est la différence entre installer là-haut une arme qui frappe une cible au sol et utiliser le système GPS pour guider un missile vers une cible? Je trouve que nous coupons les cheveux en quatre.
Comment allons-nous résoudre les problèmes de vulnérabilité de ces actifs face aux futurs développements? À quoi ressembleront ces développements: des intercepteurs terrestres, des lasers avec base terrestre, qui remontent à l'essai miracle datant de 1998, je crois, alors que les États-Unis voulaient voir ce qu'un laser de faible intensité pouvait faire comme dommage à un satellite en train de quitter son orbite?
À (1000)
Ils ont été très étonnés, soit dit en passant, par les résultats de ce test, qui a alimenté les craintes qu'ils étaient très vulnérables: commercialement, nous sommes vulnérables; militairement, nous sommes vulnérables. Cela a créé aux États-Unis le mode de pensée qui a appuyé en partie l'idée de la défense contre les missiles et qui a repris un nouvel élan avec l'argument de la menace asymétrique, c'est-à-dire la question suivante: supposons un état faible qui est en conflit ou en confrontation avec l'Occident, qui sera dirigé par les États-Unis, comment cet État va-t-il faire face à la réalité, à savoir que son adversaire est la puissance militaire la plus moderne, la plus avancée au monde? Il faut alors penser différemment pour contourner le problème. L'une des manières asymétriques de réagir, c'est de frapper les points vulnérables. Or quels sont les points vulnérables de l'occident?
Voilà où en est actuellement la pensée américaine.
Tout cela joue pour le Canada également, à ce qu'il me semble, même si nous n'investissons pas beaucoup dans l'espace et même si nous n'avons pas de ces questions une conception aussi directe que celle des États-Unis. Mais tout cela nous amène à une considération, à savoir que, oui, ce serait bien de laisser l'espace en paix comme étant le seul environnement non armé. Ainsi va l'argument.
C'est un beau sentiment. Mais cela ne nous aidera pas à composer avec la réalité fondamentale du monde dans lequel nous vivons et du monde que nous connaîtrons bientôt si, comme je le prévois, nous sommes au seuil d'entrer dans ce que j'appellerais la troisième ère spatiale.
On entend parler de tourisme dans l'espace et de tous les grands projets qui se préparent : la surestimation, il y a plusieurs années, de ce qui devait se passer dans l'exploitation commerciale et qui ne s'est pas passé pour une foule de raisons: l'iridium et d'autres constellations qui ne se sont pas révélés rentables. Mais cette fois-ci, il semble bien que cela va finir par arriver. Nous sommes seulement un peu en avance.
Cela soulève la question : compte tenu de toutes ces percées, un peu comme la haute mer, en un sens, devons-nous maintenant commencer à réfléchir sérieusement à la manière dont nous allons réglementer cet environnement? Quels sont les arguments pour et contre l'armement de l'espace?
Je l'avoue franchement, il y a des arguments pour et contre, pour des motifs d'ordre pratique, militaire, de sécurité et commerciaux. Rester sur la touche et dire: «L'armement, c'est le mal; il n'est même pas question d'en parler, parce que c'est le mal incarné», cela ne mènera pas le Canada très loin et n'aura aucune résonance nulle part ailleurs dans notre monde. En dépit de ce que les Chinois et les Russes et les Européens peuvent dire publiquement sur tout cela, ce qu'ils pensent vraiment et ce qu'ils font, c'est une autre paire de manches.
À cet égard, je fais remarquer que la politique canadienne sur l'espace n'a pas été réexaminée dans notre pays depuis le rapport Chapman des années 1960. Elle a évolué au coup par coup. Il n'y a pas eu d'examen systématique et coordonné de l'orientation que le Canada veut adopter en ce qui concerne l'espace, quel type d'investissement devrait être consenti, quelle stratégie devrait être déployée par le Canada. Tout cela a été fait à la pièce.
Je vous invite à considérer que non seulement la question de l'armement de l'espace doit être examinée sérieusement, mais aussi que toute la question de l'espace, du point de vue scientifique, commercial, militaire, ou de la sécurité, doit être sérieusement examinée. J'insiste pour que le comité saisisse bien l'importance de se pencher sur cette question à un moment donné à l'avenir.
À (1005)
Le président: Merci beaucoup.
Par égard pour M. Anders, peut-être devrions-nous lui permettre maintenant de poursuivre ses questions; après quoi nous passerons à M. Bertrand.
Monsieur Anders.
M. Rob Anders: Merci beaucoup, monsieur Pratt.
Premièrement, je voudrais dire, au sujet de vos commentaires sur l'espace, je voudrais dire que nous en sommes à un point dans l'histoire où, même si à une certaine époque c'était très important d'avoir la maîtrise de la terre et la maîtrise des mers pour pouvoir diriger nos affaires, voici que tout à coup est arrivé l'avion — certains diraient même les montgolfières pendant la guerre civile américaine, mais assurément l'avion durant la Première Guerre mondiale — et peu de temps après, la maîtrise de l'air est devenue assez importante. Je pense que nous sommes sur le point de reconnaître et de comprendre que la maîtrise de l'espace sera extraordinairement importante pour l'avancement des valeurs et de tout le reste. Voilà mes réflexions là-dessus.
Vous avez dit tout à l'heure que nous ne pouvons pas faire grand-chose pour empêcher la prolifération des missiles. Je trouve cela intéressant. Je me rends compte que nous ne sommes pas un intervenant très important dans ce dossier. En fait, je pense que Doug Harkness, ex-député de Calgary-Ouest au Parlement, a démissionné il y a bien des années parce que le Canada ne voulait pas s'impliquer dans le scénario nucléaire; cependant, nous avons vendu des réacteurs nucléaires CANDU. Je songe à Israël, qui a acquis sa supposée capacité nucléaire en construisant leurs installations d'armement juste en-dessous de leur centrale nucléaire commerciale, de sorte qu'un satellite passant au-dessus ne pouvait rien déceler, à cause des radiations et de la concentration. Bien sûr, le Canada a vendu des réacteurs nucléaires CANDU au Pakistan, à la Chine et à l'Inde, et je m'interroge vraiment sur la sagesse à long terme de ces décisions.
Je rappelle tout cela simplement dans le contexte de ne pas pouvoir faire grand-chose pour l'empêcher. Je pense qu'en fait, nous aurions pu faire de la prévention en évitant de vendre ces centrales: nous les aidons à enrichir leur uranium pour en faire des armes. Mais quoi qu'il en soit...
Je vais vous poser une autre question. Je reviens un peu à ce qui nous préoccupe, nommément la défense contre les missiles balistiques.
Dans l'un de vos articles, vous avez dit que Washington pourrait décider de le faire tout seul et que cela pourrait nuire sérieusement aux relations bilatérales. Quand je suis allé visiter les installations du NORAD, j'ai eu l'impression que nous étions beaucoup moins intégrés au commandement spatial américain que nous ne l'étions dans tous les autres aspects et activités à Colorado Springs. Pourriez-vous nous faire part de vos réflexions sur notre éventuelle non-participation et ce que cela pourrait vouloir dire en terme de nouvelles contraintes quant à la capacité canadienne de participer à ce programme, et sur ce qui pourrait nous échapper à cause de notre ambivalence sur la défense contre les missiles balistiques?
À (1010)
M. James Fergusson: Je voudrais d'abord faire un commentaire sur le réacteur CANDU et l'Inde, car c'est une affaire qui a fait les manchettes au début des années 70, lorsque les Indiens ont fait exploser une ogive nucléaire à des fins pacifiques. Surtout au Canada, il y a eu beaucoup de grincements de dents; les gens disaient: nous leur avons vendu un appareil CANDU et voyez ce qui est arrivé.
Il est important de se rappeler que nous sommes légalement liés par notre signature du traité de non-prolifération, que nous avons travaillé très fort pour reconduire indéfiniment. Dans ce traité, en retour du renoncement à l'option nucléaire, les pays signataires ont le droit d'acquérir de la technologie nucléaire à des fins pacifiques, pourvu qu'ils respectent les sauvegardes de l'AIEA.
À moins que le Canada décide de se retirer de ce traité ou de le faire modifier, nous pouvons difficilement dire que nous ne pouvons pas donner de la technologie nucléaire à des fins pacifiques à des pays qui sont signataires du traité de non-prolifération.
D'aucuns disent que c'est une faille inhérente de ce traité, et ils ont probablement raison. Au sujet du réacteur CANDU, si je comprends bien — je ne suis pas un physicien nucléaire — le seul rôle que le réacteur CANDU pourrait jouer dans la prolifération serait de produire du combustible épuisé qu'il faudrait ensuite retraiter pour en faire des matières fissiles susceptibles de fabriquer des armes. Le réacteur CANDU comme tel ne produit pas de matière pouvant servir à fabriquer des armes nucléaires.
Donc, sur la question de savoir ce qui va se passer dans le contexte du NORAD si Washington décide de procéder tout seul, d'après ce que je comprends, la place occupée par les Forces canadiennes au sein du commandement spatial américain, ou plutôt au Centre de contrôle spatial, à Cheyenne Mountain, a été fonction des missions communes. C'est une décision fonctionnelle, les États-Unis n'étant nullement obligés, dans le cadre de l'accord du NORAD, de permettre aux Canadiens d'y participer, mais il y a un chevauchement fonctionnel entre les opérations du contrôle spatial, plus précisément le réseau de surveillance dans l'espace, et bien sûr le rôle du NORAD, c'est-à-dire le réseau d'alerte avancée pour les missiles balistiques.
C'est donc logique.
Jusqu'au début des années 90, le Canada, bien sûr, comme vous le savez peut-être, a participé directement au Réseau de surveillance de l'espace par le déploiement de deux caméras appelées Baker-Nunn, l'une à St. Margarets, au Nouveau-Brunswick, et l'autre à Cold Lake, en Alberta. Il s'agit d'appareils conçus pour surveiller ce qui se passe dans l'espace.
De plus, pour vous donner un autre exemple, du personnel canadien affecté au NORAD travaille encore par quart, par exemple à Cavalier, au Dakota du Nord, juste au sud de Winnipeg, comme opérateur de radar à élément en phase. Ils suivent à la trace les objets dans l'espace pour établir le catalogue complet de tous les objets dans l'espace. Cette tâche découlait logiquement de la mission du NORAD.
Notre porte d'entrée dans le domaine spatial, indépendamment de notre contribution très minime par ailleurs, mais qui n'en existe pas moins, découle essentiellement du chevauchement entre la mission du NORAD et la mission du commandement spatial. Cela a débouché sur d'autres activités associées à l'exploitation des actifs américains dans l'espace, les Canadiens étant associés à ces activités parce que c'était utile dans le cadre d'une relation de coopération.
Tout cela a déjà commencé à changer, depuis plusieurs années, le Canada refusant, depuis au moins le milieu des années 90, de prendre une décision sur la défense contre les missiles.
Nous n'avons pas été invités, bien sûr, mais nous n'avons pas pris de décision. De plus en plus, à mesure que la défense antimissile prenait de l'ampleur et que les autres activités spatiales venaient s'y greffer, les hauts responsables aux États-Unis ont commencé à fermer la porte aux Canadiens. Ils avaient ouvert cette porte, mais ils estimaient désormais que le Canada n'avait pas manifesté son intérêt à participer, et qu'il n'était donc pas nécessaire que le Canada soit au courant de tout cela et le Canada s'est donc retrouvé en touche.
Il y a donc eu des changements importants et cela touche en partie à beaucoup de préoccupations que l'on entend au sujet de l'avenir du NORAD. Les portes se referment, les Canadiens se retrouvent isolés et c'est effectivement ce qui va se passer. En fin de compte, si le Canada n'est pas présent dans la défense antimissile et si le NORAD n'est plus réellement un arrangement fonctionnel de défense aérospatiale, mais devient plutôt un simple arrangement de défense de l'espace aérien, que va faire le Canada? Pourquoi le Canada participerait-il au réseau d'alerte avancée de défense contre les missiles balistiques?
Chose certaine, les États-Unis pourraient installer une antenne ici et nous transmettre l'information tout comme ils le font maintenant pour l'OTAN. Le NORAD donne de l'information à l'OTAN en passant par Molesworth, et les Américains pourraient donc nous envoyer l'information et nous dire: «En passant, vous serez peut-être intéressés d'apprendre qu'il y a des missiles balistiques qui s'en viennent. Désolé, nous ne pouvons rien vous dire d'autre.»
À (1015)
Le Canada n'a donc aucun rôle fonctionnel dans la défense avancée contre les missiles balistiques. Il n'est pas nécessaire que nous participions le moindrement à l'aspect spatial, surtout maintenant qu'il a été séparé, et je pense que c'est une perte stratégique importante pour le Canada. Cela aura des répercussions, indépendamment de la décision que nous pourrons prendre sur la défense antimissile. Qu'arrivera-t-il alors du Canada? Qu'arrivera-t-il des divers hauts degrés, des officiers canadiens, par exemple le directeur du commandement à Cheyenne Mountain. Ce poste sera-t-il dysfonctionnel? Que deviendra le NORAD à Cheyenne Mountain s'il reste sur place? Je pense que tous les éléments de l'espace aérien vont rester, mais tout le reste sera morcelé. Que deviendra Cheyenne Mountain?
J'ignore si vous êtes allés là-bas, mais si vous y allez, vous verrez une grande table comme celle-ci avec des écrans, et il y a un pupitre, le pupitre sud, dont je ne me rappelle plus le nom exact, qui s'occupe essentiellement de l'élément cubain de l'équation. Les Canadiens ne siègent pas à ce pupitre. Pour des raisons politiques, nous ne nous mêlons pas de cela. C'est toujours un Américain qui est assis à ce pupitre. Tous les autres pupitres peuvent être occupés par des Canadiens ou des Américains, jusqu'au directeur du commandement et ensuite son supérieur, qui peut être un Canadien ou un Américain.
Eh bien, si nous ne sommes pas présents, il y aura un pupitre qui sera occupé par un Canadien et ce sera celui de la défense aérienne. C'est tout, parce que nous ne pouvons pas... Et l'autre raison, c'est que le directeur du commandement sera chargé non seulement d'évaluer une éventuelle attaque par missile balistique, mais aussi de prendre les décisions, d'acquérir le pouvoir de lancer les intercepteurs, parce qu'il faudra agir assez rapidement.
On pourrait donc poser la question suivante: quelle influence le Canada aurait-il alors? Le premier ministre ne sera pas avisé avant que l'on prenne une décision de lancer ou de ne pas lancer les intercepteurs. C'est probablement vrai, mais cela dépend... Nous serons avisés, mais il faudra que l'on accorde le pouvoir de décision aux responsables du commandement mixte, parce qu'il faut pouvoir lancer de multiples attaques contre des ogives se dirigeant vers nous, si cela devait arriver.
Mais ce n'est pas problématique, parce qu'on va lancer des vecteurs d'énergie cinétique. Ce n'est pas des ogives qu'on va lancer, et il y aura préavis. Donc, une erreur éventuelle n'aurait pas les mêmes conséquences que si on lançait des ogives nucléaires. Si on lance par erreur un vecteur d'interception consistant en de l'énergie cinétique pure, ce n'est pas aussi important... enfin, c'est quand même important, mais je pense que vous comprenez ce que je veux dire.
À (1020)
Le président: Nous devons nous arrêter ici, monsieur Anders, et donner la parole à M. Bertrand.
M. Robert Bertrand: Merci beaucoup, monsieur le président.
Dans la biographique qui nous a été remise, je lis que vous êtes directeur adjoint du Centre d'études en matière de défense et de sécurité. Vous l'avez probablement dit au début, mais malheureusement, je n'étais pas arrivé. Pourriez-vous me dire d'abord ce que fait cette organisation?
Deuxièmement, si nous décidons de participer au bouclier antimissile, vous dites que nous devrions nous poser la question : qu'est-ce que le Canada a à y gagner? J'espère que je paraphrase ce que vous avez dit. Qu'avons-nous à gagner? Qu'avons-nous à perdre? Et nous devrions amorcer un dialogue.
Je voudrais vous demander qui devrait prendre l'initiative de ce dialogue? Pensez-vous que notre comité devrait le faire, ou peut-être le comité des affaires étrangères? J'aimerais votre avis là-dessus.
M. James Fergusson: Le Centre d'études pour la défense et la sécurité est essentiellement un centre de recherche à l'Université du Manitoba. Sa première tâche est d'effectuer des travaux de recherche sur les dossiers de défense et de sécurité. Il compte quatre ou cinq membres dont les travaux portent sur différents sujets dans le domaine de la sécurité, et je suis probablement celui qui s'occupe de manière plus ciblée de défense et d'études stratégiques. Notre groupe existe depuis le milieu des années 80 et nous avons obtenu une reconnaissance officielle à l'université en 1993, si je me rappelle bien. Nous sommes associés au département d'études politiques de l'université.
Je ne suis pas certain que ces renseignements répondent à votre demande.
Qui devrait prendre l'initiative de ce dialogue? Je pense que votre comité a un rôle à jouer dans ce dialogue, et aussi le comité des affaires étrangères. Mais je pense que votre comité a un rôle plus important à jouer que celui des affaires étrangères, parce que ce sont les relations dans le domaine de la défense qui sont en cause et que l'affaire devrait être envisagée dans cette optique. Je pense que le débat sur cette question jusqu'à maintenant a trop mis l'accent sur l'aspect international.
Voyez comment ce débat a évolué dans le domaine public et dans les médias, prenant même la forme de déclarations politiques, et même dans le milieu universitaire, c'est depuis le début un débat américain. Je trouve paradoxal que nous soyons en train de débattre un dossier purement américain dans notre pays, mais il est très rare que les Canadiens s'arrêtent à y penser et se demandent: «Mais quelle est la place du Canada dans tout cela?» De quoi avons-nous discuté? Je vais vous donner un exemple. Le gouvernement Clinton a fixé quatre critères pour évaluer la défense nationale contre les missiles. C'était il y a cinq, six, sept ou huit ans, mais si je me rappelle bien, les critères étaient les suivants: est-ce que la menace le justifie? Est-ce abordable? La technique est-elle au point? Et la sécurité internationale?
Voyez maintenant le débat canadien, qui, curieusement, se poursuit encore aujourd'hui; de quoi discutons-nous? Nous parlons de la menace, mais y a-t-il une menace? Est-ce abordable, même si nous ne payons rien? La technologie est-elle faisable? Oui, elle l'est, ou non, elle ne l'est pas. Nous parlons d'une technologie qui n'est pas vraiment la nôtre. Et nous parlons de sécurité internationale. Je ne vois pas beaucoup de gens autour de nous dire: «Mais attendez un instant, examinons tout cela dans le contexte du Canada». Qui peut examiner cela dans le contexte du Canada et des relations de défense du Canada? Votre comité? La Défense nationale? Je ne dis pas que les Affaires étrangères n'ont pas un rôle à jouer et que d'autres responsables n'ont pas eux aussi un rôle à jouer, ou que les universitaires n'ont pas leur mot à dire, mais les médias n'ont pas le moindre rôle à jouer. Mais nous ne semblons pas vouloir discuter des intérêts canadiens à cet égard.
En outre, je vais ajouter une observation. Nous ne voulons pas discuter d'une contribution canadienne à ce projet. Je reconnais que la probabilité est très faible, mais les missiles nous survolerons en Amérique du Nord. Cela devient donc une question mettant directement en cause notre défense et je pense que nous, Canadiens, devons y réfléchir, mais nous n'avons pas voulu le faire parce que notre réflexion ne s'oriente pas dans ce sens.
Le président: Merci, monsieur Fergusson.
Monsieur Anders.
À (1025)
M. Rob Anders: Je m'amuse ferme. J'aime bien la façon dont le comité est structuré aujourd'hui.
Le président: C'est comme une échappée sur le Saint-Laurent.
M. Rob Anders: En effet, c'est tout aussi bon.
J'ai deux questions. Je sais que vous avez donné des cours sur la sécurité nationale dans divers collèges et tout le reste. Je vais vous poser une question sur votre liste de lectures obligatoires, pour ainsi dire. Je suis en train de vous tirer les vers du nez, puisque c'est ce que nous faisons ici aujourd'hui, mais je vais aborder la question dans une optique légèrement différente.
En plus de Mahan et de Sun Tzu, je sais qu'on a parlé un peu de Huntington avant le début de la séance aujourd'hui. Il y a un autre ouvrage semblable, intitulé Jihad vs. McWorld, et j'ai aussi eu l'occasion de jeter un coup d'oeil à l'ouvrage de Halford Mackinder, intitulé Democratic Ideals and Reality, qui m'a été donné par la National Defense University des États-Unis.
Y a-t-il d'autres ouvrages qu'il vaudrait la peine de lire, d'après vous, dans le domaine de la géopolitique? Avez-vous des auteurs préférés?
M. James Fergusson: Des auteurs préférés? Voyons voir.
Nous avons tous à un moment ou l'autre lu l'ouvrage de Clausewitz sur la guerre. Vous avez lu Mahan, et je vous suggère donc de lire Julian Corbett et des ouvrages à son sujet, parce qu'il donne un point de vue différent sur un autre élément de l'équation, la marine.
J'essaie de penser à une longue liste de sources sur les armes nucléaires et la théorie de la supériorité aérienne, que tous mes étudiants lisent ou que je les force à lire. Habituellement, on ne se rappelle pas facilement des titres. Mais je pense que l'on trouve un très bon survol de l'évolution stratégique dans un livre écrit sous la direction de Peter Paret, Makers of MOdern Strategy, le deuxième volume. Publié il y a une dizaine d'années, ce livre est un recueil d'articles des plus grands auteurs dans ce domaine, et il constitue un très bon ouvrage de référence pour établir le contexte des débats et arguments aux diverses étapes de l'évolution de la pensée stratégique. Je recommande toujours à mes étudiants de le lire, et je vous le recommande également.
M. Rob Anders: Merci. Je vous en suis reconnaissant.
Pour ma deuxième question, je me reporte à un article que vous avez écrit, intitulé «Time for a decision on North American Missile Defence». Je pense que c'était dans Options politiques.
Est-ce bien cela?
M. James Fergusson: C'était dans Policy Options.
M. Rob Anders: Très bien.
Vous y faites mention de la Russie et du Traité sur les missiles antimissile. Avant le début de la séance, je discutais avec vous de la scène mondiale, et je me demande s'il nous serait possible, à votre avis, d'amener les Russes à faire cause commune avec nous. Par «nous», je veux dire le monde occidental, par exemple, ou bien l'empire britannique, ou peu importe le nom qu'on veut lui donner. Je serais ravi si les Russes en arrivaient à se voir comme la moitié orientale de la chrétienté, ou bien, pour ceux qui en auraient contre cette formulation pour des raisons morales, la moitié orientale de l'ancien empire romain, si vous voulez, ou quelque chose du genre.
Serait-il possible d'en arriver à une telle entente avec eux? Pensez-vous qu'il y ait des possibilités à cet égard?
M. James Fergusson: Je ne sais vraiment pas quoi répondre à cette question. Je songe immédiatement à la mesure dans laquelle nous comprenons la position des Russes sur la défense contre les missiles et sur la distinction qu'il faut faire entre le discours russe, qui a changé considérablement, par exemple, depuis les signaux très positifs envoyés par Boris Yeltsin au début des années 90 dans ses échanges avec le président Bush père, par exemple au sujet d'un réseau mondial de protection et d'alerte avancée, jusqu'à l'évolution qui a débouché sur un discours dénotant une assez forte hostilité des Russes face à tout le dossier du bouclier antimissile. Pourtant, si la collaboration s'est poursuivie à divers niveaux et de diverses manières entre les États-Unis et les Russes, notamment, par exemple, pour la mise au point et les ententes initiales entourant l'intervention des États-Unis pour faciliter ou réparer les trous dans le système d'alerte avancée des Russes, qui était devenu très problématique avec l'effondrement de l'Union soviétique, à cause de la perte de stations terrestres et du manque de ressources pour remplacer les satellites et une foule d'autres problèmes...
La Russie a collaboré, et je pense que nous l'avons fait nous aussi, de façon marginale, par exemple dans le dossier du passage à l'an 2000. Les États-Unis étaient très inquiets et les Russes aussi au sujet de l'an 2000 et il y a eu une collaboration très poussée qui s'est poursuivie ensuite. Il y a eu collaboration continue dans le dossier de la défense contre les missiles entre les États-Unis et la Russie, et aussi en ce qui concerne les intérêts russes relativement aux programmes de l'OTAN, dont nous ne parlons jamais dans notre pays, et une foule d'autres questions relatives à la défense contre les missiles du champ de bataille et les missiles tactiques.
Je pense donc qu'il faut prendre avec un grain de sel le discours que nous entendons de temps à autre de la part des Russes quant aux niveaux de collaboration pratique entre la Russie et l'Occident et quant aux ouvertures qui sont faites par les Russes et à leur intention. La Russie, comme n'importe quel pays, a une population dans laquelle coexistent des points de vue variés et différents sur le monde et la place des Russes dans le monde, et le Canada, les États-Unis et d'autres pays doivent être très sensibles aux apparences et à la manière dont ils traitent Moscou dans leurs relations. Mais, je le répète, il y a à la base des intérêts communs avec Moscou, comme il y en avec Pékin, rendant possible une coopération plus poussée et de bonnes relations entre les parties.
Quel rôle le Canada peut-il jouer? Nous n'investissons pas autant que les autres dans les ressources. Nous n'avons pas les ressources et nous ne sommes pas disposés à investir pour acquérir les ressources qui nous permettraient d'avoir une influence importante à Moscou ou à Pékin, en dépit de ce que nous pouvons dire.
En fait, l'essentiel est ce qui se passe au sud de la frontière, à Washington, et la manière dont les Américains traitent avec les Russes. Cela ne se fera pas sans heurts. Il y aura des hauts et des bas dans les relations, mais il me semble qu'il y a des intérêts communs à toutes les parties et je pense qu'à toutes fins pratiques, ils continueront d'exister pendant un avenir prévisible.
Je ne suis pas sûr d'avoir répondu à votre question, parce que c'était une question difficile.
À (1030)
Le président: Je voudrais poser moi-même quelques questions, monsieur Anders.
Je voudrais, monsieur Fergusson, revenir aux points fondamentaux du débat. À certains égards, le débat a été encadré par des opposants, et je songe notamment à Lloyd Axworthy et Michael Byers. Ils ont dit que la menace n'existait pas en fait de missile balistique, qu'il n'y a pas vraiment de menace, et ils en reviennent au fait que ce sont les gens armés de lames de rasoir qui doivent nous inquiéter, pas les missiles intercontinentaux ou de courte portée. Et je pense qu'ils soutiennent aussi que la technologie ne sera probablement jamais au point et qu'en participant à ce projet, nous renoncerions à notre souveraineté. Ils sont convaincus qu'il en résultera d'une manière ou d'une autre une perte de souveraineté et que la défense contre les missiles débouche directement sur la prolifération.
Je sais que vous avez abordé la question de la prolifération dans une certaine mesure, mais je me demande si vous pourriez établir plus précisément la ligne de démarcation entre la défense antimissile et la prolifération, dans le contexte des arguments des opposants, et aussi nous parler un peu de la menace du point de vue technologique, de la faisabilité de tout cela. Pourriez-vous nous dire quelques mots là-dessus?
M. James Fergusson: Permettez au départ que je fasse le lien entre les arguments sur la prolifération, la menace et la technologie. Si le système est déployé, il débouchera sur la prolifération, parce que le système, je le suppose, sera efficace. Si le système est inefficace et ne fonctionne pas, alors personne n'aura besoin d'investir des ressources pour y réagir. Je n'ai donc jamais accordé beaucoup de poids à cet argument.
Pour ce qui est de la menace, et surtout du lien entre la menace et la prolifération, il n'y a pas de menace et, en fait, il n'y aura pas de menace provenant de missiles balistiques à longue portée, excluant les missiles existants, bien sûr, lesquels ne nous menacent plus parce que la situation géopolitique a changé, je parle des missiles balistiques intercontinentaux que possèdent les Russes et les Chinois. Quant aux Français et aux Britanniques, on n'en parle même pas.
En fait, si l'on met au point une technologie de défense antimissile, il semble logique que cela incitera les peuples à acquérir des missiles balistiques intercontinentaux.
L'idée que la défense antimissile donnera lieu à une réaction, au réarmement, était strictement fondée sur les arguments entourant le débat durant les années 1980 et une déclaration faite à l'époque par de hauts responsables soviétiques, selon laquelle si les États-Unis poursuivaient leur initiative de défense stratégique, ils réagiraient en multipliant le nombre de leurs ogives pour rendre le système inopérant.
Pour déterminer si c'est la réaction nécessaire ou si telle aurait été la réaction à un système de défense antimissile, il faut tenir compte de toute une série de considérations stratégiques et logiques. À l'époque, il y avait notamment ce qu'on appelait le critère Nitze relativement au rapport coût-efficacité marginal. La question était de savoir si le coût d'une unité offensive est plus élevé ou moins élevé que le coût d'une unité défensive pour contrer la première. Je pense que c'est important, parce que personne n'en parle jamais, mais c'est pourtant au coeur de la logique de cet argument sur la technologie, la prolifération et la menace.
Tant et aussi longtemps qu'une unité offensive coûte moins cher qu'une unité défensive, il n'est pas logique d'investir dans la défense parce que l'adversaire sera toujours capable d'investir dans l'offensive à moindre coût. La logique voulait donc que l'IDS était absurde parce qu'elle serait tout simplement beaucoup trop cher. C'est ainsi que l'on a greffé l'élément coût dans cette argumentation.
Cela ne tenait pas compte, bien sûr, de toute la question du coût de démarrage, de l'investissement consenti pour mettre au point les missiles ICBM, et personne ne parle des sommes que les États-Unis et les Soviétiques investissent dans la mise au point de missiles de longue portée. Tout cela a son importance quand on commence à examiner la menace.
La mise au point de missiles coûte très cher. Nous savons, en dépit des grands efforts déployés par la communauté de la non-prolifération, le régime de contrôle de la technologie des missiles, qu'il y a certainement eu des fuites et qu'on a fait appel à la rétroingénierie des fusées à un étage — des missiles de courte portée comme les SCUD, que les Iraquiens ont utilisés, et les Nord-Coréens utilisent la même méthode, c'est-à-dire qu'on peut, à partir de technologies déjà acquises, appliquer la même ingénierie de manière inversée et fabriquer peu à peu des missiles de longue portée, en y investissant beaucoup de ressources.
Nous savons qu'en 1998, les Nord-Coréens ont fait l'essai d'une fusée à trois étages, ce qui soulève bien sûr la possibilité de bombarder l'Amérique du Nord, et cela a été un point tournant pour les Américains, cela a vraiment mis fin au débat sur l'existence d'une menace aux États-Unis, quand les Nord-Coréens ont fait cela. Depuis lors, les Nord-Coréens ont cessé leurs essais, mais les craintes n'en sont nullement disparues pour autant.
Nous connaissons la paranoïa du régime nord-coréen. Nous savons que les Indiens poursuivent leurs travaux et qu'ils ont la capacité de lancer des missiles dans l'espace. S'ils le veulent, ils sont bien partis pour mettre au point des ICBM. Les Iraniens sont en train de mettre au point leur propre missile balistique de portée intermédiaire. Il y a donc beaucoup d'investissements un peu partout dans les missiles balistiques.
Rappelez-vous que la notion d'une menace sous-entendait toujours qu'à l'avenir, ces pays continueraient naturellement à progresser lentement mais sûrement vers l'acquisition de missiles balistiques de longue portée capables de menacer l'Amérique du Nord. Personne n'a jamais dit que la menace existe aujourd'hui. C'est seulement que cela ne va pas manquer d'arriver. Tous les indicateurs pointent en ce sens.
À (1035)
À cet égard, je pense qu'il est juste de dire que la pensée américaine, et ma pensée aussi là-dessus, est qu'à la lumière des questions qui se posent sur la nature de ce leadership, ces pays voient un avantage potentiel à mettre au point de telles armes pour menacer l'Occident, pour nous dissuader d'intervenir quand nous jugeons nécessaire d'intervenir, et altérer l'équilibre des pouvoirs dans l'équation politique.
C'est logique. D'une manière, c'est la simple logique : un État faible qui constate que sa place dans le monde est celle d'un adversaire des puissances dominantes est tenté d'investir ses ressources en conséquence. Cela revient à l'argument sur l'armement de l'espace. Il y a une vulnérabilité. Un tel investissement est terriblement avantageux sur les plans politique, militaire et stratégique.
La défense antimissile est conçue pour fermer cette porte. C'est conçu pour faire savoir que si vous continuez d'investir des ressources limitées dans les missiles, ceux-ci n'auront pas le moindre effet sur nous. Vous n'en tirerez aucun avantage parce que nous allons éliminer leur valeur politique.
Cela n'en vaut donc pas la peine. Cela ne veut pas dire que la prolifération prendra fin, mais cela crée un élément de dissuasion pouvant freiner la prolifération. Si l'on y ajoute les autres éléments du régime de non-prolifération, la défense antimissile constitue réellement, à mon avis, un effort de non-prolifération.
J'ai autre chose à ajouter, et j'en reviens à l'équation sur le coût. Une fois que les États-Unis auront investi, et ils sont assez bien partis, les sommes nécessaires pour mettre au point cette capacité, la défense contre ces proliférations deviendra moins cher que les armes offensives.
Le deuxième message que l'on envoie est celui-ci: si vous voulez investir, allez-y, mais vous ne serez pas capables de nous battre. Et il y a encore d'autres considérations en jeu. Donc, y a-t-il une menace? Non, il n'y a pas nécessairement de menace émanant actuellement des États du monde en développement, mais il est certain que le potentiel existe et nous avons vu une foule d'indices témoignant de la mise au point graduelle et de la prolifération des missiles balistiques.
Les Américains pensent — et je pense qu'il y a là une certaine logique — que si l'on examine l'échéancier du déploiement de la défense antimissile, les investissements, la recherche, la mise au point, les essais et l'évaluation, et l'échéancier de l'éventuelle prolifération, les Américains donc s'efforcent de prendre de l'avance sur leurs poursuivants. Sans compter, évidemment, la volonté d'avoir la capacité de contrer les tyrans du monde, du genre de Saddam Hussein ou de Kim Il Sung.
Je ne pense pas que l'on puisse dire que cela va nécessairement causer la prolifération. Chose certaine, cela n'entraînera à mon avis aucune réaction notable de la part des Chinois ou des Russes. Quant aux arguments fondés sur la technologie, ils m'ont toujours laissé perplexe. Si la technologie ne fonctionne pas et ne fonctionnera jamais, pourquoi est-on inquiet? Peut-être s'inquiète-t-on du sort du contribuable américain. Je suppose que l'on peut sympathiser avec lui, mais la réalité est que la technologie se développe beaucoup plus rapidement que tout le monde se l'imagine.
Je ne peux pas vous dire par coeur le nombre d'essais récents couronnés de succès, mais en comparaison de l'ancien bouclier antimissile à base terrestre, auquel nous participions, les essais ont eu beaucoup de succès, sauf erreur, depuis deux ans, et dans cinq des six derniers. Chaque essai devient plus compliqué et difficile que le précédent. Les systèmes tactiques... Enfin, tous les systèmes sont en progrès. La défense sera-t-elle parfaite? La technologie nous donnera-t-elle un bouclier étanche à 100 p. 100? Bien sûr que non. Aucune défense n'est jamais parfaite.
Si nous ne pouvions rien accepter d'autre qu'une défense parfaite, nous n'investirions jamais un sou dans la défense, parce que cela n'aurait aucun sens. Mais nous calculons les probabilités, nous prenons un risque calculé jugé acceptable. C'est ce que l'on fait en l'occurrence.
Une dernière question se pose au sujet de la défense contre les missiles balistiques, par opposition à la menace du terrorisme. La défense antimissile n'est pas conçue pour contrer la menace du terrorisme. La probabilité que des terroristes acquièrent des missiles balistiques est quasi nulle. La probabilité qu'ils acquièrent des missiles de croisière est légèrement plus élevée, mais c'est comme tout le reste, il y a beaucoup de menaces différentes et il ne faut pas mettre tous ses oeufs dans le même panier.
Il faut investir dans différents secteurs de la défense. Si quelqu'un vient me dire qu'il n'y a rien d'autre que le terrorisme, alors nous ferions aussi bien de démanteler la quasi totalité de nos forces militaires puisqu'elles ne servent à rien dans la lutte contre le terrorisme; investissons plutôt ailleurs. Cet argument m'apparaît absurde.
À (1040)
Le président: Merci, monsieur Fergusson.
M. Rob Anders: Sur ce dernier point, si je peux faire une analogie très simple, c'est comme une tribu armée de flèches et une autre tribu qui invente un bouclier en bois. Les résultats sont assez satisfaisants. La tribu qui veut enfoncer les boucliers fabriquent plus de flèches — cela revient à vos unités de défensive contre vos unités d'offensive. Mais quand une tribu arrive à investir assez d'argent — je suis sûr qu'il a fallu beaucoup d'efforts, de sueurs et d'énergie pour mettre au point un bouclier en métal invulnérable aux flèches, mais cela en valait la peine. En tout cas, c'est de cette façon que je vois les choses.
Je veux aussi revenir sur ce que vous avez dit tout à l'heure au sujet de la Russie, à savoir que les États-Unis vont déterminer l'avenir des relations entre les deux pays. Je vous fais observer, ainsi qu'aux membres du comité, qu'à mon avis, le Canada est en train de rater des occasions dans ce dossier. Je pense qu'à bien des égards, nous sommes un intermédiaire culturel entre l'Angleterre et les États-Unis, entre l'empire britannique, le Commonwealth et peut-être l'Europe au sens large. Je pense que nous pourrions représenter un élément attrayant dans tout cela. Nous ne sommes peut-être pas nombreux ni économiquement puissants, mais nous pourrions certainement nous rendre utiles en servant de pivot. Je pense que nous n'en faisons pas autant que nous le pourrions dans ce dossier. Quoiqu'il en soit, voilà ce que j'avais à offrir comme réponse.
J'aimerais vous demander — je passe du coq à l'âne encore une fois — ce que vous pensez de l'abandon du canal de Panama. Pensez-vous que les États-Unis ont réduit leur sphère d'influence en renonçant au canal de Panama?
À (1045)
M. James Fergusson: Le canal de Panama est...
Le président: Je trouve que nous digressons pas mal.
M. Rob Anders: Je comprends, monsieur Pratt, mais je sais qu'il s'intéresse à ces diverses questions et je pense avoir épuisé la plupart des questions que je voulais poser sur la défense contre les missiles balistiques. Je pense connaître son opinion là-dessus.
M. James Fergusson: Permettez que je fasse une observation, et j'en reviens à ce que vous avez dit, monsieur Anders, et aussi à ce qu'a dit M. Pratt.
Si nous sommes sérieux quand nous parlons d'éliminer la capacité d'acheminer des armes de destruction massive au moyen de missiles balistiques, si c'est un objectif réel, et si, ce faisant, comme je l'ai soutenu ailleurs, nous faisons éclater l'environnement de sécurité qui s'est révélé satisfaisant pendant la guerre froide, notre défense étant fondée sur l'incapacité de nous défendre, la menace de représailles massives était essentiellement notre manière de renforcer ou même de créer notre sécurité.
Si nous voulons nous éloigner de ce paradigme, les rares exemples de succès nous apprennent que cela se produit à deux conditions : premièrement, lorsque les nations conviennent que, pour des raisons politiques, il n'en vaut plus la peine ou il n'est plus utile d'investir dans ces ressources; et deuxièmement, quand l'évolution de la situation vient essentiellement réduire à néant l'utilité politico-militaire ce ces armes. Le Canada a beaucoup insisté sur l'importance du contrôle des armements, de la non-prolifération, de l'élément de l'équation axée sur les négociations politiques multilatérales. Ce que nous n'avons pas fait, c'est d'investir dans l'autre élément de l'équation, la défense.
J'attire votre attention sur le succès relatif de la Convention sur les armes chimiques. La raison pour laquelle les armes chimiques ont été mises au rancart, pour l'essentiel, quoique l'on continue de se tenir à la fine pointe dans les laboratoires, au cas où, c'est que nous avons élaboré tout un ensemble d'accords internationaux, une série de règles et de principes sur lesquels les États et les sociétés se sont mis d'accord dans l'arène internationale. Deuxièmement, ces armes ont très peu, sinon pas du tout de valeur politico-militaire; on peut se défendre contre de telles armes.
Je soutiens que la même logique s'applique à la défense contre les missiles balistiques. Nous pouvons négocier des ententes régissant ces armes et ce sera beaucoup plus efficace si nous pouvons du même coup annuler leurs valeurs politiques et stratégiques.
Maintenant, pour répondre à votre question sur le canal de Panama, je pense que la décision de redonner le canal de Panama aux Panaméens n'a eu absolument aucune conséquence stratégique importante. Je ne suis pas du tout expert sur cette région, pas plus que sur les relations particulières avec le Panama et la façon dont ce pays administre le canal, mais je suis d'avis que pour ce qui est des intérêts stratégiques des États-Unis et de l'Occident, l'accès au canal de Panama n'entre pas en ligne de compte. Je pense que ce ne sera vraiment pas un problème à l'avenir non plus, parce que nous sommes dans un monde différent, un monde en mutation.
Voilà ma réponse sur le canal de Panama. C'est tout ce que je sais sur le canal de Panama.
Le président: Avez-vous autre chose à ajouter?
M. Rob Anders: Non, je pense que j'aurai une question à lui poser en privé tout à l'heure.
Le président: J'aurais deux ou trois autres questions à vous poser, monsieur Fergusson.
J'ai lu un article dans le New York Times il y a environ trois mois, par Thomas Friedman. Il y parlait du monde de l'ordre et du monde du désordre, les pays comme les États-Unis, le Canada et l'Amérique du Nord, l'Europe, la Russie et la Chine faisant partie du monde de l'ordre, c'est-à-dire un groupe de nations qui cherchent à préserver la stabilité mondiale et qui ont mis en place des règles pour tenter d'y parvenir, ainsi que des organisations de défense et de sécurité visant à préserver ce monde de l'ordre, pour que nous puissions nous occuper d'améliorer le sort des êtres humains du point de vue du commerce et du développement et de la prospérité économique.
D'autre part, il évoquait un monde de désordre. Il décrivait des États désordonnés, notamment l'Inde, le Pakistan, la Colombie et l'Égypte; des États inopérants comme le Libéria; et des États voyous comme la Corée du Nord, l'Iran, et c'était avant la chute de Saddam Hussein, de sorte qu'il ajoutait l'Iraq à sa liste.
Il disait que l'avenir sera façonné par la lutte contre le monde du désordre, que pour la communauté internationale, pour le monde de l'ordre, le défi est ce monde du désordre qui emploiera peut-être des moyens asymétriques pour atteindre certains de ses objectifs.
Que pensez-vous de ce modèle? Que pensez-vous de tout cela, dans le contexte du déploiement par les États-Unis d'un bouclier antimissile, mais aussi des autres approches face à la défense au XXIe siècle?
À (1050)
M. James Fergusson: J'aurais des réserves au sujet de certains pays énumérés dans la liste du monde du désordre, et on pourrait en débattre ad nauseam. C'est essentiellement une variante de l'argument nord-sud, le monde industrialisé du nord contre le monde sous-développé et en développement et tous les problèmes qui en découlent.
Je ne pense pas que les problèmes posés par le monde du désordre ou le monde en développement, l'hémisphère sud, soient vraiment de nature à poser d'importantes menaces à la stabilité mondiale. Nous vivons dans un monde très stable du simple fait qu'il existe des relations relativement bonnes entre toutes les grandes puissances dominantes. Je pense qu'il est temps de cesser de parler d'instabilité du monde dans lequel nous vivons. C'est un monde très stable.
Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas une foule de problèmes, beaucoup de violence, beaucoup d'États cahotiques, d'États voyous, etc. Mais ils se situent pour la plupart dans des régions et des secteurs qui sont plus ou moins périphériques par rapport aux intérêts et à la sécurité de l'Occident. Ces problèmes et ces États touchent un nerf sensible sur le plan moral, ce qui est compréhensible.
Quand on songe aux divers pays du monde — il est certain que je retrancherais l'Inde de cette liste, parce que l'Inde et toute la question indienne, c'est une question complètement différente. Tout indique que l'Inde est en train d'émerger et de devenir une grande puissance avec laquelle nous devrons compter, mais je pense que le système va s'adapter naturellement au fur et à mesure que de nouvelles grandes puissances apparaîtront.
Beaucoup de ces pays se trouvent dans des secteurs où, par rapport à l'Occident, nous avons des éléments de choix, en particulier les États-Unis, à cause de leur position dominante. Je pense qu'il est important que nous le reconnaissions tous. Nous ne le reconnaissons pas suffisamment, en dépit de tout ce que nous pouvons dire au Canada et ailleurs au sujet du monde dans lequel nous vivons.
Nous vivons dans un monde qui est dominé par un seul acteur politique qui est le seul acteur planétaire. Compte tenu de cette réalité, cette puissance a essentiellement toute liberté de prendre n'importe quelle décision quand à ce qu'elle décidera de faire ou de ne pas faire. La question centrale que doivent se poser tous les acteurs, y compris le Canada, bien que nous soyons un peu différents des autres acteurs, c'est dans quelle mesure les décisions et les choix des États-Unis reflètent les intérêts des autres pays, que ce soit leur éventuelle décision d'intervenir sur la scène mondiale, directement ou par leur influence, ou en essayant d'amener les États-Unis à agir sur la scène mondiale lorsque ceux-ci hésitent à le faire.
J'aime utiliser l'exemple du Moyen-Orient. Quand je songe à la position américaine sur la question palestinienne, sur Israël et la Palestine, quand le gouvernement Bush est arrivé au pouvoir, il a pris du recul. La réaction de chacun, y compris le Canada, a été de dire: «Vous ne pouvez pas faire cela, vous devez rester engagés activement». Ce à quoi le gouvernement a répondu: «Tant que les parties ne seront pas prêtes à négocier sérieusement, tant qu'elles ne mettront pas fin à la violence, etc., il n'y a rien que nous puissions faire». Bien sûr, le monde a exigé, nous avons tous exigé que les Américains maintiennent leur engagement. Voilà qu'ils sont de nouveau engagés.
Il faut reconnaître le leadership des États-Unis à cet égard, pas seulement dans la question palestinienne, mais à l'échelle planétaire, et la mesure dans laquelle les États-Unis maintiendront leur engagement sur la scène internationale. Je pense que c'est la clé. Les États-Unis, en dépit de tous leurs discours, sont à mon avis en train de se replier sur eux-mêmes, quoique je pense qu'ils vont s'interroger de plus en plus sur leurs engagements internationaux et sur le prix politique qu'ils doivent payer sur la scène internationale.
À (1055)
À cet égard, la défense contre les missiles est très importante parce que, pour les États-Unis, et je pense que cela sert notre intérêt également, c'est l'assurance que les États-Unis vont demeurer engagés internationalement.
En ce sens, je pense également qu'il y a un malaise chez beaucoup d'Américains. Je ne peux pas parler au nom des Américains, mais j'ai l'impression, d'après ce que je lis, qu'il y a un certain malaise aux États-Unis, que bien des gens pensent que les menaces qui pèsent sur la sécurité des États-Unis est en grande partie le produit de la présence américaine à l'étranger et que cette menace est en grande partie le produit d'intérêts américains douteux.
Les questions qui se posent sont les suivantes: pourquoi sommes-nous présents ici et là? Pourquoi engageons-nous le dialogue avec un groupe d'États voyous? Je pense que la défense antimissile constitue une importante sauvegarde psychologique dont les décideurs américains ont besoin, et dont nous avons besoin également, si nous voulons que les États-Unis demeurent engagés, parce que le monde a besoin du leadership américain. Nous devons le reconnaître. Nous en avons vu récemment l'exemple au Congo.
L'incapacité de la communauté internationale de réagir à la situation au Congo est fonction, pour l'essentiel, d'un seul facteur: les États-Unis n'ont pas décidé de prendre l'initiative. Je pense que nous devons le reconnaître. C'est la dynamique politique à laquelle je pense que tous les acteurs sont confrontés.
En conclusion, je reviens à la défense antimissile. La mise au point de la défense antimissile, la coopération avec les alliés, tout le système à multiples étages que les Américains sont en train d'élaborer, avec la structure de commandement étant globalement confiée au commandement spatial, tandis que le Canada serait présent seulement dans un seul secteur, l'élément terrestre nord-américain, et ne s'occuperait pas du reste, à moins que, pour quelque raison, nous décidions de participer du côté de la marine. Je ne pense pas que nous le ferons à cause du manque de ressources, mais c'est possible que nous le fassions à l'avenir, cela dépendra de l'acquisition éventuelle de nouveaux destroyers. Mais est-ce que la défense antimissile favorise l'engagement des États-Unis, les incite à appuyer la stabilité planétaire, à s'engager activement partout où ils le peuvent, ou à appuyer les efforts en ce sens, comme lorsque nous voulons nous engager quelque part, ou bien cette défense incite-t-elle les États-Unis à se replier sur eux-mêmes? Je réponds à cela que si l'on enlève la défense antimissile, les États-Unis vont se replier de plus en plus. La défense antimissile leur donne une certaine sécurité et favorise donc leur volonté d'intervenir, au point où lorsque nous participons à l'étranger à des missions auxquelles les États-Unis ne participent pas activement, je crois fermement et je vous invite à considérer que, parce que nous n'avons pas les ressources voulues pour faire bien des choses, pas plus que nos alliés, nous devons dépendre des États-Unis à l'arrière-plan.
Je peux vous donner un exemple de cela. C'est d'ailleurs pourquoi c'est important pour le Canada de favoriser l'engagement des États-Unis. Il y aura des problèmes. Nous avons vu qu'il y a eu des problèmes dans le cas de l'Iraq. Mais je vais vous donner un exemple.
Quand le Canada a déployé des forces pour créer des refuges pendant le conflit en Bosnie, je crois que c'était à Srebrenica, si ma mémoire est fidèle, nous avions un très petit nombre de soldats. Si l'affaire avait mal tourné, comment aurions-nous pu faire sortir nos troupes de là? La réponse, c'est que les Américains étaient disposés à aller nous chercher.
Je pense que si nous grattons la surface... C'est un aspect des relations de défense canado-américaines auxquelles personne ne prête attention et c'est important que nous en tenions compte dans nos discussions, même dans le dossier de la défense antimissile. C'est le contexte global. C'est un tableau différent par rapport à la prolifération des menaces.
C'est la question de savoir si cela veut dire que les États-Unis seront plus probablement engagés à l'étranger. Et voulons-nous que les États-Unis soient engagés sur la scène mondiale? La réponse à ces deux questions, à mon avis, est oui. Il y a bien sûr des limites, mais pour l'essentiel, je réponds oui.
Á (1100)
Le président: Très bien.
Cela dit, monsieur Fergusson, nous devons mettre fin à la réunion. La discussion a été très utile pour les membres du comité qui étaient présents, et je suis certain que nos autres collègues voudront lire le compte rendu pour profiter pleinement de vos observations d'aujourd'hui. Vous avez abordé une foule de domaines tous plus intéressants les uns que les autres, et même fascinants, et nous apprécions grandement votre présence ici aujourd'hui.
Au nom des membres du comité, je vous dis merci. Nous comptons avoir le plaisir de vous entendre témoigner de nouveau devant le comité un jour ou l'autre.
Merci d'être venu aujourd'hui.
La séance est levée.