JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 3e SESSION
Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 20 avril 2004
¹ | 1545 |
Le président (M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.)) |
Mme Kate Malleson (chargée de cours senior en droit, London School of Economics, À titre individuel) |
¹ | 1550 |
¹ | 1555 |
º | 1600 |
Le président |
Mme Judith Resnik (professeure de droit Arthur Liman , Université Yale, À titre individuel) |
º | 1605 |
º | 1610 |
º | 1615 |
º | 1620 |
º | 1625 |
Le président |
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, PCC) |
Mme Kate Malleson |
M. Chuck Cadman |
Mme Kate Malleson |
º | 1630 |
M. Chuck Cadman |
Mme Judith Resnik |
Le président |
M. Richard Marceau (Charlesbourg—Jacques-Cartier, BQ) |
º | 1635 |
Mme Kate Malleson |
M. Richard Marceau |
Mme Judith Resnik |
º | 1640 |
M. Richard Marceau |
Mme Kate Malleson |
Mme Judith Resnik |
M. Richard Marceau |
º | 1645 |
Mme Judith Resnik |
Mme Kate Malleson |
Le président |
Mme Judith Resnik |
Le président |
Mme Judith Resnik |
Le président |
L'hon. Stéphane Dion (Saint-Laurent—Cartierville, Lib.) |
º | 1650 |
Mme Kate Malleson |
L'hon. Stéphane Dion |
Mme Kate Malleson |
L'hon. Stéphane Dion |
Mme Kate Malleson |
L'hon. Stéphane Dion |
Mme Kate Malleson |
L'hon. Stéphane Dion |
Mme Kate Malleson |
L'hon. Stéphane Dion |
Le président |
Mme Kate Malleson |
º | 1655 |
Le président |
Mme Judith Resnik |
Le président |
L'hon. Stéphane Dion |
Mme Judith Resnik |
L'hon. Stéphane Dion |
Mme Judith Resnik |
» | 1700 |
L'hon. Stéphane Dion |
Mme Judith Resnik |
Le président |
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, PCC) |
Le président |
M. Kevin Sorenson |
Mme Kate Malleson |
M. Kevin Sorenson |
Mme Kate Malleson |
M. Kevin Sorenson |
Mme Kate Malleson |
» | 1705 |
M. Kevin Sorenson |
Mme Kate Malleson |
M. Kevin Sorenson |
Mme Kate Malleson |
M. Kevin Sorenson |
Mme Kate Malleson |
M. Kevin Sorenson |
Mme Kate Malleson |
M. Kevin Sorenson |
Mme Kate Malleson |
M. Kevin Sorenson |
Mme Kate Malleson |
M. Kevin Sorenson |
Mme Kate Malleson |
M. Kevin Sorenson |
Le président |
M. Richard Marceau |
L'hon. Sue Barnes (London-Ouest, Lib.) |
Mme Kate Malleson |
L'hon. Sue Barnes |
Mme Kate Malleson |
L'hon. Sue Barnes |
Le président |
M. Richard Marceau |
Mme Kate Malleson |
» | 1710 |
Le président |
L'hon. Sue Barnes |
Mme Kate Malleson |
L'hon. Sue Barnes |
Mme Kate Malleson |
L'hon. Sue Barnes |
Mme Kate Malleson |
» | 1715 |
L'hon. Sue Barnes |
Le président |
L'hon. Lawrence MacAulay (Cardigan, Lib.) |
Mme Kate Malleson |
L'hon. Lawrence MacAulay |
Mme Kate Malleson |
L'hon. Lawrence MacAulay |
Mme Kate Malleson |
Le président |
M. Kevin Sorenson |
Mme Kate Malleson |
M. Kevin Sorenson |
Mme Kate Malleson |
M. Kevin Sorenson |
Mme Kate Malleson |
M. Kevin Sorenson |
Mme Kate Malleson |
M. Kevin Sorenson |
Mme Kate Malleson |
» | 1720 |
Le président |
Mme Judith Resnik |
Le président |
L'hon. Sue Barnes |
Mme Judith Resnik |
Le président |
L'hon. Sue Barnes |
Mme Judith Resnik |
» | 1725 |
Le président |
» | 1730 |
M. William Trudell (président, Conseil canadien des avocats de la défense) |
» | 1735 |
Le président |
Mme Judith Resnik |
» | 1740 |
Le président |
M. Chuck Cadman |
M. William Trudell |
» | 1745 |
Le président |
M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.) |
Mme Judith Resnik |
» | 1750 |
Le vice-président (M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, PCC)) |
M. Kevin Sorenson |
Mme Judith Resnik |
» | 1755 |
M. Kevin Sorenson |
Mme Judith Resnik |
Le vice-président (M. Chuck Cadman) |
M. Kevin Sorenson |
M. William Trudell |
¼ | 1800 |
Le vice-président (M. Chuck Cadman) |
L'hon. Stéphane Dion |
M. William Trudell |
L'hon. Stéphane Dion |
M. William Trudell |
L'hon. Stéphane Dion |
M. William Trudell |
L'hon. Stéphane Dion |
M. William Trudell |
¼ | 1805 |
L'hon. Stéphane Dion |
Le vice-président (M. Chuck Cadman) |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Sue Barnes |
L'hon. Stéphane Dion |
Le vice-président (M. Chuck Cadman) |
M. Kevin Sorenson |
Mme Judith Resnik |
¼ | 1810 |
M. William Trudell |
Le vice-président (M. Chuck Cadman) |
L'hon. Sue Barnes |
Le vice-président (M. Chuck Cadman) |
L'hon. Sue Barnes |
L'hon. Stéphane Dion |
¼ | 1815 |
M. William Trudell |
¼ | 1820 |
Le vice-président (M. Chuck Cadman) |
L'hon. Stéphane Dion |
M. William Trudell |
Le vice-président (M. Chuck Cadman) |
L'hon. Sue Barnes |
M. William Trudell |
¼ | 1825 |
L'hon. Sue Barnes |
M. William Trudell |
L'hon. Sue Barnes |
M. William Trudell |
Mme Judith Resnik |
Le vice-président (M. Chuck Cadman) |
L'hon. Stéphane Dion |
M. William Trudell |
¼ | 1830 |
L'hon. Stéphane Dion |
M. William Trudell |
L'hon. Stéphane Dion |
M. William Trudell |
L'hon. Stéphane Dion |
M. William Trudell |
Le vice-président (M. Chuck Cadman) |
M. Kevin Sorenson |
M. William Trudell |
M. Kevin Sorenson |
Le vice-président (M. Chuck Cadman) |
M. Kevin Sorenson |
M. William Trudell |
Le vice-président (M. Chuck Cadman) |
L'hon. Sue Barnes |
M. William Trudell |
L'hon. Sue Barnes |
Le vice-président (M. Chuck Cadman) |
CANADA
Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile |
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l |
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 20 avril 2004
[Enregistrement électronique]
¹ (1545)
[Traduction]
Le président (M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.)): Chers collègues, je déclare la séance ouverte. Nous avons le quorum.
Nous sommes ravis de recevoir aujourd'hui deux témoins qui ont une connaissance du processus de nomination à la magistrature dans leurs pays respectifs. Il y a d'abord Mme Kate Malleson, chargée de cours senior en droit de la London School of Economics, pour nous parler du Royaume-Uni, puis Mme Judith Resnik, qui est la professeure de droit Arthur Liman de l'Université Yale, qui traitera de ce qui se passe chez notre grand voisin du sud, les États-Unis. Elles ont peut-être aussi d'autres domaines de compétence. Les deux ont siégé à un groupe d'experts réunis hier à l'Université de Toronto, au Victoria College, et s'en sont très bien acquittées. Je crois fermement que leur contribution d'aujourd'hui nous aidera dans notre travail.
Pour commencer, j'invite chacun de nos témoins à présenter un exposé, si elles le veulent bien. Nous accordons habituellement dix minutes. On a proposé que nous soyons un peu plus souples aujourd'hui, au besoin, étant donné les distances parcourues et le fait que nous avons amplement de temps devant nous.
Mme Malleson peut commencer. Merci.
Mme Kate Malleson (chargée de cours senior en droit, London School of Economics, À titre individuel): Je dois d'abord m'excuser auprès du président, parce qu'au séminaire d'hier, il a entendu une bonne partie de ce que je dirai maintenant. À cette occasion, j'ai dit à quel point j'étais particulièrement heureuse de parler de cette question puisque, comme certains d'entre vous le savent, beaucoup de changements constitutionnels sont en cours au Royaume-Uni et le processus de nomination à la magistrature sera complètement restructuré. En Grande-Bretagne, on s'intéresse beaucoup à ce qui se passe ici, au Canada. Le moment se prête admirablement à un échange d'idées et d'information sur ce sujet.
Au cours des 10 ou 15 prochaines minutes, j'ai l'intention de vous décrire un peu le contexte de ce qui se passe en Grande-Bretagne, particulièrement dans le débat sur la participation parlementaire au choix des juges, plus précisément des juges de la Cour suprême qui, si je comprends bien, est la question cruciale dont vous êtes actuellement saisis.
Le Parlement étudie actuellement un projet de loi sur la réforme constitutionnelle. Ce projet de loi vise notamment à abolir le poste de Lord chancelier, à créer une nouvelle cour suprême et une nouvelle commission des nominations à la magistrature. Pour ceux qui ne connaissent pas le système actuel, je vais le décrire en quelques mots.
Le Lord chancelier est responsable ultimement de toutes les nominations à la magistrature. Le premier ministre joue un rôle dans la nomination des juges de la Cour d'appel et des Lords juristes, mais en fait, c'est le Lord chancelier qui décide. Il est le chef de la magistrature, membre du Cabinet et président de la Chambre des lords, et fait donc partie des trois branches du gouvernement.
La création de la Cour suprême élimine tout simplement les Lords juristes de la législature. Actuellement, pour ceux qui ne connaissent pas bien le système, la plus haute cour, l'équivalent de la Cour suprême, est en fait un comité de la législature, combiné avec un comité du Conseil privé, ce que vous connaissez davantage. Il s'agit des mêmes juges, en gros, qui portent des titres différents. C'est donc un système complexe où il y a chevauchement des branches du gouvernement.
Les changements proposés visent à mieux séparer les pouvoirs. L'abolition du Lord chancelier est destinée à faire en sorte qu'il n'y ait pas un poste qui appartienne en même temps aux trois branches du gouvernement. La création de la nouvelle Cour suprême fera en sorte que la plus haute cour soit indépendante de la législature et ait sa propre identité, comme la Cour suprême du Canada. Ses pouvoirs ne seront toutefois pas différents de ceux des Lords juristes. Elle ne pourra donc pas invalider une loi. Au Royaume-Uni, les Lords juristes, comme tous les autres tribunaux d'ailleurs, n'ont pas de pouvoir d'examen judiciaire au sens où on l'entend aux États-Unis et au Canada. Au Royaume-Uni, l'examen judiciaire, c'est l'examen des opérations gouvernementales, pour s'assurer qu'elles soient légales, justes et raisonnables. Il n'y a pas de pouvoir d'annulation des lois.
Nous avons toutefois, depuis l'an 2000, une charte des droits, depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur les droits de la personne, qui incorporait la Convention européenne des droits de l'homme, dans les faits l'équivalent de la Charte en Grande-Bretagne. L'effet en a été à peu près le même qu'ici, donnant une grande visibilité aux juges de haut rang et suscitant beaucoup de questions au sujet du rôle politique croissant des tribunaux supérieurs qui doivent décider en matière de droits de la personne. Vous pourriez dire que le Royaume-Uni vit ce que vit le Canada depuis une vingtaine d'années. Les changements proposés sont en partie en réaction à ces nouveaux faits, et visent à mieux séparer les pouvoirs.
J'ai déjà dit que les réformes prévoient la création d'une nouvelle commission des nominations à la magistrature. Plus précisément, on en crée deux. L'une se rapporte aux juges de l'Angleterre et du pays de Galles, pour tous les juges de cours inférieures à la Cour suprême. La Cour suprême est bien entendu une cour du Royaume-Uni, et ses nominations seraient faites par une commission distincte. Cette commission, du moins d'après le projet de loi actuel, sera composée de cinq personnes : le président et le vice-président de la Cour suprême qui seront, comme je le disais, les Lords juristes actuels, et trois autres membres, chacun provenant de l'une des commissions régionales, soit celles de l'Angleterre et du pays de Galles, de l'Irlande du Nord ainsi que de l'Écosse.
¹ (1550)
La commission des nominations pour l'Écosse fonctionne déjà. Celle de l'Irlande du Nord en fera autant dans un an; la loi a été adoptée. La commission pour l'Angleterre et le pays de Galles, comme je le disais, fait l'objet du projet de loi actuellement étudié au Parlement.
La commission comptera cinq membres. Actuellement, ce qui est proposé, c'est qu'une liste de deux à cinq noms soit envoyée au ministre de la Justice, qui remplacera le Lord chancelier pour choisir les juges de la Cour suprême.
C'est une question très controversée. Il y a deux ou trois semaines, le gouvernement a affirmé qu'il se pourrait qu'une telle liste soit remplacée et qu'un seul nom soit recommandé. Cela signifierait qu'en fait, la Commission des nominations à la Cour suprême aurait toute discrétion et qu'il y aurait très peu de participation politique au processus. Mais on ne sait pas très bien encore ce qui se produira.
Dans son libellé actuel, le projet de loi ne prévoit aucune participation parlementaire au processus. Cela risque d'être particulièrement controversé si la formule retenue est celle où un seul nom est recommandé, puisqu'il y aura alors très peu de reddition de comptes, du point de vue démocratique.
Je voulais vous parler de ce débat qui prend de l'ampleur et de ses arguments. On peut se demander pourquoi une participation parlementaire n'a pas été prévue, et aussi, pourquoi on en a si peu discuté jusqu'ici.
Comme je l'ai entendu hier, et je soupçonne que c'est un peu la même chose au Canada—, on peut trouver la réponse dans les réactions aux audiences du Comité des affaires judiciaires des États-Unis, dont Judith vous parlera plus en détail. On réagit surtout aux audiences se rapportant aux nominations des juges Bork et Thomas qui ont été perçues au Royaume-Uni comme entachées d'indiscrétion par rapport aux juges et comme nuisant à l'indépendance de la magistrature. Tout le système a frémi d'horreur à l'idée qu'on puisse avoir quelque chose de semblable. Tout ce qu'on sait des audiences d'approbation de nominations, c'est ce qu'on peut lire au sujet de celles de MM. Bork et Thomas.
Voilà pourquoi jusqu'à récemment, c'était une hérésie de laisser entendre que le Parlement pourrait participer au choix des juges. Mais depuis l'annonce de ces réformes, l'été dernier, les choses ont changé. Dans le débat, on entend de plus en plus la voix de ceux qui souhaitent une participation du Parlement.
Il y a quelques semaines, j'ai témoigné devant le comité de la Chambre des communes qui est saisi de ce projet de loi. J'étais avec deux autres universitaires éminents. Tous les trois, nous nous sommes prononcés en faveur de la participation des parlementaires.
La raison invoquée est à mon avis essentiellement celle de la légitimité, et de la nécessité pour la nouvelle Cour suprême, même si ses pouvoirs ne sont pas plus importants que maintenant, d'être perçue comme ayant un lien avec le système politique, étant donné que beaucoup de décisions sont de nature politique.
En outre, il est important de rappeler que c'est le Parlement qui peut décider de démettre un juge de ses fonctions. Seul le Parlement peut le faire, pour les juges de rang le plus élevé. Par conséquent, constitutionnellement, on peut affirmer qu'il convient que le Parlement participe aussi au choix des juges.
Troisièmement, je prétends que, si on peut craindre qu'une audience parlementaire ou une participation du Parlement puisse miner l'indépendance de la magistrature, on peut aussi dire que son indépendance serait en fait renforcée.
Je tire mes arguments de mon expérience des derniers mois comme conseillère spéciale du Comité des affaires constitutionnelles de la Chambre des communes, qui étudie le projet de loi. Nous avons convoqué dix juges de rang le plus élevé, les juges les plus importants du Royaume-Uni, qui ont témoigné devant le comité. Ils sont tous venus de leur propre gré, et ont témoigné avec beaucoup d'ouverture.
En parlant au comité avant la comparution des juges, j'ai constaté qu'on comprenait mal la complexité de l'indépendance des juges, ce qu'elle représentait, son importance ainsi que le rôle des juges. La plupart des parlementaires, à tout le moins au Royaume-Uni, ne connaissent pas de juges de rang le plus élevé et ne leur ont vraiment jamais parlé.
¹ (1555)
À la fin des audiences, ces choses étaient certainement mieux comprises. Tous ont estimé, en général, que cette occasion d'écouter des juges de rang le plus élevé parler de leur travail, de leur tribunal et de l'indépendance de la magistrature avait été extrêmement précieuse et avait renforcé dans l'esprit des parlementaires leur compréhension et leur appréciation de l'indépendance des juges.
Les parlementaires sont encore toutefois divisés au sujet de leur participation au processus, même s'ils croient de plus en plus, je pense, qu'ils sont aptes à faire ce travail. Une des choses qui leur donnent confiance, c'est leur participation récente à un exercice semblable. En effet, le comité du Trésor, un très important comité, participe depuis deux ou trois ans à des audiences de confirmation de nomination des membres du Comité de la politique monétaire de la Banque d'Angleterre, le très important comité qui fixe les taux d'intérêt.
Après quelques balbutiements, dans ce travail de confirmation des nominations, le comité du Trésor s'est enhardi et a produit, à mon avis, de très précieux rapports, d'une manière très judicieuse, qui n'ont fait qu'augmenter la légitimité du Comité de la politique monétaire et amélioré la compréhension qu'a le public des membres du comité et de leur travail.
Voilà donc pour le débat en cours actuellement.
Cela nous amène enfin à la question des audiences : s'il y a un enthousiasme croissant pour elles, comment devrait-on procéder? Je soupçonne que cela ne ressemblera aucunement aux audiences de confirmation à l'américaine, ou un droit de veto serait donné au Parlement ou à un de ses comités. Je pense que le débat s'est engagé trop tard, dans ce processus de réforme, pour que ce soit probable, du moins, à cette étape.
S'il y a un changement en ce sens, je crois qu'il consistera fort probablement en la mise sur pied d'un comité mixte de la Chambre des communes et de la Chambre des lords, un comité judiciaire chargé de l'examen de la magistrature en général et qui demandera aux juges de rang le plus élevé, après leur nomination, de comparaître et de répondre à des questions d'ordre général. Ces questions ne porteront certainement pas sur la vie personnelle des juges, ni sur ce qui touche aux dossiers dont pourraient être saisis ces juges à l'avenir. Il s'agira plutôt de questions d'ordre général auxquelles répondaient les juges au Comité des affaires constitutionnelles, par exemple, sur leur perception du rôle de la cour, sur des questions contemporaines importantes à leurs yeux pour leur lien avec la magistrature, et qu'il faut souligner, sur leur compréhension des liens entre le judiciaire et les autres branches du gouvernement et d'autres questions générales de ce genre.
Aucune disposition législative n'aurait à être adoptée, le Parlement pourrait en décider lui-même, comme il le fera, probablement, à mon avis.
En résumé, comme vous le voyez, je ne peux pas vous présenter un système déjà en place, parce que nous sommes en pleine transition, en train de mettre au point un nouveau système. J'espère que vous trouverez réconfortant ou intéressant de savoir que le Royaume-Uni en est au même point que vous dans sa réflexion sur ces questions. D'après ce que j'ai entendu hier, le Royaume-Uni partage les mêmes préoccupations que vous dans le cadre de ce débat.
º (1600)
Le président: Merci beaucoup.
Madame Resnik, c'est à vous.
Mme Judith Resnik (professeure de droit Arthur Liman , Université Yale, À titre individuel): Merci.
Je ne peux pas parler français, donc je vais parler en anglais.
Je crois utile de préciser en commençant que lorsque j'emploie le terme « politique », je parle des décisions qui peuvent avoir des conséquences sociales, économiques et politiques. Voilà pourquoi je crois que la façon de choisir les juges, ce qu'ils font et la question de savoir s'il faut changer la façon dont on choisit les juges constituent des décisions qui peuvent être qualifiées de politiques, puisqu'elles ont des conséquences sociales et politiques. À mon avis, il ne s'agit pas de savoir s'il y aura une participation politique, mais plutôt quelle forme prendra cette participation politique. Le jugement politique est un aspect intrinsèque de la création d'institutions gouvernementales comme les tribunaux.
J'ai pour tâche de contribuer à rendre le système américain transparent, un autre terme employé dans ce contexte. J'ai préparé un bref texte, qui a été distribué, je crois.
À la première page, vous trouverez un extrait de la Constitution américaine. Dans la Constitution de 1789, à l'article 2 de la section II, on dit que le président « présentera au Sénat et, sur l'avis conforme de ce dernier, nommera [...] les juges de la Cour suprême [...] » et d'autres fonctionnaires. Vous voyez donc qu'aux États-Unis, c'est la Constitution qui stipule que les branches politiques, les membres du Sénat et le président, constituent ce qui est décrit à l'article 3, soit la branche judiciaire. J'ai reproduit pour vous des extraits de l'article 3, pour vous montrer que la magistrature est aussi décrite dans la Constitution, avec ses juges nommés à titre inamovible. Souvent, aux États-Unis, quand on parle des juges des États-Unis qui sont nommés à titre inamovible, on dit les juges de l'article 3.
Ce système aurait pu donner lieu à des comités de sélection choisis par les deux partis, moyennant consensus. Mais ce n'est pas ce qui s'est produit. D'après les historiens, en 1795, le Sénat a rejeté la nomination d'un certain Rutledge au poste de juge en chef par un vote de 14 contre 10. Les sénateurs n'approuvaient pas ses opinions sur le traité Jay.
En 1803, une décision a été rendue dans l'affaire Marbury c. Madison, une cause célèbre dans notre histoire constitutionnelle puisqu'elle a servi à établir le principe de l'examen judiciaire. Dans cette affaire, il s'agissait de savoir si le juge nommé par les fédéralistes verrait sa nomination confirmée par les nouveaux partisans de Jefferson, qui n'en avaient pas l'intention. Il s'agissait donc d'une lutte dont les juges étaient l'objet.
En 1840, un président dont peu de personnes ont entendu parler, Tyler, a perdu beaucoup des siens : les nominations qu'il avait proposées à la Cour suprême ont été rejetées à maintes reprises.
Des travaux récents effectués par des politologues ont révélé qu'entre 1877 et 1994, il y a eu 80 nominations à la Cour suprême des États-Unis. Dix ont été rejetées. Les politologues ont estimé que 23 nominations étaient controversées parce qu'elles ont suscité des discussions et des contestations.
En 1920, un candidat à la présidence, La Folette, a fait campagne contre Coolidge sur le rôle et le pouvoir des juges fédéraux.
Les controverses entourant les juges et leur rôle aux États-Unis ont tourné autour du pouvoir des États par rapport à celui du gouvernement national, du pouvoir des chemins de fer quand ils étaient très prééminents, des syndicats, des divers sens à donner à la Constitution, des classes sociales et, plus récemment, d'autres choses encore. Dans le système américain actuel des États, quand il y a des élections, dans certains États, la bataille se fait autour du droit de la responsabilité délictuelle et des contrats, des dommages-intérêts exemplaires, des poursuites collectives et des règles sur la responsabilité.
Là où je veux en venir, c'est qu'une charte ou une convention des droits n'est pas essentielle pour voir les conséquences politiques et sociales de ce que les juges font, non plus que pour discuter d'eux. De même, même sans audience publique, on peut avoir de vives contestations politiques du choix des juges. J'ai un excellent article du Wisconsin Law Review de 1941, qui pourrait intéresser vos attachés de recherche. Son auteur, John Frank a étudié chaque nomination de juge de 1853 à 1938 pour voir comment on les avait choisis, qui l'avait fait, qui s'y était opposé et ce qui s'était produit. Nous en avons discuté. Vous pouvez donc constater que pour moi, qui suis des États-Unis, la question n'est pas de savoir s'il y aura une intervention politique, mais quelle forme elle prendra, de qui elle viendra, quelle sera son intensité, et de quel genre elle sera.
º (1605)
Au séminaire auquel nous avons participé hier, et où j'ai beaucoup appris, on a beaucoup parlé de démocratie et j'ai vite constaté que la façon dont vous choisissez les juges semble poser un problème sur le plan de la démocratie. J'ai tenté d'établir le lien entre la théorie et les pratiques démocratiques et la fonction de juge, parce que la magistrature précède la démocratie. La question est donc de savoir ce qu'on fait une fois que la démocratie est en place.
À mon sens, la démocratie donne accès à la justice. Dans toute démocratie, il faut des tribunaux, et beaucoup de tribunaux, car les gens ont des droits et veulent les faire valoir. La démocratie donne aussi accès à la profession juridique et permet à tous d'y accéder à différents titres. La démocratie permet aussi que tous soient égaux devant la loi. Dans toute démocratie, les juges doivent être impartiaux mais dans les démocraties constitutionnelles, les juges occupent une position singulière parmi tous les fonctionnaires.
Il y a eu une période dans notre histoire commune—qui s'est terminée en 1701—pendant laquelle les juges siégeaient à titre amovible. Cela a changé avec l'Acte d'établissement qui a établi une séparation entre les juges et les autorités au pouvoir et a prévu pour les juges un mandat plus long. Dès lors, les juges ne sont pas les délégués d'une administration ou d'un parti politique en particulier, mais des agents du gouvernement ayant le droit unique d'imposer leur jugement au gouvernement qui leur confère ce pouvoir.
Par définition, les juges doivent donc être impopulaires, dans bien des sens du mot. Au niveau local, toutes les parties au conflit se connaissent et il y a des gagnants et des perdants. Même si le jugement est un bon compromis, il peut faire des mécontents.
De façon plus générale, il arrive que les juges rendent des décisions impopulaires, en ce sens qu'elles ne feraient pas l'unanimité au sein de la population si on lui demandait de se prononcer par un vote—bien que cela puisse changer avec le temps.
Les juges peuvent aussi être impopulaires quand ils doivent accepter les conséquences d'une décision qu'ils rendent quand les élus refusent de le faire. Les juges sont aussi impopulaires, du moins aux États-Unis, quand leurs décisions deviennent un outil de mobilisation et de protestation pour les gens politiques, les gens d'affaires, les groupes religieux, ethniques et autres.
Les juges n'ont de légitimité que dans la mesure où ils sont prêts à subir la pression et à rendre les décisions en fonction de conventions internes selon lesquelles toute décision doit se fonder sur des faits et des documents et être particulière à la cause, transparente et motivée. Bien sûr, les démocraties ont besoin de juges légitimes.
Dans les démocraties constitutionnelles, on tente, avec les constitutions, de retirer certains enjeux de la sphère politique en stipulant qu'ils sont fondamentaux et qu'ils ne peuvent être reconsidérés. C'est ce qu'est une constitution. Quand on demande aux juges d'interpréter le droit constitutionnel, ils donnent un sens à des politiques dont ils doivent toutefois être isolés.
La question est de savoir quel lien il existe entre la démocratie et la façon de choisir les juges. La démocratie nous dit-elle comment choisir les juges?
On pourrait croire que, dans une démocratie, tous les fonctionnaires doivent être élus, mais je ne connais aucune démocratie qui exige cela. Toutes les démocraties nomment au moins certains fonctionnaires. Mais la démocratie nous dit aussi que les juges ne peuvent hériter de leur poste. C'est évident.
Il faut ensuite se demander si la démocratie exige que des juges soient choisis d'une certaine façon. Si vous examinez les démocraties qui existent dans le monde, vous constatez que non. Il existe bien des démocraties qui ont toutes sortes de systèmes différents.
Dans la démocratie que je connais le mieux, celle des États-Unis, il y a différentes façons de choisir les juges. Encore une fois, pour plus de rapidité et de facilité, je vous renvoie au tableau 1 sur les juges inamovibles selon l'articIe 3 aux États-Unis. En 1901, ils étaient une centaine. En 2001, il y en avait plus de 850.
º (1610)
Vous avez sous les yeux le résultat de la collaboration entre l'exécutif, le Congrès et la magistrature qui ont créé ensemble un système judiciaire fédéral beaucoup plus imposant, prévoyant l'inamovibilité viagère, après avoir constaté qu'il était bon d'avoir des tribunaux et qu'il en fallait davantage pour répondre aux demandes de la démocratie. Il y a maintenant beaucoup plus de juges qui sont inamovibles. C'est une entreprise conjointe. Au cours des 30 dernières années environ, environ 400 nouveaux motifs d'action sont apparus en droit fédéral, d'où la nécessité d'engager plus de juges.
Le tableau 1 montre les juges de l'article 3. Ces juges sont nommés par le président qui demande ensuite au Sénat de confirmer la nomination. Ce ne sont pas toutefois les seuls juges fédéraux, et c'est pourquoi j'ai inclus le tableau 2.
Dans les années 60, on a constaté que ce premier groupe de juges ne suffisait plus à la tâche et le Congrès a créé des postes de juges prévus par la loi. Les juges de cour de magistrat ont un mandat renouvelable de huit ans, et les juges de la cour de faillite, un mandat renouvelable de 14 ans. Les juges de cour de magistrat de première instance sont choisis par les juges inamovibles du district où ils siègent. Les juges de la cour de faillite, aussi de première instance, sont choisis par les juges inamovibles de la cour d'appel du circuit où ils siègent.
Comme vous pouvez le constater, nous avons plus de juges autorisés qui siègent pour une durée déterminée que de juges inamovibles aux cours de première instance. Leurs pouvoirs ne sont pas identiques—les juges inamovibles en ont plus—mais la tendance est d'accroître les pouvoirs des juges siégeant pour une durée déterminée dans le système fédéral des États-Unis.
Le tableau suivant est un instantané qui vous montre qu'il y a encore d'autres juges fédéraux. Dans certains organismes administratifs et certains tribunaux spécialisés comme le tribunal de l'impôt, et à d'autres cours, il y a des juges nommés pour 15 ans, par exemple. Les juges siégeant pour une durée déterminée sont donc plus nombreux que les juges inamovibles, ce qui vous indique que le poste de juge inamovible est très prestigieux. Ces juges sont au haut de la hiérarchie de quelques milliers de magistrats, et cela fait monter le prix d'un poste de juge inamovible au plus haut de cette pyramide, à la Cour suprême.
Il est utile d'examiner la durée des mandats de nos juges inamovibles. C'est ce que vous voyez au tableau 4. Pendant les quelque 20 premières années de l'histoire américaine, les juges inamovibles de la Cour suprême siégeaient en moyenne 13 ans et environ 11 ans aux tribunaux de première instance. Pendant les 20 ou 25 dernières années, la durée du mandat des juges de la Cour suprême a été en moyenne de 25 ans et celle des juges des tribunaux inférieurs, de 19 ans.
On nomme de plus en plus de juges. Certains sont nommés plutôt jeunes. Il y a des promotions et peut-être qu'être juge fédéral, c'est bon pour la santé. Il y a bien des facteurs qui expliquent la durée du mandat. Mais il ne reste pas moins que le mandat des juges inamovibles est assez long.
Par conséquent, le politicien qui le souhaite peut imposer son point de vue après la fin de son mandat—le président, par exemple, n'a droit qu'à deux mandats consécutifs—par l'entremise d'un juge inamovible.
º (1615)
Certains de mes collègues décrivent cela comme un enchâssement partisan, car celui qui choisit des juges ayant un certain point de vue peut faire valoir ce point de vue plus longtemps.
La Cour suprême des États-Unis détient des pouvoirs bien particuliers qui ont évolué avec l'histoire américaine. Jusqu'au début du XXe siècle, le rôle de la Cour suprême des États-Unis était obligatoire, autrement dit, la Cour entendait toutes les causes qui lui étaient soumises. Au début du XXe siècle, vers 1922, le Congrès a conféré à la Cour suprême des États-Unis un pouvoir discrétionnaire accru lui permettant de choisir les causes qu'elle entendrait.
Dans les années 20, la Cour suprême des États-Unis a rendu environ 330 décisions par année. Dans les années 80, elle en a rendu environ 150 par année. Plus récemment encore, elle a rendu environ 80 décisions par année. La Cour a donc le pouvoir d'établir son propre programme et de choisir ses causes. Il y a quelques exceptions à cette règle, mais elles sont peu nombreuses.
Puisque la Cour suprême des États-Unis entend si peu de causes, les cours d'appel sont extrêmement importantes dans notre système fédéral. Elles constituent dans les faits l'instance ultime dans bien des cas. Le choix de nos juges d'appel influe donc de façon considérable sur l'orientation, la signification et la nature des lois américaines.
Par conséquent, être juge de l'article 3 ou juge inamovible aux États-Unis, ce n'est pas une mince affaire. C'est une longue carrière à laquelle peu accèdent. C'est le seul poste qu'on peut détenir à vie aux États-Unis, car nous n'avons pas de reine. Par conséquent, le prix est élevé et certains de nos présidents, pas tous, ont saisi cette occasion qui s'offrait à eux. Plus précisément, dans les années 80, quand Ronald Reagan est devenu président des États-Unis, lui et ses conseillers se sont dits insatisfaits de l'orientation du droit américain à plusieurs chapitres : les règles concernant l'immunité absolue des États et le pouvoir fédéral des États, les questions relatives à la discrimination positive et la portée du droit à l'égalité, et bien d'autres.
Ses conseillers ont rédigé un document intitulé « Constitution of the Year 2000 » où ils décrivent leur programme et comment ils souhaitent voir évoluer l'interprétation de la Constitution américaine. J'en cite un extrait :
Peu de facteurs sont aussi cruciaux dans l'établissement du parcours d'une nation et pourtant plus négligés que les valeurs et les philosophies des hommes et des femmes qui constituent la troisième branche du gouvernement national, à égalité avec les autres—la magistrature fédérale. |
À cette fin, ils ont dressé une liste de questions à poser aux aspirants juges. Dans un livre de David Alistair Yalof paru récemment et intitulé Pursuit of Justices, on trouve une liste des questions que posait l'administration Reagan : sensibilisation à l'importance de la justiciabilité stricte et des exigences procédurales, refus de conférer de nouveaux droits constitutionnels aux personnes, respect des champs de compétence des États, respect des compétences des organismes gouvernementaux, engagement à l'égard des principes de la non-discrimination—ce que je traduirais par engagement contre la discrimination positive—et volonté d'appliquer le droit criminel pour déterminer l'innocence ou la culpabilité. Il y en a d'autres, mais cela vous donne une idée du genre de personnes qu'on cherchait pour les postes de juge—et le livre mentionne les noms de personnes dont on croyait qu'elles correspondraient à ce qu'on recherchait.
Le programme établi dans ces documents a été en grande partie réalisé, en partie par les décisions qu'a prises le Département de la Justice en matière de poursuites, mais aussi en partie par le choix de juges qui interprétaient les lois américaines en fonction de ce programme.
Il m'arrive parfois de témoigner devant des comités semblables au vôtre aux États-Unis. Or, j'estime que, quand on a un président qui veut se servir de la magistrature pour transmettre des messages à la population, ceux qui siègent à ces comités doivent comprendre que c'est lors du choix des juges qu'on peut débattre des normes et de la signification de la Constitution. J'estime donc que le Sénat devrait pécher par excès de zèle compte tenu des intentions du président.
º (1620)
Ainsi, j'ai proposé qu'aux États-Unis, on exige plus qu'une simple majorité pour la confirmation des juges. Je crois aussi que nous pourrions réinterpréter notre garantie constitutionnelle concernant l'inamovibilité et prévoir un mandat d'une durée limitée ou la retraite obligatoire car, à mon avis, la très longue période pendant laquelle les juges détiennent leur pouvoir entraîne un déficit démocratique. Le mandat doit être assez long pour protéger les juges sans pour autant leur permettre d'imposer leurs vues.
Je vous renvoie maintenant au dernier tableau, le tableau 5, qui montre que plus de 500 personnes ont comparu devant le Sénat américain de 1993 à 2003. Ce ne sont pas des nominations à la Cour suprême, mais seulement des nominations aux tribunaux inférieurs. Comme vous pouvez le constater, 90 p. 100 de ces nominations ont été confirmées par au moins 90 sénateurs. Il y a au total 100 sénateurs, ce qui signifie que la majorité d'entre eux ont confirmé la majorité des nominations.
Mais vous savez que la nomination des juges suscite des conflits sectaires. Cela vous montre aussi que le conflit se produit avant la nomination. C'est le choix qui fait l'objet d'un conflit et la lutte fait rage bien avant que le Sénat ne soit appelé à confirmer ou non la nomination. Quand le choix est présenté au Sénat, c'est plus ou moins dans la poche.
Pour terminer, voici mes conclusions.
L'expérience des États-Unis montre à d'autres pays que, si on veut que le processus de nomination des juges devienne un lieu de débat politique sur les normes, c'est possible. D'autres pays l'ont fait; c'est ce que nous faisons aux États-Unis. C'est une tribune qui peut servir aux politiciens. Cela met parfois les politiciens mal à l'aise, car leur vote peut jouer en leur faveur ou en leur défaveur aux yeux des différents groupes d'intéressés. Par exemple, un sénateur qui cherche à se faire réélire fait l'objet d'attaques en raison d'un choix qu'il a fait lors d'un vote sur une nomination à la Cour suprême. Avec les progrès technologiques, et compte tenu de l'intérêt des groupes de pression, il ne fait aucun doute que le processus de nomination des juges peut donner lieu à des débats politiques.
La question est donc de savoir, si vous voulez changer votre système, quels sont les problèmes que vous voulez régler—qui voit sa légitimité et sa responsabilité remises en cause, ou y a-t-il un déficit démocratique à combler et dans quelle mesure les changements qui seront apportés influeront-ils sur la responsabilité politique des autres. Qu'est-ce qui vous amène à vouloir apporter des changements? N'y a-t-il pas suffisamment de diversité? N'y a-t-il pas suffisamment de juges? La légitimité des juges laisse-t-elle à désirer? Ou est-ce la légitimité du premier ministre ou du Parlement qui laisse à désirer?
Avant de terminer, j'aimerais faire une remarque sur les audiences de la Cour suprême des États-Unis. La Cour suprême du Canada ne saurait jouir d'un plus grand respect. Elle est très présente dans les discussions constitutionnelles et ses jugements font école dans le monde entier. De plus, contrairement à la Cour suprême des États-Unis, les audiences de votre Cour suprême sont télévisées de sorte que vous pouvez voir la cour en action. Cela ne se fait pas aux États-Unis. La Cour a le dernier mot en matière législative, ce qui n'existe pas dans le système américain. En outre, contrairement aux juges de la Cour suprême des États-Unis, vos juges doivent prendre leur retraite à 75 ans. Votre système comporte déjà bien des éléments démocratiques qui sont absents de notre système.
D'après mon expérience aux États-Unis, quand on réclame des changements à la méthode de sélection des juges, c'est souvent qu'on veut obtenir autre chose. On a des intentions cachées. Les querelles au sujet des juges cachent souvent des querelles sur d'autres sujets. Ces discussions sont un substitut pour d'autres.
Merci.
º (1625)
Le président: Merci beaucoup à vous deux. C'était très édifiant, dans les deux cas.
Je me doute bien que nous avons des questions pour vous et je vais d'abord donner la parole à l'opposition. Je sais que Mme Malleson doit partir à 17 h 15 et j'interromprai la discussion vers 17 heures pour m'assurer que les questions qui doivent lui être adressées puissent l'être avant son départ.
Je commence avec vous, monsieur Cadman, et vous avez sept minutes.
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, PCC): Merci, monsieur le président. Je serai bref parce que je sais que mes collègues ont beaucoup de questions à poser.
Madame Malleson, le Royaume-Uni est en train de changer les choses. Qu'est-ce qui a suscité ces changements? Était-ce la perception du public quant à la façon dont les choses se faisaient? Était-ce un des éléments? J'aimerais savoir pour quelle raison on procède à ces changements et quel est le rôle perçu du public dans ce qui est proposé.
Mme Kate Malleson: C'est le public qui a réclamé certains de ces changements, même si je dois reconnaître que le grand public, au Royaume-Uni, ne connaît absolument rien de la Chambre des lords. D'ailleurs, cela n'est pas seulement vrai du grand public. Je disais hier que, dans les dîners, pour m'amuser, je demande souvent à des gens intelligents et instruits comment s'appelle notre plus haute cour, et ils ont souvent du mal à me répondre qu'il s'agit de la Chambre des lords. Puis, si je demande qu'on me nomme un juge, qu'on m'explique le fonctionnement du système et ce qu'est la Chambre des lords, personne ne peut me répondre.
Cela répond en partie à votre question. Au gouvernement, on était insatisfait de la situation et on estimait que la population devrait mieux connaître le système. Ces changements se fondent sur l'idée selon laquelle il valait mieux veiller à la séparation des pouvoirs et mettre fin au chevauchement, à l'enchevêtrement et à la désorganisation du système traditionnel dans lequel l'organe exécutif, l'organe législatif et l'organe judiciaire étaient entremêlés—surtout au niveau du Lord chancelier et avec la présence des Lords juristes à la Chambre des lords.
Je ne crois pas qu'on ait prétendu que l'indépendance de la magistrature était en jeu ou que les Lords juristes qui siégeaient à la Chambre des lords avaient subi des influences indues. Personne n'a prétendu cela. Plutôt, il est soudainement devenu presque impossible de justifier ce système à ceux qui le comprennent, et c'est un système très difficile à comprendre.
Cela me ramène à ce que j'ai dit plus tôt sur le rôle croissant de la magistrature. Nous n'avons pas de régime fédéral, mais l'Écosse, le pays de Galles et l'Irlande du Nord disposent d'un pouvoir régional très clair. C'est le Conseil privé qui a déterminé les limites de ce pouvoir, ce qui peut sembler difficile à comprendre et qui s'explique pour des raisons que je ne vous donnerai pas parce qu'elles sont compliquées. On a constaté qu'avec un régime fondé sur les droits de la personne prévoyant la dévolution de certains pouvoirs, on ne pouvait plus mêler le Conseil privé et la Chambre des lords et les branches du gouvernement. Il faut une séparation plus claire des pouvoirs et une Cour suprême qui est non seulement indépendante mais qui est perçue comme telle.
M. Chuck Cadman: Certains témoins ont suggéré la participation de profanes au processus de sélection. Est-ce envisagé au Royaume-Uni?
Mme Kate Malleson: Ce n'est pas encore clair. La composition des trois comités régionaux a été établie. Celui qui choisira les juges de la Cour suprême comptera trois membres, un provenant de chacun de ces comités. Nous ne savons pas encore si ces trois membres seront choisis parmi les profanes ou parmi les juristes membres de ces comités. J'espère sincèrement que les trois représentants des comités régionaux seront des profanes. À mon avis, la présence du président et du vice-président suffisent à assurer la présence des juristes et les trois autres membres devraient être des profanes, mais cela n'a pas encore été clairement établi.
º (1630)
M. Chuck Cadman: Madame Resnik, des craintes ont été exprimées au sujet du processus américain. Je crois que c'est surtout en raison des questions qui sont posées aux candidats lors des audiences publiques. Toutes sortes de questions peuvent-elles être posées, ou y a-t-il des restrictions?
Mme Judith Resnik: Aucune limite officielle n'est imposée, et le sénateur Schumer, un démocrate qui siège au Comité des affaires judiciaires de la Chambre, a présidé un sous-comité qui a tenu des audiences en 2001 sur le rôle que l'idéologie devrait jouer dans l'interrogation des candidats à la magistrature. J'ai témoigné devant ce comité et je pourrai transmettre à la greffière une transcription de ce témoignage.
Certains des témoins ont affirmé qu'on ne devrait poser aucune question sur le droit, ce à quoi un sénateur a répondu qu'il ne sert à rien d'avoir une audience de confirmation si on ne peut poser ce genre de questions.
Aux États-Unis, il est généralement accepté de poser au nouveau juge des questions en vue de déterminer comment il façonnera le droit. Lors de l'audience de confirmation du juge Bork, par exemple, celui-ci a dû répondre à de nombreuses questions sur sa vision du 14e amendement qui prévoit le droit à l'égalité. Il estimait que cet amendement ne s'appliquait pas aux femmes, car il avait été rédigé après la guerre civile avec les Afro-Américains et que cet amendement portait donc sur la race et non pas sur le sexe. Cet enjeu est devenu très litigieux et a suscité une bonne part de l'opposition à sa confirmation.
Ce genre de questions a donc été posé récemment. Cela ne signifie pas toutefois que les personnes interrogées répondent qu'elles se prononceront pour une chose ou contre une autre. Et cela ne veut pas non plus nécessairement dire que ces réponses nous permettent de prédire les gagnants et les perdants, car quand on relit les transcriptions, on constate que certains répondent franchement aux questions et que d'autres sont beaucoup plus évasifs. Dans l'ensemble, il est entendu qu'on pose ces questions pour déterminer la vision du droit de ces candidats. On tient pour acquis que si leur candidature a été retenue, c'est qu'ils ont les capacités intellectuelles et professionnelles qu'il leur faut pour s'acquitter de leurs fonctions.
J'ajouterai que, de 1952 à 2001, l'Association du Barreau des États-Unis participait officiellement au processus. On faisait appel au barreau pour la présélection et l'approbation avant la nomination du juge. Le président Bush a exclu le barreau du processus et des membres démocrates du Comité des affaires judiciaires du Sénat ont invité l'Association du Barreau des États-Unis à commenter le processus et les nominations. On fait donc appel au barreau pour une évaluation après le fait.
Selon les balises de l'Association du Barreau des États-Unis, les questions portent sur l'intégrité professionnelle, les compétences, les qualités et le tempérament, mais pas sur l'idéologie ou la philosophie. Des représentants du barreau vont interroger le candidat retenu et d'autres personnes qui le connaissent; ils rédigent ensuite un rapport où le candidat est jugé qualifié ou non qualifié.
De plus, l'Association du Barreau, le Sénat et le Département de la justice demandent à chaque candidat de remplir un très long formulaire. Je l'ai apporté avec moi et je serai heureuse de le remettre à votre greffière; il contient des questions sur les emplois précédents, les études, le revenu, l'expérience comme juriste, les antécédents etc. En lisant ce formulaire, vous aurez une meilleure idée des données qu'on veut recueillir et des questions qu'on pose.
[Français]
Le président: Merci.
Monsieur Marceau, vous disposez de sept minutes.
M. Richard Marceau (Charlesbourg—Jacques-Cartier, BQ): Merci beaucoup, monsieur le président. Bienvenue, professeure. Merci d'être ici.
Je commencerai par vous, madame Malleson. Vous avez parlé de la possibilité de donner un rôle aux parlementaires et du fait qu'on commençait à en discuter au Royaume-Uni.
À l'heure actuelle lorsque, dans le cours des discussions, il est question du rôle des parlementaires, envisage-t-on ce dernier à l'intérieur de ce que vous avez appelé une judicial appointments commission, ou s'agit-il d'un autre comité complètement indépendant?
Quel rôle entend-on donner à ces parlementaires? Quelles options sont considérées ou, du moins, desquelles discute-t-on?
º (1635)
[Traduction]
Mme Kate Malleson: C'est une question très importante. Pour l'instant, il n'est pas envisagé d'inclure des parlementaires à ce comité. En fait, selon le projet de loi sous sa forme actuelle, le seul groupe expressément exclu de ce comité est celui des parlementaires. Il s'agit ici du comité de l'Angleterre et du pays de Galles dont proviendront les membres du comité qui choisira les juges de la Cour suprême. La participation des parlementaires n'a pas été envisagée.
J'estime regrettable que nous n'en ayons pas débattu. Je juge pour ma part que c'est une possibilité qui aurait été tout à fait envisageable. Je suis allée en Afrique du Sud et j'ai étudié la Commission des services de la magistrature de ce pays; cette commission compte des parlementaires comme membres, et elle fonctionne très bien. À mon sens, l'inclusion des parlementaires aurait été une approche beaucoup plus positive, mais on ne semble pas y avoir même songé.
Plutôt, il a été proposé qu'un comité—on ne sait trop encore duquel comité il s'agira, ce sera peut-être le Comité des affaires constitutionnelles ou plus probablement un nouveau comité mixte de la Chambre des lords et de la Chambre des communes sur les affaires judiciaires—soit chargé de tenir une audience quelconque après la nomination d'un juge. Comme je l'ai dit, la forme que tout cela prendra n'a pas encore été bien établie.
[Français]
M. Richard Marceau: Merci.
Professeure Resnik, les États-Unis sont, bien entendu, une fédération. Or, votre Constitution est très difficile à modifier.
On sait que la Cour suprême américaine doit trancher des questions de juridiction entre les États et le palier fédéral. Dans le discours politique américain, est-ce qu'on aborde quelquefois la faiblesse du rôle joué dans le processus par les États fédérés?
[Traduction]
Mme Judith Resnik: Je suis heureuse que vous mentionniez les États, car je voulais justement en parler. S'agissant du système fédéral des États-Unis, n'oublions pas que cela signifie un tiers d'un million de causes en première instance. Je vous ai donné quelques chiffres, et j'ai indiqué qu'il y a un million et demi de requêtes en faillite. C'est au sein du système des États que sont intentées la plupart des poursuites—de 14 millions à 15 millions, selon ce qu'on considère comme une cause.
Les cours des États sont donc extrêmement importantes, et elles constituent leur propre magistrature. Dans certains États, il y a des commission composées de juristes et de non-juristes; il y a donc bien des modèles. Si vous cherchez d'autres formes de commissions de nomination, il y en a beaucoup dans les États américains.
Pour le système fédéral, on envisage de faire en sorte que le Congrès des États-Unis... Il y a deux sénateurs par État. D'une certaine façon, c'est le Sénat qui confirme la nomination des juges et, puisque les États sont représentés au Sénat, ils participent en quelque sorte au processus. Cependant, contrairement au système judiciaire canadien, la Cour suprême des États-Unis a statué que le tribunal supérieur d'un État constitue la dernière instance quand une loi de l'État est en cause, à moins qu'il n'y ait violation du droit constitutionnel. Les tribunaux supérieurs des États sont donc à l'écart du système fédéral. Et vous avez raison de dire que les questions relatives à ce qui appartient aux États et à ce qui appartient au fédéral suscitent beaucoup de discussion.
Nos politiciens fédéraux n'ont pas proposé de modifier les pouvoirs dont jouissent actuellement les juges inamovibles de l'article 3. Toutefois, ils déposent régulièrement des projets de loi visant à retirer certains de leurs droits aux juges de l'article 3, aux juges de la Cour suprême ou aux juges des tribunaux inférieurs. Il reste à savoir si tous ces projets de loi sont constitutionnels, mais les politiciens s'en servent souvent pour protester contre les décisions que rendent les juges.
Ainsi, la Chambre est actuellement saisie d'un projet de loi visant à retirer aux tribunaux le droit de se prononcer sur les causes portant sur les Dix Commandements après qu'un juge d'une cour de circuit ait rendu une décision à ce sujet. Une autre résolution conjointe vise à empêcher les juges fédéraux d'invoquer le droit étranger.
Ce genre de projets de loi est déposé régulièrement depuis au moins cinquante ans. Quand un membre de la Chambre des représentants et parfois du Sénat désapprouve une décision, c'est ainsi qu'il proteste.
º (1640)
[Français]
M. Richard Marceau: Vous réagirez certainement à ma question en y opposant votre modestie, mais j'aimerais quand même savoir--et je m'adresse ici à toutes deux--, étant donné que vous connaissez les systèmes de différents pays, ce que vous nous suggérez.
Quels sont les points forts des systèmes qui sont ou seront en place, de même que les systèmes existants que nous devrions adopter ou, au contraire, dont nous devrions absolument nous tenir loin?
[Traduction]
Mme Kate Malleson: Cela dépend en partie de votre point de départ. Si vous partez de zéro, c'est tout à fait différent et vous pourriez commencer par créer une sorte de commission. Hier, au séminaire, comme vous le dira le président, nous avons discuté en détail de modèles possibles pour une commission assez nombreuse qui choisirait les juges de votre Cour suprême—et je présume que c'est sur quoi porte votre question. Je crois que ce serait là un très bon point de départ.
J'aime bien l'idée d'une commission, précisément parce qu'on n'est pas limité à un seul modèle, parce que c'est un système qu'on peut très bien adapter à toutes sortes de situations. Vous pouvez regarder ce qui s'est fait ailleurs dans le monde, voir les différentes commissions qui ont été créées à l'étranger et ensuite songer à votre propre contexte juridique, politique et culturel pour déterminer ce qui vous conviendra le mieux. Par exemple, l'équilibre entre les juristes et les profanes, la présence de politiciens au sein de la commission ou non, la prédominance de juges, qui présidera la commission, l'équilibre qu'on doit atteindre dans tout système fédéral, toute ces questions peuvent être incluses et adaptées. Pour ce qui est du nombre de noms qui seront suggérés à l'organe exécutif, s'il s'agit d'une commission consultative et non pas de nomination, encore une fois, cela dépendra de l'équilibre que vous voulez atteindre entre l'indépendance et la reddition de comptes.
Il incombera aux Canadiens de répondre à ces questions puisque ce sont pour les Canadiens que devra être construit ce modèle. De manière générale, le modèle de la commission m'apparaît très utile, car il répond le mieux à vos besoins particuliers. Mais j'ai l'impression que vous n'en êtes pas encore à cette étape. Vous n'avez probablement pas encore de plan.
Mme Judith Resnik: Il est difficile de répondre à cette question. Je ne crois pas qu'il y ait de solution universelle; tout dépend du contexte. Quand j'ai écouté les discussions et fait des lectures sur le sujet avant de venir ici, j'ai eu du mal à voir quel problème il fallait régler, qu'est-ce qui vous motivait à vouloir modifier le système. Cela nous ramène à la question de M. Cadman, je crois, sur la source. S'il s'agit de donner plus de légitimité aux tribunaux, vous avez un ensemble d'options, mais s'il s'agit d'exiger des comptes de la part des tribunaux, c'est plus problématique. La question du pouvoir du premier ministre soulève toute une série d'autres questions. Je vous renvoie donc la question pour bien comprendre quel est le problème qu'il faut régler. Les universitaires semblent avoir sur ce sujet une opinion différente.
[Français]
M. Richard Marceau: La constitutionnalisation d'une charte des droits, soit l'équivalent de votre bill of rights, est bien entendu un des facteurs qui ont motivé la discussion. On parle ici du pouvoir qu'ont maintenant les juges, principalement à la Cour suprême, et du danger, perçu ou réel, relié au fait qu'à toutes fins pratiques, une seule personne, c'est-à-dire le premier ministre, jouit d'une discrétion presque absolue sur les gens pouvant être nommés à des postes d'une si grande importance et d'une si longue durée.
Ce phénomène, ajouté au fait que certaines personnes nommées récemment, bien que pleinement qualifiées, avaient eu par le passé des liens très forts avec le parti chargé de leur nomination, a fait que dans la population, certains ont cru que le choix avait été fait pour des raisons partisanes. Il s'agissait donc en partie d'aller dans le sens de cet adage que vous connaissez sans doute, en l'occurrence qu'il doit non seulement y avoir justice, mais aussi apparence de justice.
º (1645)
[Traduction]
Mme Judith Resnik: Je vois.
S'il s'agit de limiter le pouvoir absolu du premier ministre, on pourrait envisager un mandat d'une durée fixe pour les juges de la Cour suprême. En Allemagne et en France, les juges ont un mandat fixe non renouvelable de neuf et 12 ans; sur une telle période, on peut éviter que l'interprétation que feront ces juges de la Charte ne soit que temporaire mais aussi qu'elle ne soit enchâssée à jamais, car n'oublions pas que toute décision n'est valable que tant et aussi longtemps que tous sont prêts à l'appuyer.
Vous voulez savoir ce que vous devriez éviter et ce que vous devriez retenir des autres processus de nomination. Si vous voulez que votre Charte soit réinterprétée, vous pouvez le faire par le biais du processus de nomination. Si vous voulez éviter cela, vous devez prévoir un mécanisme qui vous éloigne suffisamment de la personne choisie, mais cela pourrait nécessiter un élément rétroactif.
Vous pourriez envisager une commission constituée d'avocats et de profanes, faisant partie ou non du Parlement—une commission ne faisant pas partie du Parlement serait plus indépendante—qui dresserait une liste de candidats bien avant que des postes deviennent vacants; vous n'auriez donc pas à vous quereller au moment de choisir quelqu'un puisque vous disposeriez déjà d'une liste de candidats jugés tout à fait qualifiés.
Tout cela me laisse un peu perplexe car, du moins aux États-Unis, quand des représentants élus démocratiquement ont un pouvoir de nomination, on présume qu'il y a toute une brochette de candidats qualifiés parmi lesquels on choisira celui dont l'affiliation politique est la bonne, si une affiliation politique est permise. Si vous jugez actuellement inacceptable que les juges soient affiliés à un parti politique, si c'est important dans votre culture, plus l'organe politique sera mis à contribution dans le choix des juges, plus le processus, à mon avis, deviendra partisan et non le contraire.
Mme Kate Malleson: J'ajouterai brièvement que le document de consultation qui annonce les changements que nous mettrons en place, dans son premier paragraphe, résume ce que vous venez de dire. Le gouvernement justifie la création des commissions de nomination par le fait qu'il n'était plus acceptable qu'un seul politicien ait le pouvoir de choisir les juges, surtout à une époque où le pouvoir de la magistrature ne cesse de croître.
En Angleterre, au Royaume-Uni, personne n'a prétendu que les nominations étaient de nature partisane—en fait, c'est le contraire, on s'entend généralement pour dire qu'elles sont non partisanes—mais on a convenu que cette perception pourrait changer à mesure qu'augmente le pouvoir de la magistrature.
Le président: Merci.
Je cède la parole à M. Maloney.
Mme Judith Resnik: Pourrais-je ajouter une dernière chose, très rapidement?
Le président: Oui, allez-y.
Mme Judith Resnik: Un aspect du système américain qu'il ne faut pas négliger, c'est que le président et le Sénat sont autorisés par la Constitution à choisir les juges, mais il arrive que, malgré les pouvoirs considérables dont il dispose, le président ne puisse faire approuver son choix. Si vous voulez limiter le pouvoir de l'exécutif, ce n'est pas vers les États-Unis qu'il faut se tourner pour trouver une solution, comme l'indiquent toutes les critiques qui ont été formulées à son endroit. Si le problème, c'est qu'une seule personne détient trop de pouvoir, ce sera tout un défi que de trouver une solution, mais si on se fie à l'exemple américain, ce n'est pas en conférant beaucoup de pouvoir au Parlement que vous résoudrez ce problème.
[Français]
Le président: Monsieur Dion, vous disposez de sept minutes.
[Traduction]
L'hon. Stéphane Dion (Saint-Laurent—Cartierville, Lib.): Si je vous ai bien comprise, madame Malleson, vous proposez que, à la fin du processus, une fois que le choix aura été fait, le candidat retenu soit invité à témoigner devant un comité. Pourquoi faire?
Je comprends l'aspect pédagogique pour les parlementaires mais, à mon avis, il y a bien d'autres façons d'expliquer aux parlementaires comment les juges sont choisis et ce que fait la Cour suprême, s'ils ne le savent pas, que d'inviter un juge nouvellement nommé à cette Cour à le leur expliquer.
º (1650)
Mme Kate Malleson: Il ne s'agit pas nécessairement d'expliquer le fonctionnement du système judiciaire. Je crois que la plupart des parlementaires le connaissent bien. Toutefois, ils ne sont pas nécessairement sensibles à toutes les subtilités et complexités du débat actuel sur l'indépendance de la magistrature et ils n'ont jamais d'interaction avec des juges du rang le plus élevé. C'est manifestement une question constitutionnelle que de déterminer si cela est indiqué ou non, mais de plus en plus, on estime tout à fait acceptable qu'il y ait une tribune officielle où les parlementaires et les juges du rang le plus élevé puissent interagir.
C'est particulièrement vrai au Royaume-Uni—j'ignore si ce l'est aussi au Canada—en raison de l'élimination du poste de Lord chancelier. Le Lord chancelier, dans le passé, était considéré comme celui qui protégeait l'indépendance de la magistrature, qui constituait le tampon entre l'exécutif et le Parlement, d'une part, et les juges d'autre part. Avec cette disparition, les juges devront être plus proactifs dans la défense de leur propre indépendance judiciaire. On croit que l'établissement d'une relation quelconque avec le Parlement pourrait les aider à cet égard. L'audition du juge par un comité pourrait servir notamment à cela.
De plus, cela permettrait d'informer le public. Comme je l'ai dit plus tôt, c'est probablement différent au Canada. J'imagine que la plupart des gens raisonnablement bien informés pourraient nommer au moins un ou deux juges de la Cour suprême et ont une assez bonne idée de ce qu'est et de ce que fait la Cour suprême. Ce n'est pas le cas en Angleterre. Ces audiences pourraient donc informer le public, ne serait-ce que de façon très générale, sur les juges de la plus haute cour du pays.
L'hon. Stéphane Dion: Ces audiences seraient publiques?
Mme Kate Malleson: Oui.
L'hon. Stéphane Dion: Le juge qui vient d'être choisi témoignera en public devant un comité, pour expliquer le rôle du système judiciaire, mais il n'y aurait pas d'audiences publiques sur le choix de ce nouveau juge.
Mme Kate Malleson: Oui.
J'ajouterai qu'il n'y a encore aucune proposition officielle en ce sens. Cela fait actuellement l'objet d'un débat et il reste à voir si cela se concrétisera. Mais si cela se fait, il est tout à fait clair que l'on n'accepterait pas un système à l'américaine où on pose aux juges des questions de fond sur le droit. Les juges refuseraient tout simplement de participer à de telles audiences.
L'hon. Stéphane Dion: Bien, mais s'il ne s'agit pas du choix d'un juge, pourquoi reviendrait-il au nouveau juge de le faire, d'échanger avec les parlementaires? Pourquoi le juge en chef ne jouerait-il pas ce rôle, lui qui a une plus grande expérience de la cour?
Mme Kate Malleson: C'est une bonne question et au bout du compte, au Royaume-Uni, peut-être qu'on n'optera pas pour ce régime, et qu'on adoptera plutôt un régime officiel où le juge en chef, comme vous dites, ou un autre juge de haut rang comparaîtra, une fois par année, devant un comité, qui pourrait être un nouveau comité, pour parler de divers aspects de l'administration de la justice. Peut-être est-ce ainsi qu'on fera, finalement.
Je crois qu'on a simplement l'impression qu'il conviendrait que les nouveaux juges soient présentés au Parlement, afin que les parlementaires aient une idée de qui sont les nouveaux juges, au moment de leur nomination. Mais ce n'est peut-être pas l'idée qui sera retenue.
L'hon. Stéphane Dion: C'est donc un autre sujet. Vous ne nous parliez pas de la sélection des juges, mais d'un échange entre les juges et les parlementaires.
Mme Kate Malleson: C'est certainement un aspect important.
L'hon. Stéphane Dion: Bien.
Madame Resnik, j'ai oublié ma question, et pourtant, elle était importante. Je la poserai plus tard.
Le président: Vous aurez certainement un autre tour.
J'aimerais préciser certains faits et confirmer ce que vous avez dit plus tôt, madame Malleson. Avez-vous dit qu'à l'occasion, au cours d'audiences récentes, des juges ont été invités à des audiences de comités parlementaires pour traiter de certains éléments de procédure, de politiques en matière de sélection des juges, etc.? Ici, il est très rare, en supposant que cela se soit produit, que des juges viennent ou soient invités au Parlement. Des anciens juges, on en a vus, mais des juges en poste, très rarement, parce qu'on tient à garder séparés le Parlement, la branche législative, et la branche judiciaire. Pouvez-vous confirmer que cela s'est produit à l'occasion, au Royaume-Uni?
Mme Kate Malleson: Oui.
J'ai trouvé très intéressant, hier, d'apprendre qu'ici, les juges sont très réticents à se présenter devant un comité parlementaire pour cette raison; ce n'est certainement pas leur position au Royaume-Uni et des juges ont comparu devant des comités.
J'avoue toutefois que ce n'était pas chose courante il y a, disons, cinq ans. C'est relativement récent et c'est surtout depuis que les juges de haut rang ont pris de l'importance, et sont devenus beaucoup plus visibles. C'est quelque chose de croissant, je dirais. Avant Noël et pendant la session d'automne, le Comité des affaires constitutionnelles a invité, je crois, une dizaine de juges. Nous avons préparé une liste et tous les juges invités, tous des juges de haut rang de l'ensemble du Royaume-Uni, sont venus, tout à fait volontiers, pour témoigner. Alors ma réponse, c'est oui, et nous prévoyons que la tendance se maintiendra.
º (1655)
Le président: Avant de revenir à M. Dion, pour le temps qu'il reste, je vais laisser Mme Resnik ajouter quelque chose.
Mme Judith Resnik: Il se trouve que j'ai dans mon sac une photo du plus récent bulletin de nouvelles des cours fédérales américaines, où l'on voit un juge témoigner devant un sous-comité du Congrès sur le budget.
Dans le système américain, les juges fédéraux comparaissent devant des comités du Congrès qui ont une responsabilité de surveillance. Depuis 1939, le Administrative Office of the United States Courts s'est chargé de l'administration qui relevait auparavant du département de la Justice et en a fait une entité distincte du système judiciaire et depuis, des membres de la magistrature témoignent devant les comités, comme ils l'ont un peu fait auparavant aussi.
Le président: Bien. Évidemment, la présidence, ici, ne connaît pas de règles qui nous empêcheraient, dans notre Parlement, d'exercer nos pouvoirs d'assigner à comparaître des personnes, ou d'exiger la production de documents et de dossiers. On peut envoyer une assignation à comparaître à un juge, qui pourrait venir au Parlement pour une raison quelconque, mais, par convention, nous ne semblons pas le faire très souvent.
Monsieur Dion, vous avez la parole.
L'hon. Stéphane Dion: Merci.
Quand la personne choisie par le président comparaît devant le Sénat, d'après mes lectures, elle peut décider de ne pas répondre aux questions. Je n'ai toutefois pas réussi à savoir quelle était la stratégie gagnante. Parfois, quand on répond, on peut avoir l'air de ne pas avoir compris qu'on pouvait ne pas répondre et si on ne répond pas, cela peut nuire aussi.
Mme Judith Resnik: Je prends mon temps pour essayer de bien résumer un processus complexe.
Les audiences ne sont qu'un petit élément de la bataille politique. J'imagine qu'il est possible que certaines réponses soient si provocatrices qu'elles suscitent une nouvelle controverse qui entraînerait à son tour une opposition suffisamment forte pour empêcher une nomination. Mais dans bien des cas, si on compare ceux qui ont été acceptés et ceux qui ont été rejetés, ce ne sont pas les réponses à des questions particulières qui en sont la cause, mais un plus grand ensemble d'activités.
Je vous ai donné l'exemple du juge Bork. Il témoignait de sa conception du quatorzième amendement, à partir de ce qu'il avait déjà écrit. Le conflit ne se rapportait donc pas seulement à son témoignage, et il aurait eu là l'occasion de dire : « C'est ce que je croyais à l'époque, ce n'est plus ce que je crois ». En outre, sachez que beaucoup de juges ou de juges éventuels pourraient dire qu'ils ne se sentent pas à l'aise de répondre à une question et que certains d'entre eux ne répondent pas. Ce n'est pas comme si tous répondaient à toutes les questions. Par ailleurs, il est vrai aussi que certains sénateurs disent qu'ils ne poseront pas de questions sur un sujet, mais qu'ils en poseront sur un autre.
Si vous lisez les transcriptions, vous verrez qu'on y parle d'histoire, de points de vue et d'attitudes préalables générales au sujet du rôle du gouvernement et au sujet des droits, et que ces gens ont été choisis pour cela. C'est un processus qui a fait l'objet de préparatifs. Les gens se préparent à l'avance.
L'hon. Stéphane Dion: Là où je veux en venir, c'est qu'avec nos témoins canadiens, nous nous sommes demandé si la création d'un comité consultatif devait être assortie de lignes directrices pour ceux qui poseraient des questions. Quelles questions seraient acceptables? Quelles questions seraient irrecevables? On pourrait dire qu'au lieu de cela, toutes les questions pourront être posées, mais que le candidat a le droit de ne pas répondre.
Le problème à mes yeux, c'est que si je décide de ne pas répondre, comment savoir si cela me nuira?
Mme Judith Resnik: Je crois qu'il n'y a pas de garanties, et que vous pourriez préparer des lignes directrices. Les barreaux ont essayé de ne pas poser de questions sur l'attitude des candidats au sujet du monde du droit, mais seulement sur leurs compétences d'avocats. D'autres estiment que ces postes de juges sont si prisés et si importants, si cruciaux, qu'on peut vouloir poser des questions pour essayer de comprendre comment les candidats feront leur travail lorsqu'ils seront saisis d'affaires très importantes.
Il ne s'agit pas de leur demander quelle décision ils rendraient dans le cas X, Y ou Z, puisque la réponse dépend des faits. Il s'agit plutôt de connaître l'attitude générale du candidat au sujet de questions importantes. Certains diront qu'ils n'y ont pas vraiment beaucoup réfléchi, d'autres donneront une réponse partielle, parce qu'ils ont déjà écrit sur le sujet et expliqueront ce qu'ils ont déjà déclaré.
On se demande si le processus d'entrevues a un effet sur le processus de nomination, en changeant le genre de candidats choisis. En effet, on pourrait favoriser des candidats obscurs, qui n'ont pas beaucoup écrit, dont les écrits sont peu connus, et qui pourront en toute crédibilité affirmer ne pas savoir ce qu'ils pensent d'un sujet.
» (1700)
L'hon. Stéphane Dion: Et cela constitue un argument en faveur de la sélection de cette personne? Je ne sais pas.
Mme Judith Resnik: Selon vous, le fait de se servir de la sélection des juges à des fins politiques comporte des aspects négatifs. Je crois que cela peut comporter un avantage potentiel, pour ce qui est de la légitimité et de l'élaboration de normes.
Il s'agit d'un processus difficile qui se sert de l'action de juger de façon assez singulière, car la personne choisie rendra ces jugements dans l'avenir. On se sert de cette personne afin de débattre de l'état du droit dans le pays. Voilà en quoi consistent les processus de sélection très ouverts, aux enjeux considérables, axés sur une personne. La question est de savoir si c'est là ce que vous voulez.
Le président: Merci.
Monsieur Sorenson, vous avez trois minutes. Nous entamons une ronde de questions de trois minutes.
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, PCC): Très bien.
Merci encore de votre présence.
Le président: Oui, et surtout Mme Malleson, qui devrait partir dans dix ou quinze minutes.
M. Kevin Sorenson: Très bien. Je vais poser ma première question à Mme Malleson.
Les témoins que nous avons entendus nous ont beaucoup parlé des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, de l'Allemagne, de même que d'autres pays qui ont été évoqués. Madame Malleson, vous avez écrit sur l'Afrique du Sud. Le président sud-africain nomme les juges de la Cour constitutionnelle, mais, si j'ai bien compris, ce choix doit être fait à partir d'une liste de candidats fournie par une commission.
Quel est le rôle du Parlement dans le choix des membres de la commission qui transmet ses candidatures au président, au premier ministre, ou au responsable de la nomination? Je suppose qu'il s'agit du président de l'Afrique du Sud. Quel rôle les parlementaires jouent-ils? Comment le processus s'est-il déroulé au cours des cinq ou dix dernières années?
Mme Kate Malleson: Les parlementaires désignent les membres de la commission qui sont des parlementaires. Si je me souviens bien, il y a six parlementaires.
M. Kevin Sorenson: Combien de membres la commission compte-t-elle au total?
Mme Kate Malleson: C'est une importante commission; il y a 23 membres.
M. Kevin Sorenson: Il y a six parlementaires.
Mme Kate Malleson: Je suis désolée, il y a six parlementaires nationaux et quatre parlementaires provinciaux, il y a donc dix parlementaires au total, je crois. Je devrai vérifier, car je n'avais pas recherché ce renseignement précis. Ces membres de la commission sont évidemment choisis par le Parlement.
C'est là son rôle. Le rôle du Parlement s'arrête là. Il n'y a pas d'audiences d'approbation ou de procédures semblables.
» (1705)
M. Kevin Sorenson: Ce processus a-t-il connu du succès à long terme?
Mme Kate Malleson: Oui.
M. Kevin Sorenson: Il y a eu des changements majeurs en Afrique du Sud.
Mme Kate Malleson: Relativement au long terme, il s'agit d'un processus nouveau. Il s'agit du nouveau système qui a été mis sur pied avec la nouvelle constitution; il est donc impossible de se prononcer sur les résultats à long terme.
Il y a trois ans, je me suis rendue sur place et je me suis entretenue avec des juges de la Cour constitutionnelle qui avaient tous été nommés en vertu du nouveau système, évidemment. Je me suis également entretenue avec tous les membres de la commission des services judiciaires, et avec les membres du Barreau les plus en vue. À cette époque, le système jouissait d'un appui généralisé. Le système semblait fonctionner extrêmement bien. J'ai assisté à certaines des entrevues. En effet, même s'il n'y a pas d'audiences d'approbation, il y a des entrevues publiques pour chacun des candidats. C'est extrêmement intimidant, car les 23 membres de la commission sont présents, et ils ont une entrevue avec les candidats.
Lorsque ce système a été conçu, beaucoup de gens craignaient que personne ne présente sa candidature. De l'avis généralisé, les avocats chevronnés ne seraient pas prêts à se soumettre à ce processus très public, et à subir le risque de ne pas être nommés, par exemple. En fait, aucune des personnes avec lesquelles je me suis entretenue ne connaissait quelqu'un qui n'était pas disposé à se porter candidat.
Je me suis entretenue avec des juges de la Cour constitutionnelle qui avaient subi ce processus. Ils m'ont tous dit qu'ils l'avaient trouvé extrêmement intimidant, très stressant, et qu'ils ne l'avaient pas apprécié du tout. Néanmoins, ils estimaient que l'entrevue publique avait énormément renforcé leur légitimité en tant que Cour constitutionnelle, et qu'ils étaient très heureux de s'être pliés au système.
M. Kevin Sorenson: Oui.
Je ne sais pas grand-chose de la Cour constitutionnelle de l'Afrique du Sud. Est-elle semblable au système de la Cour fédérale? Combien de juges y siègent?
Mme Kate Malleson: Je crois qu'il y a neuf juges. Non, je suis désolée, il y a 11 juges.
M. Kevin Sorenson: Très bien. Cela ressemble à notre Cour suprême.
Mme Kate Malleson: Il s'agit seulement d'une Cour constitutionnelle; c'est différent de votre Cour suprême. La Cour constitutionnelle n'entend pas de causes en droit privé, elle entend seulement des causes en matière constitutionnelle.
M. Kevin Sorenson: À quelle fréquence y a-t-il de tels postes de juge à pourvoir en Afrique du Sud? Y a-t-il une nouvelle commission pour chaque nouvelle vacance?
Mme Kate Malleson: Non, ces juges ont des mandats à durée déterminée, des mandats de 12 ans. Lorsqu'il y a une vacance, la commission des services judiciaires soumet des noms au président, mais la commission nomme également tous les autres juges. Je ne dirais pas que la commission siège constamment, car il est évident qu'elle siège seulement lorsqu'il y a des postes à pourvoir. Les membres de la commission nomment tous les juges, pas seulement les membres de la Cour constitutionnelle.
M. Kevin Sorenson: La commission est donc toujours en activité. Lorsqu'il y a changement de Parlement, je suppose que la commission doit se pencher à nouveau sur la situation des membres qui...
Mme Kate Malleson: Les membres qui sont des parlementaires. Les autres continuent de siéger, évidemment. Il y a des profanes, des universitaires, des membres des deux branches de la profession juridique, et des juges.
M. Kevin Sorenson: Et il n'y a pas de mandat à durée déterminée pour les membres de la commission? Ils vont et viennent...?
Mme Kate Malleson: Ils ont aussi des mandats à durée déterminée. Chacun a un mandat de trois ans, qui peut être renouvelé une seule fois.
M. Kevin Sorenson: Merci.
Le président: Y a-t-il d'autres députés pour Mme Malleson?
[Français]
M. Richard Marceau: D'accord, mais il y a d'abord Sue.
[Traduction]
L'hon. Sue Barnes (London-Ouest, Lib.): Je crois que nous tous qui sommes réunis autour de cette table, voulons en savoir davantage sur le rôle des parlementaires. Nous n'en connaissons pas tous les tenants et aboutissants.
Vous travaillez sur ce sujet en Grande-Bretagne depuis environ deux ans?
Mme Kate Malleson: Je crains qu'il ne s'agisse de changements plus récents que cela. Ces réformes ont été annoncées pendant l'été, et elles étaient tout à fait inattendues. Ces changements avaient fait l'objet d'un vaste débat universitaire, et avaient reçu un appui longtemps avant leur entrée en vigueur, mais, d'un point de vue politique, ces réformes étaient inattendues. Elles ont été annoncées un jeudi après-midi lors d'un remaniement ministériel.
L'hon. Sue Barnes: Très bien. Je ne veux pas que nous perdions beaucoup de temps sur ce sujet, mais j'aimerais savoir pourquoi, selon vous, les parlementaires ont-ils été exclus de l'étape de la formation de la commission, car c'est une possibilité que nous avons envisagée. Vous parlez aussi de l'étape d'approbation, mais il me semble qu'il y ait deux étapes au cours desquelles une contribution pourrait être apportée.
Mme Kate Malleson: Je ne crois pas pouvoir répondre à cette question, car il s'agit d'une option que j'ai ardemment défendue au cours des dernières années alors que l'on débattait de cette question. J'en ai même discuté avec l'actuel grand chancelier, et on ne m'a pas expliqué pourquoi cette option a été rejetée.
Je suppose que cela est probablement dû à des préoccupations liées à la politisation, au fait que l'on estimait que les politiciens ne devaient pas participer au processus. Mais je crois qu'il ne s'agissait pas là d'un motif très réfléchi.
L'hon. Sue Barnes: J'aurais d'autres questions à poser, mais comme le témoin doit partir, je cède la parole à d'autres.
Le président: Merci.
Y a-t-il des questions pour Mme Malleson?
[Français]
M. Richard Marceau: Vous avez dit qu'à la Cour suprême de l'Afrique du Sud, cela se faisait de façon publique. Or, j'aimerais savoir si certains types de question sont interdits? Selon vous, le fonctionnement de cette commission sud-africaine constitue-t-il jusqu'à maintenant un bon contre-argument à l'égard de ceux et celles qui affirment que dans de telles conditions, les choses vont nécessairement dégénérer en procès à la Bork ou à la Thomas aux États-Unis?
[Traduction]
Mme Kate Malleson: La réponse à ces deux questions est oui. La commission des services judiciaires elle-même a émis des lignes directrices sur les questions qui pouvaient ou ne pouvaient pas être posées. Ces directives sont plutôt générales, mais elles concernent surtout les questions de nature à porter atteinte à la vie privée des candidats.
Cela étant dit, il est très intéressant de constater que les candidats eux-mêmes se sont parfois servi des audiences publiques pour divulguer des renseignements personnels, renseignements qu'ils souhaitaient rendre publics, car ils savaient que ces renseignements seraient divulgués. Les candidats voulaient exercer un certain contrôle sur la divulgation de ces renseignements.
L'exemple qui me vient à l'esprit concerne l'un des juges actuels, Edwin Cameron, qui est séropositif. Il savait que les médias allaient éventuellement rendre public ce renseignement, et il s'est servi des audiences publiques pour en informer la commission. La commission l'a nommé par la suite. D'une certaine façon, c'était une excellente façon de résoudre ce problème. Néanmoins, la commission ne lui aurait jamais posé la question, et n'aurait pas eu la permission de l'interroger sur son état sérologique relativement au VIH, par exemple.
Seules les questions très générales portant sur les opinions des candidats sont permises. La seule question qui a été posée lors des entrevues auxquelles j'ai assisté, dont je me souvienne, portait sur l'opinion des candidats relativement à la peine de mort. Évidemment, aux États-Unis, il aurait pu s'agir d'une question fort controversée. Dans ce cas-ci, la question a été posée après que le tribunal constitutionnel eut invalidé la peine de mort, cette question n'a donc fait l'objet d'aucune controverse, les candidats ont tous répondu la même chose.
Les questions posées aux candidats portaient, par exemple, sur leur opinion quant à la diversité dans la magistrature et sur les mesures nécessaires pour améliorer la diversité. En Afrique du Sud, il s'agit évidemment d'une question extrêmement importante. Il y a eu beaucoup de discussions intéressantes sur ce sujet.
Il est clair que les entrevues n'ont pas dégénéré comme on le craignait lorsque ce système a été mis en place.
» (1710)
Le président: Madame Barnes, vous pouvez poser une autre question. Nous avons quelques minutes.
L'hon. Sue Barnes: Ici, au Canada, nous avons un palier de gouvernement fédéral ainsi que des provinces et des territoires. De toute évidence, les décisions de notre Cour suprême ont une incidence sur l'état du droit dans tout le pays. Même s'il y a différentes administrations, les vacances sont envisagées d'un point de vue géographique, de telle sorte qu'on peut se tourner vers une région pour pourvoir un poste.
De quelle façon et à quelle étape du processus consulte-t-on les régions? Je sais qu'en Grande-Bretagne, il n'existe pas un équivalent des États aux États-Unis, ou des territoires. Y a-t-il en Écosse, en Irlande ou au pays de Galles l'équivalent d'un procureur général que l'on consulte? Qui procède à cette consultation?
Mme Kate Malleson: Cette question revêt une importance croissante. En ce qui concerne la Cour suprême, il est clair que les conventions voulant qu'il y ait des juges de l'Écosse et de l'Irlande du Nord sont désormais fixées. Il est même possible qu'il existe une convention voulant qu'un juge gallois siège à la nouvelle Cour suprême.
Le système prévoit deux façons de recueillir la contribution des régions. Premièrement, sous la nouvelle commission, il y aura un membre de chacune des trois commissions régionales. Ainsi, la commission qui étudie les nominations à la Cour suprême comptera un membre pour chacune des régions suivantes : l'Irlande du nord, l'Écosse, l'Angleterre et le Pays de Galles. Deuxièmement, lors de l'examen des candidatures à soumettre à la commission, on s'attend à ce qu'il y ait des consultations avec le juge en chef d'Irlande du Nord, avec les juges écossais de rang le plus élevé et avec les juges gallois pour savoir si ces derniers estiment que les candidats proposés sont les plus indiqués, ou s'ils souhaitent ajouter d'autres noms à la liste.
L'hon. Sue Barnes: Avant la réforme actuelle, dans quelle mesure le processus était-il secret? Notre ministre de la Justice a récemment comparu devant le comité et nous a expliqué le protocole. Les gens ne savaient pas comment cela se passait. De leur point de vue, il aurait pu s'agir d'un tirage au sort.
Mme Kate Malleson: Jusqu'à tout récemment, tout le système était très secret. La plupart des critiques étaient dirigées contre la nature secrète du processus, et surtout contre ce que l'on appelait les consultations secrètes, c'est-à-dire le processus selon lequel on demandait aux juges de rang le plus élevé leur opinion sur les candidats. Cela se faisait en secret, et personne ne savait qui avait dit quoi à propos de quiconque. En ce qui concerne les tribunaux inférieurs, il y a eu énormément d'officialisation et beaucoup plus d'ouverture ces dernières années. Le processus est demeuré très secret en ce qui concerne les postes de juge de rang le plus élevé. Par exemple, nous ne savons pas quel est le lien entre le premier ministre et le grand chancelier. Nous ne savons pas, par exemple, quels premiers ministres ont rejeté des choix avancés par leurs grands chanceliers, le cas échéant. Nous ne savons pas si les grands chanceliers ont soumis des listes à partir desquelles les premiers ministres ont fait leur choix; nous ne savons pas comment le processus s'est déroulé.
L'hon. Sue Barnes: Ainsi, le fait d'expliquer le protocole jette la lumière sur cette question et apporte une certaine transparence.
J'ai été très intéressée par vos propos sur l'éducation du public. Vous faisiez référence aux questions posées aux candidats comme étant une forme d'éducation du public. Qu'en est-il de l'explication du protocole et des motifs sous-jacents, cela pourrait-il être perçu comme étant instructif?
Mme Kate Malleson: Oui. De plus en plus, par exemple, les critères de sélection ont été officialisés. Au départ, il n'y avait pas de critères de sélection formels. Le débat sur cette question est loin d'être terminé, et le fait que ce débat ait été public revêt une grande importance.
» (1715)
L'hon. Sue Barnes: Merci.
Madame Resnik, j'aimerais vous poser une question à ce sujet, car, évidemment, nous avons des constitutions différentes.
Le temps qui m'a été alloué est-il écoulé?
Le président: Non, pas du tout. Nous essayons de gérer le temps dont dispose Mme Malleson. Je ne veux pas encombrer le compte rendu de détails logistiques.
Deux autres députés ont indiqué qu'ils aimeraient poser des questions. Posez des questions très brèves, s'il vous plaît.
L'hon. Lawrence MacAulay (Cardigan, Lib.): Si une suggestion est faite au premier ministre et que le premier ministre rejette cette suggestion, croyez-vous que cela devrait être rendu public?
Mme Kate Malleson: Vous voulez dire dans le système britannique?
L'hon. Lawrence MacAulay: Oui.
Mme Kate Malleson: Le problème à cet égard réside dans la confidentialité des noms des candidats. C'est l'une des questions que nous tentons de résoudre à l'heure actuelle. Si, par exemple, une liste de candidats est soumise...
L'hon. Lawrence MacAulay: Mais j'ai parlé d'un seul nom. Si ce candidat unique est rejeté, cela ne devrait-il pas être rendu public?
Mme Kate Malleson: Si nous optons pour un système, vous voulez dire dans le cas où il y a un seul nom. Oui, dans ces circonstances, les règles du système sont plutôt claires, car, en ce qui concerne la commission anglaise et galloise, le ministre sera le secrétaire d'État aux Affaires constitutionnelles, selon le nouveau système. Cela ne relèvera pas du premier ministre, je devrais le préciser. Le premier ministre n'aura rien à voir avec le système. Si le ministre rejette le nom en question, en vertu des dispositions actuelles, il devra expliquer les motifs de sa décision.
La question de savoir si ces motifs devront être rendus publics ou non n'a pas encore été tranchée. Je suis déchirée sur ce sujet, car, d'une part, des arguments convaincants militent en faveur de la divulgation de ces motifs. D'autre part, j'ai des inquiétudes liées à la confidentialité concernant les candidats. Une solution a été avancée, mais elle ne pourrait pas s'appliquer à la Cour suprême. Selon cette solution, la commission présenterait un rapport annuel au Parlement dans lequel elle dévoilerait le nombre de candidats rejetés par le ministre et la raison de ce rejet en termes généraux. La commission tenterait de présenter ces renseignements de façon à ce que les candidats concernés ne puissent être identifiés.
Le président: Très bien.
Monsieur Sorenson.
M. Kevin Sorenson: En fait, je crois que je travaille en collaboration tellement étroite avec M. MacAulay depuis quelques années qu'il a posé exactement la question que j'allais poser, à savoir quand cela devrait devenir public. Mais la raison pour laquelle je voulais le demander, c'est qu'un d'entre vous a dit que l'essentiel du débat est déjà derrière nous. Donc, tout est gardé au sein de la commission. On ne rend rien public. Peut-être que je fais l'amalgame entre les Américains et les autres. Mais est-ce que vous faites venir des candidats sans dire au grand public qui on interroge pour ces nominations?
Mme Kate Malleson: Vous voulez savoir si c'est ce qui est proposé au Royaume-Uni?
M. Kevin Sorenson: Oui.
Mme Kate Malleson: La réponse est oui.
M. Kevin Sorenson: Ce n'est donc pas public.
Mme Kate Malleson: C'est tout à fait comme votre comité de l'Ontario, qui fait les choses très soigneusement. Nous avons entendu Peter Russell, le premier président du comité de l'Ontario, expliquer comment ils s'installent dans des hôtels et font entrer les candidats par une porte et les font sortir par l'autre pour qu'ils ne se rencontrent pas et ne sachent pas ce qu'on leur présente. Ce serait la même proposition au Royaume-Uni.
M. Kevin Sorenson: Et toutes ces personnes sont des juges de tribunaux inférieurs? C'est comme cela? Ou s'agit-il de personnes qui viennent de cabinets d'avocats? On a dit précédemment que les gens qui travaillaient pour des cabinets d'avocats prestigieux ne voulaient pas qu'on sache qu'ils étaient intéressés par un poste de juge parce que cela risquait d'avoir des répercussions sur leur cabinet.
Mme Kate Malleson: Nous n'avons pas encore ce régime, mais le jour où ce sera le cas, vous avez parfaitement raison, ce sera confidentiel à tous les niveaux. L'idée, c'est de préserver la confidentialité de cette partie du processus pour la Cour suprême et la Haute Cour, ainsi que les rapporteurs et les juges de district.
M. Kevin Sorenson: Le premier ministre ou la personne qui procéderait à la nomination saurait-il s'il n'y a pas eu unanimité au comité? Aurait-il connaissance des dissensions, saurait-il si le vote a été de vingt contre un ou de onze contre neuf? Le premier ministre le saurait-il?
Mme Kate Malleson: Non. Tout ce qui se passera, c'est que le ministre recevra un nom, ou dans le cas de l'autre système, deux à cinq noms—nous ne savons pas encore lequel va être choisi—et qu'il aura toutes les informations sur les autres candidats susceptibles d'être nommés mais qui n'auront pas été choisis. Il pourra rejeter le premier nom, mais à condition de donner des explications. Il ne pourra écarter ce premier nom que s'il peut expliquer qu'un des autres candidats sur la liste est plus qualifié.
» (1720)
Le président: Merci.
Si vous n'avez plus le temps de rester, madame Malleson, nous en sommes désolés mais nous devons l'accepter, et mes collègues tiennent à vous remercier infiniment. Votre présence dans nos parages a été très fructueuse. Vos commentaires sur les régimes britanniques et sud-africains nous ont été très utiles. Encore une fois merci. Je crois que notre personnel a pris des dispositions pour vous aider à repartir. Merci beaucoup.
Nous avons encore Mme Resnik et un autre témoin qui pourra peut-être se joindre à nous. Je ne sais pas combien de temps Mme Resnik peut rester.
Mme Judith Resnik: Je prends l'avion seulement demain matin, donc je n'ai pas de problème.
Le président: Parfait, c'est excellent.
Je vais demander à la greffière de s'informer auprès de l'autre témoin pendant que nous commençons.
Madame Barnes, vous voulez continuer puisqu'il vous reste du temps?
L'hon. Sue Barnes: J'ai simplement une question à poser à Mme Resnik.
Mme Judith Resnik: J'aimerais préciser tout d'abord, pour revenir à la question de savoir ce que l'on va demander, que la raison pour laquelle certains membres de notre Sénat, comme le sénateur Schumer, souhaitent se tourner vers l'idéologie et la philosophie, c'est qu'ils préféreraient s'écarter de l'autre stratégie utilisée pour essayer d'écarter des candidatures, et qui consiste à essayer de trouver des actes irréguliers commis par la personne.
Cette volonté de privilégier plutôt la philosophie du droit vise en fait à améliorer la qualité des audiences et à transposer le débat d'une recherche de motifs d'exclusion au niveau personnel à une réflexion plus mûre sur les contexte en question et les personnalités déjà présentes dans le tribunal. On parle de quelqu'un qui va se joindre à des magistrats qui ont déjà un ensemble de connaissances particulier. Certains ont appartenu au gouvernement, d'autres non. Certains peuvent avoir une grande expérience des États, et d'autres non.
En replaçant ces nominations dans leur contexte et en élevant le débat à un niveau supérieur, on se distancierait d'une démarche qui a été perçue comme une recherche de scandale et on essaierait d'établir un processus plus réjouissant.
Le président: Très bien, madame Barnes.
L'hon. Sue Barnes: Merci beaucoup, madame Resnik. Nous avons naturellement des régimes constitutionnels différents et des pouvoirs différents, donc nous ne pourrons pas être d'accord sur tout. Mais il y a une chose que j'aimerais s'avoir. C'est le président qui choisit la personne dont la candidature est soumise au Sénat, qui a le pouvoir de donner son avis et son consentement. J'aimerais savoir comment le président choisit la personne qui est proposée et quelle est la part plus ou moins importante que joue la politique là-dedans.
Mme Judith Resnik: Je vous répondrai tout d'abord qu'il y a bien des gens dans notre système, comme dans le vôtre, qui souhaiteraient un dispositif plus fondé sur le bipartisme et sur les commissions. Le sénateur Schumer, qui est démocrate au comité judiciaire de New York, soutient qu'il devrait s'agir d'une procédure bipartite. En outre, la Constitution américaine stipule que le Sénat doit donner son avis et son consentement et, par conséquent, il y a des gens aux États-Unis qui soutiennent que du point de vue du droit constitutionnel, le président devrait demander conseil avant de proposer une candidature au lieu d'agir, comme c'est le cas actuellement, en avançant tout simplement un nom.
Troisièmement, certains présidents se sont renseignés à l'avance avant de proposer un nom et ont consulté le président du comité des partis minoritaires pour essayer de trouver quelqu'un qui puisse être accepté par tous.
À l'heure actuelle—et je ne fais pas partie de l'administration, donc je vous donne simplement une impression de l'extérieur—la Maison-Blanche communique des informations sur les personnes concernées, informations qui sont transmises à d'autres personnes à la Maison-Blanche. Permettez-moi d'approfondir un peu plus. Nous avons un département de la Justice avec un procureur général du niveau du Cabinet, et au département de la Justice il y a depuis quelques décennies des juristes qui passent leur temps à se demander qui devrait être nommé juge, car le système inclut les juges de cours supérieures et inférieures. En outre, dans notre régime, les juges de la Cour suprême sont de plus en plus choisis parmi les juges de cours d'appel.
Supposons que je sois présidente et que je pense pouvoir rester en poste huit ans, que je souhaite vous faire nommer à la Cour suprême et que vous soyez actuellement avocat ou universitaire. Je vous ferais d'abord passer à la cour d'appel. Tout le monde sait que cela fait partie du programme possible, donc le fait de passer à la cour d'appel a plus de poids parce que c'est peut-être la porte ouverte vers la Cour suprême.
Non seulement le département de la Justice a un groupe de personnes qui réfléchissent pour savoir qui devrait être nommé juge, mais il y a aussi à la Maison-Blanche des gens qui sont entre autres chargés de réfléchir aussi à la question de savoir qui doit être nommé juge. Suivant l'administration, les gens de la Justice ou de la Maison-Blanche sont plus ou moins bien placés pour peaufiner la liste et proposer un groupe de noms.
Aux États-Unis, il y a des chercheurs qui se sont informés sur toutes les personnes qui ont été nommées. Dans notre régime, la plupart de ces personnes, si elles sont républicaines, ont un cv républicain mentionnant des activités liées au Parti républicain. Il y a aussi des organisations juridiques privées, notamment la Federalist Society. Si vous êtes membre de la Federalist Society, vous avez des chances d'être bien placé pour une éventuelle nomination à un tribunal, car cette organisation a été mêlée à une bonne partie des initiatives proposées dans le cadre du plan Reagan-Bush visant à faire évoluer le contenu du droit américain.
L'une des choses qui sont prises en considération dans le processus de sélection lorsqu'un président veut faire évoluer le droit, c'est la personnalité de ces personnes, leurs affiliations et leur attitude face au droit. Le président actuel des États-Unis, quand il était candidat, a fait campagne en disant qu'il essaierait de choisir des juges comme le juge Scalia et le juge Thomas; c'était une de ses promesses électorales. Je crois que beaucoup de gens considèrent qu'il a essayé de tenir ses promesses en choisissant des juges qui sont dans la même ligne.
En fait, le gouvernement remet une questionnaire officiel aux candidats éventuels. On leur demande, par exemple, s'ils ont bien payé leurs impôts, s'ils ont payé des impôts pour leurs employés, car c'est une question qui est venue sur le tapis il y a quelque temps. En outre, il y a des sondages officieux, ce que nous appelons des consultations, auprès d'une foule d'interlocuteurs.
Il y a des chapitres dans ce livre qui vont de Truman au président actuel. Qui a appelé qui? Qui a dit quoi à propos de qui? Pourquoi pensait-on qu'un tel ou un tel était bon, moyen ou mauvais à cause de cela?
IL y a aussi la question de la conformité. Par exemple, il y a des gens aux États-Unis qui pensent qu'il vaudrait mieux avoir plus de diversité à la Cour suprême des États-Unis. Un président peut très bien se dire : « Oh, il faudrait que je trouve quelqu'un qui ait certaines caractéristiques démographiques, il me faut quelqu'un de l'Ouest, quelqu'un comme ci ou comme ça. Il peut s'agir de considérations régionales, ethniques, religieuses; il peut s'agir de choisir des femmes plutôt que des hommes. Parfois, il y a tout un enchaînement : si je choisis dans le groupe A quelqu'un qui a le point de vue B, je vais pouvoir désarmer l'opposition de ce groupe.
» (1725)
Ce que j'essaie de comprendre, c'est qu'il y a toute une activité politique intense aux États-Unis. Quand on crée des structures qui font intervenir des politiciens qui doivent se faire élire et qu'on a un débat sur le sens que doit avoir le droit, on suscite un mode de sélection des autorités judiciaires qui semble très politique et très partisan. Si l'on ne veut pas de ce genre de régime, il faut prendre le plus de distance possible vis-à-vis de toute personne qui a un engagement politique immédiat.
Je dois ajouter que dans notre système, comme je vous l'ai déjà dit, ces luttes jouent des tours aux politiciens qui essaient de se faire réélire. La position que vous avez prise en faveur de tel ou tel juge joue dans une campagne de réélection aux États-Unis.
Le président: Je vais peut-être essayer plus tard de demander à Mme Resnik de faire le lien entre cette dynamique qu'elle vient de décrire et les répercussions que cela entraîne au niveau du financement des campagnes politiques, parce que nous avons beaucoup de choses à apprendre sur ce point. J'ai eu la chance d'en discuter avec elle hier, et c'était très intéressant.
Avant d'en arriver là, j'aimerais présenter M. William Trudell à mes collègues. M. Trudell est président du Conseil canadien des avocats de la défense, et il vient aujourd'hui nous donner son opinion sur le sujet.
Bienvenue, monsieur Trudell.
Comme dans le cas des autres témoins, nous allons vous donner les 10 minutes habituelles pour faire votre exposé et nous passerons ensuite aux questions.
» (1730)
M. William Trudell (président, Conseil canadien des avocats de la défense): Merci beaucoup, monsieur le président.
Au nom du Conseil canadien des avocats de la défense, je vous remercie de m'accueillir à votre comité.
Je souhaite tout d'abord vous présenter mes excuses. Nous avons préparé un exposé mais je n'ai pas pu le faire traduire. Je prie donc les membres francophones du comité de m'en excuser. Nous avons essayé d'avoir quelque chose sur papier, et ce document est à la disposition de tous ceux qui veulent le regarder.
Le texte que nous vous avons remis est un petit aperçu du Conseil canadien que les membres du comité connaissent certainement très bien. Nous sommes déjà venus ici plusieurs fois.
Je commencerai par dire que le processus de nomination à la Cour suprême ne doit pas être quelque chose de politique ni d'embarrassant pour les candidats et ne doit pas s'étaler sur la place publique. Bien que de nombreux Canadiens estiment que la procédure actuelle a bien fonctionné jusqu'ici, il convient de féliciter le premier ministre de vouloir essayer de mettre sur pied une procédure plus fiable. Ce processus ne doit cependant pas s'étaler sur la place publique.
Si un comité parlementaire public interroge des candidats potentiels, ce sera par définition un organe politique guidé par des préoccupations d'ordre régional, constitutionnel et télévisuel. Une question indirecte déclenchera des spéculations dans les médias et durant la période des questions. Quiconque a le souci de sa vie privée ou tient à protéger ses proches, ses associés, et à ne pas révéler ses erreurs passées ou ses points faibles refusera d'être candidat. On comparera chaque décision du magistrat à sa comparution au comité.
La critique du système judiciaire et de l'activisme judiciaire se porte bien au Canada. On ne fera que lui donner une tournure plus personnelle. Madame la juge a-t-elle dit telle chose au comité du Parlement? Comment se fait-il qu'elle se rallie maintenant à tel jugement, etc.?
À notre avis, une telle procédure entraînera fatalement une érosion de la dignité, du respect et de l'indépendance totale des tribunaux. Il y a une autre façon de faire. On peut prendre comme exemple le processus de nomination des juges de l'Ontario, dont on vous a parlé tout à l'heure.
En Ontario, quand un poste est vacant, des candidats se présentent. Un comité de 14 personnes, trois avocats, trois juges et huit profanes, examine le formulaire complet de candidature. L'impératif essentiel, c'est la confidentialité. Le comité examine les candidatures, se renseigne discrètement et vérifie les références, puis il choisit un certain nombre de candidats qui vont être interviewés.
Une fois terminées ces entrevues qui ne sont pas publiques et au cours desquelles les membres du comité peuvent poser n'importe quelle question au candidat, le comité établit un classement des candidats et envoie la liste au procureur général qui est chargé de faire un choix. Le comité recherche des candidats qualifiés et exceptionnels, et la procédure de sélection est remarquablement efficace, complète et honnête.
Quand le procureur général est appelé à faire son choix, il le fait parmi un ensemble de candidats dont les antécédents, les convictions, la réputation, la compétence et les capacités ont été étudiés, contrôlés et classés par ordre. Le comité est représentatif. En fait, il y a plus de profanes que de représentants de la profession juridique, et un équilibre se dégage. Les candidatures sont détaillées, les entrevues sont franches et les délibérations du comité sont approfondies. Le processus de sélection, bien que confidentiel, est propre et au-dessus de tout reproche.
Le Conseil canadien des avocats de la défense estime que le comité parlementaire devrait envisager une procédure analogue. Nous proposons de créer un comité permanent des nominations et un processus d'entrevue confidentiel.
Le comité pourrait se composer d'un représentant de chaque parti à la Chambre des communes, à condition que ce parti ait un certain nombre de sièges; d'un représentant du Sénat; de trois représentants du Barreau en activité; d'un juge qui pourrait être nommé par le conseil judiciaire; et de trois profanes nommés par le premier ministre. Le président serait choisi parmi les parlementaires.
Le reste du processus pourrait rester le même que celui qui a été exposé par l'honorable Irwin Cotler au comité. Les candidats envisagés par le premier ministre seraient invités à rencontrer le comité après avoir été sondés sur leurs intentions. On leur demanderait de remplir un questionnaire normalisé.
Nous avons joint à notre documentation le genre de questionnaire qui est utilisé actuellement en Ontario et pour les nominations au niveau fédéral. On pourrait remettre à ces candidats des formulaires comme ceux qui sont actuellement utilisés ou un formulaire préparé par le comité.
Ces candidats seraient ensuite interrogés à huis clos par le comité.
» (1735)
À partir des informations fournies, le comité pourrait décider de recommander ou non un candidat en s'appuyant sur son propre système de notation. La liste des candidats recommandés serait envoyée au premier ministre qui procéderait alors à la nomination définitive à la cour.
Le comité détruirait le formulaire de candidature et toutes les notes. Tout le processus demeurerait confidentiel et les membres du comité seraient tenus au silence par serment.
Les membres du comité issus du grand public ou du Sénat seraient nommés pour cinq ans, ce qui permettrait d'assurer une certaine continuité compte tenu des changements susceptibles d'être entraînés par les défaites de députés aux élections.
Ce genre de processus permettrait d'éviter le cirque de l'affaire Clarence Thomas dont on a entendu parler, les embarras publics, les questions qui n'ont pas à être posées et toute la dramaturgie politique. C'est un processus qui garantit la dignité, la participation du public, l'imputabilité et le respect des institutions et des personnes qui peuvent être appelées à servir dans nos tribunaux les plus élevés. C'est aussi un processus qui permet de préserver le processus de sélection existant énoncé par le ministre de la Justice, en y ajoutant un mécanisme de filtrage.
Voilà en gros ce que nous proposons, monsieur le président. D'ici là, je sais que le comité a un problème peut-être plus urgent, car deux postes doivent être comblés en juin. Si l'on nous pose la question, nous aurions quelques suggestions à cet égard.
Ce que nous disons, par conséquent, c'est que le ministre peut faire ce qu'il fait actuellement, c'est-à-dire tenir des consultations dans tout le pays. On pourra alors demander aux personnes que le ministre voudrait recommander si elles sont intéressées par le poste et les convoquer dans ce cas à un comité qui leur posera des questions à huis clos.
Je dois ajouter qu'ayant servi pendant cinq ans au Comité consultatif sur les nominations à la magistrature de l'Ontario, je peux vous assurer que c'est un système remarquable sur le plan de la confidentialité. C'est un système remarquable sur la plan de l'équilibre. Il est aussi remarquable qu'en fin de compte ce comité se prononce à l'unanimité sur les candidats, et c'est un système qui semble avoir donné d'excellents résultats dans la province.
Ce sont là les idées que je souhaitais soumettre à la réflexion du comité.
Le président: Je vous remercie pour cet exposé mûrement réfléchi.
Nous allons maintenant passer aux questions ou poursuivre les questions des députés.
J'avais demandé à Mme Resnik si elle pouvait nous parler du lien entre le processus de confirmation actuel au Sénat américain et les levées de fonds politiques—mais je ne voudrais pas interrompre la continuité du témoignage de M. Trudell.
Peut-être pourrions-nous passer d'abord à Mme Resnik, après quoi les membres du comité pourront poser leurs questions soit à M. Trudell, soit à Mme Resnik.
Nous allons donc tout d'abord demander à Mme Resnik de nous parler du financement des campagnes.
Mme Judith Resnik: Comme les nominations au poste de juge sont devenues des questions d'ordre politique, ce sont des sujets de campagne électorale.
Jadis, à propos de l'indépendance du pouvoir judiciaire, on disait : « Il faut éviter que l'exécutif et le Parlement aient trop d'influence sur les juges ». Je crois qu'au XXIe siècle, il faut dire : « Il faut se méfier du rôle des médias »—qui n'avaient pas du tout la même présence qu'aujourd'hui—« et il faut se méfier des groupes d'intérêts spéciaux », qui ont des positions bien établies sur les questions sur lesquelles les juges sont amenés à se prononcer. À titre d'exemple, aux États-Unis, des groupes connus, comme la Chambre de commerce, ont investi des millions de dollars dans des élections de juges et dans des campagnes de promotion et de publicité. Un analyste politique, un dénommé Anthony Champagne, a très clairement mis en évidence ce déferlement d'argent. L'Association of Trial Lawyers of America y a aussi été de sa poche, ce qui montre que toutes sortes de groupes essaient de faire nommer leurs candidats.
Nous disions aussi justement hier que le financement des campagnes est particulièrement en évidence lors de campagnes électorales, mais que quand il n'y a pas d'élections, les groupes qui veulent faire nommer quelqu'un ont d'autres moyens que le simple fait de contribuer financièrement à une campagne électorale. Ils peuvent organiser des campagnes dans les médias en faveur de telle ou telle personne ou de telle ou telle idée. On a vu des groupes militants pour toutes sortes de thèmes dans des directions opposées faire de très gros efforts pour sensibiliser le public. Il faut une campagne de sensibilisation et d'éducation en disant : « Occupez-vous de savoir qui sont vos juges, faites nommer un tel à la magistrature ou faites exclure un tel ».
L'argent investi au niveau fédéral ne sert pas au départ à faire élire un juge donné, puisqu'il y a un processus de sélection, mais il sert à financer des campagnes axées sur les questions que représente cette personne. À partir du moment où les gens au Parlement, ou au Sénat, prennent position... parce que nous n'avons pas autant de réglementation des campagnes que vous, on les associe à certains points de vue en raison de la position qu'ils expriment à l'égard de certains juges, et ils deviennent soit des cibles, soit des rassembleurs.
Donc, plus c'est lié à un processus parlementaire, plus les gens perçus comme responsables seront les gens qui se présenteront aux élections.
» (1740)
Le président: Bon.
Monsieur Cadman.
M. Chuck Cadman: Monsieur Trudell, vous avez dit que si l'on vous posait la question, vous auriez peut-être des suggestions concernant les deux postes qui vont devoir être comblés très bientôt. Je vous pose donc la question.
M. William Trudell: L'une des choses que je voudrais dire—et mes collègues des États-Unis et de l'Angleterre l'ont déjà dite—c'est que le système judiciaire du Canada est profondément respecté. En ce moment, alors que la Cour pénale internationale est en plein essor et qu'on met sur pied le Barreau pénal international, on se tourne vers le système judiciaire canadien pour servir de guide et fournir des conseils. En attendant, je pense qu'il est très important que vous alliez aussi lentement que possible.
Je dirais respectueusement que je sais que votre comité est peut-être concerné par la question du déficit démocratique. Je crois néanmoins, avec tout le respect que je vous dois, qu'il ne faut pas mêler la politique à ce rôle important quand on parle de nomination à la Cour suprême du Canada.
Nous sommes cependant dans une situation exceptionnelle puisque deux postes doivent être comblés. Ce que je suggérerais au nom du Conseil canadien, c'est que dans l'intérim, on élargisse un sous-comité de votre comité, ou peut-être même votre comité en lui adjoignant des représentants du public, peut-être trois; des juges de la Cour suprême—par exemple, l'ancien juge en chef Lamer ou le juge Cory, et j'ai lu le témoignage que vous a présenté la juge Claire L'Heureux-Dubé; et un représentant bien connu du public—je vais vous suggérer un nom, quelqu'un qui est reconnu comme étant en quelque sorte l'oreille du Canada, comme Rex Murphy. Je suggérerais que votre comité ait un entretien avec le ministre de la Justice... Je vois que vous souriez, monsieur le président, mais c'est ce nom qui m'est venu à l'esprit quand j'en cherchais pendant mon vol.
Je pense que ce comité pourrait élargir sa représentation en s'entourant de personnes qui ne sont pas des parlementaires, éventuellement des représentants du Barreau, et pourrait ensuite interroger à huis clos le ministre de la Justice sur les raisons pour lesquelles le premier ministre propose telle ou telle personne. Si vous le faisiez à titre intérimaire, puisqu'il faut combler ces postes, vous éviteriez tout le débat sur la publication des audiences et des informations sur les candidats. Vous élargiriez votre comité en lui adjoignant à titre provisoire des représentants du public, des profanes, et éventuellement des représentants du Barreau et d'autres juges, en attendant de déterminer s'il faut mettre en place quelque chose de plus permanent.
Si j'ai bien lu le témoignage du ministre, il vous a proposé de revenir vous rencontrer. Vous pourriez le faire quand la représentation de ce comité aura été ainsi provisoirement élargie. Vous pourriez demander au ministre à huis clos pourquoi et comment le premier ministre et lui-même en sont arrivés à retenir tel ou tel candidat et quels renseignements ils ont obtenus, en vous appuyant sur les exemples qu'il vous a donnés en vous parlant de ce que le gouvernement recherchait chez un candidat.
De cette façon, il y a une participation du Parlement et un certain degré d'imputabilité, et le public participe, mais vous préservez totalement l'indépendance du pouvoir judiciaire. Vous allez peut-être finalement décider que la participation des parlementaires à des audiences publiques n'est pas la bonne formule. Nous vous proposons simplement cette suggestion à titre provisoire pour pouvoir procéder à ces deux nominations.
Je pense que face au problème d'ensemble, il y a des gens qui ne sont pas d'accord pour que le gouvernement nomme purement et simplement des titulaires. Ce que nous devons dire—et je suis enchanté d'entendre nos collègues le dire—c'est que la Cour suprême du Canada est très respectée.
» (1745)
Il est certain qu'à la veille d'une nomination, nous nous croisons tous les doigts en espérant une bonne décision et un bon candidat. Il en a toujours été ainsi.
Le président: D'accord. C'est bien dit.
À vous, monsieur Maloney.
M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): Je voudrais poser une question à Mme Resnik.
Vous nous avez expliqué comment les institutions et les organismes font campagne en faveur d'un candidat. Ils essaient de choisir quelqu'un dont l'idéologie ou la philosophie leur sera avantageuse. Cela indique, à mon avis, que les juges qui obtiennent leurs postes de cette façon risquent de prendre des décisions en fonction d'une idéologie politique particulière très envahissante, plutôt qu'en pesant le pour et le contre en l'espèce.
Ai-je bien compris ce que vous vouliez nous dire? Dans l'affirmative, qu'en pensez-vous?
Mme Judith Resnik: Selon la nature de l'espèce, le point de vue général du juge a plus ou moins d'importance. Plus les faits sont déterminants, plus la cause est étroite et précise, comme c'est souvent le cas dans les tribunaux inférieurs, moins mes conceptions personnelles pourront avoir une incidence face à la primauté du droit. Dans les tribunaux supérieurs et parfois dans les tribunaux de première instance, une injonction offre plusieurs possibilités pour assurer une protection égale du droit, et l'interprétation du juge importe davantage. Quand quelqu'un est nommé juge, il apporte avec lui tous ses antécédents qui vont intervenir dans ses jugements.
Dans un système où un juge peut siéger pendant très longtemps, on espère—et on constate—que ses opinions évoluent avec le temps, car il va apprendre en exerçant ses fonctions. C'est ce qu'on a constaté ces dernières années pour certains juges de la Cour suprême, en particulier quelques-uns de ceux qui sont décédés. Ainsi, le juge Blackman est célèbre pour avoir eu des conceptions bien précises en début de carrière et pour avoir changé d'opinion, au fil de ses jugements, sur certaines questions auxquelles il a dû réfléchir en prenant de l'expérience.
L'idée selon laquelle les juges prennent chaque cas comme il se présente nous plaît assez. Nous aspirons à une culture qui concrétise cette idée, même si l'on sait que les antécédents du juge ont une incidence sur sa façon d'aborder les problèmes.
Voilà peut-être une façon un peu sinueuse de dire que parfois, ce processus de sélection nous donne des juges dont les points de vue sont plus étroits que je ne le souhaiterais personnellement. Il y a aussi des cas où il nous donne des juges sur lesquels on fait au départ de mauvaises prédictions. On considère parfois que certains juges ont déçu des justiciables qui leur prêtaient des opinions particulières, et qui doivent ensuite redoubler d'effort.
Je souhaite que nous ayons un système qui nous permette à la fois de comprendre la nature sociale et politique de l'activité du juge et d'espérer que l'on nomme à ces fonctions des personnes chaleureuses et merveilleuses, prêtes à écouter, à faire preuve d'ouverture d'esprit et respectueuses des valeurs communes qu'elles seront capables d'appliquer de façon collégiale. Je pense qu'on peut organiser l'ordre judiciaire pour concrétiser ses espoirs et pour rendre la justice interdynamique.
Je crois qu'il est très avantageux d'avoir une cour qui ne soit pas uniquement constitutionnelle. Et c'est ce que nous avons. Dans une cour constitutionnelle, les juges ne connaissent qu'une partie très étroite de la vie, c'est-à-dire les questions d'actualité les plus brûlantes, et le monde où elles se manifestent. Une cour de droit ordinaire doit apprendre et connaître autre chose. Et je pense que ces juges n'en sont que meilleurs grâce à cela. Je crois qu'il est plus utile de laisser moins de pouvoir discrétionnaire au tribunal dans le choix du sens de sa décision.
Je considère que le rôle du Parlement et du Congrès est de fixer des programmes, et non pas d'accaparer des pouvoirs juridictionnels. Le Parlement doit conférer aux juges une compétence obligatoire, afin que le juge soit tenu de se prononcer sur les questions qui doivent être tranchées par lui.
Je pense aussi que tout doit avoir une fin. Les juges qui siègent pendant 30 ans posent un problème en démocratie. Il faut du changement. On peut envisager plusieurs structures qui devraient permettre d'éduquer les juges, de les contraindre, de les obliger à ne pas dépasser certaines règles, et de faire comprendre que les décisions qu'ils prennent ne portent pas toutes sur des questions constitutionnelles d'une importance capitale.
Ce n'est d'ailleurs pas ce qui se passe à la Cour suprême des États-Unis, même s'il ne s'agit que de 80 arrêts. Nombre d'entre eux sont statutaires et certains font intervenir des règles de common law. L'histoire de la Cour suprême des États-Unis est beaucoup plus riche qu'elle ne paraît de l'extérieur, notamment dans la presse.
» (1750)
Le vice-président (M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, PCC)): Monsieur Sorenson, vous avez trois minutes.
M. Kevin Sorenson: On m'a transmis cette question, qui me semble intéressante. Elle porte sur la légitimité.
Madame Resnik, pensez-vous que les juges de la Cour suprême jouissent d'une plus grande légitimité parce qu'ils ont reçu l'aval du Sénat, ou est-ce qu'ils sont, eux aussi, considérés comme étant un juge républicain ou un juge démocrate? L'aval du Sénat a-t-il une incidence sur leur légitimité?
Si vous voulez bien répondre d'abord à cette question, je demanderai ensuite à M. Trudell si notre Cour suprême manque, quant à elle, de légitimité.
Mme Judith Resnik: Quand je siège aux États-Unis, dans le contexte actuel, j'affirme que notre Sénat devrait être beaucoup plus actif et que ce que l'on peut constater, c'est que notre Sénat n'a pas l'énergie suffisante pour approfondir son contrôle, et que le système laisse trop de pouvoir au président dans le choix des juges. Je ne discute pas de la légitimité des personnes choisies, mais j'essaie de limiter le parti pris du président.
Le contrôle du Sénat infléchit le processus de sélection des candidats—pas suffisamment, à mon avis—mais dans la mesure où il a cet effet, il permet de choisir des candidats aux idées plus modérées.
Par exemple, si le Sénat avait voté 60 fois au cours des 12 dernières années, seulement six candidats auraient été écartés. C'est la portée du contrôle... la plupart des candidats franchissent cette étape avec succès, mais je souhaiterais que mon président consulte le Sénat avant de proposer quelqu'un, et après aussi. J'aimerais donc qu'on en vienne à un système qui fasse appel à l'exécutif et au législatif pour renforcer la légitimité du judiciaire.
En ce qui concerne les décisions, je ne pense pas que le contrôle du Sénat améliore la légitimité. Depuis plusieurs années, on voit dans les journaux un nombre croissant de commentaires d'arrêts dont l'auteur est présenté avec l'indication du parti qui l'a nommé. C'est un changement qui s'est fait progressivement, et il me semble révélateur d'un problème, non pas celui du contrôle du Sénat, mais celui de l'interaction entre le président et le Sénat.
» (1755)
M. Kevin Sorenson: On peut imaginer que si le Sénat propose des noms, le président a déjà dit : « Voici les candidats qui devront être considérés », ou « Voici mon choix; si vous voulez vous comporter en bon républicain—ou en bon démocrate—, veillez à recommander ce candidat ou à le faire figurer sur la liste courte des candidatures à considérer ».
La politique intervient énormément dans le processus.
Mme Judith Resnik: Dans le système actuel, le président désigne des candidats, puis le Sénat a un rôle à jouer. Autrefois, le président allait au Sénat et disait : « J'envisage de proposer un tel. Qu'en pensez-vous? » son rôle était différent.
Le sénateur Schumer propose aujourd'hui que le Sénat, le président et les deux partis forment une commission—on en revient à l'histoire de la commission—pour s'écarter des considérations strictement partisanes aussi bien au Sénat qu'à la présidence.
Quand on parle de légitimité, il faut savoir de qui il est question. Je m'inquiète beaucoup de voir qu'on commence à considérer l'action du juge comme une sorte d'appel nominal plutôt qu'une réflexion fondée sur la jurisprudence et les obligations spécifiques à l'espèce. Il me semblerait préférable que nos tribunaux tranchent un plus grand nombre de cas et qu'ils soient mandatés pour le faire.
J'ajoute qu'aux États-Unis, les arrêts d'appel ne sont pas tous rédigés ni publiés. Certains d'entre eux sont rendus sans explication. À mon avis, on améliorerait grandement la légitimité des décisions rendues si elles étaient mieux expliquées.
Le vice-président (M. Chuck Cadman): Monsieur Sorenson, vous avez posé une question à M. Trudell. Pourriez-vous le laisser répondre? Ensuite, vous aurez de nouveau la parole.
M. Kevin Sorenson: D'accord. Je vais écrire ma question pour ne pas l'oublier.
M. William Trudell: Nous connaissons actuellement une époque très intéressante au Canada. Je crois que ce n'est pas douteux pour ceux qui travaillent dans le domaine de la justice et du contentieux : on peut dire que la Cour suprême du Canada est tout à fait légitime.
Mais quel est le problème? Il semble que ce soit la Charte, qui prend toujours de l'expansion et qui est toujours interprétée. On l'appelle l'arbre vivant, et il ne compte encore que quelques branches.
La cour a été amenée à interpréter la Charte et soudain, la presse et les différents groupes d'intérêts disent : « Qui sont ces gens-là? Pourquoi s'expriment-ils ainsi? » On conteste publiquement la légitimité de la cour. Ceux qui peuvent prendre un peu de recul comprennent que la Charte est très importante, mais que son développement va prendre plusieurs années.
On a constaté récemment que les juges de la Cour suprême sont obligés de s'exprimer et de dire : « Voici qui nous sommes et ce que nous faisons. Nous ne faisons pas le droit, nous l'interprétons. » Mais on entend parfois dire à la période des questions que la cour intervient directement et qu'elle fait le droit, ce qui a suscité toute une tempête. Il faut maintenant déterminer s'il y a là un véritable problème ou si c'est une question d'optique.
Je dirais respectueusement qu'au plan optique, la cour semble manquer de légitimité parce que ses juges sont nommés par le premier ministre. Nous savons maintenant qu'ils ne se contentent pas de tirer les noms au hasard dans un chapeau. Il y a une consultation dans tout le pays. Si les Canadiens le savaient, cette apparence de manque de légitimité s'atténuerait. C'est pourquoi nous faisons une proposition équilibrée qui renforce l'imputabilité et qui permet d'interroger les éventuels candidats à la Cour suprême.
On a parlé ici de politicisation du processus. Tout dépend de ce que l'on veut. Au Canada, on ne veut pas d'une cour politique, qui aurait une orientation favorable aux libéraux, aux conservateurs, au Bloc ou au NPD. Dans un tel cas, la contestation de la cour au Parlement ne pourrait que s'accentuer.
Pour répondre à votre question, je dirais que nous avons ici un problème d'apparence plutôt qu'un problème réel.
¼ (1800)
Le vice-président (M. Chuck Cadman): Monsieur Dion, vous avez deux minutes.
L'hon. Stéphane Dion: Monsieur Trudell, je vous remercie d'avoir mis sur la table une version différente de la formule du comité consultatif. Vous lui donnez un nom différent de celui qu'on a entendu jusqu'à maintenant, en particulier de la part du barreau ou de Mme L'Heureux-Dubé. J'aimerais avoir votre avis sur cette différence. Est-ce que vous connaissez le modèle ou est-ce que vous souhaitez insister sur la différence?
M. William Trudell: Pour autant que je connaisse le modèle du barreau canadien, il s'agit d'un comité consultatif...
L'hon. Stéphane Dion: Le vôtre aussi.
M. William Trudell: ... mais à ma connaissance, le comité consultatif n'aurait pas le droit d'interroger les candidats à huis clos. Il me semble que madame le juge L'Heureux-Dubé a dit la même chose.
L'hon. Stéphane Dion: Non, elle accepte les entrevues, contrairement au barreau. Leurs points de vue sont différents.
M. William Trudell: À notre avis, le fait d'interroger les candidats en séance publique ne servira à rien et va par contre créer des problèmes.
Je vais vous donner un exemple de questions qu'on pourrait poser en public à un candidat : « Que pensez-vous du film de Mel Gibson La Passion du Christ? » Que faut-il répondre à une telle question? Si un éventuel candidat à la Cour suprême dit : « J'ai trouvé que c'était un film admirable », il se trouve que certaines personnes trouvent ce film antisémite. Si le candidat répond : « Vous savez, j'ai trouvé que Caiphas n'était pas représenté de façon équitable », comment sera interprétée sa réponse? Il s'agit d'une simple question concernant un film.
L'hon. Stéphane Dion: Je ne l'ai pas vu. C'est trop sanglant pour moi.
M. William Trudell: Je veux dire que ces questions mènent à toutes sortes de spéculations et de commentaires sans fondement. J'estime respectueusement que cela ne sert à rien. Mais dans une séance à huis clos, les membres du comité pourront demander ce que le candidat a pensé de La Passion du Christ ou de la question de l'antisémitisme dans le film, et le candidat pourra répondre.
On ne veut pas savoir d'avance comment un juge va trancher. On ne veut pas connaître sa décision d'avance. On veut savoir s'il fait preuve d'ouverture d'esprit et s'il ne va pas tomber victime de la jugite dès qu'il sera nommé.
L'hon. Stéphane Dion: Je pense que tout le monde, y compris vous-même, madame le juge L'Heureux-Dubé et le barreau, est d'accord pour dire qu'il ne doit pas s'agir de séances publiques. La différence est ailleurs. Tout d'abord, vous souhaitez que le ministre de la Justice conserve un rôle de présélection des candidatures soumises au comité consultatif. Les autres proposent que le comité consultatif constitue sa propre liste et décide des candidatures à considérer ou, dans le cas de Mme L'Heureux-Dubé, des candidats à interviewer. À votre avis, est-il important que le ministre de la Justice conserve ce rôle de présélection?
M. William Trudell: Quand nous avons étudié la question, nous avons trouvé que le système actuel n'est pas si mauvais; c'est au niveau des apparences qu'il prête le flanc à la critique. Le ministre de la Justice peut être amené à prendre contact avec ceux auxquels il a fait référence lors de sa comparution devant le comité—le juge en chef de la province, le bâtonnier de la province, etc... Le ministre de la Justice est en bonne position pour poser des jalons dans l'ensemble du pays, par rapport à un comité qui devra éventuellement se déplacer à grands frais. Nous préférons que le ministre fasse les premières démarches et formule des recommandations, mais le Parlement et les citoyens ont aussi un rôle à jouer.
¼ (1805)
L'hon. Stéphane Dion: Je m'interroge...
Le vice-président (M. Chuck Cadman): Rapidement, s'il vous plaît, monsieur Dion.
L'hon. Stéphane Dion: Je reviendrai plus tard sur le sujet, mais les différences sont importantes à chaque étape, car si nous optons pour un comité consultatif...
L'hon. Sue Barnes: Je vous cède mon temps de parole.
L'hon. Stéphane Dion: D'accord. J'y reviendrai.
Le vice-président (M. Chuck Cadman): À vous, monsieur Sorenson.
M. Kevin Sorenson: Je voudrais simplement revenir à la protection de la légitimité. Monsieur Trudell, je ne me souviens plus du contexte dans lequel vous avez parlé des apparences. Vous avez mentionné la période des questions et les qualités du candidat au niveau des apparences, mais l'ensemble de la société a l'impression qu'il y a beaucoup plus de militantisme parmi les juges.
Il me semble qu'il y a cinq ans, les gens n'avaient pas vraiment réfléchi au militantisme judiciaire, mais comme vous l'avez dit, avec le développement, la Charte et l'intervention des tribunaux qui affirment leurs responsabilités—qui ne se limitent peut-être pas à l'interprétation de la loi, mais qui obligent les juges à formuler d'importantes propositions quant à certains droits qui auraient été négligés par le législateur—on constate beaucoup plus de militantisme judiciaire qu'autrefois.
Est-ce que ce militantisme judiciaire permet de contester la légitimité des tribunaux? Sans doute, si je m'en tiens au nombre de lettres que je reçois. Étant moi-même en politique, je me préoccupe beaucoup de politique dans les tribunaux, car les citoyens disent qu'il ne faut pas jeter la pierre aux juges; ce sont parfois les hommes politiques qui manquent parfois d'épine dorsale et qui s'effacent pour regarder les juges prendre des décisions et formuler le droit sans avoir à en répondre. Je reçois de nombreuses lettres de citoyens qui sont préoccupés par le militantisme judiciaire.
Ma question s'adresse à vous deux.
Mme Judith Resnik: Je préférerais que notre vocabulaire n'utilise pas les mots militantisme ou activisme, car chaque fois qu'un juge prend une décision, il agit. Lorsqu'il décide qu'un droit existe ou n'existe pas aux termes de la Charte, il agit.
Aux États-Unis, les juges ont parfois tendance à précéder le mouvement, alors que nos juges fédéraux sont plutôt en retard et que selon certains, ils freinent l'évolution du pays. Au cours des années 20 et 30, on a reproché à la magistrature fédérale de s'opposer à la réglementation. Il a fallu attendre le New Deal... Les grands programmes fédéraux de réglementation n'ont pu être mis en place qu'une fois que la composition de la magistrature a changé.
En ce qui concerne vos électeurs, on peut répondre que nous leur confions un rôle curieux. Sur des cas précis, nous leur demandons de nous aider à interpréter le sens d'un ensemble de droits. En ce qui concerne les droits énoncés dans la Charte, ils sont formulés à un niveau de généralité qui nécessitera toujours de préciser les choses si on veut appliquer les droits à des situations précises, alors qu'on veut éviter de se retrouver coincé par une charte trop détaillée. Il serait préjudiciable de donner trop de détails dans un texte constitutionnel.
Si vous voulez contester le point de vue exprimé par les juges dans une décision d'ordre constitutionnel, vous ne pouvez le faire qu'en invoquant votre droit de dérogation. Et ce droit de dérogation, du point de vue américain, est une merveilleuse façon de trancher un conflit éventuel entre les décisions judiciaires et la perspective du législateur. Lorsque le conflit est situé à un niveau suffisamment élevé, les enjeux politiques au Parlement vont entraîner l'invocation du pouvoir de dérogation et si les parlementaires ne le font pas, c'est parce que le conflit intervient dans une période de transition.
Prenons l'exemple de la décision américaine selon laquelle tous les êtres humains sont égaux et on ne peut pas imposer la ségrégation des Noirs par rapport aux Blancs. À l'époque où cette décision a été rendue, il y a eu un conflit énorme et de nombreux élus craignaient de perdre leurs sièges. Les gens se sont battus quant au sens de la notion de « déségrégation ». Aujourd'hui, il ne se trouve plus un seul Américain qui ne soit pas embarrassé par la période de ségrégation, et cela se passait il y a seulement 60 ans.
Voilà le rôle que nous avons confié aux juges. C'est un élément de la démocratie : nous faisons des promesses et nous nous engageons à prendre des mesures qui, dans l'immédiat, seront douloureuses et impopulaires.
¼ (1810)
M. William Trudell: Il faut faire bien attention à ne pas donner l'impression qu'on essaie de museler la Cour suprême. Les juristes et les parlementaires doivent dire à ceux qui réagissent aux jugements de la Cour suprême : « Un instant. Il faut adopter une perspective plus large. Notre monde évolue très rapidement. »
Évidemment, on va toujours critiquer la cour, mais elle fait bien de l'activisme judiciaire—puisque c'est l'expression qu'on emploie. Elle s'active à interpréter la Charte. Tous les jours, dans ma pratique, je vais étudier un dossier et je vais approfondir une question liée à la Charte, alors que certains jeunes avocats ne considèrent que la Charte et oublient parfois les particularités de l'espèce. La cour a donc un rôle redoutable et cependant merveilleux à jouer : on lui demande de réagir aux changements sans cesse plus nombreux qui apparaissent dans notre monde, qu'il s'agisse des droits du foetus, de l'avortement ou du mariage entre personnes de même sexe. C'est tout à fait incroyable.
Il y a dix ans, la cour faisait déjà de l'activisme judiciaire, mais le nombre des problèmes et des personnes qui revendiquent des droits en invoquant la Charte a considérablement augmenté. Il y a dix ans, l'agitation autour de la Charte n'était pas aussi tumultueuse.
J'invite respectueusement le comité à éviter soigneusement de donner l'impression qu'il essaie de museler la Cour suprême. Quant aux lettres que vous recevez, aux plaintes que reçoivent les avocats de la défense, les juges et les universitaires, il faut effectivement informer les citoyens de la nécessité d'adopter une perspective plus large—et c'est ce que l'on fait ici—et non pas donner l'impression qu'on essaie de réparer quelque chose qui fonctionne bien.
C'est pour cela, monsieur Dion, qu'à notre avis, le système actuel dans lequel le ministre de la Justice formule les premières propositions ne pose pas problème. Nous estimons qu'il faut permettre au Parlement et aux citoyens d'exercer un contrôle selon des modalités qui respectent la protection de la vie privée, tout en permettant de poser les bonnes questions.
Le vice-président (M. Chuck Cadman): Merci, monsieur Trudell.
Monsieur Dion, à moins d'une objection, ce sera la dernière question.
L'hon. Sue Barnes: Puis-je demander quelque chose d'autre, monsieur le président?
Le vice-président (M. Chuck Cadman): Nous en sommes à la fin.
L'hon. Sue Barnes: Je pensais qu'on pouvait continuer jusqu'à 18 h 30.
L'hon. Stéphane Dion: Je ne suis pas sûr, monsieur Trudell, que cela fasse vraiment de différence au bout du compte. On nous a dit—et vous me direz si vous êtes aussi de cet avis—que le bassin de candidats possibles est bien connu. Ce n'est pas tout le monde qui peut devenir juge de la Cour suprême du Canada. On nous dit qu'au départ il y aurait 10 ou 12 personnes qui pourraient être candidats. Alors, demander au ministre de la Justice de nommer ces personnes ne me paraît pas tellement important. Le comité consultatif arriverait au même résultat de toute façon au moment de la présélection. Voilà mon premier argument, mais ce n'est pas le plus important.
Mon principal argument concerne les différences dans la composition des deux comités consultatifs, celui que vous proposez et celui qui est proposé par le barreau et Mme L'Heureux-Dubé.
Leur composition diffère notamment, il me semble—bien que je puisse me tromper—du fait que vous proposez un comité national dont la composition serait la même peu importe la région d'où il faudrait que le juge provienne. Dans la proposition du barreau, il y aurait davantage de variations selon le lieu de provenance du juge; s'il s'agissait de choisir un juge du Québec, la composition ne serait pas la même que s'il s'agissait d'en choisir un du Canada atlantique, de l'Ouest ou de l'Ontario. Le réseau à consulter ne serait pas le même. Voilà une différence entre les deux propositions, si j'ai bien compris.
En outre, le comité consultatif que vous proposez semble avoir une dimension politique plus marquée et davantage de liens avec le premier ministre que celui que propose le barreau. Le barreau propose d'inclure quatre parlementaires, un de chaque parti, ou encore trois parlementaires s'il n'y avait que trois partis. Le travail des parlementaires au sein du comité consultatif n'aurait aucun rapport avec leur whip ni avec le premier ministre. Une fois nommés au comité, ils s'engageraient à y participer simplement en tant que membres du comité.
Mais dans le scénario que vous proposez, le comité comprendrait aussi trois profanes choisis par le premier ministre; un sénateur, qui, je suppose, serait vraisemblablement du parti du premier ministre, et un président qui serait choisi parmi les parlementaires, lequel appartiendrait fort probablement aussi au même parti que le premier ministre.
Le barreau n'a pas fait de proposition en tant que tel quant au choix de la personne qui présiderait le comité. Ce serait là une des recommandations clés que nous aurions à faire, il me semble. Mme L'Heureux-Dubé a proposé avec insistance que ce soit la juge en chef elle-même qui préside le comité, puisqu'elle connaît les besoins de la Cour.
J'aimerais savoir ce que vous pensez de ces différences.
Enfin, j'ai une observation au sujet de la recommandation qui serait faite au premier ministre. Vous proposez qu'on lui soumette une liste abrégée, si j'ai bien compris, de trois noms, ou quelque chose de semblable. C'est aussi ce qui semble ressortir de la proposition du barreau. Sa recommandation à ce sujet n'était pas claire, mais Mme L'Heureux-Dubé a indiqué qu'il faudrait laisser au comité consultatif le soin de prendre cette décision; il se pourrait que les membres du comité s'entendent d'emblée sur une personne, dont ils recommanderaient la nomination au premier ministre. Sinon, le comité pourrait présenter une liste abrégée. Elle n'a pas voulu limiter la liberté d'action du comité.
Comme vous pouvez le constater, il y a donc des différences. C'est là quelque chose d'important pour nous puisque les difficultés résident dans les détails et qu'il nous faut en arriver à une solution qui soit vraiment optimale pour le Canada.
¼ (1815)
M. William Trudell: Je ne sais pas si je peux répondre à tous les points que vous avez soulevés, mais permettez-moi de commencer par la question régionale.
C'est justement pour cette raison que nous pensons que le ministre de la Justice peut continuer à jouer le rôle qu'il joue à l'heure actuelle. Il communiquerait avec les instances locales, avec les dirigeants du barreau, avec le président du barreau de la région et avec le juge en chef de la cour où le juge en question doit être nommé afin de recueillir leurs suggestions. Quand il exerce ses fonctions à Ottawa, le ministre de la Justice ne représente pas Ottawa, mais bien le pays dans son ensemble.
C'est ainsi que la participation régionale est assurée. Les suggestions venues des instances régionales seront ensuite soumises au comité. S'agissant du comité... Nous sommes partis du principe que le Parlement voulait avoir un rôle à jouer. Nous proposons que le comité comprenne quatre députés, qui représenteraient les différents partis à la Chambre des communes et qui seraient choisis par leur formation politique.
Comment devrait se faire le choix de la présidence du comité? À mon avis—et je le dis respectueusement—le juge en chef ne devrait pas présider le comité consultatif. On pourrait peut-être faire appel à un ancien juge en chef. Le choix devrait peut-être être confié au Conseil de la magistrature, puisque le titulaire devrait être nommé en permanence.
Je suis ici aujourd'hui en tant que porte-parole du Conseil canadien des avocats de la défense. Nous avons des représentants au Nunavut et nous en avons aussi à Terre-Neuve. L'important, c'est que les régions puissent se faire entendre.
Mais s'agissant d'un comité consultatif qui doit soumettre des noms à intervalles réguliers, c'est là une formule qui serait difficilement applicable à notre avis. Nous considérons qu'on pourrait maintenir le statu quo pour la présélection, et nous sommes d'avis que la composition du comité assure la représentation du pays dans son ensemble et de tous les intérêts en cause.
Nous divergeons d'opinions là-dessus. Vous proposez que le comité consultatif soit composé de représentants des différentes régions du pays. Qui nommerait les membres du comité consultatif? Cette décision reviendrait-elle à l'Association du Barreau canadien? Il me semble qu'il faut quelque chose de plus central et de plus permanent puisqu'il s'agit de nommer les juges de la Cour suprême du Canada.
¼ (1820)
Le vice-président (M. Chuck Cadman): Vous avez la parole, monsieur Dion.
L'hon. Stéphane Dion: Ne tenez-vous pas à ce qu'il y ait un représentant du procureur général de la province ou de la région?
M. William Trudell: Selon notre proposition, le ministre de la Justice aura eu des discussions avec le juge en chef de la province, avec les membres de la Cour d'appel et avec le procureur général afin de s'assurer d'avoir le meilleur candidat possible pour représenter la région. Qui pourrait être mieux placé pour vous le dire—et à qui d'autre que le ministre de la Justice—que son homologue provincial ou le juge en chef? La participation régionale est ainsi assurée à notre avis.
Le vice-président (M. Chuck Cadman): Merci.
Voulez-vous conclure?
L'hon. Sue Barnes: Votre proposition diffère de celle du barreau et des autres en ce sens qu'ils proposaient un mécanisme de présélection pour chaque nomination auquel participeraient diverses personnes, y compris des parlementaires. Si j'ai bien compris, vous proposez un mécanisme permanent où seuls les parlementaires pourraient peut-être changer. Il y a bien sûr les élections qui surviennent à divers moments et les mandats dont la durée varie, si bien que, dans certains cas, les parlementaires pourraient siéger au comité pendant une période où il y aurait très peu d'activité.
La formule que vous proposez vise essentiellement à réunir un bassin de candidats qualifiés. Si donc il y avait quelqu'un qui siégeait à la Cour d'appel depuis cinq ans et qui n'avait pas encore présenté sa candidature, quelqu'un pourrait dire à cette personne : « Présentez-vous au processus de présélection pour le cas où il y aurait une vacance en Nouvelle-Écosse »—ou dans le Canada atlantique, en Alberta, en Colombie-Britannique ou ailleurs. Selon votre proposition, le ministre de la Justice procéderait alors—je veux simplement être sûre d'avoir bien compris—à la présélection.
D'aucuns, surtout parmi les partis d'opposition, se disent préoccupés par le manque de participation provinciale. Mais la participation des provinces n'a pas nécessairement besoin d'être assurée à l'étape de la présélection. Cela pourrait se faire au moment des consultations qu'entreprendrait le ministre de la Justice, peu importe que ces consultations se fassent comme à l'heure actuelle, ou si j'ai bien compris le ministre de la Justice consulte simplement un procureur général de la région où il y a une vacance. D'autres, d'après ce que nous avons entendu au comité, voudraient que le ministre de la Justice puisse être tenu de consulter tous les procureurs généraux puisque l'ensemble du Canada pourrait être touché par les décisions que prendrait la cour au fil du temps.
M. William Trudell: C'est ce que le ministre devrait être tenu de faire à mon avis. Il devrait consulter son homologue provincial et il devrait consulter—voire être tenu de consulter—largement dans la province ou la région.
Si l'on a recours—et je suis membre de l'Association du Barreau canadien—à un comité consultatif, il y a une question de perception qui entre en ligne de compte quant au choix des membres et à la façon dont ils sont nommés. Mais si l'on a un mécanisme permanent auquel participent des parlementaires...
Je dois vous dire—et je ne viole aucun secret en vous disant cela—qu'il est vraiment étonnant de constater à quel point les membres du comité provincial en Ontario en arrivent après avoir travaillé ensemble pendant un certain temps à vouloir respecter le caractère confidentiel des discussions par respect pour le système. Et c'est un système qui marche. Ceux qui sont nommés au comité parce qu'ils ont travaillé pour un parti en viennent, après un certain temps, à oublier leur allégeance politique parce qu'ils sont vraiment frappés par l'importance du travail que fait le comité.
Il en serait de même pour le candidat. La personne pourrait bien être nommée au comité sur la recommandation du procureur général et elle pourrait bien avoir milité pour le Parti libéral ou pour le nouveau Parti conservateur, mais cela importerait peu parce qu'elle serait qualifiée. Alors, il n'y a pas raison de s'inquiéter parce que les considérations politiques finissent par disparaître.
Nous proposons un mécanisme permanent, transparent sur le plan de la perception et facile à comprendre, par opposition à un comité dont la composition pourrait changer, si bien que les gens pourraient dire : « Un instant. Je sais comment cette personne a fait pour être nommée au Comité consultatif ». Sur le plan de la perception, il faudrait alors...
¼ (1825)
L'hon. Sue Barnes: Vous dites que les candidats éventuels n'auraient à se soumettre à une entrevue qu'à l'étape de la présélection, après quoi le système fonctionnerait comme à l'heure actuelle.
M. William Trudell: Le système est tel que les candidats sont choisis après que le ministre...
Une voix : Le système actuel.
M. William Trudell : Tout à fait, le système actuel...
On pourrait peut-être l'élargir, dire au ministre qu'il doit consulter plus largement dans la province. Le ministre, en consultation avec le premier ministre, communiquerait avec les candidats éventuels pour leur dire : « On pense à vous pour la Cour suprême du Canada. Cela vous intéresse-t-il? » La personne pourrait bien répondre non. Mais si elle répond oui, on lui demanderait alors de remplir un formulaire de demande de façon confidentielle et on l'inviterait à se présenter devant le comité. Le comité aurait le formulaire de demande; il pourrait poser toutes les questions qu'il voudrait et il dirait ensuite au premier ministre et au ministre de la Justice : « Nous recommandons A et B, mais pas C.»
L'hon. Sue Barnes: Je sais que nous avons déjà dépassé le temps alloué. Je tiens tout simplement à dire qu'il est très important que nous ayons pu entendre ces divers points de vue. Personne ici, du côté ministériel ou de l'opposition, ne veut d'un mécanisme qui porterait préjudice à la cour—absolument pas. Mais nous sommes aussi là pour servir la population, et nous sommes élus par la population. Il me semble qu'il faut qu'il y ait une certaine ouverture et une certaine transparence. Personne ne s'attendait à ce que deux vacances surviennent pendant cet examen que nous avons entrepris. En toute justice pour le comité, qui travaille fort, il convient de dire que nous avons entrepris ce processus avant de savoir qu'il y aurait ces vacances. Je crois qu'on s'inquiète un petit peu de ce qui va se passer dans l'intervalle, et je sais que le processus est déjà amorcé pour, bien sûr—le ministre de la Justice l'a dit devant notre comité—, combler ces vacances. Il faut faire preuve de circonspection et éviter de créer des précédents maintenant. Notre comité a vraiment à coeur de chercher à améliorer le système, et c'est là quelque chose d'important à mon avis.
Je tiens à vous remercier pour votre contribution. Je sais que la tâche n'a pas été facile, surtout à cause du court préavis.
M. William Trudell: Permettez-moi de préciser que j'étais tout à fait sérieux quand j'ai fait des suggestions au comité pour ce qui est de ce qui pourrait l'aider dans l'intervalle. Vous avez entendu des témoignages utiles de plusieurs personnes, mais il y a aussi le professeur Ratushny qui s'intéresse depuis longtemps à cette question. Il y a aussi l'ancien juge George Thomson, qui enseigne aux magistrats. Dans l'intervalle, il vous serait peut-être utile de faire appel à des personnes de l'extérieur.
Mme Judith Resnik: Si vous voulez bien me permettre d'intervenir moi aussi, j'espère vous avoir aidé à comprendre les interdépendances du système, pour que dans l'examen que vous allez faire des propositions de changement... Il me semble qu'il serait très difficile d'essayer d'apporter trop de changements trop vite. Il serait peut-être utile de bien vous dire que ce que vous voulez faire, c'est réfléchir à la question, de dire à vos électeurs qui exigent une réponse conforme au principe démocratique que vous avez entrepris de vous attaquer à une question d'envergure et que votre rôle consiste à trouver des réponses qui auront une certaine pérennité, qu'en faisant cela vous agiriez sagement et sans porter préjudice au système. Vous pourriez donc choisir parmi les diverses propositions une solution provisoire pour que vous puissiez ensuite élaborer quelque chose dont la composition... Il y a au moins 14 scénarios qui vous ont été proposés, et je pense que chacun de nous pourrait finir par vous en proposer d'autres. Se hâter de mettre en place quelque chose maintenant qu'il sera plus difficile de défaire plus tard, ce serait laisser l'urgence du moment l'emporter sur la sagesse de l'étude que vous avez entreprise.
Le vice-président (M. Chuck Cadman): Monsieur Dion, très rapidement.
L'hon. Stéphane Dion: Monsieur Trudell, je veux simplement essayer de comprendre un petit peu mieux ce que vous proposez. Le ministre de la Justice n'arriverait pas avec sa liste abrégée à lui qu'il soumettrait au comité consultatif—il présenterait au comité les noms de tous ceux qui pourraient être candidats?
M. William Trudell: Non, le ministre de la Justice ferait exactement comme à l'heure actuelle. Supposons qu'il ait trois noms de personnes qui... Nous avons deux vacances. Supposons qu'il arrive avec trois noms. Faisons abstraction pour l'instant du fait qu'il s'agit de l'Ontario. Quelqu'un du cabinet du ministre communiquerait avec les trois personnes pour leur dire : « On pense à vous pour la Cour suprême du Canada. Cela vous intéresse-t-il? » Les personnes pressenties pourraient dire non. Si elles disaient oui, elles seraient alors invitées à se présenter devant le comité. Elles seraient invitées à remplir le formulaire de demande. Elles répondraient aux questions qui y figurent, si bien que le comité aurait une idée de leurs antécédents. Les renseignements demeureraient confidentiels, et les candidats seraient interviewés. Si le comité décidait qu'il ne voulait pas d'une des trois personnes, le premier ministre ne pourrait pas la nommer.
¼ (1830)
L'hon. Stéphane Dion: D'accord. Je comprends mieux maintenant. Alors, ce serait une liste abrégée qui viendrait du ministre de la Justice.
M. William Trudell: Oui, tout à fait. Il pourrait y avoir cinq noms sur la liste.
L'hon. Stéphane Dion: Ou peut-être un seul?
M. William Trudell: Peut-être un seul. Mais s'il n'y avait qu'un nom et que le comité ne voulait pas de cette personne, pour quelque raison que ce soit—il se pourrait que la personne soit un candidat idéal, auquel cas il n'y aurait pas de problème—, la personne ne pourrait pas...
L'hon. Stéphane Dion: Le comité aurait-il la possibilité de dire que la personne proposée semble être un bon candidat, mais qu'il sait que d'autres personnes pourraient être aussi qualifiées et qu'il ne comprend pas pourquoi leurs noms ne figurent pas sur la liste?
M. William Trudell: Non. Le système est une combinaison de... Le ministre de la Justice aurait la possibilité de faire son travail et de proposer le nom des meilleurs candidats.
Le vice-président (M. Chuck Cadman): Monsieur Sorenson, ce sera vraiment tout.
M. Kevin Sorenson: C'est quelque chose qui découle de la dernière question.
Si la liste était très courte, c'est la légitimité du comité qui serait en cause, parce que si tout d'un coup, le comité se met à dire non, le ministre de la Justice pourrait ne soumettre qu'un seul nom, auquel cas rien n'aurait changé, ou encore, si le ministre a la possibilité de ne soumettre que trois noms et que le comité ne peut pas proposer quelqu'un d'autre, rien n'aura changé. Nous aurons mis en place un mécanisme qui sera un petit peu différent, mais en réalité, ce ne serait finalement que de la poudre aux yeux puisque nous aurons apporté quelques changements sans qu'il y ait eu de véritable réforme.
Si nous avons entrepris cette étude, c'est parce que nous sommes conscients de deux choses. Tout d'abord, nous avons besoin de changement, nous avons besoin d'une réforme, et le public se demande en quoi consiste le processus. Nous nous disons que le processus existant est peut-être trop influencé par des considérations politiques. À l'heure actuelle, le pouvoir de nomination est le droit exclusif du premier ministre. D'accord, il travaille de concert avec le ministre de la Justice, mais selon la formule que vous proposez, on aurait maintenant une liste très abrégée, où il n'y aurait que trois noms. Nous savons déjà que le premier ministre va discuter avec le ministre de la Justice pour décider des trois noms—du moins, c'est fort probable.
Alors, finalement, vous nous proposez de ne apporter de changements importants.
M. William Trudell: Ce que nous proposons—et je le dis très respectueusement—constitue effectivement un changement de grande importance, parce que les candidats éventuels seraient interviewés par le comité auquel participeraient des parlementaires, un ancien juge, de même que des profanes qui pourraient représenter les minorités visibles. Le comité que nous proposons constitue un véritable changement.
M. Kevin Sorenson: Mais même le comité, comme vient de le dire M. Dion...
Le vice-président (M. Chuck Cadman): Pouvez-vous laisser M. Trudell répondre? Nous avons dépassé de beaucoup le temps alloué.
M. Kevin Sorenson: Oui, mais laissez-moi simplement dire que, même si nous avons ce comité, comme l'a dit M. Dion, il sera composé principalement de représentants du gouvernement au pouvoir, conservateur ou libéral. La majorité des membres du comité seront nommés par le gouvernement au pouvoir. Comme il l'a laissé entendre, on peut s'attendre à ce qu'il veuille avoir beaucoup d'influence sur le choix de la présidence du comité.
M. William Trudell: Comment cela serait-il possible puisqu'il y aurait quatre parlementaires, un de chaque parti? Je pars du principe qu'il y a quatre partis et qu'il y aurait un représentant de chaque parti. Il y aurait un représentant du Sénat. On pourra déterminer si ce sera au leader de la majorité au Sénat ou au parti de choisir ce représentant. Ce ne sera pas nécessairement le cas. Le premier ministre pourra nommer des profanes. Peut-être que vous préfériez que ce ne soit pas le premier ministre qui nomme les profanes.
Ce dont je vous parle, c'est de diversité dans la représentation. Il y aurait des membres du public, d'anciens juges, des juristes et des parlementaires qui participeraient tous aux interviews et qui poseraient des questions dans un cadre confidentiel en vue de déterminer l'opportunité de nommer les personnes choisies par le premier ministre.
Le vice-président (M. Chuck Cadman): Question d'éclaircissement.
L'hon. Sue Barnes: En Ontario, d'après ce que j'en sais, le bassin comprend des personnes qui ont elles-mêmes présenté leur candidature. Il ne contient pas que les noms des personnes proposées par le ministre. Si je siégeais à la Cour d'appel ou que j'étais juriste, je pourrais demander à faire partie de la présélection. Ne pourrais-je pas faire de même dans le système que vous proposez?
M. William Trudell: Je crois qu'il y a effectivement des gens qui écrivent et qui disent que cela les intéresserait d'être nommés à la Cour suprême du Canada. Dans notre système, celui que nous proposons, cela ne serait pas possible.
L'hon. Sue Barnes: Très bien. Je suis contente d'avoir demandé cet éclaircissement.
Merci beaucoup à tous les deux.
Le vice-président (M. Chuck Cadman): Merci beaucoup à nos témoins. Merci à tout le monde d'avoir été bref.
La séance est levée.