FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 3e SESSION
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le jeudi 25 mars 2004
¿ | 0915 |
Le président suppléant (M. Raymond Simard (Saint-Boniface, Lib.)) |
¿ | 0945 |
M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, PCC) |
Le président suppléant (M. Raymond Simard) |
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ) |
M. Stockwell Day |
Le président suppléant (M. Raymond Simard) |
M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ) |
¿ | 0950 |
Le président suppléant (M. Raymond Simard) |
L'hon. Art Eggleton (York-Centre, Lib.) |
Le président suppléant (M. Raymond Simard) |
M. Bryon Wilfert (Oak Ridges, Lib.) |
Le président suppléant (M. Raymond Simard) |
M. Stockwell Day |
¿ | 0955 |
Le président suppléant (M. Raymond Simard) |
L'hon. Scott Brison (Kings—Hants, Lib.) |
M. Stockwell Day |
L'hon. Scott Brison |
À | 1000 |
M. Stockwell Day |
Le président suppléant (M. Raymond Simard) |
Mme Francine Lalonde |
Le président suppléant (M. Raymond Simard) |
M. Stockwell Day |
M. Stockwell Day |
Le président suppléant (M. Raymond Simard) |
Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD) |
Le président suppléant (M. Raymond Simard) |
M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, PCC) |
Le président suppléant (M. Raymond Simard) |
M. Deepak Obhrai |
Le président suppléant (M. Raymond Simard) |
Mme Francine Lalonde |
Le président suppléant (M. Raymond Simard) |
L'hon. Art Eggleton |
Le président suppléant (M. Raymond Simard) |
M. Deepak Obhrai |
Le président suppléant (M. Raymond Simard) |
M. Deepak Obhrai |
Le président suppléant (M. Raymond Simard) |
M. Deepak Obhrai |
M. Stockwell Day |
À | 1005 |
Le président suppléant (M. Raymond Simard) |
Le président suppléant (M. Raymond Simard) |
Mme Marthe Lapierre (chargée de programmes, Développement et Paix) |
À | 1010 |
À | 1015 |
Le président |
M. Jean-Louis Roy (président, Centre international des droits de la personne et du développement démocratique) |
À | 1020 |
À | 1025 |
Le président |
Mme Catherine Duhamel (directrice, Centre international des Ressources juridiques) |
À | 1030 |
À | 1035 |
À | 1040 |
Le président |
M. Michel Verret (directeur des programmes outre-mer, Oxfam-Québec) |
À | 1045 |
À | 1050 |
À | 1055 |
Le président |
M. Deepak Obhrai |
Le président |
Mme Marthe Lapierre |
Á | 1100 |
Le président |
Mme Marthe Lapierre |
Le président |
M. Jean-Louis Roy |
Le président |
Mme Francine Lalonde |
Le président |
Á | 1105 |
Mme Francine Lalonde |
Le président |
M. Carlos Arancibia (directeur régional pour l'Amérique latine et les Caraïbes , Oxfam-Québec) |
Á | 1110 |
Le président |
Mme Catherine Duhamel |
Le président |
M. Jean-Louis Roy |
Mme Francine Lalonde |
M. Jean-Louis Roy |
Le très hon. Joe Clark (Calgary-Centre, PC) |
M. Jean-Louis Roy |
Le très hon. Joe Clark |
M. Jean-Louis Roy |
Mme Francine Lalonde |
M. Jean-Louis Roy |
Le président |
L'hon. Art Eggleton |
Le président |
Le très hon. Joe Clark |
Á | 1115 |
Le président |
Mme Marthe Lapierre |
Á | 1120 |
Le président |
M. Carlos Arancibia |
Le président |
M. Jean-Louis Roy |
Le président |
Le très hon. Joe Clark |
Le président |
Le très hon. Joe Clark |
Le président |
Mme Alexa McDonough |
Á | 1125 |
Le président |
M. Michel Verret |
Á | 1130 |
Mme Alexa McDonough |
M. Michel Verret |
Le président |
Mme Marthe Lapierre |
Le président |
M. Bryon Wilfert |
Á | 1135 |
Le président suppléant (M. Raymond Simard) |
Mme Marthe Lapierre |
Le président |
M. Jean-Louis Roy |
Á | 1140 |
Le président |
Mme Catherine Duhamel |
M. Bryon Wilfert |
Mme Catherine Duhamel |
M. Bryon Wilfert |
Le président |
M. Bryon Wilfert |
Le président |
L'hon. Art Eggleton |
Le président |
Á | 1145 |
Mme Marthe Lapierre |
Le président |
M. Jean-Louis Roy |
Le président |
Mme Catherine Duhamel |
Le président |
Le président suppléant (M. Raymond Simard) |
Le président |
M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.) |
Á | 1150 |
Le président |
Mme Marthe Lapierre |
Le président |
M. Michel Verret |
Le président |
M. Jean-Louis Roy |
Á | 1155 |
Le président |
Mme Marthe Lapierre |
Le président |
CANADA
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international |
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 25 mars 2004
[Enregistrement électronique]
¿ (0915)
[Français]
Le président suppléant (M. Raymond Simard (Saint-Boniface, Lib.)): Monsieur Day.
¿ (0945)
[Traduction]
M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, PCC): Merci, monsieur le président.
Chers collègues, sans vouloir prolonger indûment le débat, et me rappelant qu'il existait au moins un esprit de consensus lorsque nous en avons discuté la dernière fois, surtout après le dépôt de l'amendement de Mme McDonough, et puisque des députés de tous les partis sont en faveur—et le choix du moment a justement fait l'objet d'une discussion mardi dernier, par rapport à ce qui est arrivé à Toronto lors d'une grande réunion publique hier soir—je me dis et j'espère que nous sommes maintenant en mesure d'aller de l'avant et d'adopter cette motion. Nous avons édulcoré au maximum la formulation, étant donné que cette motion porte sur quelque chose d'aussi répréhensible que les attentats suicide. J'estime par conséquent que nous avons réglé la majorité des problèmes de formulation auxquels certains étaient sensibles, et si vous souhaitez en débattre davantage, c'est très bien, mais j'aimerais par la suite mettre la question aux voix.
[Français]
Le président suppléant (M. Raymond Simard): Madame Lalonde.
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Il est dommage que Bernard soit parti. À son avis, deux changements devaient être apportés à cette motion. J'avais compris qu'il y avait consensus, étant donné qu'un des changements émanait d'une critique émise par un membre de l'Alliance canadienne. Il s'agissait de la façon de distinguer les attentats-suicides des bombardements du type de ceux survenus à Madrid. Je trouvais que cela avait du sens. Il était question de s'attaquer davantage au terrorisme.
À propos de la formulation du début, soit : « Que le Comité appuie les députés représentant tous les partis politiques à la Chambre des communes qui demandent au Parlement du Canada de déclarer... », je suis d'avis que si le comité adopte une motion, il le fait pour lui-même. Il ne faut pas faire pression sur les autres pour qu'ils l'adoptent.
Je pensais qu'on s'était entendus sur le fait que Stockwell reviendrait avec une version modifiée tenant compte de cela. J'étais sûre qu'on aurait un nouveau texte ce matin.
[Traduction]
M. Stockwell Day: Monsieur le président, je suis tout à fait disposé à accepter des amendements. Nous avons conclu notre discussion mardi. J'ai indiqué à ce moment-là que j'étais prêt à accepter une autre formulation, à condition qu'elle ne modifie pas l'intention. J'ai demandé aux autres membres de me faire parvenir un texte qui pourrait leur sembler plus approprié; je n'en ai pas reçu. Puisque je n'en avais pas reçu, j'ai supposé que la motion pourrait être traitée en bonne et due forme. Mais je suis tout à fait disposé à accepter qu'on examine une autre formulation, à condition que cette dernière ne compromette pas l'intention.
[Français]
Le président suppléant (M. Raymond Simard): Monsieur Bergeron.
M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ): Monsieur le président, je voudrais soulever deux points. D'abord, je croyais--à tort, d'après ce que je peux voir--que nous nous étions entendus, au sein du comité, pour remettre ce débat à plus tard. Cependant, je constate que tous ceux et celles qui se trouvent autour de cette table n'ont pas compris les choses de la même façon.
Or, dans la foulée de la discussion que nous venons tout juste de tenir concernant le rapport sur le monde arabo-musulman et surtout à la lumière des attentats de Madrid, pour lesquels il n'est absolument pas question d'attentats-suicides, je proposerais de déclarer que les attaques visant les civils innocents, quel qu'en soit le type, constituent un crime contre l'humanité. Qu'il s'agisse d'attentats-suicides, de bombes laissées dans un métro ou un autobus ou de missiles tirés à partir d'un hélicoptère Apache dans une zone habitée, ce sont des crimes contre l'humanité.
Je ne voudrais pas que nous réduisions la portée de la motion uniquement à des attentats-suicides: ce qui s'est passé à Madrid ne constituait pas des attentats-suicides. Ainsi, toute attaque dirigée contre des civils innocents devrait, à mon sens, constituer un crime contre l'humanité.
¿ (0950)
Le président suppléant (M. Raymond Simard): Monsieur Eggleton.
[Traduction]
L'hon. Art Eggleton (York-Centre, Lib.): Je comprends bien l'argument de M. Bergeron, mais il me semble que nous avons clairement convenu à la dernière réunion de reporter à plus tard l'examen de cette motion, et que cet examen se ferait à la réunion de ce matin.
Pour moi, les attentats suicide représentent une forme de terrorisme particulièrement répréhensible. Si vous regardez la une des journaux d'aujourd'hui, vous verrez l'image de ce jeune avec des explosifs attachés tout autour de son corps que quelqu'un a voulu utiliser comme kamikaze. Ces terroristes ne se contentent pas d'exécuter eux-mêmes ces attentats; ils envoient aussi des enfants à leur mort. À mon avis, ce problème mérite une attention particulière, et c'est pour cette raison que je préconise qu'on garde l'expression « attentat suicide ».
Nous pourrions également ajouter ceci « et d'autres attaques terroristes visant les civils innocents ». Voilà qui permettrait d'inclure les attaques de Madrid, par exemple, puisqu'il ne s'agissait pas d'un attentat suicide. Ou alors nous pourrions dire « de déclarer que toutes les attaques terroristes, y compris les attentats suicides visant des civils innocents… ». L'une ou l'autre de ces formulations pourrait constituer un compromis.
Le président suppléant (M. Raymond Simard): Merci.
Monsieur Wilfert.
M. Bryon Wilfert (Oak Ridges, Lib.): Monsieur le président, je comprends bien l'intention de la motion. Par contre, je ne suis pas tout à faire sûr de savoir quel résultat précis M. Day cherche à obtenir en faisant adopter cette motion. À mon avis, nous sommes tous disposés à accepter qu'on parle de « tout crime visant des civils ».
J'ai l'impression que la définition de « attentat suicide » pourrait poser problème. Si quelqu'un laisse une bombe dans un train et s'en va avant qu'elle explose, est-ce que ce type d'incident est visé par une telle définition? De toute évidence, il n'existe pas de consensus international pour le moment sur la définition de ce terme. Pour moi, cette motion est bien intentionnée, mais encore une fois, c'est le fait que les victimes soient des civils qui me semble très important.
Je suis d'accord avec mon collègue pour reconnaître que les attentats suicide représentent des crimes particulièrement répréhensibles, mais le fait est que nous ne voulons pas trop nous limiter en ce qui concerne la portée de cette condamnation, si telle est bien notre intention…
Que cherchons-nous à dire au juste? Est-ce que nous disons qu'à moins que l'auteur de l'attentat ne se fasse tuer par la bombe, ce n'est pas un attentat suicide? Est-ce qu'on parle plutôt d'un cas où l'auteur déposerait une bombe quelque part ou financerait les activités terroristes conduisant à l'attentat suicide ou encore fournirait tous les matériaux nécessaires? Je pense qu'il faut faire attention.
Encore une fois, je ne m'oppose aucunement à l'intention de cette motion, mais j'aimerais bien savoir quel résultat M. Day cherche à obtenir, et j'aimerais qu'on soit sûr de savoir exactement ce qu'on nous demande d'appuyer comme motion.
Le président suppléant (M. Raymond Simard): Peut-être devriez-vous répondre.
M. Stockwell Day: Tout d'abord, merci pour toutes vos observations.
Scott Brison a fait des commentaires qui m'ont semblé pertinents concernant la loi actuelle, où il est question d'« activité terroriste » et d'« attentats terroristes à l'explosif ». Je crois que ce type d'activité est déjà visé par la liste dont le ministre est responsable. Si ce n'est pas le cas, et si vous souhaitez qu'il y ait de nouvelles définitions, examinons la possibilité de rédiger une autre motion.
Là il s'agit de quelque chose de bien précis, par contre, soit la capacité d'arrêter quelqu'un conformément au droit international en traitant cette activité comme un crime contre l'humanité, de sorte qu'il soit peut-être plus facile de traduire quelqu'un devant un tribunal international, bien que ce soit très difficile dans les meilleures conditions. Rappelez-vous l'exemple de Milosevich. Le sentiment actuel est que ce dernier n'ira jamais en prison, même si tout le monde sait qu'il a participé à des opérations d'épuration ethnique.
Dès lors que vous donnez un peu de marge de manoeuvre ou que vous élargissez la définition, il devient d'autant plus difficile d'arrêter quelqu'un, de le mettre en accusation, de le poursuivre, ou même de menacer de le poursuivre. Quand je me dis que quelqu'un comme Milosevich est susceptible d'échapper à la prison, comme semble maintenant être le cas, j'avoue que ça m'horrifie. Voilà ce qui arrivera si vous optez pour une formulation trop générale.
L'expression « attentat suicide » se passe d'explication. Il s'agit d'une activité, et comme nous l'avons dit à notre conférence de presse, nous pourrions également parler « du soutien, du financement et du recrutement » des auteurs d'attentats suicide. Nous pourrions toujours ajouter ce libellé-là. Art Eggleton a parlé à juste titre du cas du garçon de 14 ans—d'ailleurs, nous en avons eu les preuves hier. Certains pensent même que quand ces groupes font du recrutement et finissent par leur donner une mission, surtout quand il s'agit de jeunes, ils les droguent.
J'essaie de faire preuve de compréhension, mais la réticence…
Écoutez, essayons de nous en tenir à la question essentielle. Les avis peuvent être partagés parmi nous concernant le conflit israélo-palestinien, mais la question dont nous discutons maintenant est beaucoup plus large, et je pense qu'il faut mettre de côté cette divergence d'opinions. Si certains ne sont pas d'accord parce qu'on ne sait pas trop si on parle de coups de feu qui seraient tirés à partir d'un hélicoptère et qui pourraient éventuellement blesser un citoyen, eh bien trouvons une façon de régler ce problème. En même temps, il ne convient pas à mon avis d'inclure ce genre d'activité dans la catégorie des attentats suicide. Les attentats suicide correspondent à une activité bien précise. Ce mouvement est en pleine croissance à l'heure actuelle, et c'est un mouvement qui est bien organisé, bien supervisé et bien financé, qui peut compter sur de bonnes recrues. Si nous voulons aborder la question des attaques perpétrées contre des civils, faisons-le, mais pas dans le cadre de cette motion.
Écoutez, j'essaie vraiment de faire preuve de compréhension, mais si nous n'avons pas le courage de déclarer que les attentats suicide, de même que l'encouragement, le soutien et le financement qui entourent de telles activités, constituent un crime contre l'humanité, eh bien, je me demande même de quoi nous pourrions bien vouloir discuter.
¿ (0955)
Le président suppléant (M. Raymond Simard): Monsieur Brison.
L'hon. Scott Brison (Kings—Hants, Lib.): J'ai plusieurs questions à poser. Encore une fois, comme nous le disions l'autre jour, c'est tout aussi répréhensible à mon avis. Une bombe qui explose dans le système de transport en commun après que quelqu'un l'ait déclenchée à distance correspond à un acte aussi répréhensible qu'un attentat suicide. Dans les deux cas, des gens innocents perdent la vie.
J'ai un peu de mal ici. Je comprends l'intention. Je pense que tout le monde est du même avis, en ce sens que nous souhaitons adopter une position plus ferme contre le terrorisme international et les attentats à la bombe. J'ai du mal à comprendre, cependant, pourquoi le fait d'être à côté de la valise qui explose constituerait un crime contre l'humanité, alors que si on fait exploser la bombe à distance, ce n'en est pas un.
L'autre question, et je n'ai malheureusement pas de réponse—en quoi le fait de déclarer qu'un tel acte constitue un crime contre l'humanité nous aidera-t-il concrètement à appréhender plus facilement les auteurs de tels actes? Dans ce contexte, il me semble que ce serait utile que quelqu'un vienne nous parler justement de la question que voici : en quoi le fait d'en faire un crime contre l'humanité facilite-t-il une différence de traitement?
Vous avez parlé de Milosevich. Ce serait utile, parce que je me posais justement cette question. En quoi la situation serait-elle différente?
M. Stockwell Day: D'abord, voler le sac de quelqu'un correspond à un acte aussi répréhensible que celui qui consiste à dévaliser une banque, mais quand on définit les lois, on ne ressent pas le besoin de préciser qu'il est répréhensible de voler le sac de quelqu'un ou de dévaliser une banque. On se contente de déclarer que le vol tout court correspond à un acte répréhensible. On adopte une seule loi qui prévoit que le vol est un crime.
Après, il y a un grand débat. On parle de la violence entourant l'acte de voler un sac ou de voler quelqu'un. Alors des lois sont adoptées pour régler le compte des personnes qui dévalisent une banque ou encore qui volent leur compagnie. Mais au fond, c'est du vol; c'est mal, c'est répréhensible, mais on adopte des mesures précises pour être en mesure d'y faire face. Et il est donc tout aussi clair que les actes dont vous parlez sont absolument répréhensibles.
Il y a moyen d'ajouter cet élément, mais non pas si cet ajout doit avoir pour résultat de réduire l'importance de notre déclaration concernant cette tendance de plus en plus prépondérante. Pendant notre voyage, un certain nombre de personnes ont effectivement refusé de déclarer que c'était mal d'envoyer un enfant dans un restaurant pour tuer des gens en faisant sauter une bombe. C'est vrai. Certains étaient réticents à dire que c'est mal de faire une telle chose.
Voilà donc que nous avons une proposition qui nous permettrait de renforcer à la fois nos lois nationales et le droit international pour ce qui est de prévoir des sanctions appropriées.
L'hon. Scott Brison: C'est justement ce point que je comprends mal, car j'avoue ne pas être avocat. En quoi le fait d'ajouter la notion de crime contre l'humanité permet-il de muscler nos lois? J'avoue ne pas connaître la réponse à cette question.
À (1000)
M. Stockwell Day: Cela lui donne plus de poids et plus d'envergure.
[Français]
Le président suppléant (M. Raymond Simard): Madame Lalonde, s'il vous plaît.
Mme Francine Lalonde: Je rappelle que nous sommes le Comité des affaires étrangères, et non pas le Comité de la justice. Les arguments que Stockwell soulève, me semble-t-il, sont des arguments de l'ordre de la justice. Je comprends qu'au Comité de la justice, on puisse, de façon sélective, dire que telle chose est un crime contre... Mais nous sommes le Comité des affaires étrangères, et les positions que nous adoptons ont toujours une connotation politique. Il me semble que nous nous entendons là-dessus. C'est pour cela que dans nos positions, nous avons toujours cherché à être équilibrés.
Si, après l'attentat de Madrid, nous n'incluons pas dans une tell résolution des attentats comme celui de Madrid, on se trouve à dire qu'en ce moment, ce qui reprend le dessus, c'est ce qui se passe en Israël entre les Israéliens et les Palestiniens. À ce moment-là, il faut adopter une position équilibrée. Comme je le disais, Amnistie internationale a analysé les gestes militaires posés par l'armée israélienne et a identifié que, dans certains cas, compte tenu des actions à l'endroit des civils, il y avait des crimes contre l'humanité. Si nous voulons adopter une position politique, il me semble que nous allons prendre une position politique. Si nous adoptions une...
Le président suppléant (M. Raymond Simard): Écoutez, il est présentement 10 heures et nous avons des témoins ici ce matin. Je pense que nous pourrions peut-être...
[Traduction]
Est-ce que nous voulons reporter la discussion à notre prochaine rencontre ou essayer de dégager un consensus aujourd'hui?
M. Stockwell Day: Quelqu'un a proposé—et c'est une bonne suggestion—que nous fassions venir des experts pour en discuter. Peut-être pourrions-nous envisager de faire cela la semaine prochaine, peut-être jeudi prochain. Madame Lalonde, vous dites que cette question devrait être renvoyée au Comité de la justice, mais nous venons de mettre la dernière main à toute une série de recommandations portant sur les droits de la personne. Pourtant nous ne sommes pas le Comité des droits de la personne; nous venons tout juste de parler de la possibilité d'aborder directement la question du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Pourtant nous ne sommes pas le Comité de la défense nationale; nous sommes le Comité des affaires étrangères.
Mme Francine Lalonde: Non, mais nous essayons de faire les choses de façon équilibrée.
M. Stockwell Day: Vous ne pouvez pas rejeter d'office cette idée, car le fait est que notre sphère d'activité n'est pas à ce point limitée.
Le président suppléant (M. Raymond Simard): Madame McDonough.
Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD): J'ai bien entendu l'argument de M. Day, selon lequel cette motion vise à renforcer les dispositions actuelles du droit international pour nous permettre de nous attaquer à ce problème. Mais avant d'adopter une motion en supposant que c'est ça le résultat de notre action, nous devrions au moins demander qu'on nous prépare un bref document d'information, qui nous donnerait une indication de l'état actuel du droit international à cet égard et dans quels domaines précis il y aurait peut-être lieu de prévoir des dispositions plus musclées. J'ai consulté mes collègues, dont plusieurs sont des avocats avec une expertise particulière dans le domaine du droit international, et ils m'ont dit que le droit international permet d'ores et déjà de s'attaquer à ce problème, et que ce n'est donc pas pour ce motif que nous adopterions une telle motion. Serait-il donc possible de présenter cette demande?
Le président suppléant (M. Raymond Simard): À mon avis, c'est une très bonne idée.
Monsieur Obhrai.
M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, PCC): Je suis membre du comité. J'ai levé la main pour demander la parole, mais vous m'avez ignoré.
Le président suppléant (M. Raymond Simard): Eh bien, il est 10 heures passé
M. Deepak Obhrai: Peu importe. J'ai le droit de parler. Vous n'avez pas le droit d'ignorer les gens qui demandent la parole.
Le président suppléant (M. Raymond Simard): Allez-y, monsieur Obhrai.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Monsieur le président, vous m'avez interrompue.
Le président suppléant (M. Raymond Simard): Est-ce que nous allons passer à Haïti? Est-ce qu'il y a consensus pour que nous passions à Haïti ou si vous souhaitez que nous poursuivions ce débat-ci? Je n'ai pas de préférence. C'est au comité de décider.
[Traduction]
Souhaitons-nous continuer?
L'hon. Art Eggleton: La question inscrite à l'ordre du jour d'aujourd'hui est la situation en Haïti.
Le président suppléant (M. Raymond Simard): C'est bien ce que je pensais.
Allez-y.
M. Deepak Obhrai: Mais je suis membre du comité.
Une voix: C'est l'ordre du jour qui l'emporte.
Une voix: Vous ne pouvez pas déroger aux règles, Deepak.
M. Deepak Obhrai: Quelles règles? Il y a des gens qui interrompent à tout bout de champ et les gens se sont permis d'intervenir comme ça leur plaisait.
Le président suppléant (M. Raymond Simard): Bon. Le comité est-il d'accord pour passer maintenant à la question de Haïti, ou voulez-vous poursuivre ce débat? À l'ordre du jour de la réunion d'aujourd'hui est la situation en Haïti.
M. Deepak Obhrai: Comment se fait-il que d'autres puissent m'interrompre quand c'est mon tour d'intervenir? Tous les membres ont le droit de parler.
Le président suppléant (M. Raymond Simard): Je vais donc prendre une décision à cet égard. Monsieur Obhrai, je vous donne la parole.
M. Deepak Obhrai: Merci. Vous devez prendre une décision. Voilà. Nous pouvons maintenant passer à la question de la situation en Haïti. J'ai dit ce que j'avais à dire.
M. Stockwell Day: C'est amusant d'être président, n'est-ce pas? C'est pour ça que vous êtes si grassement payé.
À (1005)
[Français]
Le président suppléant (M. Raymond Simard): J'invite les témoins à prendre place.
À (1005)
À (1007)
Le président suppléant (M. Raymond Simard): Mesdames et messieurs, bienvenue. Conformément à l'article 108(2) du Règlement,nous commençons notre étude sur la situation en Haïti.
J'aimerais vous brièvement présenter les témoins. Ce sont, de Développement et Paix, Marthe Lapierre; du Centre international des ressources juridiques, Catherine Duhamel; du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, M. Jean-Louis Roy; d'Oxfam-Québec, MM. Michel Verret et Carlos Arancibia.
Mesdames et messieurs, je vous demande de faire des présentations ne dépassant pas 10 minutes, puis nous passerons aux questions des députés.
Êtes-vous d'accord pour qu'on suive l'ordre qui est stipulé sur le document ici?
Madame Lapierre, s'il vous plaît.
Mme Marthe Lapierre (chargée de programmes, Développement et Paix): Bonjour. Cela me fait plaisir d'être avec vous, et je voudrais remercier les membres du comité de nous avoir invités à parler de la situation actuelle en Haïti.
Développement et Paix fait partie d'une coalition qui s'appelle Concertation pour Haïti et qui regroupe une dizaine d'organisations au Québec, à la fois des organisations de coopération internationale, syndicales et de droits humains. Me Catherine Duhamel, qui est du Centre international de ressources juridiques, fait également partie de notre coalition Concertation pour Haïti.
La question qui nous préoccupe par rapport à Haïti à l'heure actuelle est celle de la présence des groupes armés à l'intérieur d'Haïti, qui sont toujours là. Il y a un peu plus de deux semaines, nous avons fait parvenir une lettre à ce sujet à M. Paul Martin de même qu'au ministre des Affaires étrangères, M. Graham, pour leur faire part de notre préoccupation.
Les groupes armés qui sont toujours présents sur le territoire haïtien sont de deux ordres. D'abord, il y a les milices paramilitaires pro-Aristide, ces milices qu'on a appelées en Haïti les chimères. Certaines ressemblent davantage à des gangs de criminels, mais d'autres ont été spécialement entraînées par le régime, dans des brigades spéciales en uniforme. Ces chimères ont commis toutes sortes d'actes et de violations très graves des droits humains en Haïti.
Je voudrais simplement mentionner quelques cas. Ils ont commis des actes comme couper les têtes de leurs victimes et les exposer en pleine rue, ou pénétrer de force dans un hôpital, violer des patientes et menacer le personnel infirmier et les médecins, ou encore pénétrer de force dans l'enceinte de l'université et briser les jambes du recteur de l'université. Ce sont des actes qui ont été commis par ces chimères dans les derniers mois.
Ce sont des personnes qui ont été armées par le régime lui-même. Cette connexion avec le régime Lavalas, le régime d'Aristide, est connue et documentée. Un des centres des droits humains en Haïti, la NCHR , a publié tout un dossier montrant les liens étroits entre le régime et ces chimères, qui possèdent des cartes d'identité les rattachant à des commissariats de police. D'ailleurs, ces groupes, la plupart du temps, commettaient leurs actes au nom d'Aristide ou la mort. C'était un lien très clair avec le régime en place.
Il y a évidemment tout un autre groupe de gens armés, qu'on a appelés les rebelles, qui ont formé le front de résistance du Nord et celui des Gonaïves. Parmi ces gens, il y a d'anciens chimères, comme ceux des Gonaïves, dont le chef est Buteur Métayer. On a même vu sa photo dans les journaux. Ces gens-là étaient des chimères et avaient commis le même type d'actes que ceux que je viens de décrire. Ce sont eux qui sont aux Gonaïves.
Il y a d'autres rebelles qui sont entrés, vous le savez, par la République dominicaine, commandés par Guy Philippe. La plupart de ces soi-disant rebelles sont des gens qui avaient participé au coup d'État en 1991 ou bien d'anciens militaires du temps de Duvalier. Parmi eux, il y a même des repris de justice, comme Louis-Jodel Chamblain, un des chefs, ou encore le surnommé Jean Tatoune, qui ont contre eux des sentences qui les condamnaient aux travaux forcés à perpétuité pour leur participation au massacre de Raboteau en 1994.
À (1010)
Il est inadmissible que ces gens puissent continuer de circuler librement alors qu'ils sont l'objet de sentences. La présence de tous ces gens armés jusqu'aux dents nous préoccupe, d'autant plus que cette semaine nous avons entendu le général des forces américaines sur le terrain, M. Ronald Coleman, qui déclarait encore une fois que le mandat des forces spéciales n'était pas de désarmer. Il nous semble que si le mandat des forces internationales est celui de rendre la stabilité au pays, de stabiliser la situation du pays, il est important et urgent qu'on entreprenne un désarmement systématique de toutes ces bandes armées, sans quoi il serait très difficile de rétablir des conditions démocratiques en Haïti.
Il ne faut surtout pas répéter les erreurs de 1994 à cet égard. En 1994, après l'intervention des forces internationales, on n'a pas désarmé les membres des groupes paramilitaires qui faisaient partie du FRAPH. Ces armes sont restées dans le pays, et les gens qui avaient commis des crimes sont demeurés impunis. C'est une des raisons pour lesquelles on se retrouve, 10 ans plus tard, avec les mêmes problèmes en Haïti. Il ne faudrait surtout pas répéter ces erreurs.
Nous pensons donc que Canada doit intervenir auprès des Nations Unies pour préciser le mandat des forces internationales et s'assurer que ce mandat inclut le désarmement. Ce désarmement est absolument important pour rétablir la sécurité et la démocratie. Un tel programme des Nations Unies devrait aussi aller de pair avec un programme de démobilisation et de réinsertion des personnes membres de ces bandes armées. On sait que plusieurs de ces gens sont dans le trafic de la drogue, dans d'autres exactions et contrebandes. Il est important de donner une option à ces gens pour qu'ils ne continuent pas d'être des délinquants et des criminels. C'est la première recommandation.
Il y a un autre problème important, à notre sens, et on l'a vu lors de l'entrée de M. Oriel Jean, de son arrestation au Canada et de son extradition aux États-Unis pour trafic de drogue. C'est maintenant notoire. On sait que des responsables, des hauts fonctionnaires, même des ministres et probablement Aristide lui-même ont été impliqués dans le trafic de drogue. Il y a beaucoup de témoignages à ce sujet. Il nous semble important de prendre les dispositions nécessaires pour geler les avoirs de ces personnes jusqu'au moment où on pourra réellement juger de leurs actes. Les dénonciations qui pèsent contre elles sont sérieuses. Il nous semble, là encore, que le Canada devrait adresser une requête aux Nations Unies et aux pays de la Francophonie pour que les avoirs d'Aristide et des principaux membres de son gouvernement soient gelés jusqu'au moment où on établira l'origine de ces fonds.
À (1015)
Le président: Merci. Je m'excuse auprès des membres du comité. J'ai dû m'absenter au début de la séance pour aller à la Chambre.
Monsieur Roy, s'il vous plaît. M. Roy est président du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique. Bienvenue encore une fois, monsieur Roy.
M. Jean-Louis Roy (président, Centre international des droits de la personne et du développement démocratique): Merci beaucoup, monsieur le président.
Je veux simplement rappeler aux membres du comité que nous sommes venus devant ce comité il y a peu de temps au sujet du Canada et de l'islam, et que nous avons, à ce moment-là, remis aux membres du comité un rapport sur Haïti intitulé Haïti: A Bitter Bicentennial, Haïti: un bicentenaire au goût amer. Ce rapport est toujours valable, et les commentaires que je ferai sont en complément de ce rapport.
Monsieur le président, je voudrais dire d'abord notre très profonde déception face au travail du gouvernement canadien dans ce dossier dans les six mois qui ont précédé le départ du président Aristide. Nous sommes allés en Haïti en septembre. Nous avons eu des conversations avec le ministre des Affaires étrangères du Canada. Nous avons écrit à M. Graham en novembre. Nous lui avons écrit à nouveau en décembre.
Le respect des résolutions de l'OEA, les moyens mis à la disposition de l'équipe qui était à Port-au-Prince au nom de la communauté hémisphérique, étaient insuffisants. Tout le monde le savait, et je crois qu'on n'a pas fait ce qu'il fallait faire pour prévenir ce qui est arrivé en Haïti. Je crois que c'est extrêmement important. Ça va coûter, à tous égards, des sommes considérables. Ça coûte déjà très cher aux Haïtiens en termes de vies humaines et de désorganisation de leur pays. Il n'y a plus de Parlement qui siège en Haïti, l'exécutif est un exécutif temporaire, de circonstance en quelque sorte, les institutions se sont écroulées, et la vie économique, qui était déjà extrêmement précaire, est descendue à des niveaux encore plus bas. Je crois qu'il faudra réfléchir à des politiques de prévention plus vigoureuses et plus exigeantes dans des cas comme celui qui nous rassemble aujourd'hui.
Monsieur le président, je ne répéterai pas ce que vient de dire Mme Lapierre, sinon pour dire qu'en ce qui concerne la sécurité, je crois qu'elle a dit l'essentiel. Nous partageons totalement son point de vue. Je sais qu'aujourd'hui, ce thème de la sécurité est central et que tout le monde s'y réfère avec raison.
Je voudrais ajouter un autre thème qui est, à mon avis, extrêmement central aussi. Compte tenu de l'histoire d'Haïti et de la situation actuelle d'Haïti, je crois que nous risquons d'investir à perte si nous ne trouvons pas une façon d'amener les Haïtiens à consentir entre eux à un minimum de valeurs communes, de positions communes, de consensus sur ce qu'on ne fait pas dans une société démocratique et sur ce qu'on fait dans une société démocratique.
Je voudrais rappeler l'expérience des pays africains. Je pense au Bénin, au Mali, au Niger et à plusieurs autres pays africains qui ont connu un état de prostration aussi grand qu'Haïti ou presque. Le Bénin, en 1990, n'avait plus aucune institution financière: il n'y avait plus un guichet bancaire dans ce pays. Les Béninois se sont rassemblés lors d'une conférence nationale. Cela a duré longtemps. L'armée était là, les syndicats étaient là, tous les partis politiques étaient là, de même que le président Kérékou. Ils ont trouvé entre eux ce minimum sans lequel on ne reconstruit pas une société.
Je crois qu'un des rôles du Canada, outre ce que Mme Lapierre a dit concernant la sécurité, est de soutenir d'une façon extrêmement active, avec une volonté de réussir rapidement, ceux qui, en Haïti, proposent la tenue d'une conférence nationale où l'ensemble des forces de ce pays seraient rassemblées autour d'un débat de fond sur ce que c'est qu'appartenir à un même pays et, je le répète, sur ce qui ne se fait pas et ce qui se fait.
J'ai devant moi, monsieur le président, un document de la Plateforme démocratique de la société civile et des partis politiques de l'opposition qui recommande la tenue de la conférence nationale et du nouveau contrat social d'Haïti. Je pense qu'on doit regarder cela de très près, car c'est extrêmement important. Il faut absolument éviter que l'incivilité absolue qui règne dans ce pays, qui a régné dans ce pays, puisse continuer. Il faut amener les Haïtiens à ce minimum commun sans lequel tout ce qu'on fera de l'extérieur n'a pas de chance de réussir.
Monsieur le président, comme on n'a pas beaucoup de temps, je passe par-dessus les recommandations que nous avions faites au ministre des Affaires étrangères du Canada et au nouveau premier ministre du Canada.
À (1020)
Je crois que le Canada doit jouer un rôle de leader dans cette affaire. Le Canada ne peut pas faire seul une intervention déterminante en Haïti. On ne peut pas, non plus, faire une intervention en Haïti sans les Haïtiens. Mais le Canada doit se positionner dans un rôle de leader avec les partenaires de l'hémisphère et au sein des Nations Unies.
Permettrez-moi de faire une rapide allusion à la Francophonie, que le premier ministre lui-même a évoquée et que beaucoup de gens évoquent en ce moment. Oui, comme dans le cas du Commonwealth, il y a un vrai rôle pour la Francophonie. Je l'ai dirigée pendant neuf ans, j'ai une vague idée de ce dont on parle ici et je crois que c'est une occasion extraordinaire pour la Francophonie de montrer qu'au-delà des principes et des déclarations, notamment de la Déclaration de Bamako, elle est capable d'une véritable intervention dans la durée dans le cas d'Haïti.
Nous souhaitons que le Canada joue un rôle de leader dans la reconstruction d'Haïti. La première pierre de cette reconstruction est un consensus minimal entre les Haïtiens eux-mêmes. Autrement, tout le reste est perdu.
On a déjà parlé de la sécurité. Je passe donc rapidement là-dessus.
Pour ce qui est de la gouvernance démocratique, je crois qu'on s'entend tous pour dire que les institutions doivent être reconstruites. Nous avons accueilli à Droits et Démocratie, dans les derniers jours, un juge haïtien en exil aux États-Unis, un jeune juge plutôt bien formé, qui a vu sa cour de justice mitraillée et qui a vu sa résidence détruite dans un contexte d'impunité. Si les Haïtiens ne sont pas prêts à dire que jamais plus cela n'arrivera, on perd notre temps en quelque sorte. Il faut reconstruire le système judiciaire en Haïti, recréer un conseil électoral autonome, etc.
Monsieur le président, je voudrais insister sur l'établissement d'un plan intégré de sécurité, de gouvernance démocratique et de développement. Les droits socio-économiques en Haïti n'ont plus de correspondance d'aucune sorte pour quatre citoyens sur cinq de ce pays. C'est un pays où l'accès à l'eau potable de qualité est limité à 20 ou 25 p. 100 de la population. C'est un pays où il y a 50 p. 100 de chômage. C'est un pays où il n'y a plus d'investissements. C'est un pays où 70 p. 100 du commerce repose sur un petit commerce local fait par les femmes, qui empruntent à 400, à 300 et à 200 p. 100. On doit pouvoir faire quelque chose dans un plan intégré pour rendre le crédit accessible à des taux qui soient un peu convenables. On doit reconstruire le système scolaire, tous niveaux confondus. Il y a aujourd'hui 52 p. 100 des jeunes Haïtiens de moins de 18 ans qui ne sont pas à l'école.
Pour ceux qui entrent dans le dossier d'Haïti--peut-être y en a-t-il parmi nous--, je voudrais rappeler que le taux de croissance en Haïti est négatif depuis fort longtemps, que le taux d'exportation est, année après année, en décroissance. On ne fera pas une démocratie, on ne construira pas des institutions politiques et on ne fera pas un système où les droits humains sont respectés si on n'enclenche pas en même temps quelque chose du côté du développement social et du côté du développement économique.
Monsieur le président, la semaine dernière, je participais à une autre commission du Parlement canadien sur l'accès aux médicaments. Je vous rappelle que 55 p. 100 des Haïtiens n'ont accès à aucun médicament au moment où on se parle. C'est un scandale. Haïti est un Soweto au coeur de la zone du monde la plus développée.
Un pays comme le Canada doit se manifester. Pourquoi? Il doit se manifester d'abord en raison de la composition de notre population. On le sait et c'est très important. Deuxièmement, il doit le faire parce que nous cherchons à aménager les Amériques d'une façon convenable. On n'aménagera pas les Amériques en dehors des exigences de la Charte démocratique de l'Organisation des États américains. Dans ce cas, la Charte démocratique de l'Organisation des États américains a été mise de côté radicalement. En vérité, c'est comme s'il n'y avait pas eu de charte, et on est devant un véritable problème concernant l'aménagement des Amériques.
On doit aussi, j'imagine, s'intéresser à Haïti pour des raisons évidentes de solidarité humaine. Cela n'a aucun sens que le Canada et nous tous continuions à parler de valeurs canadiennes, des droits et des libertés, etc., alors qu'il y a, au sein de la communauté immédiate dans laquelle on est, la communauté des Amériques, un Soweto où les gens souffrent, où les gens meurent, où l'impunité règne, où il n'y a plus de développement.
Merci, monsieur le président.
À (1025)
Le président: Merci beaucoup, monsieur Roy.
Nous allons maintenant passer à Mme Catherine Duhamel, qui est la directrice du Centre international de ressources juridiques.
Madame Duhamel, vous avez la parole.
Mme Catherine Duhamel (directrice, Centre international des Ressources juridiques): Bonjour.
Mme Lapierre vous a présenté les premières préoccupations qu'a la table de concertation pour Haïti, et je vais moi-même vous présenter des préoccupations de la table de concertation qui sont de l'ordre de la justice et de l'imputabilité, ce qu'on appelle en anglais accountability.
Pourquoi parle-t-on de justice et d'imputabilité en Haïti? Je vous rappelle les crimes commis en Haïti et répertoriés par les Nations Unies, l'Organisation des États américains, Amnistie internationale et plusieurs organisations locales. On parle d'exécutions extrajudiciaires, de viols, de tortures, de mauvais traitements, de traitements dégradants, inhumains ou cruels, d'arrestations illégales, de détentions arbitraires, de violations des garanties judiciaires, de la liberté d'expression, de la liberté d'information, de la liberté d'association, de vols, de la destruction de biens, d'extorsion, de corruption, d'abus de pouvoir et on pourrait en dire long encore.
Je vais donc vous parler de deux points. Le premier traite de la justice au Canada: quelles sont les démarches internes et les actions du Canada pour ne pas devenir un sanctuaire pour les présumés criminels haïtiens? Le deuxième point concerne la justice en Haïti et l'implication du Canada dans la reconstruction de la justice.
Au départ, je vous dis que, pour parler des présumés auteurs haïtiens de violations des droits de la personne, de crimes contre l'humanité et d'actes criminels, je dirai simplement « présumés auteurs », pour abréger.
Premièrement, quelles sont les démarches internes? Qu'est-ce qu'on fait au Canada pour ne pas devenir un sanctuaire pour les présumés criminels haïtiens? Nous avons transmis une lettre datée le 25 février au premier ministre Paul Martin et à tous les ministres concernés indiquant que nous souhaiterions empêcher les présumés auteurs d'arriver au Canada. Nous avons précisément demandé l'annulation des documents de voyage.
Oriel Jean est arrivé au Canada le 10 mars 2004 et il détenait un visa canadien. Comme vous le savez, à l'été 2003, il a été intercepté à Montréal par la Gendarmerie royale du Canada et renvoyé en Haïti alors qu'il existait déjà à cette époque, de la part de la Drug Enforcement Administration des États-Unis, des allégations selon lesquelles M. Jean était impliqué dans le trafic de drogue. Son visa américain avait d'ailleurs été annulé en 2002 pour cette raison.
Cela dit, en qualité de responsable de l'unité de sécurité présidentielle, responsable d'une force de 1 000 hommes, M. Jean faisait face à des allégations graves d'intimidation, d'extorsion, d'arrestations illégales et de détentions arbitraires qui étaient déjà connues du gouvernement du Canada. Comment expliquer que le visa canadien de M. Jean n'ait pas été annulé en 2003, alors qu'il venait d'être intercepté par la GRC au Canada et que déjà, à cette date, il y avait de sérieuses allégations de violations des droits humains à son égard?
À notre connaissance, parmi les présumés auteurs qui sont déjà arrivés au Canada dans les derniers mois, quatre ont demandé l'asile politique. Parmi ceux qui ont demandé l'asile politique, on compte des hauts gradés tels que Jean-Dady Siméon, directeur du bureau de communication de la police nationale d'Haïti, qui a publicisé son arrivée, qui a publicisé sa demande d'asile politique et sur lequel pèsent de nombreuses allégations de violations des droits humains, dont deux très précises, appuyées de témoins, de complicité d'assassinat d'un témoin et de complicité après l'assassinat du journaliste Jean Dominique et de son gardien Jean-Claude Louissaint le 3 avril 2000.
Comment expliquer que Jean-Dady Siméon détenait un visa canadien compte tenu des nombreuses et graves allégations de violations des droits humains qui lui seraient imputables? Je vous rappelle que l'inadmissibilité au Canada s'évalue sur la base de motifs raisonnables de croire que des crimes contre l'humanité sont survenus, surviennent ou peuvent survenir hors du Canada, ou encore pour criminalité qui, si commise au Canada, serait sanctionnée par la loi canadienne. C'est en vertu de notre Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.
Compte tenu du va-et-vient sans problème entre le Canada et Haïti de certains membres du gouvernement d'Aristide et de ses acolytes depuis le départ de Jean-Bertrand Aristide, on peut s'interroger sur la position du gouvernement canadien concernant le régime d'Aristide. Est-ce que le gouvernement du Canada considère que, contrairement à ce qu'indiquent les nombreux rapports des Nations Unies et d'autres organisations internationales et nationales, le régime d'Aristide n'est pas responsable ou complice de graves violations des droits humains et de grande criminalité? Si on répond que le Canada est d'accord, est-ce que les membres du gouvernement d'Aristide sont inadmissibles au Canada conformément à notre loi canadienne?
À (1030)
Le Canada a-t-il annulé des documents de voyage détenus par de présumés auteurs haïtiens? Si oui, pourquoi ne pas les publiciser à l'instar des Américains, qui ont régulièrement annulé des visas? Entre autres annulations, soulignons celles du ministre de la Justice, Calixte Délatour, du secrétaire d'État à la Communication, Mario Dupuy et du ministre de l'Intérieur, Jocelerme Privert, tous pour implication dans le trafic de drogue.
Mon deuxième sous-point porte sur les enquêtes et les poursuites de présumés auteurs au Canada. Selon une première évaluation, une dizaine d'Haïtiens présumés détenir la citoyenneté canadienne et membres du régime d'Aristide auraient été impliqués dans des assassinats et autres graves violations des droits humains. La majorité de ces présumés Canadiens ont occupé des postes de responsabilité dans le gouvernement Aristide. Je ne mentionnerai que ceux-ci: chef de cabinet du secrétaire d'État à la sécurité, secrétaire d'État à l'alphabétisation, inspecteur en chef de la Police Nationale d'Haïti, coordonnatrice nationale des chimères, doyenne du Tribunal civil de Port-au-Prince. Ces Haïtiens utilisent leur citoyenneté canadienne pour, de toute évidence, échapper à la justice. Après avoir commis ou été complices de graves violations des droits humains, actes pour lesquels ils seraient criminellement imputables ici, ils rentrent au Canada et réintègrent la société comme si de rien n'était.
La citoyenneté canadienne leur accorde des privilèges, mais elle comporte également des obligations légales, spécifiquement de respecter la loi canadienne, qui s'applique dans le cas de crimes contre l'humanité commis à l'extérieur du Canada par des Canadiens. Il faudrait que le gouvernement canadien prenne les mesures nécessaires pour que cette impunité qui règne en Haïti ne règne pas également au Canada. C'est pourquoi nous demandons immédiatement l'ouverture d'enquêtes et que des accusations soient portées, s'il y a lieu. Pour ce faire, il faut des ressources humaines et des ressources financières. La Gendarmerie royale manque totalement d'appui dans son travail. Il n'y a que six enquêteurs pour tout le Canada et pour tous les dossiers. C'est inacceptable et d'un ridicule monstre. Considérant le travail qui les attend pour Haïti, considérant que, selon une première évaluation, il y a une dizaine de personnes qui ont la citoyenneté canadienne, on peut constater qu'énormément de travail les attend.
Je passe à mon deuxième point global, la justice en Haïti et l'implication du Canada dans la restructuration de la justice. Le travail effectué au Canada pour mettre fin à l'impunité dont bénéficient les présumés auteurs haïtiens doit également se faire en Haïti, nous en convenons tous. Comme il n'y a pas d'État de droit en Haïti et que ce n'est pas demain qu'il y aura un système de justice fonctionnel, les programmes canadiens d'appui à la justice doivent faire des recommandations, trois à court terme et deux à moyen et long terme.
À court terme, il faut recommander l'établissement d'un tribunal bipartite, national et international, comme celui de la Sierra Leone, pour juger les présumés auteurs de crimes contre l'humanité en Haïti ou encore l'établissement d'une commission de vérité pour répertorier de façon officielle les violations des droits humains qui ont été commises en Haïti pendant le régime d'Aristide pour que ces informations puissent ultérieurement être utilisées lors de procédures judiciaires. Nous sommes d'avis que l'ONU devrait voir à sa mise sur pied pour que cette commission soit au-dessus de toute rivalité politique.
Le Canada doit également recommander au gouvernement haïtien de reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale en ce qui a trait aux conclusions d'une commission de vérité et en ce qui a trait aux crimes commis depuis le 1er juillet 2002. Haïti n'a pas ratifié le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, mais peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale. À court, moyen et long terme, il est évident que pour s'assurer de l'indépendance de la justice, il est essentiel de ne pas répéter les erreurs de 1994, soit un investissement massif pendant trois ou quatre ans, de la part du Canada, dans diverses composantes du système, entre autres la formation de la police, la formation de la magistrature et la construction de tribunaux. Certains tribunaux ont été incendiés, la majorité des policiers canadiens sont revenus et on a formé des juges sans leur fournir les conditions de travail nécessaires. Tout cela contribue à perpétuer le cycle de la répression et de l'impunité.
À (1035)
Comme le disait M. Roy, il faut qu'il y ait un plan intégré, sérieux et soutenu pour toutes les composantes du système, incluant le public, l'exécutif, la police, les magistrats, l'administration de la justice, et il faut assurer le suivi de ce plan sur une période d'au moins 10 ou 15 ans, sinon il n'y aura pas d'indépendance de la justice en Haïti et il n'y aura pas non plus d'État de droit.
En conclusion, étant donné que le temps nous manque, j'attire votre attention sur une situation urgente. Il faut procéder à une vaste épuration au niveau de la magistrature et au niveau de la police afin de restaurer au minimum la confiance du public.
Je vais récapituler. Le Canada doit immédiatement empêcher les présumés auteurs haïtiens d'entrer au pays en annulant leurs documents de voyage et en ouvrant des enquêtes. Il doit aussi porter des accusations, s'il y a lieu, contre ceux qui se trouvent déjà au Canada, en particulier ceux qui possèdent la citoyenneté canadienne. Il doit aussi désigner le régime d'Aristide, tout comme l'ont été ceux de Duvalier et de Cedras, qui sont déjà désignés en vertu de notre Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Cela rendrait les membres du régime d'Aristide inadmissibles au Canada. Pour ce qui est d'Haïti, on devrait traduire les présumés auteurs haïtiens en justice, mettre sur pied un tribunal tripartite ou une commission de vérité, reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale afin de mettre en place un État de droit. Il faut, de toute urgence, qu'il y ait une épuration.
Je vous remercie.
À (1040)
Le président: Merci, madame Duhamel.
Nous allons maintenant passer à Oxfam-Québec. Nous recevons M. Michel Verret, qui est directeur des programmes outre-mer et M. Carlos Arancibia, qui est directeur régional pour l'Amérique latine et les Caraïbes.
Monsieur Verret, vous avez la parole.
M. Michel Verret (directeur des programmes outre-mer, Oxfam-Québec): Merci beaucoup, monsieur le président. Mesdames et messieurs, merci de votre invitation, qui est fort appréciée, la situation en Haïti nous tenant beaucoup à coeur.
Je vous offre un « deux pour un ». Comme vous l'avez dit, je suis accompagné de M. Arancibia, le directeur régional. Je me permets de vous présenter un court texte, et Carlos pourra lui aussi répondre à vos questions. Je m'excuse si, pour certains petits points, je me répète, mais cela aura pour effet de démontrer l'importance et l'urgence du moment.
Oxfam-Québec est présente en Haïti depuis 1973, année de la fondation de notre organisme. Oxfam-Québec fait partie du réseau Oxfam International, qui regroupe 12 membres à travers le monde.
Parlons plus précisément d'Oxfam-Québec. Nous sommes présents dans une vingtaine de pays à travers le monde. Le réseau dont nous sommes membres, lui, oeuvre dans plus de 120 pays à travers le monde.
Qu'est-ce qui guide notre action? Premièrement, nous offrons notre appui aux populations et à la société civile des pays du Sud. Deuxièmement, nous faisons un plaidoyer tant au Sud qu'au Nord. Oxfam est donc en Haïti depuis 30 ans et travaille au niveau des droits humains, à la participation citoyenne et à l'inclusion sociale. Nous travaillons au respect de l'environnement et nous essayons aussi d'être novateurs en matière de développement local dans une perspective de développement durable.
Notre premier point est la crise humanitaire silencieuse en Haïti. Nul besoin de rappeler qu'Haïti est le pays le plus pauvre des Amériques, quels que soient les indicateurs retenus. Toutefois, nous trouvons important de vous parler de l'accélération de la dégradation de la situation survenue avant le départ du président Aristide. Les soubresauts de la scène politique internationale ont eu comme effet la dégradation des conditions de vie de la population, l'accentuation de l'exclusion économique et sociale de plusieurs franges de la société tout en contribuant à un accroissement patent de l'insécurité sous forme de violence armée et d'impunité accrue.
En août 2003, les Nations Unies déclaraient qu'Haïti était aux prises avec une crise humanitaire silencieuse qui menaçait l'ensemble de la population haïtienne et qui se définissait par une décapitalisation critique des familles.
Entre 2002 et 2004, les Nations Unies estimaient que 52 p. 100 de la population haïtienne vivait déjà en-dessous du seuil de pauvreté, et les conditions des familles étaient en constante détérioration. Déjà dans un état de paupérisation avancée et de décapitalisation aiguë, devant l'affaiblissement ou l'absence de filet de sécurité sociale public ou traditionnel, confrontée à la diminution et à la disparition des opportunités économiques, vivant dans un climat d'insécurité croissante, confrontée à la persistance de l'injustice exacerbée par des difficultés d'accès aux services de base et aux produits de première nécessité, une majorité d'Haïtiens et d'Haïtiennes a vu son quotidien se décliner sur deux plans essentiels: précarité et urgence.
Abordons maintenant la question des actions de la coopération canadienne en Haïti. Pendant que la situation de ce pays se détériorait, nous avons assisté à de multiples initiatives de la communauté internationale pour venir en aide à ce pays des Antilles. Nous devons accepter le constat que certaines de ces initiatives n'ont pas toujours été réussies.
Entre 2002 et 2004, le Canada a investi massivement temps et argent dans les structures régionales, notamment la CARICOM et l'OEA, afin d'arriver à un accord diplomatique qui solutionnerait la crise politique haïtienne. Les premiers efforts ont été concentrés sur l'OEA. Après une série de résolutions et de négociations, la situation politique a continué de se dégrader et tous furent dans l'obligation de constater l'échec de l'OEA.
À l'automne 2003, le Canada, de concert avec le reste de la communauté internationale, misa énergiquement sur la CARICOM afin de résoudre le problème politique en Haïti. Le Canada réitéra son appui au président Aristide et appuya la CARICOM pour un montant de plus de 5 millions de dollars canadiens pour présenter un plan desortie de crise. Les négociations ont échoué, la conjoncture a changé profondémentavec le départ du président Aristide et force est de constater que leCanada a dû s’adapter à la nouvelle situation politique en Haïti.
À (1045)
Sur le plan du développement, nous avons salué la décision que l'ACDI a prise, en 2002, de faire une évaluation de la programmation canadienne en Haïti pour la période 1994-2002 et de mener cette évaluation en consultation avec ses partenaires haïtiens et canadiens. Cette évaluation a permis d'identifier les faiblesses de l'intervention, ainsi que les occasions qui se présentaient à l'ACDI d'imprimer une nouvelle vision à l'aide canadienne en Haïti, tout en envisageant de maintenir, voire d'augmenter, son budget de développement.
Nonobstant cette volonté exprimée à maintes reprises, à l'automne 2003, après l'appel lancé par les Nations Unies sur la crise silencieuse en Haïti, l'Agence canadienne de développement international annonçait une coupure de 3,5 millions de dollars du programme d'aide pour Haïti. Le budget annuel de l'aide canadienne en Haïti est passé de 15 millions de dollars à 11,5 millions de dollars. Les actions du Canada dans les domaines de la sécurité alimentaire et du développement local étaient remises en question par manque de financement.
J'aborde maintenant la fin du régime Aristide et la crise humanitaire. Les événements qui ont conduit au départ du président Aristide sont connus de tous. Les pressions de la société civile, de l'opposition et de la communauté internationale, et les échecs dans les négociations entre les différents intervenants ont poussé le président Aristide à partir. La crise politique, sociale et économique avait déstabilisé complètement les institutions d'un État déjà assez faible, compromettant ce que j'appellerais la gouvernabilité du pays. L'insécurité généralisée, la vie politique, l'absence de justice conjuguées avec une crise économique sans précédent, un réseau routier bloqué et les nombreux pillages des ports et infrastructures de l'État n'ont fait qu'empirer la situation.
Dans ce contexte difficile, Oxfam-Québec se félicite de la décision du Conseil de sécurité du 29 février qui autorise le déploiement d'une force internationale de stabilisation en Haïti.
Cependant, sur le terrain, Oxfam-Québec constate qu'en dépit du déploiement de soldats, l'insécurité persiste dans certaines régions et les travailleurs humanitaires n'y sont pas suffisamment protégés.
Selon le compte rendu du 16 mars 2004 du forum du PNUD qui coordonne les activités d'urgence des agences internationales et des ONG, la force multinationale des États-Unis, de la France, du Chili et du Canada ne permet pas de répondre aux préoccupations des ONG haïtiennes, canadiennes et internationales.
Face à la crise que traverse actuellement Haïti, nous, d'Oxfam-Québec, pouvons vous confirmer que nous avons entrepris des actions d'urgence dans le Nord avec Oxfam International et dans le Sud avec le Regroupement des organismes canado-haïtiens pour le développement.
Oxfam-Québec apprécie l'aide d'urgence que le Canada a apportée à Haïti par le biais de l'assistance humanitaire internationale et par le biais des fonds décentralisés disponibles sur le terrain. Les sommes engagées par le Canada, bien que limitées, sont essentielles aux secours d'urgence. Toutefois, Oxfam-Québec croit qu'il est primordial que le Canada s'engage davantage à venir en aide à la population haïtienne à plus long terme. Comme l'a souligné le secrétaire général des Nations Unies, et je cite:
Haïti est à nouveau à un stade où il faut tout recommencer. Cette fois-ci, les actions de la communauté internationale et de l'ONU doivent s'inscrire dans le long terme. J'espère cette fois que la communauté internationale ne va pas se contenter d'apposer un pansement et stabiliser la situation mais qu'elle va aider les Haïtiens dans la durée à recoller les morceaux et construire un pays stable. |
Dans le même sens, le premier ministre Paul Martin a stipulé à plusieurs reprises que le Canada avait un rôle important à jouer dans la reconstruction d'Haïti et qu'il allait assumer pleinement ce rôle.
À (1050)
Ces voeux doivent se concrétiser, et nous croyons qu'il est urgent de débuter les travaux de préparation de l'étape de post-urgence dans une tentative de réconciliation et de reconstruction.
Mesdames et messieurs, Oxfam-Québec croit que le Canada a une chance de contribuer efficacement au développement d'Haïti et de proposer de nouvelles approches d'intervention, de concert avec les efforts de la communauté internationale. Le Canada doit miser sur des programmes durables visant la reconstruction sociale et politique du pays. Il est urgent de renforcer la gouvernance et l'accès des populations aux services sociaux de base tels que la santé et l'éducation, répondant ainsi aux besoins humains fondamentaux, de renforcer l'appui à la participation citoyenne, le respect des droits humains et la capacité des institutions d'assurer le respect de l'État de droit.
Nous croyons qu'il est primordial de rétablir la sécurité dans le pays et, en ce sens, l'envoi des troupes canadiennes démontre bien l'intérêt que le Canada porte à Haïti.
Il est important que, pendant la période de stabilisation, tous les efforts soient déployés pour une pacification du pays, notamment par le désarmement des groupes rebelles, des chimères et des autres groupes ayant pris les armes. La construction de la paix est une condition de la démocratie et de la justice.
Cependant, cette force de stabilisation ne doit d'aucune façon se transformer en une force d'occupation. Le processus de démocratisation et de gestion du pays doit rester entre les mains des Haïtiens.
Par ailleurs, mesdames et messieurs, Oxfam-Québec croit que le gouvernement canadien doit miser sur l'expertise des Canadiens et des Canadiennes qui travaillent dans les organisations internationales, au niveau des ONG, etc., afin de réaliser un programme de développement réaliste et efficace en Haïti. Le Canada dispose des ressources humaines et financières nécessaires pour jouer un rôle majeur dans la reconstruction d'Haïti et l'établissement d'un État de droit et démocratique. La diaspora haïtienne doit également être partie prenante de cette reconstruction.
Finalement, mesdames et messieurs, nos recommandations sont les suivantes: à court terme, que le gouvernement canadien utilise son influence et ses ressources pour que la force multinationale de sécurité facilite la circulation de l'aide humanitaire d'urgence et assure la sécurité du personnel humanitaire, tel que le stipule la résolution 1529 du Conseil de sécurité de l'ONU; à plus long terme, que le gouvernement canadien revienne sur sa décision de retrancher 3,5 millions de dollars de l'aide au développement à Haïti et augmente les budgets en fonction des objectifs à atteindre à long terme.
Je sais, parce qu'il a été dit hier dans une réunion à Port-au-Prince, que le Canada débloque 30 millions de dollars, mais j'avoue qu'il m'a été impossible, depuis hier soir , de savoir à quoi exactement ces 30 millions de dollars étaient destinés. Ils sont sans doute destinés à l'aide d'urgence ainsi qu'à la mission de paix, mais il faut aussi songer à la reconstruction et au développement.
Nous recommandons aussi que le gouvernement canadien cesse de considérer Haïti comme un pays à partenariat difficile et qu'il désigne Haïti comme pays à partenariat privilégié; que le gouvernement canadien contribue au renforcement des structures de l'État afin de faciliter l'élaboration et la mise en oeuvre de politiques conduisant au développement durable; finalement, que le gouvernement canadien contribue à assurer la tenue d'élections en appuyant la mise en place du processus électoral et de programmes d'éducation citoyenne.
Monsieur le président, mesdames et messieurs, merci beaucoup.
À (1055)
Le président: Merci beaucoup, monsieur Verret.
Nous allons maintenant passer aux questions. J'accorderai cinq minutes à chaque député pour les questions et réponses. Je vous demanderais, messieurs les députés, de poser des questions brèves et, messieurs les panélistes, de donner des réponses brèves. Nous allons procéder dans l'ordre suivant: M. Obhrai, Mme Lalonde, M. Eggleton, Mme McDonough, M. Wilfert, M. Clark et M. Bergeron.
[Traduction]
Monsieur Obhrai, vous avez la parole.
M. Deepak Obhrai: Merci, monsieur le président. Je voudrais remercier nos témoins de leur présence.
Ayant écouté vos témoignages, il me semble que vous êtes tous d'accord pour reconnaître que Aristide devait partir. Vous semblez accepter son départ de Haïti.
Voici la question que je voudrais vous poser. Aristide a repris le pouvoir après avoir été exilé. Voilà quelqu'un qui a donc repris le pouvoir et maintenant—je ne sais pas combien d'années après il a pris le pouvoir—nous sommes obligés d'intervenir à nouveau dans ce pays. Bien que vous ayez très bien expliqué la détérioration qu'il y a eu pendant la période où il était au pouvoir, ainsi que l'actuelle situation politique, le fait est que nous sommes intervenus. Nous l'avons installé, et puis quoi? Nous avons tout simplement abandonné et ignoré Haïti. Nous n'avons rien fait, et nous n'avons exercé aucune pression sur M. Aristide afin qu'il corrige la situation politique dans ce pays.
Et voilà que nous y sommes retournés. Selon votre expérience, quelle garantie avons-nous? J'aimerais bien savoir ce que vous en pensez. Serons-nous obligé de retourner en Haïti dans cinq ans si quelqu'un d'autre prend le pouvoir et que la situation se détériore?
L'élément troublant dans tout cela, c'est que les forces qui ont lancé cette rébellion n'étaient pas du tout des gens crédibles, d'après ce que j'ai pu comprendre. Beaucoup de gens se posent des questions. Même le rapport de l'ACDI qui vient de sortir et votre NGO indiquent que l'aide que nous avons fournie en Haïti n'a pas du tout donné les résultats escomptés.
Je trouve incroyable d'avoir à vous poser la question, mais je vous la pose quand même : allez-vous y retourner? Que s'est-il passer? Nous étions tout de même assez influents au moment où nous lui avons permis d'accéder au pouvoir à nouveau, alors comment se fait-il que vous n'ayez jamais cherché à exercer cette influence? Qu'en pensez-vous? Je vous pose la question à titre de non-initié. Je ne suis jamais allé en Haïti alors que vous y assurez une présence. Ce sera intéressant.
[Français]
Le président: Madame Lapierre.
Mme Marthe Lapierre: D'abord, je voudrais revenir sur une des choses qui ont été dites. On n'est pas dans un situation où un groupe de rebelles a soudainement déclenché le départ d'Aristide. On est devant une situation où le gouvernement Aristide, depuis 2000, a progressivement perdu toute légitimité à cause de ses activités de violations graves des droits humains, de trafic de drogue, mais aussi parce que c'était un gouvernement profondément antidémocratique.
Aujourd'hui, des juges, des chefs de police, des médecins-chefs, des journalistes et même de ses ministres ont dû prendre le chemin de l'exil parce qu'ils étaient persécutés à l'intérieur d'Haïti du fait qu'ils refusaient le contrôle direct du président Aristide sur les activités des institutions publiques. C'est donc un gouvernement qui s'est délégitimé lui-même.
Progressivement, il y a eu en Haïti une réaction de la population, et cette réaction n'est pas nouvelle. Développement et Paix travaille dans le pays depuis 30 ans et, dès décembre 2002, des partenaires de Développement et Paix... Et là, on parle non pas des partis politiques, non pas de forces armées ou de rebelles, mais de personnes tout à fait pacifiques, de citoyens ordinaires, de paysans et paysannes, d'organisations de femmes qui s'occupent précisément de la promotion des droits des femmes, ainsi que d'associations de journalistes et d'activistes des droits humains.
Nous appuyons, par exemple, la Plate-forme des organisations haïtiennes des droits humains, qui regroupe neuf organisations à l'intérieur du pays. Nous appuyons un réseau de radios communautaires qui rejoignent les coins les plus reculés d'Haïti et l'ensemble des organisations civiles. Toutes ces organisations s'étaient prononcées dès décembre 2002 pour le départ d'Aristide; elles réclamaient son départ. Ce sont ces gens qui ont fait la force, qui ont fait la différence. Ce sont des gens totalement pacifiques en Haïti, qui ne sont pas du tout ces rebelles armés qui sont d'une apparition récente dans les événements. L'ensemble de la population s'est mobilisée plus particulièrement à partir du 5 décembre, quand les chimères ont violé l'enceinte de l'université, brisé les jambes du recteur et du vice-recteur, saccagé l'ensemble des locaux et fait des victimes, tout cela sous l'oeil complice de la police qui était à l'extérieur et qui les regardait faire. Cela a été la goutte qui a fait déborder le vase.
Les gens sont allés dans la rue et, pendant deux mois, il y a eu des mobilisations pratiquement quotidiennes, non seulement à Port-au-Prince, mais dans toutes les principales villes du pays qui réclamaient le départ d'Aristide. Ces gens-là n'avaient absolument aucun lien avec des criminels comme Buteur Métayer et ses acolytes au Gonaïves ou comme un commando qui est arrivé, on ne sait pas très bien dans quelles circonstances mystérieuses, quelques jours avant le départ d'Aristide.
Á (1100)
Le président: Pouvez-vous conclure, s'il vous plaît?
Mme Marthe Lapierre: Oui. Je voudrais simplement rappeler que le gouvernement d'Aristide a eu toutes ses chances et qu'on a fait des pressions sur lui durant ces quatre années. Des négociations ont eu lieu à plus de 24 reprises entre l'OEA et son gouvernement. On lui a donné toutes les chances. Il y a eu des résolutions de l'OEA, en 2002, qui n'avaient toujours pas été mises en application par le gouvernement Aristide. À ce moment-ci, je pense qu'on lui a donné toutes les chances et qu'il ne s'agit pas d'une rébellion armée, mais tout simplement d'un gouvernement qui a perdu sa légitimité en violant des droits humains.
Le président: Merci, madame Lapierre.
Monsieur Roy, s'il vous plaît. Vous avez 30 secondes.
M. Jean-Louis Roy: Monsieur le député, vous posez une question vraiment très importante, surtout pour l'avenir, en quelque sorte. Je pense que ce que Mme Lapierre a dit de l'histoire récente d'Haïti est incontestable, mais ce qu'elle a dit nous fait aussi prendre conscience de l'extrême faiblesse des mécanismes dont nous disposons dans cet hémisphère pour empêcher qu'une situation ne se dégrade à ce point.
Personne ne peut se féliciter qu'un gouvernement élu, même mal élu, soit renversé par la rue. On ne peut pas considérer que ce soit une façon d'imaginer l'organisation des sociétés dans le monde, tout en reconnaissant que le gouvernement Aristide avait agi d'une façon qui a mené à son départ éventuellement. Cela nous amène à nous poser les questions suivantes. Premièrement, que faire à l'avenir? Quel type d'appui un pays comme le Canada et une organisation comme la nôtre peuvent-ils offrir pour qu'à l'intérieur d'Haïti on n'accepte plus cette dégradation? Deuxièmement, qu'est-ce que le Canada doit faire pour qu'à l'extérieur les mécanismes soient renforcés, pour que demain, au Pérou, en Bolivie, au Nicaragua ou en Colombie, on ne se retrouve pas dans une situation semblable, qu'on ait de vrais moyens de faire pression sur un gouvernement pour empêcher une telle dégradation?
Je voudrais dire, en terminant, qu'on savait. Il n'y avait qu'à ouvrir nos journaux, à lire les rapports des experts indépendants des Nations Unies ou d'ailleurs pour savoir ce qui se passait: les journalistes qui étaient tués, les juges qui étaient liquidés, etc. Vous venez de nous rappeler ce qui s'est passé à l'université, les marches dans la rue, les gens qui se faisaient tirer dessus. On savait que tout se dégradait de façon extraordinaire.
Le président: Merci, monsieur Roy.
Madame Lalonde, c'est à vous.
Mme Francine Lalonde: Monsieur le président, vous avez dit un peu plus tôt que les messieurs du comité devraient poser des questions courtes. Cela veut-il dire que vous me laissez plus de temps?
Le président: Vous pouvez prendre plus de temps pour poser vos questions, mais il ne restera plus de temps pour les réponses. Nous vous connaissons très bien. Allez-y, madame.
Á (1105)
Mme Francine Lalonde: Je vous remercie beaucoup d'être ici et je vous remercie de ce que vous avez fait et de ce que vous allez faire.
Ma première question sera brève.
Le départ d'Aristide est l'objet de controverse. La résolution des Nations Unies est claire, mais les journaux près d'Aristide et Aristide lui-même entretiennent l'idée qu'il a été kidnappé et que, par conséquent, il y a eu un coup d'État. Ces déclarations d'Aristide contribuent-elles à maintenir un état d'insécurité dans le pays? Qu'avez-vous à dire à ce sujet? Il est maintenant en Jamaïque. Est-ce dangereux pour l'ordre dans le pays? D'autre part, vous avez énuméré plusieurs priorités. Parmi celles-ci, lesquelles devraient être les plus importantes pour nous, les parlementaires? Il y a des priorités en matière de justice et de sécurité, mais il y en a aussi d'autres en matière de démocratie et sans doute d'aide humanitaire. Aidez-nous un peu, car nous devons faire des recommandations. Je m'arrête, car c'est déjà beaucoup.
Le président: Monsieur Arancibia.
M. Carlos Arancibia (directeur régional pour l'Amérique latine et les Caraïbes , Oxfam-Québec): Je veux enchaîner sur l'échange qu'on vient d'avoir. D'abord, je suis tout à fait d'accord sur l'analyse qu'ont faite les autres personnes. Il faut comprendre qu'il y a eu un dérapage à partir de l'année 2000, avec les élections. La situation s'est beaucoup détériorée. La société civile, les organisations et la population... [Note de la rédaction: inaudible] ...avec leurs moyens.
Je pense que parfois la communauté internationale n'a pas été à la hauteur de la situation. Il y avait des agendas différents. La communauté internationale n'était peut-être pas suffisamment à l'écoute de ce que la population ressentait. On a vu, après la crise des derniers mois, les gens qui se mobilisaient, etc. Jusqu'à la dernière minute, on a vu que la communauté internationale n'était pas unanime quant à la façon de sortir de la crise et quant aux initiatives à prendre pour stabiliser rapidement la situation. C'est comme si on avait laissé aller la situation, et cela a énormément empiré.
Mais il y a un message très clair de la population haïtienne et de la société civile. Quand les gens sont sortis dans la rue et se sont mobilisés, ils ont dit qu'ils ne voulaient pas un retour à la dictature, mais bien une démocratie. Eux, ils l'ont fait dans la paix. Il y a eu une opposition démocratique, une opposition qui agissait dans un contexte de paix. Ils ont eux-mêmes tracé la voie. Je pense que cette opposition, cette société civile a fait des propositions extrêmement intéressantes, qu'il s'agisse de cette conférence nationale ou d'autres initiatives.
Je pense qu'on a aujourd'hui deux façons d'envisager la situation haïtienne. On peut la voir comme un chaos, comme une situation ingérable, et on laisse tomber ce pays parce que les choses ont toujours été comme cela. On peut aussi y voir une occasion d'instaurer la paix et la démocratie. Dans ce sens-là, il faut faire une démarche inclusive. Il faut que les Haïtiens puissent se mettre d'accord sur leurs priorités et gérer leurs propres affaires. Cependant, la communauté internationale a une responsabilité, celle d'appuyer la création de conditions propices à ce dialogue, d'instaurer des conditions de paix et de démocratie et d'appuyer les intervenants actuels.
Dans la situation actuelle, on se dit qu'on est en période d'urgence extrême. Il y a des gens qui vivent des situations extrêmement difficiles, et ce n'est pas seulement parce qu'Aristide est parti. Ces situations n'existent pas seulement depuis deux ou trois mois. Ces gens étaient déjà dans une situation très précaire. Par contre, si un hôpital n'a pas de médicaments pendant deux mois, si on n'a pas... Par exemple, on commence la période des semences. Les familles paysannes devaient recevoir des membres de leur famille, des amis, etc. qui fuyaient la situation chaotique des grandes villes. Qu'est-ce que ces gens ont fait? Ils ont mangé leurs semences. Aujourd'hui, il y a une situation assez précaire, surtout au niveau de la sécurité alimentaire, une situation qui va peut-être empirer dans les mois à venir si on n'agit pas rapidement.
Il y a aussi toute la question de l'accès aux services de base fondamentaux. L'éducation et la santé sont une priorité. Par la suite, on doit parler de la reconstruction politique et sociale du pays. Je pense qu'il est important d'appuyer tous les efforts de réconciliation. Il faut s'appuyer sur les intervenants qui ont agi pendant cette période dans une perspective de paix et de démocratie.
Á (1110)
Le président: Merci, monsieur Arancibia. Voulez-vous ajouter quelque chose, madame Duhamel?
Mme Catherine Duhamel: Je voudrais répondre à la deuxième question de Mme Lalonde, qui nous demandait quels conseils nous pouvions donner quant aux recommandations à prioriser.
Je crois que le Canada n'a pas à réinventer sa place en Haïti. Nous y sommes déjà présents. Nous y avons déjà été présents en 1994 dans deux domaines. Nous y sommes présents en ce moment par l'entremise de la force. On demande que le désarmement soit effectué par les Nations Unies. Il pourrait se faire par la participation canadienne à cette mission multilatérale.
Deuxièmement, nous avons été présents au plan de la justice en 1994 et au cours des années suivantes. Donc, on peut bénéficier de cette première expérience, ainsi que des erreurs et de l'incohérence entre les bâilleurs de fonds à ces niveaux.
Vous savez sûrement qu'il y avait des luttes pour des parts du gâteau, si on peut dire, qui ont nui à la situation, à l'établissement des programmes et à leur mise en oeuvre. Le Canada en est tout à fait au courant. Donc, on peut continuer à faire le travail qu'on faisait mais différemment dans ces domaines-là.
Il y a autre chose. Si on n'a pas la mainmise ni la maîtrise sur ce qui se passe en Haïti, comment peut-on ne pas passer à côté de l'application des lois canadiennes? C'est inacceptable. Les lois canadiennes doivent être appliquées aux Canadiens qui ont commis des crimes, aux Haïtiens qui se trouvent ici, au Canada. On a un État de droit comparé à Haïti. Comment se fait-il qu'il n'y ait pas eu d'ouverture d'enquête jusqu'à présent et que ces Haïtiens continuent à circuler librement? On a une loi et il faut la mettre en application.
Le président: Merci, madame Duhamel.
Monsieur Roy, s'il vous plaît.
M. Jean-Louis Roy: Sur les priorités?
Mme Francine Lalonde: Non, Aristide...
M. Jean-Louis Roy: Très bien. Je vais dire un mot sur la deuxième question et faire un commentaire sur la première.
Monsieur le président, je pense que Mme Duhamel a raison concernant les citoyens canadiens. Cela n'a pas de sens qu'on n'aille pas rapidement au fond de cette affaire. Je voudrais aussi ajouter qu'on pourrait investir pour refaire la justice, pour discipliner à nouveau les forces policières, etc.
Cependant, je crois qu'on risque d'être à nouveau extrêmement perplexes dans quelques années devant la situation d'Haïti si, au préalable, le Canada, sans doute avec d'autres mais avec force, n'aide pas les Haïtiens à dégager le consensus commun à partir duquel cette société va commencer à se recréer tranquillement.
Je reviens aux exemples africains. Il est assez frappant de voir que dans les pays où il y a eu ces conférences nationales--le Bénin et le Mali sont de bons exemples--, la démocratie a ensuite réussi tranquillement à prendre racine et à se développer.
Le très hon. Joe Clark (Calgary-Centre, PC): Pas toujours.
M. Jean-Louis Roy: Pas toujours, mais dans certains cas.
Le très hon. Joe Clark: Dans certains cas.
M. Jean-Louis Roy: On a besoin de cela en Haïti, j'en suis convaincu.
Est-ce qu'Aristide est un facteur, madame Lalonde? Est-ce que ses déclarations... Oui, parce qu'il y a, je crois, des gens qui suivent Aristide.
Mme Francine Lalonde: Il s'agit de rechercher un consensus quand Aristide dit ce qu'il dit.
M. Jean-Louis Roy: Oui. Cela complique les choses, mais on ne peut pas l'empêcher d'intervenir.
Le président: Merci. Nous allons passer à M. Eggleton.
[Traduction]
L'hon. Art Eggleton: Monsieur le président, le très honorable député de Calgary-Centre a beaucoup de connaissances et une expérience considérable dans ce domaine. Je veux bien lui céder ma place pour qu'il puisse poser des questions.
[Français]
Le président: Monsieur Clark.
Le très hon. Joe Clark: Merci beaucoup. Comme je n'ai que cinq minutes, je serai plus efficace si je parle en anglais.
[Traduction]
Nous faisons face en Haïti à une spirale meurtrière, et il faut se rappeler que le président Aristide n'en est pas la cause; il en est plutôt le produit. Il n'y a pas si longtemps, on estimait que c'était lui la solution. Donc, il faut vraiment mettre l'accent sur les problèmes inhérents à la région, et je tiens à remercier M. Eggleton de m'avoir permis justement de réorienter un peu la discussion.
Le vrai problème, c'est que la situation va encore beaucoup s'aggraver. J'ai été frappé par l'expression qu'a employée M. Verret, si j'ai bien compris ce qu'il a dit quand il parlait de « l'ingouvernabilité du pays ». C'est un pays où le système ne marche pas.
Voilà qui intéresse ceux d'entre nous qui sommes préoccupés par la question de la souveraineté—comme moi—mais au fond la souveraineté ne compte pas beaucoup. À l'heure actuelle, le peuple haïtien ne profite pas de sa souveraineté. Il n'en retire aucun avantage.
Les mesures prises par les Nations Unies pour stabiliser la situation sont évidemment critiques, mais elles ne suffisent. Quant à la possibilité d'une conférence nationale, j'ai vu qu'ils ont essayé d'en convoquer une dans la République démocratique du Congo. Mais cela ne marche pas dans tous les cas. Cela ne peut marcher en l'absence d'un accord de base, et cet accord n'existe pas en Haïti. Je crois malheureusement qu'il en va de même pour les commissions de la vérité, là où elles ont donné de bons résultats. Il doit y avoir une certaine stabilité avant que ce genre de mécanisme puisse améliorer les choses.
En ce qui concerne une intervention à plus long terme… et nous reconnaissons tous que le problème qui s'est posé en ce qui concerne la présence canadienne en Haïti au cours des 10 dernières années était que nous sommes restés à chaque fois suffisamment longtemps pour assurer une présence, mais pas assez longtemps pour vraiment changer la situation. À chaque fois, nous nous retirons trop rapidement. Donc, toute intervention à plus long terme doit tenir compte de ce facteur d'ingouvernabilité. C'est un pays qui est tout simplement ingouvernable.
Quant à ce qui s'est fait sur le plan international, un certain nombre d'instruments prévoyant des mesures internationales sont justement intervenus. Il y en a eu au Timor-Oriental. Il y en a eu après la conclusion des Accords de Dayton. Et nous avons l'instrument qui relève des Nations Unis, soit les accords de tutelle.
J'essaie de vous dire simplement que, par exemple, c'est l'Australie qui a piloté le dossier du Timor oriental. Quant aux Accords de Dayton, c'était les États-Unis. C'est la période post-coloniale qui a permis de conclure les accords de tutelle. Je sais que c'est un mot qu'on n'aime pas utiliser, mais dans le contexte que je cite, nous savons ce que cela veut dire. Cela veut dire simplement que des mesures d'intervention sont prises qui sortent de l'ordinaire et qui n'essaient pas de faire croire que les pays déséquilibrés qui sont visés par elles continuent à exercer leur souveraineté. Autrement dit, il faut une intervention.
Pour vous dire la vérité, je vois difficilement qu'une solution à long terme puisse se réaliser en Haïti à partir du genre de consensus dont nous parle Jean-Louis Roy… le succès de toute mesure dépend évidemment de ce consensus, mais je ne pense pas que ce soit un bon point de départ. Pour moi, cela ne sera possible que si les instances internationales se concertent et définissent ensemble des solutions novatrices.
Mais la question que je me pose est celle-ci : comment fait-on pour faire démarrer ce genre d'activité? Un pays particulier doit décider d'en être l'instigateur et ce, dans le cadre des activités des Nations Unies, à mon avis. Ce ne sera pas la France. Ce ne seront pas non plus les États-Unis. Et sans vouloir insulter personne, ce ne sera pas non plus la Francophonie, ni les pays des Caraïbes, ni l'OEA. Le seul pays qui pourrait à mon avis piloter un tel dossier et en assurer le succès serait le Canada.
J'aimerais d'abord vous demander si vous êtes d'accord pour dire qu'il faut envisager d'employeur un instrument spécial, qui supposerait une intervention inhabituelle et de courte durée par une force extérieure, de préférence une force établie par l'ONU. Deuxièmement, acceptez-vous la notion selon laquelle si nous ne prenons pas l'initiative, personne d'autre ne le fera? Et si vous êtes d'accord sur ces deux points, à votre avis, le Canada que doit-il faire pour atteindre cet objectif dans l'immédiat?
Par contre, monsieur le président, je ne voudrais pas que vous croyiez que les questions juridiques et autres qui ont été soulevées m'indiffèrent. Je pense simplement que même si ces dernières sont importantes, il y a une autre question encore plus fondamentale que nous devons approfondir si nous voulons éviter de faire face à une autre crise dans 10 ans encore.
Une voix : Bravo, bravo!
Á (1115)
Le président: Merci.
Madame Lapierre.
[Français]
Mme Marthe Lapierre: J'aimerais d'abord dire que ce qui a caractérisé le gouvernement du président Aristide a été son incapacité à gouverner, ce qui n'est pas forcément le cas présentement. Il me semble que le gouvernement de transition qui a été nommé a quand même certaines capacités. De plus, il crée de l'espoir parmi la population haïtienne, selon nos observations. En ce sens, une intervention spéciale n'est peut-être pas complètement justifiée, mais il est certain que les forces multinationales qui sont actuellement présentes doivent s'attaquer au problème. Ce problème, comme je le soulignais, est la question du désarmement. Si on ne procède pas à ce désarmement, on va forcément se retrouver encore devant une situation ingouvernable, parce qu'il existe des groupes armés qui vont vouloir dicter leur loi.
Mme Lalonde a demandé quelle était la priorité des priorités. Selon moi, c'est celle-là. Si on ne règle pas ce problème, on n'ira pas plus loin. Tous les programmes de reconstruction du monde ne connaîtront pas autant de succès que nous le souhaitons. La seconde priorité, qui la suit de très près, est de tâcher de résoudre autant que faire se peut le problème de l'impunité. Il ne faudrait pas que dans 10 ans les personnes qui ont commis tous ces crimes soient encore sur le terrain, comme c'est le cas, depuis 1994, pour les personnes qui ont commis des crimes durant le coup d'État. Elles n'ont pas été arrêtées, n'ont pas été jugées et sont toujours là. On les voit maintenant et elles sont toujours armées. C'est un grand problème, et il va falloir prendre toutes les dispositions possibles pour essayer réellement de juger les coupables et mettre un terme à l'impunité. On commence à avoir les bases nécessaires pour reconstruire et il me semble que c'est la première des choses.
Je voudrais en profiter pour répondre aux questions.
Á (1120)
Le président: Je m'excuse, mais pas maintenant.
Monsieur Arancibia, vous avez la parole.
M. Carlos Arancibia: Il y a deux aspects qui me semblent importants lorsqu'il est question de la capacité de gouverner. Il y a d'abord l'aspect national, c'est-à-dire les institutions nationales, ou l'État. Il y a un État qui s'est effondré, mais en même temps, et je suis d'accord à ce sujet avec Mme Lapierre, on a vu s'effondrer tout un régime. Il a tout de même été possible de nommer des équipes qui peuvent agir de façon consensuelle, ce qui permet de jeter certaines bases de fonctionnement.
D'autre part, il y a des problèmes de capacité de gouverner aussi au niveau local. C'est bien beau d'avoir des ministères, mais comment cela fonctionne-t-il dans les régions et les municipalités? Il faut faire un effort, et j'aimerais attirer l'attention sur les efforts que nous avons faits conjointement avec l'ACDI, au cours des dernières années, en termes de développement local. Ces efforts ont été faits pour rendre plus gouvernables certaines régions au niveau local. De fait, malgré la situation générale, il n'y a pas eu autant de grabuge dans ces régions que dans d'autres régions. On peut constater que les installations des projets que nous réalisons actuellement avec l'appui de l'ACDI, par exemple, n'ont pas été détruites et qu'il n'y a pas eu de massacre dans les zones d'intervention, surtout parce que les gens ont vu qu'il y avait possibilité de faire du développement et que cela leur appartenait.
J'ajoute qu'il faut faire un important effort d'inclusion. Il existe actuellement un risque créé par l'écart qui sépare le gouvernement et l'opposition. Il faut donc prendre des mesures pour que le dialogue continue. La commission a réussi à créer des consensus, même avec des gens de Lavalas, ce qui a permis par la suite de créer certaines conditions permettant de mieux gouverner. Il faudra vraiment que le Canada fasse des efforts pour que ce dialogue continue.
Le président: Merci.
Monsieur Roy, vous disposez de 30 secondes.
M. Jean-Louis Roy: J'aimerais répondre à la question de M. Clark. Je crois qu'il doit y avoir une présence internationale forte pour deux raisons. Premièrement, si on veut que l'intérêt international se porte sur Haïti pendant un certain temps, il doit y exister une structure particulière. Si ce n'est pas le cas, cela va s'estomper devant les urgences des uns et des autres. Deuxièmement, cette présence est nécessaire parce qu'il y a un immense besoin en termes de droits politiques, de droits sociaux et de droits économiques. Il n'y a pas de situation aussi dégradée partout à travers le monde. Il y a un immense besoin d'accompagnement, et il faut absolument que les Haïtiens y soient en partie liés.
Je dirai un mot sur la conférence nationale, monsieur le président. Je ne veux pas m'opposer à votre sagesse, monsieur Clark, mais ou la conférence nationale crée le consensus, ou le consensus crée la conférence nationale. Je pense que les deux cas de figures sont valables.
Le président: Merci. Nous allons maintenant passer à Mme McDonough.
[Traduction]
Le très hon. Joe Clark: À un moment donné...
Le président: Je vous accorde ce privilège pendant 10 secondes. Allez-y, monsieur Clark.
Le très hon. Joe Clark: Les témoins sont-ils d'avis que des mesures d'intervention spéciales seront prises même si le Canada n'en prend pas l'initiative?
Autrement dit, dans quelle mesure est-il essentiel que le Canada prenne l'initiative; si ce n'est pas nous, qui le fera?
Le président: À mon avis, c'est nous qui devrions le faire; voilà ma réponse.
Madame McDonough, vous avez la parole.
Mme Alexa McDonough: Je suis très reconnaissante envers l'honorable M. Clark pour sa question complémentaire, car elle touche directement le point qui m'intéresse.
Je désire remercier tous les témoins de nous avoir brossé un portait aussi horrifiant et complet de la situation, portait qui nous permet de comprendre à quel point la situation à laquelle nous sommes confrontés est complexe. À mon avis, ce serait une perte de temps de vous demander quels sont les éléments les plus importants de tout ce dont vous avez parlé aujourd'hui. Il me semble que tous ces points sont importants et méritent une attention particulière.
J'aimerais aborder directement la question du rôle que peut jouer le Canada à partir de maintenant. Je veux aussi m'associer de très près à l'affirmation sur laquelle il faut une présence de l'ONU et que les éventuelles mesures qui seront prises devront l'être sous l'égide de l'ONU mais au comité, la question essentielle que nous avons à trancher est celle de savoir en quoi devrait consister le rôle du Canada.
Je voudrais soulever la question que voici auprès de M. Verret, non pas pour pointer quiconque du doigt. Face à ce genre de situation, nous devons nous rappeler à mon avis les propos de Roméo Dallaire concernant ce qui est arrivé au Rwanda. On peut toujours trouver des gens sur qui rejeter la responsabilité, mais ce n'est pas un exercice auquel il convient de s'attarder. Essayons plutôt de voir ce qu'il faut faire pour nous en sortir. C'est uniquement en vue de tirer certains renseignements des expériences antérieures que nous devrions parler du passé.
Monsieur Verret, vers le début de votre exposé, vous avez parlé du fait que le Canada avait réduit, si je ne m'abuse—et je ne suis pas sûre de vous avoir bien compris—son engagement au titre de l'ACDI, puisqu'il l'avait fait passer de 50 millions de dollars à 3,5 millions de dollars. Pourriez-vous m'expliquer très brièvement pourquoi cela s'est fait? J'ai peut-être mal compris la traduction.
Deuxièmement, et cet élément me semble encore plus important, dans quelle mesure la manière dont Aristide a quitté le pays était-il problématique? Je crois que tous s'accordent à reconnaître que le gouvernement au pouvoir fonctionnait mal et qu'Aristide n'arriverait pas à rétablir sa légitimité. Donc, par rapport aux questions entourant la façon illégitime dont il a quitté le pays, la crédibilité du Canada est-elle en jeu à votre avis, et aurions-nous compromis notre capacité d'être considérés comme une nation indépendante et digne de confiance? Avons-nous été un peu contaminés par les circonstances entourant ce que certains qualifient de changement de régime illégitime—bien que ce soit peut-être une exagération—et qui auraient suscité énormément de méfiance chez les citoyens haïtiens, malgré leurs préoccupations concernant le gouvernement d'Aristide?
Á (1125)
[Français]
Le président: Merci.
Monsieur Verret.
M. Michel Verret: Je vais d'abord répondre à votre question sur les montants.
Nous avions été informés par l'ACDI de possibilités de développement sur le plan local et, par la suite, nous avons été informés par l'ACDI que son budget de 15 millions de dollars devait être réduit, pour des raisons qui lui appartiennent, à 11,5 millions de dollars. Son budget est donc passé de 15 millions à 11,5 millions de dollars.
Cela était évidemment avant le déclenchement de la crise finale, c'est-à-dire avant le départ...
Á (1130)
[Traduction]
Mme Alexa McDonough: À quelle période exactement? Pouvez-vous me fournir ce renseignement?
[Français]
M. Michel Verret: En janvier 2004, nous avons été informés de ces coupures à l'ACDI pour Haïti. Évidemment, actuellement, il y a des discussions pour voir dans quelle mesure l'ACDI peut revenir sur cette décision, compte tenu de la dégradation qui a été décrite par nous tous ce matin.
Quel est le rôle du Canada et par où doit-il commencer? Je n'ai pas la prétention de répondre à toutes les questions qui ont été posées; d'autres pourront le faire. Néanmoins, à la lumière de l'expérience de certains pays où le Canada a eu à intervenir, ainsi que d'autres organisations, dont Oxfam, je pense que dès que nous amorçons la période où il faut régler une solution urgente, nous devons déjà être en mesure de penser à la reconstruction et au développement. C'est ce qui constitue le problème fondamental.
Monsieur Clark, je sais que vous connaissez très bien la situation des Grands Lacs. Je n'affirme pas nécessairement que c'est la clé du problème dans les Grands Lacs, mais cela a certainement été la clé de nos désillusions dans les Grands Lacs. On n'a pas toujours su penser à l'urgence de la reconstruction et du développement, c'est-à-dire le long terme.
Je dirais que dans la situation qui nous préoccupe actuellement, les affirmations de Kofi Annan et de notre premier ministre sont porteuses. On vient de dire qu'on parle de 10 ans, mais il ne faudrait pas que dans trois ans on l'ait oublié. Il y a souvent cette problématique.
Permettez-moi de donner l'exemple du Rwanda, étant donné que le 10e anniversaire du génocide au Rwanda approche. J'ai vécu cette période et je sais un peu ce qui s'est passé. On a dit tout de suite après que plus jamais le Canada ne ferait les choses de la même manière et qu'il faudrait d'abord s'attaquer vraiment aux causes. Le lendemain du geste, les gens ne voulaient pas nécessairement voir tout de suite un psychiatre pour savoir ce qui s'était passé, mais ils avaient soif et faim et voulaient un couvert et un toit. Par la suite, on s'est attaqué aux causes et on a fait du chemin avec cela. Il était nécessaire de comprendre le problème.
En Haïti, c'est pareil. Je pense qu'il faut essayer de comprendre ce qui s'y passe et de le gérer. Et il faut le gérer en acceptant que c'est une période d'urgence, de reconstruction, de développement.
La réputation du Canada est faite. Il faut qu'il soit en mesure de dire: « Nous partons avec vous, nous sommes partie prenante et nous restons avec vous. »
Le président: Merci, monsieur Verret.
Madame Lapierre.
Mme Marthe Lapierre: Je voudrais revenir sur les conditions dans lesquelles s'est effectué le départ d'Aristide. Je vois qu'il y a des inquiétudes. On ne peut certainement pas empêcher M. Aristide d'alléguer maintenant qu'il y a eu un coup d'État contre lui. Mais je vous pose la question: s'il y a eu un coup d'État, qui a pris le pouvoir?
Ce n'est pas ce qui s'est passé. Ce qui s'est passé, c'est que toute la population s'est mise contre lui. C'est un mouvement qui a fait l'unanimité en Haïti, sauf dans les secteurs armés par Aristide lui-même. Aristide a bel et bien signé une lettre de démission. Même si aujourd'hui certains voudraient en discuter ou en interpréter différemment les termes, il reste que c'est ce qu'il a fait.
Je voulais revenir là-dessus pour mettre les choses au clair. Mme Lalonde avait parlé un peu plus tôt d'une préoccupation inverse qui existe en Haïti. Étant donné la présence d'Aristide en Jamaïque, le fait que les chimères ne sont pas désarmés et la possibilité qu'il y ait toujours un coup de force, c'est une préoccupation. Je pense qu'on doit être attentif à ce sujet et ne pas permettre que ce genre de situation se produise.
[Traduction]
Le président: Merci.
Nous passons maintenant à M. Wilfert.
M. Bryon Wilfert: Merci, monsieur le président.
J'ai malheureusement du mal à tout entendre, parce que je suis très congestionné, mais je vais faire de mon mieux.
D'abord, Haïti a connu, au cours de sa longue histoire, de nombreuses tragédies, et le lexique des affaires internationales prévoit qu'on qualifie à présent de tels pays d'« États dysfonctionnels ». C'est ce terme que nous avons employé pour décrire la Somalie. Y en a-t-il parmi les gens ici présents qui diraient que Haïti ne correspond pas à un État dysfonctionnel? Il semble y avoir consensus sur ce point.
Hans Morgenthau, le renommé théoricien international, dit que la volonté politique de la communauté internationale ne peut se manifester que lorsque les pays individuels cessent de ne voir que leurs propres intérêts.
Dans ce cas-ci, nous faisons face à une crise multidimensionnelle et structurelle d'une ampleur qui dépasse les capacités du Canada et, d'ailleurs, de n'importe quel autre État.
Je suis d'accord avec M. Clark pour dire que le moment est venu—depuis longtemps—d'attribuer aux Nations Unies un rôle bien clair et concret dans cette situation. À mon avis, s'il nous a été impossible d'obtenir de vrais résultats jusqu'à présent, c'est justement parce qu'il n'y a pas eu la volonté politique requise.
Pour faire suite aux remarques de M. Clark, pourriez-vous nous dire quels instruments il faudra employer pour y arriver, et quelles mesures concrètes nous pourrions prendre…? Je sais que les gens n'aiment pas beaucoup le mot « tutelle », mais quand vous avez affaire à un État où le revenu par habitant de 80 p. 100 ou plus des habitants se monte à moins de 150 $US, des termes comme « la démocratie » et « la justice » n'évoquent pas grand-chose chez des gens dont l'existence est si misérable.
Je vous invite donc à répondre d'abord à cette question, et j'aurais ensuite une autre question à vous poser.
Á (1135)
[Français]
Le président suppléant (M. Raymond Simard): Madame Lapierre, s'il vous plaît.
Mme Marthe Lapierre: J'aimerais apporter une précision. En Haïti, il existe présentement un consensus social de la population. La population était unanime à réclamer le départ d'Aristide, et elle est unanime aujourd'hui à réclamer un gouvernement démocratique.
L'ensemble des organisations disent qu'elles seront dorénavant très vigilantes et très critiques par rapport à la façon dont va s'exercer le pouvoir en Haïti. Je pense qu'il est passé le temps où on doit avoir une foi aveugle dans un supposé messie. Cela, c'est terminé. Je pense qu'il y a maintenant des bases sur lesquelles on peut reconstruire en Haïti. On peut compter là-dessus.
Un autre élément pourrait, selon moi, guider le gouvernement canadien dans ses activités, et c'est d'appuyer à tout moment ce gouvernement de transition, comme cela a été mentionné plus tôt. Il est important que ce soient des Haïtiens qui assument le pouvoir et les responsabilités qui leur incombent à l'étape actuelle, cela pour restaurer la crédibilité dans un État de droit. C'est très important.
Un autre principe de l'action, à mon avis, est que le tout doit se faire sous l'égide des Nations Unies. Je pense que ce serait une erreur que quelque nation que ce soit prenne des initiatives de son propre chef. Il est important que les forces multinationales restent sous l'égide des Nations Unies.
Cependant, au sein des Nations Unies, le Canada peut jouer un rôle important. À cause de son expérience antérieure et de ses liens privilégiés, je pense que le Canada peut amener les Nations Unies à poser des gestes encore plus pertinents que ceux qui ont été posés dans le passé.
Le président: Monsieur Eggleton.
[Traduction]
Excusez-moi. Monsieur Roy.
[Français]
M. Jean-Louis Roy: Je voudrais dire un mot en réponse à la question de M. Wilfert. Je préférerais ne pas dire ce que je vais dire maintenant, mais je suis d'accord avec lui: ce n'est pas vrai qu'on peut traiter le cas d'Haïti comme un autre cas difficile, etc. Le cas d'Haïti est un cas extrême, et non pas un cas parmi ceux de bien d'autres pays qui ont des problèmes particuliers. C'est un pays qui a des problèmes structurels considérables.
Le Canada peut exercer une fonction de leadership au sein des Nations Unies. On n'en a pas parlé ce matin, mais j'aimerais qu'on regarde la dette d'Haïti. Haïti ne peut pas se prévaloir des formules pour les pays les plus pauvres pour l'annulation des dettes parce que son niveau d'endettement n'est pas suffisant, dit-on. C'est assez extraordinaire. Il y a une espèce d'audit qui doit être fait.
Je crois que le Canada pourrait aussi jouer un rôle dans la coordination de la coopération au sein d'un montage fait par les États-Unis. Vous avez utilisé un terme que personne n'ose utiliser, celui de « mise en tutelle ». Je crois qu'on doit être conscient du fait qu'aujourd'hui, dans un grand nombre de domaines, les pays sont d'une certaine façon dans des réseaux internationaux qui les contraignent considérablement dans des matières fondamentales. Si vous êtes membre de l'OMC, vous avez accepté des contraintes énormes. Si vous êtes membre des Nations Unies, et c'est là que la question du droit international et des droits humains devient centrale, il faudrait que vous soyez tenu d'accepter au moins le même nombre de contraintes en termes de droits humains et de démocratie que vous en avez accepté lorsque vous êtes entré dans l'OMC. On n'est malheureusement pas dans ce monde-là.
Je voudrais être d'accord avec Mme Lapierre sur tout, mais il y a une petite nuance entre nous en ce qui a trait au consensus dans la société haïtienne concernant la démocratie, etc. Je crois que tant que les conditions socio-économiques seront à ce point dégradées, il y aura toujours un risque considérable qu'on se tourne vers des formules un peu magiques de transition, etc.
Á (1140)
Le président: Madame Duhamel, s'il vous plaît.
[Traduction]
Mme Catherine Duhamel: J'ai quelques brèves observations à faire. Si Haïti est un État dysfonctionnel, pourquoi est-il devenu dysfonctionnel? Quel est le rôle de l'ONU dans tout cela, et quel est le rôle de la communauté internationale? Si nous décidons que Haïti est un État dysfonctionnel, il convient que le rôle de l'ONU, dont nous parlons aujourd'hui, soit également analysé.
Vous avez dit également qu'il n'y a pas la volonté politique nécessaire au sein de l'ONU pour créer les instruments qui lui permettraient d'agir ou de prendre une initiative quelconque.
M. Bryon Wilfert: Moi, je parlais de la communauté internationale en général.
Mme Catherine Duhamel: Mais de qui s'agit-il?
M. Bryon Wilfert: Je voulais dire par là n'importe quel participant, car si nous n'agissons pas dès maintenant, quand allons-nous agir? Si nous souhaitons renforcer les capacités en Haïti, quel sera l'agent catalyseur qui nous permettra de le faire? De toute évidence, l'approche fragmentée qu'on emploie depuis plusieurs années n'a pas… Écoutez, en 1993, Aristide était considéré comme le sauveur, mais à présent c'est un paria.
Comme le disait M. Clark, le fait est que nous n'avons pas ressenti le besoin jusqu'à présent de dégager un consensus au sein de la communauté internationale sur la façon de réagir. Haïti n'est pas le seul cas de ce genre, mais dans notre hémisphère, nous avons, de même que d'autres pays, la responsabilité de nous attaquer à ce problème pour essayer de trouver une solution—il ne s'agit pas d'imposer notre volonté, mais il est clair qu'une démarche multilatérale s'impose pour que notre réponse soit claire. Essentiellement, nous remplaçons un voyou par un autre, parce qu'il semble évident que ceux qui ont renversé le gouvernement de M. Aristide ne sont, d'après ce que tout le monde en dit, ni meilleurs ni plus mauvais que ceux qui étaient en place auparavant.
Le président: Oui, mais ils n'y sont plus. À présent il y a un nouveau gouvernement.
M. Bryon Wilfert: Et ce nouveau gouvernement est soutenu par des personnes suspectes.
Le président: Nous passons maintenant à M. Eggleton.
L'hon. Art Eggleton: Merci. Vous nous avez donné un certain nombre d'idées sur ce qu'il faut faire pour aider Haïti et ce que le Canada pourrait faire. J'aimerais qu'on discute un peu plus de la nature précise de ces mesures. Que faut-il faire dans les mois qui viennent pour améliorer la qualité de vie du peuple haïtien?
Je suis allé en Haïti il y a quelques années lorsque nos troupes étaient sur place. Je peux certainement attester que les statistiques qu'on voit ici, selon lesquelles 80 p. 100 des habitants vivent en dessous du seuil de la pauvreté, sont parfaitement exactes. Leur situation est effectivement fort triste. Ils sont confrontés à des défis de taille en ce qui concerne le maintien de l'ordre, la sécurité, la gouvernance, la pauvreté, le développement économique, et le respect des droits de la personne. Il est difficile de savoir par quoi commencer.
On pourrait donc tenter, dans un premier temps, de réaliser quelques succès précoces, même s'il s'agit de succès modestes. J'aimerais que vous commentiez cette possibilité et vers quoi nous pourrions tendre par la suite. Dans le même ordre d'idées, je voudrais vous poser deux questions précises qui font suite à certaines observations.
Madame Lapierre, vous dites que le désarmement doit être une grande priorité. Le désarmement peut se réaliser de trois façons : de façon volontaire, par la négociation, et par la force. Quelles sont les chances de succès des deux premières options—c'est-à-dire la méthode volontaire et la négociation? Pensez-vous que cela pourrait se faire de cette façon? Sinon, et s'il faut opter pour la force, qui devrait être chargé de mener à bien une telle opération de désarmement?
Monsieur Roy, vous avez mentionné la possibilité de convoquer une conférence internationale—si je vous ai bien compris—pour définir un plan d'action. Quels membres de la communauté internationale participeraient à cette conférence internationale? À votre avis, le Canada devrait-il jouer un rôle de chef de file en proposant la tenue de cette conférence? Qu'en est-il des différentes factions en Haïti? Quel serait leur rôle dans le cadre d'une telle conférence? Et quel pourrait en être le résultat, si vous estimez effectivement que ce serait une bonne façon de lancer cette opération?
Je rêve peut-être, mais j'aimerais bien que le Canada joue un rôle de chez de file dans ce dossier.
Le président: Très bien. J'en suis ravi.
[Français]
Madame Lapierre, abordez la première question, s'il vous plaît.
Á (1145)
Mme Marthe Lapierre: À mon avis, il faut utiliser les trois méthodes simultanément. J'ai la ferme conviction que si la force multinationale démontre sans équivoque sa volonté de désarmer, nombreux sont ceux qui vont volontairement déposer les armes. C'est une question de volonté.
Je voudrais vous donner l'exemple d'événements qui se sont produits en 1994. Il se trouve que cette année-là, Catherine et moi-même avons participé à une mission d'observation, dans un lieu nommé Hinche, situé dans le plateau central. Des forces américaines y étaient alors stationnées.
On nous disait qu'un désarmement était en cours. Or, c'était une vraie farce: on avertissait les gens deux jours à l'avance que les armes seraient confisquées. Bien entendu, on n'en trouvait aucune. Il faut donc démontrer une volonté réelle de désarmer et prendre les moyens pour le faire, s'il le faut, par la force.
Toutefois, j'imagine qu'il faut être assez persuasif dans sa façon de démontrer que le désarmement constitue la seule solution. À mon avis, s'il y a vraiment un risque associé au fait de ne pas désarmer et qu'on démontre la volonté de procéder au désarmement, cela pourrait se faire assez rapidement.
Déjà, certains chefs de bande ont exprimé la volonté de déposer les armes. Cependant, ils disent ne pas pouvoir le faire à cause de l'insécurité qui prévaut. Il faut donc vraiment prendre cette initiative, mais surtout, comme je le disais, avoir la volonté de le faire et le démontrer.
Le président: Merci. Abordons maintenant la deuxième question.
Monsieur Roy, s'il vous plaît.
[Traduction]
M. Jean-Louis Roy: S'agissant de la conférence que j'ai mentionnée, j'avais à l'esprit une conférence nationale où il y aurait une présence internationale. Il s'agirait d'une conférence nationale réunissant tous les segments de la société—les syndicats, les Églises, les travailleurs, tous les partis politiques—où il y aurait une forte présence internationale, de sorte que le Canada puisse jouer un rôle important. En l'absence d'un consensus chez les citoyens haïtiens, il sera difficile de commencer à rebâtir le pays. Voilà donc ce à quoi je pensais.
Concernant le point d'entrée du développement et par quoi nous devrions commencer, je dirais que même si c'est une question à laquelle il est impossible de répondre, nous devons absolument aider la population de Haïti. Beaucoup de gens en Haïti voudraient rebâtir ou plutôt bâtir une culture démocratique.
Nous devons les aider et les soutenir dans cette initiative. Nous devons leur donner les moyens de rebâtir une culture démocratique. Voilà qui compléterait en quelque sorte la conférence nationale dont je parlais tout à l'heure.
[Français]
Le président: Madame Duhamel.
[Traduction]
Mme Catherine Duhamel: Je voudrais ajouter quelque chose sur la question du désarmement.
L'organisation des Nations Unies a un programme qui se nomme en français le Programme de démobilisation, de désarmement et d'intégration, et par conséquent, cette dernière a une certaine expérience de ce type d'initiative. Je présume que s'il a une bonne assise financière… en 1994, selon le programme en place, on donnait 100 $US pour chaque arme.
Le fait d'offrir un avenir plus intéressant aux citoyens aurait certainement un impact décisif sur le cercle vicieux que nous y observons depuis au moins les 10 dernières années. Donc, l'aspect intégration ou réintégration fait partie intégrante de la question du désarmement.
Le président: Merci.
Il nous reste 12 minutes. Je vais demander à M. Simard et à M. Macklin de poser leurs questions, et après nous obtiendrons les réponses.
[Français]
Monsieur Simard, s'il vous plaît.
Le président suppléant (M. Raymond Simard): Merci, monsieur le président. J'ai deux petites questions à poser. Vous avez peut-être déjà répondu partiellement à la première.
On remet certainement en question la légitimité de la présidence de M. Aristide. Madame Lapierre, vous semblez dire que c'est une révolution du peuple, tandis que M. Roy parle d'un gouvernement élu, sinon mal élu. Pour moi, il est important de comprendre cette nuance. Est-ce que, d'après vous, c'est une démocratie ou une dictature, ou quelque chose qui se situe quelque part entre les deux? J'aimerais comprendre cela.
Deuxièmement, est-ce qu'il y a, en Haïti, l'anarchie totale ou s'il y a quand même une structure politique de base sur laquelle nous pouvons construire quelque chose? Est-ce que nous avons identifié des personnes en Haïti qui pourraient servir de partenaires pour la reconstruction du pays?
[Traduction]
Le président: Monsieur Macklin.
M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.): Il semble clair que nous essayons tous de trouver un moyen raisonnable et efficace d'établir de bonnes assises pour la reconstruction d'une démocratie, on peut dire.
Vu les statistiques que nous avons sous les yeux, et qui indiquent l'effondrement de l'économie du pays—si c'est effectivement ça qu'elles indiquent—ou, au mieux, un niveau de vie qui permet à peine aux citoyens de survivre, y a-t-il un rôle que nous pourrions jouer pour renforcer cette base économique afin de donner un peu d'espoir à la population, espoir qui permettrait peut-être d'établir de bonnes assises qui favoriseraient le processus démocratique et la reconstruction?
Á (1150)
Le président: Merci.
[Français]
Madame Lapierre.
Mme Marthe Lapierre: Est-ce que le régime d'Aristide était une démocratie ou une dictature? Dans mon esprit, il n'y a pas de doute: c'était une dictature.
Maintenant, comme dans bien des cas, il y avait effectivement eu une élection présidentielle en 2000, mais une élection qui reposait d'abord sur un problème antérieur. Il y avait déjà eu un problème important au moment des élections parlementaires, en mai 2000. L'OEA ne reconnaissait pas le résultat des élections parlementaires de mai 2000, ou le questionnait en partie. Et c'est précisément là-dessus qu'on n'est jamais arrivé à trouver une solution. Ensuite l'opposition a décidé de boycotter les élections présidentielles. Elle n'y a pas participé. En plus, il y a seulement 5 p. 100 de la population qui a participé à l'élection.
Tout cela nous fait dire que ce gouvernement a été mal élu, mal élu parce que c'est questionnable. En fait, il aurait pu garder de la légitimité malgré tout en exerçant un pouvoir réellement démocratique, mais il ne l'a pas fait. Donc, pour moi, il est clair qu'on parle d'une dictature dans le cas d'Aristide. D'ailleurs, c'est de cette façon que l'ensemble de nos partenaires en Haïti qualifient ce régime.
Le président: Monsieur Verret.
M. Michel Verret: J'aimerais revenir sur un point qui a été soulevé par M. Eggleton et qui est en relation avec les moyens d'intervention.
Vous avez dit quelque chose de fort intéressant: ne pourrait-on pas bâtir sur certains succès que nous avons connus ou sur certaines de nos réalisations? La réponse est oui. On parle depuis tout à l'heure de partenaires. Nous avons, en effet, des partenaires avec qui nous travaillons. Il s'agit de gens qui souhaitent énormément ces partenariats. Beaucoup de gens de la société civile investissent présentement. Ils sont préoccupés par la durée de cette période d'urgence, car ils voudraient passer à ce dont j'ai parlé un peu plus tôt, la reconstruction et le développement.
Il est indéniable que nous avons connu du succès avec certains projets dans certaines régions qu'il faut sécuriser. Regardons ce qui est positif. Il se fait des choses positives. Carlos vous a parlé, un peu plus tôt, de développement local. Lorsque, localement, on parle de démocratie et de gouvernance, on s'assoit ensemble et on comprend qu'il faut protéger certains acquis et construire sur cela. Je rêve qu'il y ait non pas un ou deux foyers de développement local dans le pays, mais qu'il y en ait quatre, cinq ou six qui feraient boule de neige. Je ne prétends toutefois pas que c'est tout ce qu'il faut faire. Je pense qu'il y a ici unanimité sur le sujet: nous avons besoin d'une force de maintien de la paix, d'une mission internationale pour rétablir l'ordre et assurer la transition. En même temps, il faut aussi faire un travail d'éducation civique pour que l'on comprenne ce qu'est la démocratie, comment évaluer les candidats et accepter que si on perd ses élections, le candidat élu aussi peut nous mener à bon port. Il y a du travail à faire sur ce sujet. C'est notre dernière recommandation dont je parlais un peu plus tôt.
D'autre part, il faut accepter de travailler avec les populations vraiment intéressées, car il y en a. Je comprends qu'on veuille trouver une solution extraordinaire, et j'ai compris dans quel sens vous disiez cela. Parfois, des gestes ordinaires de solidarité, de présence et de continuité peuvent avoir un effet supérieur.
Le président: Merci.
Monsieur Roy, c'est à vous.
M. Jean-Louis Roy: Monsieur le président, revenons à la question de la nature du régime Aristide, de sa légitimité ou non. Mme Lapierre a parfaitement défini ce qui s'est passé en disant qu'il aurait pu gagner de la légitimité, mais qu'il n'a pas gagné de légitimité. Par contre, je n'aime pas l'idée qu'en Bolivie, à Haïti, dans d'autres pays demain peut-être, la rue décide que des gens élus vont sauter. Cela constitue aussi un problème. Où cela s'arrêtera -t-il? Quand un mouvement populaire a-t-il le droit de décréter qu'un régime n'est plus légitime? Je pense que c'est un problème important et que cela pose des questions très importantes. Qui, dans la communauté hémisphérique, peut déterminer le point de non-retour, le moment où on ne doit pas accepter la bataille de Port-au-Prince, la mort de 3 000 personnes, etc.? Qui décide de cela? C'est une grave question.
Monsieur Macklin, vous avez posé une question qui portait sur l'économie. On a beaucoup parlé de la question des droits politiques. Il y a la construction des droits économiques et du développement économique aussi. J'aimerais que le comité se penche sur la question des formules de réduction de la dette qui, apparemment, ne s'appliquent pas dans le cas d'Haïti. C'est un vrai problème. Si un pays est pauvre à ce point et qu'il n'a pas accès aux formules de réduction de la dette des pays les plus pauvres, il faut regarder cela.
D'autre part, j'aimerais parler de crédit populaire, du petit crédit, du crédit de base. Certains de nos compatriotes ont travaillé sur ces questions en Haïti. Je pense que ce type de crédit serait très utile pour favoriser le développement économique. Le Canada pourrait peut-être voir si une formule comme celle qu'il a aidé à créer au sein du NEPAD pour l'investissement en Afrique pourrait être retenue dans le cas d'Haïti. Ce pourrait être un fonds spécial de soutien à l'investissement pour Haïti.
Á (1155)
Le président: Merci.
Avant de terminer, j'aimerais poser deux petites questions aux panélistes.
Madame Lapierre, vous avez dit que le tout avait vraiment débuté en l'an 2000, lors des législatives de l'an 2000. Aristide n'avait pas voulu tenir d'autres élections et cela a été le début de la fin.
Si des conditions de sécurité étaient présentes en Haïti, croyez-vous qu'on pourrait envisager d'y tenir des élections présidentielles ou des élections législatives d'ici un an?
D'autre part, vous avez parlé d'intervention internationale, des Nations Unies et du Canada, etc. Pensez-vous que le travail qu'a fait l'OEA, l'Organisation des États américains, est un échec? L'OEA a tenu quand même 24 rondes de négociations avec Haïti. Pensez-vous que l'OEA a vraiment fait son travail? C'est bien beau, les chartes et les voeux pieux, mais l'OEA n'a pas obtenu de résultats concrets. Merci.
Mme Marthe Lapierre: Le gouvernement de transition s'est donné une période de 24 mois pour réinstaurer des conditions propices. Ce ne sera pas de trop, à mon avis. Toutefois, je pense qu'on ne doit pas se donner une échéance de temps, mais plutôt une échéance de conditions et certains critères pour évaluer les conditions de sécurité, de liberté, d'expression de liberté, qui permettent la tenue d'élections, avec un minimum d'installation des institutions qui doivent voir à la préparation et à l'organisation de ces élections.
Donc, je pense qu'il faut se donner ces critères plus qu'un critère de temps. À mon avis, il est raisonnable de penser que cela pourrait avoir lieu dans deux ans.
Pour ce qui est de l'OEA, je pense que c'est un échec, en effet. Je crois que l'organisation a mis beaucoup trop de temps à réagir à la non-volonté ou à la non-implication du gouvernement haïtien dans les résolutions et les conseils qu'on lui donnait à ce moment-là.
Le président: Merci.
Je vous remercie beaucoup d'être venus ce matin et je tiens à dire aux membres du comité que mardi prochain, le 30 mars, de 15 h 30 à 17 h 30, nous allons poursuivre notre étude de la situation en Haïti. Merci.
La séance est levée.